Deux épisodes diplomatiques/01

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Deux épisodes diplomatiques
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 31 (p. 436-470).
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DEUX
EPISODES DIPLOMATIQUES

I.
DERNIERES NEGOCIATIONS DE L'EMPIRE. - OUVERTURES DE FRANCFORT ET CONFERENCES DE CHATILLON.

Histoire de la Restauration, par H. Louis de Viel-Castel.

L’étude de l’histoire de nos jours repris faveur : cela est naturel. Le temps n’est plus où les annales de la France s’écrivaient à l’ombre des cloîtres, pour l’édification du petit nombre, par d’obscurs solitaires. Notre passé national a cessé d’être un bien de mainmorte exploité par des moines. L’antique champ de l’église est définitivement tombé dans le domaine commun. Aux pieux bénédictins ont succédé d’abord les savans de profession, puis les philosophes, les beaux esprits, les lettrés, et voici encore de nouveaux occupans. Ceux-ci sont avant tout les hommes du siècle : ils ont mis la main aux affaires de ce monde, ils ont dominé par la parole les libres assemblées de leur pays et siégé avec honneur dans ses conseils responsables. Ne leur demandez, pas de quel droit ils s’emparent aujourd’hui de l’histoire : les plus considérables vous répondront que l’histoire a été leur première vocation, qu’ils l’avaient aimée avec ardeur avant de songer à la politique, et c’est justice en vérité, si, après avoir fait l’éclat de leur jeunesse, elle soutient, distrait, et couronne aujourd’hui si dignement leur âge mûr.

La politique est en effet la meilleure école de l’historien. Elle ne lui sert pas seulement à pénétrer plus avant dans les ressorts cachés des événemens, elle l’aide aussi à mieux saisir les aspects infinis de la personnalité humaine. Elle lui aiguise l’esprit et ne contribue pas moins à l’élargir ; elle le modère surtout et rétablit l’équilibre jusque dans la vivacité de ses meilleurs instincts. Que de tristes découvertes et de pénibles déceptions attendent celui qui traverse, ne fût-ce que rapidement, les régions du pouvoir ! Il n’est pas nécessaire d’y séjourner longtemps pour découvrir la folie de nos semblables, leur égoïsme et leurs faiblesses. Le cœur de l’honnête homme en est d’abord soulevé de dégoût ; mais s’il a le sens droit autant que la conscience délicate, à se rendre compte de la violence des entraînemens publics, à considérer l’action séductrice des circonstances individuelles, il sera vite saisi de plus de pitié encore que de courroux. Les causes d’excuse lui apparaîtront bientôt plus nombreuses que les motifs d’indignation, et ses jugemens deviendront peu à peu moins sévères. Arrive pour lui l’occasion de parler des temps écoulés, il sera disposé à reconnaître qu’à l’égard des morts aussi bien que des vivans, l’excessive rigueur peut être parfois voisine de l’extrême injustice, et qu’à bien prendre les choses, dans le passé comme dans le présent, il convient surtout d’être facile et tolérant. Après nous avoir jadis fait connaître, dans un récit sobre et nerveux, les troubles du long parlement d’Angleterre, un historien devenu homme d’état se décide, poursuivant son œuvre, à nous peindre la dictature agitée de Cromwell, le règne éphémère de Richard et le rôle singulier de Monk dans la restauration des Stuarts : ne soyez pas surpris de le voir allier, dans ses jugemens, à la plus inexorable perspicacité une calme et volontaire indulgence. Au fond, il n’aura rien ou presque rien changé à sa manière primitive : les traits les plus frappans de ses personnages seront restés les mêmes ; les contours en seront seulement plus amples, tracés d’une main plus libre, plus assouplie et plus sûre d’elle-même. Quelques retouches à peine auront suffi, retouches imperceptibles que les grands maîtres seuls savent faire à leurs premiers dessins.

C’est surtout pour écrire l’histoire de son pays qu’il importe d’avoir touché aux affaires publiques. Plus les temps à raconter seront rapprochés, plus un pareil apprentissage deviendra utile, peut-être faudrait-il dire indispensable : non pas qu’il soit impossible (de glorieuses exceptions en font foi) de réunir de premier jet, comme par une sorte de prédestination, les qualités propres aux récits contemporains. Naguère, au plus fort de la lutte engagée contre les tendances rétrogrades de quelques conseillers imprudens de la restauration, alors qu’aux mains d’adversaires également échauffés, livres, pamphlets, discours, tout était instrumens d’attaque et machines de guerre, la France libérale se souvient d’avoir vu un soldat inconnu se jeter plein d’ardeur au milieu de la mêlée et relever fièrement, sur le champ de bataille de l’histoire, le drapeau des temps modernes. La génération nouvelle s’émut au tableau animé des grandes guerres de la république, son cœur battit d’orgueil au spectacle de la France entière levée comme un seul homme pour défendre ses frontières menacées ; mais elle s’éprit surtout de son jeune historien quand elle le vit, sur les pas du général Bonaparte, descendre précipitamment les pentes escarpées des Alpes, et, non moins rapide que son héros, comme lui menant de front la guerre et la diplomatie, l’administration et la politique, entraîner d’une haleine ses lecteurs charmés depuis les défilés sanglans de Montenotte et de Millesimo, à travers les plaines meurtrières d’Arcole et de Lodi, jusqu’aux conférences pacifiques de Léoben et de Campo-Formio. Pour la vivacité des allures, pour la justesse des aperçus et la simplicité du style, il semblait que du premier coup la perfection avait été atteinte. Qui pouvait s’attendre à des progrès nouveaux ? Il nous était cependant réservé de constater une fois de plus ce que l’expérience du pouvoir et la pratique du gouvernement peuvent ajouter de réalité saisissante à l’intérêt sérieux de l’histoire. Par ignorance de la vie qui commence, par excès de confiance dans les maximes abstraites, si séduisantes pour la jeunesse, on a vu ceux-là mêmes qui plus tard s’en sont le mieux défendue commencer par céder à l’esprit de système. S’il leur à fallu surtout raconter une de ces époques où chez les mêmes personnes le bien et le mal se sont trouvée étrangement confondus, seront-ils beaucoup à blâmer pour avoir trop légèrement adopté la théorie complaisante qui prétend effacer le rôle propre des acteurs humains au profit d’une certaine logique fatale des faits, et de je ne sais quelle force des choses anonyme et irresponsable ? En tout cas, cette façon de comprendre l’histoire ne pouvait demeurer celle d’un homme qui a eu l’honneur de mettre sa marque sur les affaires de son temps ; elle a complètement disparu de ces pages brillantes où nous sont retracées les grandeurs du consulat et les fortunes diverses de l’empire. La liberté humaine y est au contraire glorieusement rétablie dans la plénitude de ses droits. Les événemens ne disposent plus des hommes, ce sont les hommes qui commandent aux événemens. Du fond même du sujet, une grande figure se détache avec majesté : elle domine le récit, elle remplit le cadre, peut-être jusqu’à le déborder ; mais s’il règne en maître dans ce vif récit écrit avec l’entraînement d’une passion qui n’a pas toujours conscience d’elle-même, Napoléon y est aussi parfois jugé avec une sévérité d’autant plus imposante que, commandée par l’évidence, elle a coûté davantage aux prédilections avouées de l’auteur. Quand on a eu le plaisir d’en manier tous les ressorts, comment ne pas s’éprendre de cette organisation puissante et compliquée dont l’empereur a jeté les bases ? Comment ne pas se plaire à les décomposer pour ainsi dire et à les mettre pièce à pièce sous les yeux du public ? Mais n’ayez point d’inquiétude ; les préoccupations de l’homme d’état n’auront en rien refroidi la verve de l’écrivain. Loin de nuire à l’effet général, l’abondance des détails techniques servira au contraire à provoquer plus fortement l’émotion du lecteur. Après avoir assisté à la création laborieuse de la marine impériale, après avoir curieusement suivi sur nos chantiers le progrès de ces vaisseaux dont on s’est plu à nous décrire les degrés successifs d’avancement, nous les accompagnerons avec d’autant plus d’anxiété dans leurs premières courses et dans leurs premiers combats ; notre cœur se serrera en voyant, à la lugubre journée de Trafalgar, leurs intrépides équipages succomber sous les coups furieux d’un ennemi acharné et de la tempête, plus implacable encore. Instruits à fond de la composition des nombreux régimens de la grande armée française, tant de fois passés en revue devant nous, nous arriverons à reconnaître facilement, d’un bout de l’Europe à l’autre, leurs vieux drapeaux mutilés, et lorsqu’on nous les montrera, sous l’œil et sous la main de leur glorieux chef, manœuvrant à Austerlitz et à Wagram d’après les règles compliquées de la tactique moderne, il nous semblera presque relire, comme aux jours de notre jeunesse, les combats antiques des demi-dieux chantés par Homère.

