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De la vipère et des moyens de remédier à sa morsure

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DE LA VIPÈRE


ET DES


MOYENS DE REMÉDIER À SA MORSURE




THÈSE


POUR LE


DIPLÔME DE MÉDECIN-VÉTÉRINAIRE


PRÉSENTÉE ET SOUTENUE


à l’École Impériale Vétérinaire de Toulouse


Le 28 juillet 1869


PAR


Jean PETIT
Médecin-Vétérinaire,
Né à Saint-Michel-Montaigne (Dordogne)




TOULOUSE
IMPRIMERIE J. PRADEL ET BLANC
rues des Gestes, 6.
───
1869.




À MON PÈRE & À MA MÈRE


RECONNAISSANCE PROFONDE


――――


À MON FRÈRE


AMITIÉ


――――


À MES PROFESSEURS



J. Petit.
AVANT-PROPOS.


Ce n’est pas assez de lire, dit-on, il faut voir les choses elles-mêmes. Je conviens que j’ai plus lu que vu sur le sujet que je traite ; mais je n’ai pas négligé de voir lorsque l’occasion s’est présentée. J’ai essayé de profiter de tout ce qui était en mon pouvoir : ai-je fait tout ce qu’il faudrait pour qu’on ne désirât rien de plus ? Je suis autant éloigné de vouloir le croire qu’éloigné de le penser moi-même.

Dans le cours de mon travail, j’ai exposé ce que j’ai pu recueillir d’utile dans les divers auteurs qui se sont occupés de ce sujet, j’ai eu soin de citer les observations de beaucoup de praticiens distingués et j’en ai fait mon profit. Sola experientia docet en quæ prosunt que quæ nocent.

La division la plus simple et la plus facile de mon sujet, m’a paru aussi la plus naturelle. Faire connaître dans un premier chapitre les caractères zoologiques de la vipère, les diverses espèces qui règnent en France, l’appareil venimeux et les venins ; telles sont les matières du premier chapitre. Chercher dans le suivant à étudier les piqûres, les phénomènes symptomatiques qui les accompagnent, le pronostic et le traitement ; c’est là ce que j’avais à faire.

Si le désir d’arriver par le travail et le zèle dans les recherches doivent, comme je le pense, attirer la bienveillance des appréciateurs, j’ose espérer qu’ils accorderont à mon expérience encore jeune, toute l’indulgence qu’elle peut réclamer.

Toulouse, le 20 juin 1869.

J. PETIT.


INTRODUCTION.



Vous leur avez envoyé une multitude de bêtes pour vous venger d’eux, afin qu’ils sachent que chacun est puni par où il a péché.
(Sagesse, xi, 16, 17.)


Les animaux domestiques adoucis et apprivoisés par les soins de l’homme, vivant journalièrement avec lui, ont été comme ce dernier reçus à leur apparition sur la surface du globe par une multitude d’ennemis, au nombre desquels les animaux venimeux comptent parmi les plus redoutables. En aidant leur maître dans ses travaux, en servant à son usage journalier, ils sont comme lui susceptibles de se trouver sous l’action de ces êtres redoutables dont l’origine se perd dans le tourbillon des temps. La famille des reptiles, à laquelle ces animaux appartiennent pour la grande majorité, est d’une organisation relativement simple ; aussi, je me permets de formuler sur leur origine l’hypothèse suivante :

Les progrès de la science ont démontré qu’à une certaine époque, après que la masse terrestre fut bouleversée par les grands cataclysmes, la couche atmosphérique, composée d’une grande quantité d’acide carbonique, était impropre à la vie des animaux d’organisation parfaite. Ce fut des êtres des derniers degrés de l’échelle zoologique, qui furent destinés à occuper les premiers cette sphère terrestre couverte alors d’une végétation nombreuse et gigantesque, qui préparait à l’homme une atmosphère en rapport avec la complication de ses organes. Ces premiers habitants du règne animal ont laissé leurs débris dans la terre qui les portait ; ils s’y sont assez bien conservés pour permettre aux naturalistes de notre temps de les classer parmi les animaux terrestres au nombre des reptiles. La vipère dont nous entreprenons l’histoire, existait-elle alors ? Il serait téméraire de ma part de donner à ce problème n’importe quelle solution. Est-elle le résultat de la modification des espèces qui existaient jadis ? Je laisse aux partisans de la génération spontanée et à ceux de la transformation des espèces, le soin de résoudre la délicate question que je viens de poser. Pour moi, dont les moyens ne permettent pas de remonter si haut, je me contente de faire des hypothèses.

« Pourquoi des hypothèses, dira-t-on, pourquoi ne pas s’en tenir aux limites où finit l’observation ? Pourquoi ! Parce que restreinte aux bornes posées jusqu’ici par l’observation, la science médicale laisse subsister de nombreuses lacunes ; parce que poser des hypothèses, c’est ouvrir des voies dans lesquelles peuvent s’engager des observateurs, jusqu’à ce qu’ils aient reconnu qu’elles ne sont que de fausses routes, ou que décidément elles conduisent à la vérité. Le Nouveau-Monde n’a-t-il pas été découvert après une hypothèse ? Est-ce que l’on peut espérer d’avancer la science d’un pas en se retranchant éternellement derrière l’inconnu ? » C’est en ces termes que M. le professeur Lafosse protège ces suppositions de l’esprit, qui souvent dans l’avenir se transportent du domaine des hypothèses dans celui de la réalité.

Cause essentielle d’un état morbide bien moins dangereux pour les animaux domestiques que pour l’homme, la vipère dut dans les premiers temps être chassée comme un animal dangereux, et sa piqûre l’objet des soins médicinaux plus ou moins absurdes connus alors. En effet, l’histoire nous apprend que depuis l’antiquité la plus reculée, ce serpent a inspiré à l’homme et à la plupart des autres êtres animés, des craintes justement fondées et une horreur insurmontable. La vipère se trouve au nombre de ces bêtes immondes, incommodes, qui bien loin de reconnaître leur souverain, l’attaquent à force ouverte et semblent n’exister que pour former la nuance entre le mal et le bien, afin de montrer à l’homme combien, depuis sa chute, il est peu respecté !

Pline, qui écrivit sur presque toutes les branches de l’histoire naturelle, et dont les travaux ne sont qu’une immense compilation dont il puisa les matériaux dans plus de deux mille volumes grecs ou latins tissus d’erreurs, dit que la vipère est le seul serpent qui se cache dans la terre ; elle y peut vivre une année entière, dit-il, pourvu qu’elle ne soit pas saisie par le froid ; pendant tout le temps de sa retraite, elle reste sans venin. Plus loin, l’immortel naturaliste de Côme dit que la vipère a été connue de tout temps. Les premiers peuples la redoutaient et lui faisaient une guerre acharnée ; il rapporte que la tête de la vipère, fût-ce une autre que celle par qui on a été mordu, s’applique toujours avec succès sur la plaie. Il en est de même du reptile tout entier suspendu avec une baguette à la vapeur de l’eau bouillante, parce qu’alors il prévient tout charme funeste. Nigidius va jusqu’à affirmer que les serpents reviennent nécessairement et naturellement vers celui qu’ils ont blessé. Telles étaient les croyances du temps !

