De l’égalité des deux sexes/texte-entier

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Antoine Dezallier (p. 3-264).
PRÉFACE
CONTENANT LE PLAN,
& le but de ce diſcours.


IL n’y a rien de plus délicat que de s’expliquer ſur le ſujet des Femmes. Quand un homme parle à leur avantage, l’on s’imagine auſſi-toſt que c’eſt par galanterie ou par amour : & il y a grande apparence que la pluſpart jugeant de ce diſcours par le Titre, croiront d’abord qu’il eſt l’effet de l’un ou de l’autre, & ſeront bien-aiſes d’en ſçavoir au vray, le motif & le deſſein. Le voicy.

La plus heureuſe penſée qui puiſſe venir à ceux qui travaillent à acquérir une ſcience ſolide, aprés avoir eſté inſtruits ſelon la Methode vulgaire, c’eſt de douter ſi on les a bien enſeignés, & de vouloir découvrir la verité par eux-mêmes.

Dans le progrez de leur recherche, il leur arrive neceſſairement de remarquer que nous ſommes remplis de préjugez [1], & qu’il faut y renoncer abſolument, pour avoir des connoiſſances claires & diſtinctes.

Dans le deſſein d’inſinuër une Maxime ſi importante, l’on a crû que le meilleur eſtoit de choiſir un ſujet déterminé & éclatant, où chacun priſt intereſt ; afin qu’aprés avoir démontré qu’un ſentiment auſſi ancien que le Monde, auſſi étendu que la Terre, & auſſi univerſel que le Genre humain, eſt un préjugé ou une erreur, les Sçavans puiſſent eſtre enfin convaincus de la neceſſité qu’il y a de juger des choſes par ſoy-même, aprés les avoir bien examinées, & de ne s’en point rapporter à l’opinion ny à la bonne foy des autres hommes, ſi l’on veut éviter d’eſtre trompé.

De tous les Préjugez, on n’en a point remarqué de plus propre à ce deſſein que celuy qu’on a communément ſur l’Inégalité des deux Sexes.

En effet, ſi on les conſidere en l’état où ils ſont à préſent, on obſerve qu’ils ſont plus differens dans les fonctions Civiles, & qui dépendent de l’Eſprit, que dans celles qui appartiennent au Corps. Et ſi on en cherche la raiſon dans les Diſcours ordinaires, on trouve que tout le Monde, ceux qui ont de l’étude, & ceux qui n’en ont point, & les Femmes même s’accordent à dire qu’elles n’ont point de part aux Sciences ny aux Emplois, parce qu’elles n’en ſont pas capables ; qu’elles ont moins d’Eſprit que les hommes, & qu’elles leur doivent eſtre inferieures en tout comme elles ſont.

Regle de verité.Apres avoir examiné cette Opinion, ſuivant la regle de verité, qui eſt de n’admettre rien pour vray qui ne ſoit appuyé ſur des idées claires & diſtinctes ; d’un coſté elle a paru fauſſe, & fondée ſur un Préjugé, & ſur une Tradition populaire ; & de l’autre, on a trouvé que les deux Sexes ſont égaux : c’eſt-à-dire, que les femmes ſont auſſi Nobles, auſſi parfaites, & auſſi capables que les hommes. Cela ne peut eſtre étably qu’en refutant deux ſortes d’Averſaires, le Vulgaire, & preſque tous les Sçavans.

Le premier n’ayant pour fondement de ce qu’il croit, que la Coûtume & de legeres apparences, il ſemble qu’on ne le peut mieux combattre qu’en lui faiſant voir comment les Femmes ont eſté aſſujetties & excluës des Sciences & des Emplois ; & aprés l’avoir conduit par les états & les rencontres principales de la vie, luy donner lieu de reconnoître qu’elles ont des avantages qui les rendent égales aux hommes ; & c’eſt ce que comprend la premiere partie de ce Traité.

La ſeconde eſt employée à montrer que les preuves des Sçavans ſont toutes vaines. Et aprés avoir étably le ſentiment de l’Égalité, par des raiſons poſitives, on juſtifie les Femmes des défauts dont ont les accuſe ordinairement, en faiſant voir qu’ils ſont imaginaires ou peu importans, qu’ils viennent uniquemẽt de l’Education qu’on leur donne, & qu’ils marquent en elles des avantages conſiderables.

Ce ſujet pouvoit eſtre traitté en deux façons, ou galamment, c’eſt à dire, d’une manière enjoüée & fleurie, ou bien en Philoſophe & par principes, afin d’en inſtruire à fond.

Ceux qui ont une idée juſte de la veritable Éloquence, ſçavent bien que ces deux manieres ſont preſque inalliables, & qu’on ne peut gueres éclairer l’Eſprit & l’égayer par la même voye. Ce n’eſt pas qu’on ne puiſſe joindre la fleurette avec la raiſon ; mais ce mélange empéche ſouvent la fin qu’on ſe doit propoſer dans les diſcours, qui eſt de convaincre & de perſuader ; ce qu’il y a d’agréable amuſant l’Eſprit, & ne luy permettant pas de s’arréter au ſolide.

Et comme l’on a pour les Femmes des regards particuliers, ſi dans un ouvrage fait ſur leur ſujet, on méle quelque choſe de galant, ceux qui le liſent pouſſent leurs penſées trop loin, & perdent de veuë ce qui les devroit occuper.

C’est pourquoy n’y ayant rien qui regarde plus les Femmes que ce deſſein, où l’on eſt obligé de dire en leur faveur ce qu’il y a de plus fort & de vray, autant que la Bizarrerie du Monde le peut ſouffrir, on a crû qu’il faloit parler ſerieuſement & en avertir, de peur que la penſée que ce ſeroit un ouvrage de galanterie ne le faſſe paſſer legerement, ou rejetter par les perſonnes ſcrupuleuſes.

L’on n’ignore pas que ce diſcours fera beaucoup de mécontens, & que ceux dont les intereſts & les maximes ſont contraires à ce qu’on avance icy, ne manqueront pas de crier contre. Pour donner moyen de répondre à leurs plaintes, l’on avertit les perſonnes d’Eſprit, & particulierement les Femmes qui ne ſont point la Dupe de ceux qui prennent authorité ſur elles, que ſi elles ſe donnent la peine de lire ce Traitté, avec l’attention que merite au moins la varieté des matieres qui y ſont, elles remarqueront que le Caractere eſſentiel de la verité, c’eſt la clarté & l’évidence. Ce qui leur pourra ſervir à recõnoître ſi les objections qu’on leur apportera ſont conſiderables ou non. Et elles pourront remarquer que les plus ſpecieuſes leur ſeront faites par des gens que leur profeſſion ſemble engager aujourd’huy à renoncer à l’experience, au bon ſens & à eux-mêmes, pour embraſſer aveuglément tout ce qui s’accorde avec leurs préjugez & leurs intereſts, & à combattre toutes ſortes de veritez qui ſemblent les attaquer.

Et l’on prie de conſiderer que les mauvais effets qu’une terreur Panique leur feroit apprehender de cette entrepriſe, n’arriverõt peut-eſtre pas à l’égard d’une ſeule femme, & qu’ils ſont contre-peſez par un grand bien qui en peut revenir ; n’y ayant peut-eſtre pas de voye plus naturelle ni plus ſure pour tirer la plupart des Femmes de l’oiſiveté où elles ſont reduites, & des inconvéniẽs qui la ſuivent que de les porter à l’étude, qui eſt preſque la ſeule choſe à quoy les Dames puiſſent à preſent s’occuper, en leur faiſant connoitre qu’elles y ſont auſſi propres que les hommes.

Et comme il n’y a que ceux qui ne ſont pas raiſõnables qui abuſent au préjudice des Femmes des avantages que leur donne la Coûtume, il ne pourroit y avoir auſſi que des Femmes peu judicieuſes, qui ſe ſerviſſent de cét ouvrage pour s’élever contre les hommes, qui les traitteroient comme leurs égales ou leurs compagnes. Enfin ſi quelqu’un ſe choque de ce Diſcours pour quelque cauſe que ce ſoit, qu’il s’en prenne à la verité & non à l’Auteur : & pour s’exempter de chagrin qu’il ſe diſe à luy-même, que ce n’eſt qu’un jeu d’Eſprit : Il eſt certain que ce tour d’Imagination ou un ſemblable, empéchant la verité d’avoir priſe ſur nous, la rend de beaucoup moins incommode à ceux qui ont peine à la ſouffrir.
DE L’ÉGALITÉ DES DEUX SEXES

PREMIERE PARTIE,


Où l’on montre que l’opinion vulgaire eſt un préjugé, & qu’en comparant ſans intereſt ce que l’on peut remarquer dans la conduite des hommes & des femmes, on eſt obligé de reconnoiſtre entre les deux Sexes une égalité entiere.



Les hommes ſont perſuadez d’une infinité de choſes dont ils ne ſçauroient rendre raiſon ; parce que Que les hommes ſont remplis de préjugez.leur perſuaſion n’eſt fondée que ſur de legeres apparences, auſquelles ils ſe ſont laiſſez emporter ; & ils euſſent crû auſſi fortement le contraire, ſi les impreſſions des ſens ou de la coûtume les y euſſent déterminez de la meſme façon.

Hors un petit nombre de ſçavans, tout le monde tient comme une choſe indubitable, que c’eſt le Soleil qui ſe meut au tour de la terre : quoy que ce qui paroiſt dans la revolution des jours & des années, porte également ceux qui y font attention, à penſer que c’eſt la terre qui ſe meut au tour du Soleil. L’on s’imagine qu’il y a dans les beſtes quelque connoiſſance qui les conduit, par la méme raiſon que les Sauvages ſe figurent qu’il y a un petit démon dans les horloges & dans les machines qu’on leur monſtre ; dont ils ne connoiſſent point la fabrique ni les reſſorts.

Si l’on nous avoit élevez au milieu des mers, ſans jamais nous faire approcher die la terre, nous n’euſſions pas manqué de croire en changeant de place ſur un vaiſſeau, que ç’euſſent eſté les rivages qui ſe ſuſſent éloignez de nous comme le croyent les enfans au départ des bateaux. Chacun eſtime que ſon païs eſt le meilleur, parce qu’il y eſt plus accoûtumé, & que la religion dans laquelle il a eſté nourri, eſt la veritable qu’il faut ſuivre, quoy qu’il n’ait peut-eſtre jamais ſongé à l’examiner ni à la comparer avec les autres. On ſe ſent toûjours plus porté pour ſes compatriotes que pour les étrangers, dans les affaires où le droit meſme eſt pour ceux-cy. Nous nous plaiſons davantage avec ceux de nôtre proſeſſion, encore qu’ils ayent moins d’eſprit & de vertu. Et l’inégalité des biens & des conditions fait juger à beaucoup de gens que les hommes ne ſont point égaux entr’eux.

Si on cherche ſurquoy ſont fondées toutes ces opinions diverſes, on trouvera qu’elles ne le ſont que ſur l’intereſt, ou ſur la coûtume ; & qu’il eſt incomparablement plus difficile de tirer les hommes des ſentimens où ils ne ſont que par préjugé, que de ceux qu’ils ont embraſſez par le motif des raiſons qui leur ont paru les plus convaincantes & les plus fortes.

L’on peut mettre au nombre de ces jugemens celuy qu’on porte vulgairement ſur la difference des deux Sexes, & ſur tout ce qui en dépend. Il n’y en a point de plus ancien ni de plus univerſel. Les ſçavans & les ignorans ſont tellement prévenus de la penſée que les femmes ſont inferieures aux hommes en capacité & en merite, & qu’elles doivent eſtre dans la dépendance où nous les voyons, qu’on ne manquera pas de regarder le ſentiment contraire comme un paradoxe[2] ſingulier.

Cependant il ne ſeroit pas neceſſaire pour l’établir, d’employer aucune raiſon poſitive, ſi les hommes eſtoient plus équitables & moins intereſſez dans leurs jugemens. Il ſuffiroit de les avertir qu’on n’a parlé juſqu’à preſent qu’à la legere de la difference des deux Sexes, au déſavantage des femmes ; & que pour juger ſainement ſi le noſtre a quelque prééminence naturelle par deſſus le leur, Ce qu’il faut faire pour bien juger des choſes.il faut y penſer ſerieuſement & ſans intereſt, renonçant à ce qu’on en a crû ſur le ſimple rapport d’autruy, & ſans l’avoir examiné.

Il eſt certain qu’un homme qui ſe mettroit en cét état d’indifference & de deſintereſſement, reconnoiſtroit d’une part que c’eſt le peu de lumiere & la précipitation qui font tenir que les femmes ſont moins nobles & moins excellentes que nous : & que c’eſt quelques indiſpoſitions naturelles, qui les rendent ſujettes aux deffauts & aux imperfections qu’on leur attribuë & mépriſables à tant de gens. Et de l’autre part, il verroit que les apparences mémes qui trompent le peuple ſur leur ſujet, lorſqu’il les paſſe legerement, ſerviroient à le détromper s’il les approfondiſſoit un peu. Enfin, ſi cét homme eſtoit Philoſophe, il trouveroit qu’il y a des raiſons Phiſiques qui prouvent invinciblement que les deux Sexes ſont égaux pour le corps & pour l’eſprit.

Mais comme il n’y a pas beaucoup de perſonnes en eſtat de pratiquer eux ſeuls cét avis, il demeureroit inutile, ſi on ne prenoit la peine de travailler avec eux pour les aider à s’en ſervir : & parce que l’opinion de ceux qui n’ont point d’étude eſt la plus generale, c’eſt par elle qu’il faut commencer noſtre examen.

Si l’on demande à chaque homme en particulier ce qu’il penſe des femmes en general, & qu’il le veüille avoüer ſincerement Ce que les hommes croyent des femmes. il dira ſans doute qu’elles ne ſont faites que pour nous, & qu’elles ne ſont gueres propres qu’à élever les enfans dans leur bas âge, & à prendre le ſoin du ménage. Peut-eſtre que les plus ſpirituels ajoûteroient qu’il y a beaucoup de femmes qui ont de l’eſprit & de la conduite ; mais que ſi l’on examine de prés celles qui en ont le plus, on y trouvera toûjours quelque choſe qui ſent leur Sexe : qu’elles n’ont ny fermeté ni arreſt, ni le fond d’eſprit qu’ils croient reconnoiſtre dans le leur, & que c’eſt un effet de la providence divine & de la ſageſſe des hommes, de leur avoir fermé l’entrée des ſciences, du gouvernement, & des emplois : que ce ſeroit une choſe plaiſante de voir une femme enſeigner dans une chaire, l’éloquence ou la medecine en qualité de profeſſeur : marcher par les ruës, ſuivie de Commiſſaires & de Sergens pour y mettre la police : haranguer devant les Juges en qualité d’Avocat : eſtre aſſiſe ſur un Tribunal pour y rendre Juſtice, à la teſte d’un Parlement : conduire une armée, livrer une bataille : & parler devant les Republiques ou les Princes comme Chef d’une Ambaſſade.

J’avoüe que cét uſage nous ſurprendroit : mais ce ne ſeroit que par la raiſon de la nouveauté. Si en formant les états & en établiſſant les differens emplois qui les compoſent, on y avoit auſſi appellé les femmes, nous ſerions accoûtumez à les y voir, comme elles le ſont à noſtre égard. Et nous ne trouverions pas plus étrange de les voir ſur les Fleurs de Lys, que dans les boutiques.

Si on pouſſe un peu les gens, on trouvera que leurs plus fortes raiſons ſe reduiſent à dire que les choſes ont toûjours eſté comme elles ſont, à l’égard des femmes : ce qui eſt une marque qu’elles doivent eſtre de la ſorte : & que ſi elles avoient eſté capables des ſciences & des emplois, les hommes les y auroient admiſes avec eux.

Fauſſe idée de la coûtume.Ces raiſonnemens viennent de l’opinion qu’on a de l’équité de noſtre Sexe, & d’une fauſſe idée que l’on s’eſt forgée de la coûtume. C’eſt aſſez de la trouver établie, pour croire qu’elle eſt bien fondée. Et comme l’on juge que les hommes ne doivent rien faire que par raiſon, la pluſpart ne peuvent s’imaginer qu’elle n’ait pas eſté conſultée pour introduire les pratiques qu’ils voyent ſi univerſellement reçuës ; & l’on ſe figure, que c’eſt la raiſon & la prudence qui les ont faites, à cauſe que l’une & l’autre obligent de s’y conformer lorſqu’on ne peut ſe diſpenſer de les ſuivre, ſans qu’il arrive quelque trouble.

Chacun void en ſon païs les femmes dans une telle ſujettion, qu’elles dépendent des Pourquoy on croit les femmes inferieures aux hommes.hommes en tout ; ſans entrée dans les ſciences, ny dans aucun des états qui donnent lieu de ſe ſignaler par les avantages de l’eſprit. Nul ne rapporte qu’il ait veu les choſes autrement à leur égard. On ſçait auſſi qu’elles ont toûjours eſté de la ſorte, & qu’il n’y a point d’endroit de la terre où on ne les traitte comme dans le lieu où l’on eſt. Il y en a méme où on les regarde comme des eſclaves. A la Chine on leur tient les pieds petits dés leur enfance, pour les empeſcher de ſortir de leurs maiſons, où elles ne voyent preſque jamais que leurs maris & leurs enfans. En Turquie les Dames ſont reſſerrées d’auſſi prés. Elles ne font gueres mieux en Italie, Quaſi tous les peuples d’Aſie, de l’Afrique, & de l’Amerique uſent de leurs femmes, comme on fait icy des ſervantes. Par tout on ne les occupe que de ce que l’on conſidere comme bas ; & parce qu’il n’y a quelles qui ſe mélent des menus ſoins du ménage & des enfans, l’on ſe perſuade communément qu’elles ne ſont au monde que pour cela, & qu’elles ſont incapables de tout le reſte. On a de la peine à ſe repreſenter comment les choſes pourroient eſtre bien d’une autre façon ; & il paroiſt méme qu’on ne les pourroit jamais changer, quelque effort que l’on fiſt.

Les plus ſages Legiſlateurs, en fondant leurs Republiques n’ont rien étably qui fuſt favorable aux femmes pour ce regard. Toutes les Loix ſemblent n’avoir eſté faites que pour maintenir les hommes dans la poſſeſſion où ils ſont. Preſque tout ce qu’il y a eu de gens qui ont paſſé pour ſçavans & qui ont parlé des femmes, n’ont rien dit à leur avantage : & l’on trouve la conduite des hommes ſi uniforme à leur endroit, dans tous les ſiecles & par toute la terre, qu’il ſemble qu’ils y font entrez de concert, ou bien, comme pluſieurs s’imaginent, qu’ils ont eſté portez à en uſer de la ſorte, par un inſtinct ſecret ; c’eſt-à-dire, par un ordre general de l’Autheur de la nature.

On ſe le perſuade encore davantage en conſiderant de quelle façon les femmes mêmes ſupportent leur condition. Elles la regardent comme leur eſtant naturelle. Soit qu’elles ne penſent point à ce qu’elles font, ſoit que naiſſant & croiſſant dans la dépendance, elles la conſiderent de la même maniere que font les hommes. Sur toutes ces veuës, les unes & les autres ſe portent à croire, & que leurs eſprits ſont auſſi differens que leurs corps, & qu’il doit y avoir entre les deux Sexes, autant de diſtinction, dans toutes les fonctions de la vie, qu’il y en a entre celles qui leur ſont particulieres. Cependant cette perſuaſion comme la pluſpart de celles que nous avons ſur les coûtumes & ſur les uſages n’eſt qu’un pur préjugé, que nous formons ſur l’apparence des choſes, faute de les examiner de prés, & dont nous nous détromperions, ſi nous pouvions nous donner la peine de remonter juſqu’à la ſource, & juger en beaucoup de rencontres de ce qui s’eſt Comment il faut juger des Coûtumes Anciennes. fait autrefois, par ce qui ſe fait aujourd’huy, & des Coûtumes Anciennes par celles que nous voyons s’établir de noſtre temps. Si on avoit ſuivi cette regle, en une infinité de jugemens ; on ne ſeroit pas tombé en tant de mépriſes : & dans ce qui concerne la condition preſente des femmes, on auroit reconnu qu’elles n’ont eſté aſſujetties que par la Loy du plus fort, & que ce n’a pas eſté faute de capacité naturelle ni de merite qu’elles n’ont point partagé avec nous, ce qui éleve noſtre Sexe au deſſus du leur.

En effet quand on conſidere ſincerement les choſes humaines dans le paſſé & dans le preſent, on trouve qu’elles ſont toutes ſemblables en un point, qui eſt que la raiſon a toûjours eſté la plus foible : & il ſemble que toutes les hiſtoires n’ayent eſté faites, que Comment on s’est toûjours gouverné. pour montrer ce que chacun void de ſon temps, que depuis qu’il y a des hommes, la force a toûjours prévalu. Les plus grands empires de l’Aſie ont eſté dans leur commencement l’ouvrage des uſurpateurs & des brigands : & les débris de la monarchie des Grecs & des Romains, n’ont eſté recüeillis que par des gens qui ſe crurent aſſez forts pour reſiſter à leurs maiſtres & pour dominer ſur leurs égaux. Cette conduite n’eſt pas moins viſible dans toutes les ſocietez : & ſi les hommes en uſent ainſi à l’égard de leurs pareils, il y a grande apparence qu’ils l’ont fait d’abord à plus forte raiſon, chacun à l’égard de ſa femme. Voicy à Conjecture hiſtorique. peu prés comment cela eſt arrivé.

Les hommes remarquant qu’ils eſtoient les plus robuſtes,Comment les hommes ſe ſont rendus les maiſtres. & que dans le rapport du Sexe ils avoient quelqu’avantage de corps, ſe figurerent qu’il leur appartenoit en tout. La conſequence n’eſtoit pas grande pour les femmes au commencement du monde. Les choſes eſtoient dans un état tres-different d’aujourd’huy, il n’y avoit point encore de gouvernement, de ſcience, d’employ, ny de religion établie : Et les idées de dépendance n’avoient rien du tout de fâcheux. Je m’imagine qu’on vivoit alors comme des enfans, & que tout l’avantage eſtoit comme celuy du jeu : les hommes & les femmes qui eſtoient alors ſimples & innocens, s’employoient également à la culture de la terre ou à la chaſſe comme font encore les ſauvages. L’homme alloit de ſon coſté & la femme alloit du ſien ; celuy qui apportoit davantage eſtoit auſſi le plus eſtimé.

Les incommoditez & les ſuites de la groſſeſſe diminuant les forces des femmes durant quelqu’intervalle, & les empeſchant de travailler comme auparavant, l’aſſiſtance de leurs maris leur devenoit abſolument neceſſaire, & encore plus lorſqu’elles avoient des enfans. Tout ſe terminoit à quelques regards d’eſtime & de preferance, pendant que les familles ne furent compoſées que du pere & de la mere avec quelques petits enfans. Mais lorsqu’elles ſe furent aggrandies, & qu’il y eut en une meſme maiſon, le pere & la mere du pere, les enfans des enfans, avec des freres & des ſœurs, des ainez & des cadets ; la dépendence s’étendit, & devint ainſi plus ſenſible. On vid la maiſtreſſe ſe ſoûmettre à ſon mary, le fils honorer le pere, celuy-cy commander à ſes enfans : & comme il eſt tres-difficile que les freres s’accordent toûjours parfaitement, on peut juger qu’ils ne furent pas long-temps enſemble, qu’il n’arrivaſt entr’eux quelque different. L’aîné plus fort que les autres, ne leur voulut rien ceder. La force obligea les petits de ployer ſous les plus grands. Et les filles ſuivirent l’exemple de leur mere.

Il eſt aiſé de s’imaginer qu’il y eut alors dans les maiſons plus de fonctions differentes ; que les femmes obligées d’y demeurer pour élever leurs enfans, prirent le ſoin du dedans : que les hommes eſtant plus libres & plus robuſtes ſe chargerent du dehors, & qu’aprés la mort du pere & de la mere, l’aîné voulut dominer. Les filles accoûtumées à demeurer au logis, ne penſerent point à en ſortir. Quelques cadets mécontens & plus fiers que les autres refuſant de prendre le joug, furent obligez de ſe retirer & de faire bande à part. Pluſieurs de meſme humeur s’eſtant rencontrez s’entretinrent de leur fortune, & firent aiſement amitié : & ſe voyans tous ſans bien, chercherent les moyens d’en acquerir. Comme il n’y en avoit point d’autre que de prendre celuy d’autruy, ils ſe jetterent ſur celuy qui eſtoit le plus en main ; & pour le conſerver plus ſurement, ſe ſaiſirent en même temps des maiſtres auſquels il appartenoit.

La dépendance volontaire qui eſtoit dans les familles ceſſa par cette invaſion. Les peres & les meres furent contraints d’obeïr, avec leurs enfans à un injuſte uſurpateur : & la condition des femmes en devint plus facheuſe qu’auparavant. Car au lieu qu’elles n’avoient épouſé juſque-là que des gens de leur famille qui les traittoient comme ſœurs ; elles furent aprés cela contraintes de prendre pour maris des étrangers inconnus qui ne les conſidererent que comme le plus beau du butin.

C’est l’ordinaire des vainqueurs de mépriſer ceux d’entre les vaincus, qu’ils eſtiment les plus foibles. Pourquoy les femmes n’ont point eu de part aux premiers emplois.Et les femmes le paroiſſant, à cauſe de leurs fonctions qui demandoient moins de force, furent regardées comme étant inferieures aux hommes.

Quelques uns ſe contenterent d’une premiere uſurpation : mais d’autres plus ambitieux, encouragez par le ſuccés de la victoire voulurent pouſſer plus loin leurs conqueſtes. Les femmes eſtant trop humaines pour ſervir à ces injuſtes deſſeins, on les laiſſa au logis : & les hommes furent choiſis comme eſtant plus propres aux entrepriſes où l’on a beſoin de force. En cét eſtat l’on n’eſtimoit les choſes qu’autant qu’on les croyoit utiles à la fin qu’on ſe propoſoit ; & le deſir de dominer eſtant devenu une des plus fortes paſſions, & ne pouvant eſtre ſatisfait que par la violence & l’injuſtice, il ne faut pas s’eſtonner que les hommes en ayant eſté ſeuls les inſtruments, ayent eſté preferez aux femmes. Ils ſervirent à retenir les conqueſtes qu’ils avoient faites : on ne prit que leurs conſeils pour eſtablir la tyrannie, parce qu’il n’y avoit qu’eux qui les puſſent executer : & de cette forte la douceur & l’humanité des femmes fut cauſe qu’elles n’eurent point de part au gouvernement des Etats.

L’exemple des Princes fut bien-toſt imité par leurs Sujets. Chacun voulut l’emporter ſur ſon compagnon : Et les particuliers commencerent à dominer plus abſolument ſur leurs familles. Lorsqu’un Seigneur ſe vid maiſtre d’un Peuple & d’un Païs coniſderable, il en forma un Royaume ; Il fit des loix pour le gouverner, prit des Officiers entre les hommes, & eſleva aux Charges ceux qui l’avoient mieux ſervy dans ſes entrepriſes. Une preferance ſi notable d’un ſexe à l’autre fit que les femmes furent encore moins conſiderées : & leur humeur & leurs fonctions les éloignant du carnage & de la guerre, on crut qu’elles n’eſtoient capables de contribuer à la conſervation des Royaumes, qu’en aidant à les peupler.

