D’un Coq et d’une Perle précieuse

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D’un Coq et d’une Perle précieuse
Traduction par Jean-Baptiste Morvan de Bellegarde.
chez les Heritiers de Rothe et Proft (p. 77-78).

FABLE I.

D’un Coq, & d’une Pierre précieuſe.

Un Coq en grattant un fumier, trouva par hazard une pierre précieuſe ; il la conſidéra pendant quelque tems, et dit avec une eſpece de mépris : de quoi me peut ſervir une choſe ſi belle & ſi brillante ? Elle ſeroit bien mieux entre les mains d’un Lapidaire qui en connoîtroit le prix et l’uſage qu’il en faut faire. Mais pour moi qui n’en puis retirer aucune utilité, je préférerois un ſeul grain d’orge à toutes les Pierres précieuſes du monde.


SENS MORAL.

Les choſes ne ſont eſtimables qu’autant qu’elles ſont utiles & néceſſaires, l’on en doit faire peu de cas, quand elles ne ſervent qu’au luxe & à la vanité. Ce n’eſt que l’opinion des hommes & le caprice qui donne le prix à la plûpart des choſes qu’ils eſtiment tant, & dont ils recherchent la poſſeſſion avec tant d’avidité. Celles qui ſont rares, & qu’on ne peut acquérir qu’avec de grands ſoins & de grandes dépenſes, deviennent précieuſes par leur rareté, quoique l’on n’en retire pas de grands avantages, & qu’elles ne ſervent qu’à amuſer les curieux. Il eſt aſſez difficile de déterminer le prix de chaque choſe en particulier, parce que chacun en juge ſelon le beſoin qu’il en a, ou ſelon les avantages qu’il en peut retirer. Une belle perle bien nette & d’une belle eau eſt tres-aimable, quand elle tombe entre les mains des connoiſſeurs, ils ne font nulle difficulté d’en donner le prix qu’elle vaut ; mais Eſop avoit raiſon de faire dire au Coq qu’il préféreroit un grain d’orge à toutes les perles de l’Orient, dont il ne pouvoit retirer aucune utilité. Quelques Philoſophes ont conſidéré le Coq comme le ſymbole d’un homme voluptueux, qui préfere les plaiſirs des ſens aux choſes les plus précieuſes, à l’honneur, aux ſciences, à la gloire ; & qui néglige de les acquérir quand il faut pour cela ſe détourner ou ſe priver de ſes plaiſirs.

Le bien le plus exquis ne ſçauroit être un bien
S’il n’apporte aucun avantage.
Amaſſe des tréſors, & n’en fais nul uſage,
Tu crois avoir beaucoup, Avare, & tu n’as rien.