De l’égalité des deux sexes/Première partie

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Antoine Dezallier (p. 17-91).
DE L’ÉGALITÉ DES DEUX SEXES

PREMIERE PARTIE,


Où l’on montre que l’opinion vulgaire eſt un préjugé, & qu’en comparant ſans intereſt ce que l’on peut remarquer dans la conduite des hommes & des femmes, on eſt obligé de reconnoiſtre entre les deux Sexes une égalité entiere.



Les hommes ſont perſuadez d’une infinité de choſes dont ils ne ſçauroient rendre raiſon ; parce que Que les hommes ſont remplis de préjugez.leur perſuaſion n’eſt fondée que ſur de legeres apparences, auſquelles ils ſe ſont laiſſez emporter ; & ils euſſent crû auſſi fortement le contraire, ſi les impreſſions des ſens ou de la coûtume les y euſſent déterminez de la meſme façon.

Hors un petit nombre de ſçavans, tout le monde tient comme une choſe indubitable, que c’eſt le Soleil qui ſe meut au tour de la terre : quoy que ce qui paroiſt dans la revolution des jours & des années, porte également ceux qui y font attention, à penſer que c’eſt la terre qui ſe meut au tour du Soleil. L’on s’imagine qu’il y a dans les beſtes quelque connoiſſance qui les conduit, par la méme raiſon que les Sauvages ſe figurent qu’il y a un petit démon dans les horloges & dans les machines qu’on leur monſtre ; dont ils ne connoiſſent point la fabrique ni les reſſorts.

Si l’on nous avoit élevez au milieu des mers, ſans jamais nous faire approcher die la terre, nous n’euſſions pas manqué de croire en changeant de place ſur un vaiſſeau, que ç’euſſent eſté les rivages qui ſe ſuſſent éloignez de nous comme le croyent les enfans au départ des bateaux. Chacun eſtime que ſon païs eſt le meilleur, parce qu’il y eſt plus accoûtumé, & que la religion dans laquelle il a eſté nourri, eſt la veritable qu’il faut ſuivre, quoy qu’il n’ait peut-eſtre jamais ſongé à l’examiner ni à la comparer avec les autres. On ſe ſent toûjours plus porté pour ſes compatriotes que pour les étrangers, dans les affaires où le droit meſme eſt pour ceux-cy. Nous nous plaiſons davantage avec ceux de nôtre proſeſſion, encore qu’ils ayent moins d’eſprit & de vertu. Et l’inégalité des biens & des conditions fait juger à beaucoup de gens que les hommes ne ſont point égaux entr’eux.

Si on cherche ſurquoy ſont fondées toutes ces opinions diverſes, on trouvera qu’elles ne le ſont que ſur l’intereſt, ou ſur la coûtume ; & qu’il eſt incomparablement plus difficile de tirer les hommes des ſentimens où ils ne ſont que par préjugé, que de ceux qu’ils ont embraſſez par le motif des raiſons qui leur ont paru les plus convaincantes & les plus fortes.

L’on peut mettre au nombre de ces jugemens celuy qu’on porte vulgairement ſur la difference des deux Sexes, & ſur tout ce qui en dépend. Il n’y en a point de plus ancien ni de plus univerſel. Les ſçavans & les ignorans ſont tellement prévenus de la penſée que les femmes ſont inferieures aux hommes en capacité & en merite, & qu’elles doivent eſtre dans la dépendance où nous les voyons, qu’on ne manquera pas de regarder le ſentiment contraire comme un paradoxe[1] ſingulier.

Cependant il ne ſeroit pas neceſſaire pour l’établir, d’employer aucune raiſon poſitive, ſi les hommes eſtoient plus équitables & moins intereſſez dans leurs jugemens. Il ſuffiroit de les avertir qu’on n’a parlé juſqu’à preſent qu’à la legere de la difference des deux Sexes, au déſavantage des femmes ; & que pour juger ſainement ſi le noſtre a quelque prééminence naturelle par deſſus le leur, Ce qu’il faut faire pour bien juger des choſes.il faut y penſer ſerieuſement & ſans intereſt, renonçant à ce qu’on en a crû ſur le ſimple rapport d’autruy, & ſans l’avoir examiné.

Il eſt certain qu’un homme qui ſe mettroit en cét état d’indifference & de deſintereſſement, reconnoiſtroit d’une part que c’eſt le peu de lumiere & la précipitation qui font tenir que les femmes ſont moins nobles & moins excellentes que nous : & que c’eſt quelques indiſpoſitions naturelles, qui les rendent ſujettes aux deffauts & aux imperfections qu’on leur attribuë & mépriſables à tant de gens. Et de l’autre part, il verroit que les apparences mémes qui trompent le peuple ſur leur ſujet, lorſqu’il les paſſe legerement, ſerviroient à le détromper s’il les approfondiſſoit un peu. Enfin, ſi cét homme eſtoit Philoſophe, il trouveroit qu’il y a des raiſons Phiſiques qui prouvent invinciblement que les deux Sexes ſont égaux pour le corps & pour l’eſprit.

Mais comme il n’y a pas beaucoup de perſonnes en eſtat de pratiquer eux ſeuls cét avis, il demeureroit inutile, ſi on ne prenoit la peine de travailler avec eux pour les aider à s’en ſervir : & parce que l’opinion de ceux qui n’ont point d’étude eſt la plus generale, c’eſt par elle qu’il faut commencer noſtre examen.

Si l’on demande à chaque homme en particulier ce qu’il penſe des femmes en general, & qu’il le veüille avoüer ſincerement Ce que les hommes croyent des femmes. il dira ſans doute qu’elles ne ſont faites que pour nous, & qu’elles ne ſont gueres propres qu’à élever les enfans dans leur bas âge, & à prendre le ſoin du ménage. Peut-eſtre que les plus ſpirituels ajoûteroient qu’il y a beaucoup de femmes qui ont de l’eſprit & de la conduite ; mais que ſi l’on examine de prés celles qui en ont le plus, on y trouvera toûjours quelque choſe qui ſent leur Sexe : qu’elles n’ont ny fermeté ni arreſt, ni le fond d’eſprit qu’ils croient reconnoiſtre dans le leur, & que c’eſt un effet de la providence divine & de la ſageſſe des hommes, de leur avoir fermé l’entrée des ſciences, du gouvernement, & des emplois : que ce ſeroit une choſe plaiſante de voir une femme enſeigner dans une chaire, l’éloquence ou la medecine en qualité de profeſſeur : marcher par les ruës, ſuivie de Commiſſaires & de Sergens pour y mettre la police : haranguer devant les Juges en qualité d’Avocat : eſtre aſſiſe ſur un Tribunal pour y rendre Juſtice, à la teſte d’un Parlement : conduire une armée, livrer une bataille : & parler devant les Republiques ou les Princes comme Chef d’une Ambaſſade.

J’avoüe que cét uſage nous ſurprendroit : mais ce ne ſeroit que par la raiſon de la nouveauté. Si en formant les états & en établiſſant les differens emplois qui les compoſent, on y avoit auſſi appellé les femmes, nous ſerions accoûtumez à les y voir, comme elles le ſont à noſtre égard. Et nous ne trouverions pas plus étrange de les voir ſur les Fleurs de Lys, que dans les boutiques.

Si on pouſſe un peu les gens, on trouvera que leurs plus fortes raiſons ſe reduiſent à dire que les choſes ont toûjours eſté comme elles ſont, à l’égard des femmes : ce qui eſt une marque qu’elles doivent eſtre de la ſorte : & que ſi elles avoient eſté capables des ſciences & des emplois, les hommes les y auroient admiſes avec eux.

Fauſſe idée de la coûtume.Ces raiſonnemens viennent de l’opinion qu’on a de l’équité de noſtre Sexe, & d’une fauſſe idée que l’on s’eſt forgée de la coûtume. C’eſt aſſez de la trouver établie, pour croire qu’elle eſt bien fondée. Et comme l’on juge que les hommes ne doivent rien faire que par raiſon, la pluſpart ne peuvent s’imaginer qu’elle n’ait pas eſté conſultée pour introduire les pratiques qu’ils voyent ſi univerſellement reçuës ; & l’on ſe figure, que c’eſt la raiſon & la prudence qui les ont faites, à cauſe que l’une & l’autre obligent de s’y conformer lorſqu’on ne peut ſe diſpenſer de les ſuivre, ſans qu’il arrive quelque trouble.

