De la fièvre

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ÉCOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE


DE LA FIÈVRE

PAR

G. DESCAZEAUX

MÉDECIN VÉTÉRINAIRE

Né à Cordes-Tolosanes (Tarn-et-Garonne).

Calor adeo assiduum, in febribus symptoma invenitur, ut febris naturam individuam in calore posuerint Galinus, aliique post illum celeberrimi medici. (Van-Swieten).



THÈSE POUR LE DIPLOME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE
présentée le 20 Juillet 1874


TOULOUSE
IMPRIMERIE DES ORPHELINS JULES PAILHÈS
Rue du Rempart St-Étienne, 30.
1874

ÉCOLES NATIONALES VÉTÉRINAIRES

INSPECTEUR GÉNÉRAL
M. H. BOULEY O. ❄, Membre de l’Institut de France, de l’Académie de Médecine, etc.

ÉCOLE DE TOULOUSE



DIRECTEUR
M. LAVOCAT ❄, Membre de l’Académie des sciences de Toulouse, etc.
PROFESSEURS:
MM. LAVOCAT ❄,
Tératologie.
Pathologie spéciale.
LAFOSSE ❄, Pathologie spéciale.
Police sanitaire et Jurisprudence.
Clinique et Consultations.
LARROQUE, Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON, Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES, Pathologie et Thérapeutique générales.
Pathologie chirurgicale et obstétrique.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des exercices pratiques.
ARLOING,
Anatomie générale et Histologie.
Anatomie descriptive.
Physiologie.
Chefs de Service.
MM. MAURI, Clinique et Chirurgie. Zoologie. Extérieur des animaux domestiques.
BIDAUD Physique, Chimie et Pharmacie.
N… Anatomie générale et descriptive. Histologie normale. Physiologie.
JURY D’EXAMEN
――
MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
ARLOING,
MAURI, Chefs de Service.
BICAUD,
N…


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PROGRAMME D’EXAMEN
Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.
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THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.

À MON PÈRE, À MA MÈRE,

Faible témoignage de reconnaissance et de tendresse filiale.


À TOUS MES PARENTS


À MES PROFESSEURS


À MES AMIS


G. D.

AVANT-PROPOS


Les préjugés contre la médecine s’affaiblissent de plus en plus par les progrès de la raison publique ; en effet, tout homme judicieux et éclairé sait aujourd’hui que notre science repose sur des faits, puis sur des préceptes déduits de ces faits, mais seulement à un certain degré de probabilité ; que la médecine est conjecturale comme toutes les autres connaissances humaines, à l’exception des mathématiques, science toute artificielle et fondée sur le raisonnement. Cependant il est encore des personnes qui, sans se laisser éblouir par le fracas des mots, et surtout par celui d’immense progrès, croient que la médecine n’est pas plus avancée dans ses moyens de guérison que dans ses principes fixes et assurés ; à leurs yeux tout y parait soumis comme par le passé, au doute, à la controverse, à la discussion, presque rien à la certitude. Il est une arme dont ces personnes ne se servent pas, parce qu’elles en ignorent heureusement l’existence et la force, c’est de demander sur beaucoup de points de la science, une définition nette, précise et positive, définition qui représente toujours l’objet défini par des caractères aussi saillants qu’ineffaçables.

Pourrait-on, par exemple, donner de la fièvre une définition qui remplît les conditions que je viens d’indiquer, c’est-à-dire une définition nette, précise et positive ? Dans l’état actuel de la science, une pareille définition n’est pas possible, car la nature intime de la fièvre, la théorie sur un point aussi capital que celui dont il s’agit, ont pour base l’incertitude, l’ignorance d’un grand nombre et l’opinion plus ou moins probable de quelques-uns. Notez qu’il ne s’agit point ici d’un phénomène rare, mais d’une chose patente, qui se représente dans le plus grand nombre des maladies, qui frappe à chaque instant le praticien. On ne peut le nier, la médecine a fait de grands progrès dans la pyrétologie, nous en aurons la preuve en citant les opinions diverses des auteurs qui se sont occupés de la fièvre, et qui ont essaye d’en expliquer les manifestations. Le lecteur, par cet exposé historique, verra combien d’hypothèses, combien d’erreurs, combien de systèmes ont été émis sur ce sujet depuis l’origine connue de la science jusqu’à notre époque ; lorsqu’il lira les théories qui sont en vogue de nos jours, il s’apercevra également que le champ des discussions n’est point fermé ; seulement le terrain sur lequel on se débat est mieux affermi, en outre, il est plus élevé que celui sur lequel nos devanciers y ont établi leurs doctrines.

Définir la fièvre, citer les opinions des principaux auteurs anciens qui se sont occupés de ce sujet, exposer successivement et d’une manière générale les causes, les symptômes, la nature et le traitement de la fièvre, tel est le plan que je suivrai dans la rédaction de mon opuscule.

G. Descazeaux.



DE LA FIÈVRE


Calor adeo assiduum in febribus symptoma invenitur, ut febris naturam individuam in calore posuerint Galenus, aliique post illum celeberrimi medici.
Wan Swieten

SYNONYMIE, ÉTYMOLOGIE, DÉFINITION

La fièvre (febris de fervere, bouillir, brûler ou de februare, purifier, ou bien encore de fervor, chaleur, ardeur, ébullition) encore appelée pyrexie, (pyrexia, de pûr, puretos purexís jeu) est un état morbide général, constamment caractérisé par l’accroissement de la température du corps, par l’accélération des mouvements respiratoires et circulatoires, et accompagné de courbature, de malaise et d’asthénie musculaire.

Le caractère prédominant de la fièvre est, on le voit, l’augmentation de la chaleur animale. Les observateurs modernes n’ont fait que confirmer une doctrine aussi vieille que la médecine, en montrant avec le thermomètre que la chaleur du corps est réellement accrue dans l’état fébrile, que celui-ci soit sous la dépendance d’une phlegmasie, ou qu’il constitue à lui seul toute la maladie.

Il est une autre définition qui donne à la fièvre un champ plus vaste, que quelques auteurs admettent de nos jours, et qui prouve bien l’importance très grande du symptôme chaleur. D’après cette nouvelle interprétation, toute élévation de la chaleur du corps, au-delà des limites normales, serait appelée fièvre, que cet accroissement de température soit accompagné d’autres phénomènes pathologiques ou non.