Les Scythes fendaient la tête de la vipère pour en retirer une petite pierre qu’elle avale, disent-ils, dans ses instants d’effroi. Les Grecs fabriquaient avec de la viande de vipère des pastilles auxquelles ils avaient donné le nom de thériaque. Probablement que le médicament appelé ainsi de nos jours, et dont on attribue l’invention à Andromaque, premier médecin de Néron, a pour origine ces pastilles vipérines.







DE LA VIPÈRE


ET DES MOYENS DE REMÉDIER À SA MORSURE




CHAPITRE PREMIER


Études zoologiques de la Vipère.


Entre nos ennemis

Les plus à craindre sont souvent les plus petits.

(La Fontaine.)


La Vipère, vipera, est un reptile ophidien appartenant à la famille des hétérodermes de M. Duméril, à la tribu des espèces venimeuses et à la classe des serpents venimeux à crochets mobiles. Les vipériens forment un genre duquel on a fait plusieurs sous-genres qui sont les suivants :

1o Le Trigonocéphale. Il y en a plusieurs variétés. La plus connue est celle qui existe à la Martinique et à Sainte-Lucie et qu’on désigne sous le nom de fer-de-lance ou vipère jaune des Antilles. Sa tête est couverte d’écailles granulées ; sa couleur est variable, tantôt, et c’est le cas le plus rare, jaunâtre, mais le plus souvent gris foncé, brune et même noire. Ces différences de couleur dépendent, au dire de certaines personnes, de l’âge auquel le serpent est arrivé. Le trigonocéphale atteint quelquefois la longueur de deux mètres, mais c’est le maximum ; le plus ordinairement il a d’un mètre vingt centimètres à un mètre soixante. Ce reptile, si redouté à la Martinique, a été étudié particulièrement, il y a déjà quelques années, par MM. Moreau de Jones, Blot, Guyot, etc.

2o Le Plature, qui habite les îles de la mer Indes, a la queue déprimée et la tête couverte de plaques ; le corps est strié de bandes blanches et noirâtres ; il a au maximum soixante centimètres de long.

3o L’Elaps. Ces serpents ont une particularité remarquable dans leur conformation ; leur tête est disposée de telle façon qu’ils ne peuvent la renverser en arrière. Il se trouvent dans la Guyanne.

3o Le Naja. La célèbre couleuvre naja des Indiens, encore appelée par les Portugais cobra de capello, par les naturalistes serpent à lunettes, est une des variétés de ce sous-genre habitant les Indes particulièrement sur la côte de Coromandel. Le naja haje ou aspic de Cléopâtre qui existe en Égypte, forme la deuxième variété. La première a le cou aplati, élargi et présente à sa partie supérieure une tache brune disposée comme un porte agrafe ou comme une paire de lunettes, ce qui lui a valu son nom. Quand l’animal est provoqué, il forme de son cou une espèce de dilatation ressemblant à un capuchon dans lequel il retire sa tête.

3o La Vipère proprement dite, renfermant plusieurs espèces parmi lesquelles se place la vipère commune, qui est très répandue dans certaines contrées de la France, surtout dans le centre et dans les régions du midi. On trouve aussi dans notre pays deux autres variétés qui sont : la vipère ammodyte, qui se rencontre encore en Italie et en Autriche ; la vipère péliade ou vipère de Fontainebleau.


La vipère commune. — Vipera berus, Daudin ; coluber berus, Linnée ; berus subrufus, Laurenti. Cette espèce varie beaucoup de couleur, sa tête est plate, triangulaire, sans plaque et comme tronquée en avant, elle est couverte de petites écailles granulées. À sa partie supérieure, des taches brunes disposées en deux bandes noires forment distinctement un V renversé ; les yeux sont petits, très vifs, étincelants, leur iris est rouge ou d’un jaune doré, leur pupille est noire ; le bord de la mâchoire supérieure est blanc, tacheté de noir ; celui de la mâchoire inférieure est jaunâtre. La langue est d’un gris vert, très molle et fourchue, les deux branches aiguës qui la terminent font qu’elle ressemble à un double dard que le reptile brandit dans sa gueule surtout quand il menace de mordre ; on en a fait l’emblème de la Calomnie. Le corps est d’un gris cendré ou brun avec une ligne noire en zig-zag sur le dos, une rangée de taches noires occupe chacun des flancs ; le dessous du corps est d’un gris d’acier ou de couleur ardoisée, quelquefois rougeâtre. La queue est plus courte et plus obtuse que celle des couleuvres. La longueur de la vipère est au maximum de soixante-dix centimètres, rarement elle en atteint quatre-vingt-cinq ou même quatre-vingt ; il y en a qui n’ont que quarante centimètres. La vipère commune se trouve assez fréquemment dans notre belle France, on pourrait presque dire particulièrement et même exclusivement. On la rencontre dans le bois de Montmorency, dans la forêt de Fontainebleau, et dans plusieurs provinces du midi, dans la Bourgogne, etc.


La vipère ammodyte ou à museau cornu. ― Vipera ammodytes ; coluber ammodytes, Linn. ; vipera illyrica, Aldrovandi. Cette vipère est d’une teinte générale d’un brun terreux avec des taches triangulaires, brun foncé sur le dessus du corps ; son caractère le plus singulier, c’est d’avoir le museau prolongé en une pointe molle retroussée, couverte de petites écailles ; la tête est plus triangulaire, son aspect plus hideux que celui de la vipère commune, et comme elle atteint assez communément la taille d’un mètre, elle est beaucoup plus redoutée des paysans du Dauphiné et de la Provence. On ne l’a encore trouvée en France qu’aux pieds des Alpes. Elle est commune dans le sud-est de l’Europe. Elle recherche les lieux arides, les pentes des rochers exposés en plein soleil, et se nourrit de petits quadrupèdes et d’oiseaux dans les nids desquels elle établit souvent son domicile.


La vipère péliade. — Encore désignée sous le nom de vipère de Fontainebleau, elle ressemble absolument à la vipère commune, avec cette différence qu’elle a une grande plaque sur le sommet de la tête, qui elle-même est peu rétrécie au cou, ce qui lui donne l’aspect d’une couleuvre. Il y en a une variété toute noire ; taille de quarante centimètres au plus, elle se rencontre plus communément dans les forêts de Fontainebleau, de Compiègne, de Montmorency et dans tout le nord, que la vipère commune : elle a même été trouvée jusqu’en Norvège. Sa ressemblance avec la couleuvre vipérine est telle, que M. Dumeril, professeur d’erpétologie au Muséum, a confondu un jour les deux espèces, et cette erreur a été cause d’un accident sur sa propre personne qui n’a pas été sans lui causer quelque inquiétude.


