De la fièvre puerpérale/Dissertation sur la fièvre puerpérale

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De la fièvre puerpérale devant l’Académie impériale de médecine de Paris
Germer Baillière (p. 10-16).


DISSERTATION SUR LA FIÈVRE PUERPÉRALE.


La fièvre aiguë des femmes en couches est souvent mortelle.
(Hippocrate.)


I. — La fièvre puerpérale, autrement dit la fièvre aiguë des femmes en couches, est une maladie connue dès l’origine de la médecine. Elle a été désignée sous différents noms depuis Hippocrate jusqu’à Willis, qui l’a nommée fièvre puerpérale, moins pour créer un nom nouveau que pour lui donner celui qui lui convient. Et véritablement les termes de fièvre puerpérale, qui signifient tout uniment fièvre des nouvelles accouchées, indiquent parfaitement les seules circonstances dans lesquelles cette maladie se développe, et ils sont en cela bien préférables à ce flux d’épithètes : fièvres laiteuse, utérine, miliaire, etc., que les auteurs ont tour à tour appliquées à l’affection puerpérale qui peut revêtir plusieurs aspects différents, mais qui, au fond, conserve toujours son caractère spécial.

II. — Une femme en couches peut, comme toute autre femme, être prise de fièvre peu de temps après sa délivrance ; il y a alors tout simplement fièvre après les couches, mais il n’y a pas fièvre puerpérale dans la véritable acception du mot, et il faut éviter de confondre cette fièvre coïncidente, soit avec les états puerpéraux, soit avec les accidents qui surviennent à la suite des couches.

III. — La fièvre puerpérale légitime est une fièvre éliminatrice ; tantôt sporadique, tantôt épidémique, elle est rarement contagieuse, mais elle le devient sous l’action du génie épidémique. Elle diffère des autres fièvres par la nature de la cause qui la produit. Une fois déclarée, elle donne lieu à des inflammations qui ne se montrent que chez les femmes en couches, et seulement pendant les premiers jours qui suivent l’accouchement. Ces inflammations sont caractéristiques, en ce sens qu’elles offrent un air de famille et une tendance particulière à produire des mouvements exsudatoires.

IV. — Hippocrate attribuait la fièvre aiguë des femmes en couches à la suppression des lochies ou du lait, et au transport de ces humeurs sur le ventre, sur le cerveau ou sur la poitrine. « Les lochies, disait-il, qui s’arrêtent chez les femmes nouvellement accouchées annoncent une mort prochaine, si l’humeur s’altère et se fixe sur un organe noble. »

Mercatus attribuait cette maladie à la suppuration de l’utérus ; Mercurialis pensait qu’elle était produite par la métastase du lait ; quant à Willis il disait que pour se rendre compte de la nature de la fièvre puerpérale, il fallait posséder une idée complète des trois choses suivantes : 1o de la génération du lait et de sa métastase ; 2o de la purgation maternelle ou du flux des lochies ; 3o de l’état de l’utérus après l’accouchement et de son influence sur les autres parties du corps.

V. — Col de Villars et Fontaine sont les auteurs qui ont décrit avec le plus d’exactitude les lésions produites pendant la fièvre puerpérale. Toutes les autopsies leur ont démontré l’existence d’une sérosité laiteuse épanchée tantôt dans la cavité du ventre, tantôt dans le cerveau ou dans la poitrine. Ils ont trouvé du lait caillé à la surface des intestins et des dépôt laiteux situés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ; Lamothe a eu l’occasion d’ouvrir plusieurs femmes qui avaient succombé à l’épidémie qui a régné à Rouen et à Caen en 1715, et il a constaté dans les intestins la présence d’une sérosité blanchâtre ayant l’aspect du lait caillé ; Levret et Puzos ont signalé dans d’autres circonstances les mêmes effets, et Bordeu lui-même, le célèbre Bordeu, rapporte qu’il a vu des infiltrations abondantes et des dépôts nombreux dans lesquels il a reconnu un liquide semblable à du petit-lait. Enfin, dans les épidémies qui ont régné à Berlin en 1770 et en 1780, on a pu recueillir, dans le péritoine et dans les interstices des circonvolutions intestinales une grande quantité de sérosité et beaucoup plus de matière purulente que le travail inflammatoire n’en fournit ordinairement.

Il résulte de ces observations que l’épanchement d’un liquide blanchâtre et de flocons solides de même couleur, attenants aux intestins, sont les produits que l’on rencontre le plus ordinairement chez les femmes qui sont mortes de la fièvre puerpérale, et qu’on ne les trouve jamais, ni au même degré, ni dans les mêmes conditions chez les femmes qui ont succombé à la suite des autres fièvres. — Concluons donc que la fièvre puerpérale consiste dans un trouble notable déterminé par l’épanchement, ou le transport de matières laiteuse ou lochiale susceptibles de produire plusieurs effets morbides à la suite desquels la fièvre puerpérale se déclare.

En dehors des causes en quelque sorte familières qui produisent la fièvre puerpérale, il y a évidemment des causes spéciales qui amènent le même résultat. Elles seules peuvent expliquer ces épidémies redoutables qui éclatent dans les grands centres de population, et, quelquefois au même moment, dans les contrées les plus éloignées les unes des autres, comme on en a eu des exemples en 1713, en 1731 et en 1735 et 1736 ! Quelles sont ces causes spéciales et foudroyantes ? Nul ne le sait ; Hippocrate s’écriait, en parlant d’elles : Quid divinum !