Chacun void en ſon païs les femmes dans une telle ſujettion, qu’elles dépendent des Pourquoy on croit les femmes inferieures aux hommes.hommes en tout ; ſans entrée dans les ſciences, ny dans aucun des états qui donnent lieu de ſe ſignaler par les avantages de l’eſprit. Nul ne rapporte qu’il ait veu les choſes autrement à leur égard. On ſçait auſſi qu’elles ont toûjours eſté de la ſorte, & qu’il n’y a point d’endroit de la terre où on ne les traitte comme dans le lieu où l’on eſt. Il y en a méme où on les regarde comme des eſclaves. A la Chine on leur tient les pieds petits dés leur enfance, pour les empeſcher de ſortir de leurs maiſons, où elles ne voyent preſque jamais que leurs maris & leurs enfans. En Turquie les Dames ſont reſſerrées d’auſſi prés. Elles ne font gueres mieux en Italie, Quaſi tous les peuples d’Aſie, de l’Afrique, & de l’Amerique uſent de leurs femmes, comme on fait icy des ſervantes. Par tout on ne les occupe que de ce que l’on conſidere comme bas ; & parce qu’il n’y a quelles qui ſe mélent des menus ſoins du ménage & des enfans, l’on ſe perſuade communément qu’elles ne ſont au monde que pour cela, & qu’elles ſont incapables de tout le reſte. On a de la peine à ſe repreſenter comment les choſes pourroient eſtre bien d’une autre façon ; & il paroiſt méme qu’on ne les pourroit jamais changer, quelque effort que l’on fiſt.

Les plus ſages Legiſlateurs, en fondant leurs Republiques n’ont rien étably qui fuſt favorable aux femmes pour ce regard. Toutes les Loix ſemblent n’avoir eſté faites que pour maintenir les hommes dans la poſſeſſion où ils ſont. Preſque tout ce qu’il y a eu de gens qui ont paſſé pour ſçavans & qui ont parlé des femmes, n’ont rien dit à leur avantage : & l’on trouve la conduite des hommes ſi uniforme à leur endroit, dans tous les ſiecles & par toute la terre, qu’il ſemble qu’ils y font entrez de concert, ou bien, comme pluſieurs s’imaginent, qu’ils ont eſté portez à en uſer de la ſorte, par un inſtinct ſecret ; c’eſt-à-dire, par un ordre general de l’Autheur de la nature.

On ſe le perſuade encore davantage en conſiderant de quelle façon les femmes mêmes ſupportent leur condition. Elles la regardent comme leur eſtant naturelle. Soit qu’elles ne penſent point à ce qu’elles font, ſoit que naiſſant & croiſſant dans la dépendance, elles la conſiderent de la même maniere que font les hommes. Sur toutes ces veuës, les unes & les autres ſe portent à croire, & que leurs eſprits ſont auſſi differens que leurs corps, & qu’il doit y avoir entre les deux Sexes, autant de diſtinction, dans toutes les fonctions de la vie, qu’il y en a entre celles qui leur ſont particulieres. Cependant cette perſuaſion comme la pluſpart de celles que nous avons ſur les coûtumes & ſur les uſages n’eſt qu’un pur préjugé, que nous formons ſur l’apparence des choſes, faute de les examiner de prés, & dont nous nous détromperions, ſi nous pouvions nous donner la peine de remonter juſqu’à la ſource, & juger en beaucoup de rencontres de ce qui s’eſt Comment il faut juger des Coûtumes Anciennes. fait autrefois, par ce qui ſe fait aujourd’huy, & des Coûtumes Anciennes par celles que nous voyons s’établir de noſtre temps. Si on avoit ſuivi cette regle, en une infinité de jugemens ; on ne ſeroit pas tombé en tant de mépriſes : & dans ce qui concerne la condition preſente des femmes, on auroit reconnu qu’elles n’ont eſté aſſujetties que par la Loy du plus fort, & que ce n’a pas eſté faute de capacité naturelle ni de merite qu’elles n’ont point partagé avec nous, ce qui éleve noſtre Sexe au deſſus du leur.

En effet quand on conſidere ſincerement les choſes humaines dans le paſſé & dans le preſent, on trouve qu’elles ſont toutes ſemblables en un point, qui eſt que la raiſon a toûjours eſté la plus foible : & il ſemble que toutes les hiſtoires n’ayent eſté faites, que Comment on s’est toûjours gouverné. pour montrer ce que chacun void de ſon temps, que depuis qu’il y a des hommes, la force a toûjours prévalu. Les plus grands empires de l’Aſie ont eſté dans leur commencement l’ouvrage des uſurpateurs & des brigands : & les débris de la monarchie des Grecs & des Romains, n’ont eſté recüeillis que par des gens qui ſe crurent aſſez forts pour reſiſter à leurs maiſtres & pour dominer ſur leurs égaux. Cette conduite n’eſt pas moins viſible dans toutes les ſocietez : & ſi les hommes en uſent ainſi à l’égard de leurs pareils, il y a grande apparence qu’ils l’ont fait d’abord à plus forte raiſon, chacun à l’égard de ſa femme. Voicy à Conjecture hiſtorique. peu prés comment cela eſt arrivé.

Les hommes remarquant qu’ils eſtoient les plus robuſtes,Comment les hommes ſe ſont rendus les maiſtres. & que dans le rapport du Sexe ils avoient quelqu’avantage de corps, ſe figurerent qu’il leur appartenoit en tout. La conſequence n’eſtoit pas grande pour les femmes au commencement du monde. Les choſes eſtoient dans un état tres-different d’aujourd’huy, il n’y avoit point encore de gouvernement, de ſcience, d’employ, ny de religion établie : Et les idées de dépendance n’avoient rien du tout de fâcheux. Je m’imagine qu’on vivoit alors comme des enfans, & que tout l’avantage eſtoit comme celuy du jeu : les hommes & les femmes qui eſtoient alors ſimples & innocens, s’employoient également à la culture de la terre ou à la chaſſe comme font encore les ſauvages. L’homme alloit de ſon coſté & la femme alloit du ſien ; celuy qui apportoit davantage eſtoit auſſi le plus eſtimé.

Les incommoditez & les ſuites de la groſſeſſe diminuant les forces des femmes durant quelqu’intervalle, & les empeſchant de travailler comme auparavant, l’aſſiſtance de leurs maris leur devenoit abſolument neceſſaire, & encore plus lorſqu’elles avoient des enfans. Tout ſe terminoit à quelques regards d’eſtime & de preferance, pendant que les familles ne furent compoſées que du pere & de la mere avec quelques petits enfans. Mais lorsqu’elles ſe furent aggrandies, & qu’il y eut en une meſme maiſon, le pere & la mere du pere, les enfans des enfans, avec des freres & des ſœurs, des ainez & des cadets ; la dépendence s’étendit, & devint ainſi plus ſenſible. On vid la maiſtreſſe ſe ſoûmettre à ſon mary, le fils honorer le pere, celuy-cy commander à ſes enfans : & comme il eſt tres-difficile que les freres s’accordent toûjours parfaitement, on peut juger qu’ils ne furent pas long-temps enſemble, qu’il n’arrivaſt entr’eux quelque different. L’aîné plus fort que les autres, ne leur voulut rien ceder. La force obligea les petits de ployer ſous les plus grands. Et les filles ſuivirent l’exemple de leur mere.

Il eſt aiſé de s’imaginer qu’il y eut alors dans les maiſons plus de fonctions differentes ; que les femmes obligées d’y demeurer pour élever leurs enfans, prirent le ſoin du dedans : que les hommes eſtant plus libres & plus robuſtes ſe chargerent du dehors, & qu’aprés la mort du pere & de la mere, l’aîné voulut dominer. Les filles accoûtumées à demeurer au logis, ne penſerent point à en ſortir. Quelques cadets mécontens & plus fiers que les autres refuſant de prendre le joug, furent obligez de ſe retirer & de faire bande à part. Pluſieurs de meſme humeur s’eſtant rencontrez s’entretinrent de leur fortune, & firent aiſement amitié : & ſe voyans tous ſans bien, chercherent les moyens d’en acquerir. Comme il n’y en avoit point d’autre que de prendre celuy d’autruy, ils ſe jetterent ſur celuy qui eſtoit le plus en main ; & pour le conſerver plus ſurement, ſe ſaiſirent en même temps des maiſtres auſquels il appartenoit.

