Description de la Chine (La Haye)/Des prisons

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Scheuerleer (2p. 154-162).


Des prisons où l’on renferme les criminels, et des châtiments dont on les punit.


Quoique la justice de la Chine nous paraisse lente, par les longues procédures qu’elle observe, pour ne pas priver mal à propos les hommes d’un bien aussi considérable que la vie et l’honneur, elle ne laisse pas de punir sévèrement les criminels, et de proportionner la peine à l’énormité des crimes.

Les affaires criminelles passent le plus souvent par cinq ou six tribunaux avant qu’on en vienne à une sentence décisive : ces tribunaux sont subordonnés les uns aux autres, et ont droit de revoir tous les procès, et de faire des informations exactes sur la vie et les mœurs des accusateurs et des témoins, aussi bien que sur les crimes des personnes qu’ils doivent juger.

Cette lenteur dans les procédures est favorable aux accusés, en ce qu’il est rare que l’innocence soit opprimée, mais aussi elle les fait rester longtemps dans les prisons. Ces prisons n’ont ni l’horreur, ni la saleté des prisons d’Europe, et elles sont beaucoup plus commodes et plus spacieuses ; elles sont bâties de la même sorte presque dans tout l’empire, et situées dans des lieux peu éloignés de leurs tribunaux.

Quand on est entré par la première porte qui donne sur la rue, on marche dans une allée qui conduit à une seconde porte, par où l’on entre dans une basse cour, qu’on traverse pour arriver à une troisième porte, qui est le logement des geôliers. De là on entre dans une grande cour carrée. Aux quatre côtés de cette cour sont les chambres des prisonniers, élevées sur de grosses colonnes de bois, qui forment une espèce de galerie. Aux quatre coins sont des prisons secrètes où l’on renferme les scélérats : il ne leur est pas libre de sortir pendant le jour, ni de s’entretenir dans la cour, comme on le permet quelquefois aux autres prisonniers. Cependant avec de l’argent, ils peuvent obtenir pour quelques heures cet adoucissement, mais on a la précaution de les retenir pendant la nuit arrêtés par de grosses chaînes dont on leur lie les mains, les pieds, et le milieu du corps ; ces chaînes leur pressent les flancs, et les serrent de telle sorte, qu’à peine peuvent-ils se remuer. Quelque argent donné encore à propos, peut être aussi un moyen d’adoucir la sévérité des geôliers, et de rendre leurs fers plus supportables.

Pour ce qui est de ceux dont les fautes ne sont pas considérables, et qui ont la liberté pendant le jour de se promener, et de prendre l’air dans les cours de la prison, on les assemble tous les soirs, on les appelle l’un après l’autre, et on les enferme dans une grande salle obscure ; ou bien dans leurs petites chambres, quand ils en ont loué pour être logés plus commodément.

Une sentinelle veille toute la nuit, pour tenir tous les prisonniers dans un profond silence, et si l’on entendait le moindre bruit, ou si la lampe qui doit être allumée, venait à s’éteindre, on avertirait aussitôt les geôliers pour remédier au désordre.

D’autres sont chargés de faire continuellement la ronde, et il est difficile qu’aucun des prisonniers s’expose à tenter des moyens de s’évader, parce qu’aussitôt il serait découvert, et ne manquerait pas d’être sévèrement puni par le mandarin, qui visite très souvent les prisons, et qui doit être toujours en état d’en rendre compte ; car s’il y a des malades, il en doit répondre ; c’est à lui de faire venir les médecins, de faire fournir les remèdes aux frais de l’empereur, et d’apporter tous ses soins pour rétablir leur santé. On est obligé d’avertir l’empereur de tous ceux qui y meurent, et souvent Sa Majesté ordonne aux mandarins supérieurs, d’examiner si le mandarin de la justice subalterne a fait son devoir.

C’est dans ces temps de visite que ceux qui sont coupables de quelque crime qui mérite la mort, paraissent avec un air triste, un visage hâve et défiguré, la tête penchée, et les pieds chancelants ; ils tâchent par là d’exciter la compassion, mais fort inutilement ; car ce n’est pas seulement pour s’assurer de leurs personnes qu’on les retient en prison, mais en partie pour les mater, et leur faire subir un commencement de la peine qu’ils méritent.

