De la charte constitutionnelle

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DE LA
CHARTE
CONSTITUTIONNELLE,
PAR UNE FRANÇAISE.



Les Français ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opinions en se conformant aux lois qui doivent réprimer les abus de cette liberté. C’est en m’autorisant de ce huitième article de la Charte constitutionnelle, que je vais examiner cette charte prétendue constitutionnelle. À la vérité, la fin de l’article en détruit le commencement, et me fait pressentir que mon opinion, ainsi que celle de quiconque n’approuvera point cette Charte, pourrait bien être regardée comme un abus de la liberté d’écrire, et, en cette qualité, privée de la publicité que je lui destine. C’est ainsi que sous le dernier règne auquel celui-ci semblerait pourtant vouloir si peu ressembler, tout ce qui avait l’air, non seulement d’une attaque directe, mais de la plus légère improbation, était sévèrement réprimé comme attentatoire au Gouvernement.

Nul n’aura de l’esprit que nous et nos amis.

Nul n’aura raison que nous et nos partisans disent aussi tous les gouvernemens. Mais nous autres penseurs intrépides, qui appelons chaque chose par son nom, nous disons que cette répression de soi-disans abus n’est autre chose qu’un acte de despotisme évidemment contraire à la liberté, aux principes libéraux qu’on affecte, et qui, loin de servir l’autorité qui s’en étaye, la sape dans ses fondemens. Qui ne craint point la lumière, la laisse pénétrer, et le gouvernement qui la repousse, par cela seul prouve qu’il a lieu de la redouter. Si j’étais chef d’un État, je laisserais jaser tout le monde, certain que ce qui serait sans fondement, serait aussi sans danger, et d’assez bonne foi d’ailleurs pour vouloir faire mon profit de tout ce qui me paraîtrait raisonnable.

La Charte constitutionnelle ne l’est point par ses formes mêmes, les formes constitutionnelles ayant été violées dans sa composition. Le roi a nommé pour lui trois commissaires, c’est fort bien ; mais il a également nommé les commissaires pris dans le Sénat et dans le Corps législatif, et voilà ce qui est mal. C’était à ces deux corps à nommer leurs commissions pour travailler conjointement avec celle du roi. Alors la Charte serait l’ouvrage de tous, tandis qu’à présent elle est celui d’un seul ; car de penser que les commissaires nommés par le roi aient conservé leur indépendance et courageusement défendu les droits de la nation, c’est ce qu’il serait peu raisonnable de croire en connaissant l’influence du pouvoir et, cruelle vérité, le peu de dignité qui règne dans les hommes. Mais on ne doutera plus qu’ils n’ont point conservé cette indépendance, ou qu’ils en ont fait le sacrifice à l’intérêt personnel, quand on examinera leur ouvrage, quand on verra qu’il est uniquement fait pour le roi, pour consacrer son pouvoir absolu comme principe constitutionnel. Quel principe ! et quelle Constitution ! Et voilà ce qu’on appelle une Charte libérale ! Ah ! laissons-lui le nom que lui donnent ces royalistes outrés qui ne veulent point reconnaître une puissance nationale : Charte royale. Royale en effet ; je ne vois rien de constitutionnel dans tout cela.

On prétend que le roi l’est depuis dix-neuf ans ; cela est vigoureux ; disons mieux, cela est dérisoire. Quel roi que celui qui n’a pu exercer aucune autorité, qui le devient par cas fortuit, et, pour ainsi dire, par ricochet ! S’il est vrai que le roi l’est dès ce temps, où sont les actes qui constatent son pouvoir ? qui prouvent son existence ? À moins que la royauté ne soit, de sa nature, inerte et passive, et alors le grand-mogol ou l’empereur de la Chine pourraient également prétendre à nous gouverner, je ne vois rien qui puisse en effet attester l’existence d’un roi de France depuis dix-neuf ans. Misérable subterfuge d’une mal-adroite vanité qui n’est assurément pas celle du monarque, mais dont ses imprudens conseillers lui donnent l’air sans songer qu’ils impriment le ridicule à une autorité qui devrait être sacrée. Ce sophisme est une conséquence du système d’hérédité et de puissance absolue porté jusqu’au délire. Un journaliste, homme d’esprit et de sens, d’un caractère d’ailleurs estimable[1], disait, il y a peu de temps, que sous le dernier Gouvernement la censure des journaux s’exerçait avec un fanatisme de bassesse et d’esclavage. On peut dire aussi des sectaires du pouvoir absolu qu’ils ont ce même fanatisme. La bassesse n’a fait que changer d’objet. À voir les efforts de certaines gens, on les dirait nés pour la servitude. Qu’ils rampent, puisque c’est leur destination ; nous, que la nature a heureusement organisé d’une manière différente, disons la vérité, si toutefois elle nous est permise.

