De l’Histoire et des historiens/02

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De l’Histoire et des historiens
Revue des Deux Mondes6e période, tome 17 (p. 481-497).
DE L’HISTOIRE
ET
DES HISTORIENS

II[1]
LES HISTORIENS GRECS

Une première remarque est nécessaire. Les historiens, dignes de ce nom, appartiennent presque exclusivement à la civilisation méditerranéenne. Les autres peuples ont des annales, des registres, des recueils de notations, des légendes, des fables : mais l’histoire proprement dite a fleuri sur les bords de la Mer Intérieure et elle n’a fleuri que là.

Il semble que la force intellectuelle nécessaire pour écrire l’histoire n’ait été donnée qu’aux peuples habitant sur ces rivages, l’histoire et la civilisation marchant toujours du même pied ; car, comme nous l’avons démontré, les sciences théoriques et appliquées, les diverses techniques, l’art, la philosophie sont sous la dépendance de l’histoire. Assurément, les races méditerranéennes ont obtenu les faveurs de la nature : mais elles ne sont les maîtresses intellectuelles de l’humanité que parce qu’elles se sont appliquées à tenir ses archives.

Le premier grand historien, c’est Homère. Son œuvre, apparaissant à l’aube des temps, est la preuve la plus ancienne d’une loi de l’histoire qui s’applique à l’histoire elle-même, à savoir que les âges et les pays ont les historiens qu’ils méritent : les grands historiens naissent pour les grands événemens.

Les poèmes d’Homère consacrent le souvenir d’un des épisodes les plus considérables de la vie des peuples, puisqu’ils exposent ce qu’on savait de son temps sur le premier choc entre l’Asie et l’Europe et sur la naissance et la civilisation hellénique. L’Iliade, c’est la grande lutte ; l’Odyssée, c’est la grande découverte. Ainsi la double face des genèses est exposée dans ces poèmes dont la beauté et l’autorité tiennent du miracle. Seule la fraîcheur d’imagination propre aux peuples jeunes pouvait atteindre à cette claire et belle vision et expression des choses ; si belle et si claire que les siècles s’écoulent sans en ternir l’éclat. Que l’on discute sur l’authenticité même des événemens racontés par Homère, qu’avec Hérodote et Thucydide, on accepte d’autres versions, qu’avec Dion Chrysostome, on rejette tout ce qu’Homère raconte du siège de Troie ou, qu’avec les historiens modernes de la Grèce, on refoule Homère lui-même dans la légende mythique, les récits homériques n’en restent pas moins le témoignage le plus extraordinaire sur les anciens âges et le miroir fidèle du premier état de la société grecque, mille ans peut-être avant notre ère.

La religion, les mœurs, les coutumes, les monumens, les costumes, les armemens, la tactique terrestre, la tactique navale, tout ce qui peut intéresser l’homme dans son passé le plus reculé, tout cela est décrit avec un caractère de réalité, de franchise et de simplicité tel qu’on ne peut douter que les choses n’aient été telles quand les poèmes ont été composés.

Et si l’on ajoute que le périple d’Ulysse à travers la Méditerranée achève et complète une sorte de revue des connaissances humaines à cette même époque, si on reconnaît dans ce récit, selon une hypothèse ingénieuse, un portulan ou un résumé mnémotechnique des « guides de la mer, » tels qu’ils étaient en usage parmi les navigateurs hellènes, on admettra que l’aptitude « historique » manifestée, de si bonne heure, par la haute antiquité hellène lui assurait, dès lors, la prééminence sur tous les peuples.

Depuis que ces récits ont été écrits, l’humanité en subit l’empreinte. La bravoure d’Achille, la sérénité d’Agamemnon, la prudence d’Ulysse, la noblesse d’Hector, la lâcheté de Thersite restent les types éternels de ce qu’il faut rechercher ou éviter ; Priam, Hécube, Andromaque, Pénélope, Iphigénie, Hélène, sont les figures définitives du père, de la mère, de l’épouse, de la fille, de la femme, et leurs âmes se rattachent, par des fils immortels, à toutes les âmes venues ou à venir.

La Bible (à ne la considérer qu’au point de vue historique) n’a pas l’unité de l’œuvre homérique : mais, dans son cadre plus souple et dans sa plasticité plus conforme au prompt et subtil génie sémite, elle est un témoignage incomparable ; la piété y reconnaît la parole divine. Dans la Bible, les livres des Origines, le Pentateuque (c’est-à-dire la Genèse, l’Exode+ le Lévitique, les Nombres, le Deutéronome) et, en plus, le livre de Josué sont les livres de la « Loi, » les livres de Moïse. Leur haute valeur religieuse ne permet pas de leur attribuer précisément un caractère historique ; les livres historiques proprement dits, c’est-à-dire les Juges, Samuel, les Rois, Esdras, Néhémie, les Paralipomènes ou Chroniques, les Macchabées, sans perdre le caractère religieux, sont plus spécialement consacrés aux annales du peuple élu. Les autres livres, soit les livres des moralistes, soit les livres « prophétiques, » complètent cet admirable ensemble. Ainsi ce « Livre » permet à l’histoire de remonter vers les hautes origines de la conscience humaine. Par la lecture de la Bible, on assiste à la révélation, faite aux anciens hommes, de la foi et de la morale monothéiste.

