Dernier mot des braves sans-culottes au Roi
Louis, écoute le langage énergique et
fier des Vainqueurs du Despotisme. Nous
voulons délivrer la France et le monde entier
de la servitude politique et religieuse ; il faut
que notre chef seconde le noble élan du Patriotisme
dont nous sommes animés, ou qu’il
rentre dans la poussière ! Rien ne peut arrêter
l’effort de notre bras invincible : les
aristocrates et les modérés qui, pour dévorer
la liste civile, vantent leur bravoure et leur
dévouement ne sont que des thersites[ws 1] dont
la perfidie égale la lâcheté. L’or que cette
tourbe d’intrigans a l’art de t’excroquer, sous
prétexte d’influencer l’opinion publique,
n’arrive jamais à son adresse et ne sert
qu’à entretenir les vices de ces plats valets.
Aujourd’hui les mendians de la cour sont
à tes pieds, demain ils ramperont devant
ton successeur et l’entraîneront à son tour
dans l’abîme qu’ils ont creusé sous tes pas.
Qu’elle image ! pourquoi faut-il que le Roi, le
plus trompé de l’univers, meconnoisse la voix
de la seule portion qui l’idolâtre ! Devroit-il
ignorer que l’amour méprisé se change en
haine ? Nous respecterons tes jours, nous ferons
plus ; nous les défendrons contre les brigands
de tous les partis qui nous calomnient. Mais ton
Diadême passera dans des mains plus dignes
de le posséder. Notre représentant sera investi
de la puissance suprême ; la générosité,
comme l’amour d’une nation libre, ne connoît
point de bornes ; puisse-t-il, plus sage et moins
faible que toi, connoître le secret de la force
publique, et écarter de lui les prétendus
honnêtes-gens, qui ont le privilège exclusif de
tromper et d’assassiner les Rois !… Son
bonheur excitera tes regrets et ton désespoir,
puisque nous le comblerons des biens que notre
cœur eût aimé à répandre sur toi.
Infortuné Monarque, vois comme tes faux amis t’abandonnent ! Les voutes du sanctuaire des lois retentissent de mille pétitions qui demandent ta déchéance, et la classe, pour laquelle seule tu veux régner t’oublie dans le tourbillon des plaisirs au lieu d’exprimer hautement l’intérêt que tu crois lui inspirer. Apprends que les millionnaires pour lesquels tu te sacrifie, et dont, certes, nous n’enchaînons ni la plume ni la langue, ne donneroient pas un écu pour détourner l’orage qui gronde sur ta tête.
Louis, nous t’aimons encore ; notre cœur, que les richesses n’ont point corrompu, est le foyer de la piété filiale et le temple de toutes les vertus. Repousse les insinuations perfides de l’aristocratie, ouvre nous tes bras paternels ; un père doit-il rougir d’embrasser ses enfans, parce qu’ils ne portent pas les livrées du luxe, parce qu’ils s offrent à ses regards, dans une demi nudité qui les honore ?
Éloigne de ta présence ces Prêtres, ces Tartuffes Clémentins, dont le barbare égoïsme veut éterniser l’enfance et l’esclavage du genre humain. Les monstres ! Ce n’étoit pas assés pour eux d’avoir entouré ton berceau des préjugés, des erreurs qui, de tout temps, ont subjugué l’ignorance, ils veulent encore lutter contre l’ascendant de la raison universelle, en perpétuant l’aveuglement du chef de la nation. Tant que ta crédulité sera le point de ralliement du fanatisme, la féroce ambition de ces tigres altérés de sang, ne perdra jamais l’espérance de recouvrer, sur une terre jonchée de cadavres, les biens immenses qu’un coupable charlatanisme avoit extorqué à la pieuse imbécillité.
Ces jongleurs te persuadent que la religion est le frein du peuple ; que l’épouventail des châtimens célestes, est la sauve garde des propriétés. C’est ainsi que leur fourberie attribue aux opinions fanatiques cette harmonie sociale, dont l’action des lois humaines est l’unique principe. Qu’on supprime, pour un instant, cette action, ou plutôt qu’on autorise les jurés d’accusation à composer avec les crimes de toute espèce, comme le font les soi-disans mandataires de l’Être-Suprême, qu’un confitéor, un acte de contrition, un rozaire, ou telle autre pénitence, remplace la guillotine, et l’on s’assurera, par une fatale expérience, si de pareils moyens sont propres à épouvanter les brigands. Celui qui ne craint pas le glaive inexorable de la justice des hommes, peut-il être arrêté par les menaces d’une religion qui présente des accomodemens si doux et si faciles, par une religion que ses ministres ont dégradée par leurs vices, par leurs forfaits, et dont la mithologie est, en même tems, un objet de dérision et d’horreur ?