Appareil venimeux de la Vipère.


L’appareil spécial auquel les vipères doivent leurs dangereuses facultés, se compose d’une glande volumineuse placée de chaque côté de la tête, au-dessous de l’œil et chargée de sécréter le venin. Cet organe glandulaire se trouve situé sous les muscles crotaphytes, son canal d’excrétion est représenté par un conduit dont deux crochets recourbés et mobiles de la mâchoire supérieure sont pourvus. Voici comment Cuvier décrit la disposition des crochets chez les serpents venimeux :

« Ces os (les maxillaires supérieurs) sont fort petits, portés sur un long pédicule analogue à l’apophyse ptérigoïde externe du sphénoïde, et très mobiles ; il s’y fixe une dent aiguë percée d’un petit canal qui donne issue à une liqueur sécrétée par une glande située sous l’œil. C’est cette liqueur qui, versée dans la plaie par la dent, porte le ravage dans le corps des animaux, et produit des effets plus ou moins funestes suivant l’espèce qui l’a fournie. Cette dent se cache dans un repli de la gencive, quand le serpent ne veut pas s’en servir, et il y a derrière elle plusieurs germes destinés à se développer et à la remplacer si elle se casse dans la plaie. Les naturalistes ont nommé les dents venimeuses crochets mobiles, mais c’est proprement l’os maxillaire qui se meut ; il ne porte point d’autres dents, en sorte que chez ces serpents malfaisants, l’on ne voit dans le haut de la bouche que les deux rangées de dents palatines[1]. »

Quand la morsure a lieu, la glande sécrétoire enveloppée d’un tissu fibreux, se trouve comprimée par les os de la mandibule et par le muscle crotaphite ; nécessairement alors le fluide délétère s’épanche dans la plaie opérée par les crochets redressés, en passant par le conduit intra-dentaire qui se prolonge, jusqu’à la pointe de la dent.

Les glandes qui préparent ou qui sécrètent l’humeur venimeuse, sont constituées par des follicules rameux dont les petites tiges frangées porteraient des feuillées pennées, creusées de petits canaux qui tous aboutissent dans un conduit lequel devient le canal unique et excréteur qui lui-même aboutit dans la dent, après s’être légèrement dilaté pour former une sorte de réservoir où l’humeur sécrétée peut s’accumuler. M. Soubeyran dit que cette humeur ne s’écoule pas d’une manière continue ; c’est que le crochet, en se repliant pour rentrer dans la bouche, détermine un pli ou un point d’appui sur l’os en bascule dans la direction du conduit dont les parois rapprochées l’obstruent ainsi momentanément.


Étude des mœurs de la Vipère.


La vipère commune est aussi petite, aussi faible, aussi innocente en apparence que son venin est dangereux. Ses couleurs ternes et sombres, ses mouvements agiles, ne sauraient en aucune façon lui attirer une attention que l’affreux poison distillé par ses crochets lui a mérité de tout temps.

(Lacépède.)


La vipère recherche les cantons boisés, montueux et pierreux, les terrains en pente au midi, la lisière des taillis secs, les rochers et les sables exposés au soleil. Quoique moins craintive que les couleuvres, elle fuit dès qu’elle entend du bruit ; cependant, comme elle est lente dans ses mouvements et qu’elle dort au soleil dans les sentiers des bois, on risque souvent de marcher dessus quand on n’y fait pas attention. Il y a des cas pourtant où, confiante dans sa force, c’est-à-dire dans le poison qu’elle distille, elle n’hésite pas à se jeter sur les animaux et même sur l’homme qui la dérangent.

Elle habite toute l’Europe tempérée et méridionale, on la trouve aux environs de Paris, de Rouen, de Lyon, de Grenoble, de Poitiers, d’Angers, de Montpellier, de Toulouse, de Bordeaux et dans toute la France ; dans les îles Britanniques, en Allemagne, en Suède, en Pologne, en Prusse, en Italie et jusqu’en Sibérie et en Norvège.

Pendant l’hiver, les vipères sont réunies en certain nombre dans des trous, sous des tas de pierres, dans des fentes de rochers, sous des souches et dans du bois mort et des fagots, où réunies et entrelacées en nombre quelquefois considérable, elles s’endorment d’un sommeil léthargique pendant les quatre mois de la rigoureuse saison.

Cependant, si le thermomètre remonte à une température moyenne de quinze degrés, elles se raniment et sortent quelquefois de leurs retraites en plein mois de décembre. Ainsi donc il ne serait pas étonnant qu’on trouvât la vipère dans quelques granges si mal entretenues de nos campagnes, où l’on va même jusqu’à rassembler du bois. Abritée ainsi, elle peut, quand la température n’est pas très basse, exercer son venin sur nos animaux domestiques. L’aventure curieuse qui arriva à un fermier de Sologne le jour de ses noces, vient à l’appui de ce que nous avançons : Quarante personnes étaient réunies autour de la grande table de la cuisine pour célébrer ce grand jour par un de ces repas homériques à la mode du pays ; dehors il gelait à pierre fendre et l’on avait calfeutré avec soin toutes les ouvertures de la salle. Un grand feu brûlait dans l’âtre, et, pour l’alimenter toute la nuit, on avait entassé dans un coin une montagne de fagots et de genêts.

Au moment où le marié, qui était bon chanteur, allait entonner le premier couplet d’une ronde interminable, un grand bruissement se fit entendre dans les feuilles et les branches sèches ! L’assistance crut que c’était une nichée de rats et les quolibets se mirent à pleuvoir. Le marié furieux, s’approcha et tira brusquement les branches des fagots : quelque chose sauta en bas, puis autre chose encore, puis dix, puis vingt… La salle était pleine de vipères qui, réveillées par la chaleur et effarées par le bruit, couraient dans tous les sens en sifflant et en cherchant une issue ! Qu’on juge de l’épouvante générale : c’était un danger affreux ! Heureusement qu’il n’y avait là que de robustes paysannes qui ne se trouvèrent pas mal, et que les spectateurs eurent l’heureuse idée de monter sur la table pèle-mêle avec les plats et de renverser les bancs sur lesquels ils étaient assis. À cette hauteur, ils étaient à l’abri comme sur un îlot, et ils voyaient sans crainte le flot de vipères rouler autour d’eux sans pouvoir les atteindre.