La dépendance volontaire qui eſtoit dans les familles ceſſa par cette invaſion. Les peres & les meres furent contraints d’obeïr, avec leurs enfans à un injuſte uſurpateur : & la condition des femmes en devint plus facheuſe qu’auparavant. Car au lieu qu’elles n’avoient épouſé juſque-là que des gens de leur famille qui les traittoient comme ſœurs ; elles furent aprés cela contraintes de prendre pour maris des étrangers inconnus qui ne les conſidererent que comme le plus beau du butin.

C’est l’ordinaire des vainqueurs de mépriſer ceux d’entre les vaincus, qu’ils eſtiment les plus foibles. Pourquoy les femmes n’ont point eu de part aux premiers emplois.Et les femmes le paroiſſant, à cauſe de leurs fonctions qui demandoient moins de force, furent regardées comme étant inferieures aux hommes.

Quelques uns ſe contenterent d’une premiere uſurpation : mais d’autres plus ambitieux, encouragez par le ſuccés de la victoire voulurent pouſſer plus loin leurs conqueſtes. Les femmes eſtant trop humaines pour ſervir à ces injuſtes deſſeins, on les laiſſa au logis : & les hommes furent choiſis comme eſtant plus propres aux entrepriſes où l’on a beſoin de force. En cét eſtat l’on n’eſtimoit les choſes qu’autant qu’on les croyoit utiles à la fin qu’on ſe propoſoit ; & le deſir de dominer eſtant devenu une des plus fortes paſſions, & ne pouvant eſtre ſatisfait que par la violence & l’injuſtice, il ne faut pas s’eſtonner que les hommes en ayant eſté ſeuls les inſtruments, ayent eſté preferez aux femmes. Ils ſervirent à retenir les conqueſtes qu’ils avoient faites : on ne prit que leurs conſeils pour eſtablir la tyrannie, parce qu’il n’y avoit qu’eux qui les puſſent executer : & de cette forte la douceur & l’humanité des femmes fut cauſe qu’elles n’eurent point de part au gouvernement des Etats.

L’exemple des Princes fut bien-toſt imité par leurs Sujets. Chacun voulut l’emporter ſur ſon compagnon : Et les particuliers commencerent à dominer plus abſolument ſur leurs familles. Lorsqu’un Seigneur ſe vid maiſtre d’un Peuple & d’un Païs coniſderable, il en forma un Royaume ; Il fit des loix pour le gouverner, prit des Officiers entre les hommes, & eſleva aux Charges ceux qui l’avoient mieux ſervy dans ſes entrepriſes. Une preferance ſi notable d’un ſexe à l’autre fit que les femmes furent encore moins conſiderées : & leur humeur & leurs fonctions les éloignant du carnage & de la guerre, on crut qu’elles n’eſtoient capables de contribuer à la conſervation des Royaumes, qu’en aidant à les peupler.

L’établissement des Etats ne ſe pût faire ſans mettre de la diſtinction entre ceux qui les compoſoient. L’on introduiſit des marques d’honneur, qui ſervirent à les diſcerner ; & on inventa des ſignes de reſpect pour témoigner la difference qu’on reconnoiſſoit entre eux. On joignit ainſi à l’idée de la puiſſance la ſoûmiſſion exterieure, que l’on rend à ceux qui ont l’authorité entre les mains.

Il n’eſt pas neceſſaire de dire icy comment Dieu a eſté connu des hommes : mais il eſt conſtant qu’il en a eſté adoré depuis le commencement du monde. Pour le culte qu’on luy a rendu, il n’a eſté regulier que depuis qu’on s’eſt aſſemblé pour faire des Societez publiques. Comme l’on eſtoit accoûtumé à reverer les Comment les femmes n’ont point eu de part aux miniſteres de la religion parmy les Payens.Puiſſances par des marques de reſpect, on crût qu’il falloit auſſi honnorer Dieu par quelques ceremonies, qui ſerviſſent à témoigner les ſentimens qu’on avoit de ſa grandeur. On baſtit des Temples ; on inſtitua des Sacrifices : & les hommes qui eſtoient déja les maiſtres du Gouvernement ne ne manquerent pas de s’emparer encore du ſoin de ce qui concernoit la Religion : & la coûtume ayant déja prévenu les femmes, que tout appartenoit aux hommes, elles ne demanderent point d’avoir part au miniſtere. L’idée qu’on avoit de Dieu s’eſtant extrémement corrompuë par les fables & par les fictions poëtiques ; l’on ſe forgea des Divinitez mâles, & femelles : & l’on inſtitua des Preſtreſſes pour le ſervice de celles de leur ſexe ; mais ce ne fut que ſous la conduite & ſous le bon plaiſir des Preſtres.

L’on a veu auſſi quelquesfois des femmes gouverner de grands Eſtats : mais il ne faut pas pour cela s’imaginer, que c’eſt qu’elles y euſſent eſté appellées, par eſprit de reſtitution ; c’eſt qu’elles avoient eu l’adreſſe de diſpoſer les affaires de ſorte qu’on ne pouvoit leur oſter l’authorité d’entre les mains. Il y a aujourd’huy des Etats hereditaires où les femelles ſuccedent aux mâles, pour eſtre Reines ou Princeſſes ; mais il y a ſujet de croire, que ſi on a laiſſé d’abord tomber ces Royaumes-là en quenouïlle, ce n’a eſté que pour éviter de tomber en guerre civile : & ſi l’on a permis les Regences, on ne l’a fait que dans la penſée que les meres, qui aiment toûjours extraordinairement leurs enfans, prendroient un ſoin particulier de leurs Etats, pendant leur minorité.

Pourquoy elles n’ont point eu de part aux ſciences.Ainsi les femmes n’ayant eu à faire que leur ménage, & y trouvant aſſez dequoy s’occuper, il ne faut pas s’étonner qu’elles n’ayent point inventé de ſciences, dont la pluſpart n’ont eſté d’abord, que l’ouvrage & occupation des oyſifs & des faineants. Les Preſtres des Egyptiens qui n’avoient pas grand’choſe à faire, s’amuſoient enſemble à parler des effets de la nature, qui les touchoient davantage. A force de raiſonner, ils firent des obſervations dont le bruit excita la curioſité de quelques hommes qui les vinrent rechercher. Les ſciences n’eſtant encore qu’au berceau, ne tirerent point les femmes de leurs maiſons ; outre que la jalouſie qui broüilloit déja les maris, leur eût fait croire qu’elles euſſent eſté viſiter les Preſtres plûtoſt pour l’amour de leur perſonne, que des connoiſſances qu’ils avoient.

Lorsque pluſieurs en furent imbus, ils s’aſſemblerent en certains lieux pour en parler plus à leur aiſe. Chacun diſant ſes penſées, les ſcienſes ſe perfectionnerent. On fit des Academies, où l’on n’appella point les femmes ; & elles furent de cette ſorte excluës des ſciences, commes elles l’étoient du reſte.

La contrainte dans laquelle on les retenoit, n’empécha pas que quelques-unes n’euſſent l’entretien ou les écrits des ſçavants : elles égalerent en peu de temps les plus habiles : & comme on s’eſtoit déja forgé une bien-ſeance importune, les hommes n’oſant venir chez elles, ny les autres femmes s’y trouver, de peur qu’on n’en priſt ombrage, elles ne firent point de diſciples ny de ſectateurs, & tout ce qu’elles avoient acquis de lumiere mouroit inutilement avec elles.

Si l’on obſerve comment les modes s’introduiſent & s’embelliſſent de jour en jour, on jugera aiſement qu’au commencement du monde, on ne s’en mettoit gueres en peine. Tout y eſtoit ſimple & groſſier. On ne ſongeoit qu’au neceſſaire. Les hommes écorchoient des beſtes, & en attachant les peaux enſemble s’en adjuſtoient des habits. Le commode vint aprés : & chacun s’habillant à ſa guiſe, les manieres qu’on trouva qui ſeoient le mieux, ne furent point negligées : & ceux qui eſtoient ſous le meſme Prince ne manquerent pas de ſe conformer à luy.

