Des Partis et des écoles depuis 1830/02

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II. De la démocratie et de l’école républicaine
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II. De la démocratie et de l’école républicaine


DES PARTIS
ET DES ÉCOLES
DEPUIS 1830.

ii.[1]
De la démocratie et de l’école républicaine.

Je vais marcher sur des charbons ardens, et livrer ma pensée aux commentaires de passions qui, pour l’accuser, feindront de ne pas la comprendre. L’on me reprochera, d’un côté, d’attaquer les personnes, si je mets à nu les parties honteuses des doctrines ; on m’imputera, de l’autre, des conséquences qui se seront fatalement rencontrées au bout de ma pensée, des prévisions que m’auront inspirées et les analogies historiques et la direction manifeste des idées du siècle. Peut-être s’étonnera-t-on que je signale, pour l’avenir, des écueils doublés sans doute en ce moment, mais vers lesquels le cours calme et constant du flot pousse plus infailliblement que des tempêtes passagères.

Ainsi sont faits les partis : ce qu’ils respectent le moins, c’est une pensée qui se place en dehors de leurs préoccupations exclusives, soit qu’elle en reste médiocrement touchée, ou qu’elle sache tout ce qu’il y a de transitoire dans des triomphes sans lendemain.

Que des prévisions trop complexes puissent être un tort dans la vie publique, c’est ce que je ne fais nulle difficulté de reconnaître. Je pense qu’une fois engagé dans les affaires, on se doit, par conscience, à une idée simple et précise, et qu’il n’est pas plus loisible à l’homme attaché à l’action politique, qu’au cultivateur qui laboure son champ, de s’égarer dans des spéculations hasardeuses et lointaines. Mais la vie littéraire se développe sur une plus large échelle, et se règle par d’autres principes ; c’est ainsi, par exemple, que pour constater la situation des idées démocratiques et l’avenir probable de l’opinion républicaine en France, il faut peser les chances les plus diverses, et pressentir les conséquences, même les plus éloignées, d’un mouvement d’esprit qui n’a point encore commencé à se produire.

Il n’est pas de période dans l’histoire ancienne qui réveille des idées plus tristes et plus vulgaires que le triomphe de la démocratie. Alors paraissent les sophistes et les rhéteurs, les généraux imbécilles et les démagogues ; la foi religieuse et sociale s’efface, les hautes traditions politiques s’obscurcissent, on dirait que l’ame de l’état se retire. Ces temps précèdent et amènent la barbarie et la conquête ; les succès de la démocratie sont à la fois et le signal et la cause des catastrophes où les nationalités périssent.

Pour bien comprendre et la constance de cette loi, qu’on pourrait énoncer en formule générale dans le monde antique, et les motifs qui doivent faire espérer un avenir tout différent au monde moderne, arrivé à la même période de son existence, il faut rappeler sur quelles bases reposaient, dans l’ère antérieure au christianisme, l’état, la patrie et la religion.

Le panthéisme enveloppait, à bien dire, le monde antique tout entier, soit que l’homme s’abimât dans l’immensité divine, comme en Orient, soit qu’il se taillât, comme en Grèce, des dieux à son image. La religion n’y fut jamais plus distincte de l’état, que le créateur lui-même ne fut distinct de son œuvre. Si cette identification est moins sensible dans les écrivains chez lesquels nous étudions plus particulièrement les institutions des républiques grecques, c’est qu’ils appartiennent eux-mêmes à ces temps de la démocratie où le génie sacré de la patrie hellénique, éclipsé par les tumultueuses discussions de l’Agora et les subtiles disputes de l’Académie et du Portique, frayait les voies à Philippe de Macédoine, puis à la conquête romaine.

Aussi, lorsqu’on pénètre dans ces temps reculés, qu’une érudition divinatrice reconstruit aujourd’hui avec quelques débris et quelques textes, sous quel jour nouveau n’apparaît pas ce monde antérieur, que les idées démocratiques et rationalistes démolirent pièce à pièce, pendant une longue suite de siècles, avant de disparaître elles-mêmes au sein du naufrage qu’elles avaient provoqué !

Une unité mystique était, chez tous les peuples primitifs, la forme et le symbole de l’ordre social : elle en étreignait toutes les parties dans ses embrassemens féconds. C’est d’abord l’autel domestique, point central de la vie, que garde et protège le dieu du foyer. Autour de cette pierre fondamentale se groupe la famille, régie elle-même par une oicocratie sacrée. La phratrie est l’extension de la famille ; le dème, l’extension de la phratrie ; il occupe un territoire délimité selon les principes d’une géométrie divine, orienté comme le ciel qu’il représente, et dont il est la vivante image. Douze dèmes, douze phratries, douze villes, une amphictyonie pour réunir les membres mystérieux d’un même corps, telle était cette organisation cosmogonique dont on retrouve à peine quelques traces dans les siècles où se perdit le mot de la grande énigme.

Personne n’ignore que le Capitole fut la pierre angulaire de l’édifice éternel. Tous les peuples du Latium, de l’Italie et du monde durent gravir tour à tour ce roc escarpé, et se faire ouvrir, par la force, l’enceinte où siégeait le sénat, ce concile œcuménique des peuples, pour traduire par une idée chrétienne l’image païenne de Cicéron[2], Rome emprunta de la sombre Étrurie ce culte muet, dont les patriciens, prytanes du Latium, reçurent le dépôt en participant à la propriété de la terre sacrée, mesurée par les augures, et sur le plan de laquelle s’édifièrent plus tard ces colonies, lointaines images de la ville consacrée.

Comme en Grèce, la pierre du foyer est la base du droit italique : là vit la famille, où le Lare et le père, dieux de la vie et de la mort, offrent et reçoivent le sacrifice. La parole du père est loi pour la famille, celle des Quirites, qui participent au droit pontifical, est loi pour la cité ; l’une et l’autre sont exprimées dans une forme sacramentelle et avec une énergie rhythmique ; la ville elle-même est construite sur une base indestructible d’harmonie : Martia Roma triplex.

Le caractère religieux de cette église militante peut seul expliquer le génie rude et sombre du Romain. En ravageant le monde, en foulant aux pieds les lois de tous les peuples, en fermant son oreille et son cœur au cri de l’humanité, le légionnaire remplit une mission providentielle et fatale. Rome a des destinées écrites aux livres Sibyllins ; il faut qu’elles s’accomplissent per fas et nefas. Les dieux sont complices du crime, le crime dès-lors est sanctifié.

Dans les sociétés antiques, il règne une confusion si complète et si constante entre les lois divines et les lois humaines, entre les magistrats et les dieux, que la cité politique n’est qu’un reflet, qu’une émanation extérieure de l’invisible cité, de telle sorte que les deux natures montant et s’abaissant constamment l’une vers l’autre, s’absorbent dans une indivisible unité.

On comprend que les idées démocratiques, en attaquant la constitution de l’état, ébranlaient dès-lors, dans l’antiquité, tous les fondemens de la foi religieuse, de même que les idées rationalistes, en mettant en question les doctrines de la cosmogonie sacrée, sapaient, par cela seul, toutes les bases de l’ordre social. Ce n’était pas indirectement que s’exerçait cette double action ; elle était immédiate et forcée ; le démocrate était nécessairement incrédule, le croyant seul restait patriote.