N’est-ce pas un sujet incomparable d’émotion et de méditation que la valeur toujours active de ce témoignage irrécusable ? Par lui, nous savons comment l’homme a reçu la Loi, comment il a fait son âme, comment il a conçu l’idéal, comment lui a été tracée la ligne de conduite qu’il doit suivre pendant son pèlerinage ici-bas. Et maintenant, et demain et pendant des siècles, partout sur la terre, cette loi, dictée à la sortie de la terre des Pharaons sera la Loi ; ces dix commandemens seront les Commandemens ; car la plus noble des grandes religions humaines, la religion chrétienne est née de cette tradition primitive. Avec sa force de propagande incomparable, elle l’a répandue par tout l’univers. Et maintenant et demain et toujours, il y aura, quelque part dans les villes, dans les villages, dans les champs, aux retraites perdues des forêts de l’Afrique ou des steppes de l’Asie ou des plaines de l’Amérique, des hommes, des femmes, des enfans par milliers, par millions, qui, en lisant la Bible, seront guidés, élevés, fortifiés, consolés ; car telle est la force de l’Écriture : le livre est un miracle constant et produit un miracle constant ; il applique, à chacun des actes humains, la poussée de toute l’expérience humaine.


Hérodote est le premier des historiens grecs dignes de ce nom qui soient parvenus jusqu’à nous. Il naquit à Halicarnasse en Asie Mineure vers 480 avant J.-C, et il mourut vers 425 : il vivait au temps de Périclès, de Phidias et de Sophocle, c’est-à-dire à une époque où la Grèce était en pleine maturité intellectuelle, comme s’il eût fallu que cette virilité fût acquise pour qu’elle conçût la véritable « histoire. » Hérodote est, avant tout, un voyageur et un conteur. Chassé de son pays par des discordes publiques, il visite la Perse, l’Assyrie, la Médie, l’Egypte, le Pont-Euxin, la Grèce, bien entendu, et la Grande-Grèce où il s’établit à Thuries, colonie fondée par Athènes, sur l’emplacement de Sybaris et où il mourut. Hérodote eut sous les yeux tous les monumens de l’antiquité dans leur splendeur : la tour de Babel, les pyramides d’Egypte, les temples de Karnak, le colosse de Rhodes, le sanctuaire de Diane à Ephèse, le Parthénon qui s’élevait alors, les monumens de Syracuse, de Sélinonte et d’Agrigente, les temples de Ségeste et de Pœstum, encore debout aujourd’hui et qui nous donnent l’idée de ce que pouvait être, alors, la beauté méditerranéenne. Ce grand voyageur, ému de tant de merveilles, eut la soif de savoir qui avait conçu, créé, développé cette civilisation d’héroïsme, de splendeur et de marbre, soif que nul n’avait eue avant lui et qu’il passa sa vie à satisfaire. Et le même qui sut voir sut écrire : Hérodote est le père de l’Histoire.

La Grèce a donné aux neuf livres d’Hérodote le nom des neuf Muses : pour la Grèce, en effet, toute la tradition intellectuelle était là. Le véritable sujet choisi par Hérodote, ce sont les guerres médiques ; il les considère dans leurs origines, leurs causes lointaines, leurs répercussions sur tout le bassin oriental de la Méditerranée, ce qui l’amène à étendre indéfiniment ses recherches. Par là, les Histoires d’Hérodote servent, en quelque sorte, de suite aux livres homériques. Des deux parts, il s’agit des contacts entre l’Asie et l’Europe, il s’agit du difficile ménage de ces deux civilisations rivales qui finirent pourtant, en se rapprochant, par donner naissance à la civilisation méditerranéenne et chrétienne. Mais qui pouvait prévoir cette destinée quand les armées grecques assiégeaient Troie ou quand, des siècles après, Xerxès envahissait l’Attique ? Aujourd’hui que l’esprit humain peut embrasser le cycle, quelle joie n’éprouve-t-il pas à connaître, par un témoin si ancien, le point initial de ces contacts séculaires ?

Hérodote ne manque ni de critique, ni de jugement, ni de bon sens ; mais étant surtout un curieux, il accepte de toutes mains et préfère, à tout, le plaisir de raconter. Il a compris qu’il y a, même dans les plus absurdes légendes, un point de vérité, et dans les croyances, quelles qu’elles soient, un état d’âme qui intéresse l’humanité et l’avenir. Vue très juste. N’ayant ni le temps, ni les moyens de tout contrôler et de peser au poids et à la balance, il fait sa provende, soucieux surtout de ne rien laisser perdre d’un si précieux butin.

Hérodote est le plus amusant des conteurs, bonhomme s’il en fut, parfois lent et radoteur, mais ne perdant jamais de vue ni le sujet, ni l’objet, pèlerin de la légende et rhapsode de la vérité.