Les exemples abondent et les notice se pressent sur les lèvres quand on songe à cette virile école, dont les talens se sont formés, agrandis et vivifiés au contact des affaires publiques. Quels modèles accomplis de science profonde et de narration élégante ont été offerts de nos jours par les hommes considérables qui n’ont pas cessé de partager entre la politique et la littérature les heures studieuses d’une vie noblement occupée ! les uns se sont servis de leur position officielle pour ouvrir au public les trésors de nos archives, mettant eux-mêmes la main à l’œuvre, tantôt pour relier par un récit grave et substantiel les pièces relatives aux plus importantes négociations du règne de Louis XIV, tantôt pour jeter l’intérêt le plus vif dans de simples et piquantes biographies. D’autres se sont créé des droits pareils à notre gratitude lorsqu’au lieu de tant de peintures de complaisance, ils nous ont enfin retracé la véridique et saisissante image de la convention et du directoire. Qui n’a présentes à l’esprit les études contemporaines de l’un des maîtres de l’art moderne, études charmantes, d’une inspiration si généreuse, si riches de faits, si colorées et si vivantes ! Mais l’histoire n’a pas eu seulement le bonheur de garder ses anciens adeptes, elle a fait de nouvelles conquêtes. Mise en regard des sévères attraits de la philosophie, son charme s’est trouvé le plus fort, et ce triomphe nous a valu, sur les ministres, sur les grands hommes de guerre, et de préférence sur les belles dames du XVIIe siècle, des pages animées et brillantes, où règnent je ne sais quelles grâces d’ardeur naissante et de premier éblouissement, mais que relèvent surtout une rare puissance d’investigation et la magie d’un style incomparable. Un si bel exemple ne pouvait manquer d’être contagieux : tant de gens sont aujourd’hui de loisir, que la nature avait doués d’un vif esprit et d’une activité pleine de promesses. Plusieurs sont retournés imperturbables à leurs travaux interrompus, enclins plutôt à modifier légèrement, à doucement élargir leurs doctrines primitives qu’à les abandonner tout à fait, alors qu’à côté d’eux leurs amis plus hardis se faisaient honneur de rompre bruyamment avec les méthodes passées, jetant à pleines mains, jusque dans les profondeurs douteuses de l’histoire, des lueurs tantôt éclatantes, tantôt confuses, mais toujours inattendues, et professant sur toutes les questions controversées des opinions qu’il serait aussi puéril d’accepter de confiance qu’injuste de repousser sans examen. Moins impétueux, aussi indépendans, mais plus sûrs dans leurs jugemens, il en est qui ont tâché d’embrasser dans une vue d’ensemble la direction générale imprimée à la politique de notre pays par les puissans fondateurs de notre unité nationale. Plusieurs, à l’aide d’une pénétration historique qui a surpris les plus érudits, sont allés rechercher au fond du berceau et dans les langes mêmes de la monarchie naissante les lettres de noblesse trop longtemps égarées de la liberté politique, tandis qu’habile à discerner les moindres symptômes de l’opinion publique même endormie, un des vétérans de l’école parlementaire nous révélait, à notre grande surprise, dans un récit instructif et rapide, les velléités de résistance qui, toutes portes closes, avaient, sous le premier empire, pénétré jusque dans la discrète enceinte du sénat conservateur et réveillé à petit bruit les échos si longtemps muets du corps législatif. J’en sais enfin qui, à bon droit plus timides et se méfiant justement d’eux-mêmes, ont tout au plus osé se risquer, faute de mieux, à raconter le plus simplement possible les modestes annales de leur province natale. Artisans de la première ou de la onzième heure, qu’ils se soient levés avant l’aurore du jour nouveau ou qu’ils se soient mis tard à leur tâche, ils auraient aujourd’hui grand tort les uns et les autres de se décourager, car l’œuvre en elle-même est excellente. Il y faut, il est vrai, encore plus d’art que de bonne volonté, et ce sera toujours affaire de vocation que d’écrire bien l’histoire ; mais aux époques troublées, quand l’action politique leur devient difficile, cette vocation naît d’elle-même chez les esprits fiers et délicats. Par ennui du présent, ils se rejettent avec plus d’entrain sur l’étude des anciens jours, ils transportent alors involontairement dans la peinture des temps écoulés cette passion sincère et contenue de qui procède toute vie, et qui est la source même du talent. Observateurs attentifs et témoins émus de ce qui s’agite sous leurs yeux, ils ont plus de chance de deviner avec clairvoyance et de rendre avec vivacité ce qui s’est autrefois passé sur cette vieille terre que nous habitons, où toutes choses se succèdent si vite et par malheur changent si peu. Ainsi, sans trop d’efforts, sans trop long noviciat, se sont aujourd’hui formés tant de narrateurs excellens. C’est au milieu de. ce mouvement fécond, qui pousse de préférence vers les études historiques les hommes autrefois mêlés aux affaires de leur pays, qu’est née l’œuvre dont nous voulons entretenir les lecteurs de la Revue.


I

L'Histoire de la Restauration de M. Louis de Viel-Castel est un nouveau témoignage de ce que gagne l’histoire, et surtout l’histoire de notre temps, à être racontée par des écrivains qui ont trempé leur esprit au contact vivifiant de la politique, et mûri leur expérience par le maniement instructif des intérêts de notre société moderne. M. de Viel-Castel est du nombre de ces historiens qui ont eu le rare privilège de commencer de bonne heure leur apprentissage politique. Attaché à l’ambassade de Madrid peu de temps après la révolution d’Espagne, il y fut, par la bienveillance de ses chefs, placé tout de suite sur ce pied de confiante intimité qui, dans la carrière diplomatique, permet aux jeunes gens d’être vite initiés au secret des plus importantes négociations. Quelques années plus tard, son mérite le fît appeler dans les bureaux de la division politique des affaires étrangères. Sa place y était si naturellement marquée, il s’y rendit en peu de temps à tel point indispensable, que jamais aucun chef de ce département n’a depuis consenti, de son plein gré, à se priver de son concours. Les affaires étrangères n’occupaient pas alors le splendide palais qui étale maintenant sur le quai d’Orsay sa façade orgueilleuse ; elles étaient, tant bien que mal, établies au vieil hôtel de la rue des Capucines. C’est là que, du fond d’un étroit cabinet, placé au plus haut degré d’un escalier fort sombre, précédé de je ne sais combien de mystérieux couloirs et d’un incommode vestibule où je me souviens d’avoir vu tant d’ambassadeurs étrangers attendre leur audience pêle-mêle avec les garçons de bureau, M. de Viel-Castel a, pendant trente années consécutives, sauf un moment d’abstention volontaire en 1848, suivi, avec une attention scrupuleuse jusqu’au moment de sa retraite définitive en 1852, tout le détail de nos relations extérieures. Seuls, les ministres qui tour à tour ont profité de ses services et sont demeurés pour lui pleins d’estime et d’amitié peuvent dire aujourd’hui, avec une autorité suffisante, ce qu’ils ont trouvé d’aide dans l’étendue de ses connaissances si variées, de sa mémoire si prodigieuse, dans la calme sérénité de son jugement si droit et de sa modération d’esprit plus infaillible encore.

Les événemens de la politique intérieure n’ont pas été d’ailleurs moins que les circonstances du dehors l’objet constant des préoccupations de M. de Viel-Castel. Comme s’il avait eu le pressentiment de la tâche qu’il devait plus tard entreprendre, avec cette régularité méthodique qui est l’un des traits de son caractère, il n’a jamais cessé de prendre note des faits les plus importans venus à sa connaissance, et de consigner pour lui-même l’impression qu’il en avait ressentie. Les deux volumes qui sont l’objet de notre étude ne contiendraient pas un exposé aussi complet de la politique intérieure de la restauration en 1814, si une foule de pièces inconnues du public n’avaient jadis passé sous les yeux de l’ancien directeur politique du ministère des affaires étrangères ; il ne nous raconterait pas aujourd’hui avec tant de détails nouveaux et curieux les négociations suivies à Vienne avant le retour de l’empereur de l’île d’Elbe, si, pour les besoins de son service, il n’avait autrefois feuilleté, à plus d’une reprise, la correspondance particulière du prince de Talleyrand avec le roi Louis XVIII. De même, à le voir instruit si à fond des circonstances les plus secrètes de notre politique extérieure, nous devinons qu’il a dû, pour les obtenir, puiser à des sources également sûres, et nous le soupçonnons, tant ses renseignemens sont exacts, d’avoir eu communication d’autres mémoires aussi curieux et plus circonstanciés que ceux de M. de Talleyrand, fruits d’une vie non moins longue et non moins remplie, mémoires consciencieux et véridiques par excellence, dont le public soupçonne tout au plus par ouï-dire l’imposante autorité, et qui, prêtés par lambeaux d’une main avare, ne sont encore connus que d’un trop petit nombre d’heureux privilégiés.

