Description du royaume Thai ou Siam/Tome 1/Chapitre 11

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La mission de Siam (1p. 324-336).


CHAPITRE ONZIÈME.

COMMERCE.





Le royaume de Siam doit être naturellement commerçant, puisque ses ports et ses quatre grands fleuves sont le débouché de toutes les productions intérieures depuis les frontières de la Chine ; aussi remarque-t-on que tout le monde y a le génie du commerce ; d’un bout du royaume à l’autre, tout y est en mouvement, les canaux et les fleuves sont parcourus en tous sens par des barques innombrables, qui viennent verser leur tribut de marchandises dans les boutiques et les entrepôts de la capitale. Dans l’intérieur, presque tout le commerce se fait par échange, les Chinois surtout se répandent dans les plaines et jusque dans les forêts et les montagnes, pour échanger des étoffes, de la vaisselle et de la quincaillerie chinoise, contre le riz, le coton et les diverses productions des provinces qu’ils parcourent.

Les principaux marchands sont le roi, les princes, les ministres, les négociants chinois, les mandarins, les Malais, les Arabes. Il y a, en outre, un négociant anglais, un hollandais et un portugais. Chaque année, le roi envoie à Syngapore, à Java et en Chine de quinze à vingt navires. Les grands mandarins expédient aussi chacun deux ou trois jonques ; certains richards chinois en possèdent jusqu’à cinq ou six dans la capitale, il y a toujours un grand nombre de bâtiments en construction. Quant aux navires arabes, il en vient tous les ans neuf ou dix, de Madras et de Surate. À l’époque de la nouvelle année chinoise, on voit arriver de l’île d’Haïnan, de Canton, du Fo-Kien et autres ports de Chine, cinquante à soixante grosses sommes ou jonques, chargées de marchandises et de plusieurs milliers d’émigrants, qui viennent chercher fortune à Siam.

Il a pour les Européens, trois grandes difficultés qui entravent le commerce la première, c’est la difficulté d’écouler rapidement leurs marchandises ; la seconde, de se faire payer dans un bref délai ; et la troisième, de pouvoir compléter promptement leur cargaison ; de sorte que, si un navire français, par exemple, allait à Siam, il lui faudrait deux ou trois mois pour vendre, plus, deux ou trois mois pour se faire payer, et encore deux ou trois mois pour charger ; c’est ce qui faisait dire au vénérable évêque Joseph Laurent, que celui qui songeait à commercer avec Siam devait amener trois navires : un chargé de présents pour le roi et les ministres, un autre chargé de marchandises, et le troisième chargé de patience. Les Chinois et les Arabes, que l’expérience a instruits, savent la vraie manière de commercer à Siam ; ils bâtissent de grands entrepôts, où ils amassent, petit à petit, une grande quantité de marchandises, ayant soin de profiter de toutes les occasions favorables pour les avoir à meilleur marché. Quand leurs bâtiments arrivent, ils déchargent et rechargent aussi vite qu’ils veulent, et, pendant que leur navire va faire un second voyage, leurs agents, après avoir attendu que le délai de trois mois soit expiré, s’en vont exiger des acheteurs le paiement des marchandises, au moyen duquel ils en achètent de nouvelles. De cette façon, les magasins se remplissent et se désemplissent alternativement et les voyages se font sns interruption. Telle est la vraie et unique méthode que doivent suivre les Européens qui songeraient à entreprendre des relations commerciales avec Siam.

Pour donner une idée du commerce de ce royaume, je mets sous les yeux du lecteur le tableau des articles d’importation et d’exportation, avec la quantité des principales marchandises exportées dans l’espace d’une année.