César en passant le Rubicon, en profanant l’ager romanus par la présence de son armée, péchait contre les dieux autant que contre la patrie ; aussi César était-il le chef du parti démocratique et le premier entre les esprits forts ; et Caton, qui le lui reproche si amèrement en plein sénat, est conséquent avec lui-même, en honorant les dieux au milieu de la corruption générale, et en mourant à Utique pour ne pas survivre à la liberté romaine.

Dans le premier de ces hommes s’incarnent les doctrines rationalistes et démocratiques de l’antiquité, dans l’autre se maintiennent, sous une forme héroïque, les vieilles maximes du patriotisme et de la religion. Entre eux, et en manière de juste-milieu, je placerai volontiers Cicéron, honnête citoyen et faible caractère, dominé par les préoccupations de sa vanité oratoire et de ses études philosophiques, docteur d’académie qui commente la nature des dieux plutôt qu’il n’y croit ; homme politique, chez lequel l’amour-propre vient en aide aux convictions pour lui donner une fermeté d’apparat, au milieu du relâchement des mœurs et des idées de son siècle.

Il serait curieux d’étudier l’histoire des républiques anciennes dans le double but de constater, pour ainsi dire un thermomètre à la main, comment la chaleur et la vie se retirent du corps social à mesure que les croyances religieuses sont mises en doute, et comment, d’un autre côté, la foi s’altère selon que l’émancipation plébéienne se développe, et que le sens primitif des institutions s’efface. On verrait en Grèce le génie des saintes lois d’Érecthée se matérialiser sous les réformes successives d’un Dracon, d’un Solon, d’un Clisthènes, d’un Périclès, jusqu’aux jours d’une démagogie furieuse et bavarde, dont le roi Philippe achète à volonté la colère ou le silence. À Rome, où le panthéisme des lois et des croyances se maintint au milieu même des victoires de la démocratie, sans doute parce que les prêtres de Vulsinies, appelés à consacrer l’asile naissant de Romulus, le forgèrent d’une trempe plus inflexible, le plébéien tremble au sein de son triomphe sur les vieilles divinités et sur les vieilles lois, et finit, tant ces idées s’enlacent invinciblement, par concentrer ce qui survit de cette double et mystique puissance, sur la tête d’un chef, successeur par plébiscite des Brutus, des Spurius, des Gracques, de Marius et de César : auguste et populaire empereur, qui ne versait que le sang patricien et dont la plebs embrassait les autels, qui recevait, vivant encore, les honneurs de l’apothéose ; prince et pontife, homme et dieu, monstre incompréhensible que réclament à la fois la terre, le ciel et l’enfer.

En considérant les temps actuels sous le reflet des temps historiques, certains esprits méditatifs et moroses ont pu donner une couleur spécieuse à des analogies menaçantes et à des pressentimens sinistres.

Il semble, en effet, au premier aperçu, que nous approchions de ces temps où le génie grec se noya dans le torrent de ses paroles redondantes et vénales, où Rome, émancipée du joug des sénateurs-pontifes, tomba sous celui du despotisme, régnant au nom de la souveraineté populaire qui l’avait élevé.

Napoléon, dieu du peuple et de l’armée, représentant glorieux de la démocratie triomphante, ne paraît pas loin de César. Partout les institutions politiques se matérialisent, et la société civile cesse de réfléchir cette harmonie qu’avait aussi conçue le moyen-âge, quoique d’une manière différente, entre le dogme chrétien et la puissance sociale. La force gouvernementale se resserre dans son action pendant que grandit en dehors, et au-dessus d’elle, un pouvoir irrésistible et nouveau. L’opinion devient reine du monde, et cette opinion, servie par la presse, devant laquelle reculent les armées, est mobile, audacieuse, agressive. Les souvenirs des ancêtres ont perdu leur autorité, et la loi, œuvre d’un jour, doit rendre compte d’elle-même pour rencontrer obéissance. L’hérédité est moins un titre qu’un obstacle, et tout devient viager dans la fortune des familles et la destinée des empires. Le patriotisme, qui s’inspirait de traditions communes, s’efface sous l’influence d’idées générales et l’autorité de droits métaphysiques. La France donne le branle à ce grand mouvement, et l’Europe la suit haletante et essoufflée.

Qu’est-ce à dire ? faut-il conclure que les temps approchent et que la civilisation moderne touche à son heure suprême ? Vient-il des quatre vents du ciel des nuées de barbares pour enterrer le cadavre et partager ses dépouilles ?

Plusieurs esprits le pensent, et même de grands esprits. Quant à nous, nous croyons d’une foi forte et ferme, que c’est là une conséquence fausse tirée d’analogies inexactes et de faits mal observés.

En étudiant l’avenir des nations modernes, un grand fait se présente, qui, les séparant de toutes celles de l’antiquité, leur assure d’autres destinées. Ce fait constitutif, qui fut pour elles l’élément de tous progrès, qui suscite aujourd’hui, par le développement de ses doctrines d’égalité fraternelle et de dignité morale, le noble instinct de la liberté politique, ce fait, c’est le christianisme, lequel n’est pas une phase transitoire de l’esprit humain, mais sa forme vraiment plastique. Dans le christianisme seul gît aujourd’hui l’avenir des nations, que le rationalisme vouerait infailliblement à la barbarie s’il lui était donné d’étouffer le germe fécondant sous l’égoïsme de sa pompeuse parole et la vaniteuse inanité de sa pensée.

Si le rationalisme, de toutes les données philosophiques la plus fausse et la plus aride, ne succombait sous l’énergie d’une idée plus vitale, il ferait de nouveau recommencer à l’humanité la période qu’elle a si tristement parcourue. Les doctrines chrétiennes seules peuvent préparer d’autres destinées à la démocratie, en fixant ce tourbillon, en implantant dans les ames un principe de dévouement, c’est-à-dire de foi. Une mission nouvelle est aussi réservée au génie démocratique ; il fera traverser au christianisme lui-même une épreuve qu’aucune des religions antiques n’eût supportée sans se dissoudre.

Nous assistons, en effet, à un spectacle tout nouveau sous le ciel. Pour la première fois dans le monde, les institutions politiques se séparent de l’autorité religieuse, sans que les fondemens de celle-ci soient ébranlés ; la démocratie se réalise dans les institutions et dans les mœurs, elle règle tout, depuis la transmission du pouvoir, dans l’ordre politique, jusqu’au système des successions dans l’ordre civil ; et, pour la première fois aussi, la religion, immobile au milieu de ces bouleversemens, les voit s’accomplir sans douter d’elle-même, sans se sentir liée au sort de la société qui s’écroule.

C’est que l’Évangile a, le premier, doté le monde de la notion claire et distincte des deux puissances, en même temps qu’il a nettement séparé la terre du ciel et Dieu de la nature. Il n’a pas détruit sans doute la divine harmonie par laquelle s’unit au créateur la terre qui raconte sa gloire aussi éloquemment que le ciel ; il l’a rendue, au contraire, plus éclatante et plus lyrique, mais il a proclamé la dualité du Dieu pur esprit et de la matière créée : vérité que l’homme ne peut porter sans obscurcissement en dehors de la foi chrétienne ; il a dès-lors conçu et réalisé cette auguste notion de l’église, société des intelligences où l’ame se nourrit de vérités immuables, pendant que les sociétés politiques sont soumises à des expérimentations journalières.