Néanmoins la supériorité des informations, la connaissance approfondie des rapports qui relient entre elles les affaires du dedans et celles du dehors, né forment pas à beaucoup près le seul mérite de cette nouvelle Histoire de la Restauration, il y faut joindre le don non moins heureux d’une rare et naturelle impartialité. Cette impartialité n’a rien de factice, elle n’est pas un effet de l’art ; on n’y sent point l’effort de ces auteurs attentifs à ne se trahir jamais euxmêmes, mais qui, sachant mettre à l’occasion telle partie de leur sujet en lumière et telle autre dans l’ombre, arrivent d’autant plus sûrement à suggérer ainsi au lecteur, d’une façon insensible, leurs propres préférences. Nous avons déjà plusieurs histoires de la restaurations aucune n’est absolument mensongère ; elles sont toutes volontairement incomplètes, et cela suffit à les rendre fausses, Bien différens sont les procédés de M. de Viel-Castel : il prend grand soin de ne jamais rien omettre d’important ; loin de dissimuler les fautes commises par les différens partis, il se fait un devoir de les exposer toutes dans de strictes proportions, et jamais il ne manque de les relever avec la parfaite équité d’un censeur irréprochable. Les vaines théories le laissent assez froid ; s’il penche vers les doctrines constitutionnelles, c’est qu’il les juge plus propres à faire prévaloir ce qui lui tient uniquement à cœur, — la raison, la justice et la modération. Sans doute les idées qui lui sont chères lui semblent, à certains momens, s’identifier plus particulièrement avec telle cause ou telles personnes ; mais ne craignez rien, ce n’est pas un ami complaisant. Peut-être même faut-il reconnaître qu’il se montré surtout sévère pour les opinions qu’il préfère et pour les gens qu’il aime le mieux. Si nous avions un reproche à lui adresser, ce serait de ne pas toujours prendre en suffisante considération les inextricables embarras de ces terribles situations où les mieux intentionnés et les plus sages n’ont souvent le choix qu’entre les moins fâcheuses résolutions. À vouloir systématiquement absoudre les mauvaises conduites par les motifs tirés de l’entraînement des temps, on risque à coup sûr de sacrifier la morale tout entière… N’est-on pas aussi tout près d’être injuste quand on oublie de tenir compte de l’influence des passions régnantes ? Mais quoi d’étonnant si M. de Viel-Castel, qui, pour son compte, ne les a jamais ressenties, répugne à leur faire, chez les autres, la part inévitable ? Sa conscience d’historien ne se lasse pas d’entrevoir un certain idéal de rectitude parfaite qu’en toutes choses il est noble de poursuivre, mais qu’en politique il n’est guère donné d’atteindre. De cela même le public lui saura gré, car le public n’admet pas volontiers, en faveur du passé, les circonstances atténuantes, et d’ordinaire il est d’autant plus rigoureux dans ses appréciations rétrospectives qu’il se sent, pour le moment, de composition plus facile et d’humeur plus accommodante.

Le récit de M. de Viel-Castel s’ouvre avec la campagne de France en 1814, et ses deux premiers volumes nous conduisent jusqu’au lendemain du retour de l’île d’Elbe. Dans cette période douloureuse de notre histoire, où se sont accumulés tant d’événemens considérables, l’attention de l’auteur ne s’est pas, tant s’en faut, concentrée exclusivement sur les champs de bataille. Laissant au grand historien du premier empire l’honneur de raconter de main de maître les sanglans épisodes de la lutte intrépide soutenue par son héros, M. de Viel-Castel s’est de préférence attaché à retracer les incidens de la politique intérieure. Il a surtout pris soin de nous peindre l’agitation sourde des esprits, la naissance, les progrès croissans et l’ascendant définitif de ce mouvement d’opinion qui a précédé, amené et suivi le retour des Bourbons. Plus que les faits de guerre, si prodigieux qu’ils fussent, les efforts tentés pour la paix, si éphémères qu’ils aient été, tiennent une large place dans son récit. Par prédilection de métier, si l’on veut, ou plutôt, selon nous, par un juste sentiment de l’importance des événemens et de leur influence ultérieure sur les destinées de notre pays, l’ancien directeur des affaires étrangères, sans sacrifier tout à fait les généraux aux diplomates, nous entretient plus volontiers de transactions diplomatiques que de manœuvres militaires. Chez le nouvel historien de la restauration, le lecteur trouvera, il faut en convenir, moins de détails sur la journée de Leipzig que sur le congrès de Prague ou sur les propositions de Francfort. Les combats de Brienne, de Montmirail, de Champaubert et de Nangis l’ont, à vrai dire, moins occupé que les conférences de Châtillon ou le traité de Chaumont. Sa tendance est bien marquée, son parti-pris est évident. Serons-nous fort à blâmer si nous suivons nous-même cet exemple ? Le public nous en voudra-t-il beaucoup si, tout plein et tout ému de ce dramatique récit de la chute du premier empire, quand les formidables coups de canon tirés pour la défense du sol national, depuis les rives du Rhin jusque sous les murs de Paris, résonnent encore à nos oreilles, nous nous efforçons d’aller, hors du tumulte des camps, chercher d’autres enseignemens que ceux de la force brutale, et méditer, loin de la fumée de la poudre, des leçons auxquelles la fortune des combats ne saurait rien changer ? Serait-ce une étude sans intérêt que celle qui, laissant un peu dans l’ombre les faits de guerre, irait chercher, dans l’incohérence et la mauvaise foi qui ont présidé aux dernières négociations de Napoléon, une des causes de la chute du régime impérial ? Bien courte est en effet la sagesse de ceux qui s’imaginent voir le sort des empires se décider uniquement sur les champs de bataille. Grâces en soient rendues à l’éternelle justice, les arrêts qu’elle prononce ne dépendent ni des hasards de la stratégie ni de l’habileté des tacticiens : considérez-les de près, et vous y reconnaîtrez le plus souvent le châtiment longtemps différé des fautes autrefois commises. À ce point de vue, les deux volumes de M. de Viel-Castel apprennent beaucoup, mais ils ne disent pas tout : son récit est exact, mais il ne pouvait être complet, car il n’entrait pas dans son cadre de donner beaucoup de détails sur les derniers événemens des années 1813 et 1814. Aidé de quelques documens nouveaux ; nous voudrions essayer de combler cette lacune et de mettre en relief un certain nombre de circonstances inconnues ou mal représentées, d’où nous semblent ressortir, si quelque illusion ne nous abuse, d’utiles leçons et une haute moralité.

Plût au ciel, en effet, que Napoléon n’eût jamais provoqué ni mérité ses revers ! Mais, disons-le hautement, c’est lui-même, c’est lui seul qui s’est porté les coups mortels. Aux yeux de l’Europe aussi bien que dans l’opinion de la France, la condamnation du régime impérial était écrite avant qu’un seul soldat étranger eût passé nos frontières. La chute du despotisme qui, depuis quinze années, pesait sur le monde était, en 1814, devenue inévitable. Quelques heureuses rencontres de guerre pouvaient encore la retarder, mais ne pouvaient plus désormais l’empêcher. En vain, après Nangis et Montereau, la victoire aurait, pour quelques jours encore, favorisé nos drapeaux ; en vain le chef de l’héroïque armée qui s’épuisait pour couvrir Paris aurait pu disposer d’un équipage de pont ; en vain le sort lui eût épargné, soit la reddition imprévue du pont de Soissons, soit la défection coupable d’Essonne : d’autres incidens seraient survenus qui ne pouvaient manquer tôt ou tard d’aboutir à la même catastrophe. Sciemment et de parti-pris, l’empereur avait rendu toutes les transactions impossibles ; il avait, de propos délibéré, poussé les choses à cette extrémité où, pour rassurer entièrement l’Europe, il fallait de toute nécessité que la France fût annulée ou l’empereur renversé. Napoléon lui-même en avait conscience. Aussi habile à tout prévoir qu’incapable de se dompter en rien, il avait, depuis ses revers, signalé déjà plus d’une fois à son entourage effrayé les périls de sa situation. À Prague, dans la vivacité de l’un de ces entretiens où, avec un laisser-aller un peu superbe, il se plaisait à parler librement de lui-même et des autres, il n’avait pas craint de livrer son secret, prédisant en de hautaines paroles l’issue fatale de la lutte où il était irrévocablement engagé. « Vos souverains nés sur le trône ne peuvent comprendre les sentimens qui m’animent, avait-il dit à M. de Metternich ; ils rentrent battus dans leurs capitales, et pour eux il n’en est ni plus ni moins. Moi, je suis un soldat, j’ai besoin d’honneur et de gloire ; je ne puis reparaître amoindri aux yeux de mon peuple. Il faut que je reste grand, glorieux, admiré. — Quand donc finira cet état de choses, avait repris M. de Metternich, si les défaites comme les victoires sont pour vous un égal motif de continuer ces guerres désolantes ? Victorieux, vous voulez tirer les conséquences de vos victoires ; vaincu, vous voulez vous relever. Sire, nous serons donc toujours les armes à la main, dépendant éternellement, vous comme nous, du hasard des batailles[1] ? » La sanglante perspective qui épouvantait M. de Metternich était sans trouble acceptée par l’empereur ; il avait déjà répondu à la pensée du ministre autrichien lorsqu’au début de l’entretien, il s’était écrié avec emportement : « Préparez-vous à lever des millions d’hommes, à verser le sang de plusieurs génération et à venir traiter au pied des hauteurs de Montmartre[2] ! »

Hélas ! c’était bien la vérité que de part et d’autre on s’était dite sans réticence dans cette célèbre conversation de Prague. « L’empereur, observe judicieusement M. de Viel-Castel ; était en effet dans cette position terrible où, la cause d’un souverain cessant d’être celle de son peuple, les intérêts de l’un, exigent ce que l’honneur de l’autre ne comporte pas. Dans une semblable situation, un prince dont la dynastie est affermie sur le trône peut tout concilier en abdiquant. C’est ce que fit Charles-Quint lorsque la fortune contraire eut renversé ses projets de domination, universelle, c’est ce qu’a fait dans ces derniers temps, si l’on peut comparer des personnes et des choses, si inégales, le téméraire et infortuné Charles-Albert ; mais Napoléon, monarque nouveau, n’avait pas cette ressource. Abdiquer en faveur d’un enfant de deux ans, c’était vouer sa dynastie à une ruine certaine. Il était donc en quelque sorte condamné à persister dans une lutte trop inégale pour qu’il pût à la longue espérer la victoire, mais en dehors de laquelle il n’y avait pour lui aucune chance d’honneur ni même de salut[3]. »