Il y a de grandes prisons comme celles de la Cour souveraine de Peking, où l’on permet aux marchands et aux ouvriers, tels que sont les tailleurs, les bouchers, les marchands de riz et d’herbes, etc. d’entrer dans les prisons pour le service et la commodité de ceux qui y sont détenus. Il y a même des cuisiniers qui apprêtent à manger, et tout s’y fait avec un grand ordre par la vigilance des officiers. La prison des femmes est séparée de celle des hommes ; on ne leur peut parler que par une grille, ou par le tour qui sert à leur fournir leurs besoins ; mais il est très rare qu’aucun homme en approche.

Il y a encore quelques endroits, où, lorsqu’un prisonnier vient à mourir, on ne permet pas de faire passer son cadavre par la porte ordinaire de la prison, mais par une ouverture qu’on a soin de pratiquer au mur de la première cour, et qui ne sert qu’au passage des morts.

Les personnes d’un certain rang, qui se trouvent dans la prison en danger de mort, demandent en grâce d’en sortir avant qu’elles expirent, pour que leurs corps ne passent pas par cette ouverture, ce qu’elles regardent comme une tâche infamante ; aussi la plus affreuse imprécation qu’un Chinois puisse faire contre celui à qui il souhaite du mal, c’est de lui dire : Puisses-tu être traîné par le trou de la prison.

Il n’y a point de fautes impunies à la Chine ; tout est déterminé ; la bastonnade est le châtiment ordinaire pour les fautes les plus légères. Le nombre des coups est plus ou moins grand, selon la qualité de la faute ; c’est la peine dont les officiers de guerre punissent quelquefois sur-le-champ les soldats chinois, mis en sentinelle toutes les nuits dans les rues et les places publiques des grandes villes quand on les trouve endormis.


De la punition. Particulièrement de la bastonnade.

Quand le nombre des coups ne passe pas vingt, c’est une correction paternelle, qui n’a rien d’infamant, et l’empereur la fait quelquefois donner à des personnes de grande considération, et ensuite les voit, et les traite comme à l’ordinaire.

Il faut très peu de chose pour être ainsi paternellement châtié : avoir volé une bagatelle, s’être emporté de paroles, avoir donné quelques coups de poing : si cela va jusqu’au mandarin, il fait jouer aussitôt le pan tsëe ; c’est ainsi que s’appelle l’instrument dont on bat les coupables. Après avoir subi le châtiment, ils doivent se mettre à genoux devant le juge, se courber trois fois jusqu’à terre, et le remercier du soin qu’il prend de leur éducation.

Ce pan tsëe est une grosse canne fendue, à demi plate, de quelques pieds de longueur ; elle a par le bas la largeur de la main, et par le haut elle est polie et déliée, afin qu’elle soit plus aisée à empoigner ; elle est de bambou, qui est un bois dur, massif, et pesant.

Lorsque le mandarin tient son audience, il est assis gravement devant une table, sur laquelle est un étui rempli de petits bâtons longs de plus d’un demi pied et larges de deux doigts ; plusieurs estafiers armés de pan tsëe l’environnent ; au signe qu’il donne en tirant et jetant ces bâtons, on saisit le coupable, on l’étend ventre contre terre, on lui abaisse le haut de chausses jusqu’aux talons et autant de petits bâtons que le mandarin tire de son étui, et qu’il a jeté par terre, autant d’estafiers se succèdent, qui appliquent les uns après les autres chacun cinq coups du pan tsëe sur la chair nue du coupable. On change d’exécuteur de cinq coups en cinq coups, ou plutôt deux exécuteurs frappent alternativement chacun cinq coups, afin qu’ils soient plus pesants, et que le châtiment soit plus rude.

Il est néanmoins à remarquer que quatre coups sont toujours réputés pour cinq, et c’est ce qui s’appelle la grâce de l’empereur, qui comme père, par compassion pour son peuple, diminue toujours quelque chose de la peine. Il y a un moyen de l’adoucir, c’est de gagner par argent ceux qui frappent : ils ont l’art de se ménager de telle sorte, que les coups ne portent que légèrement, et que le châtiment devient presque insensible. Un jeune Chinois ayant vu son père condamné à cette peine, et prêt à la souffrir, se jeta sur lui pour recevoir les coups, et toucha si fort le juge par cette action de piété, qu’il fit grâce au père, en considération du fils.

Ce n’est pas seulement dans son tribunal, qu’un mandarin a le pouvoir de faire donner la bastonnade ; il a le même droit en quelque endroit qu’il se trouve, même hors de son district ; c’est pourquoi quand il sort, il a toujours dans son cortège des officiers de justice, qui portent des pan tsëe.