Thucydide est, peu s’en faut, le contemporain d’Hérodote : une vingtaine d’années seulement séparent les deux naissances ; on croirait qu’il s’est écoulé entre elles plusieurs siècles. Hérodote est l’ami des antiquités, le moissonneur diligent des traditions et des légendes, se berçant lui-même au rythme de sa narration pérégrine. Thucydide est un athlète courant au but sans délai. On raconte que la vocation du jeune Thucydide fut éveillée par les récits d’Hérodote. Celui-ci les lisait devant les Grecs assemblés aux Jeux olympiques : Thucydide enfant était là et il se mit à pleurer. Hérodote se tourna vers le père et lui dit : « Je te félicite d’avoir un tel fils ; car son âme est avide de savoir. »

Thucydide était Athénien ; il naquit dans un bourg de l’Attique, Halimuse. Son père était riche et appartenait à l’une des familles considérables de la cité ; on dit même qu’il descendait des Pisistratides. Sa naissance, sa fortune, son éducation, ses aptitudes, tout l’appelait à jouer un grand rôle dans les affaires publiques. Comme la plupart des Athéniens de rang distingué, il se consacra d’abord à l’éloquence. Il plaida devant le peuple, et ses succès oratoires le désignèrent pour les honneurs ; on lui confia le commandement d’une armée. Il exerça cette charge au début de cette guerre du Péloponèse qui devait être le sujet de son livre. Il échoua devant Amphipolis et fut accusé de trahison. Il est facile de deviner, à travers les récits des historiens, qu’il fut victime des dissensions politiques, et qu’il fut écarté des affaires, puis condamné à l’exil par le parti qui avait à sa tête le démagogue Cléon. Il se réfugia en Thrace où il avait des biens considérables et ne put rentrer dans son pays qu’après vingt ans. Ainsi Thucydide fut perdu pour la cité, au moment où des hommes de cette valeur lui eussent été si utiles.

Comme Hérodote, Thucydide écrivit pour occuper les tristes loisirs de l’exil. Les historiens sont, trop souvent, des patriotes désoccupés ; éloignés de l’action et ne pouvant s’en distraire tout à fait, ils en approchent du moins l’image.

Thucydide, c’est l’historien homme d’Etat : dans le tissu des événemens il veut voir surtout les enchaînemens et les causes. Son amour austère de la vérité, la rigueur de son impartialité viennent de là. Les erreurs de fait causent les erreurs de raisonnement : puisqu’il veut voir clair, il veut voir vrai. Par ce scrupule hautain, Thucydide met, une fois pour toutes, l’histoire à son rang. : Si Hérodote est le père de l’histoire, Thucydide en est le maître. Son livre est un acte. Toute autre conception de l’histoire est inférieure.

Thucydide indique lui-même où il faut viser : « Quant aux faits, dit-il, je ne me suis pas permis d’écrire d’après les informations du premier venu ni d’après mon opinion, mais en scrutant avec scrupule, et autant qu’il m’était possible, chacun des événemens auxquels j’avais assisté moi-même et chacun de ceux que d’autres m’avaient appris. Il est difficile de découvrir la vérité, parce que les témoins parlent du même sujet différemment et l’un et l’autre parti selon son inclination ou sa mémoire. Mes écrits, dépouillés du merveilleux, en paraîtront peut-être peu agréables ; mais ils suffiront à ceux qui veulent s’éclairer et aller au fond des choses dans ce qui s’est passé ; ils seront jugés utiles, puisqu’ils exposent la marche des événemens tels qu’ils se renouvellent chaque jour ; car, la nature humaine étant la même, ils ne peuvent qu’être, par la suite, semblables ou analogues. Cet ouvrage est un legs transmissible à perpétuité et non un conte destiné à charmer l’oreille un instant. »

Le maître de Thucydide pour les lettres avait été Antiphon, redoutable orateur, qui fut condamné à mort par ses adversaires politiques ; son maître pour la philosophie fut Anaxagore, le doctrinaire de l’intelligence, cet admirable idéaliste qui disait : « L’Esprit est répandu dans tout, il anime tout. » Auprès d’Anaxagore, Thucydide rencontra les disciples de ce haut maître : Périclès, Euripide, Archélaüs et, sans doute, Socrate. Le maître et les disciples, tous furent poursuivis par l’envie et la haine des démagogues. Anaxagore condamné comme Socrate, accusé de trahison (de médisme) comme Antiphon, s’enfuit et vécut en exil comme Thucydide. Quelle profusion de dévouemens et de talens gaspillent ainsi les démocraties !

C’est un fait constaté souvent par l’histoire que les peuples sont menacés du plus grand péril au moment de leur plus grande prospérité. L’aisance, la richesse, le bien-être, la douceur des mœurs, la confiance mutuelle encouragent l’audace, l’intrigue, la corruption, d’où naissent les discordes civiles ; et bientôt, la rencontre de la violence et de la pusillanimité produit une rapide décadence. C’est ainsi qu’on vit cette noble République Athénienne s’incliner vers sa chute à l’heure de son apogée, tandis que cette ville de l’Intelligence regorgeait de génie et de patriotisme.