M. de Viel-Castel a raison. À cette époque, Napoléon sentait si bien à quel point les intérêts du pays étaient peu à peu devenus différens des siens propres qu’au moment même où il exigeait de ses sujets épuisés les plus pénibles sacrifices, il mettait sa principale application à leur dérober les moyens de savoir la vérité sur les négociations entamées avec les grandes puissances de l’Europe. À aucun prix, il ne fallait qu’ils fussent instruits du véritable état des choses. Rien ne lui coûtait, pas même les plus évidentes faussetés, pour donner le change à l’opinion sur les conditions de la paix offerte par l’ennemi. Après Lutzen, après Bautzen, les cabinets étrangers s’étaient montrés, disposés à céder à la France (M. Thiers le reconnaît dans son histoire) « plus qu’elle ne devait désirer, plus même qu’elle ne pouvait posséder[4]. » Ils s’étaient résignés à laisser à Napoléon une puissance à la façon de Charlemagne, sans raison d’être au dix-neuvième siècle[5]. Non-seulement Napoléon avait, malgré les patriotiques instances du duc de Vicence, refusé son consentement à ces propositions, mais, sur les causes mêmes de la médiation mise en avant par l’Autriche, il n’avait pas craint d’abuser, avec le public, ses propres négociateurs, ses ministres et jusqu’aux grands dignitaires de son empire[6]. Par une progression fatale, plus les revers s’accumulaient, plus les ennemis, retenus encore par la crainte de s’aventurer sur le sol français, mettaient de véritable modération dans leurs ouvertures, plus l’empereur, pour égarer les esprits en France et fomenter le ressentiment national, se croyait obligé d’épaissir le mystère et de multiplier les mensonges. Quand nous lisons dans les récits des contemporains les propositions qu’avant de franchir le Rhin les puissances coalisées firent de Francfort, vers le milieu de novembre 1813, parvenir à l’empereur par le canal de M. de Saint-Aignan, nous avons peine à nous imaginer que la France pût alors être tenue tout entière dans l’ignorance absolue d’une négociation où s’allait jouer son sort. Rien de si vrai cependant. à la veille de quitter les Tuileries pour commencer l’admirable campagne qui devait, quelque temps encore, retenir les ennemis loin de la capitale, peu de jours après le départ du duc de Vicence pour Châtillon, à l’heure même où, par ses proclamations énergiques, par ses adieux solennels à l’impératrice et à son fils, par ses harangues pathétiques à la garde nationale, il cherchait à émouvoir en sa faveur le sentiment des populations, Napoléon songea un instant à porter à la connaissance du public l’arrangement proposé par les cours étrangères. Le jeudi 19 janvier, le Moniteur reçut l’ordre d’imprimer le rapport de M. de Saint-Aignan et. le texte même des propositions qu’au quartier-général des armées alliées il avait, sous la dictée du prince de Metternich, transmises à l’empereur ; mais cet accès de franchise n’avait guère duré. À peine la distribution de la feuille officielle avait-elle commencé à Paris, qu’un contre-ordre était survenu le matin même du 20 janvier, et la police, après avoir déployé une grande activité pour mettre la main sur les premiers numéros déjà distribués, faisait imprimer un second Moniteur d’où le rapport de M. de Saint-Aignan avait entièrement disparu. Plusieurs personnes ont gardé et possèdent encore des exemplaires de ce Moniteur supprimé ; il a été reproduit dans le manuscrit de 1814 de M. Fain. C’est là qu’avec une sécurité bien naturelle la plupart des historiens de nos jours sont allés chercher ce qu’à bon droit ils ont pu regarder comme l’exacte et complète vérité. J’ai regret à le dire, leur confiance les a trompés. Pas plus dans le Moniteur supprimé que dans les autres documens publiés à cette époque, Napoléon n’a pu prendre sur lui de présenter à la nation les choses telles qu’elles étaient. En plus d’un passage, le rapport de M. de Saint-Aignan a été, à notre connaissance, tronqué et falsifié. Cependant les ouvertures faites à Francfort le 9 novembre sont par elles-mêmes si importantes, les paroles expresses sorties alors de la bouche du prince de Metternich, de lord Aberdeen et du comte de Nesselrode sont si précieuses à recueillir, et le témoignage du grave et véridique intermédiaire qui les rapporte a tant de poids, qu’on nous saura peut-être gré, en nous aidant des termes mêmes des dépêches de M. de Saint-Aignan, et sans trop nous écarter du livre qui fait le sujet de cette étude, d’entrer pour notre compte et d’après nos propres recherches dans quelques développemens sur cet épisode diplomatique de Francfort, qui a été comme le prologue des conférences de Châtillon, et dont M. de Viel-Castel nous a rendu seulement les traits principaux.


II

Vers la fin d’octobre 1813, les hasards de la guerre avaient fait tomber aux mains des puissances alliées le ministre plénipotentiaire de France près la cour de Weimar, M. de Saint-Aignan. Particulièrement connu de M. de Metternich, M. de Saint-Aignan était tenu en grande considération parmi les diplomates étrangers, non-seulement à cause de ses qualités personnelles, mais en raison de son étroite alliance avec le duc de Vicence, dont il avait épousé la sœur. à la nouvelle de son arrestation, le ministre autrichien s’était empressé d’intervenir pour faire relâcher M. de Saint-Aignan, traité jusqu’alors en prisonnier par l’état-major du prince Schwarzenberg. Dans une première entrevue, qui eut lieu à Weimar le 26 octobre, la conversation tomba tout d’abord sur les derniers événemens et sur l’état présent des affaires de l’Europe.


« L’empereur Napoléon, dit M. de Metternich, se fait illusion depuis deux ans ; il a cru faire la paix à Moscou, ensuite il s’est persuadé qu’il la ferait à Dresde, et qui nous ne pouvions lui faire la guerre. Il a pensé pouvoir garder la position de l’Elbe, et n’a pas voulu croire que c’était une chose impossible en nous ayant contre lui. Maintenant qui peut calculer les suites de cette campagne[7] ? Nous voulions sincèrement la paix, nous la voulons encore, et nous la ferons ; il ne s’agit que d’aborder la question franchement et sans détour. Les moyens indirects que l’empereur Napoléon emploierait pour arriver à la paix ne peuvent plus réussir ; que l’on s’explique franchement, et elle se fera. Le duc de Vicence sait qu’il y a, entre nous, sous le sceau du secret, un écrit qui pourrait faire conclure la paix en soixante heures. L’empereur Napoléon l’a accepté à deux articles près. La décision relative à la confédération du Rhin était remise à la paix générale ; mais l’empereur croyait toujours que l’Autriche ne ferait pas la guerre. Il supposait, sur les dires de Narbonne, que nous n’avions que 150,000 hommes lorsque nous en avions 300,000. Cependant une ligne télégraphique établie sur la frontière annonçait l’instant où les Russes allaient entrer. Il a fallu déclarer la guerre. Comment pouvait-on en douter ? Dans une conversation de neuf heures avec l’empereur, je l’avais annoncé cinq fois ; mais rien ne pouvait le lui faire croire. »


Quelques jours après cet entretien, M. de Saint-Aignan, qui avait dû suivre le quartier-général des armées étrangères à Tœplitz, puis à Francfort, était, le 8 novembre, mandé de nouveau chez M. de Metternich. Le ministre autrichien lui parla pour la seconde fois, en termes clairs et précis, de l’envie qu’avaient les alliés de conclure une paix solide.


« … Personne n’en voulait à la dynastie de l’empereur Napoléon. On était donc prêt à s’entendre. Les conditions de la paix à établir, devaient naturellement donner des limites à la puissance de l’Angleterre et de la France… L’Angleterre avait d’ailleurs des prétentions beaucoup moins élevées qu’on ne prétendait… Elle était prête à rendre à la Hollande indépendante ce qu’elle ne lui rendrait pas comme province française… Mais, continuait M. de Metternich,… il craignait que le caractère de l’empereur Napoléon ne fût un obstacle à la paix, qu’alors ce serait une guerre désastreuse, que l’Allemagne aurait par elle-même et d’un mouvement spontané 300,000 hommes de plus sur nos frontières, qu’il n’y aurait pour cela aucuns mouvemens révolutionnaires autres que ceux que l’Autriche voudrait nourrir et pourrait arrêter quand il lui conviendrait avec d’autant plus de facilité que les Allemands étaient un peuple doux, honnête et éloigné de toute violence, que ce peuple n’était en révolution que contre nous, parce que l’empereur Napoléon l’avait froissé, n’avait rien fait pour lui, et avait exaspéré les souverains[8]. »


Ce second entretien n’était lui-même que le prélude d’une conférence plus importante que M. de Metternich se proposait d’avoir le lendemain avec M. de Saint-Aignan. En ce moment, l’Autriche désirait la paix ; elle souhaitait sincèrement quelque arrangement qui, en donnant à l’Europe les garanties dont elle avait besoin, fût en même temps acceptable pour l’empereur Napoléon. Les circonstances étaient favorables. Les puissances coalisées hésitaient à franchir le Rhin, et, pleines des souvenirs du passé, redoutaient de rencontrer sur l’autre bord une résistance acharnée pareille à celle que leur avaient naguère opposée les armées de la république. Ainsi qu’il arrive d’ordinaire aux coalitions, elles n’étaient pas sans méfiance les unes des autres. Au sein des états-majors des différentes armées comme dans les bureaux des diverses chancelleries, on pressentait que plus l’on pousserait en avant, plus les motifs de dissentimens auraient chance de se produire. La crainte de voir rompre un accord qu’il avait tant de peine à maintenir préoccupait surtout M. de Metternich, conseiller principal d’un souverain un peu timide, qui était à la fois le chef ostensible de la coalition et le beau-père de Napoléon. Parmi les ministres étrangers réunis au quartier-général de Francfort, il n’était pas d’ailleurs le seul animé d’intentions pacifiques. Ses vues modérées étaient partagées par le comte de Nesselrode, chargé du portefeuille des affaires extérieures de Russie, esprit élevé et conciliant, le plus sage parmi ceux dont l’empereur Alexandre prenait alors les avis. Il rencontrait le même assentiment, et pour ses tentatives de négociation un très précieux appui, chez lord Aberdeen, ambassadeur d’Angleterre à Vienne. Lord Aberdeen suivait alors, par ordre de sa cour, le quartier-général des armées alliées. Quoique très jeune encore, il avait acquis déjà une précoce influence, et, par sa noble simplicité, son vaste savoir, sa modération plus rare encore, jetait dès lors les premiers fondemens de cette réputation d’homme d’état que le temps a depuis consacrée et grandie[9].