La perfectibilité humaine par l’industrie, par le développement illimité des forces individuelles et la concurrence de toutes les facultés, se concilie, pour les peuples chrétiens et pour eux seuls, avec la fixité du dogme, immuable par son essence comme l’être dont il est à la fois l’expression et la règle : situation complètement différente de toutes celles qui se présentaient avant l’établissement de l’église, et qui ouvre aux nations modernes un nouvel et immense horizon.

L’école de M. de Maistre et de M. de Bonald, pour être restée dans ses gloses philosophiques sous l’influence en quelque sorte matérialisante de la loi ancienne, et dans ses combinaisons sociales, sous la préoccupation trop exclusive des institutions polythéistes, me semble s’être écartée de l’idée vraiment universelle et catholique, qui accepte, sans s’en préoccuper, et les conditions les plus diverses et les formes les plus mobiles.

La sublime conception d’une église qui vit dans le temps sans en dépendre, permet désormais aux peuples d’appliquer, sans une impiété sacrilége, cette politique expérimentale et tout humaine que propage l’esprit démocratique. Mais cette matérialisation du pouvoir n’est sans danger que là où les cœurs se nourrissent des mêmes croyances, où les esprits sont ralliés dans une même foi. Deux mille ans écoulés depuis la chute des républiques antiques n’ont pas rendu l’homme moins égoïste, ne lui ont pas donné de son origine, de ses destinées et de ses devoirs, des notions plus lumineuses ; une haute civilisation a excité plutôt qu’elle ne les a amorties, toutes ses concupiscences natives ; et des crimes peut-être inconnus aux enfers viennent chaque jour accuser en face cette civilisation orgueilleuse qui les suggère et les rend possibles.

Ôtez la foi religieuse, et le rationalisme démocratique reparaîtra tel qu’il fut aux beaux jours de la corruption grecque et romaine, avec ses déclamations et ses cupidités, ses bassesses et ses violences. Supposez, au contraire, l’idée religieuse puissante et générale, et vous pourrez admettre alors des applications toutes nouvelles d’un élément qui semble destiné à exercer sur l’Europe moderne une influence analogue à celle du principe organique qui, du xie au xve siècle, la jeta et la contint dans le moule de la hiérarchie féodale.

Dans l’Amérique du Nord, où la souveraineté populaire n’est pas seulement une doctrine métaphysique, mais un fait passé dans les moindres détails de la législation et des mœurs, le christianisme est un fait tout aussi universel, tout aussi impérieux, tout aussi en dehors de discussion et d’atteinte, même verbale. C’est pour cela que ce pays, étranger aux hautes investigations de la pensée, mais qui a hérité de ses ancêtres un sens droit et une ame profondément religieuse, a poussé tout naturellement et sans effort, à ses dernières conséquences pratiques, une doctrine dont aucune des républiques de l’antiquité n’eût essayé l’application sans périr, puisque, pour la tenter, il fallait renier en même temps les ancêtres et les dieux, attaquer l’église et l’état, alors indissolublement unis, se proclamer à la fois factieux et sacrilége. L’Amérique est devenue la plus démocratique des nations, parce qu’à tout prendre, et malgré des dissidences de sectes qui ne servent qu’à y exalter la foi religieuse, bien loin de l’affaiblir, elle est peut-être la nation la plus universellement chrétienne de l’univers.

On trouvera, je pense, dans ces considérations, dont l’utilité pratique a pu n’être pas d’abord comprise, la seule explication satisfaisante d’un fait qui se développe en ce moment sous nos yeux.

On ne saurait nier que, tandis que les intérêts et les idées se démocratisent de plus en plus, l’école qui prétend amener la France aux conséquences pratiques de la démocratie ne perde chaque jour en force et en influence, et que les républicains ne reculent, malgré le vent qui souffle de toutes parts les doctrines démocratiques.

Cela tient, si je ne me trompe, à ce que l’école qui, depuis 1830, s’est emparée du thème de la république, est anti-chrétienne par essence, c’est-à-dire anti-sociale ; cela vient de ce que le pays, tout démocratiques que soient ses penchans, toute voltairienne même que puisse être encore la masse de ses idées, comprend instinctivement que ce régime, appliqué sans le contrepoids des croyances religieuses, conduirait promptement l’Europe au terme fatal de sa fortune. On ne redoute plus l’invasion des barbares ; mais on sait que les jacobins valent bien les Huns, et que pour se jeter sur nos palais et sur nos temples, ils n’ont pas à traverser les Palus-Méotides.

Il y aurait quelque niaiserie à croire qu’entre les deux écoles qui se partagent aujourd’hui la démocratie française, c’est-à-dire la presque totalité de la nation, il n’y ait réellement qu’une question de royauté constitutionnelle ou de république, c’est-à-dire la différence d’une liste civile de douze millions à un traitement de quatre cent mille francs. Fort heureusement pour la cause monarchique que la dissidence est plus profonde ; elle tient aux bases des doctrines philosophiques beaucoup plus qu’à des théories politiques sur lesquelles les deux partis ne seraient nullement éloignés de s’accorder, si elles étaient seules en cause.

Je ne vois pas trop, en fait de maximes politiques, quelle opposition capitale il y aurait à signaler entre le National et le Constitutionnel. Tous deux ne comprennent-ils pas de la même manière et l’origine de la souveraineté et l’organisation de la société civile, tous deux n’éprouvent-ils pas le même repoussement contre les idées aristocratiques, et ne sont-ils pas en égale méfiance contre le pouvoir ? L’opinion constitutionnelle, aussi bien que l’opinion républicaine, date sa vie politique de l’émancipation révolutionnaire de 89 ; pour ces deux écoles, les antiques maximes sont sans autorité, et l’utilité pratique, constatée par l’assentiment du plus grand nombre, est la seule base et la seule règle du droit. Ajoutons que les mœurs de l’une ne sont pas, au fond, plus monarchiques que celles de l’autre ; elle ne parle qu’en grimaçant la langue royaliste ; et quiconque a tâté le pouls à la bourgeoisie ne peut ignorer qu’elle est aujourd’hui monarchique par peur des républicains beaucoup plus que par sa foi dans l’excellence de la royauté.

Et cependant, malgré des affinités secrètes, qui se révéleraient plus manifestes encore si la sécurité matérielle permettait aux esprits de suivre leur pente, l’opinion bourgeoise s’est mise en guerre contre l’opinion républicaine sa sœur, elle l’a vaincue en avril et en juin ; elle l’a maudite au 28 juillet 1835, et la république ne peut plus aujourd’hui montrer ses insignes au sein de la ville la plus démocratique de l’Europe.

D’où vient cette haine pour les hommes alors qu’on est si près de leurs doctrines, d’où vient qu’un abîme sépare les partisans de la monarchie élective de ceux d’une présidence ? La réponse devient facile.