Thucydide vit et prévit ces choses : il les burina, pour l’avenir, d’après le modèle vivant : « Il survient, dans les cités, par esprit d’anarchie, de sédition, beaucoup de calamités qui se reproduiront tant que la nature humaine sera la même.... Tous ces maux résultent du désir de dominer qu’inspirent la cupidité et l’ambition, d’où naît l’ardeur des rivalités : car ceux qui, dans la ville, président aux affaires, adoptant pour politique spécieuse, selon leurs intérêts, ceux-ci la cause populaire, ceux-là la cause modérée, se proposant, à les croire, le bien public, mais ne visant, en réalité, qu’à se supplanter les uns les autres, se portent aux derniers excès. Ils poursuivent leurs rivaux, leur infligent des peines plus grandes que ne l’exigent la justice et l’intérêt de l’Etat, se réglant toujours sur ce qui plaît à leur propre parti. Lorsqu’ils s’emparent du pouvoir, soit par le hasard d’un vote, soit même par la force, leur but unique est d’assouvir leur ambition du moment. Aucun des partis ne songe plus à la justice ; on loue ceux qui réussissent par leur éloquence. Les citoyens honorables périssent, victimes des deux factions, soit parce qu’ils refusent d’en partager les violences, soit par la jalousie qu’on leur porte d’y avoir échappé... Dominés par la pensée qu’on ne peut espérer rien de stable, ils n’osent se fier à personne et ne songent qu’à se mettre à l’abri du mal. Alors, ce sont les moins capables qui l’emportent. En effet, ceux-ci, craignant que leur propre infériorité et le mérite de leurs ennemis ne les écartent des affaires, marchent audacieusement au but, tandis que les hommes de mérite, dédaigneux du danger, ou négligens du soupçon, se laissent surprendre ou écarter et, dans les troubles civils, périssent en grand nombre. »

Thucydide prit pour sujet cette guerre du Péloponèse dont il avait été une des premières victimes. Un tel choix ne lui était dicté ni par la vengeance, ni par la rancune. Il se rend compte qu’il assiste à un des événemens les plus considérables de l’histoire humaine (puisque là se joue le rôle d’Athènes et de la Grèce tout entière) et il ne veut pas que l’avenir en ignore les origines et les causes. « Quoique les hommes, durant la guerre, regardent toujours celle qu’ils font comme la plus importante, néanmoins la guerre présente, à en juger par ce qui s’accomplit, l’emportera assurément sur toutes les autres... J’ai voulu exposer les causes de cette rupture et les motifs de nos dissensions, afin qu’on ne se demande pas, un jour, d’où s’éleva, parmi les Grecs, une guerre d’une telle importance. »

Ce coup d’œil, cette pénétration, cette divination ne le quittent jamais : soit qu’il analyse les motifs immédiats qui amenèrent la guerre entre Sparte et Athènes, soit qu’il montre la république grecque hésitant entre les deux partis, soit qu’il expose les dispositions prises, de part et d’autre, et les alliances secrètes, soit qu’il jette un coup d’œil lointain sur l’aspect et l’attitude du monde barbare, se préparant à profiter de l’affaiblissement de la fortune hellénique, soit qu’il assiste au duel des orateurs lacédémoniens et athéniens, chargés de soutenir l’une ou l’autre cause et d’attirer, en invoquant la justice et la raison, la faveur des Dieux... La guerre éclate. Périclès est, à ce moment, le premier à Athènes. C’est lui qui prononcera la fameuse oraison funèbre des citoyens morts pour la patrie où toute la grandeur Athénienne est présentée en un magnifique raccourci : « Je parlerai d’abord de nos aïeux ; ayant vécu toujours sur la même terre, ils l’ont léguée à leurs successeurs, libre jusqu’à ce jour, grâce à leurs vertus... Nous avons une constitution qui n’emprunte de lois à personne ; plutôt que d’imiter les autres, nous servons nous-mêmes d’exemples... Notre ville est ouverte à tous les peuples : jamais un étranger n’est écarté de nos travaux, de nos plaisirs, de nos spectacles. Nous ne craignons pas les espions, parce que nous comptons sur notre propre vaillance dans les combats. D’autres se font un métier du courage ; il est naturel chez nous, et nous courons, sans contrainte, du repos au combat. Nous sommes élégans avec mesure et sages sans mollesse. En me résumant, je dirai, qu’en général, notre ville est l’école de la Grèce et que chacun des nôtres est propre personnellement à une infinité d’exercices qu’il exécute avec autant de facilité que de grâce... »

Ce discours apologétique est le chant du cygne. Les grands malheurs s’abattent sur la cité. La peste d’Athènes éclate, saccage la ville, l’armée, la flotte. De quel pinceau assombri l’historien exprime ces affreuses journées, les citoyens périssant par milliers, les campagnards réfugiés dans la ville et mourant sans abri, les malades abandonnés, les sépultures violées, le découragement et la démoralisation multipliant les maux causés par la maladie : « Nul ne voulait plus travailler, parce qu’il ignorait si, avant d’avoir achevé son travail, il ne périrait pas. »