ARTICLES D’EXPORTATION. PRIX. QUANTITÉS.
Riz mondé 
  
20 ticaux le char 1,500,000 chars.
Bois de tek 
  
» 130,000 arbres
Bois de sapin 
  
1 tical le picul. 500,000 piculs.
Huile de noix de coco 
  
10 ticaux le picul. 700,000 piculs.
Sucre (cinq qualités) 
  
7 ticaux le pieul. 230,000 piculs.
Sucre de palmier 
  
1 fuang la jarre. 180,000 jarres.
Sel 
  
6 ticaux le char. 12,000 chars.
Poivre 
  
10 ticaux le picul. 70,000 piculs.
Cardamome 
  
200 ticaux le picul. 700 piculs.
Cardamome bâtard 
  
» 6,000 piculs.
Laque en bâtons (teinture rouge) 
  
16 ticaux le picul. 11,000 piculs.
Étain 
  
24 ticaux le picul. 5,000 piculs.
Fer 
  
» 20,000 piculs.
Ivoire 
  
» 500 piculs.
Gomme-gutte ou du Camboge 
  
80 ticaux le picul. 600 piculs.
Cornes de rhinocéros 
  
» 70 piculs.
Cornes de jeunes cerfs 
  
» 30,000 paires.
Cornes de vieux cerfs 
  
» 200 piculs.
Cornes de buffles 
  
» 300 piculs.
Nerfs de cerfs ou de daims 
  
» 250 piculs.

ARTICLES D’EXPORTATION. PRIX. QUANTITÉS.
Peaux de rhinocéros 
  
» 300 piculs
Os de tigre 
  
» 70 piculs
Peaux de buffles et de vaches 
  
1 tical la peau. 120,000 peaux.
Benjoin 
  
100 ticaux le picul. 200 piculs.
Nids d’oiseaux ou hirondelles de mer 
  
» 20 piculs.
Poisson sec (trois espèces) 
  
» 100,000 piculs.
Crevettes sèches 
  
» 20,000 piculs.
Balatchang ou kapi 
  
» 20,000 chars.
Huile de bois 
  
de 5 à 6 tic. le picul. 25,000 piculs.
Résine 
  
» 16,000 piculs.
Bois rose 
  
» 250,000 piculs.
Damars ou torches 
  
1 fuang le paquet. 300,000 paquets.
Rotins 
  
1 fuang le paquet. 260,000 paquets.
Écorces pour la teinture 
  
» 300,000 paquets.
Bicho de mar ou sangsues de mer 
  
» 5,000 piculs.
Or en poudre 
  
» »
Coton 
  
» 200,000 balles.
Indigo demi-liquide 
  
» 60,000 pots.
Këlë (bois pour la teinture jaune) 
  
» »
Plomb 
  
8 ticaux le picul. 6,000 piculs.
Bois d’aloès ou bois d’aigle 
  
8 ticaux le katy. »
Tabac 
  
1 tic. les 1,000 tablettes. »
Pierres précieuses brutes 
  
de 20 à 60 tic. le kaly. »
Ébène 
  
» »
Huile de poisson 
  
de 2 à 3 tic. le picul. »
Poivre long 
  
» »
Écaille de tortue 
  
» »
Plumes d’oiseaux 
  
» »
Oignons 
  
1 tical le picul. »
Gingenbre 
  
» »
Poêles ou marmites de fer 
  
» »
Sardines salées 
  
» 90,000 piculs.
Café 
  
16 ticaux le picul. 12,000 piculs.


Les principaux articles d’importation sont les langoutis, toiles de coton, verreries, porcelaines, faïences, quincaillerie européenne, canons, fusils, drap rouge et vert, coutellerie, indiennes, casimir rouge, vert, etc., acier en barres, essence de sandal, encens, bleu de Prusse, opium, soieries de Chine, thé, farine de froment, savon, papier, lunettes, vitres, grenaille de plomb, canelle, fil de coton rouge, toile de coton rouge, parapluies, parasols, poudre, feuilles de cuivre pour les navires, clous, fer-blanc, couleurs, toiles voile, velours, fils d’or et d’argent, baïonnettes, zinc, bière, vin, brandi, rhum, gin, alun, clous de girofle, camphre, vases d’or et d’argent de Chine, images, clinquant, malles et boîtes chinoises, vases de cuivre blanc et cuivre jaune de Chine, statuettes de Chine, papier-amadou, tabac chinois, encre de Chine, ails confits de Chine, oranges et fruits divers, bâtons odoriférants, papiers de couleur, outils divers de Chine et d’Europe, vermillon, serrures, minium, tuiles de Chine, carreaux de Chine, huile de camphre, montres, horloges, boîtes du Japon incrustées de nacre, eau de Cologne, articles de parfumerie, objets de curiosité, etc.

