Derrière les vieux murs en ruines/82

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Calmann-Lévy, éditeurs (p. 330-332).

17 juin.

Un nègre, portant sur sa tête un grand plateau de bois coiffé d’un cône en vannerie, est introduit dans notre riadh. Les petites filles, toujours curieuses, m’appellent avec insistance. Elles ont hâte de soulever le pittoresque couvercle et de réjouir leurs yeux par l’aspect des friandises dont se délecteront leurs palais.

Mes amies musulmanes m’ont habituée à ces cadeaux culinaires, accompagnés de souhaits, de salutations et souvent d’une pressante invite à les aller voir.

J’ai reconnu El Bachir, l’esclave de Lella Lbatoul. Il me remet un mouchoir plein de pétales de roses, et découvre le plateau afin que je contemple les fenouils confits dans du vinaigre et les délectables beignets au miel parsemés de sésame. Je m’apprête à le charger, pour sa maîtresse, des remerciements qui conviennent, mais son compliment, plus long que de coutume et d’une étrange teneur, m’arrête, interdite.

— Lella Lbatoul t’envoie son salut le plus tendre et le plus parfumé. Elle espère qu’il n’y a pour toi que prospérité et te fait savoir qu’elle s’ensauvage de ton absence depuis le long temps qu’elle ne t’a vue. En sorte qu’elle désire ardemment que tu viennes la distraire. Elle t’apprend aussi que sa petite fille, la chérie, Lella Aïcha, est entrée ce matin dans la miséricorde d’Allah, par suite de sa maladie, la rougeole, et que tous les autres enfants en sont atteints. Puisse le Seigneur les guérir ! Lella Lbatoul fît cueillir ces roses de ses rosiers et sortir des réserves ce fenouil et ces gâteaux que tu aimes, afin que ton odorat, ton goût et ton cœur soient excellemment dulcifiés… Et la petite Aïcha — qu’Allah miséricordieux la reçoive et l’agrée ! — fut enterrée à midi… Sur le hakem et sur toi, paix et bénédictions parfaites !…

Voilà ce que m’a dit l’esclave en m’offrant les fleurs, les hors-d’œuvre et les pâtisseries.

Je ne me suis pas étonnée, car je sais qu’il ne faut pas s’étonner des choses que l’on ne comprend point, ni surtout les juger.

Mais j’ai revu, dans ma pensée, la fillette accrochée aux caftans maternels et que Lella Lbatoul couvrait de baisers passionnés.

La petite Aïcha est morte !… C’était écrit ! Il ne reste plus que la résignation… Et, comme il ne sied point d’attrister une amie par une nouvelle de ce genre, Lella Lbatoul a songé, — auprès du petit cadavre qui ne réclamait plus aucun soin, — à m’envoyer les odorants pétales et les friandises, dont la délicatesse atténuerait, pour moi, l’ombre de ce malheur.