Cymbalum Mundi ou Dialogues satiriques sur différents sujets

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LES NOUVELLES

RECREATIONS

ET

JOYEUX DEVIS



PREMIERE PARTIE

D’APRÉS L’ÉDITION ORIGINALE DE 1558


EXTRAIT DU PRIVILEGE DU ROY


Il a pleu au Roy, nostre sire, de donner privilege et permission à Robert Granjon d’imprimer ce present Livre (intitulé : Les Nouvelles Recreations) de sa lettre françoise d’art de main ; et, pour remuneration de son invention, veult iceluy Seigneur que nul autre (quel qu’il soit) en ce royaume n’ayt à tailler poinssons ne contrefaire ladite lettre françoise d’art de main, ne d’icelle vendre ne distribuer aucune impression, fors celle qui sera imprimée par ledict Granjon, sur certaines et grandes peines contenues aux lettres de privilege dudit Granjon. Et ce, pour le temps et terme de dix ans consequutifs, à compter du jour et date des presentes, quant à l’imitation desdits caracteres d’art de main ; et quant à l’impression dudit livre, du jour et date qu’il sera achevé d’imprimer. Et outre ce, ledit Seigneur, tant pour ceste œuvre que pour autres contenues et mentionnées en ses dites lettres, veult et entend que, par l’extraict et inscription qui sera faicte d’iceluy en chacun livre, les deffences et inhibitions mentionnées audit privilege soyent tenues pour suffisamment signifiées à tous imprimeurs et autres qu’il appartiendra, comme plus à plain est contenu aux lettres patentes dudit Seigneur données à Saint-Germain-en-Laye, le xxvie jour de decembre, l’an de grace mil cinq cens cinquante sept. Ainsi signées :

Par le Roy,
Maistre Jehan Nicot,
Maistre des requestes de l’hostel, present.
Fizes.


L’IMPRIMEUR[1] AU LECTEUR

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SALUT.

Le Temps, glouton devorateur de l’humaine excellence, se rend souventes fois coustumier (tant nous est-il ennemy) de suffoquer la gloire naissante de plusieurs gentilz esprits ou ensevelir d’une ingrate oubliance les œuvres exquises d’iceux ; desquelles si la congnoissance nous estoit permise, ô Dieu tout bon, quel avancement aux bonnes lettres ! De ceste injure les siecles anciens, et noz jours mesmes, nous rendent espreuve plus que suffisante. Et vous ose bien persuader (amy Lecteur) que le semblable fust advenu de ce present volume, duquel demourions privez sans la diligence de quelque vertueux presonnage[2] qui n’ha voulu souffrir ce tort nous estre faict, et la memoire de feu Bonaventure Des Periers, excellent poete[3], rester frustrée du los[4] qu’elle merite. Or, l’ayant arraché de l’avare main de ce faucheur importun, je le vous presente avec telle eloquence que chacun congnoist ses autres labeurs estre jouez[5]. D’une chose je m’asseure, que l’envieux pourra abbayer[6] à l’encontre tant qu’il voudra ; mais y mordre, non. Davantage[7], le front tetrique[8] icy trouvera dequoy desrider sa severité et rire une bonne fois, tant gentille est la grace que nostre autheur ha à traiter ses faceties. Les personnes tristes et angoissées s’y pourront aussi heureusement recreer, et tuer aisément leurs ennuys. Quant à ceux qui sont exempts de regret et s’y voudront esbatre, ilz sentiront croistre leur plaisir en telle force que le rude chagrin n’osera entreprendre sur leur felicité, se servans de ce discours comme d’un rampart contre toute sinistre[9] fascherie. De faire à nostre aage offre de chose tant gentille, je l’ay estimé convenable, mesmement en ces jours tant calamiteux[10] et troublez. Vostre office sera (debonnaire Lecteur) de le recevoir d’une main affable[11], et nous sçavoir gré de nostre travail ; lequel sentans bien receu, serons excitez à continuer en si louable exercice, pour vous faire jouyr de choses plus ardues et serieuses. Adieu. De Lyon, ce 25 de janvier 1558.

SONNET[12].

HOMMES pensifz, je ne vous donne à lire
Ces miens devis, si vous ne contraignez
Le fier maintien de voz frons rechignez :
Icy n’y ha seulement que pour rire.

Laissez à part vostre chagrin, vostre ire,
Et vos discours de trop loing desseignez[13].
Une autre fois vous serez enseignez :
Je me suis bien contrainct pour les escrire.

J’ay oublié mes tristes passions,
J’ay intermis[14] mes occupations.
Donnons, donnons quelque lieu à folie ;

Que maugré nous ne nous vienne saisir,
Et en un jour plein de melancholie,
Meslons au moins une heure de plaisir.


PREMIERE NOUVELLE.

En forme de préambule.


Je vous gardoys ces joyeux propos à quand la paix seroit faicte[15], affin que vous eussiez dequoy vous resjouir publiquement et privément et en toutes manieres ; mais, quand j’ay veu qu’il s’en falloit le manche, et qu’on ne sçavoit par où la prendre[16], j’ay mieux aymé m’avancer pour vous donner moyen de tromper le temps, meslant des resjouissances parmy voz fascheries, en attendant qu’elle se face de par Dieu. Et puis je me suis avisé que c’estoit icy le vray temps de les vous donner, car c’est aux malades qu’il faut medecine. Et vous asseurez que je ne fais pas peu de chose pour vous, en vous donnant de quoy vous resjouir, qui est la meilleure chose que puisse faire l'homme. Le plus gentil enseignement pour la vie, c'est bene vivere et lætari. L'un vous baillera pour ung grand notable[17], qu'il fault reprimer son courroux ; l'autre, peu parler ; l'autre, croyre conseil ; l'autre, estre sobre ; l'autre, faire des amis. Et bien, tout cela est bon ; mais vous avez beau estudier, vous n'en trouverez point de tel qu'est : Bien vivre et se resjouir. Une trop grande patience vous consume ; un taire[18] vous tient gehenné[19] ; un conseil vous trompe ; une diete vous desseiche ; un amy vous abandonne. Et, pour cela, vous faut-il desesperer ? Ne vault-il pas mieux se resjouir en attendant mieux, que se fascher d'une chose qui n'est pas en nostre puissance ? Voire mais, comment me resjouiray-je, si les occasions n'y sont ? direz-vous. Mon amy, accoustumez-vous-y ; prenez le temps comme il vient ; laissez passer les plus chargez ; ne vous chagrinez point d'une chose irremediable : cela ne fait que donner mal sur mal. Croyez-moy, et vous vous en trouverez bien : car j'ay bien esprouvé que pour cent francs de melancholie n'acquiterons-nous pas pour cent solz de debtes. Mais laissons là ces beaux enseignemens. Ventre d'ung petit poisson[20] ! rions. Et dequoy ? De la bouche, du nez, du menton, de la gorge, et de tous noz cinq sens de nature. Mais ce n'est rien, qui ne rit du cueur ; et, pour vous y aider, je vous donne ces plaisans Comptes ; et puis nous vous en songerons bien assez serieux, quand il sera temps[21]. Mais sçavez-vous quelz je les vous baille ? Je vous prometz que je n'y songe ny mal ny malice ; il n'y ha point de sens allegorique, mystique, fantastique. Vous n'aurez point de peine de demander comment s'entend cecy, comment s'entend cela ; il n'y fault ny vocabulaire ne commentaire : telz les voyez, telz les prenez. Ouvrez le livre : si ung compte ne vous plait, hay[22] à l'aultre ! Il y en ha de tous bois, de toutes tailles, de tous estocz, à tous pris et à toutes mesures, fors que pour plorer. Et ne me venez point demander quelle ordonnance j'ay tenue, car quel ordre faut-il garder quand il est question de rire ? Qu’on ne me vienne non plus faire des difficultez : « Oh ! ce ne fut pas cestuy-cy qui fit cela. — Oh ! cecy ne fut pas faict en ce cartier-là. — Je l’avoys desjà ouy compter ! — Cela fut faict en nostre pays. » Riez seulement, et ne vous chaille si ce fut Gaultier, ou si ce fut Garguille[23]. Ne vous souciez point si ce fut à Tours en Berry, ou à Bourges en Tourayne[24] : vous vous tourmenteriez pour neant ; car, comme les ans ne sont que pour payer les rentes, aussi les noms ne sont que pour faire debatre les hommes. Je les laisse aux faiseurs de contractz et aux intenteurs de procez. S'ils y prennent l'un pour l'autre, à leur dam ; quant à moy, je ne suis point si scrupuleux. Et puis j'ay voulu faindre quelques noms tout exprès pour vous monstrer qu'il ne faut point plorer de tout cecy que je vous compte, car peult-estre qu'il n'est pas vray[25]. Que me chaut-il, pourveu qu'il soit vray que vous y prenez palisir ? Et puis je ne suis point allé chercher mes Comptes à Constantinople, à Florence, ny à Venise, ne si loing que cela : car, s'ilz sont telz que je les vous veux donner, c'est-à-dire pour vous recreer, n'ay-je pas mieux faict d'en prendre les instrumens[26] que nous avons à nostre porte, que non pas les aller emprunter si loing ? Et, comme disoit le bon compagnon, quand la chambriere, qui estoit belle et galante, luy venoit faire les messages de sa maistresse : « A quoy faire iray-je à Romme ? les pardons sont par deça[27]. » Les nouvelles qui viennent de si loingtain pays, avant qu'elles soyent rendues sus le lieu, ou elles s'empirent[28] comme le safran, ou s'encherissent comme les draps de soye, ou il s'en pert la moitié comme d'espiceries, ou se buffetent[29] comme les vins, ou sont falsifiées comme les pierreries, ou sont adulterées comme tout. Brief, elles sont subjettes à mille inconveniens, sinon que vous me vueillez dire que les nouvelles ne sont pas comme les marchandises, et qu'on les donne pour le pris qu'elles coustent. Et vrayement je le veux bien ; et ce pour cela j'ayme mieux les prendre près, puisqu'il n'y ha rien à gaigner[30]. Ha ! ha ! c'est trop argué[31] ! Riez, si vous voulez ; autrement vous me faites un mauvais tour. Lisez hardiment, dames et damoyselles, il n'y ha rien qui ne soit honneste ; mais, si d'aventure il y en ha quelques-unes d'entre vous qui soyent trop tendrettes et qui ayent peur de tomber en quelques passages trop gaillars, je leur conseille qu'elles se les facent eschansonner[32] par leurs freres ou par leurs cousins, affin qu'elles mangent peu de ce qui est trop appetissant : « Mon frere, marquez-moy ceux qui ne sont pas bons, et y faictes une croix. — Mon cousin, cestuy-cy est-il bon ? — Ouy. — Et cestuy-cy ? — Ouy. » Ah ! mes fillettes, ne vous y fiez pas ; ilz vous tromperont, ilz vous feront lire un Quid pro quod[33] ! Voulez-vous me croyre ? Lisez tout ; lisez, lisez ! Vous faictes bien les estroictes ! Ne les lisez donc pas. A ceste heure verra l'on si vous faictes bien ce qu'on vous defend. O quantes dames auront bien l'eau à la bouche, quand elles orront[34] les bons tours que leurs compagnes auront faictz, et qu'elles diront bien qu'il n'y en ha pas à demy ! Mais je suis content que devant les gens elles facent semblant de couldre ou de filler, pourveu qu'en destournant les yeux elles ouvrent les oreilles, et qu'elles se reservent à rire quand elles seront à part elles. Eh ! mon Dieu , que vous en comptez de bonnes, quand il n'y ha qu'entre vous femmes, ou qu'entre vous fillettes ! Grand dommage ! Ne faut-il pas rire ? Je vous dy que je ne croy point ce qu'on dict de Socrate, qu'il fust ainsi sans passion. Il n'y ha ne Platon, ne Xenophon, qui le me fist accroyre. Et quand bien il seroit vray, pensez-vous que je loue ceste grande severité, rusticité, tetricité[35], gravité ? Je loueroys beaucoup plus celuy de nostre temps, qui ha esté si plaisant en sa vie, que, par une antonomasie[36], on l'ha appelé le Plaisantin[37] : chose qui luy estoit si naturelle et si propre, qu'à l'heure mesme de sa mort, combien de tous ceux qui y estoyent le regretassent, si ne purent-ilz jamais se fascher, tant il mourut plaisamment. On luy avoit mis son lict au long du feu, sus le plastre du foyer, pour estre plus chaudement ; et, quand on luy demandoit : « Or ça, mon amy, où vous tient-il ? » il respondoit tout foiblement, n'ayant plus que le cueur et la langue : « Il me tient, dit-il, entre le banc et le feu ! » qui estoit à dire qu'il se portoit mal de toute la personne. Quand ce fut à luy bailler l'extreme onction, il avoit retiré ses piedz à cartier tous en ung monceau, et le prestre disoit : « Je ne sçay où sont ses piedz ? — Et regardez, dit-il, au bout de mes jambes, vous les trouverez ! — Et, mon amy, ne vous amusez point à railler, luy disoit-on : recommandez-vous à Dieu. — Et qui y va ? dit-il. — Mon amy, vous irez aujourd'hui, si Dieu plaist. — Je voudrois bien estre asseuré, disoit-il, d'y pouvoir estre demain pour tout le jour. — Recommandez-vous à luy, et vous y serez en huy. — Et bien, disoit-il, mais que j'y sois, je feray mes recommandations moy-mesmes. » Que voulez-vous de plus naïf ? Quelle plus grande felicité ? Certes, d'autant plus grande, qu'elle est octroyée à si peu d'hommes.


NOUVELLE II.

Des trois folz, Caillette, Triboulet et Polite[38].


Les pages avoyent attaché l’oreille à Caillette[39] avec un clou contre un posteau, et le povre Caillette demouroit là et ne disoit mot, car il n’avoit point d’autre apprehension, sinon qu’il pensoit estre confiné là pour toute sa vie. Il passe un des seigneurs de court qui le voit ainsi en conseil avec ce pillier, qui le fait incontinent desgager de là, s’enquerant bien expressement qui avoit faict cela, et qui l’ha mis là. Que voulez-vous ? Un sot l’ha mis là, un sot l’ha là mis[40]. Quand on disoit : « Ce ont esté les pages ? » Caillette respondoit bien en son idiotisme : « Ouy, ouy, ce ont esté les pages. — Sçauras-tu congnoistre lequel ce ha esté ? — Ouy, ouy, disoit Caillette, je sçay bien qui ç'ha esté » L’escuyer, par commandement du Seigneur, fait venir tous ses gens de bien de pages en la presence de ce sage homme Caillette, leur demandant à tous l’un après l'aultre : « Venez çà ! Ha-ce esté vous ? » Et mon page de le nier, hardy comme un saint Pierre[41] : « Nenny, Monsieur, ce n’ha pas esté moy. — Et vous ? — Ny moy. — Et vous ? — Ny moy aussi. » Mais allez faire dire ouy à un page, quand il y va du fouet ! Caillette estoit là devant, qui disoit en cailletois[42] : « Ce n'ha pas esté moy aussi. » Et, voyant qu'ilz disoient tous nenny, quand on luy demandoit : « Ha-ce point esté cestuy-cy ? — Nenny, disoit Caillette. — Et cestuy-cy ? — Nenny. » Et, à mesure qu'ilz respondoyent nenny, l'escuyer les faisoit passer à costé, tant qu'il n'en resta plus qu'un, lequel n'avoit garde de dire ouy, après tant d'honnestes jeunes gens qui avoyent tous dit nenny ; mais il dit comme les autres : « Nenny, Monsieur, je n'y estois pas. » Caillet estoit tousjours là, pensant qu'on le deust aussi interroger si ç'avoit esté luy : car il ne luy souvenoit plus qu'on parlast de son oreille. De sorte que, quand il veit qu'il n'y avoit que luy, il s'en va dire : « Je n'y estois pas aussi. » Et s'en va remettre avec les pages, pour se faire coudre l'aultre oreille au premier pillier qui se trouveroit.