Pour un homme du peuple, il suffit de n’avoir pas mis pied à terre à son passage, si l’on est à cheval ; ou d’avoir traversé la rue en sa présence, pour recevoir cinq ou dix coups de bâtons par son ordre ; l’exécution est si prompte, qu’elle est souvent faite avant que ceux qui sont présents s’en soient presque aperçus. Les maîtres usent du même châtiment à l’égard de leurs disciples, les pères à l’égard de leurs enfants, et les seigneurs pour punir leurs domestiques, avec cette différence que le pan tsëe est moins long et moins large.


De la cangue ou carcan.

Un autre châtiment moins douloureux mais plus infâmant, est une espèce de carcan auquel on attache le coupable et que les Portugais ont appelé la cangue. Cette cangue est composée de deux morceaux de bois échancrés au milieu, pour y insérer le col du coupable : dès qu’il y a été condamné par le mandarin, on prend ces deux morceaux de bois, on les pose sur ses épaules, et on les unit ensemble, de manière qu’il n’y a de place vide que pour le col. Alors le patient ne peut ni voir ses pieds, ni porter la main à la bouche, et il a besoin du secours de quelqu’un pour lui donner à manger. Il porte nuit et jour ce désagréable fardeau, qui est ou plus pesant, ou plus léger, selon la grièveté ou la légèreté de la faute que l’on punit.

Il y a de ces cangues qui pèsent jusqu’à deux cents livres, et qui de leur poids accablent le criminel, de sorte que quelquefois le chagrin, la confusion, la douleur, le défaut de nourriture, de sommeil, lui causent la mort. On en voit de trois pieds en carré et d’un bois épais de cinq ou six pouces. Les ordinaires pèsent cinquante à soixante livres.

Les patients ne laissent pas de trouver différents moyens d’adoucir ce supplice ; les uns marchent accompagnés de leurs parents ou de leurs amis, qui soulèvent la cangue par les quatre coins, afin qu’elle ne porte pas sur les épaules : d’autres l’appuient sur une table, ou sur un banc : d’autres font faire une chaise où ils sont assis entre quatre colonnes d’une égale hauteur qui supportent la cangue. Il y en a qui se couchent sur le ventre, et qui se servent du trou où leur tête est passée, comme d’une fenêtre, par laquelle ils regardent effrontément tout ce qui se fait dans la rue.

Lorsqu’en présence du mandarin on a réuni les deux pièces de bois au col du coupable, on colle dessus à droite et à gauche deux longues bandes de papier larges de quatre doigts, auxquelles on applique une espèce de sceau, afin que les deux pièces qui forment la cangue, ne puissent pas se séparer sans qu’on s’en aperçoive. Puis on y écrit en gros caractères le crime pour lequel le coupable est puni, et le temps que doit durer le châtiment : par exemple, c’est un voleur, c’est un brouillon et un séditieux, c’est un perturbateur du repos des familles, c’est un joueur, etc. il portera la cangue durant trois mois en tel endroit.

Le lieu où on les expose, est d’ordinaire, ou la porte d’un temple célèbre par le concours des peuples, ou un carrefour fort fréquenté, ou la porte de la ville, ou une place publique, ou même la première porte du tribunal du mandarin.

Quand le temps de la punition est écoulé, les officiers du tribunal représentent le coupable au mandarin, qui après l’avoir exhorté à se corriger, le délivre de la cangue, et pour le congédier, lui fait donner une vingtaine de coups de bâtons ; car c’est l’usage assez ordinaire de la justice chinoise, de ne point imposer de peine, à la réserve des amendes pécuniaires, qui ne soit précédée et suivie de la bastonnade ; de sorte qu’on peut dire que le gouvernement chinois ne subsiste guère que par l’exercice du bâton.


Bonzesse punie de la cangue.

Ce châtiment est plus commun pour les hommes que pour les femmes ; cependant un ancien missionnaire[1] qui visitait un mandarin d’une ville du premier ordre, trouva près de son tribunal une femme portant la cangue : c’était une bonzesse, c’est-à-dire, une de ces filles qui vivent en communauté dans une espèce de monastère, dont l’entrée est interdite à tout le monde ; qui s’y occupent du culte des idoles et du travail ; qui ne gardent point de clôture, mais qui néanmoins sont obligées de vivre dans la continence, tandis qu’elles demeurent dans le monastère.