Des commissaires qui n’auraient pas été choisis par le roi, lui auraient-ils donné l’initiative des lois, ce qui, joint au pouvoir de créer tout une chambre, le rend à peu près l’arbitre de nos destinées ? Lui auraient-ils reconnu la puissance de rétablir les jurisdictions prévôtales dont le nom seul doit faire frémir quiconque a l’idée des principes et la connaissance des événemens ? Lui auraient-ils laissé la nomination des pairs et le droit de rendre cette dignité héréditaire à volonté ? N’auraient-ils pas senti que pour établir l’équilibre des pouvoirs, une partie des pairs ou sénateurs devait être au choix de la nation, avec la faculté de les destituer dans le cas de consentement à des actes contraires à ses intérêts et à sa liberté ? Des députés qui n’auraient pas été choisis par le roi, auraient-ils exigé une contribution directe de 1,000 fr. pour être membre du Corps législatif ou Chambre des Communes, ce qui en interdit l’entrée aux trois quarts et demi de la nation, qu’on réduit ainsi à zéro ? et cela sur je ne sais quelle misérable opinion, que les propriétaires sont seuls intéressés au maintien de l’ordre et du Gouvernement : maxime fausse émanée des riches pour s’emparer du pouvoir et opprimer le pauvre. Celui-ci a mille fois plus de bons sentimens que ceux qui les lui contestent. On le voit toujours s’attacher au parti de l’honneur, tandis que les puissans le sacrifient à leur intérêt, Des dignités et de l’or, vous les verrez constamment au plus offrant et dernier enchérisseur.

Autre violation des principes ; c’est de nous donner la Charte comme article de foi. Le Corps législatif n’a-t-il donc été assemblé que pour l’accepter ? Peut-on lui ôter le droit de l’examiner, de la discuter ? Ne fût-ce que pour la forme, on devait avoir l’air de le consulter. Alléguera-t-on que la Commission ayant concouru à ce travail, le Corps est censé y avoir participé ? Mais on sait que toute Commission ou tout Comité chargé d’un travail quelconque, est tenu d’en rendre compte à la masse, et de prendre son avis. Or, la Commission a-t-elle rempli cette obligation envers le Corps législatif ? Non, puisque le travail s’est fait à huis clos. Ainsi l’opinion d’une demi-douzaine de membres fait loi pour tout le reste et pour la Nation en général. Et cela s’appelle une Constitution faite et consentie par le grand nombre ? Pas plus qu’elle ne l’est pour lui. Comment les conseillers du roi peuvent-ils égarer à ce point un prince rempli de bonnes intentions ? Comment travaillent-ils à lui aliéner son peuple, quand son peuple et lui ne demanderaient qu’à s’en rapprocher ? Qu’il se rappelle les transports d’alégresse dont il fut l’objet, et qu’il ne se laisse pas entraîner à des actions qui les feraient cesser.

Il veut bien, lui fait-on dire, nous accorder par sa volonté royale une Charte constitutionnelle. Est-ce ainsi que devrait s’exprimer un roi à peine sorti d’un long exil, où la volonté nationale pourrait le replonger encore, et dont lui-même reconnaît devoir la fin à l’amour de son peuple ? Ah ! qu’ils sont vils ou méchans et perfides ceux qui lui font tenir un pareil langage ! Comment ne voient-ils pas l’indignation qu’il doit faire naître ? Sommes-nous un troupeau d’esclaves destinés à ramper aux pieds de l’idole et trop heureux de n’en être pas même écrasés ? L’empereur lui-même n’aurait pas osé s’exprimer de la sorte, lui, dont le despotisme n’avait rien de sacré, lui, que ses grands talens et une longue prospérité pouvaient étourdir et aveugler.