Pourquoy les femmes ſe ſont jetées dans la bagatelle.Il n’en fut pas des modes comme du gouvernement & des ſciences. Les femmes y eurent part avec les hommes : & ceux-cy remarquant qu’elles en eſtoient plus belles, n’eurent garde de les en priver : & les uns & les autres trouvant qu’on avoit meilleure grace & qu’on plaiſoit d’avantage avec certains ajuſtemens, les rechercherent à l’envy : mais les occupations des hommes étant plus grandes & plus importantes, les empécherent de s’y appliquer ſi fort.

Les femmes montrèrent en cela leur prudence & leur adreſſe. S’appercevant que les ornemens étrangers les faiſoient regarder des hommes avec plus de douceur, & qu’ainſi leur condition en eſtoit plus ſupportable, elles ne negligerent rien de ce qu’elles crûrent pouvoir ſervir à ſe rendre plus aimables. Elles y employerent l’or, l’argent, & les pierreries, auſſi-toſt qu’elles furent en vogue : & voyant que les hommes leur avoient oſté le moyen de ſe ſignaler par l’eſprit, elles s’appliquerent uniquement à ce qui pouvoit les faire paroître plus agreables. Elles s’en ſont depuis fort bien trouvées, & leurs ajuſtemens & leur beauté les ont fait conſiderer plus que n’auroient fait tous les livres & toute la ſcience du monde. La coûtume en eſtoit trop bien établie pour recevoir quelque changement dans la ſuite ; la pratique en a paſſé juſques à nous : & il ſemble que c’eſt une tradition trop ancienne pour y trouver quelque choſe à redire.

Il paroiſt manifeſtement par cette conjecture hiſtorique & conforme à la maniere d’agir ſi ordinaire à tous les hommes, que ce n’a eſté que par empire qu’ils ſe ſont reſervé les avantages exterieurs, auſquels les femmes n’ont point de part. Car afin de pouvoir dire que ç’a eſté par raiſon, il faudroit qu’ils ne les communiquaſſent entr’eux qu’à ceux Ce que devroient faire les hommes pour justifier leur conduite à l’égard des femmes.qui en ſont les plus capables : qu’ils en fiſſent le choix avec un juſte diſcernement ; qu’ils n’admiſſent à l’étude que ceux en qui ils auroient reconnu plus de diſpoſition pour les ſciences ; qu’ils n’élevaſſent aux emplois que ceux qui y ſeroient les plus propres, qu’on en excluſt tous les autres, & qu’enfin on n’appliquaſt chacun qu’aux choſes qui leur ſeroient les plus convenables.

Comment les hommes entrent dans les emplois.Nous voyons que c’eſt le contraire qui ſe pratique & qu’il n’y a que le hazard, la neceſſité, ou l’intereſt, qui engage les hommes dans les états differens de la ſocieté civile. Les enfans apprennent le métier de leur pere, parce qu’on leur en a toûjours parlé. Tel eſt contraint de prendre une robe, qui aimeroit mieux une épée, ſi cela eſtoit à ſon choix ; & on ſeroit le plus habile homme du monde qu’on n’entrera jamais dans une charge, ſi l’on n’a pas dequoy l’acheter.

Combien y a-t-il de gens dans la pouſſiere, qui ſe fuſſent ſignalez ſi on les avoit un peu pouſſez ? Et de païſans qui ſeroient de grands docteurs ſi on les avoit mis à l’étude ? On ſeroit aſſez mal fondé de prétendre que les plus habiles gens d’aujourd’huy ſoient ceux de leur temps qui ont eu plus de diſpoſition pour les choſes en quoy ils éclatent ; & que dans un ſi grand nombre de perſonnes enſevelies dans l’ignorance, il n’y en a point qui avec les meſmes moyens qu’ils ont eu, ſe fuſſent rendu plus capables.

Surquoy donc petit-on aſſurer que les femmes y ſoient moins propres que nous, puiſque ce n’eſt pas le hazard, mais une neceſſité inſurmontable, qui les empeſche d’y avoir part. Je ne ſoûtiens pas qu’elles ſoient toutes capables des ſciences & des emplois, ny que chacune le ſoit de tous : perſonne ne le prétend non plus des hommes ; mais je demande ſeulement qu’à prendre les deux Sexes en general, on reconnoiſſe dans l’un autant de diſpoſition que dans l’autre.

Comparaiſon des jeunes enfans de l’un & de l’autre Sexe.Que l’on regarde ſeulement ce qui ſe paſſe dans les petits divertiſſemens des enfans. Les filles y font paroiſtre plus de gentilleſſe, plus de genie, plus d’adreſſe ; lorſque la crainte ou la honte n’étouffent point leurs penſées, elles parlent d’une maniere plus ſpirituelle & plus agreable. Il y a dans leurs entretiens plus de vivacité, plus d’enjoüemens, & plus de liberté : elles apprennent bien plus vîte ce qu’on leur enſeigne ? quand on les applique également : elles ſont plus aſſiduës, & plus patientes au travail, plus ſoûmiſes, plus modeſtes & plus retenuës. En un mot, on remarque en elles dans un degré plus parfait, toutes les qualitez excellentes, qui font juger que les jeunes hommes en qui elles ſe trouvent, ſont plus propres aux grandes choſes que leurs égaux.

Cependant, quoyque ce qui paroiſt dans les deux Sexes, lors qu’ils ne ſont encore qu’au berçeau, ſuffiſe déja pour faire juger que le plus beau donne auſſi plus de belles eſperances, on n’y a aucun égard. Les maiſtres & les inſtructions ne ſont que pour les hommes : on prend un ſoin tout particulier de les inſtruire de tout ce qu’on croit le plus propre à former l’eſprit, pendant qu’on laiſſe languir les femmes, dans l’oiſiveté, dans la moleſſe, & dans l’ignorance, ou remper dans les exercices les plus bas & les plus vils.

Mais auſſi, il ne faut que des yeux pour reconnoître, qu’il eſt en cela de deux Sexes, comme de deux freres dans une famille, ou le cadet fait voir ſouvent, nonobſtant la negligence avec laquelle on l’éleve, que ſon aîné n’a pardeſſus luy que l’avantage d’eſtre venu le premier.

Que l’étude eſt inutile à la pluſpart des hommes.A quoy ſert ordinairement aux hommes l’éducation qu’on leur donne : elle eſt inutile à la pluſpart pour la fin qu’on s’y propoſe : & elle n’empêche pas que beaucoup ne tombent dans le déreglement & dans le vice, & que d’autres ne demeurent toûjours ignorans, & méme ne deviennent encore plus ſots qu’ils n’étoient. S’ils avoient quelque choſe d’honneſte, d’enjoüé, & de civil, ils le perdent par l’étude. Tout les choque, & ils choquent tout ; on diroit qu’ils ne ſe ſeroient occupez durant leur jeuneſſe, qu’à voyager dans un païs où ils n’auroient frequenté que des ſauvages ; tant ils raportent chez-eux de rudeſſe & de groſſiereté dans leurs manieres. Ce qu’ils ont appris eſt comme des marchandiſes de contrebande, qu’ils n’oſeroient, ou ne ſçauroient debiter : & s’ils veulent rentrer dans le monde & y bien joüer leur perſonnage, ils ſont obligez d’aller à l’école des Dames, pour y apprendre, la politeſſe, la complaiſance, & tout le dehors qui fait aujourd’huy l’eſſentiel des honneſtes gens.

Si l’on confideroit cela de prés, au lieu de mépriſer les femmes, parce qu’elles n’ont pas de part aux ſciences, on les en eſtimeroit heureuſes : puis que ſi d’un coſté, elles ſont privées par là des moyens de faire valoir les talens, & les avantages qui leur ſont propres ; de l’autre coſté, elles n’ont pas l’occaſion de les gâter ou de les perdre : & nonobſtant cette privation, elles croiſſent en vertu, en eſprit & en bonne grace, à meſure qu’elles croiſſent en âge : & ſi l’on comparoit ſans préjugé les jeunes hommes au ſortir de leurs études, avec des femmes de leur âge, & d’un eſprit proportionné, ſans ſçavoir comment les uns & les autres ont eſté élevez, on croiroit qu’ils ont eu une éducation toute contraire.