Traité d’amitié et de commerce entre Sa Majesté le magnifique roi de Siam et les États-Unis d’Amérique

Sa Majesté souveraine, le magnifique roi, qui réside dans la ville de Krung-thèph-mahá-nakhon-siajuthaja, a chargé le Chao-phaja-phra-khlang, l’un de ses premiers ministres d’État, de s’entendre avec Edmond Roberts, ministre des États-Unis d’Amérique, envoyé par le gouvernement de ce pays et agissant en son nom, sur la conclusion d’un traité de sincère amitié et d’entière bonne foi entre les deux nations. Pour atteindre ce but, les Siamois et les citoyens des États-Unis d’Amérique entretiendront loyalement des rapports de commerce dans les ports de leurs nations respectives aussi longtemps que le ciel et la terre dureront.

Ce traité a été conclu le mercredi dernier jour du quatrième mois de l’année 1194, appelée pi-marong-chatava-sok (ou année du Dragon), date qui correspond au vingtième jour de mars de l’an de notre Seigneur 1833. L’un des originaux est écrit en siamois, l’autre en anglais. Mais, comme les siamois ignorent l’anglais, et les Américains le siamois, une traduction portugaise, et une en chinois ont été annexées aux originaux pour servir de témoignage à leur contenu. L’écrit est de même teneur et date, dans les langues susdites ; il est signé, d’une part, du nom du Chao-phaja-phra-khlang, et scellé du sceau de la fleur de lotus, en cristal, et d’autre part, signé du nom d’Edmond Roberts, et scellé d’un sceau représentant un aigle et des étoiles.

Une copie du traité sera gardée dans le Siam, et l’autre emportée par Edmond Roberts aux États-Unis. Si le gouvernement des États-Unis ratifie le dit traité et y appose le sceau du gouvernement, le Siam le ratifiera aussi de son côté et y apposera le sceau de son gouvernement.

Art. 1er. Il y aura paix perpétuelle entre les États-Unis d’Amérique et le magnifique roi de Siam.

Art. 2. Les citoyens des États-Unis auront pleine liberté d’entrer dans tous les ports du royaume de Siam avec leurs cargaisons, de quelque nature que soient ces cargaisons, ils jouiront en outre de la liberté de les vendre à tous les sujets du roi, ou autres qui désireront les acheter ou échanger contre tous produits ou fabricats du royaume, ou tels autres articles que l’on peut y trouver. Les officiers du roi n’imposeront aucun prix aux articles que les marchands des États-Unis auront à vendre ou aux marchandises qu’ils désireront acheter ; le commerce sera libre des deux côtés, pour vendre, acheter ou échanger, aux termes et prix que les propriétaires jugeront convenables. Toutes les fois que lesdits citoyens des États-Unis voudront partir, ils auront la liberté de le faire, et les officiers compétents leur délivreront des passe-ports~ à moins que quelque empêchement légal ne prescrive le contraire. D’ailleurs, rien de ce qui est contenu dans cet article ne doit donner à entendre qu’on garantisse la permission d’importer ou de vendre des munitions de guerre à d’autres qu’au roi, qui, s’il ne les demande pas, ne veut pas être engagé à les acheter ; ni la permission d’importer de l’opium, regardé comme objet de contrebande, ou d’exporter du riz, qui ne peut être embarqué comme article de commerce.