Enfin une fille de ferme qui était restée au dehors entendit leurs appels réitérés, et sur l’ordre de son maître, ouvrit les fenêtres et les portes ; le froid qui pénétra eut bien vite calmé l’agitation des vipères qui rentrèrent successivement dans leurs fagots qu’on jeta dans la cour. En les défaisant le lendemain, on y trouva plus de trente de ces reptiles engourdis, et qui, repliés sur eux-mêmes, ne formaient qu’une grosse boule hideuse !

C’est surtout dès les premiers beaux jours du printemps, dans la matinée, qu’on les voit recevoir la bénigne influence du soleil sur les collines exposées au levant. Bientôt elles s’accouplent et restent pendant un temps fort long, dans une copulation dont le résultat est de vivifier de douze à vingt-cinq œufs, à peine aussi gros que ceux des roitelets et des mésanges et qui éclosent dans le ventre de la femelle ; là, le vipereau, roulé sur lui-même, atteint la taille d’un décimètre environ avant de paraître à la lumière, ce qui arrive habituellement dans le quatrième mois qui suit l’accouplement.

La vipère se nourrit de petits quadrupèdes, de souris, de mulots, de taupes, de lézards, de grenouilles, de crapauds, de salamandres, de jeunes oiseaux et d’insectes, comme des mouches, des fourmis, des cantharides et même des scorpions selon Aristote. Elle mange aussi des mollusques et des vers, et de même que tous les ophidiens, elle peut, sans en souffrir notablement, supporter un jeûne de plusieurs mois.

La vipère, comme les autres serpents venimeux, ne s’élance sur l’homme ou les animaux que quand elle y est forcée ; presque toujours elle fuit, rarement elle poursuit. Lorsqu’elle se voit menacée, alors elle se roule sur elle-même, en formant plusieurs cercles concentriques ou superposés : tout le corps est ramassé sous la tête. « Celle-ci est placée au sommet et au centre de cet enroulement, retirée un peu arrière par une espèce de crochet de la dernière vertèbre cervicale, comme une vedette toujours en observation, comme un trait toujours prêt à partir. Lorsque l’animal veut s’élancer, il se débande comme un ressort, allonge sa masse avec une telle vitesse, que pendant un instant on le perd de vue, que l’éclair n’est pas plus prompt[2]. » Dans cette impulsion, la vipère franchit un espace tout au plus égal à sa longueur, la queue constamment appuyée sur le sol, elle se trouve ainsi toujours prête à reprendre sa position première, c’est-à-dire à s’enrouler de nouveau pour s’élancer une deuxième fois quand elle a manqué son coup, ou qu’elle veut en frapper un second. Cette position particulière n’est pas indispensable au serpent pour qu’il puisse frapper son adversaire, ce n’est que quand il veut s’élancer à une certaine hauteur qu’il doit se plier en cercle. Pour opérer sa morsure, la vipère ouvre largement la gueule, redresse ses crocs, les place dans la direction qu’elle veut atteindre et les enfonce par le mouvement de la tête, qui lui sert comme d’un marteau, et les retire immédiatement. La mâchoire inférieure, qu’elle rapproche en même temps, lui sert de point d’appui pour favoriser l’introduction des crochets. Quand elle a manqué son coup, ou qu’elle est violemment irritée, elle renouvelle ses morsures.

Les vipères ont la vie très dure, on cite l’histoire d’un de ces animaux qui, après avoir subi des tortures, fut posé et arrangé sur du plâtre pour en obtenir un moule et qui le lendemain, lorsque l’artiste enleva la calotte qui le recouvrait, s’échappa plein de vie et en cherchant à mordre la main qui le délivrait. On a vu des vipères survivre à la submersion pendant plusieurs heures dans l’huile, même dans l’eau-de-vie. Des têtes cherchaient à mordre, après qu’on les avait séparées du tronc pour en obtenir des bouillons médicinaux. Dans beaucoup d’officines de pharmacien, on la conserve dans des tonneaux pendant plusieurs années sans lui donner à manger.


Étude des venins.


On désigne sous le nom de venin un produit toxique sécrété physiologiquement par des animaux, et dont les effets varient depuis la simple démangeaison, jusqu’aux souffrances qui peuvent déterminer la mort.

Les venins diffèrent des virus en ce que ceux-ci sont des produits morbides, accidentels, hétérogènes à l’organisme, dont les effets sur l’économie ne se manifestent qu’au bout d’un certain temps ; ils ont besoin d’une période d’incubation, tandis que l’action des venins est toujours instantanée.

Chez la vipère, le venin se présente sous la forme d’un liquide de consistance tenant le milieu entre celle de l’huile d’olive et du solutum aqueux de gomme arabique, il est transparent, visqueux, dépourvu de réaction acide et alcaline. Chez les serpents à sonnettes et chez les trigonocéphales, le venin, qui est des plus actifs, est d’une couleur verte. Chimiquement, ce produit physiologique est composé chez les vipériens, d’eau, d’un principe colorant jaune soluble dans l’alcool, de matières animales, telles que de l’albumine ou de mucus, d’une matière grasse, de sels, et enfin d’un élément essentiellement venimeux désigné sous le nom de vipérine. La vipérine ressemble beaucoup à la ptyaline, principe actif de la salive des mammifères dont elle s’en distingue par quelques réactions alcalines.

Placé sur la langue, le venin produit une sensation de saveur fraîche analogue à celle de la graisse des animaux, mais qui laisse à la gorge un goût excessivement âcre et désagréable. Son odeur est à peu près celle de la graisse de la vipère, quoique moins nauséabonde. Lorsqu’on l’a soumis à la chaleur, il se dessèche en devenant épais et collant aux corps qui le touchent, et enfin il se durcit en forme d’écailles. Il parait être de nature gommeuse.

Si l’on met du venin de vipère, ou de la vipérine, dans un vase avec du sang d’un animal à sang chaud, ce sang noircit et devient incoagulable. Le même effet se produit avec le sang de reptile naturellement peu plastique. Avec le sang de mammifères, il ne surnage pas de sérum, mais il s’en forme beaucoup au contraire avec celui des reptiles et des batraciens.

Fontana s’est livré à des recherches multipliées sur le venin de la vipère, dans le but de déterminer la gravité des morsures de ce reptile venimeux. Dans ses expériences, qui se rapprochent de six mille, il a reconnu différents faits dont nous allons donner le résumé :

Le venin de la vipère est sans action sur les animaux à sang froid ; inoculé à l’escargot, à la limace, à la couleuvre, à la vipère elle-même, il reste sans effet.

Il est toxique pour les animaux à sang chaud. La dose nécessaire pour déterminer la mort est subordonnée à l’espèce qui la reçoit, à la taille et à l’âge du sujet.

1/2 milligramme tue un moineau,
3 un pigeon,
15 centigrammes seraient nécessaires pour tuer un homme
60 ou un bœuf.

