Description du département de l’Oise/Plainville

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P. Didot l’ainé (1p. 234-241).
PLAINVILLE.


On traverse en se rendant de Breteuil à Plain-ville une plaine sans arbres, seche, graveleuse, et peu féconde. Les terres s’élevent en approchant de Tartigny ; la route est à peine tracée : après avoir franchi des vallées, des montagnes dans un pays nu, découvert, espacé, on arrive au Mesnil-S.-Firmin, terre soignée, boisée, et garnie de haies vives. De la plaine de S.-Firmin on découvre les bois de Plainville, Broyé, et plus loin Rocquencourt.

Le beau château de Plainville fut construit en briques, en 1586, par Charles de Montchy, seigneur d’Hocquineourt, maréchal de France, gouverneur et lieutenant-général des villes et châteaux de Péronne, Mont-Didier, Roy et Ham ; c’est un immense et solide édifice voûté par-tout, ayant sous le raiz-de-chaussée des offices et les plus belles cuisines : des canaux faits avec une grande dépense distribuent l’eau dans les jardins, dans toutes les pieces du château ; un puits superbe, dont un seul cheval meut les rouages, porte ses eaux dans un bassin élevé, d’où elles se distribuent[1]. Tout est environné de murs solides ; le commun, les écuries, les remises sont de la meilleure disposition et de la plus belle apparence : d’utiles pommiers remplacent les immenses allées d’ormeaux que la révolution a fait abattre.

Le parc et les jardins ne suivent pas le goût moderne, mais ils ont la grandeur, la majesté, et peut-être la monotonie de nos plus beaux jardins à la française[2].

La laiterie de Plainville, rafraîchie par une eau courante, est un diminutif de celle de Chantilly.

Quoique le terrain paroisse uni à une grande distance autour du château, il est, dit-on, de niveau avec les tours de Mont-Didier. Des différents étages du château, du péron même, la vue s’étend au loin dans la campagne ; de la salle de billard elle s’éleve sur un assez vaste amphithéâtre : on voit au nord-est Mont-Didier, ville de cinq ou six mille habitants ; elle s’étend du nord au sud sur une colline que rien ne domine ; un clocher rond s’éleve au milieu de la ville, couverte en tuiles ; les fonds paroissent assez boisés. Cet aspect est doux et tranquille : il y a deux petites lieues de Plainville à Mont-Didier.

À la droite de Mont-Didier on apperçoit la montagne et le village de Boulogne-la-Grasse, enveloppé d’arbres fruitiers ; plus près, la belle ferme de Lamorliere, Coivrel, Maignelay entourée de bois, parmi lesquels je distinguai le chêne énorme que M. de Liancourt quelques mois après eut la générosité de céder, pour l’établissement d’une manufacture importante à Chantilly ; il en retira cent pistoles. On peut de cette place examiner en détail tous les bâtiments de Plainville, le village, l’église, les riches potagers du château, dont les espaliers sont les plus beaux du département ; aspect délicieux pour un ami de la campagne.

Le fils du fameux M. Pellerin, grand médailliste, M. de Feuquieres, M. de Luçon, ont été propriétaires de Plainville ; le citoyen Bayard l’acquit en 1790.

Puisque je me suis interdit, d’après le conseil de mon expérience, de m’entretenir dans ce voyage des individus que j’aime, sage précaution si pénible à mon cœur, je peux au moins parler de ce qui les entoure.

J’ai vu dans le château de Plainville un petit tableau de Van-Ostad, de vingt-quatre pouces de large sur dix-huit pouces de hauteur : c’est une accordée de village ; elle est assise entre son pere à tête blanche noble et sévere, et celui qui doit l’épouser : expression délicieuse dans la tête de la jeune fille ; c’est la douceur, l’innocence et la modestie : le jeune homme ose à peine lui toucher la main ; sur le devant du cadre un notaire vénérable, vêtu d’un large manteau rouge, écrit sur une table, couverte d’un riche tapis noir à grand ramage pourpre ; son clerc, vêtu d’un manteau violet, est à sa droite.

Les accessoires, vases de grès, un verre à patte, dans lequel est une rose délicieuse, l’espace, l’harmonie des couleurs qui ressortent sur un fond noir, sont admirables, et d’un fini précieux.

Ce morceau, peint sur bois, vient du cabinet de M. Pajot de Mercheval, intendant du Dauphiné, et doyen du conseil d’état.

Le pendant de ce petit tableau représente un berger ramenant son troupeau dans une espece de cour sombre ; on y remarque, exécutés avec toute la délicatesse des Flamands, un coq mort pendu par les pattes, un chaudron sur une barrique, des choux, des radis, des oignons, placés sur une brouette : rien de vrai comme une chevre qui joue près d’un cuvier, surmonté d’un vase de couleur rouge parfaitement exécuté : le berger tient encore à la main le hautbois à l’aide duquel il rassemble le troupeau qui le suit gaiement : une chevre noire et blanche marque dans ce tableau, dont la couleur en général tire sur le noir. Ce morceau est de A. Gryef.