Cette bonzesse ayant été accusée d’avoir eu un enfant d’un commerce illégitime, le mandarin sur la plainte qu’on lui porta, la fit comparaître à son tribunal, et après lui avoir fait une sévère réprimande, il lui dit que puisqu’elle avait de la peine à garder la continence, il fallait qu’elle quittât le monastère, et qu’elle se mariât ; cependant pour la châtier, il la condamna à porter la cangue : on y écrivit sa faute, et on ajouta que si quelqu’un voulait se marier avec elle, le mandarin la livrerait, et donnerait une once et demie d’argent pour les frais du mariage. Cette somme vaut à peu près sept livres dix sols de notre monnaie : cinquante sols devaient être employés à louer une chaise, et à payer les joueurs d’instruments : les cinq livres de surplus étaient destinées aux frais du festin qu’on ferait avec les voisins le jour des noces. Elle ne fut pas longtemps sans trouver un mari qui la demanda au mandarin, et à qui elle fut accordée.


Des autres formes de punition.

Outre le châtiment de la cangue, il y a encore d’autres peines qu’on impose pour des fautes légères. Le même missionnaire entrant dans la seconde cour du même tribunal, y trouva des jeunes gens à genoux : les uns portaient sur la tête une pierre qui pesait bien sept à huit livres ; d’autres tenaient un livre à la main, et le lisaient avec application.

Parmi ceux-ci était un jeune homme marié, d’environ trente ans, qui aimait le jeu à l’excès : il y avait perdu une partie de l’argent que son père lui avait fourni pour son petit commerce : exhortations, réprimandes, menaces, rien n’avait pu le guérir de la passion du jeu. Son père qui voulait le corriger d’une inclination si pernicieuse à ses intérêts, le conduisit au tribunal du mandarin.

Le mandarin homme d’honneur et de probité, admit la plainte du père : il fit approcher le jeune homme, et après l’avoir réprimandé d’un ton sévère, et lui avoir fait une instruction pathétique sur la soumission et la docilité, il était sur le point de lui faire donner la bastonnade, lorsque sa mère entrant tout à coup, se jeta aux pieds du mandarin, et lui demanda les larmes aux yeux la grâce de son fils.

Le mandarin se laissa attendrir, et s’étant fait apporter un livre composé par l’empereur, pour l’instruction de l’empire, il l’ouvrit, et choisit l’article qui concernait l’obéissance filiale. « Vous me promettez, dit-il au jeune homme, de renoncer au jeu et de vous rendre docile aux volontés de votre père : je vous pardonne pour cette fois ; allez vous mettre à genoux dans la galerie à côté de la salle d’audience, apprenez par cœur cet article de l’obéissance filiale ; vous ne sortirez point du tribunal, que vous ne l’ayez récité, et que vous n’ayez promis de l’observer le reste de votre vie. » Cet ordre fut exécuté à la lettre : le jeune homme resta trois jours dans la galerie, apprit l’article, et fut congédié.

Il y a certains crimes pour lesquels on condamne les coupables à être marqués sur les deux joues, et la marque qu’on leur imprime, est un caractère chinois qui indique leur crime. Il y en a d’autres pour lesquels on condamne, ou au bannissement, ou à tirer des barques royales ; cette servitude ne dure guère plus de trois ans.

Pour ce qui est du bannissement, il est souvent perpétuel, surtout si c’est en Tartarie qu’on exile : mais avant le départ, on ne manque jamais de donner la bastonnade ; le nombre des coups est proportionné à la faute qui a mérité cette peine.


Des différentes manières d'exécuter à mort.

Ils ont trois manières différentes d’exécuter à mort, ceux dont les crimes ont mérité ce supplice.

La première qui est la plus douce, est de les étrangler, et c’est le supplice dont on punit les crimes moins griefs qui méritent la mort. C’est ainsi qu’on punit un homme, qui en se battant aurait tué son adversaire.

La seconde est de trancher la tête, et c’est de ce supplice qu’on punit les crimes qui ont quelque chose d’énorme, tel que serait un assassinat ; cette mort est regardée comme plus honteuse, parce que la tête qui est la principale partie de l’homme, est séparée du corps, et qu’en mourant il ne conserve pas son corps aussi entier qu’il l’a reçu de ses parents.