La vipère commune n’en fournissant que 10 centigrammes environ, il est rare qu’elle puisse tuer un homme, tandis que le trigonocéphale et surtout le serpent à sonnettes, beaucoup plus volumineux, en fournissent une quantité suffisante pour faire périr non-seulement un homme, mais même de gros mammifères.

Mangili[3] a prouvé par de nombreuses expériences, contrairement à ce que Fontana avait avancé, que le venin pouvait être pris à l’intérieur sans déterminer des accidents. Ce que l’on sait aujourd’hui de l’action décomposante du suc gastrique sur toutes les substances animales, explique pourquoi le venin de la vipère est sans effet quand il a été mis en contact avec les parois de l’estomac. Claude Bernard a vu, en faisant manger une soupe envenimée assaisonnée avec du curare à un chien, que le suc gastrique ne détruisait pas les propriétés toxiques du venin, puisque le contenu de l’estomac retiré à l’aide d’une fistule gastrique et inoculé à des animaux à sang chaud, leur avait donné la mort en deux minutes, bien que le carnivore n’en eût ressenti aucun effet. Probablement qu’il aurait obtenu un résultat opposé si le séjour du poison dans l’estomac eût été plus long.

Fontana avait prétendu que le venin, desséché et conservé depuis plus d’un an, inoculé dans le tissu cellulaire d’un animal, ne déterminait aucun effet. Mangili a prouvé que les accidents étaient aussi redoutables que s’il était frais. Voici des faits qui viennent à l’appui de son assertion. On cite l’histoire d’un homme qui fut mordu au pied à travers ses bottes et qui en mourut. Ces chaussures passèrent successivement à deux personnes qui périrent peu d’instants après les avoir mises. On découvrit que le crochet assassin était demeuré engagé dans le cuir et avait légèrement blessé ces deux malheureux.

Des empailleurs, des préparateurs naturalistes ont éprouvé des accidents graves, pour s’être piqués à des crochets venimeux qui étaient conservés depuis longtemps dans l’alcool.

Pour qu’un venin agisse, il faut qu’il se trouve en contact avec une plaie ou une surface dénudée. Toutes les parties du corps ne transmettent pas également l’influence du poison. Quand le produit léthifère est déposé sur le cerveau, les nerfs, la dure-mère, il ne donne lieu qu’à des symptômes peu appréciables, quelquefois nuls. Introduit au contraire par la peau dépouillée d’épiderme ou par le tissu cellulaire, il agit avec une extrême promptitude. Les mamelles, le ventre, le poitrail sont les régions les plus susceptibles de présenter les phénomènes les plus graves.

L’effet du venin appartenant à une espèce de serpent varie en intensité avec l’âge, la taille, le climat, la température, la saison et la quantité du produit toxique. Il sera d’autant plus dangereux que l’ophidien sera plus âgé ; il le sera plus dans les climats chauds que dans les climats tempérés, pendant l’été que pendant l’hiver. Il faut aussi le dire, la piqûre sera plus à redouter le matin que dans l’après-midi, et elle sera peut-être inoffensive, si le serpent vient de verser son produit délétère. Voici des expériences qu’on a faites à ce sujet. On a fait piquer successivement et coup sur coup plusieurs animaux par un serpent : le premier mourait très promptement ; le deuxième éprouvait des accidents fort graves et ne tardait pas à mourir ; enfin, le dernier n’en ressentait aucun désavantage. C’est probablement à ces diverses particularités, jointes à la quantité peu considérable de venin sécrété par la vipère, qu’il faut attribuer la fréquence de guérison de ces sortes de morsures.

L’influence des venins ne s’exerce pas seulement sur les êtres du règne animal, mais il est encore prouvé expérimentalement qu’elle atteint et frappe de mort pour quelque temps, le végétal qui en a été inoculé ; si la dose est en quantité suffisante, il meurt pour toujours.

En résumé de ce qui précède, nous dirons : 1o La morsure de la vipère, abandonnée à elle-même, est toujours suivie d’accidents graves, elle peut déterminer la mort, surtout chez les sujets faibles. 2o Lorsque la vipère est prise depuis peu, sa morsure est plus dangereuse que dans le cas où on l’a gardée longtemps, cependant elle ne perd pas entièrement ses qualités venimeuses lors même qu’on l’a tenue longtemps enfermée sans lui donner de nourriture. 3o Si la vipère mord plusieurs fois dans la journée, la première morsure est la plus délétère, tout étant égal d’ailleurs. 4o Les animaux meurent plus promptement s’ils sont mordus un égal nombre de fois dans deux parties, que s’ils ne le sont que dans une seule. 5o La partie qui a reçu seule autant de morsures que les autres ensemble est sujette à une maladie externe beaucoup plus grave. 6o Le danger que courent les animaux qui ont été mordus, est en raison de l’intensité des symptômes et de la promptitude avec laquelle ils se manifestent. 7o Les climats, les saisons, le tempérament influent singu­lièrement sur la nature et la marche plus ou moins rapide des symptômes occasionnés par la morsure de ces animaux. 8o En général, le venin peut être introduit impunément dans l’estomac, il en est de même lorsqu’on l’applique sur les nerfs. 9o Les accidents qu’il détermine paraissent dépendre de son absorption, de son transport dans le torrent de la circulation et de l’action qu’il exerce sur le sang ; desséché, il agit encore avec la plus grande intensité.


CHAPITRE II


Des ennemis de la Vipère et des suites de sa morsure.


Les ennemis que la vipère possède dans la nature sont peu nombreux. L’homme lui fait une guerre acharnée continuelle en vue d’en obtenir quelques soulagements aux maux qui l’accablent, ou de se débarrasser d’un voisinage dangereux pour sa propre personne et pour les animaux domestiques ses fidèles compagnons de travail. Parmi ces derniers, le porc est celui qui résiste le plus à l’action des ophidiens venimeux de nos pays ; on l’a vu souvent dévorer ces reptiles et n’en éprouver dans la suite aucun effet ; c’est l’épaisseur de son lard qui le met à l’abri de leurs morsures. Les faucons et les hérons se nourrissent de la vipère, la poule lui fait aussi la guerre avantageusement. Tous les autres animaux domestiques ou sauvages la fuient.

Dans certaines contrées de la Russie et de la Sibérie, on porte dit-on un respect singulier aux vipères, par suite de la croyance où l’on est que, si l’on venait à tuer un de ces reptiles, on s’exposerait immédiatement à la vengeance de tous les autres individus de son espèce. En conséquence ces animaux que personne ne cherche à combattre, se multiplient là d’une façon incroyable, tandis que dans les contrées plus civilisées de l’Europe, le nombre en diminue progressivement de jour en jour.