Veux-tu que la religion devienne le frein salutaire des passions, consens à la suppression des prêtres. La correspondance de ces intermédiaires entre dieu, et l’homme, enhardi tous les genres de crimes, que la justice humaine ne peut atteindre, ces vils charlatans font, au nom de l’éternel, un trafic honteux d’absolutions et d’indulgences, comme autrefois tes favoris et tes ministres vendoient les lettres de grace, de pardon et d’abolition. Le tems n’est pas éloigné où ces vérités perceront le nuage de la superstition dont l’empire a commencé avec le crime et doit s’écrouler avec lui ; alors tous les hommes seront vertueux ; ils ne connoitront d’autre culte, d’autres autels que le salut de la Patrie et la félicité publique,
Nous n’ignorons pas que toutes les conspirations que les exagérés t’attribuent, se réduisent au projet insensé de pacifier la France en raprochant tous les partis. Projet aussi absurde qu’impolitique, parce que, d’un côté, il est impossible de rétablir le clergé dans ses immenses possessions qui sont devenues le gage de la fortune publique, et que de l’autre, on ne peut s’arrêter à l’idée de satisfaire à l’insatiable cupidité des vampires de l’ancien régime ; quand les intérêts sont blessés, la réconciliation n’est jamais sincère.
Certes ! si les détracteurs du nouvel ordre de choses n’étoient par les ennemis de ton bonheur, si la soif de l’or n’éteignait pas dans leurs ames tout sentiment d’humanité, ils te conjureroient, ils te presseroient, les larmes aux yeux, d’abandonner leur cause, de séparer tes intérêts des leurs, de ne vivre que pour les Sans-Culottes, qui sont devenus les colonnes du trône ; c’est par orgueil, c’est par amour-propre, que les courtisans te font partager leurs dangers ; ils ne peuvent ignorer que ta protection est impuissante, de même que leur assistance est nulle et illusoire. Cette réflexion frapante te peint l’atrocité de leurs principes.
Les aristocrates et les feuillans doivent t’inspirer une égale aversion ; les premiers régnoient sous ton nom, et tu n’étois, dans leurs mains, qu’un fantôme de roi ; les autres t’ont fait descendre au triste rang de greffier de la nation ; tous les deux ont avili ou compromis ton autorité. Nous pouvons seuls t’environner de l’éclat qui convient au monarque d’un vaste empire, et dissiper les factieux qui rivalisent et morcèlent ton pouvoir. Prête une oreille attentive à tes enfans, qui n’ont oublié qu’ils te doivent obéissance que parce que, le premier, tu as méconnu les droits sacrés de la nature.
Les aristocrates, dont les vues sont aussi Opposées à tes intérêts qu’aux nôtres, nous calomnient et nous représentent comme des antropophages ; ils soudoient des mercenaires pour faire crier à bas le veto, ils stipendient des écrivains incendiaires pour prêcher le régicide et rendre la constitution odieuse, en la travestissant en furie. Le double but de ces écrits, que nos cœurs désavouent, est de légitimer la cause des soi-disant libérateurs de la France, et de t’aigrir contre la portion de ton peuple, que ton mépris réduit au désespoir. Songe que cette portion, qui compose au moins deux millions d’hommes armés, est en état de pulvériser tous les despotes et leurs satellites, et que la tyrannie ne trouvera, dans ses apôtres secrets, qui sont restés en France, que des êtres efféminés, des spectateurs oisifs, dont la pusillanimité et la sollicitude sur le sort de leurs propriétés neutralisera la force, et empêchera la coalition. Il ne faut, au contraire, pour mettre en mouvement la masse imposante des vrais soutiens de la monarchie, des dépositaires fidèles de l’honneur national, que l’intervalle qui sépare l’éclair de la foudre, tandis qu’un mois suffiront à peine pour arracher à leur indolence léthargique, les sybarites propriétaires.
Louis, que cette observation soit pour toi un trait de lumière, la raison du plus fort est toujours la meilleure… Et puis, notre cause est celle de la constitution que tu as juré de defendre, de la justice universelle qui doit régler les actions de l’homme de bien, de l’égalité que la déclaration des droits de l’homme a consacrée, de la philosophie enfin qui, suivant le vœu de la régénération politique, doit s’asseoir Sur le trône, à côté du Roi des Français.
Signé, Compère Mathieu, Orateur des Braves sans-Culottes.
Paris 9 août, l’an quatrième de la liberté,