L’établissement des Etats ne ſe pût faire ſans mettre de la diſtinction entre ceux qui les compoſoient. L’on introduiſit des marques d’honneur, qui ſervirent à les diſcerner ; & on inventa des ſignes de reſpect pour témoigner la difference qu’on reconnoiſſoit entre eux. On joignit ainſi à l’idée de la puiſſance la ſoûmiſſion exterieure, que l’on rend à ceux qui ont l’authorité entre les mains.

Il n’eſt pas neceſſaire de dire icy comment Dieu a eſté connu des hommes : mais il eſt conſtant qu’il en a eſté adoré depuis le commencement du monde. Pour le culte qu’on luy a rendu, il n’a eſté regulier que depuis qu’on s’eſt aſſemblé pour faire des Societez publiques. Comme l’on eſtoit accoûtumé à reverer les Comment les femmes n’ont point eu de part aux miniſteres de la religion parmy les Payens.Puiſſances par des marques de reſpect, on crût qu’il falloit auſſi honnorer Dieu par quelques ceremonies, qui ſerviſſent à témoigner les ſentimens qu’on avoit de ſa grandeur. On baſtit des Temples ; on inſtitua des Sacrifices : & les hommes qui eſtoient déja les maiſtres du Gouvernement ne ne manquerent pas de s’emparer encore du ſoin de ce qui concernoit la Religion : & la coûtume ayant déja prévenu les femmes, que tout appartenoit aux hommes, elles ne demanderent point d’avoir part au miniſtere. L’idée qu’on avoit de Dieu s’eſtant extrémement corrompuë par les fables & par les fictions poëtiques ; l’on ſe forgea des Divinitez mâles, & femelles : & l’on inſtitua des Preſtreſſes pour le ſervice de celles de leur ſexe ; mais ce ne fut que ſous la conduite & ſous le bon plaiſir des Preſtres.

L’on a veu auſſi quelquesfois des femmes gouverner de grands Eſtats : mais il ne faut pas pour cela s’imaginer, que c’eſt qu’elles y euſſent eſté appellées, par eſprit de reſtitution ; c’eſt qu’elles avoient eu l’adreſſe de diſpoſer les affaires de ſorte qu’on ne pouvoit leur oſter l’authorité d’entre les mains. Il y a aujourd’huy des Etats hereditaires où les femelles ſuccedent aux mâles, pour eſtre Reines ou Princeſſes ; mais il y a ſujet de croire, que ſi on a laiſſé d’abord tomber ces Royaumes-là en quenouïlle, ce n’a eſté que pour éviter de tomber en guerre civile : & ſi l’on a permis les Regences, on ne l’a fait que dans la penſée que les meres, qui aiment toûjours extraordinairement leurs enfans, prendroient un ſoin particulier de leurs Etats, pendant leur minorité.

Pourquoy elles n’ont point eu de part aux ſciences.Ainsi les femmes n’ayant eu à faire que leur ménage, & y trouvant aſſez dequoy s’occuper, il ne faut pas s’étonner qu’elles n’ayent point inventé de ſciences, dont la pluſpart n’ont eſté d’abord, que l’ouvrage & occupation des oyſifs & des faineants. Les Preſtres des Egyptiens qui n’avoient pas grand’choſe à faire, s’amuſoient enſemble à parler des effets de la nature, qui les touchoient davantage. A force de raiſonner, ils firent des obſervations dont le bruit excita la curioſité de quelques hommes qui les vinrent rechercher. Les ſciences n’eſtant encore qu’au berceau, ne tirerent point les femmes de leurs maiſons ; outre que la jalouſie qui broüilloit déja les maris, leur eût fait croire qu’elles euſſent eſté viſiter les Preſtres plûtoſt pour l’amour de leur perſonne, que des connoiſſances qu’ils avoient.

Lorsque pluſieurs en furent imbus, ils s’aſſemblerent en certains lieux pour en parler plus à leur aiſe. Chacun diſant ſes penſées, les ſcienſes ſe perfectionnerent. On fit des Academies, où l’on n’appella point les femmes ; & elles furent de cette ſorte excluës des ſciences, commes elles l’étoient du reſte.

La contrainte dans laquelle on les retenoit, n’empécha pas que quelques-unes n’euſſent l’entretien ou les écrits des ſçavants : elles égalerent en peu de temps les plus habiles : & comme on s’eſtoit déja forgé une bien-ſeance importune, les hommes n’oſant venir chez elles, ny les autres femmes s’y trouver, de peur qu’on n’en priſt ombrage, elles ne firent point de diſciples ny de ſectateurs, & tout ce qu’elles avoient acquis de lumiere mouroit inutilement avec elles.

Si l’on obſerve comment les modes s’introduiſent & s’embelliſſent de jour en jour, on jugera aiſement qu’au commencement du monde, on ne s’en mettoit gueres en peine. Tout y eſtoit ſimple & groſſier. On ne ſongeoit qu’au neceſſaire. Les hommes écorchoient des beſtes, & en attachant les peaux enſemble s’en adjuſtoient des habits. Le commode vint aprés : & chacun s’habillant à ſa guiſe, les manieres qu’on trouva qui ſeoient le mieux, ne furent point negligées : & ceux qui eſtoient ſous le meſme Prince ne manquerent pas de ſe conformer à luy.

Pourquoy les femmes ſe ſont jetées dans la bagatelle.Il n’en fut pas des modes comme du gouvernement & des ſciences. Les femmes y eurent part avec les hommes : & ceux-cy remarquant qu’elles en eſtoient plus belles, n’eurent garde de les en priver : & les uns & les autres trouvant qu’on avoit meilleure grace & qu’on plaiſoit d’avantage avec certains ajuſtemens, les rechercherent à l’envy : mais les occupations des hommes étant plus grandes & plus importantes, les empécherent de s’y appliquer ſi fort.

Les femmes montrèrent en cela leur prudence & leur adreſſe. S’appercevant que les ornemens étrangers les faiſoient regarder des hommes avec plus de douceur, & qu’ainſi leur condition en eſtoit plus ſupportable, elles ne negligerent rien de ce qu’elles crûrent pouvoir ſervir à ſe rendre plus aimables. Elles y employerent l’or, l’argent, & les pierreries, auſſi-toſt qu’elles furent en vogue : & voyant que les hommes leur avoient oſté le moyen de ſe ſignaler par l’eſprit, elles s’appliquerent uniquement à ce qui pouvoit les faire paroître plus agreables. Elles s’en ſont depuis fort bien trouvées, & leurs ajuſtemens & leur beauté les ont fait conſiderer plus que n’auroient fait tous les livres & toute la ſcience du monde. La coûtume en eſtoit trop bien établie pour recevoir quelque changement dans la ſuite ; la pratique en a paſſé juſques à nous : & il ſemble que c’eſt une tradition trop ancienne pour y trouver quelque choſe à redire.

Il paroiſt manifeſtement par cette conjecture hiſtorique & conforme à la maniere d’agir ſi ordinaire à tous les hommes, que ce n’a eſté que par empire qu’ils ſe ſont reſervé les avantages exterieurs, auſquels les femmes n’ont point de part. Car afin de pouvoir dire que ç’a eſté par raiſon, il faudroit qu’ils ne les communiquaſſent entr’eux qu’à ceux Ce que devroient faire les hommes pour justifier leur conduite à l’égard des femmes.qui en ſont les plus capables : qu’ils en fiſſent le choix avec un juſte diſcernement ; qu’ils n’admiſſent à l’étude que ceux en qui ils auroient reconnu plus de diſpoſition pour les ſciences ; qu’ils n’élevaſſent aux emplois que ceux qui y ſeroient les plus propres, qu’on en excluſt tous les autres, & qu’enfin on n’appliquaſt chacun qu’aux choſes qui leur ſeroient les plus convenables.

Comment les hommes entrent dans les emplois.Nous voyons que c’eſt le contraire qui ſe pratique & qu’il n’y a que le hazard, la neceſſité, ou l’intereſt, qui engage les hommes dans les états differens de la ſocieté civile. Les enfans apprennent le métier de leur pere, parce qu’on leur en a toûjours parlé. Tel eſt contraint de prendre une robe, qui aimeroit mieux une épée, ſi cela eſtoit à ſon choix ; & on ſeroit le plus habile homme du monde qu’on n’entrera jamais dans une charge, ſi l’on n’a pas dequoy l’acheter.

Combien y a-t-il de gens dans la pouſſiere, qui ſe fuſſent ſignalez ſi on les avoit un peu pouſſez ? Et de païſans qui ſeroient de grands docteurs ſi on les avoit mis à l’étude ? On ſeroit aſſez mal fondé de prétendre que les plus habiles gens d’aujourd’huy ſoient ceux de leur temps qui ont eu plus de diſpoſition pour les choſes en quoy ils éclatent ; & que dans un ſi grand nombre de perſonnes enſevelies dans l’ignorance, il n’y en a point qui avec les meſmes moyens qu’ils ont eu, ſe fuſſent rendu plus capables.

Surquoy donc petit-on aſſurer que les femmes y ſoient moins propres que nous, puiſque ce n’eſt pas le hazard, mais une neceſſité inſurmontable, qui les empeſche d’y avoir part. Je ne ſoûtiens pas qu’elles ſoient toutes capables des ſciences & des emplois, ny que chacune le ſoit de tous : perſonne ne le prétend non plus des hommes ; mais je demande ſeulement qu’à prendre les deux Sexes en general, on reconnoiſſe dans l’un autant de diſpoſition que dans l’autre.

Comparaiſon des jeunes enfans de l’un & de l’autre Sexe.Que l’on regarde ſeulement ce qui ſe paſſe dans les petits divertiſſemens des enfans. Les filles y font paroiſtre plus de gentilleſſe, plus de genie, plus d’adreſſe ; lorſque la crainte ou la honte n’étouffent point leurs penſées, elles parlent d’une maniere plus ſpirituelle & plus agreable. Il y a dans leurs entretiens plus de vivacité, plus d’enjoüemens, & plus de liberté : elles apprennent bien plus vîte ce qu’on leur enſeigne ? quand on les applique également : elles ſont plus aſſiduës, & plus patientes au travail, plus ſoûmiſes, plus modeſtes & plus retenuës. En un mot, on remarque en elles dans un degré plus parfait, toutes les qualitez excellentes, qui font juger que les jeunes hommes en qui elles ſe trouvent, ſont plus propres aux grandes choſes que leurs égaux.

Cependant, quoyque ce qui paroiſt dans les deux Sexes, lors qu’ils ne ſont encore qu’au berçeau, ſuffiſe déja pour faire juger que le plus beau donne auſſi plus de belles eſperances, on n’y a aucun égard. Les maiſtres & les inſtructions ne ſont que pour les hommes : on prend un ſoin tout particulier de les inſtruire de tout ce qu’on croit le plus propre à former l’eſprit, pendant qu’on laiſſe languir les femmes, dans l’oiſiveté, dans la moleſſe, & dans l’ignorance, ou remper dans les exercices les plus bas & les plus vils.

Mais auſſi, il ne faut que des yeux pour reconnoître, qu’il eſt en cela de deux Sexes, comme de deux freres dans une famille, ou le cadet fait voir ſouvent, nonobſtant la negligence avec laquelle on l’éleve, que ſon aîné n’a pardeſſus luy que l’avantage d’eſtre venu le premier.

Que l’étude eſt inutile à la pluſpart des hommes.A quoy ſert ordinairement aux hommes l’éducation qu’on leur donne : elle eſt inutile à la pluſpart pour la fin qu’on s’y propoſe : & elle n’empêche pas que beaucoup ne tombent dans le déreglement & dans le vice, & que d’autres ne demeurent toûjours ignorans, & méme ne deviennent encore plus ſots qu’ils n’étoient. S’ils avoient quelque choſe d’honneſte, d’enjoüé, & de civil, ils le perdent par l’étude. Tout les choque, & ils choquent tout ; on diroit qu’ils ne ſe ſeroient occupez durant leur jeuneſſe, qu’à voyager dans un païs où ils n’auroient frequenté que des ſauvages ; tant ils raportent chez-eux de rudeſſe & de groſſiereté dans leurs manieres. Ce qu’ils ont appris eſt comme des marchandiſes de contrebande, qu’ils n’oſeroient, ou ne ſçauroient debiter : & s’ils veulent rentrer dans le monde & y bien joüer leur perſonnage, ils ſont obligez d’aller à l’école des Dames, pour y apprendre, la politeſſe, la complaiſance, & tout le dehors qui fait aujourd’huy l’eſſentiel des honneſtes gens.

Si l’on confideroit cela de prés, au lieu de mépriſer les femmes, parce qu’elles n’ont pas de part aux ſciences, on les en eſtimeroit heureuſes : puis que ſi d’un coſté, elles ſont privées par là des moyens de faire valoir les talens, & les avantages qui leur ſont propres ; de l’autre coſté, elles n’ont pas l’occaſion de les gâter ou de les perdre : & nonobſtant cette privation, elles croiſſent en vertu, en eſprit & en bonne grace, à meſure qu’elles croiſſent en âge : & ſi l’on comparoit ſans préjugé les jeunes hommes au ſortir de leurs études, avec des femmes de leur âge, & d’un eſprit proportionné, ſans ſçavoir comment les uns & les autres ont eſté élevez, on croiroit qu’ils ont eu une éducation toute contraire.

L’exterieur ſeul, l’air du viſage, les regards, le marcher, la contenance, les geſtes, ont dans les femmes quelque choſe de poſé, de ſage, & d’honneſte, qui les diſtingue aſſez des hommes. Elles obſervent en tout exactement la bien-ſeance : on ne peut eſtre plus retenu qu’elles le ſont.Difference des deux Sexes dans les manieres. On n’entend point ſortir de leur bouche de paroles à double entente. Les moindres équivoques bleſſent leurs oreilles, & elles ne peuvent ſouffrir la veuë de tout ce qui choque la pudeur.

Le commun des hommes a une conduite toute oppoſée. Leur marcher eſt ſouvent précipité, leurs geſtes bizarres, leurs yeux mal reglez : & ils ne ſe divertiſſent jamais davantage, que lorſqu’ils s’entretiennent & ſe repaiſſent des choſes qu’il faudroit taire ou cacher.

Comparaiſon des femmes avec les ſçavans.Que l’on faſſe converſation enſemble ou ſéparement avec les femmes & avec ce qu’on appelle ſçavant dans le monde. On verra quelle difference il y a entre les uns & les autres. On diroit que ce que les hommes ſe mettent dans la teſte en étudiant ne ſert qu’à boucher leur eſprit, & à y porter la confuſion. Peu s’énoncent avec netteté ; & la peine qu’ils ont à arracher leurs paroles, fait perdre le gouſt à ce qu’ils peuvent dire de bon ; & à moins qu’ils ne ſoient fort ſpirituels, & avec des gens de leur ſorte, ils ne peuvent ſoûtenir une heure de converſation.

Les femmes, au contraire, diſent nettement & avec ordre ce qu’elles ſçavent : les paroles ne leur coûtent rien ; elles commencent & continüent comme il leur plaiſt ; & leur imagination fournit toûjours d’une maniere inépuiſable, lorſqu’elles ſont en liberté. Elles ont le don de propoſer leurs ſentimens avec une douceur & une complaiſance qui ſervent autant que la raiſon à les inſinüer : au lieu que les hommes les propoſent ordinairement d’une maniere ſeche & dure.

Si l’on met quelque queſtion ſur le tapis en preſence des femmes un peu éclairées ; elles en découvrent bien plûtoſt le point de veuë ? Elles la regardent par plus de faces : ce que l’on dit de vray trouve plus de priſe dans leur eſprit ; & quand on s’y connoiſt un peu, & qu’on ne leur eſt point ſuſpect, on remarque que les préjugez qu’elles ont, ne ſont pas ſi forts que ceux des hommes, & les mettent moins en garde contre la verité qu’on avance. Elles ſont éloignées de l’eſprit de contradiction & de diſpute, auquel les fçavans ſont ſi ſujets : elles ne pointillent point vainement ſur les mots, & ne ſe ſervent point de ces termes ſcientifiques & myſterieux, ſi propres à couvrir l’ignorance, & tout ce qu’elles diſent eſt intelligible & ſenſible.

J’ay pris plaiſir à m’entretenir avec des femmes de toutes les conditions differentes, que j’ay peu rencontrer à la ville & aux champs, pour en découvrir le fort & le foible ; & j’ay trouvé dans celles que la neceſſité, ou le travail n’avoient point rendu ſtupides, plus de bon ſens, que dans la pluſpart des ouvrages, qui ſont beaucoup eſtimez parmy les ſçavans vulgaires.

En parlant de Dieu, pas une ne s’eſt aviſée de me dire, qu’elle Opinion d’un grand Philoſophe.ſe l’imaginoit, ſous la forme d’un venerable vieillard. Elles diſoient au contraire, qu’elles ne pouvoient ſe l’imaginer, c’eſt-à-dire, ſe le repreſenter ſous quelque idée ſemblable aux hommes : qu’elles concevoient qu’il y a un Dieu ; parce qu’elles ne comprenoient pas que ni elles ni ce qui les environne ſoient les ouvrages du hazard, ou de quelque creature : & que la conduite de leurs affaires n’eſtant pas un effet de leur prudence, parce que le ſuccez en venoit rarement par les voyes qu’elles avoient priſes, il faloit que ce fût l’effet d’une providence divine.

Quand je leur ay demandé ce qu’elles penſoient de leur ame ; elles ne m’ont pas répondu que Ce ſont des opinions de Philoſophes.c’eſt une flamme fort ſubtile, ou la diſpoſition des organes de leur corps, ny qu’elle ſoit capable de s’étendre ou de ſe reſſerrer : elles répondoient au contraire, qu’elles ſentoient bien qu’elle eſt diſtinguée de leurs corps, & que tout ce qu’elles en pouvoient dire de plus certain, c’eſt qu’elles ne croyoient pas qu’elle fuſt rien de ſemblable à aucune des choſes qu’elles appercevoient par les ſens ; & que ſi elles avoient étudié, elles ſçauroient préciſément ce que c’eſt.

Il n’y a pas une garde qui s’aviſe de dire comme les medecins, que leurs malades ſe portent mieux, parce que la Faculté Coctrice fait loüablement ſes fonctions : & lors qu’elles voyent ſortir une ſi grande quantité de ſang par une veine, elles ſe raillent de ceux qui nient, qu’elle ait communication avec les autres par la circulation.

Lorsque j’ay voulu ſçavoir pourquoy elles croyoient que les pierres expoſées au Soleil & aux pluyes du midy, s’uſent plûtoſt que celles qui ſont au Septentrion ; nulle n’a eſté allez ſimple pour me répondre, que cela vient de ce que la Lune les mord à belles dents, comme ſe l’imagine aſſez plaiſamment quelques Philoſophes ; mais que c’eſt l’ardeur du Soleil qui les deſſéche : & que les pluïes ſurvenant les détrempent plus facilement.

Queſtion de Scolaſtique.J’ay demandé tout exprés à plus de vingt, ſi elles ne croyoient pas que Dieu puiſſe faire par une puiſſance obedientielle ou extraordinaire, qu’une pierre ſoit élevée à la viſion beatifique : mais je n’en ay pû tirer autre choſe, ſinon qu’elles croyoient que je me voulois moquer d’elles par cette demande.

Quel eſt le fruit des ſciences.Le plus grand fruit que l’on puiſſe eſperer des ſciences, c’eſt le diſcernement & la juſteſſe pour diſtinguer ce qui eſt vray & évident, d’avec ce qui eſt faux & obſcur, & pour éviter ainſi de tomber dans l’erreur, & la mépriſe. On eſt aſſez porté à croire que les hommes, au moins ceux qui paſſent pour ſçavans, ont cét avantage pardeſſus les femmes. Neantmoins, ſi l’on a un peu de cette juſteſſe dont je parle, on trouvera que c’eſt une des qualitez qui leur manque le plus. Car non ſeulement ils ſont obſcurs, & confus dans leurs diſcours, & ce n’eſt ſouvent que par cette qualité qu’ils dominent, & qu’ils s’attirent la creance des perſonnes ſimples & credules : mais même ils rejettent ce qui eſt clair & évident, & ſe raillent de ceux qui parlent d’une maniere claire & intelligible, comme eſtant trop facile & trop commune ; & ſont les premiers à donner dans ce qu’on leur propoſe d’obſcur, comme eſtant plus myſterieux. Pour s’en convaincre il ne faut que les écouter, avec un peu d’attention, & les obliger de s’expliquer.

Elles ont la juſteſſe d’eſprit.Les Femmes ont une diſpoſition bien éloignée de celle-là. On obſerve que celles qui ont un peu veu le monde, ne peuvent ſouffrir que leurs enfans mêmes parlent Latin en leur preſence : Elles ſe défient des autres qui le ſont : & diſent aſſez ſouvent qu’elles craignent, qu’il n’y ait quelque impértinence cachée ſous ces habillemens étrangers. Non ſeulement on ne leur entend point prononcer ces termes de ſciences, qu’on appelle conſacrez : mais même elles ne ſçauroient les retenir, quoy qu’on les repetaſt ſouvent, & qu’elles ayent bonne memoire : & lorſqu’on leur parle obſcurement, elles avoüent de bonne foy qu’elles n’ont pas aſſez de lumiere ou d’eſprit pour entendre ce que l’on dit, ou bien elles reconnoiſſent que ceux qui leur parlent de la ſorte, ne ſont pas aſſez inſtruits.

Enfin ſi l’on conſidere de quelle façon les hommes & les femmes produiſent ce qu’ils ſçavent, on jugera que les uns font comme ces ouvriers qui travaillent aux Carrieres, & qui en tirent avec peine les pierres toutes brutes & toutes informes : & que les femmes ſont comme des Architectes ou des Lapidaires habiles, qui ſçavent polir & mettre aiſément en œuvre, & dans leur jour ce qu’elles ont entre les mains.

Non ſeulement on trouve un tres-grand nombre de femmes qui jugent auſſi-bien des choſes que ſi on leur avoit donné la meilleure éducation, ſans avoir ny les préjugez, ny les idées confuſes, ſi ordinaires aux ſçavans ; mais méme on en voit beaucoup qui ont le bon ſens ſi juſte, qu’elles parlent ſur les objets des plus belles ſciences, comme ſi elles les avoient toûjours étudiées.

Elles ſçavent l’art de parler.Elles s’énoncent avec grace. Elles ont l’art de trouver les plus beaux termes de l’uſage, & de faire plus comprendre en un mot, que les hommes avec pluſieurs : & ſi l’on s’entretient des Langues en general, elles ont là-deſſus des penſées qui ne ſe trouvent que dans les plus habiles Grammairiens. Enfin on remarque qu’elles tirent plus de l’uſage ſeul pour le langage, que la pluſpart des hommes ne font de l’uſage joint à l’étude.

Elles ſçavent l’éloquence.L’éloquence eſt un talent qui leur eſt ſi naturel & ſi particulier, qu’on ne peut le leur diſputer. Elles perſuadent tout ce qu’elles veulent. Elles ſçavent accuſer & deffendre ſans avoir étudié les loix ; & il n’y a gueres de Juges qui n’ayent éprouvé, qu’elles valent des Avocats. Se peut-il rien de plus fort & de plus éloquent que les lettres de pluſieurs Dames, ſur tous les ſujets qui entrent dans le commerce ordinaire, & principalement ſur les paſſions, dont le reſſort fait toute la beauté & tout le ſecret de l’éloquence. Elles les touchent d’une maniere ſi délicate : & les expriment ſi naïvement, qu’on eſt obligé d’avoüer qu’on ne les ſent pas autrement, & que toutes les Rhetoriques du monde ne peuvent donner aux hommes ce qui ne coûte rien aux femmes. Les pieces d’éloquence & de poëſie, les harangues, les predications & les diſcours ne font point de trop haut gouſt pour elles ; & rien ne manque à leurs critiques, que de les faire ſelon les termes & les regles de l’art.

Je m’attens bien que ce traité ne leur échapera pas non plus : que pluſieurs y trouveront à redire : les unes qu’il n’eſt pas proportionné à la grandeur ny à la dignité du ſujet : que le tour n’en eſt pas aſſez galant ; les manieres aſſez nobles ; les expreſſions aſſez fortes, ny aſſez élevées ; qu’il y a des endroits peu touchez ; qu’on pourroit y ajoûter d’autres remarques importantes : mais j’eſpere auſſi que ma bonne volonté, & le deſſein que j’ay pris de ne rien dire que de vray, & d’éviter les expreſſions trop fortes, pour ne point ſentir le Roman, m’exuſeront auprés d’elles.

Elles ont l’éloquence de l’action.Elles ont encore cét avantage que l’éloquence de l’action eſt en elles bien plus vive, que dans les hommes. C’eſt aſſez de voir à leur mine qu’elles ont deſſein de toucher, pour ſe rendre à ce qu’elles veulent. Elles ont l’air noble & grand, le port libre & majeſtueux, le maintien honneſte, les geſtes naturels, les manieres engageantes, la parole facile, & la voix douce & flexible. La beauté & la bonne grace, qui accompagnent leurs diſcours, lorſqu’ils entrent dans l’eſprit, leur ouvrent la porte du cœur. Quand elles parlent du bien & du mal, on voit ſur leur viſage ce caractere d’honneſteté, qui rend la perſuaſion plus forte. Et lorſque c’eſt pour la vertu qu’elles veulent donner de l’amour, leur cœur paroiſt ſur leurs lévres ; & l’idée qu’elles en expriment, revétuë des ornemens du diſcours & des graces qui leur ſont ſi particulieres, en paroiſt cent fois plus belle.

Elles ſçavent le droit & entendent la pratique.C’est un plaiſir d’entendre une femme qui ſe méle de plaider. Quelque embarras qu’il y ait dans ſes affaires, elle les débroüille & les explique nettement. Elle expoſe préciſément ſes pretentions & celles de ſa partie ; elle montre ce qui a donné lieu au procez, par quelles voyes elle la conduit, les reſſorts qu’elle a fait joüer, & toutes les procedures qu’elle a faites, & l’on découvre parmy tout cela une certaine capacité pour les affaires, que la pluſpart des hommes n’ont point.

C’est ce qui me fait penſer, que ſi elles étudioient le droit, elles y reüſſiroient au moins comme nous. On voit qu’elles aiment plus la paix & la juſtice ; elles ſouffrent avec peine les differens, & s’entremettent avec joye pour les terminer à l’amiable : leurs ſoins leur font trouver des biais & des expediens ſinguliers pour reconcilier les eſprits : & elles font naturellement dans la conduite de leur maiſon, ou ſur celle des autres, les principales reflexions d’équité, ſur leſquelles toute la Juriſprudence eſt fondée.

Elles ſont propres à l’hiſtoire.Dans les recits que font celles qui ont un peu d’eſprit, il y a toûjours avec l’ordre, je ne ſçay quel agrément qui touche plus que dans les noſtres. Elles ſçavent diſcerner ce qui eſt propre ou étranger au ſujet ; démêler les intereſts : deſigner les perſonnes par leur propre caractere : dénoüer les intrigues, & ſuivre les plus grandes comme les plus petites, quand elles en ſont informées. Tout cela ſe voit encore mieux dans les hiſtoires & dans les Romans des Dames ſçavantes, qui vivent encore.