A l'entrée de Rouan[43] (je ne dy pas que Rouan entrast, mais l'entrée se faisoit à Rouan), Triboulet[44] fut envoyé devant pour dire : « Voy les cy venir ! » qui estoit le plus fier du monde d'estre monté sur un beau cheval caparassonné de ses couleurs, tenant sa marotte des bonnes festes. Il picquoit, il couroit, il n'alloit que trop. Il avoit un maistre avec luy pour le gouverner[45]. Et, povre maistre, tu n'avois pas besogne faicte : il y avoit belle matiere pour le faire devenir Triboulet luy-mesmes. Ce maistre luy disoit : « Vous n'arresterez pas, vilain ? Si je vous pren… Arresterez-vous ?… » Triboulet, qui craignoit les coups, car quelques foys son maistre luy en donnoit, vouloit arrester son cheval : mais le cheval se sentoit de ce qu'il portoit, car Triboulet le picquoit à grands coups d'esperon : il luy haussoit la bride, il la luy secouoit. Et le cheval d'aller. « Meschant, vous n'arresterez pas ? disoit son maistre — Par le sang Dieu, disoit Triboulet, car il juroit comme un homme, ce meschant cheval, je le picque tant que je puis, encores ne veult-il pas demeurer ! » Que diriez-vous là ? Sinon que nature ha envie de s'esbatre quand elle se met à faire ces belles pieces d'hommes. Lesquelz seroyent heureux, mais ilz sont trop ignoramment plaisans et ne sçavent pas congnoistre qu'ilz sont heureux, qui est le plus grand malheur du monde. Il y avoit un autre fol, nommé Polite, qui estoit à un abbé de Bourgueil[46]. Un jour, un matin, un soir, je ne sçauroye dire l'heure[47], Monsieur l'abbé avoit une belle garse toute vive couchée auprès de luy, et Polite le vint trouver au lict et mit le bras entre les linceux par les piedz du lit, là où il trouve premierement un pied de creature humaine ; il va demander à l'abbé : « Moine, à qui est ce pied ? — Il est à moy, dit l'Abbé. — Et cestuy-cy ? — Il est encore à moy. » Et ainsi qu'il prenoit ces piedz, il les mettoit à part et les tenoit d'une main, et de l'autre main il en print encore un, en demandant : « Et cestuy-cy, à qui est-il ? — A moy, ce dict l'Abbé. — Ouay, dit Polite ; et cestuy-cy ? — Va, va, tu n'es qu'un fol ! dict l'abbé ; il est aussi à moy. — A tous les diables soit le moine ! dict Polite, il ha quatre piedz comme un cheval. » Et bien, pour cela, encores n'estoit-il fol que de bonne sorte. Mais Triboulet et Caillette estoyent folz à vingt et cinq quarraz, dont les vingt et quatre font le tout[48]. Or ça, les folz ont faict l'entrée. Mais quelz folz ? Moy tout le premier, à vous en compter, et vous le second, à m’escouter, et cestuy là le troiziesme, et l’autre le quatriesme. Oh ! qu’il y en ha[49] ! Jamais ce ne seroit faict. Laissons-les icy et allons chercher les sages ; esclairez pres, je n’y voy goutte[50].


NOUVELLE III.

Du Chantre, bassecontre de Saint-Hilaire de Poitiers, qui accompara les chanoines à leurs potages.


En l’église Saint-Hilaire de Poitiers y eut jadis un chantre qui servoit de bassecontre, lequel, parce que il estoit bon compaignon et qu’il beuvoit bien, ainsi que volontiers font telles gens, estoit bien venu entre les chanoines, qui l'appelloyent souvent à disner et à soupper. Et, pour la familiarité qu’ilz luy faisoient, luy sembloit qu’il n’y avoit celuy d’eux qui ne desirast son avancement ; qui estoit cause que souvent il disoit à l’un et puis à l’autre : « Monsieur, vous sçavez combien de temps il y ha que je sers en l’église de ceans ; il seroit desormais temps que je fusse pourveu[51] : je prie le vouloir remontrer en chapitre. Je ne demande pas grand chose : vous autres, messieurs, avez tant de moyens[52] ! Je me contenteray de l’un des moindres. » Sa requeste estoit bien prise et escoutée, et chascun d’eux en particulier luy faisoit bonne responce, disant que c’estoit chose raisonnable. « et quand chapitre n’auroit la commodité de te recompenser, luy disoyent-ilz, je t’en bailleray plustost du mien. » Somme, à toutes les entrées et issues de chapitre, où il se trouvoit tousjours pour se ramentevoir à messieurs, ilz luy disoyent à une voix[53] : Atten encores un petit ; chapitre ne t’oubliera pas : tu auras le premier qui vacquera. » Mais quand ce venoit au fait, il y avoit tousjours quelque excuse : ou que le benefice estoit trop gros, et pourtant l’un des messieurs l’avoit eu ; ou qu’il estoit trop petit et qu’on ne luy voudroit faire present de si peu de chose ; ou qu’ilz avoient esté contraintz de le bailler à l’un des neveuz de leur frere[54]. Mais qu’il n’y auroit faute qu’il n’eust le premier vacquant. Et de ces belles parolles ilz entretenoient ce bassecontre, tant que le temps se passoit, et servoit tousjours sans rien avoir. Et cependant il faisoit tousjours quelque present selon sa petite faculté à messieurs tel et tel, de ceux qu'il congnoissoit avoir plus grande voix en chapitre, comme fruitz nouveaux[55], poulletz, pigeonneaux, perdriaux, selon la saison, que le povre chantre acheptoit au marché vieux, ou à la regretterie[56], leur faisant à croire qu'ilz ne luy coustoyent rien. Et tousjours ilz prenoyent. A la fin, le bassecontre, voyant qu'il n'en estoit jamais meilleur, ains qu'il y perdoit son temps, son argent et sa peine, se delibera de ne s'y attendre plus ; mais il se proposa de leur montrer quelle opinion il avoit d'eux, et pour ce faire, il trouva fasson de mettre cinq ou six escuz ensemble, et tandis qu'il les amassoit (car il luy falloit du temps), il commença à tenir plus grand compte de messieurs, qu'il n'avoit de coustume, et à user de plus grande discretion. Quand il veit son jour à point, il s'en vint aux principaux d'entre eux, et les pria l'un après l'autre qu'ilz luy voulussent faire cest honneur de disner le dimanche prochain en sa maison, leur disant qu'en neuf ou dix ans qu'il y avoit qu'il estoit à leur service, il ne pouvoit faire que leur donner une fois à disner ; et qu'il les traiteroit, non pas comme il leur appartenoit, mais au moins mal qu'il luy seroit posible ; tousjours usant de telles parolles de respect. Ilz luy promirent, mais ilz ne furent pas si mal soigneux, quand ce vint le jour assigné, qu'ilz ne fissent faire leur cuisine ordinaire chascun chez soy, de peur d'estre mal disnez chez ce bassecontre, se fians plus en sa voix qu'en sa cuisine. A l'heure du disner, chascun envoye son ordinaire chez le chantre, lequel disoit aux valetz qui l'aportoyent : « Comment ? mon amy, monsieur vostre maistre me faict il ce tort ? Ha il[57] si grand peur d'estre mal traité ? Il ne devoit rien envoyer. » Et ce pendant il prenoit tout, et, à mesure qu'ilz venoyent, il mettoit tous les potages ensemble en une grande marmite qu'il avoit expressement apprestée en un coing de cuisine. Voicy messieurs venuz pour disner, qui s'assirent tous selon leurs indignitéz[58]. Le chantre leur presente, de belle entrée de table, les potages de ceste marmite. Et Dieu sçait de quelle grace ilz estoyent : car l'un avoit envoyé un chappon aux porreaux, l'aultre au safran ; l'aultre avoit la piece de beuf poudré[59] aux naveaux[60] ; l'aultre, un poullet aux herbes ; l'aultre, bouilly ; l'aultre, rosty. Quand ilz virent ce beau service, ilz n'eurent pas le courage d'en manger ; mais ilz attendoyent chascun que leur potage vinst, sans prendre garde qu'ilz les heussent devant eux. Mon chantre, qui alloit et venoit, faisant bien l'empesché à les servir, regardoit tousjours leur contenance de table. Estant le service un peu long, ilz ne se peurent tenir de luy dire : Oste nous ces potages, bassecontre, et nous apporte les nostres. Ce sont bien les vostres, dit il. Les nostres ? non sont pas. Si sont bien, dit il à l'un, voilà vos naveaux, à l'autre, voilà voz choux, à l'autre, voilà voz porreaux. Lors ilz commencerent à recongnoistre chacun leurs soupes et à s'entreregarder. « Vrayement ! dirent-ilz, nous en avons d'une ! Est-ce ainsi que tu traites tes chanoines, bassecontre ? — Le diable y ayt part ! je disois bien que ce fol nous tromperoit, disoit l’un ; j’avois le meilleur potage que je mangeay de cest an. — Et moy, disoit l’autre, j’avois tant bien faict accoustrer[62] à disner ! je me doubtois bien qu’il le valloit mieux manger chez moy. Quand le bassecontre les eut bien escoutez : « Messieurs, dit-il, si voz potages estoyent tous si bons, comment seroyent-ils empirez en si peu de temps ? Je les ay faict tenir aupres du feu, bien couvertz ; il me semble que je ne pouvois mieulx faire. — Voire mais, dirent-ilz, qui t’ha appris à les mettre ainsi tous ensemble ? Sçavois-tu pas bien qu’ilz ne vaudroyent rien en la sorte ? — Et doncq, dit-il, ce qui est bon à part n’est pas bon assemblé ? Vrayement, dit-il, je vous en croy, et ne fust-ce que vous autres, messieurs. Car, quand vous estes chascun à part soy, il n’est rien meilleur que vous estes ; vous promettez montz et vaulx, vous faictes tout le monde riche de voz belles parolles. Mais quand vous estes ensemble en vostre chapitre, vous ressemblez à potages. » Alors ilz entendirent bien ce qu’il vouloit dire. « À ha ! dirent-ilz, c’estoit doncq là que tu nous attendois ! Vrayement, tu as raison, va ! Mais ce pendant, ne disneront-nous point ? — Si ferez, si ferez, dist-il, mieulx qu’il ne vous appartient. » Et leur apporta ce qu’il leur avoit faict accoustrer, dont ilz mangerent tres bien, et s’en allerent contens. Et conclurent ensemble des l’heure qu’il seroit pourveu : ce qu’ilz firent. Ainsi son invention de soupes luy valut plus que toutes ses requestes et importunitez du temps passé.


NOUVELLE IV.

Du bassecontre de Reims, chantre, Picard, et maistre es arts.


Un chantre de Nostre-Dame de Reims en Champagne avoit singulierement bonne voix de bassecontre, mais c’estoit l’homme du monde le plus fort à tenir, car il ne passoit jour qu'il ne fist quelque follie : il frappoit l'un, il battoit l'autre, il jouoit aux cartes et aux dez, il estoit tousjours en la taverne ou après les garses ; dont les plaintes se faisoyent à toutes heures à messieurs de chapitre, lesquelz le remonstroyent souvent à ce bassecontre, le menaçans à part et en public, et luy faisoyent assez de fois promettre qu'il seroit homme de bien ; mais incontinent qu'il estoit hors de devant eux, messire Jehan ce vin[63] luy remettoit sa haute game en la teste, qui le faisoit tousjours retourner à ses bonnes coustumes. Or estoient-ilz contraints d'en endurer pour deux raisons : l'une, qu'il chantoit fort bien ; l'autre, qu'ilz l'avoyent pris de la main d'un archediacre de l'eglise, auquel ilz portoyent honneur ; et ne luy vouloyent pas reprocher les follies de l'homme, pensans qu'il les sceust aussi bien comme eux et qu'il l'en deust reprendre, comme à la vérité il faisoit quand il en estoit adverty ; mais il n'en sçavoit pas la moitié. Advint un jour que ce chantre fit une faulte si scandaleuse, que les chanoines furent contraints de le dire pour une bonne fois à monsieur l'archediacre, luy remonstrans comme, pour le respect de luy, ilz avoyent longuement supporté les insolences de cest homme ; mais, maintenant qu'ilz le voyoient incorrigible et qu'il alloit tousjours en empirant, ilz ne s'en pouvoyent plus taire. « Il ha, dirent-ilz, ceste nuict passée, batu un prestre, tant qu'il ne dira messe de plus de deux mois. Si n'eust esté pour l'amour de vous, long temps ha que nous l'eussions chassé ; mais, n'y voyans plus autre remede, nous vous prions de ne trouver point mauvais si nous vous en disons ce qui est. » L'archediacre leur fit responce qu'ilz avoyent raison, et qu'il y donneroit ordre ; et, de fait, envoye incontinent querir ce bassecontre, lequel se doubta bien que ce n'estoit pas pour luy donner un benefice. Toutesfois il y va. Il ne fut pas si tost entré que monsieur l'archediacre ne luy commençast à chanter une autre leçon de matines. « Vien ça ! dit-il ; tu sçaiz combien de temps il y ha que ceux de l'eglise de ceans endurent de toy et combien j'ay eu de reproches pour ta vie ? Sçaiz-tu qu'il y ha ? Va t'en, et ne te trouve plus devant moy. Je ne veulx plus endurer de reproches pour un homme tel que toy. Tu n'es qu'un fol. Si je faisois mon devoir, je te ferois mettre au pain et à l'eau d'icy à un an. » Il ne faut pas demander si mon chantre fut peneux[64]. Toutesfois, il ne fut pas si estonné, qu'il ne se mist en responce. « Monsieur, dit-il, vous qui vous congnoissez si bien en gens, vous esbahissez-vous si je suis fol ? Je suis chantre, je suis Picard et maistre aux arts[65]. » L'archediacre, à ceste responce, ne sçavoit que faire, de s'en fascher ou de s'en rire ; mais il se tourna du bon costé, car il appaisa un peu sa colère, et luy fut force de faire comme l'Evesque[66] du Courtisan[67], lequel pardonna au prestre qui avoit engrossé cinq nonnains, ses filles spirituelles, pour la soudaine responce qu'il luy fit : Domine, quinque talenta tradidisti mihi, ecce alia quinque superlucratus sum[68]. Un Picard ha la teste pres du bonnet, un chantre ha tousjours quelques minimes[69] en son cerveau, un maistre aux arts est si plein d'ergotz[70], qu'on ne sçauroit durer aupres de luy. Et vrayement, quand ces trois bonnes qualitez sont en un personnage, on ne se doibt pas esmerveiller s'il est un petit coquelineux[71], mais se faudroit bien plus esmerveiller s'il ne l'estoit point.


NOUVELLE V.

Des trois sœurs nouvelles espouses, qui respondirent chascune un bon mot à leur mary la premiere nuict de leurs nopces.