Le danger qui accompagne la morsure de la vipère chez l’homme, est une cause suffisante pour expliquer l’espèce de proscription à laquelle elle est vouée généralement. De tous les reptiles venimeux de l’Europe, elle est sans contredit, celui dont la piqûre détermine dans l’espèce humaine les symptômes les plus graves, les plus effrayants, le plus souvent mortels, quoique pour empêcher l’effet délétère de ses piqûres, il suffise, à l’exemple des charlatans de l’Europe, de boucher avec une cire molle le trou de chacun de ses crochets à venin, sans que même il soit besoin d’imiter les Psylles de l’Inde et les jongleurs de l’Égypte, qui arrachent complètement ceux-ci.

De tous les animaux domestiques qui se trouvent au service de l’homme, le chien, cet ami si fidèle et si utile, est celui qui est le plus exposé à la morsure de la vipère ; c’est aussi pour lui qu’elle est le plus redoutable. C’est pendant qu’il travaille pour son maître à la recherche du gibier dans les bois et dans les taillis, qu’il est ordinairement atteint par ces animaux venimeux. Le cheval, l’âne, le mulet et le bœuf, sont susceptibles d’être piqués alors qu’ils pacagent dans les prairies, sur les lisières des bois et dans les forêts ; c’est aussi dans ces conditions que le mouton se trouve exposé à être atteint par ces espèces d’ophidiens. Les expériences fort intéressantes de Paulet démontrent que la piqûre de la vipère n’est nullement dangereuse pour les solipèdes et les ruminants, le mouton excepté. M. Chanel rapporte cependant un fait qui se trouve être en contradiction avec ce qu’a dit Paulet ; il cite un cas d’une jument poulinière qui succomba d’une morsure de vipère à la mamelle ; M. Cruzel, de Grenande[4] dit qu’il a vu plusieurs bœufs piqués aux lèvres par la vipère, mais que jamais il n’en a vu mourir des suites de cette piqûre. Voici comment s’exprime ce praticien distingué : « D’ailleurs une circonstance particulière préserve souvent les bœufs de l’absorption du venin de la vipère. On sait qu’elle est la contexture anatomique de la langue du bœuf ; elle est recouverte d’une membrane épidermoïque qui acquiert la dureté et la forme d’une râpe. Cette langue est longue, très flexible, et le bœuf s’en sert pour se gratter, se lécher, etc. Or, à la plus légère sensation que peut lui faire éprouver la piqûre de la vipère, faite aux lèvres, comme à d’autres parties où elle peut atteindre, la langue vient passer vivement sur l’endroit où existe la sensation subite, et dans le cas de piqûre de la vipère, elle enlève d’un seul coup le venin déposé bien souvent, selon toutes les probabilités, avant qu’il ait eu le temps d’être absorbé. Une fois enlevé par la langue, il se trouve délayé dans la salive, ou du moins passe dans les voies digestives, et ne peut plus produire aucun effet malfaisant. »

Les chimistes, les zootomistes, les naturalistes, les médecins, les empiriques se sont efforcés les uns d’apprécier la nature du venin de la vipère ; quelques-uns ont cherché à en déterminer les effets d’une manière précise, enfin les autres ont voulu découvrir les moyens les plus efficaces pour en arrêter les effets. De leurs travaux, créés sur une foule d’hypothèses plus ou mois absurdes, ont jailli quelques vérités utiles. Ce sont celles-ci que nous avons pris à tâche de signaler, en passant toutefois sous silence l’opinion du pharmacien Charas, qui prétendait que le venin de la vipère résidait, non pas dans la liqueur versée par les crochets, mais bien dans ses esprits irrités.


Symptomatologie.


Nous avons déjà eu l’occasion le dire que le venin de la vipère n’est constamment mortel que pour les animaux d’un petit volume, et paraît d’autant plus dangereux pour les grandes espèces que le serpent avait, au moment de l’attaque, une plus grande quantité de venin en réserve ; qu’il a multiplié davantage ses morsures ; que la température du climat ou de la saison est plus chaude. Les symptômes, qui sont locaux et généraux, sont donc plus ou moins formidables, selon ces diverses circonstances


Symptômes locaux. La morsure est d’abord peu sensible ; mais quelques instants après, la région devient le siège d’une douleur aiguë qui ne tarde pas à s’irradier au loin. En même temps, une tuméfaction accompagnée d’élancements se produit autour de la partie atteinte, souvent cette enflure gagne tout le corps, et au bout de quelques minutes seulement la vie est détruite ; dans ce cas, les derniers moments de l’agonie paraissent être extrêmement douloureux. Heureusement, il n’en est pas toujours ainsi ; le plus souvent l’engorgement œdémateux ainsi que l’auréole inflammatoire sont limités aux parties avoisinant la piqûre, dont les bords présentent quelques petites phlyctènes. La douleur et l’inflammation semblent suivre le cours des gros cordons nerveux et des vaisseaux lymphatiques ; une sorte de feu semble glisser dans les espaces intermusculaires. Souvent les accidents s’arrêtent là et le blessé ne tarde pas à ressentir les effets d’une heureuse guérison. Dans certaines circonstances, les symptômes locaux sont alarmants, mais cependant pas assez forts pour résister au principe vital. C’est ainsi qu’on a été plusieurs fois témoin de la guérison d’une piqûre de vipère qui avait déterminé des engorgements considérables, des colorations violacées de la peau, son refroidissement et même la formation d’escharres gangréneuses dont l’élimination était suivie du retour à l’état normal de toutes les fonctions. Tous ces phénomènes ne se montrent que chez le chien ou le mouton, ceux que présentent nos grandes espèces sont d’une faible intensité ordinairement.


Symptômes généraux. Inappétence, dypsnée extrême, surtout quand la piqûre a été faite dans la région de l’encolure, principalement dans celle de la gorge ; le pouls est dur, fréquent et irrégulier. Bientôt se manifestent des vertiges, des lipothymies, des nausées, des tremblements, des vomissements de matières jaunes, des troubles intellectuels, des crampes, des convulsions ; on remarque aussi des sueurs froides et collicatives. La bouche sèche s’enflamme, la soif devient intense et inextinguible, la langue se tuméfie au point de ne pouvoir plus être contenue dans la bouche, le sphincter de l’anus se relâche, une sorte de paralysie du col de la vessie se produit, et comme conséquence on observe des défécations et des évacuations d’urine involontaires. Le froid, qui n’existait d’abord qu’aux extrémités, gagne de proche en proche tout le corps, et la mort ne tarde pas à mettre un terme aux souffrances atroces qui dévorent le malade.

