Description d’un parler irlandais de Kerry/2-5

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Chapitre V. L’adjectif : flexion et comparaison.


CHAPITRE V
L’ADJECTIF : FLEXION ET COMPARAISON

§ 54. L’adjectif, qui n’est fléchi que lorsqu’il qualifie le substantif, suit les types de la flexion substantive. Cependant la flexion en est sensiblement plus attaquée que celle du substantif. Il n’y a pas de datif pluriel. Il n’y a pas de forme duelle. Il n’y a pas d’opposition de genres au pluriel.

Classe I.

Cette classe comprend les adjectifs terminés par une consonne vélaire (les adjectifs en ‑əχ, ‑ɑχ ‑αχ (‑ach), qui forment un des deux grands types productifs, doivent être mis à part).

Le masculin se fléchit comme le type I substantif, le féminin comme le type VIII ; le pluriel suit le type pluriel III, sous réserve du datif, semblable au cas direct ; quelques adjectifs suivent au pluriel le type IV.

singulier masculin féminin
Cas dir.
Dat.
dɑul (dall) « aveugle » Cas dir.
Voc.
dɑul (dall)
Gén. Voc. di:lʹ (daill) Gén. dilʹə (daille)
Dat. di:lʹ (daill)
Pluriel (des deux genres).
Cas dir. Voc. Dat. dɑlə (dalla), ueʃlʹə (uaisle) « noble »
Gén. dɑul (dall), uəsəl (uasal), ou semblable au cas direct.

§55. La flexion présente les mêmes points faibles que la flexion substantive, mais l’évolution est plus avancée. Au masculin singulier les oppositions casuelles restent solides. Au féminin singulier, l’emploi du génitif est bien maintenu, sauf dans les surnoms : tʹigʹ mɑ:rʹə vɑ:n (tigh Máire Bhán) « la maison de Marie-la-Blanche » ; mais lɑ: fʹαməni: di: (lá feamnaighe duibhe) « le jour (de la récolte) du goémon noir ». L’emploi du datif subit les mêmes fluctuations que dans le substantif. Là où la forme dative est négligée, pour le substantif, elle l’est aussi pour l’adjectif qui le qualifie: B. O., II, 97 : le bean óg uasal « avec une jeune demoiselle », mais II, 203 (texte du même sujet parlant) go dí an mnaoi uasail « vers la demoiselle ». Dans le premier exemple on a le parler spontané du sujet, dans le deuxième, la recherche d’un style plus élégant.

La forme de cas direct pluriel est d’un emploi régulier : nə hi:αdi: bɑ:nə (na h‑éadaighe bána) « les vêtements blancs » ; nə bro:gə i:ʃlʹe (na bróga ísle) « les souliers bas » ; fʹiəχənə du: (fiachanna dubha) « des corbeaux noirs ». La forme du génitif tend à être négligée, et supplantée par celle du cas direct, fait qui peut influer sur la forme du substantif même : le même sujet dit er αg ʃαχt mʹlʹiən (ar fheadh seacht mbliadhan) « pendant sept années », mais er αg ʃαχt mʹlʹiənə muərə fɑdə (ar fheadh seacht mbliadhna móra fada) « pendant sept grandes et longues années ». On saisit dans des exemples de ce type d’une part la tendance à se dispenser de fléchir l’adjectif au pluriel, d’autre part l’effort pour éviter tout disparate entre l’adjectif et le substantif qu’il qualifie.


§ 56. Adjectifs en ‑əχ, ‑ɑχ, ‑αχ (‑ach). Ces adjectifs ne diffèrent pas, en principe, quant à la flexion, des autres adjectifs terminés par une consonne vélaire. En fait, ils tendent plus nettement encore à être invariables et sont à cet égard en avance sur l’évolution des autres adjectifs de même flexion. Le génitif masculin est assez bien maintenu : er hè:v ə vo:hərʹ uegʹənʹəgʹ (ar thaobh an bhóthair uaignigh) « au bord du chemin solitaire » ; mais le même sujet dit : er αg ə vo:hərʹ ji:rʹəχ (ar fheagh an bhóthair dhíreach) « tout le long du droit chemin ». Le même sujet dit tʹigʹ nə mnɑ: sɑli: (tigh na mná salaighe) « la maison de la femme malpropre », lʹeʃ ə mni: hɑləgʹ (leis an mnaoi shalaigh) « à la femme sale », mais lʹeʃ ə mni: χo:rəχ (leis an mnaoi chórach) « à la femme bien faite » ; ən ɑ:tʹ uegʹənʹəχ (i n‑áit uaigneach) « en un lieu solitaire », est l’expression commune (et non uegʹənʹəgʹ).

On a fréquemment la forme du singulier étendue au pluriel : kɑinʹtʹənə slɑχə (cainnteana salacha) ou slɑχ « des paroles malpropres » ; nə bo:rʹhə dʹi:rʹəχə (na bóithre díreacha) ou dʹi:rʹəχ « les chemins droits » ; buəχəlʹi: ko:rəχ (buachaillí córach) « des garçons bien faits » ; mnɑ: tuəhələχ (mná tuathalach) « des femmes grossières ».

La confusion qui règne quant à l’emploi de la forme du pluriel rend difficile d’apprécier l’emploi du génitif pluriel, puisque dans une formule du type : mo:rɑ:n kɑinʹtʹənə slɑχ (mórán cainnteanna salach) « beaucoup de paroles malpropres » on ne peut savoir si on a une forme de génitif pluriel, ou un cas direct singulier, étendu au pluriel.

Pour la flexion de l’adjectif employé substantivement, voir § 12.