Au pays d’Anjou y eut jadis un gentilhomme qui estoit riche et de bonne maison, mais il estoit un peu suget à ses bons plaisirs. Il avoit trois filles belles et de bonne grace, et de tel age que la plus petite eust bien attendu le combat corps à corps. Elles estoyent demeurees sans mere, ja long temps avoit ; et parce que le pere estoit encores en bon age, il entretenoit tousjours ses bonnes coustumes, qui estoient de recevoir en sa maison toutes joieuses compagnies, là où l’ordinaire estoit de baller[72], et jouer, et de faire toutes sortes de bonnes cheres. Et, d’autant qu’il estoit de sa nature indulgent, facile et sans grand soin du fait de sa maison, ses filles avoyent assez de liberté de deviser avec les jeunes gentilz hommes, lesquelz, communement, ne parlent pas de rencherir le pain, ni encores du gouvernement de la republique[73]. Davantage, le pere faisoit l’amour de son costé comme les autres, qui donnoit une hardiesse plus grande aux jeunes damoyzelles de se laisser aimer, et, par consequent, d'aimer aussi : car elles, ayans le cueur en bon lieu et sentant leur bonne maison, estimoyent estre chose de reproche et d’ingratitude d’estre aimées et n’aimer point. Pour toutes ces raisons ensemble, estant chacune d’elles prisée, caressée et poursuivie tous les jours et à toutes heures, elles se laisserent gaigner à l’amour, eurent pitié de leur semblable et commencerent à jouer au passetemps de deux à deux[74] chascune en leur endroit ; auquel jeu elles exploicterent si bien, que les enseignes[75] en sortirent. Car la plus agée, qui estoit meure et drue, ne se print garde que le ventre luy leva, dont elle fut un peu estonnée. Car il n'y avoit moien de se tenir couverte, d'autant qu'en un lieu où il n'y ha point de meres, lesquelles se prennent garde que leurs filles ne soient trop tost abusées, ou bien elles sçavent remedier aux inconveniens quand il leur est advenu quelque surprise. Et, la fille n'ayant advis ny moien aulcun de se desrober sans le congé de son pere, ce fut force qu'il le sceust. Quand il eut entendu ceste nouvelle, il en fut fasché de prime face[76] ; mais il ne s'en desespera point aultrement, d'autant qu'il estoit de ceste bonne paste de gens qui ne prennent point trop les matieres à cueur. Et, à dire vray, dequoy sert-il de se tourmenter d'une chose, quand elle est faicte, sinon de l'empirer ? Il envoye soudain sa fille aisnée à deux ou trois lieux de là, chez une de leurs tantes, soubz couleur de maladie, et que, par l'advis des medecins, le changement d'air luy estoit necessaire ; et en attendant que les petits piedz sortissent[77]. Mais comme une fortune ne vient jamais seule, ce pendant qu'elle sortoit d'affaires, sa sœur la seconde y entroit, peut-estre par permission divine, pour s'estre en son cueur mocquée de sa sœur aisnée : dont Dieu la voulut punir. Pour faire court, elle s'apperceut qu'elle en avoit dedans le dos, dy-je dedans le ventre ; et le pere le sceut aussi. « Et bien, dit-il, Dieu soit loué ! c'est le monde qui croist : nous fusmes ainsi faitz. » Et là dessus, se doubtant de tout, il s'en vint à la plus jeune, laquelle n'estoit pas encores grosse, mais elle en faisoit son devoir tant qu'elle pouvoit. « Et toy, ma fille, comment te portes-tu ? N'as-tu pas bien suivy le train de tes sœurs aisnées ? » La fille, qui estoit jeunette, ne se peut tenir de rougir ; ce que le pere print pour une confession. « Or bien, dit-il, Dieu nous doint[78] bonne aventure, et nous garde de plus grande fortune ! » Si se pensa pourtant qu'il estoit temps de pourvoir à ses affaires, ce qu'il congnoissoit fort bien ne pouvoir mieulx faire qu'en mariant ses trois filles ; mais il le trouvoit un petit malaysé, car il sçavoit bien que de les bailler à ses voisins, il n'y avoit ordre, d'autant que le faict de sa maison estoit congneu, ou pour le moins bien suspect. D'aultre part, de les faire prendre à ceulx qui estoyent les faiseurs, ce n'estoit chose qui se peust bonnement faire, car possible qu'il y en avoit plus d'un, et que l'un avoit fait les piedz et l'aultre les oreilles[79], et quelque aultre encores le nez. Que sçait-on comme les choses de ce monde vont ? Et puis, encores qu'il n'y en eust heu qu'un à chascune, un homme ne se fie pas volontiers en une fille qui luy a presté un pain sus la fournée[80]. Et pour ce, le pere trouva le plus expedient d'aller chercher des gendres un peu à l'escart ; et comme les hommes de joyeuse nature et de bonne chere à grand peine jamais finissent-ilz mal, il ne faillit pas à rencontrer ce qui luy faisoit besoin : qui fut au pays de Bretaigne, où il estoit bien congneu, tant pour le nom de sa maison, que pour le bien qu'il avoit audit pays, non gueres loin de la ville de Nantes ; au moyen dequoy luy fut facile de causer[81] son voyage là dessus. Brief, quant il fut audit pays, tant par personnes interposées, que par luy mesmes, il mit en avant le mariage de ses filles ; à quoy les Bretons ouvrirent assez tost les oreilles, de sorte qu'il en trouva à choisir. Mais, entre tous, il trouva une riche maison de gentil homme de Bretaigne, où il y avoit trois filz de bon age et de belle taille, beaux danseurs de passe-piedz et de trihoriz[82], beaux luiteurs, et n'en eussent craint homme collet à collet : de quoy mon gentil homme fut fort ayse ; et, parce que le plustost estoit le meilleur, il conclud son affaire promptement avec le pere et les trois enfans, qu'ilz prendroyent ses trois filles en mariage, et mesmes qu'ilz feroient de trois nopces unes, sçavoir est, qu'ilz espouseroyent tous trois en un jour. Et pour ce faire, les trois freres s'appresterent en peu de temps, et partirent de leur maison pour venir en Anjou avec le pere des trois filles. Or, n'y avoit celuy des trois qui ne fust assez accort : car, combien qu'ilz fussent Bretons, toutesfois ils n'estoyent pas tonnans[83], et s'estoyent meslez de faire bons tours avec ces Bretes[84], qui sont d'assez bonne volonté, comme l'on dit, toutesfois hors de combat. Quand ilz furent en la maison du gentilhomme, ilz se prindrent à regarder la contenance chascun de sa chascune, et les trouverent toutes trois belles, dispostes[85], et esveillées ; et parmy cela, qui faisoyent bien les sages. Les mariages furent concludz, les apprestz se firent ; ilz achepterent leurs bancs[86] et leur selles de l'evesque. Quand la veille des nopces fut venue, le pere appella ses trois filles en une chambre à part, et leur va dire ainsi : « Venez ça ! Vous sçavez quelle faulte vous avez faicte toutes trois, et en quelle peine vous m'avez mis. Si j'eusse esté de la nature de ces peres rigoureux, je vous heusse desavouées pour filles, et jamais n'eussiez amendé[87] de mon bien. Mais j'ay mieulx aymé prendre peine une bonne fois pour raccoustrer les choses, que non pas vous mettre toutes trois en desespoir, et moy en perpetuel regret pour vostre follie. Je vous ay icy amené à chascune un mary : deliberez vous de leur faire bonne chere[88] ; ayez bon courage, vous n'en mourrez pas. S'ilz s'apperçoivent de quelque chose, à leur dam ! pourquoy y sont ilz venuz ? Il les falloit aller querir. Quand vous faisiez vos estatz, vous ne songiez pas en eulx, n'est il pas vray ? » Elles respondirent toutes trois, en soubzriant, que non. « Et bien doncq, dict le pere, vous ne leur avez point encores faict de faulte. Mais pour l'advenir ne me mettez plus en cest ennuy, par faulte de bien vous gouverner ; gardez vous en bien ! Et je vous asseure que je suis deliberé de mettre en oubly toutes les faultes du temps passé. Et si y ha bien plus : pour vous donner meilleur courage, je vous prometz que celle de vous qui dira le meilleur savouret[89] la premiere nuict qu'elle sera avec son mary, je luy donneray deux cens escus d'avantage qu'aux deux autres. Or, allez et pensez bien à vostre cas. » Apres ce bon admonestement, il se va coucher, et les filles aussi, lesquelles penserent bien chascune à part soy, quel bon mot elles pourroyent dire la nuict des combatz, pour avoir ces deux cens escus. Mais elles se delibererent, à la fin, d'attendre l'assault, esperant que le bon Dieu leur donneroit sus l'heure ce qu'elles auroyent à dire. Le jour des nopces fut l'endemain[90] : ilz espousent, ilz font grand chere, ilz ballent ; que voulez-vous plus ? Les litz se font, les trois pucelles[91] se couchent, et les maris apres. Celuy de la plus grande, en la mignardant, luy met la main sus le ventre et par tout : qui trouva incontinent qu'il estoit un petit ridé par le bas ; qui luy fit souvenir qu'on la luy avoit belle baillée. « O ho ! dit-il, les oyseaux s'en sont allez ! » La damoiselle luy respond tout contant : « Tenez-vous au nid. » Et une ! Le mary de la seconde, en la maniant, trouva que le ventre estoit un peu rond. « Comment ! dit-il, la grange est pleine ! — Battez à la porte, » luy respondit-elle. Et deux ! Le mary de la tierce, en jouant les jeux, congneut incontinent qu'il n'estoit pas le fol[92]. « Le chemin est batu ! » dit-il. Le jeune fille luy dit : « Vous ne vous en esgarerez pas si tost. » Et trois ! Le nuit se passe ; le l'endemain elles se trouverent devant leur pere, et chascune luy rapporta ce qui luy estoit advenu et ce qu'elle avoit respondu. Quæritur[93] à laquelle des trois le pere devoit donner les deux cens escus. Vous y songerez, et ne sçay si vous serez point des miens, qui suis d'advis qu'elles devoyent toutes trois departir[94] les deux cens escus, ou bien en avoir chascune deux cens, propter mille rationes, quarum ego dicam tantum unam brevitatis causa : c'estoit que toutes trois estoyent de bonne volonté ; toute bonne volonté est reputée pour le faict : ergo in tantum[95] consequentia est in Barbara[96], ou ailleurs. Mais ce pendant, s'il ne vous desplaist, je vous feray une question à propos de ceste cy : « Lequel vous aymeriez mieulx estre, cocu en herbe, ou en gerbe ? » Et ne respondez pas trop tost, qu'il vault mieulx l'avoir esté en herbe, et ne l'estre point en gerbe : car vous sçavez combien c'est chose rare et de grand contentement que d'espouser une pucelle. Et bien, s'elle vous fait cocu apres, le plaisir vous demeure tousjours, je ne dis pas d'estre cocu, je dy de l'avoir despucelee. Et puis vous avez mille faveurs, mille avantages, à cause d'elle. Pantagruel[97] le dit bien ; mais je ne veulx pas en debatre les raisons d'une part et d'aultre, je vous en laisse le pensement à vostre loisir ; puis, vous m'en sçaurez à dire.


NOUVELLE VI.

Du mary de Picardie qui retira sa femme de l’amour, par une remonstrance qui luy fit en la presence des parens d’elle[98].


Il y eut jadis un Roy de France[99], duquel le nom ne se sçait point au vray, quant à cest affaire dont nous voulons parler ; tant y ha qu’il estoit bon roy et digne de sa coronne. Il se rendoit fort communicatif à toutes personnes, et s’en trouvoit bien, car il apprenoit les nouvelles auprès de la verité, ce qu’on ne fait pas quand on n’escoute. Pour venir à nostre compte, ce bon Roy se pourmenoit par les contrées de son royaume, et mesmes quelquesfois alloit par ville en habit dissimulé pour mieux entendre la verité de toutes sortes d’affaires. Un jour, il voulut visiter son pays de Picardie en personne royalle, portant toutesfois sa privauté accoustumée. Estant à Soissons, il fit venir les plus apparens de la ville, et les fit seoir à sa table par signe de grande familiarité, les invitant et enhardissant à luy compter toutes nouvelles, les unes joyeuses, les autres serieuses, ainsi qu’il vint à propos[100]. Entre autres, il y en eut un qui se mit compter devant le Roy la nouvelle qui s’ensuit : « Sire, il est advenu, dit-il, depuis n’ha gueres, en une de voz villes de Picardie, qu’un personnage de robbe longue et de justice, lequel vit encores, ayant perdu sa femme après avoir esté assez longuement avec elle, et s'estant assez bien trouvé d'elle, print envie de se marier en secondes nopces à une fille qui estoit belle et jeune, et de bon lieu ; non toutesfois qu'elle fust sa pareille en biens, et moins encores en autres choses, car il estoit desja plus de demy passé, et elle en la fleur de ses ans et gaillarde à l'advenant, tellement qu'il n'avoit pas le fouet pour mener ceste trompe[101]. Quand elle eut commencé à gouster un petit que c'estoit des joyes de ce monde, elle sentit que son mary ne la faisoit que mettre en appetit ; et, combien qu'il la traitast bien d'habillemens, de la bouche, de bonne chere, de visage et de parolles, toutesfois cela n'estoit que mettre le feu aupres des estoupes : si bien qu'il luy print fantasie d'emprunter d'ailleurs ce qu'elle n'avoit pas à son gré à la maison. Elle fait un amy auquel elle se tint pour quelque temps ; puis, ne se contentant de luy seul, en fit un autre, et puis un autre, de maniere qu'en peu de temps ilz se trouverent si bon nombre, qu'ilz nuisoyent les uns aux autres, entrans à heures deues et indues en la maison pour l'amour de la jeune femme, qui avoit desja mis à part la souvenance de son honneur pour entendre du tout[102] à ses plaisirs. Ce pendant que son mary ne s'en advisoit pas, ou paraventure si bien, mais il s'armoit de patience, songeant en luymesme qu'il falloit porter la penitence de la follie qu'il avoit faite d'avoir, sus le haut de son age, pris une fille si jeune d'ans. Ce train dura et continua tant, que ceux de la ville en tenoyent leurs comptes : dont les parens de luy se fascherent fort ; l'un desquelz ne se peut plus tenir, qu'il ne le luy vinst dire, luy remontrant la rumeur qui en estoit, et que, s'il n'y obvioyt, il donneroit à penser qu'il seroit de vil courage, et en fin qu'il seroit laissé de tous ses parens et des gens de sorte[103]. Quand il eut entendu ce propos, il fit semblant, devant celuy qui le luy tenoit, tel le cas le requeroit, c'est-à-dire d'un grand desplaisir et fascherie, et luy promit que il y mettroit ordre par tous les moyens à luy possibles. Mais quand il fut à part soy, il songea bien à ce qui en estoit : qu'il estoit hors de sa puissance de nettoyer si bien un tel affaire, que les taches n'en demeurassent tousjours ou long temps. Il pensoit que la femme se deust garder par un respect de la vertu et par crainte de son deshonneur ; autrement toutes les murailles de ce monde ne la sçauroyent tenir, qu'elle ne fist une fois des siennes. D'avantage, luy qui estoit homme de bon discours, raisonnoit en soymesmes, que l'honneur d'un homme tiendroit à bien peu de choses s'il despendoit du fait d'une femme[104]. Ce qui le gardoit d'apprehender[105] les matieres trop avant. Toutesfois, pour ne sembler estre nonchalant de son inconvenient domestique, lequel est estimé si deshonneste du commun des hommes, il s'avisa d'un moyen, lequel seul il pensoit estre expedient en tel cas. Ce fut, qu'il achepta une maison qui estoit joignante au derriere de la sienne, et des deux en fit une, disant qu'il vouloit s'accommoder d'une entrée et d'une issue par deux costez. Ce qui fut executé diligemment, et fut posé un huis de derriere le plus proprement qu'il se peut aviser. Duquel il fit faire demie douzaine de clefz, et n'oublia pas à faire faire une gallerie bien propice pour les allans et venans. Cela ainsi appresté, il choisit un jour de commodité pour inviter à disner les principaux parens de sa femme, sans toutesfois appeller ceux du costé de luy pour celle fois. Il les traita bien et à bonne chere. Quand ilz eurent disné, avant que personne se levast de table, il se print à leur dire ainsi en la presence de sa femme : « Messieurs et mes Dames, vous sçavez combien de temps il y ha que j'ay espousé vostre parente que voicy ; j'ay eu le loisir de congnoistre que ce n'estoit pas à moy à qui elle se devoit marier, d'autant que nous estions pas pareilz elle et moy. Toutesfois, quand ce qui est fait ne se peult deffaire, il fault aller jusques au bout. » Puis, en se tournant vers sa femme, luy dit : « Mamie, j'ay eu depuis peu de temps en çà des reproches de vostre gouvernement, lesquelles m'ont grandement despleu. Il m'ha esté dict que vous avez de jeunes gens qui viennent ceans à toutes heures du jour pour vous entretenir, chose qui est à vostre grand deshonneur et au mien. Si je m'en fusse apperceu d'heure[106], j'y eusse pourveu plustost et mieux. Si est ce qui vault mieux tard que jamais. Vous direz à ceux qui vous hantent, que d'icy en avant ilz entrent plus discrettement pour vous venir voir : ce qu'ilz pourront faire par le moyen d'une porte de derriere que je leur ay fait faire, de laquelle voicy demie douzaine de clefz que je vous baille, pour leur en donner à chascun la sienne ; et s'il n'y en ha assez, nous en ferons faire d'autres : le serrurier est à nostre commandement. Et leur dictes qu'ilz trouvent maniere de departir leur temps le plus commodement pour vous et pour eux qu'il sera possible. Car si vous ne vous voulez garder de mal faire, au moins ne pouvez vous que le faire secrettement, pour garder le monde de parler contre vous et contre moy. » Quand la jeune femme eut ouy ces propos, venans de son mary, et en la presence de ses parens, elle commença à prendre vergoigne de son faict, et luy vint au devant le tort et deshonneur qu'elle faisoit à son mary, à ses parens et à soymesmes : dont elle eut tel remors, que deslors en là[107], elle ferma la porte à tous ses amoureux et à ses plaisirs desordonnez, et depuis vesquit avec son mary en femme de bien et d'honneur. » Le Roy ayant ouy ce compte, voulut sçavoir qui estoit le personnage : « Foy de gentilhomme ! dit il, voilà l'un des plus froidz et plus patiens hommes de mon Royaume. Il feroit bien quelque chose de bon, puis qu'il sçait si bien faire la patience ! » Et des l'heure luy donna l'estat de procureur general au pais de Picardie. Quant est de moy, si je sçavois le nom de cest homme de bien, je le voudroye honorer d'une immortalité. Mais le temps luy ha faict le tort de supprimer son nom, qui meritoit bien d'estre mis es chroniques, voire d'estre canonizé. Car il ha esté vray martir en ce monde, et croy qu'il est maintenant bien heureux en l'autre. Qu'ainsi vous prenne ! Amen, car un prestre ne vault rien sans clerc[108].


NOUVELLE VII.

Du Normand allant à Romme qui fit provision de latin pour porter au Sainct Pere, et comme il s’en ayda.