La classe moyenne ne repousserait pas la république, si elle pouvait n’être qu’une théorie gouvernementale, si elle ne devait consacrer que la cessation de l’hérédité au profit du principe électif, dont ses principaux organes réclament l’extension constante ; mais elle la combat avec toute l’énergie de l’esprit de conservation, parce que cette forme politique a été présentée comme conséquence et couronnement d’un vaste système philosophique qui ne saurait prévaloir sans compromettre le sort de la civilisation moderne, telle que le christianisme l’a faite et qu’il la maintient.

Je réclame ici le droit d’exposer sans réticence ma pensée tout entière : je le puis faire avec d’autant plus de liberté qu’elle n’aura rien d’offensant pour les hommes de cœur et de conviction que les incertitudes du présent, celles plus grandes encore de l’avenir, ont engagés dans des voies hasardeuses. Je sais tout ce qu’il s’est dépensé de force et de dévouement dans des projets sans issues, tout ce qu’on a pu mettre de sincérité dans la poursuite d’espérances dont le cours naturel des choses semblait devoir entraîner une réalisation facile.

Il y aurait de l’injustice à abuser, contre l’école républicaine, des espérances et des cupidités brutales qui se sont attachées au triomphe de cette cause. Il existe, chez tous les peuples vieillis, une lie de la civilisation qu’on pourrait définir le résidu de tous ses vices. Au centre de tous les grands empires, affluent, comme dans une sentine[3], ces hommes incapables de créer ou de relever laborieusement l’édifice de leur fortune, et qui attendent d’un crime heureux ce qu’ils n’osent demander ni à leur patience, ni même à leur courage. Là cuvent les basses jalousies, les convoitises rendues plus ardentes par leur contact avec toutes les jouissances de la vie sociale. Ce tantalisme est plus universel encore quand de prodigieuses fortunes ont laissé après elles de longs ébranlemens, et semblent convier à l’audace de tout entreprendre une génération qui a perdu et la naïveté des mœurs et la résignation que suggèrent les espérances religieuses. De pareils hommes n’ont pas manqué à la cause républicaine ; ils lui ont fait assez de mal pour qu’elle ait au moins le droit de les désavouer. Ce n’est donc pas des vices de tels êtres que nous nous prévaudrons contre elle ; ce sont les doctrines même de ses sages qu’il s’agit d’apprécier.

Or, il faut le dire, que donne en dernier résultat cette analyse, si ce n’est un mélange incohérent et confus de souvenirs classiques et d’idées encyclopédiques, de sentimens faux et de croyances négatives ? Le stoïcisme qui s’agitait dans les convulsions de la Grèce asservie, qui poussait Cléomènes à verser le sang des éphores pour rétablir les lois de Lycurgue que Sparte ne comprenait plus, ce sauvage génie dont on a fait des deux Brutus une sorte de personnification dramatique, s’associe étroitement, au sein du républicanisme actuel, aux doctrines spéculatives du Tableau historique des progrès de l’esprit humain.

Le livre de Condorcet est l’évangile de ce parti, qui aspire à la perfectibilité, non par le travail de l’homme sur lui-même et le commerce de sa pensée avec une pensée plus haute, mais par le jeu mieux combiné des institutions, une répartition plus égale des forces et des jouissances physiques, par un immense et libre développement de l’activité humaine.

Dans cette doctrine, l’homme n’est qu’un animal à dix doigts : tous les efforts de ses publicistes, aussi bien que de ses moralistes, tendent à faire fonctionner le mieux possible cet être qui n’a d’avenir que sur la terre. On y respire comme une constante apothéose du corps et de la matière : celle-ci n’est même plus recouverte de ce léger vernis de spiritualisme que savaient si bien appliquer les disciples de Saint-Simon ; elle se présente seulement dissimulée sous le pédantesque appareil de formules scientifiques. La physique et la chimie, qui augmentent la masse des jouissances et des forces matérielles, forment, au fond, toute la philosophie de cette école. Ses docteurs jettent aux peuples et aux rois, en manière d’apophthegmes, des lieux communs insolemment drapés ; quelques-uns affectent les mœurs simples et naïves, calquent les manières de Gros-Jean et le langage du bonhomme Richard ; puis, par une contradiction où éclate le décousu de ces idées, plutôt juxtaposées que fondues, on s’exalte jusqu’au délire pour la plus vulgaire et la moins enivrante des doctrines. Et comme si, jusque dans ses plus déplorables aberrations, l’ame humaine ne pouvait faire divorce avec la foi, on se crée une idole qui peut tout commander, même le crime.

On se dit le plus libre des êtres, le plus doux des hommes ; mais si le peuple descend sur la place publique et verse le sang, on se déclare prêt à le suivre, car le sang versé par sa main est sacré, comme celui de la victime qui tombe à l’autel sous le fer du sacrificateur !

Il se fait ainsi, dans de jeunes têtes, une épouvantable confusion : le bien devient mal, la vertu devient crime ; le 21 janvier est un jour de glorieuse mémoire, et le 9 thermidor un jour néfaste. À des statues pétries de fange et de sang, à des hommes qui, s’ils ont sauvé la France, l’ont marquée au front d’un signe indélébile, on fait ouvrir le Panthéon par la patrie reconnaissante ! le Panthéon, marbre doré, temple sans dieu, tombeau sans immortalité, pompeux et froid symbole de ce culte du néant qui n’est plus dangereux depuis qu’il se professe au grand jour devant la France et sous le ciel.

Lorsqu’on médite les souvenirs dont ce mot de république vient assaillir et comme étouffer l’ame, on est porté à se demander si la constante et terrible loi de solidarité qui pèse sur les nations, sur les familles et sur tous les hommes, ne s’appliquerait pas aux idées elles-mêmes. C’est alors que, malgré le cours évident des choses et des opinions contemporaines, on se prend à douter de l’avenir, et qu’on rejette, comme à toujours condamnée, une idée qu’il semble impossible de purifier de tant de souillures.

Le parti conventionnel ne s’est pas fait moins d’illusions sur ses forces matérielles que sur la portée de ses doctrines. Il n’a pas compris que la démocratie, telle qu’il l’entend, c’est-à-dire la classe des manœuvriers, vit par son association même avec la bourgeoisie qui commande et solde le travail, et qu’elle n’est pas assez compacte pour avoir des intérêts vraiment distincts et pour les faire prévaloir.

Lorsqu’en 1832, certains hommes poussaient à une insurrection de la Vendée dans l’intérêt légitimiste, ils rêvaient des paysans étrangers aux idées comme aux intérêts des villes. Une prompte expérience leur prouva que l’esprit de bourgeoisie, c’est-à-dire d’industrie et de propriété, avait pénétré la chaumière du laboureur, et qu’il n’y a pas plus aujourd’hui de paysans en politique, que de bergers en poésie. Les meneurs de Lyon et de Paris se sont laissé aller à une erreur analogue ; ils n’ont pas su voir que, même au sein de nos plus grands centres industriels, l’ouvrier et le fabricant, le pauvre et le riche, sont dans une dépendance réciproque et constante.