D’accord avec eux, M. de Metternich avait fait prier M. de Saint-Aignan de passer chez lui le 9 novembre, à neuf heures du soir. Quand M. de Saint-Aignan arriva chez le ministre autrichien, celui-ci était seul. Il accueillit M. de Saint-Aignan en le chargeant de beaucoup de complimens pour son beau-frère, le duc de Vicence, ajoutant qu’on avait une telle idée de sa justice et de sa loyauté qu’on lui remettrait volontiers, si l’on pouvait, les intérêts de l’Autriche et ceux de tout le monde, pour en décider suivant les principes d’équité qu’on lui connaissait[10]. Peu de momens après, le comte de Nesselrode entrait, annonçant que M. de Hardenberg pouvait être regardé comme présent et approuvant ce qui allait être dit. Alors, au nom des cours coalisées, M. de Metternich se mit à développer leurs vues communes et les conditions de la paix qu’on chargeait M. de Saint-Aignan d’offrir à l’empereur. Ces conditions sont aujourd’hui connues : la France reprendrait ses limites naturelles, le Rhin, les Alpes et les Pyrénées ; l’Angleterre, maîtresse de toutes nos colonies, était prête à nous en rendre la plus grande partie. Ce qu’on nous offrait ainsi au-delà de nos anciennes frontières, c’était la Belgique, la rive gauche du Rhin et la Savoie, moyennant la cession de quelques-unes de nos possessions tombées au pouvoir des Anglais. Pendant que, retiré un moment dans une pièce voisine de celle où cette conversation avait lieu, M. de Saint-Aignan mettait par écrit, sous forme de note verbale, les communications qu’il venait de recevoir, M. de Metternich vint lui demander « s’il avait quelque répugnance à voir l’ambassadeur d’Angleterre, qui venait d’arriver chez lui. » En rentrant dans le salon, où était resté M. de Nesselrode, M. de Saint-Aignan y trouva en effet lord Aberdeen, et, sur l’invitation de M. de Metternich, donna lecture à ces trois messieurs de la note qu’il venait d’écrire. Après l’avoir écouté, lord Aberdeen réitéra l’assurance « que l’Angleterre était prête à faire les plus grands sacrifices. Elle possédait beaucoup, mais elle rendrait à pleines mains. Toutefois il devait déclarer qu’elle ne consentirait jamais à rien qui porterait atteinte à ses droits maritimes. Il ne concevait pas ce qui avait pu faire croire à l’empereur Napoléon que l’Angleterre ait eu l’intention de limiter à trente vaisseaux de ligne la marine française ; jamais cette idée n’était venue à personne en Angleterre, Lord Aberdeen répéta plusieurs fois qu’il désirait beaucoup connaître la France et Paris, et parla de l’estime que la nation anglaise avait pour les Français[11]. » — « Ces offres des cours alliées, dit M. de Viel-Castel, étaient faites avec franchise et bienveillance, avec des ménagemens de langage qui témoignaient d’un sincère désir de conciliation… Les passions vindicatives qui animaient les cabinets comme les peuples semblaient s’être endormies pour un instant. On parlait de la France avec considération, avec respect ; on protestait contre la pensée de vouloir l’humilier ou la faire déchoir de sa position élevée. Ce n’était pas ainsi qu’on avait négocié à Prague et que l’on devait plus tard négocier à Châtillon. » — « Ces propositions étaient certes bien belles, bien acceptables encore, » remarque également M. Thiers. « Que pouvions-nous en effet désirer au-delà des Alpes et du Rhin ? Qu’avons-nous trouvé en outre-passant ces frontières si puissantes et si clairement tracées ? Rien que la haine des peuples et l’effusion constante de leur sang et du nôtre[12]. »

À des ouvertures si raisonnables, faites d’un ton si conciliant, que répondit l’empereur ? « Si sa réponse fut prompte, elle ne fut pas heureuse, » dit M. Thiers[13]. Elle contenait « une phrase amère contre l’Angleterre, et la lettre écrite quelques jours plus tard par M. de Bassano à M. de Metternich était de même à la fois « énigmatique et ironique. » « En évitant de s’expliquer sur les bases de l’arrangement qui lui était proposé, l’empereur ne voulait pas, dit encore le même auteur, laisser paraître, par trop de condescendance, l’impuissance à laquelle on était alors réduit… » Il nourrissait une espérance qui pouvait justifier ces derniers rêves, si elle se réalisait : c’est que la guerre ne recommencerait qu’en avril… Telle était en effet la prévision erronée de l’empereur. Il se souciait aussi peu de souscrire actuellement aux ouvertures de Francfort que naguère il était mal disposé à accepter les conditions de Prague. C’était d’ailleurs le même calcul : le sort lui avait été contraire, mais le sort ne pouvait-il changer ? — Comme ces joueurs acharnés qui ont mis leur fortune tout entière sur la carte qui leur reste, Napoléon ne songeait qu’à regagner par les armes ce que par les armes il avait malheureusement perdu. Les documens de cette époque, les mémoires des contemporains, sa propre correspondance, nous le montrent beaucoup plus occupé des moyens de soutenir la lutte rendue imminente qu’attentif à suivre les détails d’une douteuse négociation. Pour lui, si habile à discerner la réalité, à se rendre nettement compte des nécessités de sa situation, il n’y avait plus qu’un but vers lequel étaient uniquement tendus tous les ressorts de sa puissante pensée. Une seule chose lui importait réellement : se trouver encore une fois le plus fort, et rendre ses chances meilleures pour le jour de la dernière et terrible rencontre. Resté en apparence impassible, il n’avait garde d’ailleurs de s’abuser lui-même. Malgré sa contenance hautaine, mieux que personne il savait à quel point ses récens revers avaient ébranlé la confiance publique, entamé son prestige et affaibli son autorité. Ce n’était pas seulement par la haine de ses ennemis directs et notoires qu’il se sentait menacé. Il remarquait chez ses partisans les plus dévoués des marques évidentes de lassitude, et dans le gros de la nation une impatience toute nouvelle du joug longtemps porté. Au sein même du groupe nombreux et d’ordinaire si docile des fonctionnaires publics, il démêlait une vague préoccupation des chances de l’avenir et la secrète résolution de se mettre à même d’en profiter, De plus nobles mobiles, car ils avaient le salut du pays pour objet, agitaient les députés du corps législatif, qu’il avait récemment convoqué, et dans un moment de brusque colère presque aussitôt ajourné. Tout près de lui, parmi les grands dignitaires de l’empire qui jadis avaient le mieux servi ses desseins et donné le plus de gages à sa personne, deux hommes considérables, depuis longtemps écartés de ses conseils, Fouché, duc d’Otrante, et le prince de Talleyrand, lui étaient à bon droit devenus particulièrement suspects. Il n’avait guère plus à se louer des membres de sa famille. Murat était à l’état de trahison presque ouverte, et c’était la reine de Naples, propre sœur de l’empereur, qui avait noué ses intelligences avec la cour de Vienne[14]. Louis, séparé de la reine de Hollande et brouillé avec son frère, s’était retiré de Suisse à Paris, où il vivait obscurément sans mettre les pieds aux Tuileries[15]. Joseph, relégué dans une sorte d’exil à Morfontaine, maintenait tant qu’il pouvait ce qu’il appelait ses droits à la couronne d’Espagne ; il épiloguait longuement sur les termes de la renonciation qui lui était demandée par l’empereur, laissant voir fort peu d’empressement à venir, en simple prince français, habiter le palais du Luxembourg et présider, comme lieutenant-général pendant l’absence de son frère, les conseils de l’empire[16]. Jérôme, mis aux arrêts dans son propre palais de Cassel, en 1810, par suite de querelles domestiques, rentré en faveur pendant la campagne de Russie, où il s’était bravement comporté, avait quitté tout à coup l’armée en mécontent ; puis, chassé de son royaume de Westphalie, après avoir erré longtemps sur les bords du Rhin, réfugié maintenant au château de Compiègne, il n’avait pas encore été trouvé digne d’être admis à l’honneur de la présence impériale[17].