Périclès meurt dans le dégoût, la tristesse et la disgrâce populaire ! Mais la guerre continue avec des alternatives de succès et de revers. Presque chaque année, l’Attique est envahie par terre, tandis que la flotte athénienne porte le ravage chez les ennemis. Les trêves, à peine conclues, sont rompues. Les hostilités tantôt violentes, tantôt latentes, ruinent les peuples sans résultat... Les Athéniens font alors, sur le conseil d’Alcibiade, la faute décisive : ils compliquent leurs affaires par la guerre contre Syracuse : le magnifique et touchant épisode de la guerre sicilienne s’intercale dans l’œuvre de Thucydide et lui donne, tout à coup, le ton d’un chant dramatique et lugubre.

L’armée athénienne périt aux Latomies ; Nicias, le général pieux, modéré et faible, est cloué sur la porte des carrières, tandis que, dans les carrières elles-mêmes, râlent les derniers survivans de son armée.

Après une telle catastrophe, Athènes est désemparée. Cette démocratie, qui n’a pas voulu écouter les conseils des hommes sages, se montre disposée à les suivre, alors qu’il est trop tard : « Quand la nouvelle de l’anéantissement de l’armée parvint à Athènes, longtemps on refusa d’y croire... On n’avait de toutes parts que sujets de douleur, et cet événement plongeait les Athéniens dans l’effroi et dans la consternation. Ils s’imaginaient que, de la Sicile, leurs ennemis viendraient bientôt aborder au Pirée... Enfin, comme il arrive ordinairement au peuple, la frayeur du moment les disposa à suivre en tout une conduite sage... » Ces dispositions ne durent pas : la guerre civile naît de la guerre étrangère : les « quatre cents » usurpent le pouvoir ; à l’armée, les soldats déposent leurs généraux. Alcibiade, le détestable conseiller de la guerre syracusaine, accable encore son pays autant par ses services que par son ambition et par ses intrigues. L’abattement des Athéniens est au comble.

« Leur armée est, à Samos, en hostilité contre le gouvernement. Les soldats méprisent le pouvoir civil parce qu’il est devenu méprisable ; plus de flotte ni de marins ; l’Eubée est perdue avec ce qui restait de vaisseaux. Si les Péloponésiens étaient venus assiéger Athènes, elle eut succombé. »

L’historien ne poursuivra pas beaucoup au delà cette lamentable histoire, soit que la mort l’ait interrompu, soit que la plume lui soit tombée des mains. Le récit s’arrête sur une phrase brève. Il ne dira ni la défaite finale d’Ægos-Potamos, ni la capitulation d’Athènes (404), ni sa subordination politique à Sparte, ni le gouvernement des Trente-Tyrans. Mais l’ouvrage, quoique interrompu, est achevé ; Thucydide laisse à la postérité le triste et poignant exemple de ce qu’un grand peuple peut faire de lui-même quand la liberté n’est plus conduite par la raison.

L’œuvre de Thucydide, en effet, remplit le véritable objet de l’histoire. Elle tend à développer, chez les particuliers et chez les peuples, la raison (γνώμη) à l’encontre de la passion (ὀργὴ) ; l’homme supérieur qu’est Thucydide fait assez confiance à la nature humaine pour croire qu’elle peut trouver, en elle-même, par le discernement et la volonté, la décision du Bien ; mais il veut que ce discernement et cette volonté soient sans cesse averties par l’éducation, par l’éloquence, par la philosophie, par l’histoire, ces véritables maîtresses du genre humain. La mâle beauté de cet enseignement fait sa pénétration et son autorité. C’est pourquoi il faut que l’histoire soit belle. Thucydide n’a pas seulement dicté des principes, il a gravé, dans la mémoire des hommes, des images éternelles. Sa noble nature intellectuelle et morale était digne de l’histoire et nécessaire à l’histoire. Athènes, dans sa splendeur, pouvait seule former un tel homme, — un homme dont le caractère fut le génie, — et apprendre ainsi au monde ce que doit être l’historien.


S’il est, après la chute d’Athènes, un événement de l’antiquité digne d’être confié éternellement à la mémoire, c’est la substitution de la puissance romaine à la puissance hellénique. Cette évolution capitale de l’histoire a trouvé son historien, Polybe. Polybe, comme Hérodote et comme Thucydide, est un banni ; il trouve l’histoire sur les chemins de l’exil. Mais son exil ne fut pas un séjour sur des terres incultes et barbares : quittant la Grèce décadente, c’est dans la Rome florissante qu’il se réfugia. De ce contraste naît, en lui, l’idée de sa grande histoire.