Elles ſçavent la Theologie.Combien y en a-t-il qui s’inſtruiſent autant aux ſermons, dans les entretiens, & dans quelques petits livres de pieté, que des Docteurs avec S. Thomas dans leur cabinet & ſur les bancs. La ſolidité & la profondeur avec laquelle elles parlent des plus hauts myſteres & de toute la Morale Chreſtienne, les feroient prendre ſouvent pour de grands Theologiens, ſi elles avoient un chapeau, & qu’elles puſſent citer en Latin quelques paſſages.

Elles entendent la Medecine.Il ſemble que les femmes ſoient nées pour exercer la Medecine, & pour rendre la ſanté aux malades. Leur propreté & leur complaiſance ſoulagent le mal de la moitié. Et non ſeulement elles ſont propres à appliquer les remedes ; mais mêmes à les trouver. Elles en inventent une infinité qu’on appelle petits, parce qu’ils coûtent moins que ceux d’Hypocrate, & qu’on ne les preſcrit pas par ordonnance : mais qui ſont d’autant plus ſurs & plus faciles, qu’ils ſont plus naturels. Enfin elles font leurs obſervations dans la pratique avec tant d’exactitude, & en raiſonnent ſi juſte, qu’elles rendent ſouvent inutiles tous les cahiers de l’Ecole.

Elles ſçavent le contraire des réveries Aſtrologiques.Entre les femmes de la campagne, celles qui vont travailler aux champs, ſe connoiſſent admirablement aux bizarreries des ſaiſons ; & leurs Almanacs ſont bien plus certains que ceux qu’on imprime de la main des Aſtrologues. Elles expliquent ſi naïvement la fertilité, & la ſterilité des années, par les vents, par les pluïes & par tout ce qui produit les changemens de temps, qu’on ne peut les entendre là-deſſus, ſans avoir compaſſion des ſçavans qui rapportent ces effets, aux Aſpects, aux Approches & aux Aſcendans des Planettes. Ce qui me fait juger que ſi on leur avoit appris, que les alterations auſquelles le corps humain eſt ſujet, luy peuvent arriver à cauſe de ſa conſtitution particuliere D’où vient la diverſité des mœurs & des inclinations. par l’exercice, par le climat, par la nourriture, par l’éducation & par les rencontres differentes de la vie, elles ne s’aviſeroient jamais d’en rapporter les inclinations, ny les changemens aux Influences des Aſtres, qui ſont des corps éloignez de nous de pluſieurs millions de lieuës.

Pourquoy on ne les entend pas parler deIl eſt vray qu’il y a des ſciences dont on n’entend point parler les femmes, parce que ce ne ſont certaines ſciences. point des ſciences de miſe ni de ſocieté. L’Algebre, la Geometrie, l’Optique, ne ſortent preſque jamais des cabinets ny des Academies ſçavantes, pour venir au milieu du monde. Et comme leur plus grand uſage eſt de donner la juſteſſe dans les penſées ; elles ne doivent paroiſtre dans le commerce ordinaire, que ſecrettement & comme des reſſorts cachez, qui font joüer de grandes machines. C’eſt-à-dire, qu’il en faut faire l’application ſur les ſujets d’entretien, & penſer & parler juſte & geometriquement, ſans faire paroiſtre qu’on eſt Geomettre.

Que tout cela est plus viſible dans les Dames.Toutes ces obſervations ſur les qualitez de l’eſprit, ſe peuvent faire ſans peine avec les femmes de mediocre condition ; mais ſi on va juſques à la Cour, & qu’on ait part aux entretiens des Dames, on y pourra remarquer toute autre choſe. Il ſemble que leur genie ſoit proportionné naturellement à leur état. Avec la juſteſſe, le diſcernement, & la politeſſe, elles ont un tour d’eſprit, fin, délicat, aiſé ; & je ne ſçay quoy de grand & de noble, qui leur eſt particulier. On diroit que les objets comme les hommes, ne s’approchent d’elles, qu’avec reſpect. Elles les voyent toûjours par le bel endroit, & leur donnent en parlant tout un autre air que le commun. En un mot, que l’on montre à ceux qui ont du gouſt deux lettres de Dames de conditions differentes, on reconnoiſtra aiſément laquelle eſt de plus haute qualité.

Que les ſçavantes qui ſont en grand nombre, ſont plusCombien y a-t-il eu de Dames, & combien y en a-t-il encore, qu’on doit mettre au nombre des ſçavans, ſi on ne veut pas les eſtimables que les ſçavans.mettre au deſſus. Le ſiecle où nous vivons en porte plus que tous les ſiecles paſſez : & comme elles ont égalé les hommes, elles ſont plus eſtimables qu’eux, pour des raiſons particulieres. Il leur a falu ſurmonter la moleſſe où on éleve leur ſexe, renoncer aux plaiſirs & à l’oiſiveté où on les reduit, vaincre certains obſtacles publics, qui les éloignent de l’étude, & ſe mettre au deſſus des idées deſavantageuſes que le vulgaire a des ſçavantes, outre celles qu’il a de leur Sexe en general. Elles ont fait tout cela : & ſoit que les difficultez ayent rendu leur eſprit plus vif & plus pénétrant, ſoit que ces qualitez leur ſoient naturelles, elles ſe ſont renduës à proportion plus habiles que les hommes.

On peut dire neantmoins, ſans diminuer les ſentimens que Qu’il faut reconnoître que les femmes en general ſont capables de ſciences.ces illuſtres Dames meritent, que c’eſt l’occaſion & les moyens exterieurs, qui les ont miſes en cét état, auſſi-bien que les plus ſçavans parmy nous, & qu’il y en a une infinité d’autres qui n’en auroient pas moins fait, ſi elles euſſent eu de pareils avantages. Et puiſque l’on eſt aſſez injuſte pour croire que toutes les femmes ſont indiſcretes, lorſqu’on en connoiſt cinq ou ſix qui le ſont ; en devroit auſſi eſtre aſſez équitable, pour juger que leur ſexe eſt capable des ſciences, puiſque l’on en voit quantité, qui ont pû s’y élever.

On s’imagine vulgairement que les Turcs, les Barbares, & les Sauvages n’y ſont pas ſi propres que les peuples de l’Europe. Cependant, il eſt certain, que ſi l’on en voyoit icy cinq ou ſix qui euſſent la capacité, ou le titre de Docteur, ce qui n’eſt pas impoſſible, on corrigeroit ſon jugement, & l’on avoüeroit que ces peuples eſtant hommes comme nous, ſont capables des mêmes choſes, & que s’ils eſtoient inſtruits, ils ne nous cederoient en rien. Les femmes avec leſquelles nous vivons, valent bien les Barbares & les Sauvages, pour nous obliger d’avoir pour elles des penſées qui ne ſoient pas moins avantageuſes, ny moins raiſonnables.

Si le vulgaire s’opiniaſtre, nonobſtant ces obſervations, à ne vouloir pas que les femmes ſoient auſſi propres aux ſciences que nous, il doit au moins reconnoiſtre qu’elles leur ſont moins neceſſaires. L’on s’y applique à deux fins, l’une de bien connoître les choſes qui en ſont l’objet, & l’autre de devenir vertueux par le moyen de ces connoiſſances. Ainſi dans cette vie qui eſt ſi courte, la ſcience ſe doit uniquement rapporter à la vertu ; & les femmes poſſedant celle-cy, on peut dire qu’elles ont par un bon-heur ſingulier, le principal avantage des ſciences ſans les avoir étudiées.

Que les femmes ont autant de vertu que nous.Ce que nous voyons tous les jours, nous doit convaincre qu’elles ne ſont pas moins Chreſtiennes, que les hommes. Elles reçoivent l’Evangile avec ſoûmiſſion & avec ſimplicité. Elles en pratiquent les maximes d’une façon exemplaire. Leur reſpect pour tout ce qui concerne la religion a toûjours paru ſi grand qu’elles paſſent ſans contredit, pour avoir plus de devotion & de pieté que nous. Il eſt vray que leur culte va quelquefois juſques à l’excez : mais je ne trouve pas que cét excez ſoit ſi blâmable. L’ignorance où on les éleve en eſt la cauſe neceſſaire. Si leur zele eſt indiſcret, au moins leur perſuaſion eſt veritable : & l’on peut dire, que ſi elles connoiſſoient parfaitement la vertu, elles l’embraſſeroient bien autrement ; puiſqu’elles s’y attachent ſi fort au travers des tenebres même.

Elles ſont charitables.Il ſemble que la compaſſion qui eſt la vertu de l’Evangile ſoit affectée à leur Sexe. Le mal du prochain ne leur a pas plûtoſt frappé l’eſprit, qu’il touche leur cœur, & leur fait venir les larmes aux yeux. N’eſt-ce pas par leurs mains que ſe ſont toûjours faites les plus grandes diſtributions, dans les calamitez publiques ? Ne ſont-ce pas encore aujourd’huy les Dames qui ont particulierement ſoin des pauvres & des des malades dans les Parroiſſes, qui les vont viſiter dans les priſons, & ſervir dans les hôpitaux ? Les filles de la charité.Ne ſont-ce pas de pieuſes filles répanduës dans les quartiers, qui ont charge de leur aller porter à certaines heures du jour, la nourriture & les remedes neceſſaires, & à qui l’on a donné le nom de la charité qu’elles exercent ſi dignement ?

Celles de l’Hoſtel Dieu.Enfin, quand il n’y auroit au monde de femmes qui pratiquaſſent cette vertu envers le prochain, que celles qui ſervent les malades dans l’Hôtel-Dieu, je ne crois pas que les hommes puſſent ſans injuſtice prétendre en cela l’avantage pardeſſus leur Sexe. Ce ſont proprement ces filles là deſquelles il faloit enrichir la galerie des femmes fortes : C’eſt de leur vie qu’il faudroit faire les plus grands éloges & honnorer leur mort des plus excellens Panegyriques : puiſque c’eſt-là qu’on voit la religion Chreſtienne, c’eſt à dire, la vertu vrayment heroïque ſe pratiquer à la rigueur dans ſes commandemens & dans ſes conſeils : de jeunes filles renoncer au monde, & à elles-mémes, reſoluës à une chaſteté & à une pauvreté perpétuelle, prendre leur croix, & la Croix du monde la plus rude, pour ſe mettre le reſte de leurs jours ſous le joug de Jesus Christ : ſe conſacrer dans un Hôpital, où l’on reçoit indifferemment toutes ſortes de malades, de quelque païs ou Religion que ce ſoit, pour les ſervir tous ſans diſtinction, & ſe charger à l’exemple de leur Epoux de toutes les infirmitez des hommes, ſans ſe rebuter d’avoir ſans ceſſe les yeux frappez des ſpectacles les plus affreux : les oreilles des injures, & des cris des malades, & l’odorat de toutes les infections du corps humain : & pour marque de l’eſprit qui les anime, porter de lit en lit, entre leurs bras, & encourager les miſerables, non pas par des vaines paroles, mais par l’exemple effectif & perſonnel d’une patience, & d’une charité invincible.

Se peut-il rien concevoir de plus grand parmy les Chreſtiens ? Les autres femmes ne ſont pas moins portées à ſoulager le prochain. Il n’y a que l’occaſion qui leur manque, ou d’autres occupations qui les en détournent : & je trouve qu’il eſt auſſi indigne de s’imaginer de là comme fait le vulgaire, que les femmes ſoient naturellement ſervantes des hommes ; que de prétendre que ceux qui ont receu de Dieu des talens particuliers, ſoient les ſerviteurs & les eſclaves de ceux pour le bien deſquels ils les emploient.

Comment elles vivĕt dans le Celibat.Quelque genre de vie qu’embraſſent les femmes, leur conduite a toûjours quelque choſe de remarquable. Il ſemble que celles qui vivent hors du mariage, & qui demeurent dans le monde, n’y reſte que pour ſervir d’exemple aux autres. La modeſtie Chreſtienne paroiſt ſut leur viſage & dans leurs habits. La vertu fait leur principal ornement. Elles s’éloignent des compagnies & des divertiſſemens mondains ; & leur application aux exercices de pieté, fait bien voir qu’elles ne ſe ſont point engagées dans les ſoins ny dans les embarras du mariage, pour joüir d’une plus grande liberté d’eſprit, & n’eſtre obligées que de plaire à Dieu. Comment elles vivĕt dans les Monaſteres.Il y a autant de Monaſteres ſous la conduite des femmes que des hommes : & leur vie n’y eſt pas moins exemplaire. La retraite y eſt plus grande : la penitence auſſi auſtere ; & les Abbeſſes y valent bien les Abbez. Elles ſont des reglemens avec une ſageſſe admirable, & gouvernent leurs filles, avec tant de prudence, qu’il n’y arrive point de deſordre. Enfin l’éclat des maiſons Religieuſes, les grands biens qu’elles poſſedent, & leurs ſolides établiſſemens ſont l’effet du bon ordre qu’y apportent les Superieures.

Comment elles vivĕt dans le mariage.Le mariage eſt l’état le plus naturel, & le plus ordinaire aux hommes. Quand ils y ſont engagez, c’eſt pour le reſte de leur vie. Ils y paſſent les âges où on ne doit agir que par raiſon. Et les differens accidens de la nature & de la fortune auſquels cette condition eſt ſujette, exerçant davantage ceux qui y ſont, leur donne occaſion d’y faire paroiſtre plus d’eſprit. Il ne faut pas grande experience pour ſçavoir que les femmes y ſont plus propres que nous. Les filles ſont capables de conduire une maiſon à l’âge où les hommes ont encore beſoin de maître, & l’expedient le plus commun pour remettre un jeune homme dans le bon chemin, c’eſt de luy donner une femme, qui le retient par ſon exemple, qui modere ſes emportemens & le retire de la débauche.

Quelle complaiſance n’employent point les femmes pour vivre en paix avec leurs maris. Elles ſe ſoûmettent à leurs ordres, elles ne font rien ſans leur avis, elles ſe contraignent en beaucoup de choſes pour éviter de leur déplaire, & elles ſe privent ſouvent des divertiſſemens les plus honneſtes, pour les exempter de ſoupçon. L’on ſçait lequel des deux Sexes eſt le plus fidelle à l’autre, & ſuporte plus patiemment les malheurs qui ſurviennent dans le mariage, & y fait paroiſtre plus de ſageſſe.

Presque toutes les maiſons ne ſont reglées que par les femmes, à qui leurs maris en abandonnent le gouvernement : & le ſoin qu’elles prennent de l’éducation des enfans, eſt bien plus conſiderable aux familles & plus important à l’Etat, que celuy qu’elles ont des biens. Comment elles élevent leurs enfans.Elles ſe donnent toutes entieres à leur conſervation. La crainte qu’il ne leur arrive du mal eſt ſi grande, qu’elles en perdent ſouvent le repos. Elles ſe privent avec joye, des choſes les plus neceſſaires, afin qu’il ne leur manque rien. Elles ne ſçauroient les voir ſouffrir le moins du monde, qu’elles ne ſouffrent elles-mémes juſques au fond de l’ame : & on peut dire que la plus grande de leur peine eſt de ne les pouvoir ſoulager, en ſe chargeant de leurs douleurs.

Le ſoin qu’elles prennent de leur inſtruction.Qui ignore avec quelle application elles travaillent à les inſtruire de la vertu, autant que leur petit âge en eſt capable ? Elles tâchent de leur faire connoître & craindre Dieu, & leur enſeignent à l’adorer d’une maniere qui leur ſoit proportionnée : Elles ont ſoin de les mettre entre les mains des maiſtres, auſſi-toſt qu’ils y ſont propres, & choiſiſſent ceux-cy avec toute la précaution poſſible, pour rendre leur éducation meilleure ? Et ce qui eſt encore plus eſtimable, c’eſt qu’elles joignent le bon exemple à l’inſtruction.

Qu’un plus ample détail ſeroit avantageux aux femmes.Si l’on vouloit deſcendre, dans un détail entier de toutes les rencontres de la vie, & de toutes les vertus que les femmes y pratiquent, & en examiner les plus importantes circonſtances, il y auroit dequoy faire un tres-ample Panegyrique. On pourroit repreſenter juſques où va leur ſobrieté dans le boire & dans le manger ; la patience dans les incommoditez ; la force & le courage à ſupporter les maux, les fatigues, les veilles, & les jeûnes ; La moderation dans les plaiſirs & dans les paſſions : l’inclination à faire du bien : la prudence dans les affaires, l’honneſteté en toutes les actions : en un mot on pourroit faire voir qu’il n’y a point de vertu qui ne leur ſoit commune avec nous, & qu’il y a au contraire quantité de défauts conſiderables qui ſont particuliers aux hommes.

Voila les obſervations generales & ordinaires ſur ce qui concerne les femmes, par raport aux qualitez de l’eſprit, dont l’uſage eſt la ſeule choſe, qui doive mettre de la diſtinction entre les hommes.

Comme il n’y a gueres de rencontres où l’on ne puiſſe découvrir l’inclination, le genie, le vice, & la vertu, & la capacité des perſonnes, ceux qui ſe voudront détromper eux-mêmes ſur le ſujet des femmes, ont toûjours occaſion de le faire, en public, ou en particulier, à la Cour, & à la grille, dans les divertiſſemens, & dans les exercices, avec les pauvres comme avec les riches, en quelque état & de quelque condition qu’elles ſoient. Et ſi l’on conſidere avec ſincerité & ſans intereſt ce qu’on pourra remarquer à leur égard, on trouvera que s’il y a quelques apparences peu favorables aux femmes, il y en a encore plus qui leur ſont tres-avantageuſes ; que ce n’eſt point faute de merite ; mais de bon-heur ou de force, que leur condition n’eſt pas égale à la nôtre ; & enfin que l’opinion commune eſt un préjugé populaire & mal fondé.
DE L’ÉGALITÉ DES DEUX SEXES.

SECONDE PARTIE,


Où l’on fait voir pourquoy les témoignages qu’on peut apporter contre le ſentiment de l’égalité des deux Sexes, tirez des Poëtes, des Orateurs, des Hiſtoriens, des Juriſconſultes, & des Philoſophes, ſont tous vains & inutiles.



Ce qui confirme la vulgaire dans la penſée qu’il a des femmes, c’eſt qu’il s’y voit appuyé par le ſentiment des ſçavans. Ainſi la voix publique de ceux qui dominent par la creance, s’accordant au deſavantage des femmes, avec certaines apparences generales, il ne faut pas s’étonner de les voir ſi mal dans l’eſprit des perſonnes ſimples & ſans lumiere. Et il arrive en cela, comme en une infinité d’autres choſes, que l’on ſe fortifie dans un préjugé par un autre.

L’idée de la verité eſtant attachée naturellement à celle de la ſcience, l’on ne manque pas de prendre pour vray ce que propoſent ceux qui ont la reputation d’eſtre ſçavans : & comme le nombre de ceux qui ne le ſont que de nom, eſt beaucoup plus grand, que de ceux qui le ſont en effet, le commun des hommes qui compte ſeulement les voix, ſe range du coſté des premiers, & embraſſe d’autant plus volontiers leurs opinions, qu’elles ſe trouvent plus conformes à celles dont il eſt déja imbu.

C’est pourquoy voyant que les Poëtes, les Orateurs, les Hiſtoriens, & les Philoſophes, publient auſſi que les femmes ſont inferieures aux hommes, moins nobles & moins parfaites, Idée de la science vulgaire. il ſe le perſuade davantage, parce qu’il ignore que leur ſcience eſt le même préjugé que le ſien, ſinon qu’il eſt plus étendu & plus ſpecieux, & qu’ils ne font que joindre à l’impreſſion de la coûtume, le ſentiment des Anciens ſur l’authorité deſquels toute leur certitude eſt fondée : & je trouve qu’à l’égard du Sexe, ceux qui ont de l’étude, & ceux qui n’en ont point, tombent dans une erreur pareille, qui eſt de juger que ce qu’en diſent ceux qu’ils eſtiment, eſt veritable, parce qu’ils ſont déja prevenus, qu’ils diſent bien ; au lieu de ne ſe porter à croire qu’ils diſent bien, qu’aprés avoir reconnu qu’ils ne diſent rien que de veritable.

Contre les authoritez des Poëtes & des Orateurs.Les Poëtes & les Orateurs n’ayant pour but que de plaire & de perſuader, la vray-ſemblance leur ſuffit, à l’égard du commun des hommes. Ainſi l’exageration & l’hyperbole eſtant tres-propres à ce deſſein, en groſſiſſant les idées, ſelon qu’on en a beſoin, ils font le bien & le mal petit & grand comme il leur plaiſt ; & par un tour trop ordinaire, ils attribuënt à toutes les femmes en general, ce qu’ils ne connoiſſent qu’en quelques particulieres. Ce leur eſt aſſez d’en avoir veu quelques-unes hypocrytes, pour leur faire dire que tout le ſexe eſt ſujet à ce défaut. Les ornemens dont ils accompagnent leurs diſcours, contribuënt merveilleuſement à leur attirer la creance de ceux qui ne ſont point ſur leurs gardes. Ils parlent avec facilité & avec grace, & employent certaines manieres, leſquelles eſtant belles, agreables, & peu communes, ébloüiſſent l’eſprit & l’empéchent de diſcerner la verité. On voit contre les femmes quantité de pieces aſſez fortes en apparence ; & l’on s’y rend, faute de ſçavoir que ce qui en fait la force & la verité, ce ſont les figures de l’éloquence, les Methaphores, les Proverbes, les Deſcriptions, les Similitudes, les Emblêmes : & parce qu’il y a d’ordinaire beaucoup de genie, & d’adreſſe dans ces ſortes d’ouvrages, l’on s’imagine auſſi qu’il n’y a pas moins de verité.

Tel ſe perſuade que les femmes aiment qu’on leur en conte, parce qu’il aura lû le ſonnet de Sarrazin ſur la chûte de la premiere, qu’il feint n’eſtre tombée que pour avoir preſté l’oreille aux fleurettes du Demon. Il eſt vray que l’imagination eſt plaiſante, le tour joli, l’application aſſez juſte dans ſon deſſein, & la chûte tres-agreable ; mais ſi l’on examine la piece au fond, & qu’on la reduiſe en Proſe, l’on trouvera qu’il n’y a rien de plus faux ny de plus fade.

Il y a des gens aſſez ſimples pour s’imaginer que les femmes ſont plus portées à la furie que les hommes, pour avoir lû que les Poëtes ont repreſenté les Furies ſous la figure des femmes : ſans conſidérer que cela n’eſt qu’une imagination Poëtique : & que les peintres qui dépeignent les Harpïes avec un viſage de femme, dépeignent auſſi le Demon ſous l’apparence d’un homme.

J’en ay veu entreprendre de prouver que les femmes ſont inconſtantes, ſur ce qu’un Poëte Latin celebre a dit qu’elles ſont ſujettes à un changement continuël, & qu’un François les a plaiſamment comparées à une giroüette qui ſe meut au gré du vent ; faute de prendre garde que toutes ces manieres de parler des choſes, ne ſont propres qu’à égayer l’eſprit & non pas à l’inſtruire.

L’éloquence vulgaire eſt une optique parlante, qui fait voir les objets ſous telle figure & telle couleur que l’on veut ; & il n’y a point de vertu qu’on ne puiſſe repreſenter comme un vice, par les moyens qu’elle fournit.

Il n’y a rien de plus ordinaire, que de trouver dans les Auteurs que les femmes ſont moins parfaites & moins nobles que les hommes : mais pour des raiſons on n’y en voit point. Et il y a grande apparence qu’ils en ont eſté perſuadez comme le vulgaire. Les femmes n’ont point de part avec nous aux avantages exterieurs, comme les ſciences, & l’authorité, en quoy l’on met communément la perfection : donc elles ne ſont pas ſi parfaites que nous. Pour en eſtre convaincu ſerieuſement, il faudroit montrer qu’elles n’y ſont pas admiſes, parce qu’elles n’y ſont pas propres. Mais cela n’eſt pas ſi aiſé qu’on s’imagine : & il ne ſera pas difficile de faire voir le contraire dans la ſuite ; & que cette erreur vient de ce qu’on n’a qu’une idée confuſe de la perfection & de la nobleſſe. Tous les raiſonnemens de ceux qui ſoûtiennent que le beau Sexe n’eſt pas ſi noble, ny ſi excellent que le noſtre, ſont fondez ſur ce que les hommes eſtant les maiſtres, on croit que tout eſt pour eux ; & je ſuis aſſuré qu’on croiroit tout le contraire, encore plus fortement, c’eſt à dire, que les hommes ne ſont que pour les femmes, ſi elles avoient toute l’authorité, comme dans l’Empire des Amazones.

Il eſt vray qu’elles n’ont icy que les emplois qu’on regarde comme les plus bas. Et il eſt vray auſſi qu’elles n’en ſont pas moins à eſtimer, ſelon la religion & la raiſon. Il n’y a rien de bas que le vice, ny de grand que la vertu : & les femmes faiſant paroiſtre plus de vertu que les hommes, dans leurs petites occupations, meritent plus d’eſtre eſtimées. Je ne ſçay même ſi à regarder ſimplement leur employ ordinaire, qui eſt de nourrir & d’élever les hommes dans leur enfance, elles ne ſont pas dignes du premier rang dans la ſocieté civile.

Que les femmes ſont plus eſtimables que les hommes par rapport à leur employ.Si nous eſtions libres & ſans Republique, nous ne nous aſſemblerions que pour mieux conſerver noſtre vie, en jouïſſant paiſiblement des choſes qui y ſeroient neceſſaires ; & nous eſtimerions davantage ceux qui y contriburoient le plus. C’eſt pourquoy nous avons accoûtumé de regarder les Princes comme les premiers de l’Etat, parce que leurs ſoins & leur prévoyance eſt la plus generale, & la plus étenduë ; & nous eſtimons à proportion ceux qui ſont au deſſous d’eux. La pluſpart preferent les ſoldats aux Juges, parce qu’ils s'oppoſent directement à ceux qui attaquent la vie d’une maniere plus terrible, & chacun eſtime les perſonnes à proportion qu’il les juge utiles. Ainſi les femmes ſemblent eſtre les plus eſtimables, puis que le ſervice qu’elles rendent eſt incomparablement plus grand, que celuy de tous les autres.

Quel eſt le merite des femmes.L’on pourroit abſolument ſe paſſer de Princes, de ſoldats & de marchands, comme l’on faiſoit au commencent du monde, & comme le font encore aujourd’huy les Sauvages. Mais on ne peut ſe paſſer des femmes dans ſon enfance. Les Etats eſtant bien pacifiez, la plupart des perſonnes qui ont l’authorité, ſont comme mortes & inutiles : Les femmes ne ceſſent jamais de nous eſtre neceſſaires. Les Miniſtres de la Juſtice ne ſont gueres que pour conſerver les biens à ceux qui les poſſedent : & les femmes ſont pour nous conſerver la vie : les ſoldats s’employent pour des hommes faits, & capables de ſe deffendre ; & les femmes s’employent pour les hommes, lorſqu’ils ne ſçavent pas encore ce qu’ils ſont, s’ils ont des ennemis ou des amis, & lorſqu’ils n’ont point d’autres armes que des pleurs contre ceux qui les attaquent. Les Maiſtres, les Magiſtrats, & les Princes, n’agiſſent ſouvent que pour leur gloire, & leur intereſt particulier ; & les femmes n’agiſſent que pour le bien des enfans qu’elles élevent : Enfin les peines & les ſoins, les fatigues & les aſſiduitez, auſquelles elles s’aſſujettiſſent, n’ont rien de pareil en aucun état de la ſocieté civile.