Pour raffermir tant de courages vacillans, pour prévenir tant de défections menaçantes, pour avoir raison de tant de sourdes oppositions, pour garder intacte son autorité tout entière, c’est-à-dire pour rester, comme il entendait toujours l’être, souverain redouté au dehors, maître tout-puissant dans son état et chef absolu parmi les siens, Napoléon avait besoin de frapper quelque coup retentissant. À tout prix, il lui fallait apparaître de nouveau en victorieux sur quelque immense champ de bataille. Comment donc s’étonner si, au moment d’entrer en campagne, tandis qu’avec la netteté du commandement qui lui était habituelle, avec des ressources d’invention nouvelles et prodigieuses, il multipliait les ordres les plus précis et les mieux entendus pour organiser comme par miracle l’armée qui allait combattre sous ses ordres, il laissait son nouveau ministre des affaires étrangères, le duc de Vicence, partir de Paris avec des instructions confuses qui avaient surtout le tort de n’être en aucune façon appropriées au véritable état des choses ? Le choix du duc de Vicence était cependant en lui-même une sorte de satisfaction donnée à l’opinion publique. Gentilhomme d’ancienne race, fils du marquis de Caulaincourt, qui avait été lieutenant-général sous le règne de Louis XVI, aide-de-camp de l’empereur et son grand-écuyer, sincèrement attaché au glorieux chef du nouveau régime, le duc de Vicence, par la dignité de ses mœurs, par la modération et la justesse de son esprit, s’était acquis, dans ce temps d’absolue soumission et d’effacement général, une réputation méritée de capacité, de droiture et d’indépendance. Il venait même de donner une preuve toute récente de son honnête sincérité en insistant à plusieurs reprises avec beaucoup de force, mais d’ailleurs sans succès, pour que l’empereur communiquât franchement au corps législatif, au lieu de pièces rares et tronquées, les véritables correspondances échangées avec les cabinets étrangers. Si quelqu’un avait donc chance de réussir en une aussi grave occurrence, c’était à coup sûr le personnage considérable et si justement estimé que l’empereur venait de choisir ; mais instruit comme il l’était des véritables desseins de son maître, et pressentant avec sagacité les dispositions des cours alliées à l’égard de la France, le duc de Vicence gardait lui-même fort peu d’espoir. Dans ses sombres prévisions, non-seulement il augurait mal de la négociation dont il avait consenti à se charger, mais il discernait déjà clairement où menait la voie fatale dans laquelle la France était engagée. « Nous allons remplir une tâche bien difficile et surtout fort inutile, disait-il tristement, avant de partir de Paris, à M. de Rayneval, désigné pour l’accompagner dans sa mission, car, croyez-moi, quoi que nous fassions, l’ère des Napoléon touche à sa fin, et celle des Bourbons recommence[18]. »


III

En arrivant le 6 janvier 1814 à Lunéville, et plus tard à Châtillon, où les conférences ne s’ouvrirent définitivement que le 4 février, le plénipotentiaire de l’empereur ne trouvait plus, il s’en fallait de beaucoup, les choses dans l’état où M. de Saint-Aignan les avait laissées en quittant l’Allemagne. Au ton évasif des premières lettres de M. de Metternich, mais surtout aux façons pleines de réserve et d’embarras que gardait obstinément avec lui l’envoyé secret du ministre autrichien, M. de Floret, le duc de Vicence eut bientôt l’occasion de sentir et de déplorer plus amèrement que jamais l’énormité de la faute commise par l’empereur lorsqu’il avait négligé d’accepter au plus vite, pour bases de négociation, les offres faites à Francforts Depuis deux mois, les événemens avaient rapidement marché ; de graves changemens politiques et militaires, tous fâcheux pour la France, avaient singulièrement modifié la situation respective des parties belligérantes. Les alliés avaient franchi le Rhin en violant la neutralité suisse. Entrées en France par le pont de Bâle, leurs armées avaient remonté les Vosges presque sans coup férir, et s’étaient avancées, sans rencontrer grande résistance, jusqu’à Chaumont et à Langres. Cette facilité bien inattendue à pénétrer sur notre territoire, en exaltant outre mesure la confiance des états-majors russe et prussien, avait grandi d’autant l’influence de l’empereur Alexandre sur les conseils de la coalition, tandis que la promptitude avec laquelle les Hollandais, soulevés tout à coup, étaient parvenus à secouer la domination française avait ouvert de nouvelles perspectives aux exigences de l’Angleterre. Maintenant que des faits nouveaux et si considérables avaient malheureusement donné raison aux espérances passionnées de nos plus ardens adversaires, il ne fallait plus s’attendre à voir renouveler les propositions de Francfort. Elles avaient été, dans un moment de sage circonspection, mises en avant de bonne foi par les cabinets étrangers, mais elles ne leur semblaient plus en rapport avec les circonstances nouvelles. La France ne les ayant pas acceptées en temps utile, les hommes d’état qui les avaient souscrites soutenaient, en invoquant les usages de la diplomatie, qu’ils étaient en droit de les considérer comme non avenues. Dépassé maintenant par les partisans de la guerre, M. de Metternich n’avait plus assez de crédit, qui sait même ? assez de bonne volonté, pour faire maintenir au profit de la France des conditions à grand’peine arrachées à ses collègues, et qui n’avaient jamais été populaires dans le parlement ni parmi le peuple d’Angleterre.

Par une étrange coïncidence, le ministre des affaires étrangères de sa majesté britannique débarquait en Hollande le jour même où le duc de Vicence quittait Paris. Après avoir rapidement traversé les Pays-Bas et le nord de l’Allemagne, il venait d’arriver à Langres pour conférer avec le bouillant empereur de Russie et son fidèle acolyte le roi de Prusse, avec le sage empereur d’Autriche et son habile conseiller M. de Metternich. Dans cette crise suprême où l’Europe entière se ruait en désespérée contre la France près de succomber, c’était d’un tacite et commun accord au représentant de la puissante nation qui avait toujours marché à la tête de nos ennemis, et qui maintenant les soudoyait tous, qu’allait de plein droit échoir l’action prépondérante jusqu’alors exercée par l’Autriche. Le personnage auquel revenait ce grand rôle n’était pas incapable de le remplir. Irlandais d’origine, entré dans la vie publique avec l’appui du parti libéral, mais bientôt converti au plus ardent torysme, Robert Stewart, vicomte de Castlereagh, était célèbre en Angleterre par l’énergie sauvage avec laquelle il avait réprimé l’insurrection irlandaise de 1798, et fait passer plus tard le bill d’union des deux pays, grâce au plus audacieux mélange d’intimidation et de ruse. Au caractère le plus résolu, lord Castlereagh joignait un esprit très sagace, très avisé et très prudent. Ce qu’on savait de son attitude et de son langage, depuis le jour où il avait pu prendre par lui-même connaissance des affaires du continent, était de nature à le faire considérer comme plus modéré que ses amis du parlement et ses propres collègues du ministère anglais, tous enclins à pousser aux dernières extrémités la lutte contre l’empereur[19]. De prime abord, il se montra en effet animé de passions beaucoup moins violentes que la plupart des ministres étrangers réunis à Langres. Le moment où il y arrivait était celui où les têtes étaient le plus montées dans le sens de la guerre à outrance. Peu de jours auparavant, l’empereur François, causant avec lord Aberdeen, n’avait pas hésité à lui déclarer à plusieurs reprises qu’il ne mettait aucune confiance dans toutes les promesses que pourrait faire son gendre, et que « tant qu’il vivrait, il n’y aurait aucune sûreté pour l’Europe[20]. » Presque en même, temps l’empereur Alexandre venait d’annoncer hautement à sir Charles Stewart, frère de lord Castlereagh, à sa résolution de se porter à tous risques sur Paris… Sans se prononcer quant au successeur de Bonaparte, il ne dissimulait pas que l’objet de sa politique était de se débarrasser de lui et de ne faire avec lui aucun traité[21]. » Lord Castlereagh, à peine arrivé, constatait lui-même avec inquiétude cette ardeur belliqueuse du tsar : « Notre plus grand danger, mandait-il à lord Liverpool, provient maintenant de l’impulsion chevaleresque que l’empereur Alexandre est enclin à donner à la guerre. Il est poussé vers Paris par un sentiment personnel distinct de toute considération politique et militaire… L’idée qu’une négociation rapide pourrait tromper cette espérance le rend encore plus impatient[22]. »

Ainsi éclatait de toutes parts l’envie démesurée de ne pas plus tenir compte de la mémorable négociation de Francfort que si elle n’avait jamais eu lieu. Le duc de Vicence attendait cependant depuis plusieurs semaines aux avant-postes, ne recevant aucun message, et les impatiens du parti russe ne cachaient pas leur espérance de le voir congédier sans réponse. Lord Castlereagh s’éleva avec fermeté et bon sens contre un tel procédé. « Après avoir publiquement offert à Napoléon de négocier, refuser maintenant d’envoyer des plénipotentiaires non-seulement à Manheim, mais à Châtillon, lieu indiqué par les alliés, lui semblait placer l’Europe dans un état d’inconséquence vraiment embarrassant… Bien qu’il regardât comme difficile d’avoir avec Napoléon une paix stable, il fallait essayer de traiter avec lui… En fait de dynastie, l’Angleterre n’avait aucun parti pris… Elle s’appliquerait donc de très bonne foi à conclure la paix, mais si Napoléon refusait ce qu’on lui offrait, il faudrait bien en finir avec lui[23]. »

Ces considérations qui déplaisaient à l’empereur de Russie, mais qu’il n’osa pas toutefois combattre ouvertement, déterminèrent la conduite des cours alliées : elles convinrent de donner à leurs plénipotentiaires des instructions identiques. Malheureusement le choix même de ces plénipotentiaires donnait à craindre que l’esprit de conciliation ne remportât pas dans le prochain congrès. Le duc de Vicence avait espéré traiter avec les chefs des cabinets étrangers ; cette satisfaction lui fut refusée. Lord Castlereagh, qui vint passer quelques jours à Châtillon, ne le vit point. Au lieu de M. de Metternich, avec lequel notre ministre n’avait jamais cessé d’entretenir des relations personnelles amicales, c’était le comte de Stadion, l’instigateur de la guerre de 1809, qui représentait l’Autriche. L’ambassadeur de Russie à Vienne, le prince Rasumosky, connu par la haine qu’il affichait contre Napoléon, remplaçait le sage comte de Nesselrode. La Prusse avait chargé de ses intérêts le baron de Humboldt, animé contre la France de tous les ressentimens de sa patrie allemande. L’Angleterre avait désigné trois plénipotentiaires, sir Charles Stewart, lord Cathcart et lord Aberdeen ; seul parmi eux, lord Aberdeen se recommandait à nous par sa haute raison et son équitable modération.