VI. — Les femmes enceintes sont sujettes à des pléthores laiteuses. Aussi voit-on pendant la grossesse la surabondance du lait s’échapper par les seins ; quelquefois aussi les principes constituants du lait sont rejetés, soit par les urines, soit par une salivation abondante, ou par des éruptions fugaces ou par des dépôts. Après les couches, il en est autrement ; si la femme ne nourrit pas, ou bien si, nourrissant, son lait est trop abondant, il se porte sur divers organes importants, sur le péritoine, sur le cerveau, sur la poitrine, où sa présence excite des inflammations très graves et quelquefois la fièvre puerpérale.

VII. — La fièvre puerpérale se déclare ordinairement peu d’heures après l’accouchement ; elle prend le nom de fièvre de lait si elle est éphémère ; quelquefois elle n’apparaît que le troisième ou le quatrième jour, et plus rarement le septième ou le huitième ; elle frappe indistinctement les forts et les faibles, les riches et les pauvres, mais plus souvent les uns que les autres ; elle débute par un ou deux frissons accompagnés d’anxiété et d’un sentiment de tristesse et de découragement ; le visage est pâle et défait ; les traits s’altèrent rapidement ; les yeux, suivant la remarque d’Hippocrate, se couvrent d’une espèce de nuage ; enfin une douleur vive, aiguë, poignante, se fait sentir à l’un des hypochondres ou à la région ombilicale ; la tête devient douloureuse, le pouls s’accélère, la respiration s’embarrasse ; des nausées et des vomissements fatiguent la malade, et alors survient le symptôme en quelque sorte pathognomonique, je veux dire la siccité, la sécheresse absolue, la déplétion complète et subite des seins.

Dans le progrès de la maladie, le ventre se gonfle et se ballonne, mais sans tension ; les viscères abdominaux paraissent mal contenus par les parties membraneuses qui ont perdu leur ressort. Puis le dévoiement survient, et il domine la fièvre par la fatigue extrême dans laquelle il jette la malade ; enfin, à une époque encore plus avancée, il se fait des éruptions miliaires. On peut constater aussi tantôt un assoupissement profond, tantôt, au contraire, un délire furieux comme dans certaines fièvres cérébrales ; quelquefois la poitrine est envahie, et les accidents sont aussi menaçants que dans les péripneumonies les plus graves ; dans d’autres circonstances, les états putrides ou ataxiques se mettent de la partie et précipitent l’événement ; dans presque tous les cas, enfin, une diarrhée colliquative se déclare, la faiblesse va sans cesse en augmentant et la mort arrive du cinquième au onzième jour.

VIII. — Le traitement de la fièvre puerpérale se divise en traitement préservatif ou prophylactique et en traitement curatif.

IX. — Traitement préservatif. — Avant l’accouchement, recommandez l’exercice en plein air ; tenez le ventre libre et prescrivez une saignée dérivative à quatre mois et demi, si le tempérament et l’âge de la femme le permettent. Après l’accouchement, ordonnez à la femme de donner le sein à son enfant, alors même qu’elle se proposerait d’en confier l’allaitement à une nourrice ; qu’elle continue ainsi pendant douze ou quinze jours au moins. Recommandez-lui de rester au lit pendant neuf jours, et de garder la chambre pendant quinze, en ayant soin de suivre un régime alimentaire bien réglé et d’éviter l’action des vicissitudes atmosphériques.

X. — Traitement curatif.Principiis obsta. Agissez donc aussitôt que les premiers symptômes se manifestent ; ils débutent par un ou plusieurs frissons, par des coliques intenses et par une douleur très vive dans la région abdominale. Ici encore, faites donner le sein à l’enfant, afin d’activer la sécrétion laiteuse ; vient-elle à se supprimer, quelle qu’en soit la cause, faites appliquer immédiatement des ventouses sèches sur la poitrine et des fomentations émollientes sur le ventre. Avez-vous affaire à un embarras gastrique ? faites vomir ; à un embarras intestinal, purgez vite avec une boisson délayante aiguisée avec du sel d’Epsom ; prescrivez en même temps des lavements et des injections vaginales. Enfin, si la fièvre est ardente, si les inflammations sont fort intenses, saignez, ou plutôt faites appliquer des sangsues à la vulve. Efforcez-vous aussi de prévenir l’état putride ou ataxique, et si malheureusement ils se déclarent malgré toutes ces précautions, combattez-les vigoureusement ; mais n’oubliez pas que l’indication culminante consiste à surveiller les mouvements critiques, afin de les favoriser conformément à cet aphorisme du père de la médecine : Quò natura vergit, eo ducendum.

Telles sont les propositions exposées dans la thèse de M. X. ; elles résument en quelque sorte les opinions consacrées depuis la plus haute antiquité jusqu’à la fin du dernier siècle. Étudions à présent les théories des modernes, et cherchons les progrès que la médecine a faits ou du moins croit avoir faits depuis soixante ans !