Un Normand, voyant que les prestres avoyent le meilleur temps du monde, apres que sa femme fut morte, eut envie de se faire d’eglise. Mais il ne sçavoit lire ny escrire que bien peu. Toutesfois, ayant ouy dire que pour argent on fait tout, et s’estimant aussi habile homme que beaucoup de prestres de sa paroisse, s’adressa à l’un de ses familliers, auquel il se descouvrit, et luy demanda conseil comment[109] il se devoit gouverner en cest affaire. Lequel, apres plusieurs propos debatuz d’une part et d’autre, l’en reconforta, et luy dit que, s’il vouloit bien faire son cas, il falloit qu’il allast à Romme, et que à grand peine en auroit il la raison[110] de son evesque, qui estoit difficile en cas de faire prestres et de bailler les A quocunque[111]. Mais que le pape, qui estoit empesché à tant d’autres choses, ne prendroit garde à luy de si pres et le depescheroit[112] incontinent. Davantage, qu’en ce faisant il verroit le pais, et que quand il seroit retourné, ayant esté creé prestre de la main du pape, il n’y auroit celuy qui ne luy fist honneur, et qu’en moins de rien il seroit beneficié[113] et deviendroit un grand monsieur. Mon homme trouve ces propos fort à son gré ; mais il avoit tousjours ce scrupule sur sa conscience touchant le fait du latin, lequel il declara à son conseiller, luy disant : « Voire, mais quand je seray devant le pape, quel langage parleray je ? Il n’entend pas le normand, ny moy, le latin. Que feray je ? — Pour cela, dit l’autre, ne te fault pas demeurer : car, pour estre prestre, il suffit de sçavoir bien sa messe de Requiem[114], de Beata[115], et du S. Esprit, lesquelles tu auras assez tost aprises, quand tu seras de retour. Mais, pour parler au pape, je t'aprendray trois motz de latin si bien assiz, que, quand tu les auras dicts devant luy, il croira que tu sois le plus grand clerc du monde. » Mon homme fut tresaise et voulut sçavoir tout à l'heure ces trois motz. « Mon amy, ce luy dit l'autre, incontinent que tu seras devant le pape, tu te jetteras à genoulx, en lui disant : Salve, Sancte Pater. Puis il te demandera en latin : Unde es, tu ? c'est à dire : D'où estes vous ? Tu respondras : De Normania. Puis il te demandera : Ubi sunt litteræ tuæ ? Tu luy diras : In manica mea. Et incontinent, sans autre delay, il commandera que tu sois expedié[116]. Puis tu t'en reviendras. » Mon Normand ne fut oncq si joyeulx, et demeura quinze ou vingt jours avec son homme, pour luy mettre ces trois mots de latin en la teste. Quand il pensa les bien sçavoir, il s'appresta pour prendre le chemin de Romme ; et, en allant, ne disoit aultre chose que son latin : Salve, Sancte Pater. De Normania. In manica mea. Mais je croy bien qu'il les dit et redit si souvent et de si grande affection, qu'il oublia le beau premier mot, Salve, Sancte Pater, et de malheur il estoit desja bien avant de son chemin. Si mon Normand fut fasché, il ne fault pas demander, car il ne sçavoit à quel sainct se vouer pour retrouver son mot, et pensoit bien que de se presenter au pape sans cela, c'estoit aller aux meures sans crochet[117], et si ne cuidoit point qu'il fust possible de trouver homme si fidelle enseigneur et qui luy sceust si bien montrer, comme celuy de sa paroisse, qui le luy avoit appris. Jamais homme ne fut si marry, jusques à tant qu'un samedy matin il entra en une eglise de la ville où il estoit, attendant la grace de Dieu : là où il entendit que l'on commençoit la messe de Nostre-Dame en notte : Salve, sancta parens. Et mon Normand d'ouvrir l'oreille : « Eh Dieu soit loué et Nostre-Dame ! » dit il. Il fut si resjouy, qu'il luy sembloit estre revenu de mort à vie. Et incontinent s’estant fait redire ces motz par un clerc qui estoit là, jamais depuis n’oublia Salve, sancta parens, et poursuivit son voyage avec son latin. Croyez qu’il estoit bien aise d’estre né. Et fit tant par ses journees, qu’il arriva à Romme. Et fault noter que de ce temps là il n’estoit pas si malaysé de parler aux papes, comme il est de present. On le fit entrer devers le pape, auquel il ne faillit à faire la reverence, en luy disant bien devotement : Salve, sancta parens. Le pape luy va dire : Ego non sum mater Christi. Le Normand luy respond : De Normania. Le pape le regarde et luy dit : Demonium habes ? — In manica mea, respondit le Normand. Et, en disant cela, il mit la main en sa manche pour tirer ses lettres. Le pape fut un petit surpris, pensant qu’il allast tirer le gobelin[118] de sa manche. Mais quand il veid que c’estoyent lettres, il s’asseura, et luy demanda encores en latin : Quid petis ? Mais mon Normand estoit au bout de sa leçon, qui ne respondit meshuy rien à chose qu’on luy demandast. A la fin, quand quelques uns de sa nation l’eurent ouy parler son cauchois[119], ilz se prindrent à l’arraisonner[120], ausquelz il donna bien tost à congnoistre qu’il avoit apris du latin en son village pour sa provision, et qu’il sçavoit beaucoup de bien, mais qu’il n’entendoit pas la maniere d’en user[121].


NOUVELLE VIII.

Du procureur qui fit venir une jeune garse du village pour s’en servir, et de son clerc qui la luy essaya.


Un procureur en parlement estoit demeuré veuf, n’ayant pas encores passé quarante ans, et avoit tousjours esté assez bon compagnon : dont il luy tenoit tousjours, tellement qu'il ne se pouvoit passer de feminin genre, et luy faschoit d'avoir perdu sa femme si tost, laquelle estoit encores de bonne emploitte[122]. Toutesfoys il prenoit patience, et trouvoit façon de se pourvoir le mieulx qu'il pouvoit, faisant œuvre de charité ; c'est à sçavoir : aymant la femme de son voisin comme la sienne propre. Tantost revisitant les proces de quelques femmes veufves, et aultres qui venoyent chez luy pour le solliciter. Brief, il en prenoit là où il en trouvoit et frappoit soubz luy comme un casseur d'acier[123]. Mais quand il eut faict ce train par une espace de temps, il le trouva un petit fascheux : car il ne pouvoit bonnement prendre la peine d'agueter[124] ses commoditez, comme font les jeunes gens : il ne pouvoit pas entrer chez ses voisins sans suspicion, veu qu'il ne l'avoit pas accoustumé. D'avantage, il luy coustoit à fournir à l'appointement. Parquoy il se delibera d'en trouver une pour son ordinaire. Et luy souvint qu'à Arqueil, où il avoit quelques vignes, il avoit veu une jeune garse de l'age de seze à dixsept ans, nommée Gillette, qui estoit fille d'une povre femme gaignant sa vie à filler de la laine. Mais ceste garse estoit encores toute simple et niaise, combien qu'elle fust assez belle de visage. Si se pensa le procureur, que ce seroit bien son cas, ayant ouy aultrefoys un proverbe qui dit : Sage amy et sotte amie. Car, d'une amie trop fine, vous n'en avez jamais bon compte ; elle vous joue tousjours quelque tour de son mestier ; elle vous tire à tous les coups quelque argent de soubz l'aisle[125] ; ou elle veut estre trop brave, ou elle vous faict porter les cornes, ou tout ensemble. Pour faire court, mon procureur, un beau temps de vendanges, alla luy mesmes à Arqueil[126][127], et demanda ceste jeune garse à sa mere pour chambriere, luy disant qu'il n'en avoit point et qu'il ne s'en sçauroit passer ; qu'il la traicteroit bien, qu'il la marieroit quand il viendroit à temps. La vieille, qui entendit bien que vouloyent dire ces parolles, n'en fit pas pourtant grand semblant, et luy accorda aysément de luy bailler sa fille, contraincte par povreté, luy promettant de la luy envoyer le dimanche prochain : ce qu'elle fit. Quand la jeune garse fut à la ville, elle fut toute esbahye de voir tant de gens, parce qu'elle n'avoit encores veu que des vaches. Et, pource, le procureur ne luy parloit encores de rien, mais alloit tousjours chercher ses aventures en la laissant un peu asseurer. Et puis il luy vouloit faire faire des accoustremens, à fin qu'elle eust meilleur courage de bien faire[128]. Or il avoit un clerc en sa maison, qui n'avoit point toutes ces considerations là, car au bout de deux ou de troys jours, estant le procureur allé disner en ville, quand il eut avisé ceste garse ainsi neufve, il commence à se faire avec elle, luy demandant dont elle estoit et lequel il faisoit meilleur aux champs ou à la ville. « Mamie, dit-il, ne vous souciez de rien ; vous ne pouviez pas mieulx arriver que ceans. Car vous n'aurez pas grand peine ; le maistre est bon homme : il fait bon avec luy. Or ça, m'amie, disoit-il, ne vous ha il point encores dit pouquoy il vous ha prise ? — Nenny, dit elle ; mais ma mere m'ha bien dit que je le servisse bien et que je retinse bien ce qu'on me diroit, et que je n'y perdrois rien. — Mamie, dit le clerc, vostre mere vous ha bien dit vray. Et, pource qu'elle sçavoit bien que le clerc vous diroit tout ce que vous auriez affaire, ne vous en ha point parlé plus avant. Mamie, quand une jeune fille vient à la ville chez un procureur, elle se doit laisser faire au clerc tout ce qu'il voudra : mais aussi le clerc est tenu de luy enseigner les coustumes de la ville et les complexions de son maistre, à fin qu'elle sache la maniere de le servir ; autrement, les povres filles n'apprendroyent jamais rien, ny leur maistre ne leur feroit jamais bonne chere et les renvoyeroit au village. » Et le clerc le disoit de tel escient, que la povre garse n'eust osé faillir à le croire, quand elle oyoit parler d'apprendre à bien servir son maistre. Et respondit au clerc d'une parolle demy rompue et d'une contenance toute niaise : « J'en serois bien tenue à vous[129] ! » disoit-elle. Le clerc, voyant la mine de ceste garse que son cas ne se portoit pas mal, vous commence à jouer avec elle ; il la manie, il la baise. Elle disoit bien : « Oh ! ma mere ne me l'ha pas dit. » Mais ce pendant mon clerc la vous embrasse, et elle se laissoit faire, tant elle estoit folle, pensant que ce fust la coustume et usance de la ville. Il vous la renverse toute vive sus un bahu. Le diable y ait part, qu'il estoit aise ! Et depuis continuerent leurs affaires ensemble à toutes les heures que le clerc trouvoit sa commodité. Et ce pendant que le procureur attendoit que sa garse fust desniaisée, son clerc prenoit ceste charge sans procuration. Au bout de quelques jours, le procureur ayant faict accoustrer la jeune fille, laquelle se faisoit tous les jours en meilleur point[130], tant à cause du bon traictement que par ce que les belles plumes font les beaux oyseaux, qu'aussi à raison qu'elle faisoit fourbir son bas, eut envie d'essayer s'elle se voudroit renger au montoir[131], et envoya, par un matin, son clerc en ville porter quelque sac, lequel d'aventure venoit d'avec Gillette de desrober un coup en passant. Quand le clerc fut dehors, le procureur se met à follatrer avec elle, luy mettre la main au tetin, puis soubz la cotte. Elle luy rioit bien, car elle avoit desja apris qu'il n'y avoit pas dequoy pleurer ; mais pourtant elle craignoit tousjours avec une honte villageoise[132] qui luy tenoit encores, principalement devant son maistre. Le procureur la serre contre le lict, et parce qu'il s'apprestoit de faire en la propre sorte que le clerc quand il l'embrassoit, la pressant de fort pres, la garse (eh ! qu'elle estoit sotte !) luy va dire : «Oh ! Monsieur, je vous remercie ; nous en venons tout maintenant, le clerc et moy. » Le procureur, qui avoit la brayette bendee, ne laissa pas à donner dedans le noir[133] ; mais il fut bien peneux, sachant que son clerc avoit commencé de si bonne heure à la luy desniaiser. Pensez que le clerc eut son congé pour le moins.


NOUVELLE IX.

De celuy qui acheva l’oreille de l’enfant à la femme de son voisin[134].


Il ne se fault pas esbahir, si celles des champs ne sont gueres fines, veu que celles de la ville se laissent quelques foys abuser bien simplement. Vray est qu’il ne leur advient pas souvent. Car c’est es villes que les femmes font les bons tours, de par Dieu, c’est là. Car je veulx dire qu’il y avoit en la ville de Lyon une jeune femme honnestement belle, laquelle fut mariée à un marchand d’assez bonne traficque[135]. Mais il n’eut pas esté avec elle trois ou quattre moys, qu’il ne luy fallust aller dehors pour ses affaires, la laissant pourtant enceincte seullement de trois sepmaines. Ce qu’elle congnoissoit à ce qu’il luy prenoit quelques foys defaillement de cueur, avec telz autres accidens qui prennent aulx femmes enceinctes. Si tost qu’il fut party, un sien voisin nommé le sire André[136], s’en vint voir la jeune femme, comme il avoit de coustume de hanter privément en la maison par droit de voisiné[137], qui se print à railler avec elle, luy demandant comme elle se portoit en mesnage. Elle luy respond qu’assez bien, mais qu’elle se sentoit estre grosse. « Est il possible ? dit il ; vostre mary n’auroit pas eu le loisir de faire un enfant depuis le temps que vous estes ensemble ? — Si est ce que je le suis, dit elle, car la dena[138] Thoiny m’a dit qu’elle se trouva ainsi, comme je me trouve, de son premier enfant. — Or, ce luy dit le sire André, sans toutesfois penser grandement en mal, ny qu’il luy en deust advenir ce qu’il en advint, croyez-moy que je me congnois bien en cela, et, à vous voir, je me doubte que vostre mary n’ha pas faict l’enfant tout entier, et qu’il y ha encores quelques oreilles à faire. Sus mon honneur, prenez-y bien garde ! J’ay veu beaucoup de femmes qui s’en sont mal trouvees, et d’autres, qui ont esté plus sages, qui se sont faict achever leur enfant en l’absence de leur mary, de peur des inconvéniens. Mais incontinent que mon compere sera venu, faites le luy achever. — Comment ? dit la jeune femme, il est allé en Bourgoigne ; il ne sçauroit pas estre icy d’un moys pour le plustost. — Mamie, dit il, vous n’estes donc pas bien ; vostre enfant n’aura qu’une oreille[139], et si estes en danger que les autres d’apres n’en auront qu’une non plus, car volontiers, quand il en vient quelque faulte aux femmes grosses de leur premier enfant, les derniers en ont autant. » La jeune femme, à ces nouvelles, fut la plus faschée du monde. « Eh ! mon Dieu, dit-elle, je suis bien povre femme. Je m’esbahy qu’il ne s’est advisé de le faire tout, devant que despartir. — Je vous diray, dit le sire André, il y ha remede par tout, fors qu’à la mort. Pour l’amour de vous, vrayement, je suis content de le vous achever, chose que je ne ferois pas si c’estoit un aultre, car j’ay assez d’affaires environ les miens ; mais je ne voudrois pas que par faulte de secours il vous fust advenu un tel inconvenient que cestuy la. » Elle, qui estoit à la bonne foy, pensa que ce qu’il luy disoit estoit vray, car il parloit brusquement et comme s'il luy eust voulu faire entendre qu'il faisoit beaucoup pour elle, et que ce ne fust qu'une corvée pour luy. Conclusion, elle se fist achever cest enfant : dont le sire André s'acquitta gentiment, non pas seullement pour ceste foys là, mais y retourna assez souvent depuis. Et, à l'une des fois, la jeune femme luy disoit : « Voire mais, si vous luy faictes quattre ou cinq oreilles, arriere[140] ce sera une mauvaise besoigne. — Non, non, ce dit le sire André, je n'en feray qu'une ; mais pensez vous qu'elle soit si tost faicte ? Vostre mary ha demeuré si long temps à faire ce qu'il y ha de faict ! Et puis on peult bien faire moins, mais on ne sçauroit en faire plus. Car quand une chose est achevée, il n'y fault plus rien. » En cest estat fut achevée ceste oreille. Quant le mary fut venu de dehors, sa femme luy dit la nuict en folatrant : « Ma figue[141] ! Vous estes un beau faiseur d'enfant ! Vous m'en aviez fait un qui n'eust eu qu'une oreille, et vous en estiez allé sans l'achever. — Allez, allez, dit il, que vous estes folle ! Les enfans se font ilz sans oreilles ? — Ouy dea, ilz s'y font, dit elle ; demandez le au sire André, qui m'ha dit qu'il en a veu plus de vingt qui n'en avoyent qu'une, par faulte de les avoir achevez, et que c'est la chose la plus malaisée à faire que l'oreille d'un enfant. Et s'il ne la m'eust achevée, pensez que j'eusse fait un bel enfant ! » Le mary ne fut pas trop content de ces nouvelles. « Quel achevement est cecy ? dit il. Qu'est ce qu'il vous ha fait pour l'achever ? — Le demandez vous ? dit elle. Il m'ha fait comme vous me faictes. — A ha ! dit le mary, est il vray ? M'en avez vous fait d'une telle ? » Et Dieu sçait de quel sommeil il dormit là dessus ! Et luy, qui estoit homme colere, en pensant à l'achevement de ceste oreille, donna par fantasie[142] plus de cent coups de dague à l'acheveur. Et luy dura la nuict plus de mil ans, qu'il n'estoit desja apres ses vengeances. Et, de faict la premiere chose qu'il fit, quand il fut levé, ce fut d'aller à ce sire André, auquel il dit mille outraiges, le menassant qu’il le feroit repentir du meschant tour qu’il luy avoit fait. Toutesfois, de grand menasseur, peu de fait. Car, quand il eut bien fait du mauvais, il fut contraint de s’appaiser pour une couverte de Cataloigne[143] que luy donna le sire André, à la charge, toutesfois, qu’il ne se mesleroit plus de faire les oreilles de ses enfans, et qu’il les feroit bien sans luy.


NOUVELLE X.

De Fouquet, qui fit accroire au procureur Chastellet, son maistre, que le bon homme estoit sourd, et au bon homme que le procureur l’estoit ; et comment le procureur se vengea de Fouquet.