Il n’y a donc que la fantaiſie qui les faſſe moins eſtimer. On recompenſeroit largement un homme qui auroit apprivoiſé un Tigre : L’on conſidere ceux qui ſçavent dreſſer des Chevaux, des Singes, & des Elephans : on parle avec éloge d’un homme qui aura compoſé un petit ouvrage qui luy aura coûté un peu de temps & de peine ; & l’on neglige les femmes qui mettent pluſieurs années à nourrir & à former des enfans ? & ſi l’on en recherche bien la raiſon, l’on trouvera que c’eſt parce que l’un eſt plus ordinaire que l’autre.

Contre les témoignages qu’on peut tirer de l’hiſtoire.Ce que les Hiſtoriens diſent au deſavantage des femmes, fait plus d’impreſſion ſur l’eſprit, que les diſcours des Orateurs. Comme ils ſemblent ne rien avancer d’eux-meſmes, leur témoignage eſt moins ſuſpect ; outre qu’il eſt conforme à ce dont on eſt déja perſuadé ; rapportant que les femmes eſtoient autrefois ce qu’on croit qu’elles ſont à preſent. Mais toute l’authorité qu’ils ont ſur les eſprits, n’eſt que l’effet d’un préjugé aſſez commun à l’égard de l’antiquité, qu’on ſe repreſente ſous l’image d’un venerable vieillard, qui ayant beaucoup de ſageſſe, & d’experience, n’eſt pas capable d’eſtre trompé, ny de rien dire que de vray.

Cependant, les Anciens n’eſtoient pas moins hommes que nous, ny moins ſujets à l’erreur ; & l’on ne doit pas plûtoſt ſe rendre à preſent à leurs opinions, qu’on auroit fait de leur temps. On conſideroit autrefois les femmes, comme l’on fait aujourd’huy, & avec auſſi peu de raiſon. Ainſi tout ce qu’en ont dit les hommes doit eſtre ſuſpect, parce qu’ils ſont Juges & parties : & lorſque quelqu’un rapporte contre elles le ſentiment de mille Autheurs, cette hiſtoire ne doit eſtre conſiderée que comme une Tradition de préjugez, & d’erreurs. Il y a auſſi peu de fidelité & d’exactitude dans les hiſtoires anciennes, que dans les recits familiers, où l’on reconnoiſt aſſez, qu’il n’y en a preſque point. Ceux qui les ont écrites y ont meſlé leurs paſſions, & leur intereſt : & la plupart n’ayant eu que des idées fort confuſes du vice & de la vertu, ont ſouvent pris l’un pour l’autre : & ceux qui les liſent avec la préoccupation ordinaire, ne manquent pas de tomber dans le même défaut. Et dans le préjugé où ils eſtoient, ils ont eu ſoin d’exagérer les vertus & les avantages de leur Sexe, & de rabaiſſer & d’affaiblir le merite des femmes par un intereſt contraire. Cela eſt ſi facile à reconnoître, qu’il ne faut point apporter d’exemple.

Ce que l’on trouve dans l’hiſtoire à l’avantage des femmes.Neanmoins, ſi l’on ſçait débroüiller un peu le paſſé, l’on trouve dequoy faire voir que les femmes n’en ont point cedé aux hommes, & que la vertu qu’elles ont fait paroiſtre eſt plus excellente, ſi on la conſidere ſincerement dans toutes ſes circonſtances. L’on peut remarquer qu’elles ont donné d’auſſi grandes marques d’eſprit & de capacité dans toutes ſortes de rencontres. Il y en a eu qui ont gouverné de grands Etats & des Empires avec une ſageſſe & une moderation qui n’a point eu d’exemple : d’autres ont rendu la juſtice avec une intégrité pareille à celle de l’Areopage ; pluſieurs ont rétably par leur prudence & par leurs conſeils les Royaumes dans le calme, & leurs maris ſur le Thrône. On en a veu conduire des armées, ou ſe deffendre ſur des murailles avec un courage plus qu’heroïque. Combien y en a-t-il eu dont la chaſteté n’a pû recevoir aucune atteinte, ny par les menaces épouvantables, ny par les promeſſes magnifiques qu’on leur faiſoit, & qui ont ſouffert avec une generoſité ſurprenante les plus horribles tourmens pour la cauſe de la Religion ? Combien y en a-t-il eu, qui ſe ſont renduës auſſi habiles que les hommes dans toutes les ſciences, qui ont penetré ce qu’il y a de plus curieux dans la nature, de plus fin dans la Politique, & de plus ſolide dans la Morale, & qui ſe ſont élevées à ce qu’il y a de plus haut dans la Theologie Chreſtienne. Ainſi l’hiſtoire dont ceux qui ſont prevenus contre le Sexe, abuſent pour l’abaiſſer, peut ſervir à ceux qui les regardent avec des yeux d’équité, pour monſtrer qu’il n’eſt pas moins noble que le noſtre.

Contre les Juriſconſultes.L’autorité des Juriſconſultes a un grand poids à l’égard de beaucoup de gens, ſur ce qui concerne les femmes, parce qu’ils font une profeſſion particuliere de rendre à chacun ce qui luy appartient. Ils mettent les femmes ſous la puiſſance de leurs maris, comme les enfans ſous celle de leurs peres, & diſent que c’eſt la nature qui leur a aſſigné les moindres fonctions de la ſocieté, & qui les a éloignées de l’authorité publique.

L’on croit eſtre bien fondé de le dire auſſi aprés eux. Mais il eſt permis, ſans bleſſer le reſpect qu’ils meritent, de n’eſtre pas en cela de leur ſentiment. On les embarraſſeroit fort, ſi on les obligeoit de s’expliquer intelligiblement ſur ce qu’ils appellent Nature en cét endroit, & de faire entendre comment elle a diſtingué les deux Sexes, comme ils prétendent.

Il faut conſiderer que ceux qui ont fait ou compilé les Loix, eſtant des hommes, ont favoriſé leur Sexe, comme les femmes auroient peut-eſtre fait ſi elles avoient eſté à leur place : & les Loix ayant eſté faites depuis l’établiſſement des ſocieſtez, en la maniere qu’elles ſont à preſent à l’égard des femmes, les Juriſconſultes qui avoient auſſi leur préjugé, ont attribué à la nature une diſtinction qui ne vient que de la couſtume. Outre qu’il n’etoit pas neceſſaire de changer l’ordre qu’ils trouvoient étably, pour obtenir la fin qu’ils ſe propoſoient, qui eſtoit de bien gouverner un Etat, en exerçant la juſtice. Enfin s’ils s’opiniâtroient à ſoûtenir que les femmes ſont naturellement dépendantes des hommes, on les combattroit par leurs propres principes, puiſqu’ils reconnoiſſent eux-mêmes, que la dépendance & la ſervitude ſont contraires à l’ordre de la nature, qui rend tous les hommes égaux.

La dépendance eſtant un rapport purement corporel & civil, elle ne doit eſtre conſiderée que comme un effet du hazard, de la violence ou de la coûtume : ſi ce n’eſt celle où ſont les enfans à l’égard de ceux qui leur ont donné la vie. Encore ne paſſe-t-elle point un certain âge, où les hommes eſtant ſuppoſez avoir aſſez de raiſon & d’experience pour ſe pouvoir gouverner eux-mêmes, ſont affranchis par les Loix, de l’autorité d’autruy.

Mais entre les perſonnes d’un âge égal ou approchant, il ne devroit y avoir qu’une ſubordination raiſonnable, ſelon laquelle ceux qui ont moins de lumiere, ſe ſoûmettent volontairement à ceux qui en ont davantage. Et ſi l’on oſte les Actions civiles que les Loix ont données aux hommes, & qui les rendent les Chefs de la famille, on ne peut trouver entr’eux & leurs femmes, qu’une ſoûmiſſion d’experience & de lumieres. Les uns & les autres s’engagent enſemble librement, en un temps où les femmes ont autant de raiſon, & ſouvent plus que leurs maris. Les promeſſes & les conventions du mariage ſont réciproques ; & le pouvoir égal ſur tout le corps : & ſi les Loix donnent au mary plus d’authorité ſur les biens ; la nature donne à la femme plus de puiſſance & de droit ſur les enfans. Et comme la volonté de l’un n’eſt pas la regle de l’autre, ſi une femme eſt obligée de faire les choſes dont ſon mari l’avertit : celuy-cy ne l’eſt pas moins de ſuivre ce que ſa femme luy fait entendre eſtre de ſon devoir : & hors les choſes raiſonnables, on ne peut contraindre une femme de ſe ſoûmettre à ſon mari, que parce qu’elle a moins de force. Ce qu’on appelle agir de Turc à Maure, & non pas en gens d’eſprit.

Contre les philoſophes.L’on n’aura pas beaucoup de peine à ſe départir de l’opinion des ſçavans, dont je viens de parler : parce qu’on pourra aiſément reconnoiſtre que leurs profeſſion ne les engage pas à s’informer ſi exactement que les choſes ſont en elles-meſmes : que l’apparence & la vray-ſemblance ſuffiſent aux Poëtes & aux Orateurs : le témoignage de l’Antiquité aux Hiſtoriens, & la Coûtume aux Juriſconſultes pour arriver à leur but ? mais pour ce qui eſt du ſentiment des Philoſophes, on ne le quittera pas ſi facilement : parce qu’il ſemble qu’ils ſont au-deſſus de toutes les conſiderations précédentes, comme en effet ils doivent eſtre, & qu’ils paſſent pour examiner les choſes de plus prés : ce qui leur attire la creance commune, & fait tenir pour indubitable ce qu’ils propoſent, ſurtout lorſqu’ils ne détruiſent point les ſentimens où l’on eſt.

Ainsi le vulgaire ſe fortifie dans l’opinion qu’il a de l’inégalité des deux Sexes, parce qu’il y voit auſſi ceux deſquels il regarde les jugemens comme la regle des ſiens, faute de ſçavoir, que preſque tous les Philoſophes n’ont point d’autre regle que luy, & que ce n’eſt pas par ſcience qu’ils prononcent, principalement ſur la matiere dont il s’agit. Ce que c’eſt que les Philoſophes de l’Ecole.Ils ont porté leurs préjugez dans les Ecoles, & ils n’y ont rien appris qui ſervît à les tirer : au contraire, toute leur ſcience eſt fondée ſur les jugemens qu’ils ont faits dés le berceau ; & c’eſt parmy eux un crime ou une erreur de revoquer en doute ce qu’on a crû avant l’âge de diſcrétion. On ne leur apprend point à connoitre l’homme par le corps, ny par l’eſprit : Et ce qu’ils en enſeignent communément peut tres-bien ſervir à prouver qu’il n’y a entre nous & les beſtes que le plus & le moins. On ne leur dit pas un mot des Sexes : on ſuppoſe qu’ils les connoiſſent aſſez ; bien loin d’en examiner la capacité & la difference veritable & naturelle ; ce qui eſt un point des plus curieux, & peut-eſtre auſſi des plus importans de la Phyſique & de la Morale. Ils paſſent des années entieres, & quelques-uns toute leur vie, à des bagatelles, & à des Eſtres de raiſon, & à ruminer s’il y a au-delà du monde des eſpaces imaginaires, & ſi les Atomes ou la petite pouſſiere, qui paroiſt dans les rayons du Soleil, eſt diviſible à l’infiny. Quel fond peut-on faire ſur ce que des ſçavans de cette ſorte diſent, quand il s’agit de choſes ſérieuſes & importantes.

On pourroit penſer neanmoins qu’encore qu’ils s’inſtruiſent ſi mal, leurs principes ſuffiſent peut-eſtre pour découvrir lequel des deux Sexes a naturellement quelqu’avantage ſur l’autre ; mais cette penſée ne peut venir qu’à ceux ou qui ne les connoiſſent pas, ou qui en ſont prévenus. La connoiſſance de nous-meſmes eſt abſolument neceſſaire pour bien traiter cette queſtion ; & particulierement la connoiſſance du corps, qui eſt l’organe des ſciences ; de meſme que pour ſçavoir comment les lunettes d’approche groſſiſſent les objets, il faut en connoitre la fabrique. Ils n’en parlent qu’en paſſant, non plus que de la verité & de la ſcience, c’eſt à dire, de la methode d’acquerir des connoiſſances certaines & veritables, ſans quoy il eſt impoſſible de bien examiner ſi les femmes en ſont auſſi capables que nous : & ſans m’amuſer à rapporter les idées qu’ils en donnent, je diray icy en general, ce que j’en crois.

Tous les hommes eſtant faits En quoy conſiſte la ſcience.les uns comme les autres, ont les meſmes ſentimens, & les meſmes idées des choſes naturelles ; par exemple, de la lumiere, de la chaleur, & de la dureté ; & toute la ſcience que l’on tâche d’en avoir, ſe réduit à connoiſtre au vray quelle eſt la diſpoſition particuliere, interieure & exterieure de chaque objet, pour produire en nous les penſées & les ſentimens que nous en avons. Tout ce que les Maiſtres peuvent faire pour nous conduire à cette connoiſſance, c’eſt d’applîquer noſtre eſprit à ce que nous remarquons, pour en examiner les apparences & les effets, ſans précipitation ny préjugé, & de nous montrer l’ordre qu’il faut tenir dans la diſpoſition de nos penſées, pour trouver ce que nous cherchons.

Par exemple, ſi une perſonne ſans étude me prioit de luy En quoy conſiſte la liquidité. expliquer, en quoy conſiſte la liquidité de l’eau, je ne luy en affirmerois rien ; mais je luy demanderois ce qu’elle en a obſervé, comme, que ſi l’eau n’eſt renfermée dans un vaſe, elle ſe répand ; c’eſt à dire, que toutes ſes parties ſe ſeparent & ſe déſuniſſent d’elles-meſmes, ſans que l’on y introduiſe de corps étranger ; que l’on y fait entrer ſes doigts ſans peine, & ſans y trouver la reſiſtance des corps durs, & qu’en y mettant du ſucre ou du ſel, on s’aperçoit que ces deux ſortes de corps ſe diminüent peu à peu, & que leurs parcelles ſont emportées dans tous les endroits de la liqueur.

Jusques-là je ne luy apprendrois rien de nouveau : & ſi je luy avais fait entendre de la meſme façon, ce que c’eſt qu’eſtre en repos, ou en mouvement, je la porterois à reconnoiſtre que la nature des liqueurs conſiſte en ce que leurs parties inſenſibles ſont dans un mouvement perpetuel, ce qui oblige de les renfermer dans un vaſe, & les diſpoſe à donner aiſément entrée aux corps durs ; & que les parcelles de l’eau eſtant petites, liſſes, pointuës, venant à s’inſinuer dans les pores du ſucre, en ébranlent & en diviſent les parties par leur rencontre, & ſe mouvant en tout ſens, emportent en tous les endroits du vaſe, ce qu’elles ont ſeparé.

Cette idée des liqueurs, qui eſt une partie détachée du corps de la Phyſique, paroiſtroit bien plus claire, ſi on la voyoit dans ſon rang : & elle n’a rien que le commun des femmes ſoit capable d’entendre. Le reſte de toutes nos connoiſſances eſtant propoſé avec ordre, n’a pas plus de difficulté, & ſi l’on y fait attention, l’on trouvera que chaque ſcience de raiſonnement demande moins d’eſprit, & moins de temps qu’il n’en faut, pour bien apprendre le Point ou la Tapiſſerie.

Il ne faut pas plus d’eſprit pour apprendre le Point & la Tapiſſerie que pour apprendre la Phyſique.En effet, les idées des choſes naturelles ſont neceſſaires, & ſe forment toûjours en nous de la meſme façon. Adam les avoit comme nous les avons : les enfans les ont comme les vieillards, & les femmes comme les hommes : & ces idées ſe renouvellent, ſe fortifient, & s’entretiennent par l’uſage continuel des ſens. L’eſprit agit toûjours ; & qui ſçait bien comment il agit en une choſe, découvre ſans peine comment il agit en toutes les autres. Il n’y a que le plus & le moins entre l’impreſſion du Soleil & celle d’une étincelle. Pour bien penſer là-deſſus, l’on n’a beſoin ny d’adreſſe, ny d’exercice de corps.

Il n’en eſt pas de meſme des ouvrages dont j’ay parlé. Il y faut encore plus appliquer ſon eſprit : Les idées en eſtant arbitraires, ſont plus difficiles à prendre, & à retenir ; ce qui eſt cauſe qu’il faut tant de temps pour bien ſçavoir un métier, c’eſt qu’il dépend d’un long exercice : il faut de l’adreſſe pour bien garder les proportions ſur un canevas, pour diſtribuer également la ſoye ou la laine, pour mélanger avec juſteſſe les couleurs ; pour ne pas trop ſerrer ny trop relâcher les points, pour n’en mettre pas plus en un rang qu’en l’autre ; pour faire les Nüances imperceptibles : En un mot, il faut ſçavoir faire & varier en mille manieres differentes les ouvrages de l’art pour y eſtre habile ; au lieu que dans les ſciences il ne faut que regarder avec ordre des ouvrage tous faits, & toûjours uniformes : & toute la difficulté d’y reüſſir vient moins des objets & de la diſpoſition du corps, que du peu de capacité dans les Maiſtres.

Il ne faut donc plus tant s’étonner de voir des hommes & des femmes ſans étude s’entretenir des choſes qui regardent les ſciences ; puiſque la Methode de les apprendre ne ſert qu’à rectifier le bon ſens, qui s’eſt confondu par la précipitation, par la coûtume & par l’uſage.

L’idée qu’on vient de donner de la ſcience en general pourroit ſuffire pour perſuader les perſonnes dépréoccupées, que les hommes & les femmes en ſont également capables ; Mais parce que l’opinion contraire eſt des plus enracinées ; il faut pour l’arracher entiérement, la combattre par principes, afin que joignant les apparences convenables au beau ſexe, qu’on a préſentées dans la premiere partie, avec les raiſons Phyſiques, qu’on va apporter, l’on puiſſe abſolument eſtre convaincu en ſa faveur.

Que les femmes conſiderées ſelon les principes de la ſaine Philoſophie, ſont auſſi capables que les hommes de toutes ſortes de connoiſſances.

L’Eſprit n’a point de Sexe.Il eſt aiſé de remarquer, que la difference des ſexes ne regarde que le corps : n’y ayant proprement que cette partie qui ſerve à la reproduction des hommes ; & l’eſprit ne faiſant qu’y préter ſon conſentement, & le faiſant en tous de la meſme maniere, on peut conclure qu’il n’a point de ſexe.

Si on le conſidere en luy-même, l’on trouve qu’il eſt égal & Il eſt égal dans tous les hommes.de meſme nature en tous les hommes, & capable de toutes ſortes de penſées : les plus petites l’occupent comme les plus grandes ; il n’en faut pas moins pour bien connoiſtre un Ciron, qu’un Elephant : quiconque ſçait en quoy conſiſte la lumiere & le feu d’une étincelle, ſçait auſſi ce que c’eſt que la lumiere du Soleil. Quand on s’eſt accoûtumé à penſer aux choſes qui ne regardent que l’Eſprit, l’on y voit tout au moins auſſi clair que dans ce qu’il y a de plus matériel, qui ſe connoiſt par les ſens. Je ne découvre pas plus de difference entre l’eſprit d’un homme groſſier & ignorant, & celuy d’un homme délicat & éclairé, qu’entre l’eſprit d’un même homme conſideré à l’âge de dix ans, & à l’âge de quarante : & comme il n’en paroiſt pas davantage entre celuy des deux ſexes, on peut dire que leur difference n’eſt pas de ce coſté-là. La conſtitution du Corps, mais D’où vient la difference qui eſt entre les hommes.particulierement l’éducation, l’exercice, & les impreſſions de tout ce qui nous environne eſtant par tout les cauſes naturelles & ſenſibles de tant de diverſitez qui s’y remarquent.

L’Eſprit agit dans les femmes comme dans les hommes.C’est Dieu qui unit l’Eſprit au Corps de la femme, comme à celuy de l’homme, & qui l’y unit par les meſmes Loix. Ce ſont les ſentimens, les paſſions, & les volontez, qui font & entretiennent cette union ; & l’eſprit n’agiſſant pas autrement dans un ſexe, que dans l’autre, il y eſt également capable des meſmes choſes.

Il s’aperçoit des choſes de la meſme façon, dans les deux ſexes.Cela eſt encore plus clair à conſiderer ſeulement la teſte, qui eſt l’unique organe des ſciences, & où l’Eſprit fait toutes ſes fonctions ; l’Anatomie la plus exacte ne nous fait remarquer aucune difference dans cette partie, entre les hommes & les femmes : le cerveau de celles-cy eſt entierement ſemblable au noſtre : les impreſſions des ſens s’y reçoivent, & s’y raſſemblent de meſme façon & ne s’y conſervent point autrement pour l’imagination & pour la memoire. Les femmes entendent comme nous, par les oreilles ; elles voyent par les yeux, & elles gouſtent avec la langue ; & il n’y a rien de particulier dans la diſpoſition de ces organes, ſinon que d’ordinaire elles les ont plus delicats ; ce qui eſt un avantage. De ſorte que les objets exterieurs les touchent de la même façon, la lumiere par les yeux, & le ſon par les oreilles. Les femmes ſont capables de la Metaphyſique.Qui les empeſchera donc de s’appliquer à la conſideration d’elles-mêmes : d’examiner en quoy conſiſte la nature de l’Eſprit, combien il a de ſortes de penſées, & comment elles s’excitent à l’occaſion de certains mouvements corporels ; de conſulter enſuite les idées naturelles qu’elles ont de Dieu, & de commencer par les choſes ſpirituelles à diſpoſer avec ordre leurs penſées, & à ſe faire la ſcience qu’on appelle Methaphyſique.

Elles ſont capables de la Phyſique & de la Medecine.Puisqu’elles ont auſſi des yeux & des mains, ne pourroient-elles pas faire elles-mémes, ou voir faire à d’autres la diſſection d’un Corps humain, en conſiderer la Symmetrie & la ſtructure, remarquer la diverſité, la difference & le rapport de ſes parties, leurs figures, leurs mouvemens, & leurs fonctions, les alterations, dont elles ſont ſuſceptibles, & conclure de là le moyen de les conſerver dans une bonne diſpoſition, & de les y rétablir, quand elle eſt une fois changée.

Il ne leur faudroit plus pour cela, que connoiſtre la nature des Corps exterieurs, qui ont rapport avec le leur, en découvrir les proprietez, & tout ce qui les rend capables d’y faire quelque impreſſion bonne ou mauvaiſe : cela ſe connoît par le miniſtere des ſens, & par les diverſes experiences qu’on en fait : & les femmes eſtant également capables de l’un & de l’autre, peuvent apprendre auſſi bien que nous, la Phyſique & la Medecine.

Faut-il tant d’eſprit, pour connoître, que la reſpiration eſt abſolument neceſſaire à la conſervation de la vie ; & qu’elle ſe fait par le moyen de l’air, qui entrant par le canal du nez & de la bouche, s’inſinuë dans les poumons, pour y rafraîchir le ſang qui y paſſe en circulant, & y cauſe des alterations differentes, ſelon qu’il eſt plus ou moins groſſier par le mélange des vapeurs & des exhalaiſons, dont on le voit quelquefois mélé.

En quoy conſiſte le gouſt.Est-ce une choſe ſi difficile que de découvrir, que le gouſt des alimens conſiſte de la part du Corps, dans la differente maniere dont ils ſont delayez ſur la langue par la ſalive ? Il n’y a perſonne qui ne ſente aprés le repas, que les viandes qu’on met alors dans la bouche, s’y diviſant tout autrement que celles dont on s’eſt nourry, y cauſent un ſentiment moins agreable. Ce qui reſte à connoître des fonctions du corps humain, conſideré avec ordre, n’a pas plus de difficulté.

Elles peuvent connoître les Paſſions.Les Paſſions ſont aſſurément ce qu’il y a de plus curieux en cette matiere. On y peut remarquer deux choſes, les mouvemens du corps, avec les penſées & les émotions de l’ame, qui y ſont jointes. Les femmes peuvent connoître cela auſſi aiſément que nous. Quant aux cauſes qui excitent les Paſſions, on ſçait comment elles le font, quand on a une fois bien compris par l’étude de la Phyſique & la maniere dont les choſes qui nous environnent, nous importent & nous touchent ; & par l’experience & l’uſage, comment nous y joignons & en ſeparons nos volontez.

Elles peuvent apprendre la Logique.En faiſant des Meditations regulieres ſur les objets des trois ſciences dont on vient de parler, une femme peut obſerver que l’ordre de ſes penſées doit ſuivre celuy de la nature ; qu’elles ſont juſtes lorſqu’elles y ſont conformes, qu’il n’y a que la précipitation dans nos jugemens, qui empéche cette juſteſſe : & remarquant enſuite l’Economie qu’elle auroit gardée pour y arriver, elle pourroit faire des reflexions, qui luy ſerviroient de regle pour l’avenir, & s’en former une Logique.

Si l’on diſoit nonobſtant cela, que les femmes ne peuvent pas acquerir, par elles-mêmes ces connoiſſances, ce qui ſe diroit gratis ; au moins ne pourroit-on nier qu’elles le puiſſent avec le ſecours des Maiſtres & des livres, comme l’ont fait les plus habiles gens, dans tous les ſiecles.

Les Mathematiques.Il ſuffit d’alleguer la propreté reconnuë du Sexe pour faire croire qu’il eſt capable d’entendre les proportions de Mathematique : & nous nous contredirions nous-meſmes de douter, que s’il s’appliquoit à la conſtruction des Machines, il n’y reüſſiſt auſſi bien que le noſtre, puiſque nous luy attribuons plus de genie, & plus d’artifice.

Elles ſont capables de l’Aſtronomie.Il ne faut que des yeux & un peu d’attention pour obſerver les Phenomenes de la nature, pour remarquer que le Soleil, & tous les corps lumineux, qui ſont au Ciel, ſont des feux veritables, puiſqu’ils nous frappent & nous éclairent de meſme que les feux d’icy-bas ; qu’ils paroiſſent ſucceſſivement répondre à divers endroits de la terre, & pour pouvoir ainſi juger de leurs mouvemens & de leurs cours : & quiconque peut rouler dans ſa teſte de grands deſſeins, & en faire joüer les reſſorts, y peut auſſi faire rouler avec juſteſſe toute la machine du monde, s’il en a une fois bien obſervé les diverſes apparences.

Nous avons déja trouvé dans les femmes toutes les diſpoſitions qui rendent les hommes propres aux ſciences, qui les regardent en eux-meſmes : & ſi nous continüons d’y regarder d’auſſi prés, nous y trouverons encore celles qu’il faut pour les ſciences, qui les concernent comme liez avec leurs ſemblables dans la ſocieté civile.