§ 57. Classe II.

Cette classe comprend les adjectifs terminés par une consonne palatale ou par un ‑h. Il y a lieu de distinguer deux types :

1º Les adjectifs en ‑u:lʹ (‑amhail) ne comportent pas de distinction de genre (quant à la flexion). Le singulier des deux genres suit le type substantif IV : koˈsu:lʹ (cosamhail) « semblable », gén. koˈsu:lə (cosamhla). Le pluriel a le cas direct-vocatif-datif semblable au génitif singulier ; le génitif, semblable au cas direct singulier, tend à être éliminé, si bien que ces adjectifs tendent à n’avoir qu’une forme au pluriel : koˈsu:lə (cosamhla).

2º Les autres adjectifs terminés par une consonne palatale, et les adjectifs terminés par ‑h distinguent les genres au singulier, opposant aux autres cas le génitif féminin terminé par ‑ə (‑e, ‑a), précédé, en règle générale, de consonne palatale, dans quelques adjectifs, de consonne vélaire : dʹi:lʹəʃ (dílis) « cher », sokərʹ (socair) « tranquille », gén. fém. dʹi:lʹʃə (dílse), sokərə (socra). Le cas direct-vocatif-datif pluriel coïncide formellement avec le génitif féminin; le génitif pluriel, lorsqu’il est maintenu, est semblable au cas direct singulier, mais ici encore toute distinction de cas tend à s’éliminer au pluriel : bʹrʹi: nə vokəl dʹokərə (brígh na bhfocal deacra) « le sens des mots difficiles » ; mais aussi ɑigʹ nə mnɑ: ɑ:lənʹ (aghaidh na mná álainn) « le visage des belles femmes », quoique le substantif ait la forme du cas direct. Ou faut-il voir ici un cas direct singulier, pour le cas direct pluriel ɑ:lʹə (áilne) ?

Il arrive en effet que ces adjectifs soient traités comme invariables et que la forme du singulier soit employée au pluriel : buəχəlʹi: ɑ:lənʹ (buachaillí álainn) « de beaux jeunes gens », mais buəχəli: kruə (buachaillí cruadha) « des jeunes gens durs à la peine ».


§ 58. Classe III. Les adjectifs terminés par une voyelle sont invariables : uenʹhə (uaithne) « vert », fɑdə (fada) « long » ; bʹrʹɑ: (breágh) « beau », fait au pluriel bʹrʹɑ:hə (breághtha).

Les adjectifs verbaux et les formes de comparaison, rentrant dans cette classe, sont invariables. Au reste ces dernières ne s’emploient que comme prédicats.

Pour les mutations initiales qui constituent un des éléments de la flexion de l’adjectif, voir § 136.


§ 59. Degrés de comparaison.

Le parler a recours à des procédés différents selon qu’il s’agit de préciser le degré absolu ou le degré relatif. Le degré absolu est exprimé par composition avec un préfixe (voir § 63); le degré relatif est exprimé par une forme spéciale. Il n’est distingué que deux degrés relatifs : 1º un positif, qui, précédé de la particule χo:, ko: (chomh), sans action sur l’initiale, sert d’équatif : 2º un comparatif. Le comparatif peut exprimer la supériorité d’un terme par rapport à un deuxième terme qui l’exclut (comparatif exclusif), ou par rapport à un ensemble qui l’inclut (comparatif inclusif, qui correspond à notre superlatif). Le parler distingue les deux types par la construction (voir § 155), non par la forme.

La forme comparative est toujours semblable au génitif féminin singulier; elle est donc terminée par ‑ə (‑e), précédé de consonne palatale, dans les adjectifs de Classe I (soit ‑i: (‑ighe), dans les adjectifs en ‑ach), et dans les adjectifs de Classe II, à l’exception des adjectifs en ‑u:lʹ (‑amhail), et des adjectifs qui forment le génitif féminin en ‑ə (‑a) précédé de consonne vélaire. Ceux-ci forment également le comparatif en ‑ə (‑a) précédé de consonne vélaire. La forme comparative des adjectifs de Classe III ne se distingue pas du positif : gʹilʹə (gile), de αl (geal) « blanc » ; mʹi:lʹʃə (milse) de mʹilʹəʃ (milis) « doux » ; dʹi:αni: (déidheannaighe) de dʹi:αχ (déidheannach) « tardif, dernier » ; koˈsu:lə (cosamhla), de koˈsu:lʹ, dʹokərə (deacra), de dʹokərʹ ; bʹrʹɑ:hə (breághtha), de bʹrʹɑ:, etc.


§ 60. Comparatifs anomaux.

ɑ:rd (árd) « haut », i:rdʹə (aoirde) ; bʹog (beag) « petit », lu: (lugha) ; fɑdə (fada) « long », ʃie (sia) ou fʷidʹə (fuide); fʹrʹiʃtʹə (fuiriste) « facile », fʹrʹiʃtʹə ou fusə (fusa) ; gʹɑ:r (gearr), gɑrʹədʹ ou αrʹədʹ (geairid) « proche temporellement », tu:ʃgʹə (túisce) ; gʹɑ:r, α (gearra) « proche localement », gʹurə (giorra) ; mαh (maith) « bon », fʹɑ:r (fearr) ; mʹnʹikʹ (minic) « souvent », mʹinʹikʹi: (minicí) ; muər (mór) « grand », mo: (mó) ; olk (olc) « mauvais », α (measa) ; tʹeh (té) « chaud », tʹo: (teo) ; tʹrʹi:αn (tréan) « fort », tʹrʹeʃə (treise).