Un procureur en Chastellet tenoit deux ou trois clercs soubz luy, entre lesquelz y avoit un apprentis filz d’un homme assez riche de la ville mesme de Paris, lequel l’avoit baillé à ce procureur pour apprendre le stille[144]. Le jeune filz s’appelloit Fouquet, de l’age de seize à dixsept ans, qui estoit bien affaicté[145] et faisoit tousjours quelque chatonnie[146]. Or selon la coustume des maisons des procureurs, Fouquet faisoit toutes les corvées. Entre lesquelles l’une estoit qu’il ouvroit quasi tousjours la porte quand on tabutoit[147], pour congnoistre les parties que servoit son maistre, et pour sçavoir ce qu’elles demandoyent, pour le luy rapporter. Il y avoit un homme de Bagneux qui plaidoit en Chastellet, et avoit pris le maistre de Fouquet pour son procureur, lequel il venoit souvent voir, et pour mieulx estre servy, luy apportant par les foys chappons, beccasses, levrauts, et venoit volontiers un peu après midy, sus l’heure que les clercs disnoyent ou achevoyent de disner : auquel Fouquet alloit ouvrir ; mais il n’y prenoit point de plaisir à une telle heure. Car il y alloit du temps pour luy, parce que le bon homme se mettoit en raison avecques luy, tellement qu’il falloit bien souvent que Fouquet allast parler à son maistre et puis en rendre responce : qui faisoit qu’il disnoit quelques foys bien legerement. Et son maistre, d’une aultre part, n’avoit pas grand respect à luy. Car il l’envoyoit à la ville à toutes heures du jour, vingt fois, cent fois, ne sçay combien[148], dont il estoit fort fasché. A l’une des fois, voicy ce bon homme de Bagneux qui frappe à la porte et à l’heure acoustumée, lequel Fouquet entendoit assez au frapper. Quand il eut tabuté deux ou trois coups, Fouquet luy va ouvrir, et en allant s’advisa de jouer un tour de chatterie à son homme, qui vient, disoit il, tousjours quand on disne. Et se pensa comment son maistre en auroit part. Ayant ouvert l’huis : « Et puis[149], bon homme, que dites vous ? — Je vouloys parler à Monsieur, dit il, pour mon proces. — Et bien, dit Fouquet, dites moy que c’est, je le luy iray dire. — Oh ! dict le bon homme, il fault que je parle à luy, vous n’y feriez rien sans moy. — Bien donq, dit Fouquet, je m’en vois luy dire que vous estes icy. » Fouquet s’en va à son maistre et luy dit : « C’est cest homme de Bagneux qui veult parler à vous. — Fay le venir, dit le procureur. — Monsieur, dit Fouquet, il est devenu tout sourd ; au moins il oit bien dur. Il faudroit parler bien hault, si vous vouliez qu’il vous entendist. — Et bien, dit le procureur, je parleray prou hault. » Fouquet retourne au bon homme et luy dit : « Mon amy, allez parler à Monsieur ; mais sçavez vous que c’est ? Il y ha eu un catherre qui luy est tombé sus l’oreille, et est quasi devenu sourd. Quand vous parlerez à luy, criez bien hault ; autrement il ne vous entendroit pas. » Cela faict, Fouquet s’en va veoir s’il acheveroit de disner, et, en allant, il dit en soy-mesme : « Noz gens ne parleront pas tantost en conseil. » Ce bon homme entre en la chambre où estoit le procureur, le salue en luy disant : « Bon jour, Monsieur ! » si hault, qu'on l'oyoit de toute la maison. Le procureur luy dit encores plus hault : « Dieu vous gard, mon amy ! Que dites-vous ? » Lors ilz entrerent en propos de procès, et se mirent à crier tous deux comme s'ilz eussent esté en un bois. Quand ilz eurent bien crié, le bon homme prend congé de son procureur et s'en va. De là à quelques jours, voicy retourner ce bon homme, mais ce fut à une heure que par fortune Fouquet estoit allé par ville là où son maistre l'avoit envoyé. Ce bon homme entre, et après avoir salué son procureur, luy demande comment il se portoit ? Il respond qu'il se portoit bien. « Eh ! Monsieur, dit le bon homme, Dieu soit loué ! vous n'estes plus sourd, au moins. Dernierement que je vins icy, il falloit parler bien hault; mais maintenant vous entendez bien, Dieu mercy. » Le procureur fut tout esbahy. « Mais vous, dit il, mon amy, estes vous bien guery de voz oreilles ? C'estoit vous qui estiez sourd. » Le bon homme luy respond qu'il n'en avoit point esté malade et qu'il avoit tousjours bien ouy, la grace à Dieu. Le procureur se souvint bien incontinent que c'estoit des fredaines de Fouquet ; mais il trouva bien dequoy le luy rendre. Car un jour qu'il l'avoit envoyé à la ville, Fouquet ne faillit point à se jetter dedans un jeu de paulme qui n'estoit pas gueres loing de la maison, ainsi qu'il faisoit le plus des fois quand on l'envoyoit quelque part. Dequoy son maistre estoit assez bien adverty. Et mesmes l'y avoit trouvé quelques fois en passant. Sachant bien qu'il y estoit, il envoya dire à un barbier, son compere, qui demeuroit là aupres, qu'il luy fist tenir un beau balay neuf tout prest, et luy fit dire à quoy il en avoit affaire. Quand il sceut que Fouquet pouvoit estre bien eschauffé à testonner la bourre[150], il vint entrer au jeu de paulme, et appelle Fouquet, qui avoit desjà bandé sa part de deux douzaines d'esteufz et jouoit à l'acquit. Quand il le vit ainsi rouge : « Eh mon amy, vous vous gastez, dict il vous en serez malade. Et puis vostre pere s'en prendra à moy. » Et là-dessus, au sortir du jeu de paulme, le fait entrer chez le barbier, auquel il dit : « Mon compere, je vous prie, prestez moy quelque chemise pour ce jeune filz qui est tout en eau, et le faictes un petit frotter. — Dieu ! dit le barbier, il en ha bon mestier ; aultrement, il seroit en danger d’une pleuresie. » Ilz font entrer Fouquet en une arriere boutique et le font despouiller au long du feu qu’ilz firent allumer pour faire bonne mine. Et ce pendant les verges s’apprestoyent pour le povre Fouquet, qui se fust bien volontiers passé de chemise blanche. Quand il se fut despouillé, on apporte ces maudites verges, dont il fut estrillé soubz le ventre et par tout ; et, en le fouettant, son maistre luy disoit : « Dea, Fouquet, j’estois l’aultre jour sourd : et vous, estes vous point punais à ceste heure ? Sentez vous bien le balay[151] ? » Et Dieu sçait comment il pleut sus sa mercerie[152] ! Ainsi le gentil Fouquet eut loisir de retenir qu’il ne fait pas bon se jouer à son maistre.


NOUVELLE XI.

D’un docteur en decret, qu’un beuf blessa si fort, qu’il ne sçavoit en quelle jambe c’estoit[153].


Un docteur en la faculté de decret[154], passant pour aller lire aulx escolles[155], rencontra une trouppe de beufz (ou la trouppe de beufz le rencontra) qu'un valet de boucher menoit devant soy ; l'un desquelz quidem beufz, comme monsieur le docteur passoit sus sa mule, vint frayer un petit contre sa robe, dont il se print incontinent à crier : « A l'ayde ! ô le meschant beuf ! il m'ha tué ! je suis mort ! » A ce cry s'amasserent force gens, car il estoit bien congneu, parce qu'il y avoit trente ou quarante ans qu'il ne bougeoit de Paris, lesquelz, à l'ouir crier, pensoyent qu'il fust enormement blessé. L'un le soustenoit d'un costé, l'autre d'un aultre, de peur qu'il ne tombast de dessus sa mule. Et entre ses hauts criz, il dit à son famulus[156], qui avoit nom Corneille : « Vien ça ! Eh ! mon Dieu ! va t'en aulx escolles, et leur dy que je suis mort, et qu'un beuf m'ha tué, et que je ne sçaurois aller faire ma lecture, et que de sera pour une aultre foys. » Les escolles furent toutes troublees de ces nouvelles, et aussi messieurs de la faculté. Et incontinent l'allerent veoir quelques uns d'entre eulx qui furent deputez, qui le trouverent estendu sus un lit, et le barbier[157] environ, qui avoit des bandeaux d'huiles, d'onguens, d'aubins d'eufs[158] et tous les ferrementz en tel cas requis. Monsieur le docteur plaignoit la jambe droite si fort, qu'il ne pouvoit endurer qu'on le dechaussast, mais fallut incontinent descoudre la chausse. Quand le barbier eut veu la jambe à nud, il ne trouva point de lieu entamé ny meurdry[159], ni aulcune apparence de blessure, combien que tousjours monsieur le docteur criast : « Je suis mort, mon amy ! je suis mort ! » Et quand le barbier y vouloit toucher de la main, il crioit encores plus haut : « Oh ! vous me tuez ! je suis mort ! — Et où est ce qu'il vous fait le plus de mal, Monsieur ? disoit le barbier. — Et ne le voyez vous pas bien ? disoit il. Un beuf qui m'ha tué et il me demande où c'est qu'il m'ha blessé ! Eh ! je suis mort ! » Tantost le barbier luy demandoit : « Est ce là, Monsieur ? — Nenny. — Et là ? — Nenny.  » Brief, il ne s'y trouvoit rien. « Eh ! bon Dieu ! qu'est cecy ? Ces gens icy ne sçauroyent trouver là où j’ay mal. N’est-il point enflé ? dit-il au barbier. — Nenny. — Il fault donc, dit monsieur le docteur, que ce soit en l’autre jambe, car je sçay bien que le beuf m’ha heurté. » Il fallut deschausser ceste aultre jambe. Mais elle se trouva blessee comme l’aultre. « Baa ! ce barbier icy n’y entend rien : allez m’en querir un aultre ! » On y va ; il vint ; il n’y trouve rien. « Eh ! mon Dieu, dit monsieur le docteur, voicy grand chose ! Un beuf m’auroit il ainsi frappé, sans me faire mal ? Vien ça Corneille ; quand le beuf m’ha blessé, de quel costé venoit il ? N’estoit ce pas devers la muraille ? — Ouy Domine, ce disoit le famulus ; c’est donc en ceste jambe icy. — Je le leur ay bien dit des le commencement ; mais il est advis que c’est mocque[160]. » Le barbier voyant bien que le bon homme n’estoit malade que d’aprehension, pour le contenter, il y mit un appareil legier, et luy banda la jambe, en luy disant que cela suffiroit pour le premier appareil. « Et puis, dit il, monsieur nostre maistre, quand vous aurez advisé en quelle jambe est vostre mal, nous y ferons quelque aultre chose. »


NOUVELLE XII.

Comparaison des Alquemistes à la bonne femme qui portoit une potée de lait au marché[161].


Chascun sçait que le commun langaige des Alquemistes[162], c’est qu’ilz se promettent un monde de richesses, et qu’ilz sçavent des secretz de nature que tous les hommes ensemble ne sçavent pas ; mais à la fin tout leur cas s'en va en fumée. Tellement que leur alquemie se pourroit plus propement dire : Art qui mine, ou Art qui n'est mie. Et ne les sçauroit on mieux comparer qu'à une bonne femme qui portoit une potée de lait au marché, faisant son compte ainsi : qu'elle la vendroit deux liards ; de ces deux liards elle en achepteroit une douzaine d'eufs, lesquelz elle mettroit couver, et en auroit une douzaine de poussins ; ces poussins deviendroyent grands, et les feroit chaponner ; ces chapons vaudroyent cinq solz la piece[163] : ce seroit un escu et plus, dont elle achepteroit deux cochons, masle et femelle, qui deviendroyent grands et en feroyent une douzaine d'autres, qu'elle vendroit vingt solz la piece[164] apres les avoir nourriz quelque temps : ce seroyent douze francs, dont elle achepteroit une jument, qui porteroit un beau poulain. Lequel croistroit et deviendroit tant gentil. Il saulteroit et feroit hin[165]. Et, en disant hin, la bonne femme, de l'aise qu'elle avoit en son compte, se print à faire la ruade que feroit son poulain, et en la faisant, sa potée de lait va tomber et se respandit toute. Et voilà ses eufs, ses poussins, ses chapons, ses cochons, sa jument et son poulain, tous par terre. Ainsi les Alquemistes, après qu'ils ont bien fournayé[166], charbonné, lutté[167], soufflé, distillé, calciné, congelé, fixé, liquefié, vitrefié, putrefié, il ne fault que casser un alembic pour le mettre au compte de la bonne femme.


NOUVELLE XIII.

Du roy Salomon, qui fit la pierre philosophale, et la cause pourquoy les Alquemistes ne viennent au dessus de leurs intentions.