Cette définition de l’état fébrile paraît trop étendue, et l’on pourrait lui opposer l’argument qui va suivre : Tout individu peut, par un mouvement forcé, donner à son corps une chaleur beaucoup plus considérable qu’à l’état normal, cet état peut-il être décrit comme étant la fièvre ? Les partisans de cette définition répondront : Oui, cet état peut être appelé fièvre, de même que celui qui, par exemple, accompagne une pneumonie, et voici pourquoi : Un homme qui exécute des mouvements, qui échauffe son corps de façon à lui faire atteindre une chaleur fébrile, peut, par ce fait ; ne pas être bien portant, il a de la fièvre, mais cette fièvre est de très courte durée. En effet, l’accroissement des mouvements musculaires dans un temps relativement court, développe tant de chaleur, tant de produits d’oxydation, que les fonctions physiologiques normales ne suffisent plus pour rétablir l’équilibre de la chaleur du corps. Un mouvement modéré qui n’élève pas la température jusqu’au delà de la normale, n’est pas une cause pathologique ; tous les organes de l’économie conservent une aptitude suffisante pour satisfaire aux exigences qui leur sont imposées par le travail. Un mouvement forcé, au contraire, dont les suites sont insuffisamment balancées par l’organisme, devient la cause d’un état pathologique, de même que l’insuffisance des fonctions respiratoires provoque l’état fébrile qui accompagne la pneumonie.

HISTORIQUE

La fièvre a de bonne heure fixé l’attention des médecins ; et, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, elle a de tout temps été l’objet d’interprétations diverses ; elle a été, pour ainsi dire, le théâtre où se sont combattus avec des chances diverses, l’humorisme, le vitalisme, le naturisme, le brownisme, le physiologisme, etc.

La collection des livres hippocratiques est la première source où nous puissions puiser des notions sur la fièvre. Suivant les médecins de cette époque, la fièvre est une maladie très commune, elle accompagne toutes les autres et particulièrement l’inflammation ; d’après eux, elle consiste dans un excès de chaleur ayant son origine dans le sang, la bile, le flegme et l’atrabile.

Erasistrate, dans son traité sur les fièvres, admet que les artères sont remplies par de l’air, les veines par du sang, et que ces deux ordres de vaisseaux se touchent par leur embouchure. Cela étant, la santé subsiste, tant que les choses demeurent dans cet état, mais la maladie commence dès qu’une cause violente pousse le sang des veines dans les artères ; alors, si le sang se heurte centre l’air qui vient du cœur et en gêne le mouvement, c’est la fièvre, si le sang poussé plus loin s’engage dans les artères, c’est l’inflammation.

Galien voit dans la fièvre une maladie générale qu’il sépare des inflammations. L’idée de chaleur combinée avec de vagues notions sur les humeurs, était celle qui avait présidé dès les temps hippocratiques à la considération générale des fièvres, Galien l’adopta, il l’arrangea plus systématiquement, il distingua trois genres de fièvres : La chaleur, cause de la fièvre, est-elle fixée dans le cœur, la fièvre hectique en résulte, est-ce, au contraire, dans les esprits qu’elle s’établit, on obtient la fièvre éphémère ; enfin, quand la putridité engendrée par une chaleur morbide a envahi les humeurs, les fièvres putrides se manifestent. On peut jusqu’à un certain point se faire une idée de la manière d’après laquelle Galien a conçu la théorie des fièvres. Cette théorie, il est facile de le comprendre, n’est que superposée aux faits. Il avait observé une fièvre éphémère, où la placer ? Dans les esprits qui facilement dissipables, ne permettent pas à la fièvre d’avoir une longue durée. Il avait observé des fièvres longues, où les placer ? Dans le cœur, ou dans un autre solide de l’économie, ce qui expliquait la fixité, la permanence de ces affections. Par un raisonnement semblable et par les propriétés que les anciens attribuaient aux quatre humeurs, on expliquait sans difficulté pourquoi telle ou telle fièvre était due, d’après eux, à telle ou telle humeur.

Avicenne, médecin arabe, définit la fièvre : une chaleur étrangère, allumée dans le cœur, et procédant de cet organe au moyen des esprits, du sang par les artères et les veines dans tout le corps, chaleur qui nuit à l’exercice des fonctions, car elle n’est pas semblable à celle qui naît de la colère ou de la fatigue. Comme Galien, il distingue dans l’organisme des solides, des liquides et des esprits ; et comme lui il se base là dessus pour faire l’étude des fièvres.

Willis définit la fièvre : « Un mouvement déréglé du sang et une effervescence excessive de ce liquide avec de la chaleur, de la soif et d’autres symptômes qui troublent diversement l’économie. » C’est lui le premier qui a fait connaître que le sang est la seule humeur du corps en mouvement, humeur de laquelle proviennent toutes les autres. Willis admet cinq principes chimiques dans le sang : l’esprit, le soufre, le sel, la terre et l’eau, il fait jouer à l’effervescence de ces divers éléments le rôle essentiel dans la production des fièvres, qu’elles soient intermittentes ou continues.

Dans la dernière moitié du XVIIe siècle, Bellini fait consister la fièvre dans un vice du sang, caractérisé par une viscosité dont les degrés divers forment les types de ces affections et en constituent les variétés.

Pour Solleysel, la fièvre est « une chaleur étrangère et extraordinaire dans tout le corps, qui vient d’une ébullition ou fermentation violente des humeurs. » Cet auteur dit encore : « Il ne faut pas s’étonner si dans la fièvre on sent une chaleur brûlante, s’il y a soif extrême, si le corps est pesant et assommé, si la respiration est difficile, si les artères et le cœur battent avec excès et s’il s’y rencontre tant d’autres accidents qui la font aisément connoistre. »

Stahl, comme tous les autres vitalistes, considère la fièvre comme une opération salutaire et synergique de la nature, à l’aide de laquelle s’accomplit un acte nécessaire à la santé ou à la conservation de l’espèce. « J’ai avancé, dit-il, comme un grand paradoxe que, non-seulement la fièvre en général est produite par une utile intention de la nature, ce que d’autres ont reconnu avant moi ; mais encore, que tous ces phénomènes, qui, du consentement des autres médecins, sont regardés comme purement morbides, et où des écoles modernes voient des effets directement mécaniques de la matière morbide, sont des actes positifs de la nature qu’elle destine à une fin salutaire, et qu’elle proportionne par le moyen des organes à l’expulsion des matières nuisibles. »

Boherave définit la fièvre « une accélération spasmodique du mouvement organique des artères, qui est suscitée par une cause irritante et qui augmente excessivement la chaleur du corps. » D’après cet auteur, l’accélération du jeu des artères doit être spasmodique pour la distinguer de celle qui est produite par des mouvements musculaires prompts et répétés.

Selle voit dans la fièvre une maladie avec froid, chaleur et un pouls tantôt plus fréquent, tantôt plus lent que dans l’état normal. Une pareille définition est incomplète et ne s’applique qu’au mouvement fébrile.