C'est un défaut de la Philoſophie vulgaire de mettre entre les ſciences une ſi grande diſtinction, qu’on ne peut gueres ſuivant la Methode qui luy eſt particuliere, reconnoiſtre aucune liaiſon entre-elles. Ce qui eſt cauſe que l’on reſtreint ſi fort l’étenduë de l’eſprit humain, en s’imaginant, qu’un meſme homme n’eſt preſque jamais capable de pluſieurs ſciences ; que pour eſtre propre à la Phyſique & à la Medecine, on ne l’eſt pas pour cela à l’Eloquence, ny à la Theologie ; & qu’il faut autant de genies differens, qu’il y a de ſciences differentes.

Cette penſée vient d’une part, de ce que l’on confond ordinairement la nature avec la coûtume, en prenant la diſpoſition de certaines perſonnes à une ſcience plûtoſt qu’à l’autre, pour un effet de leur conſtitution naturelle, au lieu que ce n’eſt ſouvent qu’une inclinaiſon caſuelle, qui vient de la neceſſité, de l’éducation ou de l’habitude : & de l’autre part, faute d’avoir remarqué qu’il n’y a proprement qu’une ſcience au monde, qui eſt celle de nous-mémes, & que toutes les autres n’en ſont que des applications particulieres.

En effet, la difficulté que l’on trouve aujourd’huy à apprendre les Langues, la Morale, & le reſte conſiſte en ce qu’on ne ſçait pas les rapporter à cette ſcience generale : d’où il pourroit arriver, que tous ceux qui croiroient les femmes capables de la Phyſique, & de la Medecine, n’eſtimeroient pas pour cela qu’elles le fuſſent de celles dont on va parler. Cependant, la difficulté eſt égale des deux coſtez : il s’agit partout de bien penſer. On le fait en appliquant ſerieuſement ſon eſprit aux objets qui ſe preſentent, pour s’en former des idées claires & diſtinctes, pour les enviſager par toutes leurs faces, & tous & tous leurs rapports differens, & pour n’en juger, que ſur ce qui paroiſt manifeſtement veritable. Il ne faut avec cela que diſpoſer ſes penſées dans un ordre naturel, pour avoir une ſcience parfaite. Il n’y a rien en cela qui ſoit au-deſſus des femmes ; & celles qui ſeroient inſtruites par cette voye, de la Phyſique & de la Medecine, ſeroient capables d’avancer de meſme dans toutes les autres ?

Elles ſont capables de la Grammaire.Pourquoy ne pourroient-elles pas reconnoiſtre que la neceſſité de vivre en ſocieté nous obligeant de communiquer nos penſées par quelques ſignes exterieurs, le plus commode de tous eſt la parole, qui conſiſte dans l’uſage des mots, dont les hommes ſont convenus. Qu’il doit y en avoir autant de ſortes qu’il y a d’idées ; qu’il faut qu’ils ayent entr’eux quelque rapport de ſon & de ſignification pour les pouvoir apprendre & retenir plus aiſément, & pour n’eſtre pas obligé de les multiplier à l’infiny ; qu’il les faut arranger dans l’ordre le plus naturel, & le plus conforme à celuy de nos penſées, & n’en employer dans le diſcours, qu’autant qu’on en a beſoin, pour ſe faire entendre.

Ces refléxions mettroient une femme en état de travailler en Academicienne à la perfection de ſa langue naturelle, reformant ou retranchant les mauvais mots, en introduiſant de nouveaux, reglant l’uſage ſur la raiſon, & ſur les idées juſtes qu’on a des Langues : Et la methode avec laquelle elle auroit appris celle de ſon pays, luy ſerviroit merveilleuſement à apprendre celle des étrangers, à en découvrir les délicateſſes, à en lire les autheurs, & à devenir ainſi tres-habile dans la Grammaire, & dans ce qu’on appelle Humanitez.

L’Eloquence.Les femmes auſſi bien que les hommes ne parlent que pour faire entendre les choſes comme elles les connoiſſent & pour diſpoſer leurs ſemblables à agir comme elles ſouhaittent, ce qu’on appelle perſuader. Elles y reüſſiſſent naturellement mieux que nous. Et pour le faire encore avec art, elles n’auroient qu’à s’étudier à preſenter les choſes, comme elles ſe preſentent à elles, ou qu’elles s’y preſenteroient, ſi elles eſtoient à la place de ceux qu’elles voudroient toucher. Tous les hommes eſtant faits de méme maniere, ſont preſque toûjours émûs de méme par les objets ; & s’il y a quelque difference, elle vient de leurs inclinations, de leurs habitudes, ou de leur état : ce qu’une femme connoîtroit avec un peu de refléxion & d’uſage ; & ſçachant diſpoſer ſes penſées, en la façon la plus convenable, les exprimer avec politeſſe & avec grace, & en y ajuſter les geſtes, l’air du viſage, & la voix, elle poſſederoit la veritable Eloquence.

La Morale.Il n’eſt pas croyable que les femmes puiſſent pratiquer ſi hautement la vertu, ſans eſtre capables d’en pénétrer les maximes fondamentales. En effet, une femme déja inſtruite, comme on l’a repreſentée, découvriroit elle méme les regles de ſa conduite, en découvrant les trois ſortes de devoirs qui comprennent toute la Morale, dont les premiers regardent Dieu, les ſeconds nous regardent nous-mémes, & les troiſiémes noſtre prochain. Les idées claires & diſtinctes qu’elles auroient formées de ſon eſprit, & de l’union de l’eſprit avec le corps, la porteroient infailliblement à reconnoiſtre qu’il y a un autre eſprit infiny, Autheur de toute la nature, & à concevoir pour luy les ſentimens ſur leſquels la Religion eſt fondée. Et aprés avoir appris par la Phyſique en quoy conſiſte le plaiſir des ſens, & de quelle façon les choſes exterieures contribuënt à la perfection de l’eſprit & à la conſervation du corps, elle ne manqueroit pas de juger qu’il faut eſtre ennemy de ſoy-meſme pour n’en pas uſer avec beaucoup de moderation. Si elle venoit enſuite à ſe conſiderer comme engagée dans la ſocieté civile avec d’autres perſonnes ſemblables à elle, & ſujettes aux meſmes paſſions, & à des beſoins qu’on ne peut ſatiſfaire ſans une aſſiſtance mutuelle ; elle entreroit ſans peine dans cette penſée de laquelle dépend toute noſtre juſtice, qu’il faut traitter les autres, comme on veut eſtre traitté ; & qu’on doit pour cela reprimer ſes deſirs, dont le déreglement qu’on appelle Cupidité, cauſe tout le trouble & tout le malheur de la vie.

Le Droit & la Politique.Elle ſe confirmeroit davantage dans la perſuaſion du dernier de ces devoirs, ſi elle pouſſoit plus loin ſa pointe, en découvrant le fond de la Politique, & de la Juriſprudence. Comme l’une & l’autre ne regarde que les devoirs des hommes entr’eux, elle jugeroit que pour comprendre à quoy ils ſont obligez dans la ſocieté civile, il faut ſçavoir ce qui les a portez à la former. Elle les conſidereroit donc comme hors de cette ſocieté, & elle les trouveroit tous entierement libres & égaux, & avec la ſeule inclination de ſe conſerver, & un droit égal ſur tout ce qui y ſeroit neceſſaire. Mais elle remarqueroit que cette égalité les engageant dans une guerre, ou une défiance continuelle, ce qui ſeroit contraire à leur fin, la lumiere naturelle dicteroit, qu’ils ne pourroient vivre en paix, ſans relâcher chacun de ſon droit, & ſans faire des conventions, & des Contracts : que pour rendre ces actions valides, & ſe tirer d’inquietude, ce ſeroit une neceſſité d’avoir recours à un Tiers, lequel prenant l’authorité contraindroit chacun de garder ce qu’il auroit promis aux autres ; que celuy-cy n’ayant eſté choiſi que pour l’avantage de ſes ſujets, il ne devroit point avoir d’autre but ; & que pour arriver à la fin de ſon établiſſement, il faudroit qu’il fût maiſtre des biens & des perſonnes, de la paix, & de la guerre.

En examinant à fond cette matiere, qui empêcheroit qu’une femme ne trouvaſt ce que c’eſt que l’Équité naturelle ; ce que c’eſt que Contract, authorité, & obéiſſance ; quelle eſt la nature de la Loy, quel uſage on doit faire des peines, en quoy conſiſte le droit Civil & celuy des gens, quels ſont les devoirs des Princes, & des ſujets : En un mot, elle apprendroit par ſes propres refléxions & par les Livres, ce qu’il faut pour eſtre Juriſconſulte & Politique.

La Geographie.Aprés qu’elle auroit acquis une parfaite connoiſſance d’elle-méme, & qu’elle ſe ſoit ſolidement inſtruite des regles generales de la conduite des hommes, elle ſeroit peut-eſtre bien-aiſe de s’informer auſſi de quelle maniere on vit dans les païs étrangers. Comme elle auroit remarqué que les changemens de temps, de ſaiſons, de lieu, d’âge, de nourriture, de compagnie, d’exercice luy auroient cauſé des alterations & des paſſions differentes ; elle n’auroit pas de peine à reconnoiſtre que ces diverſitez là produiſent D’où vient la diverſité des mœurs qui ſe voit entre les peuples.le meſme effet, à l’égard des peuples entiers : qu’ils ſont des inclinations, des coûtumes, des mœurs, & des loix differentes, ſelon qu’ils ſont plus prés ou plus loin des Mers, du Midy, ou du Septentrion ; ſelon qu’il y a des plaines, des montagnes, des rivieres, & des bois chez eux ; que le terroir eſt plus ou moins fertile, & porte des nourritures particulieres ; & ſelon le commerce, & les affaires qu’ils ont avec d’autres peuples voiſins, ou éloignez ; Elle pourroit étudier toutes ces choſes, & apprendre ainſi quelles ſont les mœurs, les richeſſes, la religion, le gouvernement & les intereſt de vingt ou trente Nations differentes, auſſi facilement que d’autant de familles particulieres ; Car pour ce qui eſt de la ſituation des Royaumes, du rapport des Mers & des Terres, des Iſles & du Continent ; il n’y a pas plus de difficulté à l’apprendre dans une Carte, qu’à ſçavoir les quartiers & les ruës de ſa Ville, & les routes de la Province où l’on demeure.

Hiſtoire profane.La connoiſſance du preſent pourroit luy faire naître l’envie de connoiſtre auſſi le paſſé ; & ce qu’elle auroit retenu de Geographie luy ſeroit d’un grand ſecours dans ce deſſein, luy donnant moyen d’entendre mieux les affaires, comme les guerres, les voyages, & les negociations, luy marquant les lieux où elles ſe ſont faites ; les paſſages, les chemins, & la liaiſon des Etats. Mais ce qu’elle ſçauroit de la maniere d’agir des hommes en general, par les refléxions qu’elle auroit faites ſur elle-méme, la feroit entrer dans le fin de la Politique, des intereſts & des paſſions ; & l’aideroit à découvrir, le mobile & le reſſort des entrepriſes, la ſource des revolutions, & à ſuppléer dans les grands deſſeins, les petites choſes qui les ont fait reüſſir, & qui ſont échappées aux Hiſtoriens : & ſuivant les idées juſtes qu’elle auroit du vice & de la vertu, elle remarqueroit la flatterie, la paſſion, & l’ignorance des Autheurs, & ſe garantiroit ainſi de la corruption, que l’on prend dans la lecture des Hiſtoires, où ces défauts ſont mélez ordinairement. Comme la Politique ancienne n’eſtoit pas ſi raffinée que la moderne, & que les intereſts des Princes eſtoient moins liez autrefois qu’à preſent, & le commerce moins étendu, il faut plus d’eſprit, pour entendre & déméler les Gazettes, que Titelive & Quinte-curſe.

L’hiſtoire Eccleſiaſtique & la Theologie.Il y a quantité de perſonnes qui trouvent l’hiſtoire Eccleſiaſtique plus agreable & plus ſolide, que l’hiſtoire profane ou civile : parce qu’on y remarque que la raiſon & la vertu ſont pouſſées plus loin ; & que les paſſions & les préjugez couverts du prétexte de la religion, font prendre à l’eſprit un tour tout particulier dans ſa conduite. Une femme s’y appliqueroit avec d’autant plus d’affection, qu’elle la jugeroit plus importante : elle ſe convaincroit que les Livres de l’Ecriture ne ſont pas moins authentiques que tous les autres que nous avons ; qu’ils contiennent la veritable Religion, & toutes les maximes ſur leſquelles elle eſt fondée ; que le nouveau Teſtament où commence proprement l’hiſtoire du Chriſtianiſme, n’eſt pas plus difficile à entendre que les Autheurs Grecs & Latins ; que ceux qui le liſent dans la ſimplicité des enfans, ne cherchant que le Royaume de Dieu, en découvrent la verité & le ſens avec plus de facilité & de plaiſir, que celuy des Enigmes, des Emblêmes, & des Fables. Et aprés s’étre reglé l’eſprit par la morale de Jesus-Christ, elle ſe trouveroit en eſtat de diriger ſes ſemblables ; de lever leurs ſcrupules, & de reſoudre les cas de conſcience avec plus de ſolidité, que ſi elle s’eſtoit rempli la teſte de toutes les Caſuiſteſ du monde.

Je ne vois rien qui empéchaſt que dans la ſuite de ſon étude, elle n’obſervaſt auſſi facilement que feroit un homme, comment l’Evangile eſt paſſé de main en main, de Royaume en Royaume, de ſiecle en ſiecle, juſques au ſien ; qu’elle ne priſt par la lecture des Peres l’idée de la vraye Theologie, & ne trouvaſt qu’elle ne conſiſte qu’à ſçavoir l’hiſtoire des Chreſtiens & les ſentimens particuliers, de ceux qui en ont écrit. Ainſi elle ſe rendroit aſſez habile pour faire des ouvrages ſur la Religion, pour annoncer la verité, & pour combattre les nouveautez, en montrant ce qui a toûjours eſté crû, & dans toute l’Egliſe, ſur les matieres conteſtées.

Le droit Civil.Si une femme eſt capable de s’inſtruire par l’hiſtoire de ce que ſont toutes les ſocietez publiques, comment-elles ſe ſont formées, & comment-elles ſe maintiennent en vertu d’une authorité fixe & conſtante, exercée par des Magiſtrats & des Officiers ſubordonnez les uns aux autres ; elle ne l’eſt pas moins de s’informer de l’application de cette authorité, dans les Loix, les Ordonnances, & les Reglemens, pour la conduite de ceux qui y ſont ſoûmis, tant pour le rapport des perſonnes, ſelon les diverſes conditions, que pour la poſſeſſion & pour l’uſage des biens. Eſt-ce une choſe ſi difficile à ſçavoir, quel rapport il y a entre un mary & ſa femme, entre le pere & les enfans, entre le maiſtre & les domeſtiques, entre un Seigneur & ſes vaſſaux, entre ceux ſont alliez, entre un Tuteur & un Pupille ? Y a-t-il tant de myſtere à entendre ce que c’eſt de poſſeder par achat, par échange, par donation, par legs, par teſtament, par preſcription, par uſufruit, & quelles ſont les conditions neceſſaires, pour rendre ces uſages valides ?

Le Droit Canon.Il ne paroiſt pas qu’il faille plus d’intelligence pour bien prendre l’eſprit de la ſocieté Chrétienne, que celuy de la ſocieté Civile ; pour former une idée juſte de l’autorité qui luy eſt particuliere, & ſur laquelle eſt fondée toute ſa conduite, & pour diſtinguer préciſément celle que Jesus-Christ a laiſſée à ſon Egliſe, d’avec la domination qui n’appartient qu’aux Puiſſances temporelles. Aprés avoir fait cette diſtinction abſolument neceſſaire pour bien entendre le Droit-Canon, une femme le pourroit étudier, & remarquer comment l’Egliſe s’eſt reglée ſur le Civil, & comment l’on a mélé la juriſdiction ſeculiere avec la ſpirituelle ; en quoy conſiſte la Hierarchie ; quelle ſont les fonctions des Prélats ; ce que peuvent les Conciles, les Papes, les Eveſques, & les Paſteurs ; ce que c’eſt que Diſcipline, quelles en ſont les regles, & les changemens : Ce que c’eſt que Canons, privileges, & exemptions : Comment ſe ſont établis les benefices, quel en eſt l’uſage & la poſſeſſion : En un mot, quelles ſont les Coûtumes & les Ordonnances de l’Egliſe, & les devoirs de tous ceux qui la compoſent. Il n’y a rien là dequoy une femme ne ſoit tres-capable, & ainſi elle pourroit devenir tres-ſçavante dans le Droit-Canon.

Voila quelques idées generales des plus hautes connoiſſances dont les hommes ſe ſont ſervis pour ſignaler leur eſprit & pour faire fortune, & dont ils ſont depuis ſi long-temps en poſſeſſion au préjudice des femmes. Et quoy qu’elles n’y ayent pas moins de droit qu’eux, ils ont neantmoins à leur égard des penſées & une conduite qui ſont d’autant plus injuſtes, qu’on ne voit rien de pareil dans l’uſage des biens du corps.

L’on a jugé à propos que la preſcription euſt lieu pour la paix & la ſeureté des familles : c’eſt-à-dire, qu’un homme qui auroit joüy du bien d’autruy ſans trouble & de bonne foy, durant un certain eſpace de temps, en demeureroit poſſeſſeur, ſans qu’on y peuſt rien prétendre aprés. Mais on ne s’eſt jamais aviſé de croire que ceux qui en eſtoient décheus par negligence, ou autrement, fuſſent incapables d’y rentrer par quelque voye, & l’on n’a jamais regardé leur inhabilité que comme civile.

Au contraire, l’on ne s’eſt pas contenté de ne point rappeler les femmes au partage des ſciences & des emplois, aprés une longue preſcription contre-elles ; on a paſſé plus loin, & l’on s’eſt figuré que leur excluſion eſt fondée ſur une impuiſſance naturelle de leur part.

Ce n’eſt point à cauſe d’une indiſpoſition naturelle que les femmes ſont excluës des ſciences.Cependant il n’y a rien de plus chimerique, que cette imagination. Car ſoit que l’on conſidere les ſciences en elles-meſmes, ſoit qu’on regarde l’organe qui ſert à les acquerir, on trouvera que les deux Sexes y ſont également diſpoſez. Il n’y a qu’une ſeule methode, & une ſeule voye pour inſinuer la verité dans l’eſprit, dont elle eſt la nourriture ; comme il n’y en a qu’une pour faire entrer les alimens, dans toutes ſortes d’eſtomacs pour la ſubſiſtance du corps. Pour ce qui eſt des differentes diſpoſitions de cét organe, qui rendent plus ou moins propres aux ſciences, ſi l’on veut reconnoiſtre de bonne foy ce qui en eſt, ou avoüera que le plus eſt pour les femmes.

Qui ſont ceux qui ſont les plus propres aux ſciences.L’on ne peut diſconvenir, que ceux d’entre les hommes qui ſont ſi groſſiers & ſi materiels, ne ſoient ordinairement ſtupides, & qu’au contraire les plus délicats ſont toûjours les plus ſpirituels. Je trouve là-deſſus l’experience trop generale & trop conſtante, pour avoir beſoin de l’appuyer icy de raiſons : ainſi le beau Sexe eſtant d’un temperamment plus délicat que le noſtre, ne manqueroit pas de l’égaler au moins, s’il s’appliquoit à l’étude.

Je prévois bien que cette penſée ne ſera pas goûtée de beaucoup de gens qui la trouveront un peu forte. Je n’y ſçaurois que faire : l’on s’imagine qu’il y va de l’honneur de noſtre Sexe de le faire primer par tout : & moy je crois qu’il eſt de la juſtice de rendre à un chacun ce qui luy appartient.

Les deux Sexes ont un droit égal ſur les ſciences.En effet nous avons tous hommes & femmes, le meſme droit ſur la verité, puiſque l’eſprit eſt en tous également capable de la connoiſtre, & que nous ſommes tous frappés de la meſme façon, par les objets qui font impreſſion ſur le corps. Ce droit que la nature nous donne à tous ſur les meſmes connoiſſances, naiſt de ce que nous en avons tous autant de beſoin les uns que les autres. Il n’y a perſonne qui ne cherche à eſtre heureux, & c’eſt à quoy tendent toutes nos actions ; & pas un ne le peut-eſtre ſolidement que par des connoiſſances claires, & Le bonheur conſiſte dans la connoiſſance.diſtinctes ; & c’eſt en cela que Jesus-Christ meſme & ſaint Paul nous font eſperer, que conſiſtera le bon-heur de l’autre vie. Un avare s’eſtime heureux, lorſqu’il connoiſt, qu’il poſſede de grandes richeſſes ; un ambitieux lorſqu’il s’apperçoit qu’il eſt au deſſus de ſes ſemblables : En un mot, tout le bonheur des hommes, vray ou imaginaire, n’eſt que dans la connoiſſance, c’eſt-à-dire dans la penſée qu’ils ont de poſſeder le bien qu’ils recherchent.

C’est ce qui me fait croire qu’il n’y a que des idées de la verité, qu’on ſe procure par l’étude, & qui ſont fixes & indépendantes de la poſſeſſion ou du manquement des choſes, qui puiſſent faire la vraye felicité de cette vie. Car ce qui fait qu’un avare ne peut-eſtre heureux, dans la ſimple connoiſſance qu’il a des richeſſes ; C’eſt que cette connoiſſance pour faire ſon bonheur, doit eſtre liée avec le deſir ou l’imagination de les poſſeder pour le preſent : Et lors que ſon Imagination les luy repreſente comme éloignées de luy, & hors de ſa puiſſance, il ne peut y penſer ſans s’affliger. Il en va tout autrement de la ſcience qu’on a de ſoi-méme, & de toutes celles qui en dépendent : mais particulierement de celles qui entrent dans le commerce de la vie. Puis donc que les deux Sexes ſont capables de la méme felicité ; Ils ont le méme droit ſur tout ce qui ſert à l’acquerir.

Que la vertu conſiſte dans la connoiſſance.Lorsque l’on dit que le bonheur conſiſte principalement dans la connoiſſance de la verité, on n’en exclut pas la vertu ; on eſtime au contraire que celle-cy en fait le plus eſſentiel. Mais un homme n’eſt heureux par la vertu qu’autant qu’il connoît qu’il en a, ou qu’il tâche d’en avoir. Cela veut dire, qu’encore qu’il ſuffiſe pour eſtimer un homme heureux, de voir qu’il pratique la vertu, quoy qu’il ne la connoiſſe pas parfaitement, & meſme que cette pratique avec une connoiſſance confuſe & imparfaite, puiſſe contribuer à acquerir le bonheur de l’autre vie ; il eſt certain qu’il ne peut luy-meſme s’eſtimer ſolidement heureux, ſans s’apercevoir qu’il fait le bien : comme il ne ſe croiroit point riche, s’il ne ſçavoit, qu’il poſſede des richeſſes.

Pourquoy ſi peu de gens aiment la vertu.Ce qui eſt cauſe qu’il y a ſi peu de gens qui ayent du gouſt & de l’amour pour la veritable vertu, c’eſt qu’ils ne la connoiſſent pas, & n’y faiſant point d’attention, lorſqu’ils la pratiquent, ils ne ſentent point la ſatiſfaction qu’elle produit, & qui fait le bonheur dont nous parlons. Cela vient de ce que la vertu n’eſt pas une ſimple ſpeculation du bien auquel on eſt obligé, mais un deſir effectif, qui naît de la perſuaſion qu’on en a : & on ne la peut pratiquer avec plaiſir ſans reſſentir de l’émotion. Parce qu’il en eſt comme des liqueurs les plus excellentes qui ſemblent quelquefois ameres ou ſans douceur, ſi lors qu’elles ſont ſur la langue, l’eſprit eſt occupé ailleurs, & ne s’applique point au mouvement qu’elles y cauſent.

Qu’il faut eſtre ſçavant pour eſtre ſolidement vertueux.Non ſeulement les deux Sexes ont beſoin de lumiere pour trouver leur bonheur dans la pratique de la vertu, ils en ont encore beſoin pour la bien pratiquer. C’eſt la perſuaſion qui fait agir, & l’on eſt d’autant plus perſuadé de ſon devoir, qu’on le connoît plus parfaitement. Le peu qu’on a dit icy ſur la Morale, ſuffit pour inſinuer que la ſcience de nous mêmes eſt tres-importante pour rendre plus forte la perſuaſion des devoirs auſquels on eſt obligé : & il ne ſeroit pas difficile de montrer comment tous les autres y contribuent, ny de faire voir que la raiſon pourquoy tant de perſonnes pratiquement ſi mal la vertu, ou tombent dans le déreglement, c’eſt uniquement l’ignorance de ce qu’ils ſont.

D’où vient que quelques ſçavans ſont vicieux.Ce qui fait croire communément, qu’il n’eſt pas beſoin d’étre ſçavant pour eſtre vertueux, c’eſt qu’on le voit dans le vice, quantité de gens, qui paſſent d’ailleurs pour habiles, d’où l’on ſe figure que non ſeulement la ſcience eſt inutile pour la vertu : mais même qu’elle y eſt ſouvent pernicieuſe. Et cette erreur rend ſuſpect aux eſprits foibles & peu inſtruits, la plupart de ceux qui ſont en reputation d’eſtre plus éclairez que les autres, & donne en meſme temps du mépris & de l’averſion pour les plus hautes connoiſſances.

L’on ne prend pas garde qu’il n’y a que des fauſſes lumieres qui laiſſent ou jettent les hommes dans le deſordre : parce que les idées confuſes que la fauſſe Philoſophie donne de nous-mêmes, & de ce qui entre dans le corps de nos actions, broüillent tellement l’eſprit, que ne ſçachant ce qu’il eſt, ny ce que ſont les choſes qui l’environnent, ny le rapport qu’elles ont avec luy, & ne pouvant ſoûtenir le poids des difficultez qui ſe preſentent dans cette obſcurité, il faut neceſſairement qu’il ſuccombe & qu’il s’abandonne à ſes paſſions, la raiſon eſtant trop foible pour l’arrêter.

Que l’étude ne donneroit point d’orgueil aux femmes.Ce n’eſt donc que ſur une terreur Panique qu’eſt fondée l’imagination bizarre qu’a le vulgaire, que l’étude rendroit les femmes plus méchantes & plus ſuperbes. Il n’y a que la fauſſe ſcience capable de produire un effet ſi mauvais. On ne peut apprendre la veritable, ſans en devenir plus humble & plus vertueux ; & rien n’eſt plus propre à rabaiſſer la fumée, & à ſe convaincre de ſa foibleſſe, que de conſiderer tous les reſſorts de ſa machine ; la délicateſſe de ſes organes, le nombre preſque infiny d’alterations, & de déreglemens penibles auſquels elle eſt ſujette. Il n’y a point de meditation plus capable d’inſpirer de l’humilité, de la moderation, & de la douceur à un homme tel qu’il puiſſe eſtre, que de faire attention par l’étude de la Phyſique, à la liaiſon de ſon eſprit avec le corps, & de remarquer qu’il eſt aſſujetty à tant de beſoins ; que la dépendence où il eſt dans ſes fonctions des plus délicates parties du corps, le tient ſans ceſſe expoſé à mille ſortes de troubles & d’agitations fâcheuſes ; que quelques lumieres qu’il ait acquiſes, il ne faut preſque rien pour les confondre entierement ; qu’un peu de bile ou de ſang plus chaud ou plus froid qu’à l’ordinaire, le jettera peut-eſtre dans l’extravagance, dans la folie & dans la fureur, & luy fera ſouffrir des convulſions épouvantables.