De même qu’ils varient en intensité, les accidents se développent avec plus ou moins de rapidité. On a vu mourir en trente-sept heures des chiens qui avaient été mordus à la cuisse par une vipère, tandis qu’il y en a d’autres qui n’ont pas résisté plus de huit heures à l’influence du venin de ce reptile. Cette différence n’est pas étonnante aux yeux de celui qui se donne la peine de réfléchir, et peut être expliquée d’une part, par des circonstances relatives à l’animal agresseur, comme sa force, sa grosseur, le degré de colère dans lequel il est plongé, la quantité de venin qu’il a versé dans la plaie, le nombre de morsures qu’il a faites, la contrée plus ou moins méridionale qu’il habite, la température de la saison ; et, d’autre part, par des causes appartenant à l’animal blessé, telles que sa constitution, son âge, sa susceptibilité nerveuse, la frayeur qu’il a pu éprouver, l’état de plénitude ou de vacuité de ses viscères digestifs au moment de l’accident, la nature de la partie lésée et sa structure plus ou moins vasculaire.

M. Léon Soubeiran, dans sa thèse sur la vipère et son venin, cita le fait curieux d’un individu qui, mordu six ans auparavant, affirmait que chaque année pendant un mois, à partir de l’époque correspondante à celle de la morsure, il éprouvait des douleurs assez vives dans le bras siège de cette lésion.

M Georges Villers, du Calvados, a constaté une enflure périodique se reproduisant chez des chiens pendant plusieurs années à la suite de morsures de vipère. La première observation n’était donc pas un fait unique et offrait plus que l’intérêt d’un cas exceptionnel. La Gazette hebdomadaire a publié dans son numéro du 6 novembre 1864, une nouvelle observation dans laquelle M. le docteur Demeurat, de Tournan, montre une femme de soixante-cinq ans, laquelle fut mordue à l’avant-bras par une vipère, et qui depuis trente-neuf ans ressentait sur le siège de la morsure, le 28 mai de chaque année, une éruption bulleuse avec sentiment d’urtication, sans que la santé de la malade en éprouvât aucune altération.


Nécropsie. — Il est digne de remarque que les recherches ne font découvrir aucune espèce d’altération matérielle. Le sang seul, modifié dans son caractère, est noir, fluide, incoagulable. Certains physiologistes connus par leurs savantes recherches, au nombre desquels nous devons citer Fontana, Claude Bernard, Bérard, ont vu les globules rouges déformés, plus volumineux qu’à l’état normal.


Traitement.


La morsure de la vipère, comme toutes les plaies envenimées, exige des soins immédiats ; car il importe surtout de neutraliser le poison avant qu’il ait pénétré dans le torrent circulatoire. Trois indications se présentent tout d’abord : 1o Interrompre la communication de la partie blessée avec la circulation générale ; 2o faire sortir le venin de la plaie ; 3o le détruire sur place.

La première chose à faire après une piqûre de vipère, c’est d’exercer la compression. Ce moyen mécanique s’exerce avec le premier lien venu qui tombe sous la main : une corde, une cravate, un mouchoir, un lien d’osier peuvent être un moyen de salut. Inutile de dire comment la ligature retarde l’absorption ; il se produit alors ce qui se passe quand un tube à parois souple donne passage à un filet d’eau et qu’il vient à être comprimé. Les ligatures qui déterminent la compression ne doivent pas être serrées trop fortement et demeurer trop longtemps en place, parce qu’elles pourraient déterminer des congestions mécaniques dans les parties excentriques et devenir la cause d’une mortification des tissus.

La deuxième indication ayant pour but l’élimination du produit léthifére se remplit de la manière suivante. Immédiatement après avoir appliqué la ligature, on scarifie les environs de la plaie, au-dessous du lien qui détermine la compression. Cette mesure est conseillée par les uns et repoussée par les autres. Ceux-ci disent que les scarifications favorisent l’absorption du venin, comme en général toutes les évacuations sanguines. Cette manière de voir a il est vrai pour fondement les données d’une saine physiologie et il serait illogique de la réfuter ; mais réfléchissons un peu à l’état des choses au moment où la compression existe et quand les scarifications sont faites. Il y a écoulement du sang infecté et une grande difficulté pour lui de revenir dans le centre de l’arbre circulatoire. Par conséquent, si l’absorption est favorisée, ce n’est que d’une manière simplement locale, et ce qui est absorbé d’un côté est éliminé de l’autre presque immédiatement après. Tous les phénomènes qui se produisent ne sont que locaux.

Les Indiens de la Floride connaissent les résultats de la compression ; ils en font usage pour toute espèce de plaies envenimées. Ils ont le soin, quelques instants après avoir appliqué leur ligature, de la desserrer à plusieurs reprises. Ainsi, ils fractionnent la quantité de venin en un grand nombre de petites doses dont l’action de chacune reste pour ainsi dire sans produire aucun effet. Il faut se défier des remèdes empiriques auxquels l’ignorance des paysans ajoute une si grande foi, et dont d’habiles médecins ont démontré par expérience la plus complète inefficacité.

En médecine humaine on recommande la succion instantanée comme moyen héroïque. Peu de personnes voudraient l’employer chez nos animaux domestiques. Les Psylles, chez les anciens, suçaient sans danger les plaies des serpents venimeux. Dans les Antilles, il y a des Nègres qui exercent encore cette profession.

On supplée à la succion au moyen d’une ventouse ; mais comme cet instrument peut faire souvent défaut, on prend un flacon chauffé dont on applique l’embouchure sur la plaie. La ventouse ou le flacon ont l’avantage d’opérer outre l’effet de la succion, celui d’empêcher ou de diminuer l’absorption par la pression que leur bord détermine autour de la piqûre. En attendant que l’appareil soit porté à la température voulue, on lave à grande eau les bords et l’intérieur de la plaie. Dans le cas où on n’est pas à la portée d’une source ou d’un courant d’eau, on se procure par un acte physiologique, placé sous la dépendance de la volonté, une certaine quantité de liquide sécrété par les reins et en réserve dans la vessie.

La première et la deuxième des conditions étant remplies, il en reste encore une troisième qui consiste à neutraliser le venin déposé dans les plaies ; on y parvient à l’aide de caustiques soit actuels, soit potentiels. Les premiers sont ceux qui peuvent être employés le plus fréquemment : une tige de fer, soit un clou, soit une lame de couteau chauffée au blanc forment tout l’appareil nécessaire pour cautériser une plaie. Parmi les caustiques potentiels, l’ammoniaque est celui qui a été le plus employé, elle est devenue d’une grande popularité surtout depuis Bernard de Jussieu. Les chasseurs ont soin de se munir de ce léger caustique et d’en frictionner les bords de la plaie après en avoir instillé quelques gouttes dans l’intérieur de celle-ci. L’efficacité longtemps attribuée à l’ammoniaque tenait beaucoup au peu de gravité des blessures qui auraient pu guérir sans aucun soin. Aujourd’hui que l’on croit moins au grand danger de la morsure de la vipère, la réputation de l’ammoniaque est un peu tombée, et c’est avec raison ; car en réalité cet alcali n’est pas assez actif pour la morsure des grosses vipères, c’est-à-dire quand il y a un danger réel. On doit employer comme caustique plus énergique, la potasse caustique, la chaux, l’azotate d’argent, le chlorure d’antimoine, des acides puissants, l’huile bouillante, les moxas. On fait usage de substances âcres et irritantes, comme le tabac, la moutarde, l’oignon, certains euphorbes et surtout l’Euphorbia cyparicias. Nous comptons peu sur l’efficacité de ces diverses matières.