L’exterieur ſeul, l’air du viſage, les regards, le marcher, la contenance, les geſtes, ont dans les femmes quelque choſe de poſé, de ſage, & d’honneſte, qui les diſtingue aſſez des hommes. Elles obſervent en tout exactement la bien-ſeance : on ne peut eſtre plus retenu qu’elles le ſont.Difference des deux Sexes dans les manieres. On n’entend point ſortir de leur bouche de paroles à double entente. Les moindres équivoques bleſſent leurs oreilles, & elles ne peuvent ſouffrir la veuë de tout ce qui choque la pudeur.

Le commun des hommes a une conduite toute oppoſée. Leur marcher eſt ſouvent précipité, leurs geſtes bizarres, leurs yeux mal reglez : & ils ne ſe divertiſſent jamais davantage, que lorſqu’ils s’entretiennent & ſe repaiſſent des choſes qu’il faudroit taire ou cacher.

Comparaiſon des femmes avec les ſçavans.Que l’on faſſe converſation enſemble ou ſéparement avec les femmes & avec ce qu’on appelle ſçavant dans le monde. On verra quelle difference il y a entre les uns & les autres. On diroit que ce que les hommes ſe mettent dans la teſte en étudiant ne ſert qu’à boucher leur eſprit, & à y porter la confuſion. Peu s’énoncent avec netteté ; & la peine qu’ils ont à arracher leurs paroles, fait perdre le gouſt à ce qu’ils peuvent dire de bon ; & à moins qu’ils ne ſoient fort ſpirituels, & avec des gens de leur ſorte, ils ne peuvent ſoûtenir une heure de converſation.

Les femmes, au contraire, diſent nettement & avec ordre ce qu’elles ſçavent : les paroles ne leur coûtent rien ; elles commencent & continüent comme il leur plaiſt ; & leur imagination fournit toûjours d’une maniere inépuiſable, lorſqu’elles ſont en liberté. Elles ont le don de propoſer leurs ſentimens avec une douceur & une complaiſance qui ſervent autant que la raiſon à les inſinüer : au lieu que les hommes les propoſent ordinairement d’une maniere ſeche & dure.

Si l’on met quelque queſtion ſur le tapis en preſence des femmes un peu éclairées ; elles en découvrent bien plûtoſt le point de veuë ? Elles la regardent par plus de faces : ce que l’on dit de vray trouve plus de priſe dans leur eſprit ; & quand on s’y connoiſt un peu, & qu’on ne leur eſt point ſuſpect, on remarque que les préjugez qu’elles ont, ne ſont pas ſi forts que ceux des hommes, & les mettent moins en garde contre la verité qu’on avance. Elles ſont éloignées de l’eſprit de contradiction & de diſpute, auquel les fçavans ſont ſi ſujets : elles ne pointillent point vainement ſur les mots, & ne ſe ſervent point de ces termes ſcientifiques & myſterieux, ſi propres à couvrir l’ignorance, & tout ce qu’elles diſent eſt intelligible & ſenſible.

J’ay pris plaiſir à m’entretenir avec des femmes de toutes les conditions differentes, que j’ay peu rencontrer à la ville & aux champs, pour en découvrir le fort & le foible ; & j’ay trouvé dans celles que la neceſſité, ou le travail n’avoient point rendu ſtupides, plus de bon ſens, que dans la pluſpart des ouvrages, qui ſont beaucoup eſtimez parmy les ſçavans vulgaires.

En parlant de Dieu, pas une ne s’eſt aviſée de me dire, qu’elle Opinion d’un grand Philoſophe.ſe l’imaginoit, ſous la forme d’un venerable vieillard. Elles diſoient au contraire, qu’elles ne pouvoient ſe l’imaginer, c’eſt-à-dire, ſe le repreſenter ſous quelque idée ſemblable aux hommes : qu’elles concevoient qu’il y a un Dieu ; parce qu’elles ne comprenoient pas que ni elles ni ce qui les environne ſoient les ouvrages du hazard, ou de quelque creature : & que la conduite de leurs affaires n’eſtant pas un effet de leur prudence, parce que le ſuccez en venoit rarement par les voyes qu’elles avoient priſes, il faloit que ce fût l’effet d’une providence divine.

Quand je leur ay demandé ce qu’elles penſoient de leur ame ; elles ne m’ont pas répondu que Ce ſont des opinions de Philoſophes.c’eſt une flamme fort ſubtile, ou la diſpoſition des organes de leur corps, ny qu’elle ſoit capable de s’étendre ou de ſe reſſerrer : elles répondoient au contraire, qu’elles ſentoient bien qu’elle eſt diſtinguée de leurs corps, & que tout ce qu’elles en pouvoient dire de plus certain, c’eſt qu’elles ne croyoient pas qu’elle fuſt rien de ſemblable à aucune des choſes qu’elles appercevoient par les ſens ; & que ſi elles avoient étudié, elles ſçauroient préciſément ce que c’eſt.

Il n’y a pas une garde qui s’aviſe de dire comme les medecins, que leurs malades ſe portent mieux, parce que la Faculté Coctrice fait loüablement ſes fonctions : & lors qu’elles voyent ſortir une ſi grande quantité de ſang par une veine, elles ſe raillent de ceux qui nient, qu’elle ait communication avec les autres par la circulation.

Lorsque j’ay voulu ſçavoir pourquoy elles croyoient que les pierres expoſées au Soleil & aux pluyes du midy, s’uſent plûtoſt que celles qui ſont au Septentrion ; nulle n’a eſté allez ſimple pour me répondre, que cela vient de ce que la Lune les mord à belles dents, comme ſe l’imagine aſſez plaiſamment quelques Philoſophes ; mais que c’eſt l’ardeur du Soleil qui les deſſéche : & que les pluïes ſurvenant les détrempent plus facilement.

Queſtion de Scolaſtique.J’ay demandé tout exprés à plus de vingt, ſi elles ne croyoient pas que Dieu puiſſe faire par une puiſſance obedientielle ou extraordinaire, qu’une pierre ſoit élevée à la viſion beatifique : mais je n’en ay pû tirer autre choſe, ſinon qu’elles croyoient que je me voulois moquer d’elles par cette demande.

Quel eſt le fruit des ſciences.Le plus grand fruit que l’on puiſſe eſperer des ſciences, c’eſt le diſcernement & la juſteſſe pour diſtinguer ce qui eſt vray & évident, d’avec ce qui eſt faux & obſcur, & pour éviter ainſi de tomber dans l’erreur, & la mépriſe. On eſt aſſez porté à croire que les hommes, au moins ceux qui paſſent pour ſçavans, ont cét avantage pardeſſus les femmes. Neantmoins, ſi l’on a un peu de cette juſteſſe dont je parle, on trouvera que c’eſt une des qualitez qui leur manque le plus. Car non ſeulement ils ſont obſcurs, & confus dans leurs diſcours, & ce n’eſt ſouvent que par cette qualité qu’ils dominent, & qu’ils s’attirent la creance des perſonnes ſimples & credules : mais même ils rejettent ce qui eſt clair & évident, & ſe raillent de ceux qui parlent d’une maniere claire & intelligible, comme eſtant trop facile & trop commune ; & ſont les premiers à donner dans ce qu’on leur propoſe d’obſcur, comme eſtant plus myſterieux. Pour s’en convaincre il ne faut que les écouter, avec un peu d’attention, & les obliger de s’expliquer.