Comme ces refléxions trouveroient priſe dans l’eſprit d’une femme, auſſi-bien que dans celuy d’un homme, elles en chaſſeroient l’orgueil, bien loin que de l’y faire venir. Et ſi aprés s’eſtre remply l’eſprit des plus belles connoiſſances, elle rappeloit dans ſa memoire toute ſa conduite paſſée, pour voir comment elle ſeroit arrivée à l’état heureux où elle ſe trouveroit ; bien loin de s’en élever au deſſus des autres, Avis tres-important pour tous les ſçavans.elle verroit dequoy s’humilier davantage ; puiſqu’elle obſerveroit neceſſairement dans cette reveuë, qu’elle avoit auparavant une infinité de préjugez dont elle n’a pû ſe défaire qu’en combattant avec peine les impreſſions de la coûtume, de l’exemple & des paſſions qui l’y retenoient malgré elle ; que tous les efforts qu’elle a faits pour découvrir la verité, luy ont eſté preſque inutiles, que ça a eſté comme par hazard qu’elle s’eſt preſentée à elle, & lorſqu’elle y penſoit le moins, & en des rencontres qui n’arrivent gueres qu’une ſeule fois en la vie, & à tres-peu de perſonnes ; d’où elle concluroit infailliblement qu’il eſt injuſte & ridicule d’avoir des reſſentimens ou du mépris pour ceux qui ne ſont pas éclairez comme nous, ou qui ſont dans un ſentiment contraire, & qu’il faut avoir pour eux encore plus de complaiſance, & de compaſſion ; parce que s’ils ne voyent pas la verité comme nous, ce n’eſt pas leur faute : mais c’eſt qu’elle ne s’eſt pas preſentée à eux, quand ils l’ont recherché, & qu’il y a encore quelque voile de leur part ou de la noſtre, qui l’empéche de paroiſtre à leur eſprit dans tout ſon jour : & conſiderant qu’elle tiendroit pour vray ce qu’elle auroit crû faux auparavant, elle jugeroit ſans doute qu’il pourroit encore arriver dans la ſuite, qu’elle fiſt de nouvelles découvertes par leſquelles elle trouveroit faux ou erroné, ce qui luy auroit ſemblé tres-veritable.

Si il y a eu des femmes qui ſoient devenuës mépriſantes, ſe ſentant plus de lumieres ; il y a auſſi quantité d’hommes qui tombent tous les jours dans ce vice ; & cela ne doit pas eſtre regardé comme un effet des ſciences qu’elles poſſedoient ; mais de ce que l’on en faiſoit myſtere à leur Sexe : & comme d’un coſté ces connoiſſances ſont d’ordinaire fort confuſes, & que de l’autre, celles qui les ont ſe voyent un avantage qui leur eſt particulier, il ne faut pas s’étonner qu’elles en prennent un ſujet d’élevement, & c’eſt une neceſſité preſque infaillible, que dans cét état, le même leur arrive, qu’à ceux qui ayant peu de naiſſance & de bien, ont fait avec peine une fortune éclatante : leſquels ſe voyant élevez à un poſte où ceux de leur ſorte n’ont point accoûtumé de monter, l’eſprit de vertige les prend, & leur preſente les objets tout autrement qu’ils ne ſont. Au moins eſt-il tres vray-ſemblable que l’orgueil prétendu des ſçavantes, n’eſtant rien en comparaiſon de celuy de ces ſçavans qui prennent le titre de Maîtres & de Sages : les femmes y ſeroient moins ſujettes, ſi leur Sexe entroit avec le noſtre en partage égal des avantages qui le produiſent.

Que les ſciences ſont neceſſaires à autre choſe qu’aux emplois.C’est donc une erreur populaire que de s’imaginer que l’étude eſt inutile aux femmes, parce dit-on, qu’elles n’ont point de part aux emploiſ, pour leſquels on s’y applique. Elle leur eſt auſſi neceſſaire que le bon-heur & la vertu ; puiſque ſans cela on ne peut poſſeder parfaitement ny l’un ny l’autre. Elle l’eſt pour acquerir la juſteſſe dans les penſées & la juſtice dans les actions : Elle l’eſt pour nous bien connoiſtre nous-mémes & les choſes qui nous environnent, pour en faire un uſage legitime, & pour regler nos paſſions, en moderant nos deſirs. Se rendre habile pour entrer dans les charges & les dignitez, c’eſt un des uſages de la ſcience, & il en faut acquerir le plus qu’on peut pour eſtre Juge, ou Eveſque, parce qu’on ne peut autrement ſe bien acquiter des fonctions de ces eſtats, mais non pas préciſément pour y arriver & pour devenir plus heureux par la poſſeſſion des honneurs & des avantages qu’ils produiſent, ce ſeroit faire de la ſcience un uſage bas & ſordide.

Ainsi il n’y a que le peu de lumiere, ou un intereſt ſecret & aveugle, qui puiſſe faire dire que les femmes doivent demeurer excluës des ſciences par la raiſon qu’elles n’y ont jamais eu de part publiquement. Il n’y a point de preſcription en matiere de ſciences. Il n’eſt pas des biens de l’eſprit comme de ceux du corps ; il n’y a point de preſcription contre : & quelque temps que l’on en ait eſté privé, il y a toûjours droit de retour. Les mêmes biens du corps ne pouvant eſtre poſſedez en même-temps par pluſieurs perſonnes, ſans diminution de part & d’autre, l’on a eu raiſon pour le ſalut des familles ; d’y maintenir les poſſeſſeurs de bonne foy au préjudice des anciens proprietaires.

Mais pour les avantages de l’eſprit, il en eſt tout autrement. Chacun a droit ſur tout ce qu’il eſt du bon ſens : le Reſſort de la raiſon n’a point de borne ; elle a dans tous les hommes une égale juriſdiction. Nous naiſſons tous juges des choſes qui nous touchent ; & ſi nous ne pouvons pas tous en diſpoſer avec un pouvoir égal, nous pouvons au moins les connoiſtre tous également. Et comme tous les hommes joüiſſent de l’uſage de la lumiere & de l’air, ſans que cette communication ſoit préjudiciable à perſonne, tous peuvent auſſi poſſeder la verité ſans ſe nuire les uns aux autres. Et même plus elle eſt connuë, plus elle paroiſt belle & lumineuſe : plus il y a de perſonnes qui la cherchent, & plûtoſt on la découvre : & ſi les deux Sexes y avoient travaillé également, on l’auroit plûtoſt trouvée. De ſorte que la verité & la ſcience ſont des biens impreſcriptibles : & ceux qui en ont eſté privez y peuvent rentrer ſans faire tort à ceux qui en ſont déja les maîtres. Il ne peut donc y avoir que ceux qui veulent dominer ſur les eſprits par la creance, qui ayent ſujet d’apprehender ce retour, dans la crainte que ſi les ſciences devenoient ſi communes, la gloire ne le devint auſſi, & que celle où ils aſpirent, ne ſe diminuaſt par le partage.

Que les femmes ne ſont pas moins capables que les hommes des Emplois de la ſocieté.

C’est pourquoy il n’y a aucun inconvénient que les femmes s’appliquent à l’étude comme nous. Elles ſont capables d’en faire auſſi un tres-bon uſage, & d’en tirer les deux avantages que l’on en peut eſperer, l’un d’avoir les connoiſſances claires & diſtinctes, que nous deſirons naturellement, & dont le deſir eſt ſouvent étouffé & anéanty par la confuſion des penſées & par les beſoins & les agitations de la vie ; & l’autre d’employer ces connoiſſances pour leur conduite particuliere, & pour celle des autres dans les differens états de la ſocieté, dont on fait partie. Cela ne s’accorde pas avec l’opinion commune. Il y en a beaucoup qui croiront bien que les femmes peuvent apprendre ce que l’on comprend ſous les ſciences Phyſiques ou naturelles ; mais non pas qu’elles ſoient auſſi propres que les hommes à celles qu’on peut appeler Civiles, comme la Morale, la Juriſprudence, & la Politique, & que ſi elles peuvent ſe conduire elles-mêmes par l’application des maximes de ces dernieres, elles ne pourront pas pour cela conduire les autres.

L’on a cette penſée faute de prendre garde que l’eſprit n’a beſoin dans toutes ſes actions que de diſcernement & de juſteſſe, & que quiconque a une fois ces deux qualitez en une choſe, peut les avoir auſſi aiſément & par la méme voye dans tout le reſte. La Morale ou le Civil ne change point la nature de nos actions : elles demeurent toûjours Phyſiques : parce que la Morale n’eſt autre choſe, que de ſçavoir la maniere dont les hommes regardent les actions de leurs ſemblables par rapport aux idées qu’ils ont du bien ou du mal, du vice & de la vertu, de la juſtice & de l’injuſtice : & de même qu’ayant une fois bien compris les regles du mouvement dans la Phyſique, on peut les appliquer à tous les changemens & à toutes les varietez qu’on remarque dans la nature : auſſi ſçachant une fois les veritables maximes des ſciences Civiles, l’on n’a pas plus de difficulté à en faire l’application aux incidens nouveaux qui ſurviennent.

Ceux qui ſont dans les Emplois, n’ont pas toûjours plus d’eſprit que les autres pour avoir eu plus de bon-heur : & même il n’eſt pas neceſſaire qu’ils en ayent plus que le commun ; quoy qu’il ſoit à ſouhaiter qu’on n’y admît que ceux qui y ſeroient les plus propres. Nous agiſſons toûjours de la même façon & par les mêmes regles en quelque état que nous nous trouvions ; ſinon que plus les états ſont relevez, plus nos ſoins & nos veuës ſont étenduës, parce qu’il y faut plus agir. Et tout le changement qui arrive aux hommes, que l’on met au deſſus des autres, eſt comme celuy d’une perſonne qui eſtant monté au haut d’une Tour, porte ſa veuë plus loin, & découvre plus de differens objets que ceux qui demeurent en bas : c’eſt pourquoy ſi les femmes ſont autant capables que nous de ſe bien conduire elles-mêmes, elles le ſont auſſi de conduire les autres, & d’avoir part aux emplois & aux dignitez de la ſocieté Civile.

Elles ſont capables d’enſeigner.Le plus ſimple & le plus naturel uſage que l’on puiſſe faire en public des ſciences qu’on a bien appriſes, c’eſt de les enſeigner aux autres : & ſi les femmes avoient étudié dans les Univerſitez, avec les hommes, ou dans celles qu’on auroit établies pour elles en particulier, elles pourroient entrer dans les degrez, & prendre titre de Docteur & de Maître en Theologie & en Medecine, en l’un & en l’autre Droit : & leur genie qui les diſpoſe ſi avantageuſement à apprendre, les diſpoſeroit auſſi à enſeigner avec ſuccez. Elles trouveroient des methodes & des biais inſinuans pour inſpirer leur doctrine ; elles découvriroient adroitement le fort & le foible de leurs diſciples, pour ſe proportionner à leur portée, & la facilité qu’elles ont à s’énoncer, & qui eſt un des plus excellens talens des bons Maîtres, acheveroit de les rendre des Maiſtreſſes admirables.

Elles ſont capables des dignitez Eccleſiaſtiques.L’employ le plus approchant de celuy de Maître, c’eſt d’eſtre Paſteur ou Miniſtre dans l’Egliſe, & l’on ne peut monſtrer qu’il y ait autre choſe que la Coûtume qui en éloigne les femmes. Elles ont un eſprit comme le noſtre, capable de connoiſtre & d’aimer Dieu, & ainſi de porter les autres à le connoiſtre & à l’aimer. La foy leur eſt commune avec nous : L’Evangile & ſes promeſſes ne s’adreſſent pas moins à elles. La charité les comprend auſſi dans ſes devoirs, & ſi elles ſçavent en pratiquer les actions, ne pourroient-elles pas auſſi en enſeigner publiquement les maximes. Quiconque peut précher par ſes exemples, le peut encore à plus forte raiſon par ſes paroles : Et une femme qui joindroit l’éloquence naturelle à la morale de Jesus-Christ, ſeroit auſſi capable qu’un autre, d’exhorter, de diriger, de corriger, d’admettre dans la ſocieté Chrétienne ceux qui en ſeroient dignes, & d’en retrancher ceux qui refuſeroient d’en obſerver les reglemens, aprés s’y eſtre ſoûmis. Et ſi les hommes eſtoient accoûtumez à voir les femmes dans une chaire, ils n’en ſeroient pas plus touchez que les femmes le ſont des hommes.

Elles peuvent avoir l’authorité.Nous ne nous ſommes aſſemblez en ſocieté, que pour vivre en paix, & pour trouver dans une aſſiſtance mutuelle tout ce qui eſt neceſſaire pour le corps & pour l’eſprit. On ne pourroit en joüir ſans trouble, s’il n’y avoit point d’Authorité ; c’eſt à dire qu’il faut pour cela que quelques perſonnes ayent le pouvoir de faire des loix, & d’impoſer des peines à ceux qui les violent. Pour bien uſer de cette autorité, il faut ſçavoir à quoy elle oblige, & eſtre perſuadé que ceux qui la poſſedent ne doivent avoir pour but en l’employant que de procurer le ſalut & l’avantage de ceux qui leur ſont inferieurs. Les femmes n’eſtant pas moins ſuſceptibles de cette perſuaſion que les hommes, ceux-cy ne pourroient-ils pas ſe ſoûmettre à elles, Et conſentir non ſeulement de ne pas reſiſter à leurs ordres ; mais même de contribuer autant qu’ils pourroient pour obliger à leur obéir ceux qui en feroient difficulté.

Elles peuvent eſtre Reines.Ainsi rien n’empécheroit qu’une femme ne fuſt ſur un Trône, & que pour gouverner ſes peuples, elle n’étudiaſt leur naturel, leurs intereſts, leurs loix, leurs coûtumes, & leurs uſages ; qu’elle n’euſt égard qu’au merite dans la diſtribution des charges : qu’elle ne miſt dans les Emplois de la robe & de l’épée que des perſonnes équitables : & dans les dignitez de l’Egliſe que des gens de lumiere & d’exemple. Eſt-ce une choſe ſi difficile, qu’une femme ne le puiſſe faire, que de s’inſtruire du fort & du foible d’un Etat, & de ceux qui l’environnent, d’entretenir chez les étrangers des intelligences ſecretes pour découvrir leurs deſſeins, & pour rompre leurs meſures, & d’avoir des Eſpions & des Emiſſaires fidels dans tous les lieux ſuſpects, pour eſtre informé exactement de tout ce qui s’y paſſe, à quoy l’on auroit intereſt ? Faut-il pour la conduite d’un Royaume plus d’application, & plus de vigilance que les femmes en ont pour leurs familles, & les Religieuſes pour leurs Couvens ? Le raffinement ne leur manqueroit non plus dans les negociations publiques, qu’il leur manque dans les affaires particulieres, & comme la pieté & la douceur ſont naturelles à leur Sexe, la domination en ſeroit moins rigoureuſe, que n’a eſté celle de pluſieurs Princes, & l’on ſouhaiteroit ſous leur regne, ce que l’on a craint ſous tant d’autres, que les ſujets ſe reglaſſent ſur l’exemple des perſonnes qui les gouvernent.

Il eſt aiſé de conclure que ſi les femmes ſont capables de poſſeder ſouverainement toute l’authorité publique, elles le ſont encore plus de n’en eſtre que les Miniſtres : comme d’eſtre Vice-reines, Gouvernantes, Secretaires, Conſeilleres d’Etat, Intendantes des Finances.

Elles peuvent eſtre Generales d’Armée.Pour moy je ne ſerois pas plus ſurpris de voir une femme le caſque en teſte, que de luy voir une Couronne : Preſider dans un Conſeil de Guerre, comme dans celuy d’un Etat : Exercer elle-même ſes ſoldats, ranger une armée en bataille, la partager en pluſieurs corps, comme elle ſe divertiroit à le voir faire. L’Art Militaire n’a rien pardeſſus les autres, dont les femmes ſont capables, ſinon qu’il eſt plus rude & qu’il fait plus de bruit & plus de mal. Les yeux ſuffiſent pour apprendre dans une Carte un peu exacte, toutes les routes d’un païs, les bons & les mauvais paſſages, les endroits les plus propres aux ſurpriſes, & aux campemens. Il n’y a gueres de ſoldats qui ne ſçachent bien qu’il faut occuper les défilez avant que d’y engager ſes troupes, regler toutes ſes entrepriſes ſur les avis certains de bons Eſpions ; tromper même ſon armée par des ruſes & des contre-marches pour mieux cacher ſon deſſein. Une femme peut cela, & inventer des ſtratagêmes pour ſurprendre l’Ennemy, luy mettre le vent, la pouſſiere, le Soleil en face : & l’attaquant d’un coſté, le faire envelopper par l’autre : luy donner de fauſſes alarmes, l’attirer dans une embuſcade par une fuite ſimulée ; livrer une bataille & monter la premiere à la bréche pour encourager ſes ſoldats. La perſuaſion & la paſſion font tout : & les femmes ne témoignent pas moins d’ardeur & de reſolution, lorſqu’il y va de l’honneur, qu’il en faut pour attaquer & pour défendre une place.

Elles ſont capables des Charges de Judicature.Que pourroit-on trouver raiſonnablement à redire, qu’une femme de bon ſens, & éclairée, préſidaſt à la teſte d’un Parlement & de toute autre Compagnie. Il y a quantité d’habiles gens qui auroient moins de peine à apprendre les Loix & les Coûtumes d’un Etat, que celle des jeux, que les femmes entendent ſi bien : il eſt auſſi aiſé de les retenir qu’un Roman entier. Ne peut-on pas voir le point d’une affaire auſſi facilement, que le dénouëment d’une Intrigue dans une piece de Theâtre, & faire auſſi fidelement le rapport d’un procez que le recit d’une Comedie ? Toutes ces choſes ſont également faciles à ceux qui s’y appliquent également.

Comme il n’y a ny charge ny employ dans la ſocieté qui ne ſoit renfermé dans ceux dont on vient de parler, ny où l’on ait beſoin de plus de ſcience, ny de plus d’eſprit : il faut reconnoiſtre que les femmes ſont propres à tout.

Outre les diſpoſitions naturelles de corps, & les idées que l’on a des fonctions & des devoirs de ſon Employ, il y a encore un certain acceſſoire qui rend plus ou moins capable de s’en acquiter dignement : la perſuaſion de ce qu’on eſt obligé de faire, les conſiderations de Religion & d’intereſt, l’émulation entre les pareils, le deſir d’acquérir de la gloire, de faire, de maintenir, ou d’augmenter ſa fortune. Selon qu’un homme eſt plus ou moins touché de ces choſes il agit tout autrement : & les femmes n’y eſtant pas moins ſenſibles que les hommes, elles leur ſont à l’égard des Emplois, égales en tout.

Les femmes doivent s’appliquer à l’étude.L’on peut donc en aſſurance exhorter les Dames à s’appliquer à l’étude, ſans avoir égard aux petites raiſons de ceux qui entreprendroient de les en détourner. Puiſqu’elles ont un eſprit comme nous capable de connoiſtre la verité, qui eſt la ſeule choſe qui les puiſſe occuper dignement, elles doivent ſe mettre en état d’éviter le reproche d’avoir enfermé un talent qu’elles pouvoient faire valoir, & d’avoir retenu la verité dans l’oiſiveté & dans la molleſſe. Il n’y a pas d’autre moyen pour elles de ſe garantir de l’erreur & de la ſurpriſe, à quoy ſont ſi expoſées les perſonnes qui n’apprennent rien, que par la voye des Gazettes, c’eſt-à-dire par le ſimple rapport d’autruy, & il n’y en a point d’autre non plus pour eſtre heureuſes en cette vie, en pratiquant la vertu, avec connoiſſance.

L’utilité de l’étude pour les femmes.Quelque intereſt qu’elles cherchent outre celuy-là, elles le rencontreront dans l’étude. Si les Cercles eſtoient changez en Academies, les entretiens y ſeroient plus ſolides, plus agreables, & plus grans : Et chacune peut juger de la ſatiſfaction qu’elle auroit à parler des plus belles choſes, par celle qu’elle reſſent quelquefois à en entendre parler les autres. Quelques legeres que fuſſent les ſujets de converſation, elles auroient le plaiſir de les traiter plus ſpirituellement que le commun : Et les manieres délicates qui ſont ſi particulieres à leur Sexe, eſtant fortifiées de raiſonnemens ſolides, en toucheroient bien davantage.

Celles qui ne cherchent qu’à plaire y trouveroient admirablement leur compte ; & l’éclat de la beauté du corps relevé par celuy de l’eſprit, en ſeroit cent fois plus vif. Et comme les femmes les moins belles, ſont toûjours regardées de bon œil, lorſqu’elles ſont ſpirituelles, les avantages de l’eſprit cultivez par l’étude, leur donneroient moyen de ſuppléer abondamment, à ce que la nature, ou la fortune leur auroient dénié. Elles auroient part aux entretiens des ſçavans, & regneroient parmy eux doublement : Elles entreroient dans les affaires : les maris ne pourroient s’exempter de leur abandonner la conduite des familles, & de prendre en tout leurs conſeils ; & ſi les choſes ſont dans un état qu’elles ne peuvent plus eſtre admiſes aux Emplois, elles pourroient au moins en connoiſtre les fonctions, & juger ſi on les remplit dignement.

La difficulté d’arriver à ce point ne doit pas epouvanter. Elle n’eſt pas ſi grande qu’on la fait. Ce qui eſt cauſe qu’on croit qu’il faut tant de peine pour acquerir quelques connoiſſances, c’eſt que l’on fait pour cela apprendre quantité de choſes qui ſont tres-inutiles, à la plupart de ceux qui aſpirent. Toute la ſcience n’ayant juſqu’à preſent preſque conſiſté qu’à poſſeder l’hiſtoire des ſentimens de ceux qui nous ont precedez, & les hommes s’en eſtant trop rapportez à la coûtume & à la bonne foy de leurs Maîtres, tres-peu ont eu le bon-heur de trouver la methode naturelle. L’on pourra y travailler, & faire voir qu’on peut rendre les hommes habiles en bien moins de temps, & avec plus de plaiſir qu’on ne s’imagine.

Que les femmes ont une diſpoſition avantageuſe pour les ſciences, & que les idées juſtes de perfection, de Nobleſſe & d’honneſteté leur conviennent comme aux hommes.

Jusques icy nous n’avons encore regardé que la teſte dans les femmes, & l’on a veu que cette partie conſiderée en general, a en elles autant de proportion, que dans les hommes, avec toutes les ſciences dont elle eſt l’organe. Neanmoins, parce que cét organe n’eſt pas entiérement ſemblable, même dans tous les hommes, & qu’il y en a, en qui il eſt plus propre à certaines choſes qu’à d’autres, il faut deſcendre plus dans le particulier, pour voir s’il n’y a rien dans les femmes, qui les rendre moins propres aux ſciences que nous.

L’on peut remarquer qu’elles ont la Phyſionomie plus heureuſe & plus grande que nous ; elles ont le front haut, élevé, & large, ce qui eſt la marque ordinaire des perſonnes Imaginatives & ſpirituelles. Et on trouve en effet, que les femmes ont beaucoup de vivacité, d’imagination & de memoire : cela veut dire que leur cerveau eſt diſpoſé de telle ſorte, qu’il reçoit aiſément les impreſſions des objets, & juſques aux plus foibles, & aux plus legeres, qui échappent à ceux qui ont une autre diſpoſition, & qu’il les conſerve ſans peine & les preſente à l’eſprit au moment qu’il en a beſoin.

Que les femmes ſont imaginatives & ſpirituelles.Comme cette diſpoſition eſt accompagnée de chaleur, elle fait que l’eſprit eſt frappé plus vivement par les objets ; qu’il s’y attache & les pénetre davantage & qu’il en étend les images comme il luy plaiſt. D’où il arrive que ceux qui ont beaucoup d’Imagination conſiderant les choſes par plus d’endroits & en moins de temps, ſont fort ingenieux & inventifs, & découvrent plus d’une ſeule veuë, que beaucoup d’autres aprés une longue attention ; ils ſont propres à repreſenter les choſes d’une maniere agreable & inſinuante, & à trouver ſur le champ des biais & des expediens commodes ; Ils s’expriment avec facilité & avec grace, & donnent à leurs penſées un plus beau jour.

Tout cela ſe remarque dans les femmes, & je ne vois rien dans cette diſpoſition qui ſoit contraire au bon eſprit. Le diſcernement & la juſteſſe en font le caractere naturel : pour acquérir ces qualitez, il faut ſe rendre un peu ſedentaire, & s’arreſter ſur les objets, afin d’éviter l’erreur & la mépriſe où l’on tombe en voltigeant. Il eſt vray que la multitude des penſées dans les perſonnes vives, emporte quelquefois l’imagination ; mais il eſt vray auſſi qu’on la peut fixer par l’exercice. Nous en avons l’experience dans les plus grands hommes de ce ſiecle, qui ſont preſque tous fort imaginatifs.

L’on peut dire que ce temperamment eſt le plus propre pour la ſocieté, & que les hommes n’eſtant pas faits pour demeurer toûjours ſeuls & renfermez dans un cabinet, on doit en quelque façon plus eſtimer ceux qui ont plus de diſpoſition à communiquer agreablement & utilement leurs penſées. Et ainſi les femmes qui ont naturellement l’eſprit beau, parce qu’elles ont de l’imagination, de la memoire & du brillant, peuvent avec un peu d’application acquerir les qualitez du bon eſprit.

En voilà ſuffiſamment pour monſtrer qu’à l’égard de la teſte ſeule, les deux Sexes ſont égaux. Il y a ſur le reſte du Corps des choſes tres-curieuſes, mais dont il ne faut parler qu’en paſſant. Les hommes ont toûjours eu ce mal-heur commun, de répandre, pour ainſi dire, leurs paſſions dans tous les ouvrages de la nature : & il n’y a guere d’idées qu’ils n'ayent jointes avec quelque ſentiment d’amour ou de haine, d’eſtime, ou de mépris ; & celles qui concernent la diſtinction des deux Sexes, ſont tellement materielles & tellement broüillées des ſentimens d’imperfection, de baſſeſſe, de deſhonneſteté & d’autres bagatelles, que ne pouvant eſtre touchées ſans remüer quelque paſſion & ſans exciter la chair contre l’eſprit, il eſt ſouvent de la prudence de n’en rien dire.

Cependant, c’eſt ſur ce mélange bizarre d’idées toûjours confuſes, que ſont fondées les penſées deſavantageuſes aux femmes, & dont les petits Eſprits ſe ſervent ridiculement pour les mortifier. Le plus juſte temperament qu’il y ait entre la neceſſité de s’expliquer & la difficulté de le faire impunément, eſt de marquer ce qu’on doit raiſonnablement entendre par perfection & imperfection, par nobleſſe & par baſſeſſe, par honneſteté & par deſhonneſteté.