Dans quelques endroits on étrangle avec une espèce d’arc, dont on passe la corde au col du criminel qui est à genoux ; on tire l’arc, et par ce moyen on lui serre le gosier, et en lui ôtant la respiration, on l’étouffe, en d’autres endroits on met une corde longue de sept à huit pieds au col du coupable, en y faisant un nœud coulant. Deux valets du tribunal la tirent fortement chacun de leur côté : un moment après ils la lâchent tout à coup, puis ils la tirent encore comme ils avaient fait d’abord, et à ce second coup, ils sont sûrs que le criminel est mort.

Les personnes d’un rang un peu distingué qui sont condamnées à mort, sont toujours portées au lieu du supplice, dans des chaises, ou dans des charrettes couvertes. Lorsqu’un criminel doit être condamné à mort, le mandarin le fait tirer de prison et conduire à son tribunal, où ordinairement on a préparé un petit repas. Au moins avant que de lui lire sa sentence, on ne manque guère à lui présenter du vin, ce qui s’appelle tçi seng. Ce mot de tçi est le même, que celui dont on se sert, lorsqu’on offre quelque chose aux ancêtres. Ensuite on lui lit sa sentence.

Le criminel qui se voit condamné à mort, éclate quelquefois en injures et en reproches contre ceux qui ont condamné. Quand cela arrive, le mandarin écoute à la vérité ces invectives avec patience et compassion, mais on lui met un bâillon dans la bouche, et on le conduit au supplice : on en voit quelquefois qui sont conduits à pied, qui vont en chantant au lieu de l’exécution, et boivent gaiement le vin que leur présentent leurs amis, qui les attendent au passage, pour leur donner cette dernière marque d’amitié.

Il y a un autre genre de mort très cruelle, dont on a puni autrefois les révoltés et les criminels de lèse-majesté : c’est ce qu’ils appelaient être haché en dix mille pièces. L’exécuteur attachait le criminel à un poteau, il lui cernait la tête, et en arrachant la peau de force il l’abattait sur ses yeux ; ensuite il lui déchiquetait toutes les parties du corps qu’il coupait en plusieurs morceaux, et après s’être lassé dans ce barbare exercice, il l’abandonnait à la cruauté de la populace et des spectateurs.

C’est ce qui s’est pratiqué en certaines occasions sous le règne de quelques empereurs, qui sont regardés comme barbares. Car selon les lois, ce troisième supplice consiste à couper le corps du criminel en plusieurs morceaux, à lui ouvrir le ventre, et à jeter le corps ou dans la rivière, ou dans une fosse commune pour les grands criminels.


De la sentence de mort.

A la réserve de certains cas extraordinaires, qui sont marqués dans le corps des lois chinoises, ou pour lesquels l’empereur permet d’exécuter sur-le-champ, nul mandarin, nul tribunal supérieur ne peut prononcer définitivement un arrêt de mort. Tous les jugements de crimes dignes de mort doivent être examinés, décidés, et souscrits par l’empereur. Les mandarins envoient en cour l’instruction du procès, et leur décision, marquant l’article de la loi qui les a déterminés à prononcer de la sorte : par exemple, un tel est coupable de crime : la loi porte qu’on étranglera ceux qui en sont convaincus ; ainsi je condamne un tel à être étranglé.

Ces informations étant arrivées à la cour, le tribunal supérieur des affaires criminelles examine le fait, ses circonstances, et la décision ; si le fait n’est pas clairement exposé, ou que le tribunal ait besoin de nouvelles informations il présente un mémorial à l’empereur, qui contient l’exposé du crime et la décision du mandarin inférieur, et il ajoute : pour juger sainement, il paraît qu’il faut être instruit de telle circonstance ; ainsi nous opinons à renvoyer l’affaire à tel mandarin, afin qu’il nous donne les éclaircissements que nous souhaitons.

L’empereur ordonne ce qu’il lui plaît, mais sa clémence le porte toujours à renvoyer l’affaire, afin que quand il s’agit de la vie d’un homme, on ne décide point légèrement, et sans avoir les preuves les plus convaincantes. Lorsque le tribunal supérieur a reçu les informations qu’il demandait, il présente de nouveau la délibération à l’empereur.

Alors l’empereur souscrit à la délibération du tribunal, ou bien il diminue la rigueur du châtiment ; quelquefois même il renvoie le mémorial en écrivant ces paroles de sa main : « Que le tribunal délibère encore sur cette affaire, et me fasse son rapport. » On apporte à la Chine l’attention la plus scrupuleuse, quand il s’agit de condamner un homme à la mort.