Cullen, médecin anglais, est le premier qui place l’origine de la fièvre dans le système nerveux. D’après cet auteur, certaines puissances sédatives, diminuant l’énergie du cerveau, produisent la faiblesse dans toutes les fonctions, et particulièrement dans l’action des petits vaisseaux de la surface cependant, par un phénomène inconnu, cette faiblesse devient un stimulant indirect pour le système sanguin ; ce stimulant, à l’aide de l’accès du froid, augmente l’action du cœur et rétablit l’énergie du cerveau et celle des petits vaisseaux.

Pierre Frank, dans son Traité de médecine pratique, considère la fièvre comme une affection de la nature irritée, et réagissant contre un stimulus morbifique avec lésion subséquente de quelques fonctions.

Broussais, le fondateur de la doctrine physiologique, admet que la fièvre n’est jamais que le résultat d’une irritation du cœur primitive ou sympathique. Cette idée générale de la fièvre frappa d’abord par la concision, par la clarté du principe ; on l’adopta entièrement, au moins tant que le physiologiste fut en progrès ou à son apogée. Mais le passager triomphe de cette doctrine a fait sentir ensuite que cette définition de la fièvre n’était réellement applicable qu’à un certain nombre de phénomènes et ne rendait pas raison des autres.

Broussais a le premier combattu, et avec raison, la division généralement adoptée avant lui en fièvres essentielles et en fièvres symptômatiques ; il est parfaitement admis de nos jours que toute fièvre est subordonnée à une altération matérielle des solides ou des liquides. En effet, il est aujourd’hui démontré que le sang, renfermant des cellules comme les solides, jouissant des privilèges de la vie, peut subir des altérations physiques ou chimiques, dont l’appréciation est plus ou moins facile, mais que l’on découvre actuellement, dans quelques circonstances, avec les moyens nouveaux d’investigation ; or, ces altérations, dont on a ignoré pendant longtemps l’existence, sont capables de susciter des phénomènes fébriles et détruisent l’idée d’essentialité de la fièvre.

Je viens de passer en revue quelques-unes des anciennes théories. Par cet exposé succinct, on voit qu’au phénomène chaleur, caractère de la fièvre méconnu par personne, on a associé une hypothèse sur laquelle on s’est basé pour établir ces théories si bizarres et si variées. Tout d’abord, on attribuait la fièvre à la putridité des humeurs ; plus tard, on en vint à mettre dans le sang seulement la cause de toutes les fièvres. Willis le fit fermenter, Bellini crut qu’il devenait plus ou moins visqueux. Plus près de notre époque, on tend à ne plus attribuer la fièvre aux liquides ; et, je le dirai plus loin, les théories actuelles placent l’origine de la fièvre nerveuse.



ÉTIOLOGIE

L’état fébrile n’est le plus souvent qu’un symptôme de quelque processus anatomo-pathologique local. Lorsqu’il y a inflammation d’un organe, il se produit, en même temps que certaines altérations morphologiques, des modifications considérables dans les propriétés chimiques de la partie enflammée. Comme les produits qui se forment pénètrent dans la masse des liquides en circulation, ils produisent des désordres dans toute l’économie, désordres caractérisant l’état fébrile.

Il est évident que la fièvre doit présenter des différences très-grandes dans son développement, sa marche, sa terminaison, de même que dans son influence sur les divers organes et appareils du corps, suivant l’organe dans lequel se développe le processus inflammatoire, suivant la nature des produits qui naissent dans cette inflammation, et suivant le degré d’élimination de ces produits hors du corps, d’après la structure de l’organe, ou suivant le degré de rétention.

Il existe toute une série d’affections dans lesquelles nous observons le développement de la fièvre, sans qu’il ait existé auparavant de processus locaux, et dans lesquelles ces derniers ne se montrent que plus tard, quand la fièvre existe depuis plus ou moins longtemps. On a donné autrefois aux affections de ce genre le nom de fièvres essentielles par opposition aux fièvres symptomatiques qui sont déterminées par des causes bien évidentes.

Aujourd’hui, on est cependant arrivé à cette conviction que les fièvres essentielles n’ont pas leur raison d’être. Sachant que l’état fébrile apparaît à la suite de l’introduction dans le sang de produits qui se forment sous l’influence d’un processus local, ne peut-on pas supposer l’introduction dans le corps de produits analogues venant du dehors  ? Cette hypothèse est d’autant plus digne de foi que des agens pathogéniques, inconnus dans leur nature, les effluves, les miasmes et les virus produisent, lorsqu’ils sont introduits dans l’économie, une modification matérielle dans le sang, modification que l’on ne peut pas définir, que l’on ne voit pas toujours, mais qui devient le point de départ d’un mouvement fébrile.

Je n’insisterai pas davantage sur la non essentialité de la fièvre, j’ai déjà eu l’occasion d’en parler à propos de l’historique, je vais maintenant indiquer d’une manière sommaire, les circonstances les plus favorables au développement de l’état fébrile.

Fièvre due à une inflammation aiguë ou chronique. — La phlegmasie, en s’attaquant tout à la fois au système vasculaire, au sang et à la nutrition des parties, doit troubler fortement toutes les actions vitales, physiques et chimiques, et déterminer primitivement un trouble marqué dans la circulation générale et la calorification. Il faut, pour que cet effet ait lieu, que l’irritation inflammatoire arrive à un certain degré. Certaines phlegmasies chroniques à marche lente et insidieuse, peuvent également s’accompagner de fièvre  ; telles sont les productions tuberculeuses, cancéreuses, lorsque le travail de ramollissement et d’élimination se déclare autour de ces produits.

Fièvre due à une excitation vasculaire physiologique. — L’excitation qui suit l’exercice de certaines fonctions, s’accompagne parfois de fièvre. Le travail de la dentition, le développement des organes, le premier éveil de la puberté chez l’homme et chez la femme, la pousse du jeune bois chez les animaux, sont suivis de cette fièvre physiologique éphémère qui se rattache aux actes les plus importants de la vie. C’est à cette fièvre que l’on pourrait appliquer la définition des vitallistes, qui la considèrent comme une opération salutaire et synergique de la nature, à l’aide de laquelle s’accomplit un acte nécessaire à la santé ou à la conservation de l’espèce.

Fièvre due à une infection du sang par le pus. — Lorsque, sous l’influence de causes diverses, le pus pénètre dans le sang, immédiatement se manifeste une fièvre marquée par des frissons intenses, par une chaleur anormale, par des sueurs générales ou partielles. La fièvre symptomatique de la résorption purulente qui suit les opérations chirurgicales, les suppurations profondes, reconnaît pour cause une altération de ce genre.