La cause pour laquelle les Alquemistes ne peuvent parvenir au bout de leurs entreprises, tout le monde ne la sçait pas ; mais Marie la prophetesse[168] la met bien à propos et bien au long en un livre qu’elle ha faict de la grande excellence de l’art[169], enhortant les philosophes et leur donnant bon courage qu’ilz ne se desesperent point ; et dit ainsi, que la pierre des philosophes est si digne et si precieuse, qu’entre ses admirables vertus et excellences, elle ha puissance de contraindre les espritz[170], et que quiconques l’ha, il les peut conjurer, anathematiser, lier, garrotter, bafouer, tormenter, emprisonner, geiner, martyrer. Brief, il en joue de l’espée à deux mains, et peut faire tout ce qu’il veult, s’il sçait bien user de sa fortune. Or est ce, dit elle, que Salomon eut la perfection de ceste pierre, et si congneut par inspiration divine la grande et merveilleuse propriété d’icelle, qui estoit de contraindre les gobelins[171], comme nous avons dit. Parquoy, aussi tost qu’il l’eut faicte, il conclud de les faire venir ; mais il fit premierement faire une cuve de cuyvre de merveilleuse grandeur. Car elle n’estoit pas moindre que tout le circuit du boys de Vincennes, sauf que s’il s’en failloit quelque demy pied ou environ, c’est tout un : il ne fault point s’arrester à peu de chose. Vray est qu’elle estoit plus ronde. Et la falloit ainsi grande, pour faire ce qu'il en vouloit faire. Et par mesme moyen fit faire un couvercle, le plus juste possible. Et quant et quant[172] et pareillement fit faire une fosse en terre assez large pour enterrer ceste cuve. Et la fit caver[173] le plus bas qu'il peut. Quand il veit son cas ainsi bien appareillé, il fit venir, en vertu de ceste saincte pierre, tous les espritz de ce bas monde, grands et petits[174]. Commençant aux quatre empereurs des quatre coings de la terre. Puis fit venir les roys, les ducs, les contes, les barons, les colonnelz, capitaines, caporaux, lancespessades[175], soudars[176] à pied et à cheval, et tous tant qu'il y en avoit. Et à ce compte, il n'en demeura pas un pour faire la cuisine. Quand ilz furent venuz, Salomon leur commanda, en la vertu susdicte, qu'ilz eussent tous à se mettre dedans ceste cuve, laquelle estoit enfoncée dedans ce creux de terre. Les esprits ne sceurent contredire qu'ilz n'y entrassent. Et croyez que c'estoit à grand regret, et qu'il y en avoit qui faisoyent une terrible grimasse. Incontinent qu'ilz furent là dedans, Salomon fit mettre le couvercle dessus, et le fit très bien lutter, cum luto sapientiæ[177], et vous laisse messieurs les diables là dedans, lesquelz il fit encores couvrir de terre, jusques à ce que la fosse fust comble. En quoy toute son intention estoit que le monde ne fust plus infecté de ces meschans et maudits vermeniers[178], et que les hommes de là en avant[179] vesquissent en paix et amour, et que toutes vertus et resjouissances regnassent sur terre. Et, de faict, soudainement apres furent les hommes joyeux, contens, sains, gays, drus[180], hubiz[181], vioges[182], alaigres, esbaudiz, galans, galois[183], gaillardz, gentz, frisques[184], mignons, poupins[185], brusques[186]. O qu'ilz se portoyent bien ! O que tout alloit bien ! La terre apportoit toute sorte de fruitz sans main mettre[187] ; les loups ne mangoyent point le bestial[188] ; les lyons, les ours, les tigres, les sangliers, estoient privez comme moutons. Brief, toute la terre sembloit un paradis, ce pendant que ces truans[189] de diables estoyent en basse fosse. Mais qu'avint il ? Au bout d'un long espace de temps, ainsi que les regnes se changent, et que les villes se destruisent, et qu'il s'en reedifie d'aultres, il y eut un Roy, auquel il print envie de bastir une ville, et fortune voulut qu'il entreprint de la bastir au propre lieu ou estoyent ces diables enterrez. Il fault bien que Salomon faillist à y faire entrer quelque petit diable qui s'estoit caché soubz quelque mote de terre, quand ses compagnons y entrerent. Lequel quidam diablotin mit en l'entendement de ce Roy de faire sa ville en cedit lieu, à fin que ses compagnons fussent delivrez. Ce Roy donc mit gens en œuvre pour faire ceste ville, laquelle il vouloit magnifique, forte et imprenable. Et pource, il y falloit de terribles fondemens pour faire les murailles, tellement que les pionniers caverent si bas, que l'un d'entre eulx vint tout premier à descouvrir ceste cuve ou estoyent ces diables. Lequel l'ayant ainsi heurtée, et que ses compagnons s'en furent apperceuz, ilz penserent bien estre tous riches, et qu'il y eust un tresor inestimable là dedans. Helas ! quel tresor c'estoit ! Eh Dieu que ce fut bien en la malle heure ! O que le ciel estoit bien lors envieux contre la terre ! O que les dieux estoyent bien courroussez contre le povre genre humain ! Ou est la plume qui sceust escrire ? Ou est la langue qui sceust dire assez de maledictions contre ceste horrible et malheureuse descouverte ? Voila que fait l'avarice, voila que fait l'ambition, qui creuse la terre jusques aux enfers pour trouver son malheur, ne pouvant endurer son ayse. Mais retournons à nostre cuve et à noz diables, le compte dit qu'il ne fut en la puissance de ses becheurs de la pouvoir ouvrir si tost. Car avec la grandeur, elle estoit espaisse à l'avenant ; pour ce, il fut force que le Roy en eust la cognoissance. Lequel l'ayant veue, ne pensa pas aultre chose que ce qu'en avoyent pensé les pionniers. Car qui eust jamais imaginé qu'il y eust eu des diables dedans ? Quand mesmes on ne pensoit plus qu'il y en eust au monde, veu le long temps qu'il y avoit qu'on en avoit ouy parler ? Ce Roy se souvenoit bien que ses predecesseurs Roys avoyent esté infiniment riches, et ne pouvoit estimer aultre chose, sinon qu'ilz eussent là enfermé une finance incroyable, et que les destins l'avoyent reservé à estre possesseur d'un tel bien, pour estre le plus grand Roy de la terre. Conclusion : il employa tant de gens, qu'il en avoit environ ceste cuve. Et ce pendant qu'ilz chamailloyent[190], ces diables estoyent aux escoutes et ne sçavoyent bonnement que croire, si on les tiroit point de là pour les mener pendre, et que leur procès eust esté fait depuis qu'ilz estoyent là. Or les gastadours[191] donnerent tant de coups à ceste cuve qu'ilz la fausserent, et quand et quand enleverent une grand piece du couvercle, et firent ouverture. Ne demandez pas si messieurs les diables se battoyent à sortir à la foulle, et quelz criz ilz faisoyent en sortant. Lesquelz espouvanterent si fort le Roy et tous ses gens, qu'ilz tomberent là comme morts. Et mes diables devant, et au pied. Ils s'en revont par le monde, chascun en sa chascuniere ; fors que par avanture il y en eut quelques uns qui furent tous estonnez de veoir les regions et les pays changez depuis leur emprisonnement. Au moyen de quoy ilz furent vagabonds tout un temps, ne sachans de quel pays ilz estoyent, ne voyans plus le clochier de leur parroisse. Mais par tout où ilz passoyent, ilz faisoyent tant de maulx que ce seroit une horreur de les raconter. En lieu d'une meschanceté qu'ilz faisoyent le temps jadis, pour tourmenter le monde, ilz en inventerent de toutes nouvelles. Ilz tuoyent, ilz ruoyent, ilz tempestoyent, ilz renversoyent tout cen dessus dessoubz[192]. Tout alloit par escuelles, mais aussi les diables y estoyent. De ce temps là y avoit force philosophes (car les Alquemistes s'appellent philosophes par excellence), d'aultant que Salomon leur avoit laissé par escript la maniere de faire la saincte pierre. Laquelle il avoit reduite en art, et s'en tenoit escolle comme de grammaire. De mode que plusieurs arrivoyent à l'intelligence ; attendu mesmes que les vermeniers[193] ne leur troubloyent point le cerveau, estans enclos. Mais si tost qu'ilz furent en liberté, se ressentans du mauvais tour que leur avoit joué Salomon en vertu de ceste pierre, la premiere chose qu'ilz firent, ce fut d'aller aux fourneaux des philosophes, et de les mettre en pieces. Et mesmes trouverent façon d'effacer, d'esgraffigner, de rompre, de falsifier tous les livres qu'ilz peurent trouver de ladite science, tellement qu'ilz la rendirent si obscure et si difficille, que les hommes ne sçavent qu'ilz y cherchent. Et l'eussent voulentiers abolie du tout ; mais Dieu ne leur en donna pas la puissance. Bien eurent ilz cette permission d'aller et de venir pour empescher les plus sçavans de faire leurs besognes, tellement que quand il y en ha quelqu'un qui prend le bon chemin pour y parvenir, et que telle foys il ne luy fault quasi plus rien qu'il n'y touche, voicy un diablon qui vient rompre un alembic, lequel est plein de ceste matiere precieuse, et faict perdre en une heure toute la peine que le povre philosophe ha prise en dix ou douze ans, de sorte que c'est à refaire : non pas que les pourceaulx y ayent esté, mais les diables, qui valent bien pis[194]. Voylà la cause pourquoy on voit aujoud’huy si peu d’Alquemistes qui parviennent à leurs entreprises ; non que la science ne soit aussi vraye qu’elle fut onq, mais les diables sont ainsi ennemis de ce don de Dieu. Et, par ce qu’il n’est pas qu’un jour quelqu’un n’ayt ceste grace de la faire aussi bien que Salomon la fit onques, de bonne aventure s’il advenoit de nostre temps, je le prie, par ces presentes, qu’il n’oublie pas à conjurer, adjurer, excommunier, anathemathiser, exorcizer, cabalizer, ruiner, exterminer, confondre, abismer ces meschans gobelins, vermeniers, ennemys de nature et de toutes bonnes choses : qui nuysent ainsi aux povres Alquemistes, mais encores à tous les hommes, et aux femmes aussi, cela s’entend. Car ilz leur mettent mille rigueurs, mille reffus, et mille fantasies en la teste ; voyre et eux mesmes se mettent en la teste de ces vieilles sempiterneuses[195], et les rendent diablesses parfaictes. Et de là est venu que l’on dit d’une mauvaise femme, qu’elle ha la teste au diable.


NOUVELLE XIV.

De l’advocat qui parloit latin à sa chambriere, et du clerc qui estoit le truchement[196].


Il y a environ vingt-cinq ou quarante ans qu’en la ville du Mans y avoit un advocat qui s’appelloit La Roche Thomas, l’un des plus renommez de la ville, comme de ce temps y en eust bon nombre de sçavans ; tellement qu’on venoit bien à conseil jusques au Mans, de l’Université d’Angers. Celuy sieur de La Roche estoit homme joyeux, et accordoit bien les recreations avec les choses serieuses. Il faisoit bonne chere en sa maison. Et quand il estoit en ses bonnes, qui estoit bien souvent, il latinisoit le françoys et francisoit le latin. Et s’y plaisoit tant, qu'il parloit demy latin à son valet, et à sa chambriere aussi. Laquelle il appelloit Pedisseque[197]. Et quand elle n'entendoit pas ce qu'il luy disoit, si n'osoit elle pas luy faire interpreter ses motz, car La Roche Thomas luy disoit : « Grosse pecore arcadicque[198], n'entendois tu point mon idiome ? » Desquelz motz la povre chambriere estoit estonnee des quatre piedz[199]. Car elle pensoit que ce fust la plus grande malediction du monde. Et à la verité il usoit quelques foys de si rudes termes, que les poulles s'en fussent levees du juc[200]. Mais elle trouva façon d'y remedier. Car elle s'accointa de l'un des clercs, lequel luy mettoit paraventure l'intelligence de ces motz en la teste par le bas, et la secouoit, dy je, la secouroit[201] au besoin. Car quand son maistre luy avoit dit quelque mot, elle ne faisoit que s'en aller à son truchement, qui l'en faisoit sçavante. Un jour de par le monde, il fut donné un pasté de venaison à La Roche Thomas : duquel ayant mangé deux ou trois lesches[202] à l'espargne[203] avec ceulx qui disnerent quand[204] luy, dit à sa chambriere en desservant : « Pedisseque, serve moi[205] ce farcime de ferine[206], qu'il ne soit point famulé[207]. » La chambriere entendit assez bien qu'il luy parloit d'un pasté. Car elle luy avoit autrefois ouy dire le mot de farcime[208], et puis il le luy monstroit. Mais ce mot de famulé, qu'elle retint en se hastant d'escouter, elle ne sçavoit encores qu'il vouloit dire. Elle print ce pasté. Et ayant faict semblant d'avoir bien entendu, dit : « Bien, monsieur. » Et vint à ce clerc quand ilz furent à part, lequel d'aventure avoit esté present au commandement du maistre, pour luy demander l'exposition[209] de ce mot famulé. Mais le mal fut que pour celle fois il ne luy fut pas fidelle. Car il luy dit : « Mamie, il t'ha dit que tu donnasses de ce pasté aux clercs, et puis que tu serrasses le demeurant. » La chambriere le creut, car jamais ne s'estoit mal trouvee de rapport qu'il luy eust faict. Elle met ce pasté devant les clercs, qui ne l'espargnerent pas, comme on avoit faict à la premiere table. Car ilz mirent la main en si bon lieu qu'il y parut. Le lendemain La Roche Thomas cuydant que son pasté fust bien en nature, appelle à disner des plus apparens du palays du Mans, qui ne s'appelloit pour lors que la Sale, et leur fist grand feste de ce pasté. Ilz viennent, ilz se mettent à table. Quand ce fut à presenter le pasté, il estoit aysé à veoir qu'il avoit passé par bonnes mains. On ne sçauroit dire si la Pedisseque fut plus malmenée de son maistre d'avoir laissé famuler ce farcime, ou si ledit maistre fut mieulx gaudy[210] de ceulx qu'il avoit conviez, pour avoir parlé latin à sa chambriere en luy recommandant un pasté, ou si la chambriere fut plus marrie contre le clerc qui l'avoit trompee. Mais pour le moins les deux ne durèrent pas tant comme le tiers. Car elle fongna[211] au clerc plus d'un jour et une nuict, et le menassa fort et ferme qu'elle ne luy presteroit jamais chose qu'elle eust. Mais quand elle se fut bien ravisee qu'elle ne se pouvoit passer de luy, elle fut contrainte d'appointer le dimanche matin que tout le monde estoit à la grand messe, fors qu'eulx deux, et mangerent ensemble ce qui estoit demeuré du jeudy, et raccorderent leurs vielles comme bons amys[212]. Advint un aultre jour que La Roche Thomas estoit allé disner en la ville chez un de ses voisins, comme la coustume ha tousjours esté en ces cartiers là de manger les uns avec les aultres et de porter son disner et son soupper, tellement que l'hoste n'est point foullé[213], sinon qu'il met la nappe. La Roche Thomas, qui pour lors estoit sans femme, avoit faict mettre pour son disner seulement un poullet rosty, que sa chambriere luy apporta entre deux platz. A laquelle il dit tout joyeusement : « Qu'est ce que tu m'afferes[214] là, Pedisseque ? » Elle luy respondit : « Monsieur, c'est un poullet. » Luy qui vouloit estre veu magnificque, ne trouve pas cette responce bonne, et la note jusques à tant qu'il fut retourné en sa maison, qu'il appella sa chambriere tout fascheusement pedisseque. Laquelle entendit bien à l'accent de son maistre, qu'elle auroit quelque leçon. Et va incontinent querir son truchement pour assister à la lecture, et luy sçavoir rapporter ce que son maistre luy diroit. Car il tensoit[215] bien souvent en latin et tout. Quand elle fut comparue, La Roche Thomas luy va dire : « Viença, gros animal brutal, idiotte, inepte[216], insulse[217], nugigerule[218], imperrite[219] ! » et tous les mots du Donat[220]. « Quand je disne à la ville et que je te demande ce que c'est que tu m'afferes, qui t'ha monstré à respondre un poullet. Parle, parle une aultre foys en plurier nombre, grosse quadrupede, parle en plurier nombre. Un poullet voylà un beau disner d'un tel homme que La Roche Thomas. » La pedisseque n'avoit jamais esté desjeunee[221] de ce mot plurier nombre. Parquoy elle se le fit explicquer au clerc, qui luy dit : « Sçaiz tu que c'est ? Il est marry qu'aujoud'huy, en luy portant son disner, quand il t’ha demandé que c’estoit que tu luy apportoys, que tu luy ayes respondu un poullet, et veult que tu dies des poulletz, et non pas un poullet. Voilà ce qu’il veut dire par plurier nombre, entends tu ? » La pedisseque retint bien cela. De là à quelques jours, La Roche Thomas estant encor allé disner chez un sien voisin, ne sçay si c’estoit chez le mesme de l’autre jour, sa chambriere luy porte son disner. La Roche Thomas luy demande selon sa coustume, que c’est qu’elle afferoit. Elle, se souvenant bien de sa leçon, respondit incontinent : « Monsieur, ce sont des beufz et des moutons. » Dont elle appresta à rire à toute la presence[222], principalement quand ilz eurent entendu qu’il apprenoit à sa chambriere à parler en plurier nombre.


NOUVELLE XV.

Du cardinal de Luxembourg, et de la bonne femme qui vouloit faire son filz prestre, qui n’avoit point de tesmoings ; et comment ledict cardinal se nomma Philippot.


Du temps du roy Louys douziesme, y avoit un cardinal de la maison de Luxembourg, lequel fut evesque du Mans[223] et se tenoit ordinairement sus son eschevé, homme vivant magnifiquement, aymé et honnoré de ses diocesins, comme prince qu’il estoit. Et avec sa magnificence, avoit une certaine privaulté qui le faisoit encores mieulx vouloir de tout le monde. Et mesmes estoit facecieux en temps et lieu. Et s’il aymoit à gaudir, il ne prenoit point en mal d’estre gaudy. Un jour se presenta à luy une bonne femme des champs, comme il estoit facile à escouter toutes personnes. Laquelle après s’estre agenouillee devant luy et ayant eu sa benediction, comme ilz faisoyent

  1. C’est Robert Granjon, célèbre graveur et fondeur en caractères, qui s’était établi imprimeur à Lyon en 1556, après avoir exercé d’abord à Paris depuis 1551. Il mit cette préface en tête de la première édition des Nouvelles Recreations et joyeux Devis, de feu Bonaventure Des Periers, valet de chambre de la Royne de Navarre (Lyon, de l’imp. de Rob. Granjon, 1558, in-4). La Monnoye attribue la rédaction de l’avertissement de l’imprimeur à Antoine Du Moulin, qui avait publié en 1544 les œuvres poétiques de son ami ; mais nous l’attribuerons plutôt à Nicolas Denisot, qui fut le principal éditeur de ce receuil de contes et qui était lié depuis longtemps avec Robert Granjon, car il fit imprimer chez ce typographe, à Paris, en 1551, le Tombeau de madame Marguerite de Valois, Royne de Navarre.
  2. C’est sans doute Nicolas Denisot, dit le comte d’Alsinois, qui eut la plus grande part à la publication de l’ouvrage de Bonaventure Des Periers, quoiqu’on ne doive pas lui faire honneur d’une partie des Joyeux Devis, comme le dit La Croix du Maine. Voyez la notice historique en tête de ce volume.
  3. Les éditions postérieures à celles de 1558 et de 1561 portent : « excellent orateur et poëte. »
  4. Éloge, renommée ; laus.
  5. Il y a douez, dans les éditions suivantes.
  6. Pour : aboyer.
  7. De plus, en outre.
  8. Triste, chagrin, morose ; tetricus.
  9. Dans les autres éditions : inopinée.
  10. Dans les autres éditions : calomnieux.
  11. Dans les autres éditions : courtoise.
  12. Ce sonnet, qui est de Des Periers plutôt que de son éditeur, Nicolas Denisot, manque dans quelques éditions.
  13. Pour : dessinés.
  14. Interrompu.
  15. Ce préambule paraît avoir été écrit en 1538, peu de temps après l’entrevue de François Ier et de Charles-Quint à Nice, entrevue dans laquelle les deux souverains devaient conclure la paix sous les auspices du pape Paul III.
  16. C’est-à-dire que les conférences pour la paix aboutirent seulement à une trêve qui ne dura pas longtemps.
  17. Axiome, apophthegme ; notabilis.
  18. L'action de se taire, de garder le silence.
  19. Gêné, tourmenté.
  20. Parodie du juron : Ventre-Dieu !
  21. M. Louis Lacour voit ici une allusion au Cymbalum mumdi.
  22. Onomatopée dont se servent encore les charretiers pour exciter leurs chevaux. Hay ou haye ! signifie : Va, allons !
  23. Ces deux noms étaient déjà cités proverbialement, comme on le voit ici, un siècle avant que Hugues Guéru, comédien du théatre de l'hôtel de Bourgogne, se fit appeler Gautier Garguille, probablement à cause des farces dans lesquelles il jouait le rôle de ce personnage populaire.
  24. Imitation bouffone de Rabelais, qui, dans la haranguede Janotus de Bragmardo (Gargantua, ch. XIX) place Londres en Cahors et Bourdeaux en Brie.
  25. Allusion à la naïveté fort équivoque de ce curé, qui, voyant ses paroissiens fondre en larme à son sermon de la Passion, s'avisa, pour les consoler, de leur dire : « Ne pleurez pas, mes amis ; peut-être que ce que je vous dis n'est pas vrai ! » (L. M.)
  26. Actes, mémoires ; instrumenta. Terme de pratique.
  27. On disait proverbialement : « Les pardons sont à Rome, » parce que c'était à Rome qu'on vendait les indulgences. Voy. les Propos rustiques de Noël du Fail, édit. de 1732, p. 105. Dans un poëme de Martial d'Auvergne, l'Amant rendu cordelier à l'observance d'Amour, on lit ces deux vers, auxquels Bonav. Des Periers semble ici faire allusion :

    Plusieurs gens envoyent à Rome
    Qui à leur huis ont leur pardon.