Une résistance, tant soit peu longue, doit inévitablement amener à crier merci des ouvriers engagés dans une insurrection démagogique ; car ils n’y sont guère entraînés que par le manque de travail et de pain, et la victoire, loin de leur en assurer, leur en enlève. Force serait donc de passer vite au pillage et à l’assassinat ; mais si l’on jette ainsi quelques jours la terreur dans une grande cité, on ne fait pas une révolution : tout au contraire, on la rend impossible, car on arme contre soi, non plus des opinions, mais des intérêts.

Nulle analogie à établir, ainsi que le clubisme a paru le croire. entre la situation des esclaves dans l’antiquité, et la classe qu’il flétrit du nom païen de prolétaire. Dans les guerres des esclaves, Rome avait à combattre une population fort supérieure à celle de ses citoyens, population établie presque seule dans certains cantons agricoles de l’Italie et de la Sicile ; elle devait de plus redouter, au milieu de sa domination toujours menacée, qu’une guerre d’esclaves ne dégénérât promptement en guerre sociale, et que la voix d’un Spartacus ne proclamât la liberté du monde. Il faut toute la pénétration historique de nos Brutus de carrefour pour comparer une situation si artificielle et si terrible à celle d’un peuple qui, sur trente millions d’hommes, compte huit millions de petits propriétaires, et chez lequel l’aristocratie du capitaliste est protégée par la démocratie chaque jour croissante des caisses d’épargnes.

Une école, qui se prétendait américaine, s’éleva dans l’origine au sein du parti républicain, en dissidence de principes avec l’école conventionnelle. Celle-là semblait devoir ébranler vite la monarchie nouvelle, dont la position rappelait à tous les esprits celle des Turcs campés sur le Bosphore, qui s’y maintiennent moins par leur propre force que par la crainte qu’inspirent leurs successeurs. Que si ses écrivains eussent été assez maîtres de leur public pour laisser de côté les lieux communs philosophiques et révolutionnaires, les admirations peu judicieuses, s’ils s’étaient bornés à soutenir des thèses économiques et industrielles, et, placés au centre des classes moyennes, à exploiter, au profit du principe électif, les fautes inséparables d’une position si critique, il est probable qu’ils auraient porté à la royauté mal assise des coups plus prompts et plus sûrs que les attaques victorieusement repoussées à Lyon et au cloître Saint-Méry. Mais cette école se croyait américaine sans l’être ; car, en étudiant les institutions de ce pays, elle fit abstraction des mœurs qui en sont l’âme ; elle avait tous les instincts de notre libéralisme voltairien, toutes les ambitions de notre esprit militaire.

Lorsqu’elle ne prit point part à d’ignobles attaques contre le culte de l’immense majorité nationale, elle affecta une indifférence, dont la manifestation seule enlèverait à un citoyen de l’Union toute autorité politique, toute considération privée. Enfin, par une contradiction qui prouvait combien les idées américaines avaient peu profondément pénétré, on prétendit enter des institutions essentiellement pacifiques sur un système de guerre et de propagande à main armée. La nature bonapartiste perça vite ; on fit de la stratégie au lieu d’économie politique ; on dressa des plans de campagne au lieu de combiner des lois électorales et de nouvelles libertés municipales : on cessa de regarder Lafayette pour se coiffer du chapeau de Napoléon.

C’est par ses instincts de guerre que l’école américaine a perdu vite sa physionomie, et s’est confondue dans toutes les circonstances graves avec l’école conventionnelle, ou du moins s’est effacée derrière elle. Je sais qu’il peut être fort louable de ne pas désavouer dans le danger ceux qui combattent un commun adversaire ; cette conduite est digne de gens de cœur et les honore, mais elle n’en fait pas moins reculer les affaires, car tout ce qu’il y a de plus dangereux pour les partis, comme pour les individus, c’est une solidarité dont ils ne se relèvent pas.

La seule époque de notre révolution où la réforme sociale ait été conçue d’une manière tant soit peu américaine, où l’on ait tenté de l’opérer par la seule puissance du droit, c’est, il faut le dire, sous la Constituante. L’Assemblée Nationale fut véritablement pacifique ; elle se préoccupait moins de l’Europe que de l’excellence de son œuvre ; mais bientôt vinrent Brissot et les Girondins, qui sont les véritables fondateurs de l’école démocratico-militaire du National.

Cette disposition guerrière et conquérante, commune aux fractions diverses de ce parti, a, plus que toute autre chose, assuré l’éclatante victoire du pouvoir. Le maintien de la paix a été, depuis 1830, et la base du système politique et le principe même de sa force ; car cette idée concorde autant avec le cours providentiel de la civilisation du monde qu’avec les intérêts vitaux de la France. Il n’y a pas plus de système à combattre l’émeute dans les rues qu’à résister à un bandit qui vous assaillit ; mais chercher pour les questions les plus ardues une solution pacifique, substituer une influence morale au propagandisme de la force, savoir circonscrire la sphère de son action pour être en droit de l’y exercer plus puissante, c’est là une idée discutable sans doute, mais que je crois, pour mon compte, conforme à l’esprit du siècle, idée qui honore le pouvoir qui l’a conçue et poursuivie au milieu des plus terribles épreuves.

Quelques nuances qui aient pu séparer les deux écoles républicaines, il est certain qu’en ce moment elles sont, à bien dire, confondues aux yeux du pays. Ce fut l’habileté, et en même temps le bonheur du pouvoir, d’opérer cette confusion. Ainsi, sous la restauration, fit l’opposition de quinze ans, en confondant dans une réprobation commune les gens à doctrines de la droite et les gens d’affaires du centre droit ; hommes très dissemblables de leur nature, mais également solidaires par honneur et par affinité, non par caractère et par conviction.

Il n’y a donc plus debout devant la France qu’un seul parti républicain, comme sous la restauration il n’y avait qu’une seule école de droite. Les classes moyennes qui ont brisé celle-ci, auront également raison de celui-là. Il semble que ce soit aujourd’hui prophétiser à coup sûr que d’annoncer sa dislocation, au moins temporaire. Quelle entreprise oserait en ce moment tenter ce parti, soit par la force, soit par les voies légales, lui, devenu un embarras pour le pouvoir après l’avoir fait trembler, et qu’il est plus difficile de garder sous les verroux que de vaincre ?

Toutefois, que le gouvernement ne s’abuse pas sur les motifs qui ont amené la dissolution d’un parti dont l’état-major s’enfuit par le soupirail d’une cave après avoir rêvé la conquête de la France et la domination du monde. Ce ne sont ni ses soldats, ni ses réquisitoires, qui ont fait reculer la république ; elle seule s’est suicidée en étalant ses dogmes au grand jour. Son plus redoutable ennemi a été la presse, non la presse subventionnée qu’on lit peu, mais la presse républicaine qu’on a lue davantage et qui a fait peur. C’est par la presse que la république a révélé au pays sa philosophie, laquelle a fait si violemment rétrograder sa politique. J’ajouterai que si le pouvoir n’avait reculé devant l’inconvénient de laisser discuter son principe, inconvénient qui me toucherait davantage si je connaissais un moyen de l’éviter, s’il avait cru pouvoir ouvrir l’enceinte de la pairie aux conseils officiels de la république, l’incohérence de leurs pensées, la boursouflure de leurs paroles, eussent infailliblement prolongé le bail du pays avec la monarchie.