Polybe était né, entre 210 et 200 avant Jésus-Christ, à Mégalopolis (Arcadie), deux siècles environ après Thucydide. C’était le moment où Rome, délivrée d’Annibal et ayant déjà vaincu Carthage, envoyait T. Q. Flamininus « préparer, au nom de la liberté, l’asservissement de la Grèce. » Polybe, fils de Lycortas, homme considérable, passa son enfance parmi les patriotes qui avaient résolu de combattre jusqu’au dernier souffle pour l’indépendance du pays. Plutarque a raconté qu’aux obsèques de Philopœmen, ce fut le jeune Polybe qui fut chargé de porter, dans une urne, les cendres du dernier des Grecs. Soldat, fils de soldat, élève des derniers grands soldats hellènes, Polybe fut de ceux qui essayèrent de galvaniser la décadence hellénique : mais sa clairvoyance n’était pas dupe des tirades emphatiques ; il conseillait une certaine prudence, une certaine modération qui passa pour suspecte auprès de ces violens qui ne sont, dans tous les temps, que des niais dangereux. Il était vif et susceptible : dans la querelle des partis, il tomba au premier piège qui lui fut tendu. Banni, livré comme otage aux Romains, il resta vingt ans à Rome, devint l’ami de Paul-Emile et de Scipion. Par ses amis. il pénétra dans la connaissance des archives, dans le mécanisme des institutions, dans le secret des origines ; ainsi il fut amené à rechercher et à découvrir les causes de la grandeur romaine. Son application, sa pénétrante acuité intellectuelle savent voir, comprendre et juger. Parmi les Romains, il reste un « Grec, » Græculus, de ces hommes fins et avisés dont Caton se méfiait et que Rome subit, cependant, comme des maîtres. Il éleva, dit-on, Scipion Emilien, et fut ainsi un des auteurs de la conquête dont parle Horace :


Græcia capta ferum victorem cepit et artes
Intulit agresti Latio :


Avec les Scipions et, notamment, avec son élève et ami l’Emilien, il parcourt le monde à la suite des armées, vit dans les camps, assiste au siège de Corinthe, à celui de Carthage, à celui de Numance : il est le témoin de ces grandes ruines. Son patriotisme intermédiaire, si j’ose dire, en aidant à l’organisation de la conquête romaine, quand une fois la Grèce est vaincue, modère la loi du vainqueur et ménage, à ceux qui l’ont chassé, un régime, sinon libre, du moins plus adouci. Polybe est donc, comme Thucydide, un homme d’Etat, un homme d’expérience, dépris sans doute, mais qui veut savoir et comprendre, précisément parce qu’il a souffert.

Il n’a manqué à Polybe que les hautes qualités esthétiques de Thucydide pour s’être élevé au même rang. Mais, ni sa composition, ni son exposition n’ont cette beauté magistrale qui rend la gloire de Thucydide inaccessible. Seule sa pénétration, son sens judicieux des affaires se sont mesurés parfois avec le génie du premier. Mais, pour l’histoire des guerres, pour l’exposé des institutions, pour la vaste compréhension des faits et des ensembles, Polybe est supérieur à tous les autres. Il est nourri, vigilant, diligent. Si l’on compare ces deux historiens, Thucydide et Polybe, on comprend dans quel sens la Grèce avait évolué et ce qu’elle avait perdu pendant les deux siècles qui les séparent. Il en est de leurs œuvres comme des œuvres artistiques qui fleurirent à leurs époques respectives : l’histoire de Thucydide ressemble à ces nobles figures du Parthénon encore hiératisées dans un mouvement plein de vie, tandis que l’histoire de Polybe, plus variée, parfois plus avisée et plus ingénieuse, toujours plus complexe, s’attarde à cette recherche du détail et du morceau qui, dans l’art grec en décadence, signale déjà le byzantinisme. L’histoire de Polybe ne fait pas drame ; son développement est verbeux, sa langue molle. Si plein et si nourri, il fatigue et, comme le dit crûment Denys d’Halicarnasse, il ennuie.

D’après Polybe, trois conditions sont nécessaires pour écrire l’histoire : étudier les documens, connaître les lieux, et surtout avoir l’expérience des affaires. Quant à l’imagination et à l’émotion, il n’en a cure. Polybe est le modèle des écrivains didactiques, il n’a pas son pareil pour exposer le mécanisme des institutions et les raisons de la politique. Homme d’État, il a laissé à l’avenir la plus intelligente explication d’une des plus grandes affaires d’État qui fut jamais, la substitution de Rome à la Grèce, et cela suffit à sa gloire.