Fièvre due à un empoisonnement septique. — Souvent la fièvre qui a reçu le nom de colliquative, est due uniquement à la pénétration dans le sang des liquides qui s’écoulent des tissus malades, et dont la composition n’est pas encore connue. On suppose que la résorption de la sérosité, chargée de gaz fétides, de sels alcalins et de matières spécifiques provenant de la putréfaction, est, dans ce cas, la vraie cause du mouvement fébrile souvent aigu, quelquefois chronique qui enlève un grand nombre de malades. Il doit en être de même lorsque le tissu propre de l’organe est ramolli, gangréné, altéré par une longue suppuration, ou baigné par des liqueurs septiques.

L’urine, la bile, en passant accidentellement dans le sang, produisent des effets à peu près semblables.

Fièvre symptomatique des maladies virulentes. — L’inoculation du vaccin, du virus varioleux, ne tarde pas à provoquer une fièvre d’éruption, et plus tard une fièvre de suppuration. La clavelée, à la période d’invasion, s’accompagne également de fièvre ; ce n’est pas à dire pour cela que dans toutes les maladies virulentes la fièvre apparaisse constamment. Le virus rabique et le virus syphilitique n’annoncent jamais leur entrée dans l’organisme par la manifestation de phénomènes fébriles. Je dois dire également que dans aucune maladie virulente, l’état fébrile ne se développe pendant la période d’incubation.

Fièvre provoquée par les venins, par les empoisonnements. — Le venin de la vipère, du crotale, et de quelques-autres animaux, donne lieu, d’après certains auteurs, à des phénomènes fébriles. Les agents vénéneux du règne végétal, du règne animal et du règne minéral, en pénétrant par voie d’absorption dans le sang, ont pour effet de produire tantôt une fièvre intense et des phénomènes d’excitation, tantôt un état morbide tout à fait opposé. Les substances stimulantes, âcres et excitantes élèvent souvent l’irritation vasculaire jusqu’à l’état fébrile.

Fièvre due à des causes encore peu connues. — Le mouvement fébrile sans causes bien définies paraît se rattacher à des causes spécifiques essentiellement différentes les unes des autres. Le miasme provenant des corps vivants ou morts, les effluves, ne peuvent arriver dans le sang, sans déterminer aussitôt un mouvement fébrile auquel on a souvent attribué le pouvoir de travailler activement à l’expulsion des matières morbitiques (doctrine des vitalistes). Comment se comportent dans l’organisme ces agents pathogéniques ? Voilà une question à laquelle il n’est pas possible de répondre sûrement dans l’état actuel de la science. Tout ce que l’on voit, c’est un trouble profond de toutes les actions vitales, physiques et chimiques.

SYMPTÔMES

La fièvre, comme du reste un grand nombre d’états pathologiques, présente au début un ensemble de phénomènes généraux, que l’on désigne sous le nom de prodromes (prodromos, précurseur). C’est après la manifestation de cet état général qu’apparaissent à l’observateur les symptômes pathognomoniques essentiels, caractéristiques.

Prodromes. — Les prodromes de l’état fébrile sont les mêmes que ceux qui accompagnent les maladies inflammatoires un peu intenses ; ce sont les suivants : tristesse, nonchalance, difficulté pour les mouvements, manque d’ardeur au travail, position basse de la tête, dysorexie ou même anorexie, soif, chaleur et sécheresse de la bouche, dureté des excréments, augmentation et diminution alternatives de la chaleur des extrémités, accélération du pouls et de la respiration, injection de la conjonctive.

Ces symptômes généraux ont une durée variable entre quelques heures et deux ou trois jours ; ils peuvent même manquer, ou être si peu apparents qu’ils échappent à l’observation. Ce peu d’uniformité dans la durée des prodromes trouve son explication dans l’intensité des causes et dans la force de résistance des sujets, et non dans le caractère de la fièvre ; car il arrive souvent que des fièvres intenses, malignes, se développent tout d’un coup, sans prodromes, tandis que des fièvres bénignes ont une invasion lente, graduelle.

Symptômes pathognomoniques. — Les symptômes essentiels de la fièvre comprennent des désordres apportés dans la calorification, dans la circulation, dans la respiration et dans la nutrition.

1o Désordres de calorification. Le symptôme vraiment caractéristique de la fièvre, celui que tous les auteurs les plus anciens comme les plus modernes, ont indiqué comme constant, c’est l’augmentation de la température du corps. Mais, avant la manifestation de ce symptôme, il y a une période dite de froid, plus ou moins prolongée, plus ou moins saisissable, et que l’on s’accorde également à considérer comme constante.

A. Le frisson initial de la fièvre, produit par l’excitation des nerfs vaso-moteurs, excitation ayant pour résultat le resserrement des vaisseaux périphériques, se caractérise par une diminution de température sensible au thermomètre, par des horripilations le long de la colonne vertébrale et par des contractions plus ou moins énergiques des muscles de la vie de relation. Tantôt le frissonnement est si léger, si fugace, qu’il faut une grande attention pour le percevoir ; tantôt, il est très apparent et se manifeste par des tremblements convulsifs de la peau et des membres. L’abaissement de température est surtout très marqué aux oreilles, aux cornes, aux extrémités.

Cette période de froid à une durée variable entre quelques minutes et quelques heures ; il est à remarquer qu’elle est généralement plus longue chez les ruminants que chez les solipèdes. Chez les animaux de l’espèce bovine, le mufle est sec et bien plus froid qu’à l’état normal.

B. L’accroissement de la température du corps succède à la période de froid. On peut avec la main, ou bien au moyen du thermomètre, constater cette élévation anormale de température, et en même temps l’on s’assurera que la chaleur n’est pas uniforme dans tout le corps. Cette uniformité peut néanmoins exister, mais c’est là un fait rare ; le plus souvent, l’augmentation de température se concentre dans certaines régions, comme, par exemple, à la base, des oreilles et des cornes, au plat des cuisses, aux ars.

La chaleur fébrile à une grande importance, non-seulement parce qu’elle est commune à toutes les maladies fébriles, mais encore parce que c’est elle qui permet d’apprécier l’intensité, je dirai même les périodes des affections qu’elle accompagne. Ce fait, connu depuis très longtemps, a été pleinement justifié par l’emploi du thermomètre pour la détermination de la chaleur animale.

Chez certains animaux un seul symptôme suffit pour le diagnostic de la fièvre ou d’une maladie fébrile ; ainsi, la chaleur et la sécheresse du mufle dans l’espèce bovine, du groin chez le porc, du bout du nez chez le chien, sont caractéristiques de cet état pathologique.

2o Désordres de circulation et de respiration. — Au début, pendant la période de froid, la respiration est accélérée, irrégulière, les battements du cœur sont forts, tumultueux, les bruits normaux acquièrent plus d’intensité et s’entendent dans une plus grande étendue, le pouls est également accéléré, concentré, dur. À la période de chaleur, le pouls est encore accéléré, mais il est plein et plus dépressible.