M. le docteur Rodet, de Lyon, a préconisé une liqueur antivirulente sur laquelle, de concert avec son frère, directeur de l’École vétérinaire de la même ville, il a fait des expériences qui prouvent en sa faveur, surtout pour les venins. En voici la formule :

Pr.
Eau distillée 
 32
grammes.
Perchlorure de fer 
 16
Acide citrique 
 5
Acide chlorhydrique 
 5

Faites dissoudre l’acide citrique dans l’eau et ajoutez successivement l’acide chlorhydrique et le perchlorure.

Cette préparation vient, comme l’a dit M. Tabourin, remplacer avec avantage le flacon d’alcali que contient ordinairement la gibecière du chasseur.

On emploie avec succès des frictions d’ammoniaque, de vinaigre, d’eau-de-vie, du jus de citron, etc. ; des compresses imbibées avec ces substances produisent de très bons effets. Nos soldats de l’Algérie ne connaissent guère que l’emploi du trois-six contre les morsures de la vipère. Les phlegmons, les abcès, la gangrène locale qui se développent quelquefois sont traités par des moyens thérapeutiques particuliers dont je ne m’occuperai pas ici.

Voici une autre préparation qui a procuré de grands succès :

Pr.
Eau 
 50
grammes.
Iodure de potassium 
 4
Iode métallique 
 1
gramme 25.
M. Instillez dans la plaie une quantité suffisante.

À l’intérieur on administre des infusions aromatiques chaudes auxquelles on ajoute une petite quantité d’ammoniaque ou d’esprit de Mindérérus. « Toutes les fois que la piqûre a été faite par une vipère, dit M. Cruzel j’administre l’ammoniaque liquide à la dose de 30 grammes dans un litre d’eau. J’ai toujours cru à l’efficacité de cette médication : je dois dire cependant que, dans ces derniers temps, ma conviction aurait pu être ébranlée par des observations publiées dans un journal de médecine, et qui sembleraient démontrer que l’ammoniaque ne jouit point de la propriété de combattre avec avantage les effets de l’absorption du venin, si je n’avais eu devant moi une expérience toute personnelle me permettant d’affirmer le contraire et de croire à l’efficacité de l’ammoniaque comme moyen de combattre les effets du venin de la vipère. »

Breuvage avec l’ammoniaque.
Pr.
Ammoniaque liquide suivant l’âge et la taille de l’animal 
 32
à 64 grammes.
Eau froide 
 1
litre ou 1 1/2

« Dans les pays où les serpents venimeux sont très communs, des charlatans sont ordinairement appelés pour traiter les morsures dues aux animaux venimeux, et se donnent pour la plupart comme professeurs de remèdes pratiques, parmi lesquels le Guaco est le plus renommé dans l’Amérique du Sud[5]. » Rufz a prouvé que toutes les recettes dites spécifiques ne doivent leur réputation qu’aux spéculations du charlatanisme.


FIN





JURY D’EXAMEN
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MM. BOULEY O. ❄, Inspecteur-général.
LAVOCAT ❄, Directeur.
LAFOSSE ❄, Professeurs.
LARROQUE,
GOURDON,
SERRES,
BONNAUD, Chefs de Service.
MAURI,
BIDAUD,


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PROGRAMME D’EXAMEN
Instruction ministérielle du 12 octobre 1866.
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THÉORIE Épreuves
écrites
1o Dissertation sur une question de Pathologie spéciale dans ses rapports avec la Jurisprudence et la Police sanitaire, en la forme soit d’un procès-verbal, soit d’un rapport judiciaire, ou à l’autorité administrative ;
2o Dissertation sur une question complexe d’Anatomie, de Physiologie et d’Histologie.
Épreuves
orales
1o Pathologie médicale spéciale ;
2o Pathologie générale ;
3o Pathologie chirurgicale ;
4o Maréchalerie, Chirurgie ;
5o Thérapeutique, Posologie, Toxicologie, Médecine légale ;
6o Police sanitaire et Jurisprudence ;
7o Agriculture, Hygiène, Zootechnie.
PRATIQUE Épreuves
pratiques
1o Opérations chirurgicales et Ferrure ;
2o Examen clinique d’un animal malade ;
3o Examen extérieur de l’animal en vente ;
4o Analyses chimiques ;
5o Pharmacie pratique ;
6o Examen pratique de Botanique médicale et fourragère.

ÉCOLES IMPÉRIALES VÉTÉRINAIRES
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Inspecteur général.

M. H. BOULEY O ❄, Membre de l’Institut de France, de l’Académie de Médecine, etc.
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ÉCOLE DE TOULOUSE
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Directeur

M. LAVOCAT ❄, Membre de l’Académie des Sciences de Toulouse, etc.

Professeurs.
MM.
LAVOCAT ❄ 
Physiologie (embrassant les monstruosités).
Anatomie des régions chirurgicales.
LAFOSSE ❄ 
Pathologie médicale et maladies parasitaires.
Police sanitaire.
Jurisprudence.
Clinique et Consultations.
LARROQUE 
Physique.
Chimie.
Pharmacie et Matière médicale.
Toxicologie et Médecine légale.
GOURDON 
Hygiène générale et Agriculture.
Hygiène appliquée ou Zootechnie.
Botanique.
SERRES 
Pathologie et Thérapeutique générale.
Pathologie chirurgicale.
Manuel opératoire et Maréchalerie.
Direction des Exercices pratiques.
ARLOING 
Anatomie générale.
Anatomie descriptive.
Extérieur des animaux domestiques.
Zoologie.
Chefs de Service.
MM.
BONNAUD 
Clinique et Chirurgie.
MAURI 
Anatomie, Physiologie et Extérieur.
BIDAUD 
Physique, Chimie et Pharmacie.



  1. Cuvier, Règne animal, t. II, p. 86, 2e édition.
  2. Rufz, Journal des Antilles, 1813, p. 27.
  3. Mémoire sur le venin de la vipère, Annales de Chimie et de Physique, 1817, t. IV, page 169.
  4. Pathologie bovine, art. Cheilite.
  5. M. Lafosse, Pathologie vétérinaire, t. 1.