Elles ont la juſteſſe d’eſprit.Les Femmes ont une diſpoſition bien éloignée de celle-là. On obſerve que celles qui ont un peu veu le monde, ne peuvent ſouffrir que leurs enfans mêmes parlent Latin en leur preſence : Elles ſe défient des autres qui le ſont : & diſent aſſez ſouvent qu’elles craignent, qu’il n’y ait quelque impértinence cachée ſous ces habillemens étrangers. Non ſeulement on ne leur entend point prononcer ces termes de ſciences, qu’on appelle conſacrez : mais même elles ne ſçauroient les retenir, quoy qu’on les repetaſt ſouvent, & qu’elles ayent bonne memoire : & lorſqu’on leur parle obſcurement, elles avoüent de bonne foy qu’elles n’ont pas aſſez de lumiere ou d’eſprit pour entendre ce que l’on dit, ou bien elles reconnoiſſent que ceux qui leur parlent de la ſorte, ne ſont pas aſſez inſtruits.

Enfin ſi l’on conſidere de quelle façon les hommes & les femmes produiſent ce qu’ils ſçavent, on jugera que les uns font comme ces ouvriers qui travaillent aux Carrieres, & qui en tirent avec peine les pierres toutes brutes & toutes informes : & que les femmes ſont comme des Architectes ou des Lapidaires habiles, qui ſçavent polir & mettre aiſément en œuvre, & dans leur jour ce qu’elles ont entre les mains.

Non ſeulement on trouve un tres-grand nombre de femmes qui jugent auſſi-bien des choſes que ſi on leur avoit donné la meilleure éducation, ſans avoir ny les préjugez, ny les idées confuſes, ſi ordinaires aux ſçavans ; mais méme on en voit beaucoup qui ont le bon ſens ſi juſte, qu’elles parlent ſur les objets des plus belles ſciences, comme ſi elles les avoient toûjours étudiées.

Elles ſçavent l’art de parler.Elles s’énoncent avec grace. Elles ont l’art de trouver les plus beaux termes de l’uſage, & de faire plus comprendre en un mot, que les hommes avec pluſieurs : & ſi l’on s’entretient des Langues en general, elles ont là-deſſus des penſées qui ne ſe trouvent que dans les plus habiles Grammairiens. Enfin on remarque qu’elles tirent plus de l’uſage ſeul pour le langage, que la pluſpart des hommes ne font de l’uſage joint à l’étude.

Elles ſçavent l’éloquence.L’éloquence eſt un talent qui leur eſt ſi naturel & ſi particulier, qu’on ne peut le leur diſputer. Elles perſuadent tout ce qu’elles veulent. Elles ſçavent accuſer & deffendre ſans avoir étudié les loix ; & il n’y a gueres de Juges qui n’ayent éprouvé, qu’elles valent des Avocats. Se peut-il rien de plus fort & de plus éloquent que les lettres de pluſieurs Dames, ſur tous les ſujets qui entrent dans le commerce ordinaire, & principalement ſur les paſſions, dont le reſſort fait toute la beauté & tout le ſecret de l’éloquence. Elles les touchent d’une maniere ſi délicate : & les expriment ſi naïvement, qu’on eſt obligé d’avoüer qu’on ne les ſent pas autrement, & que toutes les Rhetoriques du monde ne peuvent donner aux hommes ce qui ne coûte rien aux femmes. Les pieces d’éloquence & de poëſie, les harangues, les predications & les diſcours ne font point de trop haut gouſt pour elles ; & rien ne manque à leurs critiques, que de les faire ſelon les termes & les regles de l’art.

Je m’attens bien que ce traité ne leur échapera pas non plus : que pluſieurs y trouveront à redire : les unes qu’il n’eſt pas proportionné à la grandeur ny à la dignité du ſujet : que le tour n’en eſt pas aſſez galant ; les manieres aſſez nobles ; les expreſſions aſſez fortes, ny aſſez élevées ; qu’il y a des endroits peu touchez ; qu’on pourroit y ajoûter d’autres remarques importantes : mais j’eſpere auſſi que ma bonne volonté, & le deſſein que j’ay pris de ne rien dire que de vray, & d’éviter les expreſſions trop fortes, pour ne point ſentir le Roman, m’exuſeront auprés d’elles.

Elles ont l’éloquence de l’action.Elles ont encore cét avantage que l’éloquence de l’action eſt en elles bien plus vive, que dans les hommes. C’eſt aſſez de voir à leur mine qu’elles ont deſſein de toucher, pour ſe rendre à ce qu’elles veulent. Elles ont l’air noble & grand, le port libre & majeſtueux, le maintien honneſte, les geſtes naturels, les manieres engageantes, la parole facile, & la voix douce & flexible. La beauté & la bonne grace, qui accompagnent leurs diſcours, lorſqu’ils entrent dans l’eſprit, leur ouvrent la porte du cœur. Quand elles parlent du bien & du mal, on voit ſur leur viſage ce caractere d’honneſteté, qui rend la perſuaſion plus forte. Et lorſque c’eſt pour la vertu qu’elles veulent donner de l’amour, leur cœur paroiſt ſur leurs lévres ; & l’idée qu’elles en expriment, revétuë des ornemens du diſcours & des graces qui leur ſont ſi particulieres, en paroiſt cent fois plus belle.

Elles ſçavent le droit & entendent la pratique.C’est un plaiſir d’entendre une femme qui ſe méle de plaider. Quelque embarras qu’il y ait dans ſes affaires, elle les débroüille & les explique nettement. Elle expoſe préciſément ſes pretentions & celles de ſa partie ; elle montre ce qui a donné lieu au procez, par quelles voyes elle la conduit, les reſſorts qu’elle a fait joüer, & toutes les procedures qu’elle a faites, & l’on découvre parmy tout cela une certaine capacité pour les affaires, que la pluſpart des hommes n’ont point.

C’est ce qui me fait penſer, que ſi elles étudioient le droit, elles y reüſſiroient au moins comme nous. On voit qu’elles aiment plus la paix & la juſtice ; elles ſouffrent avec peine les differens, & s’entremettent avec joye pour les terminer à l’amiable : leurs ſoins leur font trouver des biais & des expediens ſinguliers pour reconcilier les eſprits : & elles font naturellement dans la conduite de leur maiſon, ou ſur celle des autres, les principales reflexions d’équité, ſur leſquelles toute la Juriſprudence eſt fondée.

Elles ſont propres à l’hiſtoire.Dans les recits que font celles qui ont un peu d’eſprit, il y a toûjours avec l’ordre, je ne ſçay quel agrément qui touche plus que dans les noſtres. Elles ſçavent diſcerner ce qui eſt propre ou étranger au ſujet ; démêler les intereſts : deſigner les perſonnes par leur propre caractere : dénoüer les intrigues, & ſuivre les plus grandes comme les plus petites, quand elles en ſont informées. Tout cela ſe voit encore mieux dans les hiſtoires & dans les Romans des Dames ſçavantes, qui vivent encore.

Elles ſçavent la Theologie.Combien y en a-t-il qui s’inſtruiſent autant aux ſermons, dans les entretiens, & dans quelques petits livres de pieté, que des Docteurs avec S. Thomas dans leur cabinet & ſur les bancs. La ſolidité & la profondeur avec laquelle elles parlent des plus hauts myſteres & de toute la Morale Chreſtienne, les feroient prendre ſouvent pour de grands Theologiens, ſi elles avoient un chapeau, & qu’elles puſſent citer en Latin quelques paſſages.

Elles entendent la Medecine.Il ſemble que les femmes ſoient nées pour exercer la Medecine, & pour rendre la ſanté aux malades. Leur propreté & leur complaiſance ſoulagent le mal de la moitié. Et non ſeulement elles ſont propres à appliquer les remedes ; mais mêmes à les trouver. Elles en inventent une infinité qu’on appelle petits, parce qu’ils coûtent moins que ceux d’Hypocrate, & qu’on ne les preſcrit pas par ordonnance : mais qui ſont d’autant plus ſurs & plus faciles, qu’ils ſont plus naturels. Enfin elles font leurs obſervations dans la pratique avec tant d’exactitude, & en raiſonnent ſi juſte, qu’elles rendent ſouvent inutiles tous les cahiers de l’Ecole.