Idées de la perfection & de l’imperfection.Concevant qu’il y a un Dieu, je conçois facilement que toutes choſes dépendent de luy ; & ſi aprés avoir conſideré l’état naturel & interieur des Creatures, qui conſiſte, ſi ce ſont des corps, dans la diſpoſition de leurs parties à l’égard les unes des autres, & leur état exterieur qui eſt le rapport qu’ils ont pour agir ou pour ſouffrir avec ceux qui les environnent ; ſi, dis-je, je cherche la raiſon de ces deux états, je n’en trouve point d’autre que la volonté de celuy qui en eſt l’Autheur. J’obſerve enſuite, que ces corps ont d’ordinaire une certaine diſpoſition qui les rend capables de produire & de recevoir certains effets ; par exemple, que l’homme peut entendre par les oreilles les penſées de ſes ſemblables, & leur faire entendre les ſiennes par les organes de la voix. Et je remarque que les corps ſont incapables de ces effets, lorſqu’ils ſont autrement diſpoſez, D’où je me forme deux idées, dont l’une me repreſente le premier état des choſes avec toutes ſes ſuites neceſſaires, & je l’appelle état de perfection : Et l’autre idée me repreſente l’état contraire que je nomme imperfection.

Ainsi un homme eſt parfait à mon égard, lorſqu’il a tout ce qu’il luy faut ſelon l’inſtitution divine pour produire & pour recevoir les effets auſquels il eſt deſtiné ; & il eſt imparfait, lorſqu’il a plus ou moins de parties, qu’il n’eſt neceſſaire, ou quelque indiſpoſition qui l’éloigne de ſa fin. C’eſt pourquoy ayant eſté formé de ſorte qu’il a beſoin d’alimens pour ſubſiſter, je ne conçois pas ce beſoin, comme une imperfection, non plus que la neceſſité attachée à l’uſage des alimens, que le ſuperflus ſorte du corps. Je trouve ainſi que toutes les creatures ſont également parfaites, lorſqu’elles ſont dans leur état naturel & ordinaire.

Il ne faut pas confondre la perfection avec la nobleſſe. Ce ſont deux choſes bien differentes. Deux Creatures peuvent eſtre égales en perfection, & inégales en nobleſſe.

En faiſant refléxion ſur moy-méme, il me ſemble que mon Eſprit eſtant ſeul capable de connoiſſance, doit eſtre préferé au Corps, & conſideré comme le plus noble : mais lorſque je regarde les corps, ſans avoir égard à moy, c’eſt à dire, ſans ſonger qu’ils me peuvent eſtre utiles, ou nuiſibles, agreables, ou deſagreables, je ne puis me perſuader que les uns ſoient plus nobles que les autres, n’eſtant tous que de la matiere diverſement figurée. Au lieu que ſi je me méle avec les corps, conſiderant le bien & le mal qu’ils me peuvent faire ; je viens à les eſtimer differemment. Encore que ma teſte regardée ſans intereſt ne me touche pas plus que les autres parties, je la prefere neanmoins à toutes, quand je viens à penſer qu’elle m’importe davantage dans l’union de mon Eſprit avec le Corps.

C’est pour la même raiſon qu’encore que tous les endroits du Corps ſoient également parfaits, on a neanmoins pour eux des regards differens ; ceux mêmes dont l’uſage eſt plus neceſſaire eſtant conſiderez ſouvent avec quelque ſorte de mépris & d’averſion, parce que cét uſage eſt moins agreable ou autrement. Il en eſt de même de tout ce qui nous environne & nous touche, car ce qui fait qu’une choſe plaiſt à l’un & déplaiſt à l’autre, c’eſt qu’elle les a frappez differemment.

L’idée de l’honneſteté.L’engagement des hommes dans la ſocieté, eſt ce qui produit en eux l’idée de l’honneſteté. Ainſi quoy qu’il n’y ait ny imperfection ny baſſeſſe à ſoulager le corps, & que ce ſoit même une neceſſité & une ſuite indiſpenſable de ſa diſpoſition naturelle, & que toutes les manieres de le faire ſoient égales, il y en a neanmoins que l’on conſidere comme moins honneſtes, parce qu’elles choquent davantage les perſonnes en preſence deſquelles on les fait.

Comme toutes les Creatures & toutes leurs actions conſiderées en elles-mêmes, & ſans aucun rapport à l’uſage ny à l’eſtime qu’on en fait, ſont auſſi parfaites & auſſi nobles les unes que les autres, elles ſont auſſi également honneſtes, eſtant conſiderées de la méme façon. C’eſt pourquoy l’on peut dire que les regards d’honneſteté & de deſhonneſteté ſont preſque tous dans leur origine, les effets de l’imagination, & du caprice des hommes. Cela paroiſt en ce qu’une choſe qui eſt honneſte en un païs, ne l’eſt pas l’autre ; & que dans un méme Royaume, mais en divers temps ; ou bien en un méme temps, mais entre des perſonnes d’état, de condition & d’humeur differente, une méme action eſt tantoſt conforme, tantoſt contraire à l’honneſteté. C’eſt pourquoy l’honneſteté n’eſt autre choſe que la maniére d’uſer des choſes naturelles, ſelon l’eſtime que les hommes en font, & à quoy il eſt de la prudence de s’accommoder.

Nous ſommes tous tellement pénetrez de cette idée, quoy que nous n’y faſſions pas de refléxion, que les perſonnes ou amies, ou ſpirituelles & judicieuſes, qui s’aſſujettiſſent en public & avec le vulgaire aux façons de l’honneſteté, s’en délivrent en particulier, comme de charges autant importunes que bizarres.

Il en eſt de méme de la Nobleſſe. En quelques Provinces des Indes, les Laboureurs ont le méme rang que les Nobles, parmy nous : en certains païs on préfere les gens d’épée à ceux de robe ; en d’autres on pratique tout le contraire : Chacun ſelon qu’il a plus d’inclination pour ces états, ou qu’il les eſtime plus importans.

En comparant ces idées-là, avec les penſées que le vulgaire a ſur les femmes, l’on reconnoiſtra ſans peine, en quoy conſiſte ſon erreur.

D’où vient la diſtinction des Sexes : Juſqu’où elle s’étend : & qu’elle ne met point de difference entre les hommes & les femmes, par rapport au vice & à la vertu ; & que le Temperamment en general n’eſt ny bon ny mauvais en ſoy.


D’où vient la difference des Sexes.Dieu voulant produire les hommes dépendamment les uns des autres, par le concours de deux perſonnes, fabriqua pour cét uſage deux corps qui eſtoient differens. Chacun eſtoit parfait en ſa maniere, & ils devoient eſtre tous deux diſpoſez comme ils ſont à preſent : Et tout ce qui dépend de leur conſtitution particuliere doit eſtre conſideré comme faiſant partie de leur perfection. C’eſt donc ſans raiſon que quelques-uns s’imaginent que les femmes ne ſont pas ſi parfaites que les hommes, & qu’ils regardent en elles comme un défaut, ce qui eſt un Apanage eſſentiel à leur Sexe, ſans quoy il ſeroit inutile à la fin pour laquelle il a eſté formé ; qui commence & ceſſe avec la fécondité, & qui eſt deſtiné au plus excellent uſage du monde ; c’eſt-à-dire, à nous former & à nous nourrir dans leur ſein.

Les femmes contribuent plus que les hommes à la generation.Les deux Sexes ſont neceſſaires pour produire enſemble leur pareil : & ſi l’on ſçavoit comment le noſtre y contribuë, l’on trouveroit bien du méconte pour nous. Il eſt difficile de comprendre ſurquoy ſe fondent ceux qui ſoûtiennent que les hommes ſont plus nobles que les femmes, en ce qui regarde les enfans. Ce ſont proprement celles-cy qui nous conçoivent, qui nous forment, qui nous donnent l’Eſtre, la naiſſance, & l’éducation. Il eſt vray que cela leur coûte plus qu’à nous : mais il ne faut pas que cette peine leur ſoit préjudiciable, & leur attire le mépris, au lieu de l’eſtime qu’elles en meritent. Qui voudroit dire, que les peres & les meres, qui travaillent à élever leurs enfans, les bons Princes à gouverner leurs ſujets, & les Magiſtrats à leur rendre la juſtice, ſoient moins eſtimables, que ceux de l’entremiſe & du ſecours deſquels ils ſe ſervent, pour s’acquiter de leur devoir ?

Sur le temperamment.Il y a des Medecins, qui ſe ſont fort étendus, ſur le Temperamment des Sexes au déſavantage des femmes, & ont fait des diſcours à perte de veuë, pour monſtrer que leur Sexe doit avoir un temperamment tout à fait different du noſtre, & qui le rend inferieur en tout. Mais leurs raiſons ne ſont que des conjectures legeres, qui viennent dans l’eſprit de ceux qui ne jugent des choſes que par préjugé & ſur de ſimples apparences.

Voyant les deux Sexes plus diſtinguez pour ce qui regarde les fonctions Civiles, que celles qui leur ſont particulieres, ils ſe ſont imaginez, qu’ils devoient eſtre de la ſorte ; & ne diſcernant pas aſſez exactement ce qui vient de la coûtume & de l’éducation d’avec ce que donne la nature ; ils ont attribué à une méme cauſe, tout ce qu’ils voyoient dans la ſocieté, ſe figurant que Dieu en créant l’homme & la femme, les avoit diſpoſez d’une façon qui doit produire toute la diſtinction que nous remarquons entr’eux.

C’est porter trop loin la difference des Sexes. On la doit reſtreindre dans le deſſein que Dieu a eu de former les hommes par le concours de deux perſonnes, & n’en admettre qu’autant qu’il eſt neceſſaire pour cét effet. Auſſi voyons nous que les hommes & les femmes ſont ſemblables preſque en tout pour la conſtitution interieure & exterieure du corps, & que les fonctions naturelles, & deſquelles dépend noſtre conſervation, ſe font en eux de la même maniere. C’eſt donc aſſez qu’ils donnent naiſſance à un troiſiéme, qu’il y ait quelques organes dans l’un qui ne ſoient pas dans l’autre. Il n’eſt pas beſoin pour cela, comme on ſe le figure, que les femmes ayent moins de force & de vigueur que les hommes : Et comme il n’y a que l’experience qui puiſſe faire juger de cette diſtinction, ne trouve-t-on pas que les femmes ſont mélées comme nous ; Il y en a de fortes & de foibles dans les deux parties : les hommes élevez dans la molleſſe ſont ſouvent pires que les femmes, & ployent d’abord ſous le travail : mais quand ils y ſont endurcis par neceſſité ou autrement, ils deviennent égaux, & quelquefois ſuperieurs aux autres.

Il en eſt de méme des femmes. Celles qui s’occupent à des exercices penibles, ſont plus robuſtes que les Dames qui ne manient qu’une aiguille. Ce qui peut faire penſer que ſi l’on exerçoit également les deux Sexes, l’un acquereroit peut-eſtre autant de vigueur que l’autre ; ce que l’on a veu autrefois dans une République, où la Lutte & les exercices leur eſtoient communs : on rapporte le méme des Amazones qui ſont au Midy de l’Amerique.

Il ne faut point avoir égard à quelques expreſſions deſavantageuſes aux femmes.L’on ne doit donc faire aucun fond ſur certaines expreſſions ordinaires tirées de l’état preſent des deux Sexes. Lorſqu’on veut blâmer un homme avec moquerie, comme ayant peu de courage, de reſolution & de fermeté, on l’appelle effeminé ; comme ſi on vouloit dire, qu’il eſt auſſi lâche, & auſſi mou qu’une femme. Au contraire, pour loüer une femme qui n’eſt pas du commun à cauſe de ſon courage, de ſa force, ou de ſon eſprit, on dit, que c’eſt un homme. Ces expreſſions ſi avantageuſes aux hommes ne contribuent pas peu à entretenir la haute idée qu’on a d’eux ; faute de ſçavoir qu’elles ne ſont que vray-ſemblables ; & que leur verité ſuppoſe indifferemment la nature, ou la coûtume, & qu’ainſi elles ſont purement contingentes & arbitraires. La vertu, la douceur, & l’honneſteté eſtant ſi particulieres aux femmes, ſi leur Sexe n’avoit pas eſté ſi peu conſideré, lorſqu’on auroit voulu ſignifier avec éloge qu’un homme a ces qualitez en un degré éminent, on auroit dit, c’eſt une femme, s’il avoit plû aux hommes d’établir cét uſage dans le diſcours.

Quoy qu’il en ſoit, ce n’eſt pas la force du corps, qui doit diſtinguer les hommes ; autrement les beſtes auroient l’avantage par deſſus eux, & entre nous ceux qui ſont les plus robuſtes. Cependant l’on reconnoiſt par experience que ceux qui ont tant de force, ne ſont gueres propres à autre choſe qu’aux ouvrages materiels, & que ceux au contraire qui en ont moins, ont ordinairement plus de teſte. Les plus habiles Philoſophes & les plus grands Princes ont eſté aſſez délicats, & les plus grands Capitaines, n’euſſent peut-eſtre pas voulu lutter contre les moindre de leurs ſoldats. Qu’on aille dans le Parlement, on verra ſi les plus grands Juges égalent toûjours en force le dernier de leurs Huiſſiers.

Il eſt donc inutile de s’apuyer tant ſur la conſtitution du corps, pour rendre raiſon de la difference qui ſe voit entre les deux Sexes, par rapport à l’eſprit.

Le temperamment ne conſiſte pas dans un point indiviſible : comme on ne peut trouver deux perſonnes en qui il ſoit tout ſemblable, on ne peut non plus déterminer preciſément en quoy ils different. Il y a pluſieurs ſortes de bilieux, de ſanguins, & de mélancholiques, & toutes ces diverſitez n’empéchent pas qu’ils ne ſoient ſouvent auſſi capables les uns que les autres, & qu’il n’y ait d’excellens hommes de toute ſorte de temperamment : & ſuppoſant méme, que celuy des deux Sexes ſoit auſſi different qu’on le prétend, il ſe trouve encore plus de difference entre pluſieurs hommes qu’on croit neanmoins capables des mémes choſes. Le plus & le moins eſtant ſi peu conſiderables, il n’y a que l’eſprit de chicane qui y faſſe avoir égard.

Il y a apparence que ce qui groſſit tant en idée la diſtinction, dont nous parlons, c’eſt qu’on n’examine pas avec aſſez de préciſion tout ce que l’on remarque dans les femmes : & ce défaut fait tomber dans l’erreur de ceux qui ayant l’eſprit confus, ne diſtinguent pas aſſez ce qui appartient à chaque choſe, & attribuënt à l’une ce qui ne convient qu’à l’autre, parce qu’ils les trouvent enſemble dans un méme ſujet. C’eſt pourquoy voyant dans les femmes tant de difference pour les manieres, & pour les fonctions, on l’a tranſportée au temperamment, faute d’en ſçavoir la cauſe.

Les femmes peuvent prétendre l’avantage pour le corps.Quoy qu’il en ſoit, ſi on vouloit examiner quel eſt le plus excellent des deux Sexes, par la comparaiſon du corps ; les femmes pourroient prétendre l’avantage, & ſans parler de la fabrique interieure de leurs corps, & que c’eſt en elles que ſe paſſe ce qu’il y a au monde de plus curieux à connoiſtre, ſçavoir, comment ſe produit l’homme qui eſt la plus belle, & la plus admirables de toutes les Creatures ; qui les empécheroit de dire, que ce qui paroiſt au dehors leur doit donner le deſſus : que la grace & la beauté leur ſont naturelles & particulieres, & que tout cela produit des effets autant ſenſibles qu’ordinaires, & que ſi ce qu’elles peuvent par le dedans de la teſte, les rend au moins égales aux hommes, le dehors ne manque preſque jamais de les en rendre les Maîtreſſes.

La beauté eſtant un avantage auſſi réel que la force & la ſanté, la raiſon ne défend pas de s’en prévaloir plûtoſt que des autres ; & ſi on vouloit juger de ſon prix par les ſentimens & par les paſſions qu’elle excite, comme l’on juge preſque de toutes choſes, on trouveroit qu’il n’y a rien de plus eſtimable, n’y ayant rien de plus effectif, c’eſt à dire, qui remuë & agite plus de paſſions, qui les méle, & les fortifie plus diverſement, que les impreſſions de la beauté.

Il ne ſeroit pas neceſſaire de parler davantage ſur le temperamment des femmes, ſi un Autheur autant celebre que poly ne s’eſtoit aviſé de le conſiderer comme la ſource des défauts qu’on leur attribuë vulgairement ; ce qui aide beaucoup à confirmer les gens dans la penſée qu’elles ſont moins eſtimables que nous. Tous les temperammens ſont preſque égaux.Sans rapporter ſon ſentiment, je diray que pour bien examiner le temperamment des deux Sexes par rapport au vice & à la vertu, il le faut conſiderer dans un état indifferent, où il n’y ait encore ny vertu ny vice en nature : & alors on trouve ce qu’on appelle vertu dans un temps, pouvant devenir vice en un autre, ſelon l’uſage qu’on en fait, tous les temperammens ſont égaux en ce point là.

Ce que c’eſt que la vertu.Pour mieux entendre cette penſée, il faut remarquer qu’il n’y a que noſtre ame qui ſoit capable de vertu, laquelle conſiſte en general dans la reſolution ferme & conſtante de faire ce qu’on juge le meilleur, ſelon les diverſes occurrences. Le corps n’eſt proprement que l’organe & l’inſtrument de cette reſolution, comme une épée entre les mains pour l’attaque & pour la deffenſe : & toutes les differentes diſpoſitions qui le rendent plus ou moins propre à cét uſage, ne doivent eſtre appellées bonnes ou mauvaiſes, que ſelon que leurs effets ſont plus ordinaires, & plus importans pour le bien & pour le mal ; par exemple, la diſpoſition à la fuite pour s’éloigner des maux qui menacent, eſt indifferente, parce qu’il y en a qu’on ne peut éviter autrement ; & alors il eſt de la prudence de s’enfuir : au lieu que c’eſt une timidité blâmable de ſe laiſſer emporter à la fuite, lorſque le mal eſt ſurmontable par une genereuſe reſiſtance qui produit plus de bien que de mal.

Les femmes ne ſont pas plus portées au vice que les hommes.Or l’eſprit n’eſt pas moins capable dans les femmes que dans les hommes, de cette ferme reſolution qui fait la vertu, ny de connoiſtre les rencontres où il la faut exercer. Elles peuvent regler leurs paſſions auſſi bien que nous, & elles ne ſont pas plus portées au vice qu’au bien. On pourroit méme faire pencher la balance en leur faveur de ce coſté-cy : puiſque l’affection pour les enfans, ſans comparaiſon plus forte dans les femmes que dans les hommes, eſt naturellement attachée à la compaſſion, qu’on peut appeler la vertu & le lien de la ſocieté civile : n’eſtant pas poſſible de concevoir que la ſocieté ſoit raiſonnablement établie pour autre choſe, que pour ſubvenir aux beſoins & aux neceſſitez communes les uns des autres. Et ſi on regarde de prés comment ſe forment en nous les paſſions, on trouvera que de la façon que les femmes contribuent à la production & à l’éducation des hommes, c’eſt comme une ſuitte naturelle, qu’elles les traittent dans leurs afflictions, en quelque maniere comme leurs enfans.

Que la difference qui ſe remarque entre les hommes & les femmes pour ce qui regarde les mœurs vient de l’Education qu’on leur donne.

Et il eſt d’autant plus important de remarquer que les diſpoſitions que nous apportons en naiſſant, ne ſont ny bonnes ny mauvaiſes, qu’on ne peut autrement éviter une erreur aſſez ordinaire par laquelle on rapporte ſouvent à la nature ce qui ne vient que de l’uſage.

L’on ſe tourmente l’eſprit à chercher la raiſon pourquoy nous ſommes ſujets à certains défauts & avons des manieres particulieres ; faute Ce que peut l’eſtat exterieur.d’avoir obſervé ce que peuvent faire en nous l’habitude, l’exercice, l’éducation & l’état exterieur, c’eſt-à-dire le rapport de Sexe, d’âge, de fortune, d’employ, où l’on ſe trouve dans la ſocieté : Eſtant certain que toutes ces differentes veuës diverſifiant en une infinité de manieres les penſées & les paſſions, diſpoſent pareillement les eſprits à regarder tout autrement les veritez qu’on leur preſente. C’eſt pour cela qu’une même maxime propoſée en même temps à des Bourgeois, à des Soldats, à des Juges & à des Princes, les frappe & les fait agir ſi differemment : parce que les hommes ne ſe ſouciant gueres que de l’exterieur, le regardent comme la meſure & la regle de leurs ſentimens : d’où vient que les uns laiſſent paſſer comme inutile ce qui occupe fortement les autres ; que les gens d’épée ſe choquent de ce qui flatte les gens de robe : & que des perſonnes de même temperamment prennent quelquefois à contre ſens certaines choſes, qui entrent du même biais dans l’eſprit de perſonnes de conſtitution differente ; mais qui ont la même fortune, ou la même éducation.

Ce n’eſt pas qu’on pretende que tous les hommes apportent au monde la même conſtitution corporelle. Ce ſeroit une pretention mal-fondée : il y en a de vifs & de lents : mais il ne paroiſt pas que cette diverſité empéche aucunement les eſprits de recevoir la méme inſtruction : tout ce qu’elle fait c’eſt que les uns la reçoivent plus viſte & plus heureuſement que les autres. Ainſi quelque temperamment qu'ayent les femmes, elles ne ſont pas moins capables que nous de la verité & de l’étude. Et ſi l’on trouve à preſent en quelques-unes quelque deffaut, ou quelque obſtacle, ou Les défauts qui ſont dans les femmes viennent de l’éducation.même que toutes n’enviſagent pas les choſes ſolides comme les hommes, à quoy pourtant l’experience eſt contraire, cela doit eſtre uniquement rejetté ſur l’état exterieur de leur Sexe, & ſur l’éducation qu’on leur donne, qui comprend l’ignorance où on les laiſſe, les préjugez ou les erreurs qu’on leur inſpire, l’exemple qu’elles ont de leurs ſemblables, & toutes les manieres, à quoy la bien-ſeance, la contrainte, la retenuë, la ſujettion, & la timidité les reduiſent.

Quelle éducation on leur donne.En effet on n’oublie rien à leur égard qui ſerve à les perſuader, que cette grande difference qu’elles voient entre leur Sexe & le noſtre, c’eſt un ouvrage de la raiſon, ou d’inſtitution divine. L’habillement, l’éducation, & les exercices ne peuvent eſtre plus differens. Une fille n’eſt en aſſurance que ſous les ailes de ſa mere, ou ſous les yeux d’une gouvernante qui ne l’abandonne point : on luy fait peur de tout : on la menace des eſprits dans tous les lieux de la maiſon, où elle ſe pourroit trouver ſeule : Dans les grandes ruës & dans les temples mêmes il y a quelque choſe à craindre, ſi elle n’y eſt eſcortée. Le grand ſoin que l’on prend de la parer y applique tout ſon eſprit : Tant de regards qu’on luy jette, & tant de diſcours qu’elle entend ſur la beauté y attache toutes ſes penſées ; & les complimens qu’on luy rend ſur ce ſujet, font qu’elle y met tout ſon bonheur. Comme on ne luy parle d’autre choſe, elle y borne tous ſes deſſeins, & ne porte point ſes veuës plus haut. La danſe, l’écriture, & la lecture ſont les plus grands exercices des femmes, toute leur Bibliotheque conſiſte dans quelques petits Livres de devotion, avec ce qui eſt dans la caſſette.

Toute leur ſcience ſe reduit à travailler de l’éguille. Le miroir eſt le grand maiſtre, & l’oracle qu’elles conſultent. Les bals, les comedies, les modes ſont le ſujet de leurs entretiens : elles regardent les cercles, comme de celebres Academies, où elles vont s’inſtruire de toutes les nouvelles de leur Sexe. Et s’il arrive que quelques-unes ſe diſtinguent du commun par la lecture de certains Livres, qu’elles auront eu bien de la peine à attraper, à deſſein de s’ouvrir l’eſprit, elles ſont obligées ſouvent de s’en cacher : La plupart de leurs compagnes par jalouſie ou autrement, ne manquant jamais de les accuſer de vouloir faire les precieuſes.

Pour ce qui eſt des filles de condition roturiere, contraintes de gagner leur vie par leur travail, l’eſprit leur eſt encore plus inutile. On a ſoin de leur faire apprendre un meſtier convenable au Sexe, auſſi-toſt qu’elles y ſont propres, & la neceſſité de s’y employer ſans ceſſe, les empéche de penſer à autre choſe : Et lorſque les unes & les autres élevées de cette façon ont atteint l’âge du mariage, on les y engage, ou bien on les confine dans un cloître où elles continüent de vivre comme elles ont commencé.

En tout ce qu’on fait connoiſtre aux femmes void-on rien qui aille à les inſtruire ſolidement ? Il ſemble au contraire qu’on ſoit convenu de cette ſorte d’éducation pour leur abaiſſer le courage, pour obſcurcir leur eſprit, & ne le remplir que de vanité & de ſotiſes ; pour y étouffer toutes les ſemences de vertu & de verité ; pour rendre inutiles toutes les diſpoſitions qu’elles pourroient avoir aux grandes choſes, & pour leur oſter le deſir de ſe rendre parfaites, comme nous, en leur oſtant les moyens.

Lorsque je fais attention ſur la maniere, dont on regarde, ce que l’on croit voir en elles de défectueux je trouve que cette conduite a quelque choſe d’indigne de perſonnes doüées de raiſon. S’il y a également à redire dans les deux Sexes, celuy qui accuſe l’autre peche contre l’équité naturelle ; s’il y a plus de mal dans le noſtre, & que nous ne le voyions pas, nous ſommes des temeraires de parler de ceux d’autruy ; ſi nous le voyons, & que nous n’en diſions rien, nous ſommes injuſtes de blâmer l’autre qui en a moins. S’il y a plus de bien dans les femmes que dans les hommes, ceux-cy doivent eſtre accuſez d’ignorance, ou d’envie de ne le pas reconnoiſtre. Quand il y a plus de vertu, que de vice dans une perſonne, l’un doit ſervir à excuſer l’autre ; & lorſque les défauts qu’elle a, ſont inſurmontables, & que les moyens de s’en deffaire, ou de s’en garantir, luy manquent, comme ils manquent aux femmes, elle eſt digne de compaſſion non de mépris. Enfin ſi ces défauts ſont Que les défauts qu’on attribuë aux femmes ſont imaginaires.legers, ou ſeulement apparens, c’eſt imprudence, ou malice de s’y arreſter ; & il n’eſt pas difficile de montrer, qu’on en uſe ainſi vulgairement à l’égard des femmes.

La timidité.On dit qu’elles ſont timides, & incapables de deffenſe, que leur ombre leur fait peur, que le cry d’un enfant les alarme, & que le bruit du vent les fait trembler. Cela n’eſt pas general. Il y a quantité de femmes auſſi hardies, que des hommes, & que l’on ſçait que les plus timides font ſouvent de neceſſité vertu. La timidité eſt preſqu’inſéparable de la vertu, & tous les gens de bien en ont : comme ils ne veulent faire mal à perſonne, & qu’ils n’ignorent pas combien il y a de méchanceté parmy les hommes, il faut peu de choſe pour leur inſpirer de la crainte. C’eſt une paſſion naturelle, dont perſonne n’eſt exempt : tout le monde craint la mort, & les incommoditez de la vie, les Princes les plus puiſſans apprehendent la revolte de leurs ſujets, & l’invaſion de leurs ennemis ; & les plus vaillans Capitaines d’étre pris au dépourveu.