En ce moment surtout, où de graves résolutions s’agitent, il est bon de répéter cette maxime, que l’erreur s’épuise plutôt qu’elle ne se laisse vaincre. Je ne sais s’il est donné aux pouvoirs de la terre d’empêcher l’introduction d’une idée fausse dans le monde ; mais ce que je ne peux ignorer, car cet enseignement est écrit à toutes les pages de l’histoire, c’est qu’un faux principe introduit dans les intelligences ne périt plus que par ses conséquences même. Bossuet et à plus forte raison la censure se fussent brisés contre le xviiie siècle ; pour le tuer, il fallait 93. Les procès de la presse n’avanceront pas d’un jour l’anéantissement des factions, et l’infernale machine du boulevard du Temple a rallié plus de convictions autour du trône, qu’une injuste polémique n’en avait séparé depuis cinq ans. La liberté, la licence même, ont été pour le pouvoir autant une force qu’un obstacle, et la pensée qui le dirige ne peut l’avoir oublié. Quand les gouvernemens ont trouvé quelque force, ils succombent presque toujours à la tentation d’en abuser contre ceux-là même dont les excès la leur assurent. Ils restent alors pour un instant maîtres du champ de bataille, et entonnent l’hymne du triomphe la veille du jour où la réaction commence.

Les républicains ont tué la république. Ils n’ont désormais à rendre à leur cause qu’un suprême et dernier service, c’est de se dévouer pour elle, non en se jetant tête baissée sur les baïonnettes ennemies, mais en rentrant dans l’obscurité de la vie privée, en redevenant médecins, savans, industriels, de malencontreux tribuns qu’ils ont été.

Du moment où ces hommes auront cessé d’occuper la scène et de soulever dans le pays d’invincibles répugnances, une péripétie nouvelle commencera dans l’ordre politique, et je ne sais jusqu’à quel point les partisans de la royauté constitutionnelle peuvent, sans imprudence, désirer la fin d’une lutte durant laquelle la monarchie trouve au moins dans les instincts moraux et conservateurs du pays le seul contrepoids à l’action incessante des idées démocratiques. On n’a plus à redouter aujourd’hui la république venant s’imposer dogmatiquement à la France avec son fanatisme et ses hautaines formules. Celle-là est inscrite, à côté du saint-simonisme, son frère, dans l’immense catalogue des folies humaines ; la civilisation lui a pour jamais passé sur le corps ; mais on en doit craindre davantage le progrès des idées républicaines par l’affaiblissement manifeste des idées monarchiques, progrès retardé par les dangers dont d’horribles passions menacent l’ordre social, et qu’une situation moins agitée rendrait sans doute plus rapide. Tout pouvoir, par le fait seul de sa durée, suscite une masse de résistances dont l’effet peut être calculé avec une sorte de rigueur mathématique : vers quel point inclinent ces résistances inévitables ? Là gît tout le secret de l’avenir.

Si, à mesure que l’école républicaine perdait du terrain, on avait vu refleurir les croyances monarchiques, on pourrait, avec quelque vraisemblance, attendre de l’opinion un mouvement analogue à celui qui, après la sanglante anarchie de la terreur et l’anarchie impotente du directoire, prépara la forte constitution de l’an viii ; Il serait même loisible de penser, avec les journaux de la droite, que le vent souffle à une restauration de leur système, peut-être de leur principe. Mais lorsqu’on voit l’opinion bourgeoise, toute disposée qu’elle soit, dans les circonstances critiques, à prêter à l’autorité l’appui de la force matérielle, rester impassible devant l’émotion des feuilles ministérielles prêchant chaque matin l’ordre moral et le retour à l’équilibre constitutionnel ; quand on voit l’opinion légitimiste elle-même répudier ses traditions et ses dogmes pour prendre des allures démocratiques, comment ne pas penser que, derrière les théories constitutionnelles, il est des idées fortes et vivantes, vers lesquelles incline, sans en avoir la conscience, l’esprit même des classes moyennes ?

Il est certain que les républicains sont morts : il ne l’est point que la république ne puisse pas surgir un jour de leur tombe. On peut affirmer qu’elle ne sortira désormais ni du Réformateur, ni du National. On n’affirmerait pas sans témérité qu’elle ne sortira point à la longue du Constitutionnel, du Temps, du Messager, du Courrier Français, du Bon Sens, organes des opinions centrales, qui, par des nuances graduées, descendent à une opposition qu’il y aurait par trop de bonhomie à dire purement constitutionnelle.

La monarchie a désormais moins à craindre les clubs que les boutiques ; elle doit moins redouter l’émeute que la sécurité au sein de laquelle couvent les révolutions. Dans un temps comme le nôtre, il n’y a, pour réussir, que les révolutions insensibles, parce qu’elles ne semblent pas des révolutions. Ainsi se fit en quinze années celle de 1830, à laquelle la bourgeoisie donna la main, quoique la veille encore elle protestât, non sans sincérité, de son horreur pour les perturbations politiques. Je suis moins touché des dangers patens de la monarchie actuelle que de l’entraînement général des esprits et des choses. La royauté doit moins redouter, à mon avis, les assauts, même le poignard de ses ennemis, que les défections de ses défenseurs. La force armée et l’exécration du pays peuvent protéger contre l’un de ces périls ; je cherche en vain un moyen de prévenir l’autre.

Cette puissance, à bien dire, négative du principe républicain, devenu instrument d’opposition et thème d’économie, ne s’exercera que sous condition de reprendre ces allures de comédie dont la presse quotidienne est coutumière. La monarchie de 1830 deviendra assez forte pour imposer l’hypocrisie à ses adversaires ; le sentiment du pays les ramènera, plus sûrement encore que des lois pénales, à une sorte de diapason constitutionnel. Mais, comme dans l’histoire de l’esprit humain, un mouvement critique se développe au sein même d’une époque organique, et simultanément avec elle, de même aussi l’on voit, au milieu des victoires du pouvoir, s’accumuler les germes d’une opposition redoutable. Des thèses, aujourd’hui sans retentissement, en trouveront, sous peu d’années, dans le pays, et jusqu’au sein des chambres. Après l’expédition d’Espagne, et ces élections faites, comme un Te Deum, au bruit du canon du Trocadero, M. de Villèle et ses amis ne prévoyaient pas le mouvement électoral de 1827, et la chambre qu’il produisit soupçonnait moins encore qu’elle sanctionnerait la révolution de 1830. Il y a dans ce seul fait bien des dangers et bien des enseignemens ; et c’est en ce moment surtout qu’il faut les rappeler.

Ici se présente une grave et dernière question que les prévisions de l’avenir imposent l’obligation d’aborder.

Si les idées républicaines ont succombé comme théories anti-chrétiennes et anti-sociales, pourraient-elles se transformer en s’immisçant aux intérêts moraux et pacifiques de la bourgeoisie, au point de s’appliquer un jour en France sous une forme régulière et permanente ? problème que nous chercherons à bien poser plutôt qu’à résoudre.

Disons d’abord qu’il y a des motifs trop solides à faire valoir contre la possibilité de cette application, pour qu’il soit convenable de les affaiblir par des lieux communs de nulle valeur devant les faits et devant l’histoire.