Elles ſçavent le contraire des réveries Aſtrologiques.Entre les femmes de la campagne, celles qui vont travailler aux champs, ſe connoiſſent admirablement aux bizarreries des ſaiſons ; & leurs Almanacs ſont bien plus certains que ceux qu’on imprime de la main des Aſtrologues. Elles expliquent ſi naïvement la fertilité, & la ſterilité des années, par les vents, par les pluïes & par tout ce qui produit les changemens de temps, qu’on ne peut les entendre là-deſſus, ſans avoir compaſſion des ſçavans qui rapportent ces effets, aux Aſpects, aux Approches & aux Aſcendans des Planettes. Ce qui me fait juger que ſi on leur avoit appris, que les alterations auſquelles le corps humain eſt ſujet, luy peuvent arriver à cauſe de ſa conſtitution particuliere D’où vient la diverſité des mœurs & des inclinations. par l’exercice, par le climat, par la nourriture, par l’éducation & par les rencontres differentes de la vie, elles ne s’aviſeroient jamais d’en rapporter les inclinations, ny les changemens aux Influences des Aſtres, qui ſont des corps éloignez de nous de pluſieurs millions de lieuës.

Pourquoy on ne les entend pas parler deIl eſt vray qu’il y a des ſciences dont on n’entend point parler les femmes, parce que ce ne ſont certaines ſciences. point des ſciences de miſe ni de ſocieté. L’Algebre, la Geometrie, l’Optique, ne ſortent preſque jamais des cabinets ny des Academies ſçavantes, pour venir au milieu du monde. Et comme leur plus grand uſage eſt de donner la juſteſſe dans les penſées ; elles ne doivent paroiſtre dans le commerce ordinaire, que ſecrettement & comme des reſſorts cachez, qui font joüer de grandes machines. C’eſt-à-dire, qu’il en faut faire l’application ſur les ſujets d’entretien, & penſer & parler juſte & geometriquement, ſans faire paroiſtre qu’on eſt Geomettre.

Que tout cela est plus viſible dans les Dames.Toutes ces obſervations ſur les qualitez de l’eſprit, ſe peuvent faire ſans peine avec les femmes de mediocre condition ; mais ſi on va juſques à la Cour, & qu’on ait part aux entretiens des Dames, on y pourra remarquer toute autre choſe. Il ſemble que leur genie ſoit proportionné naturellement à leur état. Avec la juſteſſe, le diſcernement, & la politeſſe, elles ont un tour d’eſprit, fin, délicat, aiſé ; & je ne ſçay quoy de grand & de noble, qui leur eſt particulier. On diroit que les objets comme les hommes, ne s’approchent d’elles, qu’avec reſpect. Elles les voyent toûjours par le bel endroit, & leur donnent en parlant tout un autre air que le commun. En un mot, que l’on montre à ceux qui ont du gouſt deux lettres de Dames de conditions differentes, on reconnoiſtra aiſément laquelle eſt de plus haute qualité.

Que les ſçavantes qui ſont en grand nombre, ſont plusCombien y a-t-il eu de Dames, & combien y en a-t-il encore, qu’on doit mettre au nombre des ſçavans, ſi on ne veut pas les eſtimables que les ſçavans.mettre au deſſus. Le ſiecle où nous vivons en porte plus que tous les ſiecles paſſez : & comme elles ont égalé les hommes, elles ſont plus eſtimables qu’eux, pour des raiſons particulieres. Il leur a falu ſurmonter la moleſſe où on éleve leur ſexe, renoncer aux plaiſirs & à l’oiſiveté où on les reduit, vaincre certains obſtacles publics, qui les éloignent de l’étude, & ſe mettre au deſſus des idées deſavantageuſes que le vulgaire a des ſçavantes, outre celles qu’il a de leur Sexe en general. Elles ont fait tout cela : & ſoit que les difficultez ayent rendu leur eſprit plus vif & plus pénétrant, ſoit que ces qualitez leur ſoient naturelles, elles ſe ſont renduës à proportion plus habiles que les hommes.

On peut dire neantmoins, ſans diminuer les ſentimens que Qu’il faut reconnoître que les femmes en general ſont capables de ſciences.ces illuſtres Dames meritent, que c’eſt l’occaſion & les moyens exterieurs, qui les ont miſes en cét état, auſſi-bien que les plus ſçavans parmy nous, & qu’il y en a une infinité d’autres qui n’en auroient pas moins fait, ſi elles euſſent eu de pareils avantages. Et puiſque l’on eſt aſſez injuſte pour croire que toutes les femmes ſont indiſcretes, lorſqu’on en connoiſt cinq ou ſix qui le ſont ; en devroit auſſi eſtre aſſez équitable, pour juger que leur ſexe eſt capable des ſciences, puiſque l’on en voit quantité, qui ont pû s’y élever.

On s’imagine vulgairement que les Turcs, les Barbares, & les Sauvages n’y ſont pas ſi propres que les peuples de l’Europe. Cependant, il eſt certain, que ſi l’on en voyoit icy cinq ou ſix qui euſſent la capacité, ou le titre de Docteur, ce qui n’eſt pas impoſſible, on corrigeroit ſon jugement, & l’on avoüeroit que ces peuples eſtant hommes comme nous, ſont capables des mêmes choſes, & que s’ils eſtoient inſtruits, ils ne nous cederoient en rien. Les femmes avec leſquelles nous vivons, valent bien les Barbares & les Sauvages, pour nous obliger d’avoir pour elles des penſées qui ne ſoient pas moins avantageuſes, ny moins raiſonnables.

Si le vulgaire s’opiniaſtre, nonobſtant ces obſervations, à ne vouloir pas que les femmes ſoient auſſi propres aux ſciences que nous, il doit au moins reconnoiſtre qu’elles leur ſont moins neceſſaires. L’on s’y applique à deux fins, l’une de bien connoître les choſes qui en ſont l’objet, & l’autre de devenir vertueux par le moyen de ces connoiſſances. Ainſi dans cette vie qui eſt ſi courte, la ſcience ſe doit uniquement rapporter à la vertu ; & les femmes poſſedant celle-cy, on peut dire qu’elles ont par un bon-heur ſingulier, le principal avantage des ſciences ſans les avoir étudiées.

Que les femmes ont autant de vertu que nous.Ce que nous voyons tous les jours, nous doit convaincre qu’elles ne ſont pas moins Chreſtiennes, que les hommes. Elles reçoivent l’Evangile avec ſoûmiſſion & avec ſimplicité. Elles en pratiquent les maximes d’une façon exemplaire. Leur reſpect pour tout ce qui concerne la religion a toûjours paru ſi grand qu’elles paſſent ſans contredit, pour avoir plus de devotion & de pieté que nous. Il eſt vray que leur culte va quelquefois juſques à l’excez : mais je ne trouve pas que cét excez ſoit ſi blâmable. L’ignorance où on les éleve en eſt la cauſe neceſſaire. Si leur zele eſt indiſcret, au moins leur perſuaſion eſt veritable : & l’on peut dire, que ſi elles connoiſſoient parfaitement la vertu, elles l’embraſſeroient bien autrement ; puiſqu’elles s’y attachent ſi fort au travers des tenebres même.

Elles ſont charitables.Il ſemble que la compaſſion qui eſt la vertu de l’Evangile ſoit affectée à leur Sexe. Le mal du prochain ne leur a pas plûtoſt frappé l’eſprit, qu’il touche leur cœur, & leur fait venir les larmes aux yeux. N’eſt-ce pas par leurs mains que ſe ſont toûjours faites les plus grandes diſtributions, dans les calamitez publiques ? Ne ſont-ce pas encore aujourd’huy les Dames qui ont particulierement ſoin des pauvres & des des malades dans les Parroiſſes, qui les vont viſiter dans les priſons, & ſervir dans les hôpitaux ? Les filles de la charité.Ne ſont-ce pas de pieuſes filles répanduës dans les quartiers, qui ont charge de leur aller porter à certaines heures du jour, la nourriture & les remedes neceſſaires, & à qui l’on a donné le nom de la charité qu’elles exercent ſi dignement ?