L’empereur régnant ordonna en 1725 que dans la suite on ne punirait personne du supplice de mort, que son procès ne lui fût présenté trois fois. Conformément à cet ordre, le tribunal des crimes tint la conduite suivante. Quelque temps avant le jour déterminé, il fit transcrire dans un livre toutes les informations, qui pendant le cours de l’année lui avaient été envoyées des justices subalternes : on y joignit le jugement que chaque justice avait porté, et celui du tribunal de la cour.

Ce tribunal s’assembla ensuite pour lire, revoir, corriger, ajouter, retrancher, ce qu’il jugerait à propos. Après quoi il en fit tirer deux copies au net ; l’une qu’il présenta à l’empereur, afin que ce prince pût la lire et l’examiner en particulier ; l’autre qu’il garda pour la lire en présence de tous les principaux officiers des tribunaux souverains, et la réformer selon leurs avis.

Ainsi à la Chine on accorde à l’homme le plus vil et le plus misérable, ce qui ne s’accorde en Europe comme un grand privilège, qu’aux personnes les plus distinguées, c’est-à-dire, le droit de n’être jugé et condamné que par toutes les chambres du Parlement assemblées en corps.

Cette seconde copie ayant été examinée et corrigée, on la présenta à l’empereur, puis l’on en tira quatre-vingt dix-huit copies en langue tartare, et quatre-vingt dix-sept en langue chinoise. Toutes ces copies se remirent entre les mains de Sa Majesté, qui les donna encore à examiner aux plus habiles officiers, soit tartares, soit chinois, qui étaient à Peking.

Lorsque le crime est fort énorme, l’empereur en souscrivant à la mort du criminel, ajoute : Aussitôt qu’on aura reçu cet ordre, qu’on l’exécute sans aucun délai. Pour ce qui est des crimes de mort qui n’ont rien d’extraordinaire, l’empereur écrit au bas de la sentence : Qu’on retienne le criminel en prison, et qu’on l’exécute au temps de l’automne. Il y a un jour fixé dans l’automne, pour exécuter à mort tous les criminels.


De la question des criminels.

La question ordinaire qui est en usage à la Chine, pour tirer la vérité de la bouche des criminels, est douloureuse et très sensible : elle se donne aux pieds ou aux mains : on se sert pour les pieds d’un instrument qui consiste en trois bois croisés, dont celui du milieu est fixe, et les deux autres se tournent et se remuent : on met les pieds du patient dans cette machine, et on les y serre avec tant de violence, que la cheville du pied s’aplatit. Quand on la donne aux mains, c’est par le moyen de petits bois, qu’on insère entre les doigts du coupable, on les lie très étroitement avec des cordes, et on les laisse pendant quelque temps dans cette torture.

Les Chinois ont des remèdes pour diminuer, et même pour amortir le sentiment de la douleur : après la question ils en ont d’autres, qu’ils emploient pour guérir le patient, lequel en effet par leur moyen recouvre, quelquefois même en peu de jours, le premier usage de ses jambes.

De la question ordinaire on passe à l’extraordinaire, qui se donne pour les grands crimes, et surtout pour ceux de lèse-majesté, afin de découvrir les complices, quand le crime est avéré. Elle consiste à faire de légères taillades sur le corps du criminel, et à lui enlever la peau par bandes en forme d’aiguillettes.

Voilà toutes les espèces de châtiments, que les lois chinoises prescrivent pour la punition des crimes. Il y a, comme je l’ai dit, quelques empereurs qui en ont fait souffrir de beaucoup plus cruels ; mais ils sont détestés de la nation, et regardés comme des tyrans. Tel fut l’empereur Tcheou, dont on lit les horribles cruautés dans les annales de l’empire.

Ce prince, à l’instigation de Ta kia l’une de ses concubines, dont il était éperdument amoureux, inventa un nouveau genre de supplice nommé pao lo : c’était une colonne de bronze haute de vingt coudées et large de huit, creusée en dedans comme le taureau de Phalaris, et ouverte en trois endroits pour y mettre du feu : on y attachait les criminels, et on la leur faisait embrasser des bras et des jambes : ensuite on allumait un grand feu en dedans, et on les faisait ainsi rôtir jusqu’à ce qu’ils fussent réduits en cendre en présence de cette femme impudique, qui se faisait un spectacle agréable d’un si épouvantable supplice.



  1. Le P. Contancin.