Il existe le plus souvent un rapport régulier entre la fréquence du pouls et la température, en ce sens que ces deux phénomènes s’accroissent et diminuent ensemble. L’examen du pouls présente donc une importance incontestable pour le diagnostic et le pronostic des maladies fébriles ; il est beaucoup de médecins qui se bornent à son exploration pour déterminer l’état fébrile et son intensité. Cependant il a été remarqué que cette corrélation n’est pas constante. Dans plusieurs maladies fébriles, notamment dans la fièvre typhoïde et la pneumonie franche, on observe assez fréquemment une discordance notable entre ces deux symptômes, les oscillations thermométriques coïncidant ou avec un état stationnaire du pouls, ou même avec des modifications en sens inverse.

Cette discordance du pouls et de la température a été observée encore dans le début des inflammations en céphaliques, lorsque la lésion atteint les nerfs pneumogastriques et le bulbe ; l’excitation produite sur les nerfs modérateurs du cœur amène un ralentissement de ses battements nullement en harmonie avec la température fébrile. La persistance de l’excitation, ou les progrès de la lésion produisent l’épuisement de cette action nerveuse spéciale, et dès lors la fréquence du pouls s’harmonise avec l’intensité de la combustion fébrile.

Il existe également une corrélation entre les contractions cardiaques et la respiration, mais elle est encore moins constante que celle qui existe entre la fréquence du pouls et la température. Il est, en effet, des maladies, le rhumatisme, l’érysipèle, la variole, etc., qui laissent intacte la respiration et qui s’accompagnent cependant d’un état fébrile.

3o Désordres de nutrition. — Le trouble qui accompagne le plus souvent l’état fébrile est celui des organes digestifs. Généralement la soif est augmentée, le besoin de prendre de la nourriture est plus ou moins diminué, la sécrétion du suc gastrique est très ralentie, il s’ensuit que la faculté digestive de l’estomac est affaiblie.

Les fonctions du canal intestinal subissent même des altérations très-prononcées, il peut y avoir constipation ou diarrhée ; cette dernière accompagne généralement les états fébriles de longue durée, présentant des lésions dans la muqueuse intestinale.

La sécrétion rénale subit des modifications bien manifestes. L’urine est moins abondante, son poids spécifique augmente, elle devient plus foncée qu’à l’état normal, la quantité d’urée et d’acide urique est quelquefois double, les chlorures diminuent considérablement, et quelquefois on n’en trouve plus que des traces insignifiantes. Souvent dans le cours de la fièvre il apparaît des sédiments abondants de sels uriques. Dans quelques cas, on trouve dans l’urine de l’albumine, de l’épithélium provenant des canalicules urinaires, un nombre plus ou moins considérable de globules sanguins.

La sécrétion du lait diminue, tarit même si la fièvre persiste un certain temps.

La peau subit dans ses fonctions des altérations prononcées tantôt elle est sèche et chaude, tantôt elle est humide, enfin dans quelques formes fébriles, elle se recouvre d’une sueur abondante qui peut persister presque continuellement pendant tout le cours de la fièvre ; tel est le rhumatisme articulaire aigu, chez l’homme. Nos animaux domestiques ont une aptitude plus ou moins grande pour la sécrétion de la sueur ; c’est chez les solipèdes seulement que l’on peut découvrir des sueurs aux ars, aux flancs, entre les cuisses, à l’encolure à la base des oreilles.

L’amaigrissement est le résultat nécessaire de toute fièvre d’une certaine durée ; deux causes concourent à le produire : la privation d’aliments et surtout la consomption fébrile qui, même pendant la diète absolue, est plus grande que la dépense physiologique de l’organisme, ainsi que le démontre la composition de l’urine fébrile. Non-seulement donc le fébricitant privé d’aliments, vit au dépens de lui-même, mais il vit avec une activité exagérée. Cette autophagie fébrile l’ait disparaître la graisse, atrophie les muscles, et au bout d’un temps relativement court, le plonge dans un amaigrissement, dans un épuisement dont il ne se relève qu’avec difficulté.

NATURE

Avant d’exposer les théories par lesquelles on a essayé d’expliquer les phénomènes intimes de la fièvre, je dirai un mot de la chaleur animale, de son mode de production, de la faculté que possède l’organisme de la régulariser. Les considérations dans lesquelles j’entrerai permettront de mieux comprendre comment se produit le symptôme essentiel de la fièvre, l’élévation de température.

Chaleur animale. — L’organisme animal, en général, et l’homme en particulier, possède la faculté d’un côté de développer de la chaleur, d’un autre côté de la rendre.

Aujourd’hui il est bien démontré que les différents processus chimiques qui se passent sans interruption dans le sang et dans les tissus du corps par l’accès continu de l’oxygène, sont les principales causes de la chaleur propre. Comme ces processus chimiques n’ont pas lieu avec une égale vitesse dans tous les organes, on peut établir en règle générale que, plus une partie est vasculaire, plus la circulation y est active, et plus la température de cette partie se rapproche du maximum qu’elle puisse atteindre. Les déperditions de chaleur s’effectuent de différentes manières : par rayonnement, par l’évaporation et l’excrétion de divers produits liquides et gazeux et par l’accomplissement d’un travail mécanique, alors la chaleur se change en mouvement.

La déperdition de l’eau sous forme de vapeur et sous forme liquide dans la transpiration, forme la partie essentielle du refroidissement par la peau. Le refroidissement du corps par les poumons est bien moins considérable que par la peau, parce que dans l’excrétion de l’eau sous forme de vapeur et de divers produits gazeux, une certaine quantité de chaleur ne se trouve pas entraînée.

Cette faculté que possèdent la peau et les poumons d’amener du refroidissement, rend possible à l’homme de supporter pendant quelques minutes de très hautes températures, sans que sa chaleur propre augmente beaucoup. C’est ainsi que Berger et de La Roche ont pu tenir pendant huit à seize minutes dans une température de 100 à 127° centigrades. Blayden est resté plusieurs minutes dans une température sèche de 79° centigrades, et sa chaleur propre n’augmenta que d’un degré centigrade.

D’un autre côté, lorsque le corps est sous l’influence du froid, la production de la chaleur augmente  ; les processus chimiques s’effectuent avec plus d’activité  ; la combustion des matériaux se fait plus rapidement, et l’augmentation dans la quantité d’aliments ingérés couvre la perte.