Celles de l’Hoſtel Dieu.Enfin, quand il n’y auroit au monde de femmes qui pratiquaſſent cette vertu envers le prochain, que celles qui ſervent les malades dans l’Hôtel-Dieu, je ne crois pas que les hommes puſſent ſans injuſtice prétendre en cela l’avantage pardeſſus leur Sexe. Ce ſont proprement ces filles là deſquelles il faloit enrichir la galerie des femmes fortes : C’eſt de leur vie qu’il faudroit faire les plus grands éloges & honnorer leur mort des plus excellens Panegyriques : puiſque c’eſt-là qu’on voit la religion Chreſtienne, c’eſt à dire, la vertu vrayment heroïque ſe pratiquer à la rigueur dans ſes commandemens & dans ſes conſeils : de jeunes filles renoncer au monde, & à elles-mémes, reſoluës à une chaſteté & à une pauvreté perpétuelle, prendre leur croix, & la Croix du monde la plus rude, pour ſe mettre le reſte de leurs jours ſous le joug de Jesus Christ : ſe conſacrer dans un Hôpital, où l’on reçoit indifferemment toutes ſortes de malades, de quelque païs ou Religion que ce ſoit, pour les ſervir tous ſans diſtinction, & ſe charger à l’exemple de leur Epoux de toutes les infirmitez des hommes, ſans ſe rebuter d’avoir ſans ceſſe les yeux frappez des ſpectacles les plus affreux : les oreilles des injures, & des cris des malades, & l’odorat de toutes les infections du corps humain : & pour marque de l’eſprit qui les anime, porter de lit en lit, entre leurs bras, & encourager les miſerables, non pas par des vaines paroles, mais par l’exemple effectif & perſonnel d’une patience, & d’une charité invincible.

Se peut-il rien concevoir de plus grand parmy les Chreſtiens ? Les autres femmes ne ſont pas moins portées à ſoulager le prochain. Il n’y a que l’occaſion qui leur manque, ou d’autres occupations qui les en détournent : & je trouve qu’il eſt auſſi indigne de s’imaginer de là comme fait le vulgaire, que les femmes ſoient naturellement ſervantes des hommes ; que de prétendre que ceux qui ont receu de Dieu des talens particuliers, ſoient les ſerviteurs & les eſclaves de ceux pour le bien deſquels ils les emploient.

Comment elles vivĕt dans le Celibat.Quelque genre de vie qu’embraſſent les femmes, leur conduite a toûjours quelque choſe de remarquable. Il ſemble que celles qui vivent hors du mariage, & qui demeurent dans le monde, n’y reſte que pour ſervir d’exemple aux autres. La modeſtie Chreſtienne paroiſt ſut leur viſage & dans leurs habits. La vertu fait leur principal ornement. Elles s’éloignent des compagnies & des divertiſſemens mondains ; & leur application aux exercices de pieté, fait bien voir qu’elles ne ſe ſont point engagées dans les ſoins ny dans les embarras du mariage, pour joüir d’une plus grande liberté d’eſprit, & n’eſtre obligées que de plaire à Dieu. Comment elles vivĕt dans les Monaſteres.Il y a autant de Monaſteres ſous la conduite des femmes que des hommes : & leur vie n’y eſt pas moins exemplaire. La retraite y eſt plus grande : la penitence auſſi auſtere ; & les Abbeſſes y valent bien les Abbez. Elles ſont des reglemens avec une ſageſſe admirable, & gouvernent leurs filles, avec tant de prudence, qu’il n’y arrive point de deſordre. Enfin l’éclat des maiſons Religieuſes, les grands biens qu’elles poſſedent, & leurs ſolides établiſſemens ſont l’effet du bon ordre qu’y apportent les Superieures.

Comment elles vivĕt dans le mariage.Le mariage eſt l’état le plus naturel, & le plus ordinaire aux hommes. Quand ils y ſont engagez, c’eſt pour le reſte de leur vie. Ils y paſſent les âges où on ne doit agir que par raiſon. Et les differens accidens de la nature & de la fortune auſquels cette condition eſt ſujette, exerçant davantage ceux qui y ſont, leur donne occaſion d’y faire paroiſtre plus d’eſprit. Il ne faut pas grande experience pour ſçavoir que les femmes y ſont plus propres que nous. Les filles ſont capables de conduire une maiſon à l’âge où les hommes ont encore beſoin de maître, & l’expedient le plus commun pour remettre un jeune homme dans le bon chemin, c’eſt de luy donner une femme, qui le retient par ſon exemple, qui modere ſes emportemens & le retire de la débauche.

Quelle complaiſance n’employent point les femmes pour vivre en paix avec leurs maris. Elles ſe ſoûmettent à leurs ordres, elles ne font rien ſans leur avis, elles ſe contraignent en beaucoup de choſes pour éviter de leur déplaire, & elles ſe privent ſouvent des divertiſſemens les plus honneſtes, pour les exempter de ſoupçon. L’on ſçait lequel des deux Sexes eſt le plus fidelle à l’autre, & ſuporte plus patiemment les malheurs qui ſurviennent dans le mariage, & y fait paroiſtre plus de ſageſſe.

Presque toutes les maiſons ne ſont reglées que par les femmes, à qui leurs maris en abandonnent le gouvernement : & le ſoin qu’elles prennent de l’éducation des enfans, eſt bien plus conſiderable aux familles & plus important à l’Etat, que celuy qu’elles ont des biens. Comment elles élevent leurs enfans.Elles ſe donnent toutes entieres à leur conſervation. La crainte qu’il ne leur arrive du mal eſt ſi grande, qu’elles en perdent ſouvent le repos. Elles ſe privent avec joye, des choſes les plus neceſſaires, afin qu’il ne leur manque rien. Elles ne ſçauroient les voir ſouffrir le moins du monde, qu’elles ne ſouffrent elles-mémes juſques au fond de l’ame : & on peut dire que la plus grande de leur peine eſt de ne les pouvoir ſoulager, en ſe chargeant de leurs douleurs.

Le ſoin qu’elles prennent de leur inſtruction.Qui ignore avec quelle application elles travaillent à les inſtruire de la vertu, autant que leur petit âge en eſt capable ? Elles tâchent de leur faire connoître & craindre Dieu, & leur enſeignent à l’adorer d’une maniere qui leur ſoit proportionnée : Elles ont ſoin de les mettre entre les mains des maiſtres, auſſi-toſt qu’ils y ſont propres, & choiſiſſent ceux-cy avec toute la précaution poſſible, pour rendre leur éducation meilleure ? Et ce qui eſt encore plus eſtimable, c’eſt qu’elles joignent le bon exemple à l’inſtruction.

Qu’un plus ample détail ſeroit avantageux aux femmes.Si l’on vouloit deſcendre, dans un détail entier de toutes les rencontres de la vie, & de toutes les vertus que les femmes y pratiquent, & en examiner les plus importantes circonſtances, il y auroit dequoy faire un tres-ample Panegyrique. On pourroit repreſenter juſques où va leur ſobrieté dans le boire & dans le manger ; la patience dans les incommoditez ; la force & le courage à ſupporter les maux, les fatigues, les veilles, & les jeûnes ; La moderation dans les plaiſirs & dans les paſſions : l’inclination à faire du bien : la prudence dans les affaires, l’honneſteté en toutes les actions : en un mot on pourroit faire voir qu’il n’y a point de vertu qui ne leur ſoit commune avec nous, & qu’il y a au contraire quantité de défauts conſiderables qui ſont particuliers aux hommes.

Voila les obſervations generales & ordinaires ſur ce qui concerne les femmes, par raport aux qualitez de l’eſprit, dont l’uſage eſt la ſeule choſe, qui doive mettre de la diſtinction entre les hommes.

Comme il n’y a gueres de rencontres où l’on ne puiſſe découvrir l’inclination, le genie, le vice, & la vertu, & la capacité des perſonnes, ceux qui ſe voudront détromper eux-mêmes ſur le ſujet des femmes, ont toûjours occaſion de le faire, en public, ou en particulier, à la Cour, & à la grille, dans les divertiſſemens, & dans les exercices, avec les pauvres comme avec les riches, en quelque état & de quelque condition qu’elles ſoient. Et ſi l’on conſidere avec ſincerité & ſans intereſt ce qu’on pourra remarquer à leur égard, on trouvera que s’il y a quelques apparences peu favorables aux femmes, il y en a encore plus qui leur ſont tres-avantageuſes ; que ce n’eſt point faute de merite ; mais de bon-heur ou de force, que leur condition n’eſt pas égale à la nôtre ; & enfin que l’opinion commune eſt un préjugé populaire & mal fondé.

  1. Opinion contraire à celle du public