Sur une toile de trente pouces sur vingt-quatre est peinte la Samaritaine : elle est debout, appuyée sur un vase à anses placé sur un puits ; elle est vêtue d’une tunique jaune et d’un jupon violet ; J. C. assis, couvert d’un manteau bleu et d’une tunique rouge, lui montre le ciel : ses disciples et quelques villages s’apperçoivent dans le lointain ; derriere le puits est un bel arbre ; au fond, des montagnes bleuâtres : toutes les extrémités dans ce tableau sont parfaitement soignées ; il regne une grande harmonie dans les couleurs ; c’est un tres beau morceau de Boulogne.

Les deux grandes vues de Paris, qu’on prête à Labella, sont d’une extrême fidélité, et d’un grand effet.

D’autres tableaux : les plus belles gravures avant la lettre ; le Samuel, de Copley ; le roi Léard, de Fusely ; le Zadig, de R. Home ; Charles Ier, de Van-dich, gravé par Strange ; Marie-Henriette reine d’Angleterre, des mêmes maîtres ; la collection des ports, de Vernet ; de beaux morceaux d’histoire naturelle, des médailles, une bibliotheque choisie dans des armoires d’acajou ; des meubles précieux faits des plus beaux bois de l’Amérique ; une superbe pendule qui à toutes les demi-heures exécute les airs les mieux choisis ; tous les débris d’une ancienne fortune que la paix va probablement rétablir, charment, occupent les loisirs de l’homme aimable qui les possede.

Le propriétaire de Plainville, loyal, franc, sans reproche, comme le chevalier Bayard, charme ses loisirs, oublie tous ses malheurs, les temps de la persécution, en jouissant dans ses bois et dans ses beaux jardins de l’opulence et du luxe de la nature ; il habille, il chauffe, il nourrit les habitants de son village, qui dansent avec lui dans des salles champêtres, à côté du mail et du jeu de paume qu’il leur abandonne : ajoutez à tant de genres de consolation un bon curé, qui ne prêche que la vertu, la soumission aux lois, et la gaieté.

Nous eûmes une séance à Plainville ; elle réunissoit les vingt-neuf maires des cantons de Plainville, Maignelay, Tricot, et Anseauvillers.

Le terrain de Plainville à Broyé est montueux, sans plantations, de peu de rapport ; c’étoit une dépendance de Plainville.

On y cultive beaucoup de vignes.

Ce village est situé sur une montagne, au pied du mont Souflard. On y récolte à-peu-près trois cents muids de vin de quarante-huit veltes ; les vingt-quatre veltes année commune se vendent 30 livres.

Quelques bois couronnent le sommet du mont Souflard.

L’arpent de terre se loue 12 à 15 liv.

Le bled est la récolte principale.

Avant d’arriver au sommet du mont Souflard on apperroit des galets sur la surface du terrain ; au sommet de cette montagne on en trouve une couche sous des herbages.

Du lieu qu’on croit avoir été l’emplacement d’un vieux moulin on découvre Mont-Didier, Cler-mont, des bois et des villages dans la plaine.

Si l’on pénetre dans le bois de Villers, on trouve un lieu découvert d’où l’on a le point de vue le plus étendu ; on distingue Ceresvillers, Roquemont, Canny, Folleville du département de la Somme, Amiens dans les beaux temps.

Au-dessous des galets dont nous venons de parler, à quelque profondeur, on rencontre de l’argile bonne pour dégraisser les étoffes ; on l’acheté 10 liv. la voiture pour Amiens, Soloix, Tricot, etc.

Dans le temps où l’on manquoit de savon dans presque toute la France on coupoit cette argile en forme de briques ; elle se vendoit 2 sous à Mont-Didier. On en fait de la plommure : M. de Saint-Maurice en fit fabriquer à Broyé il y a plus de soixante ans ; j’en ai vu des plats. La carriere de Gaunes appartient à M. d’Haudicourt ; elle présente de grandes masses de grès colorés, dans des inclinaisons fort différentes ; les bancs sont pénétrés par des couches de terre glaise qui tient du galet ; au-dessous est du sable, et quelquefois de l’argile qui retient l’eau.

Les grès sont rouges, blancs ou bleus ; les bleus sont les plus durs.

Le dessous des bancs est quelquefois tout coquiller : les grès alors sont moins bons et très friables.

Trois carriers travaillent là presque sans cesse ; ils font par an de six à huit mille pavés, qu’on leur paie de 40 à 50 liv. le mille. Une marche de quatre pieds de long, d’un pied de large, de huit pouces de haut, se vend 20 sous.

En se rendant de Plainville à Tricot, on va d’abord à Sains, pays plat, plaine très étendue. Sur la droite de la route on ne voit pas un arbre ; la gauche est ornée de bosquets et de quelques touffes de bois.

Le village de Sains est assez joli.

De Sains à Maignelay on est toujours en plaine : on trouve quelques pommiers sur la route.

  1. Ce puits fut fait par M. Pellerin, intendant des armées navales.
  2. Ce parc est planté par Lenôtre.