Je ne tiens, par exemple, aucun compte de l’objection tirée de la situation politique de l’Europe, car cette situation peut en quelques années se modifier à ce point, que la France, en adoptant des institutions républicaines, ne serait qu’à l’avant-garde des peuples qu’elle a toujours devancés. Le régime constitutionnel devient le droit commun du midi, l’Angleterre nous pousse en avant, bien loin de nous suivre : l’action compacte de l’est et du nord n’existe pas, même dans les protocoles ; deux grandes influences se partagent l’Allemagne, et si la Russie est un colosse, il manque des conditions premières du mouvement : corps gigantesque, le long duquel l’œil suit déjà comme une immense ligne de fracture, que son développement vers l’Orient rendrait plus imminente encore. Dans les éventualités de l’avenir, la France n’a guère à tenir compte d’une croisade européenne ; il est douteux que cette croisade fût entreprise, il est plus douteux encore qu’elle réussît.

Une autre objection se présente, dont je confesse n’être pas plus touché. La république, a-t-on répété d’après Montesquieu, ne convient qu’aux petits états ; or, la France offre une superficie de dix mille cent cinquante milles géographiques carrés, donc elle est essentiellement monarchique : argument à la toise, qui, pour être fort simple, n’en est pas plus péremptoire.

Quand Montesquieu considérait les petits états comme plus propres à l’établissement du régime républicain, il songeait aux républiques anciennes, où la souveraineté des citoyens s’exerçait directement et sans délégation ; il avait surtout l’œil fixé sur les peuples du moyen-âge, dont l’histoire devrait peut-être conduire à une conclusion tout opposée.

Ce qui fit alors de la forme républicaine un instrument d’anarchie. ce fut, en effet, l’exiguité du théâtre sur lequel elle se développa. Les petites républiques italiennes étaient trop faibles pour résister à la fois et aux ennemis du dehors et aux rivalités des grandes familles, pour lesquelles prenait parti la nation tout entière. Les luttes y étaient plus personnelles que politiques ; et Florence, Lucques, Pise et Milan eurent des factions plutôt que des partis. C’est qu’au sein de ces états, dont le territoire ne s’étendait guère au-delà des murs de la cité, les individualités étaient fortes : un condottiere était puissant par son épée, un noble par sa naissance, un marchand par son or, un démagogue par sa parole. Des chaînes tendues dans les rues, le palais de la Seigneurie forcé, le chef des blancs ou des noirs assassiné, voilà une révolution faite à Florence. Le lendemain, proscription, le surlendemain, vengeance : telle est l’histoire de ces républiques où la liberté des uns fut toujours la servitude des autres.

L’application des formes républicaines rencontrerait en France de grands obstacles, mais ce ne seraient aucuns de ceux-là. Personne aujourd’hui n’est en mesure de remuer les masses, ou du moins de fonder au milieu d’elles une influence durable ; quant à l’espoir de la transmettre aux siens, c’est un rêve, même lorsqu’on s’appelle Napoléon. Les individus n’ont de valeur que par l’idée qu’ils représentent, et qui demeure plus puissante que les plus puissans d’entre eux. L’on se met au service d’un parti, jamais un parti ne s’inféode au service d’un homme. Avec de l’or et des qualités personnelles, on devient M. Laffitte, on devenait, au xve siècle, Côme de Médicis. Le banquier florentin établit une dynastie, le banquier libéral met en vente son hôtel, qu’une souscription nationale ne rachète pas. Je comprends que les querelles des Albizzi et des Donati ensanglantassent Florence : je ne comprendrais pas que Paris courût aux armes pour élever à la présidence tel avocat ou tel industriel, depuis long-temps livré aux insultes et aux sarcasmes de la presse. Si l’établissement du régime américain ne rencontrait ailleurs de plus sérieuses difficultés, on peut croire que ces périodiques changemens finiraient par ressembler fort à des changemens de ministères, et par agiter la Bourse plus que la place publique. Ces institutions établies en France tendraient plutôt à fractionner les partis qu’à les rendre plus compactes ; elles achèveraient la décomposition que la révolution de juillet 1830 a si fort avancée. Quant à l’étendue du territoire, qui ne voit que ce fait est contrebalancé tout au moins par la rapidité des communications, par des habitudes invétérées de centralisation intellectuelle et administrative ?

Et c’est ici que se présente l’objection vraiment dirimante, c’est ici qu’on mesure d’un seul coup d’œil toute l’étendue de la révolution morale, sans laquelle les institutions électives et les formes américaines ne s’acclimateraient jamais parmi nous.

En Amérique, l’homme a fait la société ; en Europe, la société a fait l’homme. Le citoyen des États-Unis compte sur lui-même, le citoyen français compte sur le pouvoir. Aux yeux de celui-ci, l’intervention du pouvoir est le droit commun ; aux yeux de celui-là, c’est l’exception. Pour l’un, la liberté consiste à limiter la force gouvernementale, pour l’autre, à faire fonctionner cette force à son profit. Qu’exige-t-on du gouvernement par-delà l’Atlantique ? Qu’il laisse à elle-même une société à laquelle le désert et l’esprit d’entreprise ne manquent pas. Que lui demande-t-on en France ? De présenter des lois libérales, de concevoir et d’exécuter des projets philantropiques, tout en diminuant le budget ; il doit à la fois étendre au dehors l’influence nationale, puis, au dedans, creuser les canaux et faire les routes. Malheur à lui s’il n’agit pas ! malheur à lui s’il dépense ! En Amérique, le gouvernement central est un notaire qui enregistre et sanctionne tout ce qu’entreprennent, dans leur sphère indépendante, chaque état, chaque commune, chaque association ; en France, c’est un entrepreneur sur lequel tout le monde se repose du soin de ses affaires, sous condition de l’insulter et de le bien payer.

« C’est dans la commune que réside la force des peuples libres. Les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. Sans institutions communales, une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n’a pas l’esprit de liberté. Des passions passagères, des intérêts d’un moment, le hasard des circonstances, peuvent lui donner les formes extérieures de l’indépendance ; mais le despotisme repoussé dans l’intérieur du corps social, reparaît tôt ou tard à la surface[4]. »

Le jeune publiciste qui a consigné cette sentence en tête d’un livre où éclate une merveilleuse sagacité, a fait avec raison de la commune l’élément de la vie sociale, et, si je l’ose dire, la monade des institutions républicaines aux États-Unis.

Je crains bien que le principe générateur d’où découle le gouvernement local et libre de l’Amérique, n’explique également par son absence la disposition manifeste de la France pour un pouvoir fort et centralisé. La commune, c’est-à-dire la tribu organisée pour fonctionner librement, n’existe parmi nous, ni en réalité, ni même en théorie. Si l’on a réclamé avec chaleur le système électif appliqué à l’organisation des conseils municipaux, c’est que les ambitions locales ont vu dans cette loi une chance de se faire jour. Aujourd’hui que ce principe est conquis et largement appliqué, les vœux du pays ne semblent pas aller plus loin. Nous venons d’assister à la longue et technique discussion d’une loi communale qui maintient, jusque dans les moindres détails, et la minorité des communes et la tutelle exercée par les bureaux de la rue de Grenelle. Cependant cette loi n’a rencontré nulle opposition sérieuse, ni dans l’opinion, ni dans les chambres, tant les banalités sur l’émancipation administrative suscitent jusqu’à présent peu de sympathie.