Mais ne confondons point le roi avec ceux qui abusent de sa confiance. Hélas ! au premier rang il est facile de s’égarer. Comment jugerait-on de la dignité des hommes, quand on n’est entouré que de lâches flatteurs qui oublient et sacrifient à chaque instant la leur ? N’en doutons pas, le roi n’a point prescrit ces formules avilissantes, et si on lui en avait remontré l’inconvenance, il les aurait fait disparaître. Celui qui a placé son auguste frère à la tête de la garde nationale, celui qui n’a pas voulu qu’un lis d’or vînt insulter au modeste lis d’argent, gage d’union et prix du dévouement. Ce roi-là, j’en suis certaine, n’aurait pas flétri le bienfait qu’il venait nous offrir. Unissons nos vœux pour sa conservation, et pour lui obtenir du ciel la faveur de distinguer ses vrais amis, car c’est alors seulement que son règne et notre bonheur seront assurés.

On parle du despotisme de l’ancien Gouvernement, et l’on marche sur ses traces. Qu’a-t-il fait ce Gouvernement ? S’approprier tous les pouvoirs, et réduire la Nation à un fantôme de représentation et de liberté. Que fait celui-ci ? la même chose. Il maintient à la vérité des principes consacrés depuis vingt-cinq ans, et qu’il serait impossible de détruire, mais il affuble ces principes de formes humiliantes, qui font un contraste choquant avec eux. Qu’en résulte-t-il ? Que tout le bien du fond est empoisonné par ces fâcheuses formes, que trop d’attachement aux vieilles idées, font regarder comme conservatrices de la monarchie, lorsqu’au contraire elles la détruisent en blessant la fierté nationale. Ceux qui furent long-temps éloignés de la France, ne peuvent apprécier cette fierté, ceux qui ne l’ont point perdue de vue la connaissent ; mais conduits par d’anciens ressentimens, ils affectent pour l’autorité royale un zèle qui leur fournit le moyen de les satisfaire. C’est ainsi que les passions déterminent tout et gâtent tout. Il faut cependant écouter la raison. Les Français sont aujourd’hui un peuple nouveau qui tient à ses nouvelles institutions comme d’autres aux anciennes. Les sacrifices doivent être réciproques. Il a fait celui de ses couleurs qui lui étaient chères à juste titre, puisqu’elles étaient les monumens de sa gloire ; on doit lui faire aussi celui de ces protocoles surannés : Nous voulons et ordonnons, parce que tel est notre bon plaisir, qui ne vont plus aux idées actuelles. Les rois de France ne commanderont plus à des vassaux, mais à des hommes, c’est donc un langage convenable à des hommes qu’il faut employer. Le roi a trop de noblesse et de dignité pour s’opposer à cette réforme, et il a aussi trop de sagesse et de connaissance du cœur humain pour ne pas apprécier les motifs de ceux qui lui conseilleraient le contraire. Qu’il écoute la voix de son peuple ; celle-là n’est ni trompeuse, ni adulatrice, et il doit regarder comme ses amis, les écrivains qui ont le courage de la lui transmettre.


L’Auteur des Réflexions sur les Brochures de MM. Bergasse et Grégoire[2] ; des Idées d’une Française sur la Constitution faite ou à faire, etc.


FIN.





  1. Celui des rédacteurs du Journal de l’Empire, si connu, sous la lettre A ; M. Félèse enfin, dans sa Notice sur l’Ouvrage de M. de Châteaubriant. On doit nommer quiconque peut l’être avec distinction et d’une manière honorable. Cela soulage le cœur, et ce soulagement est si rare !
  2. Parmi les témoignages flatteurs d’intérêt et d’estime que m’a valu ce petit écrit, est une lettre seulement signée de l’initiale D, qui m’est parvenue par la voie du libraire. Cette lettre, d’une écriture charmante et d’un excellent ton, annonce un homme également aimable et spirituel, rempli de noblesse et de sensibilité. Je regrette qu’il m’ait dérobé le plaisir de le connaître ; j’en aurais eu beaucoup à lui marquer ma reconnaissance. Peut-être il lira ce nouvel écrit, et il saura du moins ce que mon cœur lui garde.