J’emprunterai à Polybe un tableau où est rendue sensible la force et la vertu des traditions familiales et nationales dans l’ancienne Rome. C’est une leçon pour tous les âges[2] : « Lorsque, à Rome, un homme considérable meurt, on porte en grande pompe, après la cérémonie funèbre, son corps à la tribune sur le Forum ; là on le dresse tout droit, de façon que tous puissent le voir ; plus rarement on le couche. En présence du peuple entier rassemblé à l’entour, son fils, s’il en a un qui soit en âge et qui se trouve à Rome, sinon quelqu’un de ses parens, monte à la tribune pour rappeler les vertus du mort, les choses accomplies par lui durant sa vie. Qu’arrive-t-il ? Les assistans qui se rappellent et remettent ainsi sous les yeux tout (ce qu’il a fait (je ne dis pas ici seulement ceux qui ont pris part aux mêmes actions, mais ceux-là même qui y sont étrangers) sont tellement émus à ce souvenir, que le deuil d’une famille semble un deuil public. Lorsque les funérailles sont terminées et que les derniers devoirs ont été rendus au mort, on place son image dans l’endroit le plus apparent de la maison, sous un dais de bois. Cette image reproduit, aussi exactement qu’il est possible, ses traits et son teint. Aux fêtes publiques, on la découvre, on la pare avec soin. S’il meurt quelque personnage illustre de la famille, on couvre, de ces mêmes ornemens, les hommes qui paraissent le mieux ressembler pour la taille et l’allure générale du corps à ceux qu’ils représentent et on les mène ainsi au convoi. Ces hommes mettent une robe prétexte, si le mort était consul ou préteur ; une robe de pourpre, s’il était censeur ; d’or, s’il avait obtenu ou mérité le triomphe. Ils s’avancent, portés sur des chars et précédés des faisceaux, des haches et de tous les insignes des dignités que ces personnages ont exercées durant leur vie. Aux rostres, ils prennent place en ordre sur des sièges d’ivoire. Quel aiguillon plus puissant, pour un jeune homme qui a la passion de la gloire et de la vertu ? Quel est celui que la vue de tous ces hommes, célèbres par leurs vertus, rangés l’un près de l’autre, et dont les visages semblent vivre et respirer, ne remplirait pas de l’amour de la gloire ? Quel plus noble spectacle imaginer ? L’orateur qui fait l’éloge du mort, prononce, lorsqu’il est terminé, celui des ancêtres dont les statues sont assistantes, il raconte leurs exploits et leur vie, en commençant par le plus ancien. De cette manière, la renommée des citoyens vertueux se renouvelle sans cesse ; la gloire des grandes actions devient immortelle ; le nom de ceux qui ont bien mérité de leur patrie est répété par toutes les bouches et transmis à la postérité. Mais, ce qui vaut mieux encore, la jeunesse est vivement sollicitée, ainsi, à tout braver pour l’intérêt commun, dans l’espoir d’atteindre cette gloire qui s’attache au nom des bons citoyens. »


La Grèce était abattue, Rome triomphait. L’Empire romain avait fait, de tant de nations illustres, des provinces soumises et inermes. La Grèce, cent ans après Jésus-Christ, n’avait plus d’autre gloire que le souvenir immortel laissé par elle dans la mémoire des hommes. Ce souvenir était tel, cependant, qu’il s’imposait aux générations nouvelles comme s’il était chose vivante et toujours présente. On aimait tout, de la Grèce, jusqu’à ses légendes et à ses erreurs ; on les apprenait comme des leçons dans les écoles ; on faisait, de ses héros, des « sujets de déclamations. » Rome entière, depuis les orateurs écoutés sur les rostres, jusqu’aux acteurs sur le théâtre, et jusqu’aux affranchis dans les gynécées, était imbue des idées grecques, de la philosophie grecque, des arts grecs, des techniques grecques. Ces faits glorieux ou piquans, ces enseignemens précieux, ces traditions héroïques ou familières, étaient sans cesse allégués, cités, et faisaient partie du langage courant ; il était urgent de colliger ces souvenirs et de les offrir au public dans des cadres maniables et portatifs et qui pussent être, en quelque sorte, pendus dans toutes les mémoires. Un homme naquit pour cette œuvre, et ce fut Plutarque.

Plutarque vit le jour à Chéronée, en Béotie, vers l’année 48 de l’ère chrétienne, sous le règne de l’empereur Claude. Il fit ses études à Athènes et voyagea en Egypte, en Italie ; il se fixa à Rome où il vécut vingt ans environ, du temps de Vespasien et de Domitien. Ce n’était pas une belle époque ; mais Plutarque n’avait pas charge d’âme, et il prenait son temps tel qu’il le trouvait. Bourgeois tranquille, professeur et conférencier, se piquant de lettres et de philosophie, il ne demandait qu’à vivre en paix, pourvu qu’on le laissât colliger les anecdotes et fouiller les archives. Après son long séjour à Rome, il regagna sa petite patrie et, là, se vit élevé aux modestes honneurs municipaux, archonte et même, dit-on, grand prêtre d’Apollon Pythien à Delphes. Le vieux culte périssait ; le grand Pan était mort. Plutarque, crédule et sceptique, s’amusait de ce qu’il eût vénéré trois siècles plus tôt. Après avoir glané, de toutes mains, des renseignemens sans nombre sur le passé et des préceptes judicieux sur la morale et sur la conduite de la vie, il écrivait, écrivait, jaloux de ne pas laisser perdre tant de belles choses.