À la troisième séance du congrès, le 7 février, les plénipotentiaires alliés firent enfin connaître les conditions qu’ils étaient chargés d’offrir : la France devait rentrer sur le continent européen dans les limites qu’elle avait avant la révolution ; sur mer, une partie seulement de ses anciennes colonies lui serait rendue, l’Angleterre ayant déclaré, dès la seconde conférence, qu’elle n’entendait pas laisser mettre en discussion ce qu’elle appelait les questions de droit maritime[24].

Ces conditions étaient dures ; au point de vue de l’équilibre européen, elles étaient même injustes. Au moment où elles voulaient toutes s’étendre bien au-delà de leurs limites d’avant 1799, il n’était pas permis aux puissances étrangères de prétendre nous renfermer, nous seuls, dans notre ancien état de possession. La France avait le droit de se plaindre d’un pareil procédé ; malheureusement le chef par lequel elle était alors représentée n’était pas aussi bien venu à partager son ressentiment, lui qui à Austerlitz, à Iéna, à Friedland, avait dicté aux vieilles monarchies vaincues des conditions bien autrement rigoureuses, levé sur leurs provinces conquises de si lourdes contributions de guerre, et qui, il y avait un an à peine, proposait à l’Autriche de rejeter la Prusse au-delà de l’Oder et de lui ôter jusqu’à Berlin, sa capitale[25]. Ces terribles exigences, dont il avait, hélas ! donné lui-même le funeste exemple, transportaient Napoléon de colère. Il sentit surtout vivement le tort que l’acceptation de pareilles clauses ne pouvait manquer de lui faire dans l’esprit du peuple. «… Les Bourbons pouvaient accepter la France de 1790, ils n’en avaient pas connu d’autre ; mais lui qui avait reçu de la république la France avec le Rhin et les Alpes, que répondrait-il aux républicains du directoire s’ils lui renvoyaient la foudroyante apostrophe qu’il leur avait adressée au 18 brumaire ?… On lui demandait donc l’impossible, car on lui demandait son propre déshonneur[26]. »

Dans la bouche du héros d’un drame imaginaire, semblables paroles sont à coup sûr d’un effet noble et touchant ; mais, quand un homme a pris à son compte les destinées de tout un peuple, il n’est pas libre de les identifier à ce point avec le culte égoïste de sa propre renommée. Pour grands que l’on veuille faire les droits du génie en ce monde, c’est aller trop loin que de lui permettre de sacrifier par milliers la vie de ses semblables afin de rehausser, en désespoir de cause, la gloire personnelle d’une chute inévitable. Que penser surtout de celui qui, après avoir hautement proclamé ces fibres résolutions, ne saurait pas y persister ? En traitant à Châtillon, l’empereur n’avait voulu que gagner du temps et se procurer le bénéfice d’un armistice. Les arrangemens qu’il avait chargé le duc de Vicence d’offrir aux puissances étrangères, de l’avis de M. Thiers, n’étaient pas soutenables. Au moyen d’oiseuses négociations, il avait compté surprendre ses ennemis. Dans l’espoir de remporter sur eux quelques signalés avantages qui lui avaient jusqu’alors fait défaut, il n’avait pas encore envoyé à Paris les bulletins de l’armée. Les combats de Brienne et de La Rothière, quoique brillans pour l’honneur de nos troupes, s’étaient terminés par une retraite ; il lui était impossible de les donner pour des victoires. La campagne avait mal débuté ; le découragement contre lequel luttait son âme énergique avait gagné ses lieutenans ; sur leurs instances réitérées, il se décida enfin à envoyer, le 5 février, carte blanche au duc de Vicence. Les termes de la lettre dictée au duc de Bassano, comme l’observe fort bien M. Thiers, étaient de la part de l’empereur une ruse singulière envers lui-même, envers M. de Caulaincourt, envers l’honneur tel qu’il le comprenait, car dans l’état des choses il ne concédait rien, ou bien il concédait l’abandon des frontières naturelles[27].

Quoi qu’il en soit, la surprise du duc de Vicence fut extrême en recevant cette autorisation inattendue. « J’étais parti les mains liées, écrit-il à l’empereur, et je reçois des pouvoirs illimités. On me retenait, et l’on m’aiguillonne. Cependant on me laisse ignorer les motifs de ce changement… Ignorant la vraie situation des choses, je ne peux juger ce qu’elle exige et ce qu’elle permet, : si elle est telle que je doive consentir à tout aveuglément, sans discussion et sans retard, ou si j’ai pour discuter du moins les points les plus essentiels plusieurs jours devant moi, si je n’en ai qu’un seul, ou si je n’ai pas même un moment[28]… »

Attentif, depuis l’ouverture du congrès, à défendre pied à pied son terrain avec une fermeté digne des plus grands éloges, le duc de Vicence ne voulut pas user tout d’abord des pleins pouvoirs qui lui avaient été si soudainement conférés. Il préféra prudemment s’adresser le 9 février, par lettre particulière, au prince de Metternich, pour s’informer si, au cas où elle consentirait à rentrer, dans ses anciennes limites, la France obtiendrait immédiatement un armistice. Les plénipotentiaires étrangers ne se trompèrent pas un instant sur le sens de cette demande. La nouvelle que l’empereur Napoléon, consentant à tout, voulait décidément faire la paix était arrivée au quartier-général des armées alliées. Les funestes espérances des partisans de la guerre à outrance étaient déjouées. Alors se produisit quelque chose de véritablement étrange. Les ministres des cours coalisées signifièrent par écrit au duc de Vicence « que, l’empereur de Russie ayant jugé à propos de se concerter avec ses alliés sur l’objet des conférences de Châtillon, ces conférences allaient en effet être suspendues, et qu’on préviendrait le plénipotentiaire français du moment où elles pourraient être reprises. » Il était difficile de couvrir un procédé plus déloyal d’un prétexte moins sérieux ; mais il était sans doute écrit que, pendant la durée de cette courte négociation, chaque parti tour à tour trouverait, comme à plaisir, le moyen de mettre tous les torts de son côté.

À peine l’empereur des Français, ramené un instant par sa mauvaise fortune vers des sentimens plus modérés, laissait-il ainsi voir l’intention de rendre à l’Europe la paix dont elle avait si grand besoin, qu’animé d’une ardeur insensée de vengeance, un autre despote, l’empereur de Russie, s’efforçait de prolonger les horreurs de la guerre. L’issue de ces mêmes combats de La Rothière et de Brienne, qui avait fait la sagesse de Napoléon, causait maintenant la folie d’Alexandre. Il ne pouvait prendre sur lui de renoncer à l’envie immodérée de précipiter lui-même son ennemi du trône, et de le voir, d’un commun accord, rayé de la liste des souverains. Les négociations entamées pouvaient entraver un si glorieux dénoûment, il avait résolu de les interrompre à tout prix.

À la reprise des conférences, le 17 février, il se trouva cependant que, trop confiant dans son influence, l’empereur Alexandre avait, en définitive, été obligé de céder aux remontrances de ses alliés. Comme il arrive d’ordinaire quand les plus raisonnables refusent de suivre l’avis du plus impétueux, ceux-ci avaient été de leur côté conduits à lui faire eux-mêmes quelques concessions. Dans la déclaration, concertée entre les alliés, dont le plénipotentiaire autrichien donna lecture au duc de Vicence, l’armistice était accordé pour le cas où l’empereur accepterait immédiatement les limites de 1790 ; mais, dans le projet de traité préliminaire joint à cette déclaration, il était particulièrement stipulé (art. 5) que la France ne pourrait aucunement intervenir, soit dans la distribution entre les alliés des territoires cédés par la France, soit dans les limites et les rapports que ces pays auraient entre eux. Énoncées quelques jours plus tôt, ces propositions auraient peut-être pu conduire à la paix ; à l’heure où elles étaient produites, de graves événemens étaient survenus qui changeaient encore une fois, sinon, hélas ! le fond même des choses, tout au moins les chances de la guerre, et plus certainement encore les dispositions de Napoléon.