  28. Dans les autres éditions, on a mis : soupirent, c'est à dire s'éventent.
  29. S'altèrent s'affaiblissent, se gâtent, comme les vins que les voituriers buffetent ou boivent au tonneau, en les transportant d'un lieu à un autre et en remplissant sans cesse la pièce avec de l'eau.
  30. Il faut sous-entendre : « à les prendre de loin. »
  31. Argumenté, disputé.
  32. Essayer. Les échansons faisaient l'essai du vin à la table des princes.
  33. Lisez quid pro quo. C'est ainsi que les médecins des treizième et quatorzième siècles intitulaient les chapitres où, au défaut de telle ou telle drogue, ils en substituaient quelque autre équivalente en vertu ; et, comme il était aisé de se tromper en cela, étant même arrivé souvent que des apothicaires, au lieu de drogues ordonnées qu'ils n'avaient pas, en substituaient d'autres moins bonnes de leur chef, on a dit de là quid pro quo : premièrement pour une méprise d'apothicaire, et, ensuite, pour quelque méprise que ce soit. (L.M.)
  34. Entendront ; du verbe ouïr.
  35. Tristesse, morosité ; tetricitas.
  36. Pour : antonomase, figure rhétorique, emploi de l'épithète pour le nom.
  37. Les facéties du Plaisantin ont beaucoup d'analogie avec celles qu'on attribue à Rabelais sur son lit de mort. Mais, pour reconnaître Rabelais dans ce personnage qui mourut plaisamment, il faudrait supposer que ce passage du prologue eût été ajouté postérieurement par l'éditeur des Contes de Des Periers. M. Louis Lacour pense que le Plaisantin pourrait bien être Triboulet, « ce bouffon sur lequel Des Periers revient si complaisamment à tant de reprises et dont la mort arriva en 1537. » Les réponses du Plaisantin sont bien fines pour un fou, de la tête écorné, comme dit Jean Marot.
  38. Voy. l’Essai historique sur les Fous en titre d’office, en tête du roman du bibliophile Jacob, les Deux Fous, édit. de 1839.
  39. Pontanus, dans son dialogue intitulé Antonius, parle d’une folle nommée Calletia, qui était à Gaëte et qui vivait en 1440. La Monnoye, en citant ce fait, ne suppose pas que Caillette, fou en titre d’office de François Ier, ait emprunté son nom à cette folle italienne. Ce nom lui paraît plutôt dérivé de cette tripe de veau ou de mouton, qu’on nomme encore caillette. Nous croyons qu’on désignait déjà sous le nom de caillettes les femmes qui parlaient follement, comme des cailles qu’on entend caqueter dans les vignes. La mort du fou de François Ier a été célébrée dans une pièce de vers imprimée vers 1520, sous ce titre, la Vie et le Trespassement de Caillette.
  40. Jeu de mots sur les notes de musique sol, la, mi.
  41. Allusion à la lâcheté de saint Pierre reniant Jesus, qui venait d’être condamné par Pilate.
  42. C'est à dire en son langage de Caillette. G. Bouchet, dans la XIVe Serée, attribue cette naïveté à Triboulet.
  43. Il s'agit sans doute de l'entrée de Louis XII à Rouen, le 28 septembre 1508 ; c'est du moins la seule entrée solennelle dans cette ville que mentionne le Cérémonial françois de Godefroy, antérieurement à l'année 1537, date de la mort de Triboulet.
  44. Triboulet, qui était fou en titre d'office de Louis XII, mourut au service de François Ier, en 1537 ; on imprima, sans date, à Paris, une pièce de vers intitulée les Lamentations et Complaintes de Triboulet, fol du Roy, qu'il fait contre la mort. Voici son portrait, composé en 1509 par Jean Marot, dans la relation rimée du Voyage de Venise, où il représente Triboulet tremblant de peur et caché sous un lit de camp pendant la bataille :

    Triboulet fut un fol de la teste escorné,
    Aussi sage à trente ans que le jour qu'il fut né ;
    Petit front et grands yeux, nez grand, taillé à vote,
    Estomach plat et long, haut dos à porter hote,
    Chacun contrefaisoit, chanta, dansa, prescha,
    Et de tout si plaisant qu'onc homme ne fascha.

  45. Il y avait un gouverneur des fous, des nains et des singes du roi ; mais l'officier subalterne n'est pas désigné dans les États de la maison de François Ier.
  46. Ce Polite ou Hippolyte n'a pas laissé d'autres traces dans l'histoire des fous. Au reste, la plaisanterie que Des Periers lui attribue est tirée des Facéties de Poggio, qui la donne à un fou de l'archevêque de Cologne (Sacerdotii virtus). Ce conte, qui a fourni le sujet de la XCIXe des Cent Nouvelles nouvelles (la Métamorphose), est répété dans le chap. XXXIX de l'Apologie pour Hérodote et dans le chap. XXVI du Moyen de parvenir ; Malespini l'a traduit en italien, Ducento Novelle, part. II, nov. XXVII.
  47. Ce passage a été reproduit par Béroalde de Verville, dans le chap. XXVI de son Moyen de parvenir : « Or un jour, une nuit, un soir, un matin, c'est le commencement d'un conte. »
  48. C'est-à-dire extrêmenent fou. Cette définition de la folie de Triboulet est de Rabelais, qui a introduit ce personnage dans le livre III du Pantagruel.
  49. Allusion à ces paroles de l’Ecclésiaste : Stultorum infinitus est numerus.
  50. Imitation de Rabelais, qui commence ainsi le prologue de son IVe livre : « Gens de bien, Dieu vous saulve et garde ! Où estes-vous ? Je ne vous peux veoir. »
  51. Il faut sous-entendre : d’un bénéfice.
  52. Revenus.
  53. C’est-à-dire : tout d’une voix. Latinisme : una voce.
  54. C'est-à-dire à leurs enfants propres. On sait le conte de l'évêque qui, faisant ses visites, s'arrêta chez un prêtre de son diocèse, dans la maison duquel voyant deux peitits enfants, il lui demanda à qui ils appartenaient, lui ordonnant de dire la vérité : « Monseigneur, lui répondit-il, ce sont les neveux de mon frère. » Le bon évêque n'y fit pas autrement réflexion, et ce ne fut que quelques jours après qu'un prêtre de sa suite lui apprit le sens de cette réponse. (L.M.)
  55. Réminiscence de ces vers du Dialogue de deux amoureux, par Clém. Marot :

    Je luy ay donné fruictz nouveaux
    Acheptez en la Place aux Veaux,
    Disant que c'estoit de mon creu.

  56. Regratterie ; chez les revendeurs ou regrattiers.
  57. M. L. Lacour fait observer ici que le t se prononçait toujours, quoiqu'on ne l'écrivit pas encore. « Souvent nous prononçons des lettres qui ne s'escrivent pas, comme quand nous disons : Dine-ti ? ira-ti ? et escrivons  : dine-il ? ira-il ? et seroit chose ridicule si nous les escrivions selon qu'ils se prononcent. » (PELETIER, de l'orthographe, liv. I, p. 57.)
  58. Jeu de mots, pour : dignités.
  59. Pour : saupoudré.
  60. Pour : navets.
  61. Ce ne sont pas les nôtres.
  62. Préparer, accommoder ; ce mot vient du bas latin accultrare, découper, tailler au couteau.
  63. La Monnoye voit ici une allusion à Sevin, nom d'une ancienne famille orléanaise, de laquelle étaient Adrien Sevin, traducteur du Philocope de Bocace, et Charles Sevin, chanoine de Saint-Étienne d'Agen et ami de Jules-César Scaliger.
  64. Pour : penaud, honteux, confus. Ce mot, que Borel dérive ridiculement des mots latins pes nudus (pied nu), vient de peine, qu'on écrivait pène.
  65. Pour : maître ès arts.
  66. Gerardo Landriano, cardinal, évêque de Côme, au dire du Bandello : voy. la Terza parte de le novelle. 1534, nov. LVI.
  67. Célèbre ouvrage du comte Balthazar Castiglione : Il libro di Cortegiano, publié pour la première fois en 1528, et traduit en français dix ans après, par Jacques Colin d'Auxerre, sous le titre du Courtisan (Paris, J. Longis, 1537, in-8).
  68. « Seigneur, vous m'avez donné cinq talents, et j'en ai gagné cinq autres. » (Évangile de S. Matth., ch. XXV, vers. 20.) La Monnoye nous apprend que ce conte est tiré des Fables d'Abstemius, IIe part., fable IV ; on le retrouve dans le Moyen de parvenir, ch. LXIX.
  69. Notes ; minine est synonyme de blanche, note qui vaut deux noires.
  70. Jeu de mots sur ergo, formule de l'argumentation scolastique.
  71. Étourdi, peu sensé ; selon M. Lacour, irritable, bourru.
  72. Danser, donner le bal.
  73. Cela revient à ce quolibet des docteurs, que : Scolasticus cum femina loquens non præsumitur dicere Pater Noster. (L.M.)
  74. Faire l’amour. Béroalde de Verville, au ch. LXXXIX du Moyen de parvenir, dit que deux à deux sont quatre. Sedaine n’a fait que rimer un vieux proverbe, dans son air si connu :

    Quand les bœufs vont deux à deux,
    Le labourage va mieux.

  75. Signes.
  76. D'abord.
  77. C'est-à-dire qu'elle accouchât. Noël du Fail dit, dans les Contes d'Eutrapel : « Sans difficulté le laict cremera et bientost en sortira les petits pieds et esclats. » On disait aussi, dans le même sens : faire pieds neufs.
  78. Donner ; du vieux verbe doigner.
  79. Voy. ci-après la Nouvelle IX, que La Fontaine a imitée dans son conte du Faiseur d'oreilles.
  80. Expression figurée et proverbiale, qu'on retrouve dans ces vers de La Fontaine :

    Après milles façons, cette bonne hypocrite
    Un pain sur la fournée emprunta, dit l'auteur.

  81. Motiver, pretexter.
  82. Le passe-pied était une espèce de trihori, suivant l'Orchesographie de Thoinot Arbeau, anagramme du nom de Jehan Tabourot. « La dance du Trihori, dit Noël du Fail, dans ces Contes d'Eutrapel, est trois fois plus magistrale et gaillarde que nulle autre. » Noël du Fail parle encore ailleurs de la danse du Trihori, « saltatio trichorica, l'honneur de long-temps acquis à la Basse-Bretagne, combien que par jalousie les escrivains voisins l'aient ravalé et celé. »
  83. C'est-à-dire qu'ils n'étaient pas Bretons bretonnants ou de la Basse-Bretagne.
  84. Jeu de mots, par allusion à la triple signification de bretes, qui se disait quelquefois des Bretonnes et qui s'entendait aussi des épées et des galantes ou bonnes lames.
  85. Vives et légères ; dispost, de dispositus.
  86. Jeu de mots imité de Rabelais, liv. III, ch. XXVI, où frère Jean dit à Panurge, en lui conseillant de se marier : « Dehuy au soir, fais-en crier les bancs et le chaslit. » Équivoque sur ban, proclamation de mariage, et banc, siège.
  87. Profité, hérité.
  88. Bon visage, bonne mine ; du bas latin cara et de l'italien ciera.
  89. Bon mot ; de l'italien saporetto, ragoût. Il y a soubriquet dans plusieurs éditions.
  90. Il en a été de ce mot comme de lendit, landier, luette, lierre, etc., où l'article s'est incorporé. (L.M.)
  91. Dans toutes les éditions qui ont suivi les deux premières, on lit : pucelles de Marolles. C'est une expression proverbiale : « Marolles, autrefois Maroilles, en latin Maricolæ, Marcoliæ et Mariliæ, dit La Monnoye, est un village du Hainaut dépendant d'une abbaye de Saint-Benoit, diocèse de Cambrai. Comme les moines y étoient maitres, leur familiarité avec les filles du village fit qu'elles eurent mauvais bruit, en sorte que, par une contre-vérité qui a passé en proverbe, on a nommé pucelles de Marolles celles qui ne le sont pas. »
  92. Les fous, en toute occasion, s'avancent et marchent les premiers. L'homme dont on parle ici reconnoit qu'il n'étoit pas le fol, n'étant pas venu le premier d'autres y ayant passé avant lui, qui avoient battu le chemin. (L.M.)
  93. Formule de philosophie scolastique, signifiant : on demande, on s'enquiert.
  94. Partager.
  95. Les premières éditions portent intratum, qui est évidemment une faute.
  96. Terme de logique que Des Periers fait semblant de prendre pour un titre d'ouvrage ou pour un nom d'auteur. C'est une imitation de Rabelais (livre I, ch. XIX), qui fait dire à Janotus, citant un texte de loi : « Il est in tertio primæ, en Darii ou ailleurs. »
  97. C'est-à-dire le Pantagruel de Rabelais, liv. III, ch. XXVIII, où Frère Jean dit à Panurge : « Si tu es coquu, ergo ta femme sera belle, ergo tu seras bien traité d'elle, ergo tu auras des amis beaucoup, ergo tu seras sauvé. »
  98. Cette Nouvelle semble avoir été inspirée par la LXXIe des Cent Nouvelles nouvelles, intitulée le Cornard débonnaire, laquelle fut depuis imitée en italien par Ludov. Guicciardini, dans ses Hores di recreazione, et par Malespini, dans ses Ducento Novelle.
  99. C’est sans doute Louis XI, dont le portrait historique ressemble à celui que le conteur nous présente ici ; voy. la belle Histoire de France de M. Henri Martin, t. VI, p. 529 : « Il voulait tout voir, tout savoir, tout faire par lui-même. » Cependant le serment de Foi de gentilhonmme, que Des Periers lui a mis dans la bouche, est un anachronisme et une allusion à François Ier, qui avait adopté ce juron.
  100. Toutes ces particularités se rapportent bien à Louis XI. « La plus part du temps, rapporte Brantôme dans ses Dames galantes, mangeoit en pleine sale avec force gentilshommes de ses plus privez. Et celuy qui luy faisoit le meilleur et le plus lascif conte de dames de joye, il estoit le mieux venu et festoyé, et luy-mesme ne s’espargnoit à en faire, car il s’en enqueroit fort et en vouloit souvent sçavoir, et puis en faisoit part aux autres et publiquement. »
  101. Expression proverbiale. La trompe est une toupie ainsi nommée à cause du ronflement qu'elle fait en tournant.
  102. Tout à fait, entièrement.
  103. De condition, de qualité.
  104. Brantôme, Montaigne et Molière ont répété plusieurs fois la même pensée, que ce dernier formule ainsi dans son Cocu imaginaire :

     ... Attacher l'honneur de l'homme le plus sage
    Aux choses que peut faire une femme volage !

