Description de la Chine (La Haye)/Des King chinois ou des livres canoniques du premier ordre

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Scheuerleer (2p. 343-344).


Des King chinois, ou des livres canoniques du premier ordre.


La lettre king, signifie une doctrine sublime, solide, et qui étant fondée sur des principes inébranlables, n’est point sujette à changer. Les livres qui contiennent cette doctrine sont d’un ordre supérieur, et admirés dans tous les temps et de tous les Chinois, sans distinction de sectes et d’opinions particulières. Comme ils sont de la première classe, et de la plus grande autorité, ils sont aussi la source de toute la science et de la morale des Chinois.

Mais ces monuments précieux de l’antiquité chinoise, furent presque sur le point d’être anéantis en un instant par les ordres d’un empereur nommé Tsin chi hoang. Ce fut environ 300 ans après la mort de Confucius, et 200 ans avant la naissance de J.-C. que ce prince célèbre par sa valeur, et encore plus par la grande muraille qu’il avait fait construire, pour garantir les États des irruptions des Tartares, prit la résolution d’éteindre les sciences, et de ne permettre dans tout l’empire, que certains livres qu’il jugeait nécessaires, tels que sont ceux qui traitent de l’agriculture, de la médecine, etc. Tous les autres, il ordonna sous peine de la vie de les brûler, et il porta l’inhumanité jusqu’à faire mourir plusieurs docteurs.

Il y en a qui prétendent que ce prince n’était pas pour cela ennemi des sciences et des livres qu’il fit brûler. Ils se fondent sur ce que Liu pou ouei qui avait été son précepteur, et dont il reste un excellent ouvrage, était trop amateur de l’antiquité, pour lui en avoir inspiré du mépris et que d’ailleurs Li sseë son ministre d’État, homme savant et poli, n’avait garde de lui donner un conseil si pernicieux, qui tendait à ruiner le gouvernement, et à introduire l’ignorance et la barbarie dans l’empire.

Ils jugent que ce prince se porta à une exécution si barbare par un trait de politique, et pour se maintenir tranquille sur le trône. Les étudiants de ce temps-là souffrant impatiemment un prince, qui voulait être maître absolu, abusaient des faits rapportés dans le Chu king, et ne parlaient sans cesse que d’un Tching tang, qui chassa l’infâme Kié, et d’un Vou vang, qui détrôna le tyran Tcheou. Par ces discours, ils soufflaient de tous côtés le feu de la révolte. Le nouveau monarque résolut de châtier leur insolence et jugeant qu’il n’y a rien de plus précieux dans un vaste empire, que la paix, il ôta aux lettrés des livres, qui entre leurs mains ne causaient que du trouble. L’y king ne fut point brûlé comme les autres, parce qu’étant moins intelligible, on le jugeait moins dangereux.

C’en était fait des sciences, et elles eussent été entièrement éteintes, si plusieurs lettrés n’eussent hasardé leur propre vie, pour sauver de l’incendie général des monuments qui leur étaient si chers. Les uns ouvrirent les murs de leurs maisons, et les y ensevelirent, pour les retirer ensuite, quand l’orage serait passé. Les autres les cachèrent dans les tombeaux, où ils les crurent plus en sûreté. Enfin l’empereur vint à mourir.

Aussitôt après la mort de ce prince, l’amour des lettres se réveilla dans les esprits, et l’on songea aux moyens de réparer une perte si considérable. On retira ces livres des tombeaux et des trous de murailles, où ils avaient été cachés. L’humidité et les vers les avaient fort endommagés ; mais comme les lettrés d’un âge avancé les avaient appris par cœur dans leur jeunesse, et qu’en comparant ensemble les exemplaires, on pouvait suppléer ce qui était effacé dans les uns, par ce qui se trouvait en entier dans les autres, on s’appliqua avec grand soin à rétablir ces livres dans leur premier état.

On y réussit en partie ; mais quelque soin que l’on se donna, on ne pût venir à bout de réparer entièrement les défectuosités de cet ouvrage. Ainsi il y resta toujours quelques lacunes, auxquelles on croit qu’on a suppléé, en y insérant des pièces étrangères, qui ne se trouvaient point dans les originaux. Les lettrés conviennent de quelques-uns de ces défauts, et disputent entr’eux sur les autres : leur critique consiste à démêler le fond de la doctrine des anciens, d’avec ce qui a pu y être ajouté de nouveau.