Derrière les vieux murs en ruines/54

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 210-211).


27 août.

Montons aux terrasses ! La chaleur est trop écrasante, on se sent asphyxier en l’étuve des pièces. Là-haut, tout au moins, nous aurons de l’air, nous respirerons !…

Les montagnes découpent brutalement leurs silhouettes arides ; les troupeaux dévalent des collines jaunes et pelées ; une odeur poussiéreuse, desséchante et chaude arrive dans le vent qui passa sur tant de déserts et de rocs ardents… Il n’y a plus d’herbe, plus de verdure, plus de couleurs. Tout se confond en une seule teinte monotone, — la teinte du bled, — les arbres, les maisons, les moutons, les chameaux, les bédouins et le ciel, pareillement fauves, implacablement fauves !

Morne pays d’Afrique, plus immense en sa désolation d’été, plus grandiose et plus vrai que sous l’enchantement fleuri du printemps !

Âpre jouissance d’être enveloppée dans l’haleine brûlante du Chergui, de sentir ce goût de sable qui craque entre les dents. Volupté de la chaleur en un tel décor !

…L’horizon s’obscurcit, se fait plus dense et menaçant ; les figuiers, tordus sous la rafale, disparaissent avec le coteau ; les montagnes s’effacent, la ville n’existe plus. Un brouillard de poussière abolit le ciel et toutes choses de la terre ; des éclairs livides déchirent ces nuages desséchés qui ne donneront point d’eau… On suffoque… On croit mourir…

Il faut fuir dans l’ombre des pièces à l’atmosphère pesante… Fermez les fenêtres et les portes ! Obstruez toutes les issues !… Une épouvante trouble nos âmes.

Hantise du Coran aux stances prophétiques, inspirées sans doute un soir de chergui :


« Lorsque le ciel sera ployé,
Que les étoiles tomberont,
Que les montagnes deviendront des amas de sable dispersé.
Que les femelles de chameaux râleront abandonnées,
Que les bêtes sauvages se réuniront en troupes.
Lorsque la feuille du Livre sera déroulée ;
…Lorsque les brasiers de l’enfer brûleront avec fracas,
…Malheur en ce jour aux incrédules !
Allez au supplice que vous aviez traité de mensonge !
Allez dans l’ombre qui fourche en trois colonnes[1],
Qui n’ombrage pas et ne vous servira nullement pour garantir des flammes !
Malheur en ce jour aux incrédules !

  1. La fumée.