  105. On lit dans les autres éditions : d'approcher.
  106. Au moment même.
  107. Dorénavant, depuis lors.
  108. Proverbe qui n'a pas été receuilli ; nous avions d'abord pensé qu'il signifiait : « Un exemple ne vaut rien, s'il n'est imité. » Mais nous lui donnerons aujoud'hui un sens plus analogue à l'esprit antireligieux de l'auteur, en l'expliquant ainsi : « A quoi bon un prêtre, s'il n'y a pas de fidèle ? »
  109. Variante des autres éditions : luy demandant comment.
  110. C’est-à-dire : en obtiendrait-il la permission.
  111. Terme de la formule de l’ordination.
  112. C’est-à-dire : le ferait prêtre, expédierait son affaire.
  113. Pourvu d’un bénéfice.
  114. Messe des morts.
  115. Office de la Vierge.
  116. C'est-à-dire : qu'on te délivre des lettres de prètrise à la chancellerie papale.
  117. Expression proverbiale, signifiant : tenter une entreprise sans avoir pris toutes ses mesures pour réussir : car, si l'on veut cueillir des mûres sans les écraser, il faut d'abord attacher à l'arbre avec un crochet le panier dans lequel on les mettra.
  118. Esprit familier, démon. « Le mot gobelin, dit La Monnoye, est ici employé fort à propos, étant usité de toute ancienneté en Normandie sous la signification d'esprit follet. Orderic Vital, moine normand du douzième siècle, parlant du démon que S. Taurin, premier évêque d’Évreux, chassa du temple de Diane, et qui ne laissa pas de continuer son séjour dans la même ville, ajoute qu’il y demeuroit encore de son temps et que le peuple le nommoit gobelin : Hunc vulgus gobelinum appellat. »
  119. Langage du pays de Caux.
  120. Interroger.
  121. Voyez ci-après la Nouvelle XX.
  122. Pour : emplette, achat, de bon usage.
  123. Expression proverbiale, qui se rapporte aux grands coups que se portaient les chevaliers couverts d'armures dans les joutes et les tournois.
  124. Pour : guetter, épier, attendre aux aguets.
  125. Tirer l'argent de dessous l'aîle, c'est le tirer de dessous l'aisselle, parce que c'est là qu'on mettoit autrefois la bourse ou le bourson, communément nommé gousset : d'où est venu qu'on a dit sentir le gousset, pour exprimer la mauvaise odeur que le bourson porté sous l'aisselle y devoit contracter. (L.M.)
  126. On lit dans les éditions suivantes : alla luy-mesme à Arqueil, et demanda.
  127. Note de correction wikisource : dans la première édition originale de 1558 R. Granjon (Lyon), le passage est celui restitué à savoir : alla luy mesmes à Arqueil, et demanda. On trouve exactement la même phrase dans l'édition de 1561 G. Rouille (Lyon).
  128. C'est-à-dire : de faire l'amour.
  129. Béroalde de Verville, au chap. XIX du Moyen de parvenir, fait dire de même à une autre innocente : « Ardé, monsieur, je vous suis bien attenue ! »
  130. C'est-à-dire : qui s'embellissait tous les jours ; être en bon point voulait dire : « être bien faite pour l'amour. »
  131. Expression proverbiale métaphorique, tirée de la docilité routinière avec laquelle les mules des procureurs et des gens de robe venaient d'elles-mêmes se ranger le long des montoirs de pierre et présenter l'étrier à leurs maîtres. « On comptait, au milieu du seizième siècle, dit M. Lacour, un fort grand nombre de montoirs dans les rues de Paris. Charles IX, par un édit du 29 décembre 1564, en ordonna la démolition. »
  132. Cette expression est cicéroniane, comme on disait alors, car Cicéron s'en est servi dans une de ses lettres familières : pudor sabrusticus.
  133. Expression proverbiale qui fait allusion au point de mire du tir de l'arc.
  134. Boccace paraît avoir le premier mis en œuvre ce sujet, qui a été souvent traité après lui ; voyez Decamerone, giorn. VIII, nov. VIII. La facétie de Poggio, Talio, reproduite dans le Libro delle origine delli volgari proverbi, d’Aloyse Cynthio (Veneg., 1526, in-fol.), avait fourni la matière de la troisième des Cents Nouvelles nouvelles, que Des Periers a sans doute imitée. Depuis, d’autres imitateurs n’ont pas fait mieux ; voyez le Piacevoli notti de Straparole, notte VI, nov. I ; Ducento Novelle, de Malespini, nov. XLV ; Apologie pour Hérodote, de Henri Estienne ; Joyeuses Adventures et nouvelles Récréations, devis VI ; Contes de La Fontaine, liv. II, conte II, etc.
  135. C’est-à-dire : d’un commerce assez agréable. « le mot trafique, dit La Monnoye, étoit alors de trois syllabes et féminin. Nicot n’a mis dans son dictionnaire que la trafique. Monet, qui est venu depuis, a mis dans le sien la trafique et le traficq ; mais le masculin dès le temps de Monet même, avoit prévalu. »
  136. La Fontaine, dans son conte le Faiseur d’oreilles et le Raccommodeur de moules, a conservé le nom de ce personnage, qu’il appelle tantôt le compère André et tantôt le sire André, ce qui prouve qu’il a puisé son sujet dans la Nouvelle de Des Periers.
  137. Voisinage.
  138. Dena, en patois de Lyon, signifie dame, du latin domina, qui s'est transformé successivement en domna, dona, dena.
  139. La Fontaine exprime cela par : enfant monaut, mot qui n'est dans aucun dictionnaire, qui ne se dit nulle part et qui est de son invention. Il l'a tiré du grec μόνωτοζ, uniauris. (L. M.)
  140. En plus, au delà de ce qu'il en faut ; idiotisme usité alors dans le Lyonnais et la Bourgogne.
  141. Bien des femmes, pour éviter de dire ma foi en jurant, disent, les unes, ma fi ! les autres, ma figue ! et d'autres, ma figuette ! Figue ni figuette ne sont point une allusion à l'italien fica, comme le disent en raillant la Molza, dans son Capitolo delle fiche, et le Caro son commentateur, mais une simple extension du mot fi, dit au lieu de foi. (L.M.)
  142. Pour : fantaisie ; en italien fantasia.
  143. D’autres éditions ont Castaloigne, qui approche davantage de castelogne, aujourd’hui le mot d’usage. Furetière dérive ce mot de casta lama, parce que, dit-il, on les fait d’ordinaire de la toison des agneaux. D’autres, avec plus de vraisemblance, le dérivent de Catalogne, parce que ces couvertures sont venues de Catalogne et qu’elles en retiennent le nom en diverses provinces de France. (L.M.)
  144. Le style du Palais, la procédure.
  145. Ou plutôt : affecté, sournois, trompeur.
  146. Chatonnie se prend pour : malice, niche, tour de page, tour d’espliègle. Les chats sont malins, et, de là, chatonnie ; et, plus bas, chatterie, dans le même sens. (L.M.)
  147. Tabuter, c’est heurter à petits coups, c’est faire du bruit à la porte avec le heurtoir.
  148. Allusion à ces vers de la ballade de frere Lubin, dans Clément Marot :

    Pour courir en poste à la ville,
    Vingt fois, cent fois, ne sçay combien, etc.

  149. Anciennement. Et puis ? étoit le premier mot qu’on se disoit dans la rencontre ; c’étoit comme l’ouverture du discours. Marot, dans son Dialogue de deux amoureux, les fait débuter chacun par un Et puis. (L. M.)
  150. Expression proverbiale, signifiant : pousser l'éteuf, balle de paume, faite de bourre étroitement serrée dans une enveloppe de cuir ; éteuf ne vient pas de touffe, comme le dit La Monnoye, mais de l'italien stoffa.
  151. Les punais n’ont point d’odorat, et sont privés, par conséquent, de la faculté de sentir les odeurs ; mais, quand on demande à Fouquet, en le fouettant, s’il n’est point punais, s’il sent le balai, on équivoque sur le mot sentir, par rapport aux odeurs et aux coups de fouet, qui se font sentir, mais fort diversement. (L.M.)
  152. Expression proverbiale, qui vient de ce que les merciers ambulants portaient sur leur dos la balle contenant leur marchandises. On disait qu’il pleut sur la mercerie de quelqu’un, pour exprimer les coups de bâton qui lui tombaient dru sur les épaules. Henri Estienne emploie cette expression figurée au chap. XXI de l'Apologie pour Hérodote.
  153. Voy. Pogge, Histoire de Florence, p. 455. « C’était, dit M. Lacour, un cardinal de Bordeaux qui avait raconté ce conte au Pogge, et il le mettait sur le compte d’un bordelais. »
  154. Docteur en droit canon. Decretum est le titre de la première partie du recueil de droit canonique, compilé par Gratianus au douzième siècle.
  155. Les écoles de Quatres-Nations étaient situées dans la rue du Fouare, qu’on appelait alors rue du Feurre, à cause de la paille qui la jonchait, destinée à étouffer le bruit de cette rue, où la Faculté de Décret avait ses classes.
  156. Le famulus d'un maître ès arts n'est pas un valet, comme le dit M. Lacour, mais un cuistre, exécuteur des hautes et basses œuvres du pédant.
  157. La profession de barbier n'était point encore séparée de celle de chirurgien, à cette époque.
  158. Blancs d'œufs ; aubin dérive d'albus, dont on a fait albinus et albumen.
  159. Pour : meurtri. Ordinairement, à cette époque, meurdrir s'employait dans le sens de tuer, sinon blesser à mort.
  160. Pour : moquerie. On lit dans les éditions suivantes : C’est se mocquer.
  161. Le sujet de cette Nouvelle était populaire longtemps avant que Des Periers l’eût traité à sa façon, car dans le Gargantua de Rabelais, chap. XXXIII, un vieux routier dit au roi Pichrochole qui projetait la conquête du monde : « Toute cette entreprise sera semblable à la farce du Pot au lait, duquel un cordouannier se faisoit riche par resverie ; puis, le pot cassé, n’eust de quoy disner. » Cette farce du Pot au lait est malheureusement perdue. La Fontaine a tiré de là une de ses plus charmantes fables, la Laitière et le Pot au lait. Voyez aussi les Facetie du Domenichi, liv. V, etc.
  162. On écrivait alors alquemie, pour : alchimie, suivant la manière dont on prononçait ce mot.
  163. Dans un règlement de police fait l'an 1680, à Dijon, un chapon paillé (c'est-à-dire, de paillier) est taxé six sols huits deniers ; il ne coûtoit que deux sols pendant les treizième et quatorzième siècles. (L.M.)
  164. J'ai ouï dire qu'en 1620 et 1630, à Dijon, les plus gros cochons de lait se donnoient encore à 20 sols, les médiocres à 10, et les petits à 5. (L.M.)
  165. La Monnoye cite à ce propos le proverbe espagnol suivant : Mula que hace hin y muger que parla latin, nunca hizieron buena fin (Mule qui fait hin et femme qui parle latin, jamais ne font bonne fin).
  166. Allumé leurs fournaux.
  167. Bouché des vases hermétiquement avec du lut, enduit chimique.
  168. Sœur de Moïse et d’Aaron ; les alchimistes, qui en avaient fait une prophétesse et une adepte de la science hermétique, ont donné son nom (Balnæum Mariæ) à la préparation si connue que nous appelons encore bain-marie.
  169. L’ouvrage apocryphe que les alchimistes attribuaient à cette Marie, qui l’avait écrit, disaient-ils, sous l’inspiration divine, est intitulé : de Lapide philosophiæ.
  170. Jacques de Voragine, auteur de la Legenda aurea, et Pierre de Natalibus, auteur du Catalogus Sanctorum, disent la même chose, dans la vie de sainte Marguerite, car la pierre philosophale était presque un article de foi, au moyen âge.
  171. Esprits, farfadets. Voy. ci-dessus, p. 31, la note de La Monnoye.
  172. Avec, en outre, de surplus.
  173. Creuser ; de cavare.
  174. L'auteur anonyme du Cabinet du Roy de France (1581, in-8) dit que les magiciens ont fait un inventaire de la monarchie diabolique, avec les noms des soixante-douze princes et de sept millions quatre cent cinq mille neuf cent vingt diables ! Voyez p. 51 de ce singulier livre, attribué à Nicolas Froumenteau.
  175. Colonels, caporal, lancespessades (c'est-à-dire, en italien, lances rompues), étaient alors des mots nouveaux importés en France par les Italiens qui vinrent s'y établir après le mariage de Catherine de Médicis avec le Dauphin Henri. Voyez ces mots dans le Dictionnaire étymologique de Ménage.
  176. Note de correction wikisource : dans la première édition originale de 1558 R. Granjon (Lyon), on trouve soudars (graphie attestée : E. Marcadé, Le Mystère de la Passion, Arras, a. 1440, 228) alors que dans l'édition de 1561 G. Rouille (Lyon), il y a soldatz.
  177. C'est-à-dire : luter hermétiquement, avec une composition dont les alchimistes attribuaient l'invention à Hermès Trismégiste. Au commencement des Mille et une nuits, il est question d'un génie, que le roi Salomon avait emprisonné dans un vase de plomb scellé à son sceau, pour le jeter au fond de la mer.
  178. Méchante et maudite vermine, parce que les diables affectent de préférence la forme du serpent.
  179. Dorénavant.
  180. Vaillants, vigoureux.
  181. Bien nourris, gaillards, selon La Monnoye, qui s'appuit sur les vieux glossaires.
  182. Vivaces, bons vivants.
  183. Amis du plaisir.
  184. Frais, dispos, gaillards.
  185. Coquets.
  186. Forts ; de l'italien brusco. Cette accumulation d'épithètes qualificatives est tout à fait dans le goût de Rabelais.
  187. Sans y mettre la main, sans culture.
  188. Pour : bétail.
  189. Gueux, coquins ; du bas latin tritanus et trudanus, qui vient du verbe trudere, et du participe trudens.
  190. Travaillaient, piochaient.
  191. Pionniers, francs taupins ; de l'italien guastatori parce qu'ils dévastent tout pour faire leurs travaux.
  192. Les alchimiste, dit M. Lacour, classent ces méchants démons parmi ceux que le sort a condammés à souffrir. S'il les faut croire, des six genres principaux de démons, « il n'y en a que trois espèces qui souffrent, pâtissent et endurent, à sçavoir les feu-fuyants, aquatiques et terrestres, et sont ceux que l'on appellent volontiers incubes et succubes. » (J. Tahureau, Dialogues ; Lyon, 1602, p. 231.)
  193. Les diables. On croyait autrefois que la folie ou l'estre des poëtes et des savants résultait de la présence d'un ver dans le cerveau : ce ver, qu'on avait jamais vu, se nommait ver coquin.
  194. Les pourceaux font beaucoup de dégats dans les champs ensemencés. Allusion aux démons que Jésus fit entrer dans des pourceaux au sortir du corps d'un possédé.
  195. Pour : sempiternelles. C’est une locution inventée par Rabelais.
  196. M. Lacour dit que « cette nouvelle a pris naissance dans l’Inde », et il cite, à l’appui de ce fait un peu hasardé, l'Hitopadesa, receuil d’apologues, traduit du sanscrit par M. Ed. Lancereau. La Fontaine, qui ne savait pas le sancrit, a imité tout bonnement la Nouvelle de Des Periers, dans une de ses fables, liv. III, fable XIX.
  197. Pedisequa se trouve employé dans les comédies de Plaute et de Térence. Ce mot latin s'était francisé, avant que Des Periers eût constaté l'emploi de pedisseque, qui se trouve dans les poésies de J. Lemaire, de Belges.
  198. Juvénal, dans sa satire VIII, fait également honneur de la stupidité bestiale à l'Arcadie, en disant Arcadicus juvenis.
  199. Allusion à cette expression proverbiale : déferrée des quatres pieds. En effet, un cheval qui a perdu tous ses fers n'avance plus qu'en hésitant et trébuche à chaque pas.
  200. Perchoir ; du latin jugum.
  201. « Le jeu de mots seroit plus complet, si, par exemple, une fille disant à un garçon : Secourez-moi ! celui-ci lui répondoit : Oui, je vous secoûrai volontiers. » (L.M.)
  202. Pour : lêchées, petits morceaux.
  203. Expression proverbiale ; avec parcimonie.
  204. Avec.
  205. Garde-moi ; du latin servare.
  206. Pâté de venaison ; de ferina.
  207. Livré aux valets ; au propre, valeté ; de famulus.
  208. Pâté ; de farcimen.
  209. Explication.
  210. Plaisanté, raillé, turlupiné.
  211. Ce mot a été interprété de diverses manières : « fognare, en italien, c'est faire un égoût, dit en italien fogna ; en langage d'argot, fogner, c'est chier : ici, fogner ou fongner, c'est gronder, faire la mine. Le mot foin ! qu'on dit au lieu d'un autre plus gros, est une interjection qui marque du chagrin, de la colère, du dépit. » La Monnoye a indiqué dans cette observation la véritable étymologie et le véritable sens de foindre, qui signifie : dire foin, envoyer au diable.
  212. Expression proverbiale, signifiant qu'ils se raccommodèrent et se remirent en bonne intelligence. « On trouve dans notre conteur, dit M. Lacour, plusieurs comparaisons tirées de l'art musical, qu'il affectionnait. » Voy. Nouvelle LX : « Il fit tant, qu'il accorda ses flutes avec ceste jeune femme, » etc. Ce qui n'empêche pas M. Lacour de s'étonner, dans sa notice sur la vie et les œuvres de Bonaventure Des Periers, que Charles Nodier ait représenté l'auteur du Cymbalum comme sachant du luth et s'occupant de musique.
  213. Mis à contribution, obéré d'un impôt.
  214. Afferer, du latin afferre, apporter.
  215. Grondait, réprimandait, querellait.
  216. Ce passage nous apprend que ces deux mots, empruntés au latin, n'étaient pas encore admis dans la langue française.
  217. Impertinente, insulsa.
  218. Sotte, nugigerula.
  219. Ignorante, imperita.
  220. La grammaire latine de Donat était la seule en usage dans toutes les Universités. On donnait au livre même le nom de son auteur, Ælius Donatus, en français Donat, grammairien du quatrième siècle.
  221. Nourrie, servie.
  222. L’assistance, l’assemblée.
  223. Philippe de Luxembourg avait été évêque du Mans et cardinal ; il était né en 1445, et mourut en 1519. Il joua un rôle politique important sous le règne de Louis XII. « Philippe est fondateur du collège du Mans, en l’Université de Paris, dit La Croix du Maine, dans sa Bibliographie françoise, et a basti plusieurs superbes palais et maisons somptueuses et entre autres le chasteau d’Yvray-l’Evesque, à une lieue du Mans, etc. »