Plutarque est, dans la force du terme, un polygraphe ; tout lui est prétexte à opuscule : les questions romaines, les questions grecques, la religion, les mystères, la gloire civile, la gloire militaire, les oracles de la Pythie et la décadence des oracles, la philosophie, la politique, le mariage, le divorce, l’eau, le feu, enfin tout[3]. Mais il se plaisait surtout aux récits biographiques et aux anecdotes. Il eut l’idée infiniment ingénieuse de grouper tous ces souvenirs du passé dans une galerie biographique où les héros grecs et les héros romains défilaient deux par deux, l’un en face de l’autre, formant une série qu’il appela les Vies parallèles.

Ce fut un trait de génie. Placé aux confins de la grande antiquité mourante et du christianisme déjà né, Plutarque reçut la double tradition grecque et romaine et la transmit avec une crédulité et une naïveté charmantes, au moment où elle allait s’effacer : Hérodote de la décadence, conteur avant tout, moins haut assurément et moins épique que le père de l’histoire, mais lui aussi amusant, curieux, le cœur bien placé. Il y avait, dans cette âme de collectionneur d’histoires, un goût très noble pour la vertu et pour l’héroïsme. Sensible à la grandeur antique, il sut la rendre, sinon dans son austérité, du moins dans sa grâce légendaire. D’un train agile, quoique pédestre, il atteint parfois les sommets. La lecture de ses œuvres amuse toujours, élève souvent. Il manquerait quelque chose à la physionomie de l’humanité si Plutarque n’avait pas écrit.

La gloire de Plutarque a été toujours vivante et fraîche à travers les siècles, non pas seulement parce qu’il instruit, mais aussi parce qu’il amuse. Jean-Jacques Rousseau et Napoléon le lisaient. Il n’est guère d’ « honnête homme, » comme on disait au XVIIe siècle, qui puisse se séparer tout à fait de Plutarque.

Parmi ses chances non imméritées, le « bonhomme » Plutarque a eu celle d’être traduit en français par le « bonhomme » Amyot. Quelle chose délectable que ces belles vies racontées dans cette belle prose. Puisque notre Montaigne en a jugé, pourquoi ne pas lui laisser le soin de prononcer le jugement : « Je donne avec raison, ce me semble, la palme à Amyot sur tous nos écrivains françois, non seulement pour la naïveté et pureté de langage, en quoy il surpasse touts aultres, ny pour la constance d’un si long travail, ny pour la profondeur de son sçavoir, ayant sceu développer si heureusement un aucteur si espineux et serré (car on m’en dira ce qu’on vouldra, je n’entends rien au grec, mais je veois un sens si bien joinct et entretenu partout en sa traduction que, ou il a certainement entendu l’imagination vraye de l’aucteur, ou, ayant, par longue conversation, planté vifvement dans son âme une générale idée de celle de Plutarque, il ne luy a au moins rien preste qui le desmente ou qui le desdie), mais surtout, je luy sçais bon gré d’avoir seu trier et choisir un livre si digne et si à propos pour en faire présent, à son païs. Nous aultres, ignorans, estions perdus, si ce livre ne nous eust relevés du bourbier : sa mercy (grâce à lui) nous osons à cett’heure et parler et escrire ; les dames en régentent les maistres d’eschole ; c’est notre bréviaire[4]. »

Quand on a parcouru cette galerie si amusante et si vivante, quand, par la faveur de cette charmante familiarité qui est la vertu historique de Plutarque, on a vécu dans l’intimité de ses héros, on dirait qu’on est de plain-pied avec toute l’antiquité. Thésée et Romulus, Lycurgue et Numa Pompilius, Solon et Valerius Publicola, Thémistocle et Camille, Périclès et Fabius Maximus, Alcibiade et Coriolan, Timoléon et Paul-Émile, Pélopidas et Marcellus, Aristide et Caton le Censeur, Philopœmen et Flaminius, Pyrrhus et Marius, Lysandre et Sylla, Cimon et Lucullus, Nicias et Crassus, Eumène et Sertorius, Agésilas et Pompée, Alexandre le Grand et César, Phocion et Caton d’Utique, Agis et Cléomène et les Gracques, Démosthène et Cicéron, Démétrius Poliorcète et Marc-Antoine, Dion et Brutus, tous revivent devant nous ; ils nous accompagnent, en quelque sorte, et nous conseillent ; après les avoir contemplés dans leur alignement à la fois si imposant et si abordable, on se dérobe difficilement à l’envoûtement. C’est que Plutarque a cherché, a trouvé, sous le héros, l’homme, et que son ingénieuse patience a su découvrir et nous montrer, en chacun d’eux, l’âme, source de l’énergie, ressort de tant de belles actions à jamais mémorables et à jamais exemplaires.


GABRIEL HANOTAUX.

  1. Voyez la Revue du 15 septembre 1913.
  2. Liv. VI, § 53. Traduction de Félix Bouchot.
  3. Ce sont les titres de quelques-uns des traités que Plutarque a laissés et qui sont groupés sous le nom d’Œuvres morales.
  4. Essais, liv. Il, ch. IV.