La crainte eſt grande à proportion des forces qu’on croit avoir pour reſiſter ; & elle n’eſt blâmable que dans ceux qui ſont aſſez forts pour repouſſer le mal qui les menace : & l’on ſeroit auſſi déraiſonnable d’accuſer de lâcheté un Juge & un homme de lettre, qui n’auroient penſé qu’à l’étude de refuſer de ſe battre en duel, que d’accuſer un ſoldat qui auroit toûjours porté les armes, de ne vouloir pas entrer en diſpute contre un ſçavant Philoſophe.

L’on éleve les femmes d’une maniere qu’elles ont ſujet de tout apprehender ; Elles n’ont point de lumieres pour éviter les ſurpriſes, dans les choſes de l’eſprit ; Elles n’ont point de part aux exercices qui donnent l’adreſſe & la force pour l’attaque & pour la deffenſe ; Elles ſe voyent expoſées à ſouffrir impunément les outrages d’un Sexe ſi ſujet aux emportemens, qui les regarde avec mépris, & qui traitte ſouvent ſes ſemblables avec plus de cruauté & de rage, que ne ſont les loups à l’égard des autres.

C’est pourquoy la timidité ne doit pas paſſer dans les femmes pour un défaut, mais pour une paſſion raiſonnable, à laquelle elles doivent la pudeur, qui leur eſt ſi particuliere, & les deux plus grands avantages de la vie, qui ſont l’inclination à la vertu, & l’éloignement du vice, ce que la plupart des hommes ne peuvent acquerir, avec toute l’éducation & toutes les lumieres qu’on leur donne.

La crainte de manquer de bien eſt la cauſe ordinaire de l’Avarice. Les L’Avarice.hommes n’y ſont pas moins ſujets que les femmes ; & ſi l’on venoit à compter, je ne ſçais ſi le nombre des premiers ne ſe trouveroit pas le plus grand, & leur avarice la plus blâmable. Comme il n’y a pas loin des deux vices à la vertu qui tient le milieu, on prend aſſez ſouvent l’un pour l’autre, & on confond l’avarice avec une loüable épargne.

Une méme action pouvant eſtre bonne en l’un & mauvaiſe en l’autre, il arrive ſouvent, que ce qui eſt mal en nous, ne l’eſt point du tout dans les femmes. Elles ſont privées de tous les moyens de faire fortune par leur eſprit, l’entrée des ſciences & des emplois leur eſtant fermée ; & ainſi eſtant moins en eſtat de ſe garantir des malheurs & des incommoditez de la vie, elles doivent en eſtre plus touchées. Il ne faut donc pas s’étonner, que voyant avec cela qu’on a tant de peine à acquérir un peu de bien, elles ayent ſoin de le conſerver. La Credulité.Si elles reçoivent ſi aiſément ce qu’on leur dit, c’eſt un effet de leur ſimplicité, qui les empéche de croire, que ceux qui ont authorité ſur elles, ſoient ignorans, ou intereſſez ; & l’on peche contre la Juſtice de les accuſer de Credulité, puiſqu’il y en a encore plus parmy nous. Les plus habiles ne ſe laiſſent que trop leurrer par une fauſſe apparence ; & ſouvent toute leur ſcience, n’eſt qu’une baſſe credulité, mais un peu plus étendue que celle des femmes : je veux dire, qu’ils ne ſont plus ſçavans que les autres, que parce qu’ils ont donné plus legerement leur conſentement à un plus grand nombre de choſes, dont ils ont retenu les idées, telles quelles, à force de repaſſer par-deſſus.

La ſuperſtition.Ce qui fait la timidité des femmes eſt ce qui produit la ſuperſtition que les ſçavans mêmes leur attribuënt : mais il paroît qu’ils ſont en cela ſemblables à ceux qui ayant plus de tort, ſe perſuadent avoir plus de raiſon, parce qu’ils crient plus haut que les autres. Ils s’imaginent eſtre exempts eux-mêmes de ſuperſtition, parce qu’ils en voyent dans quelques femmes peu éclairées, pendant qu’ils y ſont eux-mêmes plongez miſerablement juſques aux yeux.

Quand tous les hommes ſeroient de veritables adorateurs de Dieu, en eſprit & en verité, & que les femmes luy rendroient en tout un culte ſuperſtitieux, elles en ſeroient excuſables. On ne leur apprend point à connoiſtre Dieu par elles-mêmes : elles n’en ſçavent que ce qu’on leur en dit : Et comme la plupart des hommes en parlent d’une maniere ſi peu digne de ce qu’il eſt, & ne le diſtingue de ſes creatures, que par ſa qualité de Createur, il ne faut pas s’étonnér que les femmes, ne le connoiſſant que ſur leur rapport, l’adorent par Religion avec les mêmes ſentimens qu’elles ont pour les hommes, qu’elles craignent & qu’elles reverent.

Le Babil.Il y a des gens qui croient bien mortifier les femmes en leur diſant, qu’elles ne ſont toutes que des Babillardes. Elles ont raiſon de ſe fâcher d’un reproche ſi impertinent. Leur corps ſe trouve ſi heureuſement diſpoſé par le temperament qui leur eſt propre, qu’elles conſervent diſtinctement les impreſſions des objets, qui les ont frappées : elles ſe les repreſentent ſans peine, & s’expriment avec une facilité admirable : cela fait que les idées qu’elles ont ſe réveillant à la moindre occaſion, elles commencent & continuënt la converſation comme il leur plaiſt : & la pénétration de leur eſprit leur donnant moyen d’apercevoir aiſément les rapports des choſes, elles paſſent ſans peine d’un ſujet à l’autre, & peuvent ainſi parler long-temps, ſans laiſſer mourir le diſcours.

L’avantage de la parole eſt naturellement accompagné d’un grand deſir de s’en ſervir, dés que l’occaſion s’en preſente. C’eſt le ſeul lien des hommes dans la ſocieté, & pluſieurs trouvent qu’il n’y a point de plus grand plaiſir, ny plus digne de l’eſprit, que de communiquer ſes penſées aux autres. C’eſt pourquoy les femmes pouvant parler aiſément, & eſtant élevées avec leurs ſemblables, il y auroit à redire qu’elles manquaſſent de s’entretenir. Elles ne doivent donc paſſer pour babillardes, que lorſqu’elles parlent mal à propos, & de choſes qu’elles n’entendent point, ſans deſſein de s’en faire inſtruire.

Il ne faut pas s’imaginer qu’on ne babille que quand on parle ſur des habits & ſur des Modes. Le babil de Nouvelliſtes eſt ſouvent plus ridicule. Et cette quantité de mots entaſſez les uns ſur les autres, & qui ne ſignifient rien dans la plupart des ouvrages, ſont un caquet bien plus ſot que celuy des plus petites femmes. Au moins peut-on dire que les diſcours de celles-cy ſont réels & intelligibles, & qu’elles ne ſont pas aſſez vaines, pour s’imaginer comme la plupart des ſçavans, eſtre plus habiles que leurs voiſines, parce qu’elles diſent plus de paroles qui n’ont point de ſens. Si les hommes avoient la langue auſſi libre, il ſeroit impoſſible de les faire taire. Chacun s’entretient de ce qu’il ſçait ; les Marchand de leur negoce, les Philoſophes de leurs études, & les femmes de ce qu’elles ont pû apprendre ; & elles peuvent dire qu’elles s’entretiendroient encore mieux & plus ſolidement que nous, ſi on avoit pris autant de peine à les inſtruire.

La curioſité.Ce qui choque certaines perſonnes dans les entretiens des femmes, c’eſt qu’elles témoignent une grande envie de ſçavoir tout. Je ne ſçay pas quel eſt le gouſt des gens auſquelles il ne plaiſt pas que les femmes ſoient ſi curieuſes : pour moy je trouve bon qu’on ait de la curioſité ; Et je conſeille ſeulement de faire en ſorte qu’elle ne ſoit pas importune.

Je regarde les converſations des femmes comme celles des Philoſophes, où il eſt permis également de s’entretenir des choſes dont on n’a point la connoiſſance, & il y a des contretemps, dans les unes & dans les autres.

C’est l’ordinaire de beaucoup de gens de traiter les curieux comme des mendians. Lorſqu’ils ſont en humeur de donner, ils ne ſe fâchent point qu’on leur demande : & quand ils ont envie de découvrir ce qu’ils ſçavent, ils ſont bien aiſes qu’on les prie ; ſinon ils ne manqueroient pas de dire qu’on a trop de curioſité. Parce qu’on s’eſt forgé que les femmes ne doivent point étudier, on ſe formaliſe, qu’elles demandent d’eſtre informées de ce qu’on apprend par l’étude. Je les eſtime d’étre curieuſes, & je les plains de n’avoir pas les moyens de ſe ſatiſfaire en cela : n’en eſtant ſouvent empeſchées que par une juſte apprehenſion de s’adreſſer à des eſprits ſots & bourrus, de qui elles ſe verroient moquées, au lieu d’en recevoir de l’inſtruction. La Curioſité eſt une marque d’eſprit.Il me paroiſt que la curioſité eſt une marque des plus certaines d’un bon eſprit & plus capable de diſcipline. C’eſt une connoiſſance commencée qui nous fait aller plus vîte & plus loin dans le chemin de la verité. Lorſque de deux perſonnes qui ſont touchées d’une méme choſe, l’une la regarde indifferemment, & que l’autre s’en approche à deſſein de la mieux voir ; c’eſt ſigne que celle-cy a les yeux plus ouverts. L’Eſprit eſt dans les deux Sexes également propre aux ſciences ; & le deſir qu’il peut en avoir, n’eſt pas plus blâmable en l’un qu’en l’autre. Lorſqu’il ſe ſent frappé d’une choſe, qu’il ne voit qu’obſcurément, il ſemble que c’eſt par un choix naturel qu’il veut en eſtre éclaircy : & l’ignorance eſtant le plus fâcheux eſclavage où il ſe puiſſe trouver, il eſt auſſi déraiſonnable de condamner une perſonne qui tâche de s’en tirer, qu’un miſerable qui s’efforceroit de ſortir d’une priſon où on le tiendroit enfermé.

Inconſtance. Entre tous les défauts que l’on donne aux femmes, l’humeur inconſtante & volage eſt celle qui fait plus de mécontans. Cependant les hommes n’y ſont pas moins ſujets ; mais parce qu’ils ſe voyent les Maîtres, ils ſe figurent que tout leur eſt permis : & qu’une femme s’eſtant une fois attachée à eux, le lien ne doit eſtre indiſſoluble que de ſa part ; quoy qu’ils ſoient tous deux égaux, & que chacun y ſoit pour ſoy.

On ne s’accuſeroit pas ſi ſouvent de legereté les uns & les autres, ſi on obſervoit qu’elle eſt naturelle aux hommes, & que qui dit mortel, dit inconſtant : & que c’eſt une neceſſité indiſpenſable de l’eſtre, de la maniere dont nous ſommes faits. Nous ne jugeons des objets, nous ne les aimons ou les haïſſons, que ſur les apparences, qui ne dépendent point de nous. Les mêmes choſes nous paroiſſent diverſement, tantoſt parce qu’elles ont ſouffert quelque changement, tantoſt parce que nous en avons ſouffert nous-mêmes. La même viande plus ou moins aſſaiſonnée, chaude ou froide, nous cauſe des ſentimens tous differens : & demeurant la même, nous en ſerions autrement touchez en maladie qu’en ſanté. Dans l’Enfance, nous ſommes indifferens pour des choſes que nous regardons dix ans aprés, avec paſſion, parce que le corps eſt changé.

Pourquoy il ne faut pas accuſer les autres de ce qu’ils ne nous aiment pas. Si une perſonne a de l’amour pour nous, c’eſt qu’elle nous croit aimables ; & ſi une autre nous haït, c’eſt que nous luy paroiſſons haïſſables. Nous eſtimons en un temps ceux que nous mépriſions auparavant ; parce qu’ils ne nous ont pas toûjours paru de méme, ſoit qu’eux ou nous ayons changé. Et tel objet s’eſtant préſenté au cœur, en a trouvé la porte ouverte, qui luy auroit eſté fermée un quart-d’heure plûstoſt ou plus tard.

Le partage, où nous nous trouvons ſouvent entre-deux mouvemens contraires, que nous cauſe un méme objet, nous convainc malgré nous, que les paſſions ne ſont pas libres, & qu’il eſt injuſte de ſe plaindre d’eſtre conſideré autrement que l’on voudroit. Comme il faut peu de choſe pour donner de l’amour, il en faut peu auſſi pour le faire perdre, & cette paſſion ne dépend pas plus de nous dans ſon progrez, que dans ſa naiſſance. De dix perſonnes qui aſpirent à eſtre aimées, il arrive ordinairement que celle qui aura moins de merite, moins de naiſſance & de bonne mine, l’emportera ſur les autres : parce qu’elle aura l’air plus gay, ou quelque choſe plus à la mode, ou à noſtre gouſt, dans la diſpoſition où nous nous trouvons alors.

Artifice.Bien loin de faire tort aux femmes en les accuſant d’eſtre plus Artificieuſes que les hommes, on parle pour elles, ſi on ſçait ce que l’on dit, puiſqu’on reconnoiſt par là, qu’elles ſont auſſi plus ſpirituelles & plus prudentes. L’Artifice eſt une voye ſecrete pour arriver à ſon but, ſans en eſtre détourné. Il faut de l’eſprit pour découvrir cette voye, & de l’adreſſe pour s’y conduire : & l’on ne peut trouver à redire qu’une perſonne mette en uſage l’artifice, pour éviter d’eſtre trompée. La fourbe eſt bien plus pernicieuſe, & plus ordinaire, dans les hommes : ç’a a toûjours eſté le chemin le plus commun, pour entrer dans les Poſtes & dans les Emplois, ou l’on peut faire plus de mal : & au lieu que les hommes qui veulent tromper, employent leurs biens, leurs lumieres, & leur puiſſance, dont on eſt rarement à couvert ; les femmes ne peuvent ſe ſervir que des careſſes, & de l’éloquence, qui ſont des moyens naturels, dont on peut plus aiſément ſe garantir, quand on a ſujet de s’en défier.

Plus grande malice.Pour comble d’accuſation & de défaut, on dit que les femmes ſont plus malicieuſes & plus méchantes que les hommes : & tout le mal dont on les peut charger, eſt renfermé dans cette penſée. Je ne crois pas que ceux qui l’ont, prétendent qu’il y ait plus de femmes que d’hommes, qui faſſent du mal. Ce ſeroit une fauſſeté manifeſte. Elles n’ont point de part aux Emplois ny aux Charges dont l’abus eſt cauſe de toutes les calamitez publiques ; & leur vertu eſt trop exemplaire, & le deſordre des hommes trop connu pour les revoquer en doute.

Lors donc que l’on dit des femmes qu’elles ont plus de malice, cela ne peut ſignifier autre choſe, ſinon que quand elles ſe portent au mal, elles le font plus adroitement & le pouſſent plus loin que les hommes. Soit. Cela marque en elles un tres-ſolide avantage. On ne peut eſtre capable de beaucoup de mal, ſans avoir beaucoup d’eſprit & ſans eſtre auſſi par conſequent capable de beaucoup de bien. Ainſi les femmes ne doivent pas tenir ce reproche plus injurieux, que celuy qu’on feroit aux riches, & aux puiſſans d’eſtre plus méchans que les pauvres, parce qu’ils ont plus dequoy nuire : & les femmes pourroient répondre comme eux, que ſi elles peuvent faire du mal, elles peuvent auſſi faire du bien, & que ſi l’ignorance où on les laiſſe eſt cauſe qu’elles ſont plus méchantes que nous, la ſcience au contraire les rendroit beaucoup meilleures.

Cette petite diſcuſſion des plus ſignalez défauts, qu’on croit particuliers & naturels au beau Sexe, fait voir deux choſes, l’une, qu’ils ne ſont pas ſi conſiderables que le vulgaire ſe l’imagine ; & l’autre qu’ils peuvent eſtre rejettez ſur le peu d’éducation qu’on donne aux femmes, & que tels qu’ils ſoient, ils peuvent eſtre corrigez par l’inſtruction dont elles ne ſont pas moins capables que nous.

Si les Philoſophes avoient ſuivi cette regle pour juger de tout ce qui concerne les femmes, ils en auroient parlé plus ſainement : & ne ſeroient point tombez à leur égard dans des abſurditez ridicules. Mais la plupart des Anciens & des Modernes n’ayant bâti leur Philoſophie que ſur des préjugez populaires, & ayant eſté dans une grande ignorance d’eux-mêmes ; ce n’eſt pas merveille qu’ils ayent ſi mal connu les autres. Sans nous mettre en peine des Anciens, on peut dire des Modernes, que la maniere dont on les enſeigne, en leur faiſant croire quoy que fauſſement, qu’ils ne peuvent devenir plus habiles que ceux qui les ont précedez, les rend eſclaves de l’Antiquité, & les porte à embraſſer aveuglément tout ce qu’ils y trouvent, comme des veritez conſtantes. Et parce que tout ce qu’ils diſent contre les femmes, eſt fondé principalement ſur ce qu’ils ont lû dans les Anciens, il ne ſera pas inutile de rapporter icy quelques-unes des plus curieuſes penſées ſur ce ſujet, que nous ont laiſſées ces illuſtres morts, dont on revere tant aujourd’uy les cendres & la pourriture même.

Sentiment de Platon.Platon, le pere de la Philoſophie ancienne remerçioit les Dieux de trois graces qu’ils luy avoient faites, mais particulierement de ce qu’il eſtoit né homme & non pas femme. S’il avoit en veuë leur condition preſente, je ſerois bien de ſon avis ; mais ce qui fait juger qu’il avoit autre choſe dans l’eſprit, c’eſt le doute qu’on dit qu’il témoignoit ſouvent s’il faloit mettre les femmes de la cathegorie des beſtes. Cela ſuffiroit à des gens raiſonnables pour le condamner luy-méme d’ignorance ou de bétiſe, & pour achever de le dégrader du titre de Divin qu’il n’a plus que parmy les Pedans.

Sentiment d’Ariſtote.Son diſciple Ariſtote à qui l’on conſerve encore dans les Ecoles le nom glorieux de Genie de la nature ſur le préjugé qu’il l’a mieux connuë qu’aucun autre Philoſophe ; prétend que les femmes, ne ſont que des Monſtres. Qui ne le croiroit, ſur l’autorité d’un perſonnage ſi celebre ? De dire que c’eſt une impertinence, ce ſeroit trop ouvertement choquer ſes ſupoſts. Si une femme quelque ſçavante qu’elle fuſt, en avoit écrit autant des hommes, elle perdroit tout ſon credit, & l’on s’imagineroit avoir aſſez fait pour refuter une telle ſotiſe que de répondre que ce ſeroit une femme, ou une folle qui l’auroit dit. Cependant, elle n’auroit pas moins de raiſon que ce Philoſophe. Les femmes ſont auſſi anciennes que les hommes ; on les voit en auſſi grand nombre, & nul n’eſt ſurpris d’en rencontrer ſur ſon chemin. Pour eſtre Monſtre, ſelon la penſée méme de cét homme, il faut avoir quelque choſe d’extraordinaire & de ſurprenant. Les femmes n’ont rien de tout cela : elles ont toûjours eſté faites de mémes, toûjours belles & ſpirituelles : & ſi elles ne ſont pas faites comme Ariſtote, elles peuvent dire auſſi qu’Ariſtote n’eſtoit pas fait comme elles.

Les diſciples de cét Autheur, qui vivoient du temps de Philon, tomberent dans une penſée, non moins groteſque à l’égard des femmes ; ſe figurant, au rapport de cét Hiſtorien, qu’elles ſont des hommes ou des mâles imparfaits. C’eſt ſans doute parce qu’elles n’ont pas le menton garny de barbe : hors de là je n’y comprend rien. Les deux Sexes pour eſtre parfaits, doivent eſtre comme nous les voyons. Si l’un eſtoit ſemblable à l’autre, ce ne ſeroit aucun des deux. Si les hommes ſont les peres des femmes, les femmes ſont meres des hommes, ce qui les rend au moins égaux : & on auroit autant de raiſon que ces Philoſophes, de dire que les hommes ſont des femmes imparfaites.

Penſée plaiſante de Socrate.Socrate, qui eſtoit pour la Morale l’Oracle de l’Antiquité, parlant de la beauté du Sexe, avoit accoûtumé de la comparer à un Temple bien apparent, mais bâti ſur un cloaque.

Il ne faut que rire de cette penſée, ſi elle ne fait pas mal au cœur. Il y a apparence qu’il jugeoit du corps des autres par le ſien, ou par celuy de ſa femme, qui eſtoit une diableſſe, qui le faiſoit déteſter ; & qu’il luy parloit ainſi de ſon Sexe, à deſſein de la faire bouquer, & qu’il enrageoit dans ſon ame d’eſtre laid comme un magot.

Penſée de Diogene.Diogene ſurnommé le chien, parce qu’il ne ſçavoit que mordre, voyant un jour en paſſant deux femmes, qui s’entretenoient enſemble, dit à ceux de ſa compagnie que c’eſtoient-là deux ſerpens, un Aſpic & un vipere, qui ſe communiquoient leur venin. Cét [3] Apophtegme eſt digne d’un honneſte homme ; & je ne m’étonne pas qu’on le mette au rang des belles Sentences Philoſophiques. Si Tabarin, Verboquet & l’Eſpiegle, euſſent vécu de ſon temps, il eſt certain que nous trouverions leurs rencontres plus ſpirituelles. Le bon homme eſtoit un peu bleſſé, & ceux qui ne connoiſſent un peu, jugent bien qu’il n’avoit alors autre choſe à dire.

Démocrite.Pour l’admirable & plaiſant Démocrite, comme il aimoit un peu à rire, il ne faut pas prendre au pied de la lettre tout ce qui eſt ſorti de ſa bouche. Il avoit la taille fort grande, & ſa femme des plus petites. Eſtant un jour interrogé pourquoy il s’eſtoit ſi mal aſſorty, il répondit en raillant à ſon ordinaire, que lorſqu’on eſt obligé de choiſir, & qu’il n’y a rien de bon à prendre, le moindre eſt toûjours le meilleur. Si on eût fait la méme demande à ſa femme, elle eût pû repartir avec autant de raiſon, qu’un petit & un grand mary ne valant guere mieux l’un que l’autre, elle avoit pris le ſien comme à la blanque, de peur de prendre le pire en choiſiſſant.

Penſée de Caton.Caton ce ſage & ſevere Critique prioit ſouvent les Dieux de luy pardonner, s’il avoit eſté aſſez imprudent pour confier le moindre ſecret à une femme. Le bon homme avoit à cœur un fait fameux de l’Hiſtoire Romaine, dont les Antiquaires [4] ſe ſervent comme d’un grand argument pour montrer le peu de retenuë des femmes. Un enfant de douze ans preſſé par ſa mere de luy dire la reſolution du Senat, où il avoit aſſiſté, inventa pour ſa défaite, qu’on avoit arrété de donner pluſieurs femmes à chaque mary. Elle l’alla dire auſſi-toſt à ſes voiſines, pour prendre des meſures avec elles ; & toute la Ville le ſçût au bout d’une demie-heure. Je voudrois bien ſçavoir, ce que feroit un pauvre mary, ſi dans un Etat où les femmes ſeroient les Maîtreſſes, comme dans celuy des Amazones, on luy venoit rapporter qu’il avoit eſté reſolu au Conſeil, de donner à chaque homme un compagnon : Sans doute qu’il n’en diroit mot.

Voila quelques-unes des grandes & ſublimes penſées, que ceux que les ſçavans étudient comme des Oracles, ont euës ſur le ſujet du beau Sexe : Et ce qu’il y a de plaiſant, & de bizarre tout enſemble, c’eſt que des gens graves ſe ſervent ſerieuſement, de ce que ces fameux Anciens n’ont dit ſouvent que par raillerie. Tant il eſt vray, que les préjugez & la préoccupation font faire de bevuës à ceux mémes, qui paſſent pour les plus raiſonnables, & les plus judicieux, & les plus ſages.

FIN.
AVERTISSEMENT.

Les plus fortes Objections qu’on nous peut faire, ſe tirent de l’Authorité des grands hommes, & de l’Ecriture-ſainte. Pour ce qui eſt des premieres, on croit y ſatiſfaire ſuffiſamment, en diſant qu’on ne reconnoiſt point icy d’autre Authorité, que celle de la Raiſon & du bon Sens.

Pour ce qui regarde l’Ecriture, elle n’eſt contraire en aucune façon, au deſſein de cét Ouvrage, ſi l’on prend bien l’un & l’autre. On prétend icy qu’il y a une égalité entiere entre les deux Sexes, conſiderez indépendamment de la Coûtume, qui met ſouvent ceux qui ont plus d’Eſprit & de merite, dans la dépendance des autres. Et l’Ecriture ne dit pas un mot d’Inégalité ; & comme elle n’eſt que pour ſervir de regle aux hommes dans leur conduite, ſelon les idées qu’elle donne de la Juſtice ; elle laiſſe à chacun la liberté de juger comme il peut de l’état naturel & veritable des choſes. Et ſi l’on y prend garde, toutes les Objections qu’on en tire, ne ſont que des Sophiſmes de préjugé, par leſquels tantoſt on entend de toutes les Femmes, des paſſages qui ne conviennent qu’à quelques-unes en particulier ; tantoſt on rejette ſur la nature ce qui ne vient que de l’Education ou de la Coûtume, & ce qu’ont dit les Autheurs Sacrez par rapport aux Uſages de leurs temps.

Extrait du Privilege du Roy.

Par Lettres Patentes de ſa Majeſté, données à Paris le ſixiéme Juillet 1673. Signées par le Roy en ſon Conſeil, Des-Vieux. Il eſt permis au Sieur P. de faire imprimer un Livre intitulé, Diſcours Phyſique & Moral de l’Egalité des deux Sexes, ou l’on voit l’importante de ſe défaire des préjugez, durant le temps & eſpace de dix années, à compter du jour que le Livre ſera achevé d’imprimer : & deffenſes ſont faites à tous Libraires & autres perſonnes de l’imprimer ou faire imprimer, à peine de mil livres d’amande, de confiſcation des Exemplaires, & de tous dépens, dommages & intereſts, comme il eſt plus au long porte par leſdites Lettres.

Regiſtré ſur le Livre de la Communauté des Libraires & Imprimeurs le 26. Juillet 1673. Signé Thierry, Syndic.

Ledit Sieur P. a cedé le droit du preſent Privilege à Jean Du PuisLibraire de Paris, ſuivant l’accord fait entr’eux.

Achevé d’imprimer pour la premiere fois le premier jour d’Aouſt 1673.

Les Exemplaires ont eſté fournis au deſir du Privilege,

  1. C’eſt à dire de jugemẽs portez ſur les choſes ſans les avoir examinées.
  2. Opinion contraire à celle du public
  3. C’eſt à dire Sentence d’un homme illuſtre.
  4. Les amateurs de l’Antiquité.