Art. 3. Les navires des États-Unis qui entreront dans l’un des ports des États de Sa Majesté pour vendre ou acheter des marchandises, paieront, au lieu de taxes d’importation et d’exportation, droits de tonnage, licence de commerce ou quelque autre charge que ce soit, une taxe de jaugeage établie de la manière suivante : le mesurage sera fait d’un côté à l’autre, au milieu de la longueur du vaisseau, et si c’est un navire à un seul pont, sur ce pont, dans le cas contraire, sur le bas pont. Pour chaque navire marchand il sera payé 1700 ticaux ou bats par brasse siamoise de la largeur déterminée comme il a été dit ci-dessus, ladite brasse estimée à soixante-dix-huit pouces anglais ou américains, correspondantà quatre-vingt-seize pouces siamois. Mais si ledit navire vient sans marchandises et achète une cargaison argent comptant seulement, il paiera alors la somme de 1500 ticaux ou bats pour chaque brasse ci-devant décrite. De plus, la susdite taxe de mesurage ou jaugeage ni aucune autre charge quelconque ne pourront être exigées d’aucun vaisseau des États-Unis entrant dans un port siamois pour s’y radouber, obtenir des rafraîchissements ou s’informer de l’état des marchés.

Art. 4. Si par la suite on diminue en faveur de quelque autre nation les taxes que les vaisseaux étrangers ont à payer, on les diminuera également en faveur des vaisseaux des États-Unis.

Art. 5. Si un navire des États-Unis fait naufrage sur quelque point des États du magnifique roi, les personnes échappées au naufrage seront soignées, entretenues avec hospitalité aux frais du roi, jusqu’à ce qu’elles trouvent une occasion pour retourner dans leur pays. La propriété sauvée d’un tel naufrage sera conservée avec soin et rendue à ses légitimes maîtres. Les États-Unis rembourseront à Sa Majesté les dépenses occasionnées par le sauvetage.

Art. 6. Si un citoyen des États-Unis, venu au Siam dans un but de commerce, contracte des dettes envers des individus du Siam, ou si un individu du Siam contracte des dettes envers un citoyen des États-Unis, le débiteur sera obligé de produire et de vendre tous ses biens pour payer sa dette. Si le produit de cette vente de bonne foi ne suffit pas, le débiteur ne sera pas engagé pour le reste, et le créancier ne pourra ni le retenir comme esclave, ni l’emprisonner, ni le fouetter, ni le châtier de quelque autre manière que ensuit, pour le forcer au paiement complet de sa dette ; devant au contraire le laisser en pleine liberté.

Art. 7. Les marchands des États-Unis qui viendront dans le royaume de Siam pour y commercer et désireront y louer des maisons, loueront les factoreries du roi, et les paieront conformément au prix d’usage. Si lesdits marchands débarquent leurs marchandises, les officiers du roi en feront le compte, mais ne prélèveront aucune taxe sur ces marchandises.

Art. 8. Si des citoyens des États-Unis, leurs vaisseaux ou leurs propriétés, viennent à tomber dans les mains des pirates, et qu’on les amène dans les États du magnifique roi, les personnes seront mises en liberté, et les propriétés rendues à leurs légitimes maîtres.

Art. 9. Les marchands des États-Unis faisant le commerce au Siam respecteront et sueront, dans toutes leurs prescriptions, les lois et ordonnances du pays.

Art. 10. Si par la suite quelque nation étrangère autre que la nation portugaise demande et obtient de Sa Majesté son consentement pour établir des consuls résidant au Siam, les États-Unis auront la liberté d’en établir aussi concurremment avec toute autre nation étrangère.

CERTIFICAT DE RATIFICATION.

Le présent est pour certiner qu’Edmond Roberts, envoyé spécial des États-Unis d’Amérique, a délivré et échangé un traité ratifié au jour et à la date ci-après mentionnés, et que ledit traité a été signé et scellé dans la royale ville de Si-Ajuthaja, capitale du royaume de Siam, le vingtième jour de mars mil huit cent trente-trois, correspondant au quatrième mois de l’année du Dragon.

En foi de quoi, nous, le magnifique roi de Siam, ratifions et confirmons ledit traité en y apposant notre sceau royal, ainsi que les sceaux de tous les premiers ministres d’État dans la ville de SiAjuthaja, le quatorzième jour du cinquième mois de l’année appelée l’année du Singe, le sacarat ou an de l’ère étant le onze cent quatre-vingt-dix-huitième, ce qui répond au quatorzième jour du mois d’avril de l’an du Christ 1836.

Ici sont empreints les sept sceaux de l’empire.



Ruche bourdonnante d’abeilles et symboles divers
Ruche bourdonnante d’abeilles et symboles divers