Régularisation de la chaleur animale. — D’après ce qui vient d’être dit, l’homme sain possède donc la faculté d’échauffer son corps et de conserver cette température au même degré avec des variétés insignifiantes. De quelle manière, et par quel mécanisme se produit cette régularisation  ? Existe-t-il pour cela quelque centre général dans le système nerveux, ou bien cette balance est-elle la conséquence inévitable des divers processus chimico-physiques qui se passent dans l’organisme animal ?

On le sait, le corps humain possède une aptitude très grande à balancer certaines causes qui agissent sur les fonctions de ses différents organes en les modifiant ; on peut citer avec précision des appareils tout entiers qui peuvent amener la compensation de certaines fonctions. Dans d’autres cas, nous n’observons que le résultat définitif de la balance et nous ne possédons pas de faits assez positifs pour en expliquer le mécanisme.

Il est certain qu’il y a des centres nerveux régulateurs du rythme du cœur, du poumon, en est-il de même pour le maintien d’équilibre de la recette et de la dépense du corps ? À cette question, on ne peut pas répondre sûrement d’une manière affirmative. Cependant, quelques faits parlent en faveur de l’existence des centres nerveux qui ont une influence sur l’excrétion hors du corps de quelques produits. La physiologie expérimentale a reconnu quelques-uns de ces centres, l’existence des autres peut être supposée en se basant sur les observations qui ont été faites sur les organismes sains ou malades.

La lésion d’un certain endroit du plancher du quatrième ventricule, amène une excrétion considérable d’eau par les reins. La lésion d’un point situé dans le voisinage, détermine l’apparition du sucre dans l’urine. D’un autre côté, on voit chez des malades que la polyurie insipide, ainsi que le diabète sucré, peuvent se montrer comme des symptômes d’affections cérébrales. Il est donc manifeste que la sécrétion urinaire est placée sous l’influence d’un centre nerveux.

La transpiration cutanée est également placée sous l’influence du système nerveux ; en effet, quelle est la personne chez laquelle des causes morales, la frayeur, par exemple, n’ont pas amené de transpiration ? Quelquefois même, l’usage continu de boissons chaudes peut n’être suivi d’aucune transpiration, et l’arrivée du médecin auprès d’un malade appelle chez ce dernier une forte sueur. Tous ces faits permettent d’admettre, dans le système nerveux central, l’existence d’appareils dont l’excitation ou la dépression doivent avoir une influence sur la sécrétion de la sueur.

En admettant l’existence de centres nerveux qui ont une influence sur les excrétions, la loi de balancement qui les régit rend très-admissible l’hypothèse de la faculté régulatrice de ces centres nerveux. Si l’on admet un tel centre qui régularise l’excrétion de l’eau hors du corps, l’hypothèse de Virchow sur l’existence d’un appareil nerveux régulateur de la chaleur animale, doit en être la conséquence nécessaire. On est donc tout naturellement conduit à reconnaître aujourd’hui que, c’est en agissant sur les tissus et en amenant les processus chimiques d’oxydation ou de dédoublement qui accompagnent leurs manifestations vitales, que le système nerveux céphalo-rachidien modifie en même temps la production de chaleur animale.

Le grand sympathique a sur la calorification une influence qu’il est encore difficile de préciser, mais qui tend à s’élucider grâce aux expériences de Cl. Bernard. Des travaux de cet expérimentateur distingué, il semblerait résulter que le système grand sympathique est le seul vaso-moteur, c’est-à-dire le seul nerf qui régularise la circulation capillaire, en réglant les phénomènes physico-chimiques qui s’accomplissent au sein des tissus.

Après ces quelques mots sur la chaleur animale, j’arrive aux théories émises de nos jours pour l’explication des manifestations fébriles.

Nature de la fièvre. — Lorsque l’on constate une augmentation de température du corps, on doit, d’après ce qui a été dit précédemment, supposer, d’un côté un accroissement dans la production de la chaleur, ou, en d’autres termes, une suractivité de la combustion du corps ; d’un autre côté, une diminution dans la déperdition de la chaleur.

L’organisme sain possède la faculté de régler sa chaleur au moyen de l’appareil régulateur dont j’ai parlé, il faut donc admettre dans les élévations de température une cause particulière qui agit sur cet appareil nerveux en le troublant.

Si on injecte le sang d’un animal qui présente une élévation anormale de température, dans l’appareil circulatoire d’un animal sain, au bout d’un certain temps la température de ce dernier sera anormalement élevée. De même l’injection de sang d’animaux fébricitants, de sérosité purulente, de matières extraites de divers organes enflammés, détermine encore une élévation de température.

En se basant sur ces faits, on a le droit de supposer dans le corps d’un sujet fébricitant, l’existence d’une substance qui accélère le processus de combustion dans le corps, et qui, en même temps, n’excite pas l’activité des organes qui agissent sur l’abaissement de la chaleur du corps ; de là il résulte que l’activité de ces organes est insuffisante pour conserver la chaleur dans des limites normales. Il est possible que sous l’influence des causes qui amènent une élévation de la température, il se développe dans le corps des produits intermédiaires d’oxydation, qui stimulent d’une façon insuffisante l’appareil nerveux qui agit sur l’abaissement de la température ou qui le dépriment. La présence de ces produits, incomplètement oxydés, est d’autant plus vraisemblable, si l’on se rappelle que dans la fièvre l’urée et l’acide urique sont excrétés par les reins en bien plus grande abondance qu’à l’état normal.

Cette théorie chimique de la fièvre une fois admise, on explique très facilement la plupart des processus fébriles qui se montrent dans le cours des maladies les plus diverses. Dans la plupart des processus pathologiques qui amènent un état fébrile, il se développe et il se présente dans la masse des liquides en circulation des matériaux qui accélèrent le processus d’oxydation dans le corps ; l’oxydation est alors incomplète, ainsi que l’abaissement de température, par suite de l’influence anormale qu’exercent les produits de l’oxydation incomplète sur les centres nerveux qui régularisent cette diminution de la chaleur.

Cependant il peut se produire un état fébrile, par exemple, sous l’influence du cathétérisme, de causes morales ; alors on ne peut admettre dans la masse des liquides en circulation, aucune transformation de substances qui augmentent les produits d’oxydation. Une fièvre de ce genre trouve son explication dans une altération fonctionnelle du centre régulateur, sous l’influence de l’irritation de nerfs sensibles. On observe quelquefois chez l’homme une élévation considérable de la température du corps, immédiatement après une attaque d’apoplexie, à la suite des causes les plus variées, qui ou bien modifient les fonctions d’une grande partie du cerveau ou même les suspendent complètement : c’est ce que l’on voit à la suite d’une hémorragie dans la substance cérébrale, à la suite de l’obstruction d’une des artères cérébrales, etc. Ces faits permettent de supposer dans le cerveau un centre qui exerce une influence sur le refroidissement du corps ; quand il a été enlevé ou irrité, le refroidissement du corps diminue, ce qui a pour résultat une élévation de température de ce dernier.