Une commune française ne peut ni acquérir dix toises de pierres, ni vendre dix arbres desséchés, sans l’agrément de l’autorité supérieure ; elle n’a pas le droit de changer les jours de ses marchés, et moins encore celui d’en établir de nouveaux ; son conseil municipal ne peut délibérer sur un objet, même d’urgence, dont il n’aurait pas été autorisé à s’occuper à jour déterminé ; son maire ne peut mandater une dépense de vingt francs, sans en référer au préfet ; celui-ci ne saurait prendre une décision sans en écrire au ministre. Une commune ne peut sans permission construire une école ou réparer son église en ruines, et la permission obtenue, elle doit suivre les plans, accepter le devis d’un agent inconnu d’elle ; heureuse si, à raison de sa misère, elle évite le conseil des bâtimens civils ou les nombreux comités du conseil d’état.

Tout cela se passe après la révolution de juillet, sans rencontrer plus de résistance que sous la restauration et sous l’empire, preuve évidente que, si cette révolution a eu pour but de faire passer le pouvoir en d’autres mains, son génie ne tend pas à en circonscrire l’exercice.

Je viens de lire avec attention l’analyse des votes des conseils généraux sur tous les objets d’utilité nationale ou départementale (session de 1833) ; et cette étude, je l’avoue, est loin de m’avoir révélé, du moins comme actuel, ce besoin du gouvernement du pays par le pays, et cette horreur profonde de la centralisation, sur lesquels ont vécu pendant long-temps et les journaux peu nombreux de l’école américaine et les gazettes plus nombreuses du parti légitimiste. J’ai trouvé d’innombrables demandes de fonds adressées au gouvernement, et peu d’offres de faire par soi-même ; on sollicite des brigades de gendarmerie, des ingénieurs, des employés de tous genres ; on ne réclame en faveur du commerce aucune modification à la législation qui le régit. Deux ou trois conseils généraux seulement invitent le gouvernement, mais sans préciser aucune vue, à remédier aux abus de la centralisation, Nulle part, il faut l’avouer, et pour mon compte je déclare que c’est avec regret que je le confesse, ne perce cet esprit d’entreprise et d’association, ce génie indépendant et local, que la protection gouvernementale contient, et qui aspire à s’en débarrasser. Loin de là, il est certains conseils généraux qui voudraient étendre l’action de l’autorité là où, selon les principes de tous les économistes, elle ne pourrait qu’entraver l’essor de l’industrie particulière : il en est un, par exemple, qui, frappé des abus du système d’assurance contre l’incendie, demande sans hésiter que le gouvernement devienne assureur général pour toute la France. Cela n’est guère américain, comme l’on voit.

Je ne renonce pas à penser que cette disposition se modifiera à mesure que le système électif et l’habitude des affaires jetteront de plus profondes racines. Mais que, pour attaquer la législation du pays, on ne change pas une conjecture en certitude : la France n’éprouve aujourd’hui nul repoussement contre le système administratif qui la régit, c’est là un fait plus entêté que tous les principes contraires. Du reste, cette question est trop grave pour n’être touchée qu’en passant : nous y reviendrons.

L’uniformité administrative établie par la Constituante, la hiérarchie rigoureuse consacrée par les constitutions consulaires et impériales, sont certainement, de nos innombrables institutions, celles qui ont le plus pénétré nos mœurs. Il n’est guère de citoyen, à quelque opinion qu’il appartienne, industriel, capitaliste ou propriétaire, qui ne trouve par quelque endroit ses intérêts liés au maintien de cette organisation puissante, et qui n’hésitât beaucoup s’il s’agissait d’en ébranler les bases. L’on a tellement arrangé sa vie en France, que le pouvoir y est devenu nécessaire à tous. Il y doit servir à la fois de protecteur et de plastron.

On conçoit donc que la royauté, par suite d’empiétemens successifs, arrive à ce point de n’être plus que nominale, peut-être même de disparaître un jour, dans un conflit parlementaire, devant une présidence à bon marché. Mais cette révolution, que l’esprit embrasse dans les chances infinies de l’avenir, laisserait entière la question républicaine, telle qu’elle est posée aux États-Unis. Pour avoir à sa tête un président au lieu d’un roi, le pays n’en ferait pas plus ses affaires lui-même. Le protocole des lois serait changé, mais leur esprit resterait invariable. Une révolution modifie l’Almanach Royal, mais n’inspire pas de goûts nouveaux ; le temps seul transforme le génie des peuples ; lui seul est père des révolutions viables et légitimes.

Il est tel peuple chez qui cette situation rendrait une révolution impossible ; il est tel autre qui n’en courra peut-être pas moins les chances, au risque de se trouver un jour en dehors de la monarchie sans être prêt pour la république

Ce que nous voyons semble, en effet, préparer plutôt la chute de l’une que la naissance de l’autre. On attaque le pouvoir sans chercher aucun moyen de s’en passer. Et puis, tant de questions incertaines tiennent tout l’avenir en suspens ! La France est-elle assez morale pour supporter la liberté ? deviendra-t-elle assez religieuse pour exercer elle-même sa propre souveraineté ? Redoutable problème, au bout duquel sont les libres institutions et les croyances sévères de l’Amérique, ou la dégradation et l’esclavage de Rome, Washington ou Tibère !


Louis de Carné.
  1. En acceptant les offres de collaboration que la direction de la Revue des deux Mondes m’a fait l’honneur de m’adresser, je ne pouvais ignorer que les opinions que j’aurais à y émettre sur les matières les plus graves et les plus délicates agitées de notre temps, sur la question religieuse surtout, devraient quelquefois se trouver en désaccord avec celles plus généralement énoncées dans ce recueil. Cet article en sera sans doute une preuve nouvelle. On voudra donc bien le recevoir comme une expression d’une opinion consciencieuse, mais toute personnelle, dont je ne décline pas plus la responsabilité que je ne voudrais la faire partager aux autres.

    (Note de l’auteur.)

    Voici plus d’un mois que nous retardons l’insertion du travail de M. de Carné ; le moment ne nous paraissait pas opportun. Aujourd’hui, sans partager toutes les opinions de l’auteur, et sans décliner la part de responsabilité que nous pouvons prendre en publiant, nous n’hésitons pas à le faire. Les hommes de bonne foi doivent appeler la discussion libre et large, et non la supprimer.

    (N. du D.)

  2. Curia… omnium terrarum arcem.
  3. Semper in civitate, quibus opes nullæ sunt, bonis invident, malos extollunt, vetera odere, nova exoptant ; odio suarum rerum mutare omnia student ; turba atquè seditionibus, sine curâ aluntur, quoniam egestas facilè habetur sine damno… Primum omnium, qui ubiquè atque petulanciâ maxumè præstabant, item alii, per dedecora, patrimoniis amissis, postremò omnes quos flagitium aut facinus domo expulerat, hi, Romam, sicut in sentinam confluxerant. (Salluste, Catil., c. 37.)
  4. De la Démocratie en Amérique, par M. de Tocqueville.