Théorie de la fièvre due à Cl. Bernard. — Cl. Bernard, professeur de médecine au Collège de France, a remarqué, en faisant des expériences sur le grand sympathique, que les symptômes de l’état fébrile étaient tout à fait analogues à ceux qu’il produisait en pratiquant la section du cordon cervical du sympathique. Les symptômes résultant de cette section nerveuse, et observés dans la moitié de la tête à laquelle se distribue le filet cervical divisé, sont les suivants :

En premier lieu, on doit citer une augmentation de chaleur, facilement appréciable en touchant les deux oreilles ; en même temps que la température s’élève, on observe une augmentation de la pression, très sensible au manomètre. En outre, si avant de pratiquer la section du filet cervical du sympathique, on ouvre une veine, le sang est noir et sort en bavant ; après la section, il sort rutilant et quelquefois par jets, parce que les pulsations se continuent des artères jusque dans les veines. Si on galvanise le bout périphérique du nerf sectionné, la température et la pression baissent ; le sang, au lieu de rester rutilant, redevient noir et s’écoule de nouveau en bavant.

Voici comment Cl. Bernard explique les symptômes que je viens d’indiquer. L’accroissement de température n’est pas dû seulement à la vascularisation plus grande des parties, il résulte encore de la suractivité des phénomènes chimico-physiques qui ont lieu dans les tissus. Le sang veineux est rutilant au lieu d’être noir, parce que, en raison, de sa vitesse, il n’a pas eu le temps de subir les modifications qu’il éprouve d’ordinaire au contact des tissus.

Toutes les parties privées de l’action du sympathique ont leurs fonctions troublées. Le tissu cellulaire se congestionne, laisse exsuder en abondance de la lymphe plastique ; la peau acquiert une élévation de température très sensible, elle peut même se recouvrir de sueur. La sensibilité et la tonicité musculaire sont augmentées, il y a rétrécissement de toutes les ouvertures naturelles, des ouvertures palpébrales, pupillaires, nasales, etc. Si on vient à galvaniser le bout périphérique du nerf, tout revient aux conditions normales ; il y a diminution de la chaleur, disparition de l’exsudation plastique, les ouvertures reprennent leurs dimensions. En résumé, on voit que la section du grand sympathique a pour effet d’exalter les propriétés vitales, et que la galvanisation produit un résultat tout opposé.

L’expérimentation révèle encore un autre fait qui n’est pas sans importance. Sur un lapin on coupe le filet cervical du sympathique, les symptômes plus haut indiqués se manifestent, vient-on à galvaniser successivement les deux oreilles, on observe des phénomènes différents. La galvanisation directe de l’oreille du côté correspondant à la section amène de la douleur qui est le point de départ d’un afflux sanguin, et par suite d’une augmentation de chaleur. La galvanisation de l’oreille saine produit, au contraire, un abaissement de température.

Le résultat de ces expériences prouve que le sympathique agit par phénomène réflexe. Lorsque l’on galvanise l’oreille saine, l’excitation produite se transmet par les filets sensitifs à la moelle ; cette excitation est ramenée par le sympathique dont l’action opère le resserrement des vaisseaux et produit l’abaissement de température. La galvanisation de l’autre oreille produit également une excitation, mais le phénomène réflexe ne peut pas avoir lieu comme précédemment, vu que le sympathique manque dans la région galvanisée.

Je viens de présenter les symptômes fournis par la section du filet cervical du grand sympathique, je dois maintenant indiquer l’analogie que ces symptômes offrent, avec ceux de l’état fébrile, analogie sur laquelle s’est basé Cl. Bernard pour établir sa théorie sur la fièvre.

Il serait oiseux d’insister sur l’augmentation de température commune à la fièvre et à la section du sympathique ; cependant je dois signaler une particularité qu’il est bon de connaître. CI. Bernard a remarqué, toujours en faisant la même expérience, que la chaleur augmentant d’un côté, elle diminue du côté opposé ; il se produit une sorte d’équilibration, de compensation tout à fait analogue à ce qu’on décrit sous le nom de révulsion. Le même phénomène a lieu pour la pression. D’après cela, il semble que l’organisme dispose d’une propriété donnée, et que lorsque ses manifestations augmentent dans un point, c’est pour diminuer dans un autre. Pareille chose s’observe dans la fièvre, dans cette dernière les fonctions du foie, de l’intestin, principales sources de la chaleur animale, sont plus ou moins troublées ; aussi voit-on une élévation notable de la température des parties superficielles.

Le sang veineux est rutilant dans les parties privées de l’action du sympathique ; depuis longtemps cette observation a été faite dans les cas de fièvres graves. Tout récemment des médecins ont remarqué que, toutes les fois qu’ils saignaient un fébricitant pendant la période de réaction d’un accès fébrile, le sang veineux était rutilant et présentait des pulsations.

Dans la fièvre, on a mentionné une augmentation de la fibrine du sang, ce fait là a été également observé par Cl. Bernard chez les animaux dont le sympathique était coupé.

Le frisson initial de la fièvre s’explique encore fort bien par l’action du sympathique. Si on galvanise ce dernier, il y a d’abord diminution de température, phénomène analogue au frisson ; mais si on continue longtemps cette excitation, il en résulte une fatigue, une paralysie temporaire du nerf, et par suite une élévation de température des parties auxquelles il se distribue.

D’après cet exposé comparatif, si l’on suppose la généralisation dans tout le corps des symptômes obtenus par la section du sympathique, on aura tous les symptômes de la fièvre : augmentation de chaleur, accélération du pouls, suractivité de la transpiration cutanée, etc., etc. On est donc tout naturellement amené à conclure que la fièvre n’est qu’une sorte de paralysie du grand sympathique, paralysie passagère et incomplète.

Sous l’influence de causes diverses qui peuvent faire développer la fièvre, une excitation sensitive se produit ; par action réflexe sur le sympathique, le frisson initial se montre ; la persistance de l’excitation amène un relâchement qui entraîne à sa suite une exagération des phénomènes circulatoires de la sueur, etc.

La fièvre doit donc être considérée comme un phénomène purement nerveux ; elle peut prendre son origine tantôt dans une excitation du système nerveux sensitif externe, tantôt dans une excitation du système nerveux sensitif interne, à la surface interne du cœur, des vaisseaux et des organes splanchniques.

Traitement.

Vu le grand nombre des causes qui font éclater la fièvre, vu les types nombreux qu’elle présente, on conçoit qu’il ne puisse être indiqué ici un traitement que d’une manière générale, des indications spéciales se présentant pour chaque variété fébrile. Pour rendre cet exposé moins vague, plus méthodique, j’indiquerai les trois formes principales que revêt la fièvre et le traitement que réclame chacune d’elles.

La fièvre, suivant le degré de vigueur des individus, suivant son intensité et son siège, suivant les causes qui la provoquent, présente dans sa manifestation des phénomènes variés qui constituent ce que l’on appelle le caractère de la fièvre, et qui permettent de distinguer trois variétés principales : la variété sthénique ou éréthique, la variété inflammatoire ou hypersthénique et la variété adynamique ou asthénique.

Dans tous les cas, l’indication thérapeutique que l’on aura à remplir, consistera toujours à régulariser la chaleur du corps, soit en l’augmentant, si elle est au-dessous de la normale, soit en la diminuant, si elle est trop élevée.

Au début, lorsque le frisson initial est bien marqué et persistant, on doit avoir en vue le rétablissement de la circulation dans les parties superficielles, afin de les ramener à la température normale. On remplit cette indication à l’aide de bouchonnements, de couvertures, et en plaçant les sujets dans des locaux où règne une douce température.

Lorsque la fièvre est arrivée à la période de chaleur, le traitement varie suivant le caractère sous lequel elle se présente.

1o La fièvre éréthique est celle qui accompagne des lésions locales peu étendues, peu graves ; elle ne réclame aucun traitement ; elle disparaît toute seule au bout de quelques heures ou de quelques jours, s’il n’y a pas d’aggravation dans les lésions qui la tiennent sous leur dépendance.

2o La fièvre inflammatoire n’est autre chose que la fièvre éréthique ayant acquis plus d’intensité, soit parce que la lésion locale est plus grave, soit parce que les sujets sont pléthoriques, d’une forte constitution. Lorsqu’elle n’est pas très intense, cette variété fébrile ne réclame également aucun soin ; dans le cas contraire, il y a indication de faire disparaître l’excès de température, dont l’action est si fâcheuse pour le foyer local. Pour arriver à ce résultat, le traitement consiste à pratiquer des émissions sanguines plus ou moins répétées, et à administrer à l’intérieur des antiphlogistiques, des diurétiques, des calmants.

Les émissions sanguines ont un effet mécanique manifeste, mais il ne faut pas oublier que le sang enlevé par une saignée, est rapidement renouvelé, et qu’il devient même plus riche en matières protéiques. La saignée n’est donc utile que quand on fait en même temps usage de boissons abondantes ; plus l’animal boira, plus il sera soulagé. C’est à tort que l’on prescrit souvent des boissons un peu chaudes, que l’animal ne prend qu’avec répugnance ; à moins d’indication contraire, comme, par exemple, lorsqu’il y a sensibilité très grande du tube gastro-intestinal ; on doit toujours donner la préférence aux boissons froides.

L’eau froide en boisson est un excellent moyen pour modérer la chaleur exagérée ; ce liquide dont l’animal prend instinctivement une grande quantité, à cause de la soif qui le dévore, de la sécheresse de la bouche et du pharynx, non-seulement rafraîchit, mais encore il aide la dissolution et la résorption des produits sécrétés lors du travail inflammatoire ; il liquéfie le sang et aide la crise par l’urine et la sueur. Pour augmenter son action diluante, on y ajoute souvent des diurétiques, du bicarbonate de soude, du sel de nitre. Les tempérants sont également utiles, ils dissolvent les éléments organiques du sang et rendent peu à peu ce liquide moins plastique, moins excitant, moins nutritif.

Lorsque la circulation et la respiration sont très accélérées, on administre le sel de nitre ou l’émétique à haute dose, ces médicaments agissent alors comme contre-stimulants, comme sédatifs du cœur. Il faut être sobre dans leur emploi, et s’abstenir de donner de l’émétique, lorsqu’il y a quelques indices d’inflammation gastro-intestinale ; l’émétique, dans ce cas, pourrait devenir nuisible. La digitale produit parfois de bons effets, elle doit être donnée à petites doses fréquemment répétées ; 4 grammes suffisent pour le cheval dans l’espace de 24 heures.

La diète généralement conseillée est évidemment utile, et l’animal s’y soumet facilement, puisqu’il n’a point d’appétit, cependant il ne faut pas la faire durer trop longtemps, afin de ne pas trop affaiblir l’animal que la fièvre ronge dans peu de temps.

3o La fièvre adynamique s’observe chez les sujets faibles, mal nourris, épuisés par de longues maladies, par de longues souffrances : elle peut encore se manifester par suite de l’introduction dans l’économie de miasmes, de virus, de matières ichoreuses, putrides, qui exercent sur le système nerveux une action hyposthénisante. Cette variété fébrile est caractérisée par des frissons bientôt suivis d’une chaleur irrégulièrement repartie. Lorsqu’elle est poussée à l’excès, la fièvre asthénique s’accompagne de consomption et prend le nom de fièvre hectique.

La médication que réclame la fièvre présentant ce caractère est toute différente de celle qui a été indiquée pour la fièvre inflammatoire. Ici, il y a indication de relever les forces, de réveiller la nutrition, de débarrasser le sang des matières morbides qui en altèrent la composition, et par suite la vitalité ; c’est dans ce but que l’on administre des excitants, des toniques, des antiseptiques.




CONCLUSION


Que conclure de l’exposé que je viens de faire, c’est que la fièvre est un état morbide général, état dont les manifestations sont assez bien connues, mais dont la nature repose encore sur des hypothèses. Il y a de grandes probabilités pour que la fièvre ait son origine dans le système nerveux ; aujourd’hui le plus grand nombre d’auteurs l’admettent ; mais préciser d’une manière certaine la lésion qui la provoque, voilà ce que l’on n’a pas encore fait. Des deux théories contemporaines que j’ai reproduites, la plus vraisemblable, au premier abord, est celle de Cl. Bernard, car elle est basée sur des faits recueillis par l’expérimentation, tandis que l’autre théorie se base uniquement sur l’existence hypothétique d’un centre nerveux régulateur de la chaleur animale. Cependant la théorie de Cl. Bernard n’est pas à l’abri de la critique. Comment se fait-il, par exemple qu’il y ait accélération des battements du cœur dans la fièvre, alors que la paralysie du grand sympathique a pour effet de diminuer, d’arrêter même les fonctions du cœur ? De plus, l’obervateur démontre que dans la fièvre les désordres de calorification se manifestent souvent avant les troubles nerveux, et que l’élévation de température est générale, au lieu d’être locale comme dans le cas de section du sympathique. Cl. Bernard s’est donc basé sur une analogie qui n’est qu’apparente, et par conséquent sa théorie est inexacte. De sorte qu’on peut se demander encore : Qu’est-ce que la fièvre ?