Après ses victoires de Champaubert et de Montmirail, l’empereur s’était empressé de retirer ses pleins pouvoirs au duc de Vicence. Après son retour heureux sur la Seine et la déroute des alliés à Nangis et à Montereau, sa confiance s’étant démesurément accrue, il ne voulait plus entendre parler de négociations de paix, encore moins d’armistice. « Ces misérables, écrivait-il à son frère Joseph en parlant de ses ennemis avec plus de colère que de dignité, tombent à genoux au premier échec[29]. » Il était maintenant décidé à ne rien accorder en dehors des bases de Francfort. Il n’aspirait pas seulement à rejeter les étrangers hors de notre territoire, vœu patriotique que formaient tous les bons citoyens : à ce retour inattendu de la fortune, il semblait que le démon de la guerre se fût de nouveau emparé de lui. À peine échappé aux périls imminens d’un affreux désastre, il rêvait des conquêtes. « Croyez-moi, mandait-il à son frère, je suis plus près de Vienne que les Autrichiens ne le sont de Paris[30]. »

Il y avait beaucoup d’exagération et peut-être de jactance calculée dans ces propos de l’empereur. Cependant il était vrai qu’une sorte de consternation et de stupeur paralysait en ce moment les conseils de la coalition. L’arrogante assurance de quelques-uns des généraux alliés s’était soudainement convertie en une panique inconsidérée. « Schwarzenberg voudrait être de retour sur le Rhin, écrivait lord Burghersh à lord Castlereagh… La paix est le cri de tous les officiers de cette armée ; elle est dans un grand état de désorganisation ; le pillage y est arrivé au plus haut degré[31]. » Le découragement n’avait guère été moins grand parmi quelques-uns des ministres étrangers. Les agens anglais, restés plus calmes, sans doute par fermeté d’âme, mais aussi parce que leur pays, courait moins de risques dans ces brusques reviremens de fortune, constataient avec dégoût cette disposition à s’abandonner soi-même qui régnait autour d’eux. « La question politique a été misérablement compromise par les excès opposés dans lesquels on est tombé alternativement, » écrivait lord Castlereagh à lord Aberdeen… « L’ennemi est, à mon sens (mandait de son côté lord Aberdeen à lord Castlereagh) une source de dangers moins redoutable que celle que nous avons parmi nous. Je ne puis trop souvent vous mander l’état réel des esprits de ces faibles hommes par qui l’Europe est gouvernée… Si les hommes dont il s’agit doivent être éprouvés par l’adversité, la dissolution est certaine. » Mais cette démoralisation momentanée ne devait pas durer. En quelques jours, par son énergique attitude et par son active habileté, lord Castlereagh avait resserré les liens, un moment relâchés, de la coalition. Le traité de Chaumont, œuvre personnelle du ministre de l’Angleterre, réunissait de nouveau en un seul faisceau toutes les forces de l’Europe dirigées contre la France. Chaque puissance devait tenir constamment en activité cent cinquante mille hommes. L’Angleterre payait un subside de 5 millions sterling à répartir entre ses alliés. On ne devait faire la paix que d’un commun accord. Ce traité, d’un caractère si décidément hostile à Napoléon, était conclu pour vingt ans ; les articles n’en étaient pas encore signés, que déjà le langage des plénipotentiaires réunis à Châtillon se ressentait de la confiance que leur inspirait la ferme entente établie entre leurs cours. Le 28 février, ils signifiaient au duc de Vicence qu’on lui accordait un délai de dix jours pour recevoir sa réponse, qu’on était prêt à discuter les modifications que la France pourrait proposer, mais qu’on repousserait d’une manière absolue toutes celles qui s’éloigneraient tant soit peu des bases essentielles du projet.

Que Napoléon était loin de connaître sa véritable situation ! ou, s’il la connaissait, qu’il était injuste pour son fidèle ministre des affaires étrangères, lorsque, dans ses lettres de Nangis et de Surville du 17 et du 19 février, au lieu d’instructions précises que réclamait instamment le duc de Vicence, il ne lui envoyait, selon les justes expressions de M. de Viel-Castel, « que des reproches amers et de vagues récriminations mêlées de subtilités et de chicanes ! » « Je suis si ému de l’infâme projet que vous m’envoyez, disait la lettre de Surville, que je me crois déjà déshonoré rien que de m’être mis dans le cas qu’on vous le propose… Je crois que j’aurais mieux aimé perdre Paris que de voir faire de telles propositions au peuple français. Vous parlez toujours des Bourbons… J’aimerais mieux voir les Bourbons en France avec des conditions raisonnables que de subir les infâmes propositions que vous m’envoyez. Je rends grâce au ciel, ajoutait-il dans la même lettre, d’avoir cette note en main, car il n’y aura pas un Français dont elle ne fasse bouillir le sang d’indignation. » Napoléon se trompait étrangement. Ces propositions qu’il avait transmises à Paris, espérant qu’elles y exciteraient une explosion de colère patriotique, furent bien loin de produire cet effet sur le conseil de régence, composé pourtant de ses plus dévoués serviteurs et de ses propres frères. « La paix, la guerre, comme l’empereur voudrait,… tel était leur unique avis ! en laissant voir cependant que, si par hasard l’empereur préférait la paix, c’était bien là ce qu’ils préféraient tous[32]. » Au lieu d’une manifestation nationale dont il avait si grand besoin, on lui renvoyait une tremblante supplication pour la paix. « écrite en deux peurs : peur de lui, peur de l’ennemi[33]. » En supposant aux grands dignitaires de son empire une énergie dont ils étaient loin d’être capables, l’empereur s’était singulièrement mépris ; il ne se trompait pas moins, il se trompait d’une façon légère, à la fois et cruelle, quand il se plaignait du ministre qui à Châtillon défendait en ce moment avec tant de fermeté la cause de l’empire et surtout celle de la France.

Le duc de Vicence, soldat valeureux et plein de cœur, avait fait ses preuves sur maints champs de bataille ; il ne redoutait en aucune façon de recourir aux armes pour soutenir une politique qu’il aurait jugée conforme aux intérêts de son pays. Nul goût du repos, nulle considération de famille, de rang ou de fortune ne paralysait chez lui, comme chez d’autres partisans du régime impérial, l’élan d’un généreux patriotisme. Plus que personne, il souffrait de la dureté des conditions contre lesquelles il n’avait pas un instant cessé de se débattre. Lorsqu’il avait reçu carte blanche de l’empereur à une époque ou ses plus dévoués serviteurs, le maréchal Berthier, le duc de Rovigo et le duc de Bassano, le pressaient si fort pour qu’il consentît à tout, loin de se hâter d’user de ses pouvoirs illimités, le duc de Vicence avait pris soin de n’en pas laisser soupçonner l’étendue aux plénipotentiaires étrangers. Plus réservé qu’on ne le lui avait prescrit, il avait fait preuve en cette affaire d’une prudence dont maintenant surtout l’empereur était tenu de lui savoir gré, et qui rendait d’autant plus choquans les reproches qui lui étaient adressés. Le duc de Vicence, atteint dans son honneur, en fut vivement blessé, et les repoussa avec une calme et mâle dignité. « J’ai besoin d’exprimer particulièrement à votre majesté, écrivait-il de Châtillon le 5 mars, toute ma peine de voir mon dévouement méconnu. Elle est mécontente de moi, elle le témoigne et charge de me le dire. Ma franchise lui déplaisant, elle la taxe de rudesse et de dureté. Elle me reproche de voir partout les Bourbons, dont, peut-être à tort, je ne parle qu’à peine. Votre majesté oublie que c’est elle qui en a parlé la première dans les lettres qu’elle a écrites ou dictées. Dans la situation où sont les esprits, dans l’état de fièvre où est l’Europe, dans l’anxiété et la lassitude où est la France, la prévoyance doit tout embrasser ; elle n’est que de la sagesse… Est-ce ma faute si je suis le seul qui tient ce langage de dévouement à votre majesté, si ceux qui vous entourent et qui pensent comme moi, craignant de lui déplaire et voulant la ménager, n’osent lui répéter ce qu’il est de mon devoir de lui dire ? Quelle gloire, quel avantage peut-il avoir pour moi à prêcher, à signer même cette paix, si toutefois on parvient même à la faire ? Cette paix ou plutôt ces sacrifices ne seront-ils pas pour votre majesté un éternel grief contre son plénipotentiaire ? La partie est trop bien liée pour la rompre. En acceptant le ministère dans les circonstances où je l’ai pris, en me chargeant ensuite de cette négociation, je me suis dévoué pour vous servir, pour sauver mon pays. Je n’ai point eu d’autre but, et celui-là était assez élevé, assez noble, pour me paraître au-dessus de tous les sacrifices… Votre majesté peut dire de moi tout le mal qu’il lui plaira ; au fond de son cœur, elle ne pourra en penser. Elle sera forcée de me rendre toujours la justice de me regarder comme l’un de ses plus fidèles sujets et l’un des meilleurs citoyens de cette France que je ne puis être soupçonné de vouloir avilir, quand je donnerais ma vie pour lui sauver un village[34]… »

Ces paroles émues, pleines d’honneur, de vérité et de bon sens, auraient dû ouvrir les yeux de Napoléon ; mais il se croyait encore en état d’imposer la loi à ses ennemis, il ne voulut rien écouter. En réponse à la déclaration des alliés, il expédia au duc de Vicence un contre-projet définitif de traité qu’il avait en partie rédigé lui-même. Ce contre-projet avait le malheur de se trouver sans rapport aucun avec les circonstances du moment. Comme pour blesser à plaisir les cours alliées, l’empereur s’y donnait encore les titres de roi d’Italie et de médiateur de la confédération suisse. Il voulait bien consentir à renoncer à ce qu’il appelait ses droits sur les provinces illyriennes, il offrait d’abandonner les départemens français d’au-delà des Alpes (l’Ile d’Elbe exceptée) et ceux de l’autre côté du Rhin : il offrait aussi de passer la couronne d’Italie à son héritier, le prince Eugène ; mais il réservait Lucques et Piombino pour la princesse Élisa, la principauté de Neufchâtel et le grand-duché de Berg pour les titulaires actuels, et les Iles-Ioniennes pour le nouveau royaume d’Italie ! En face des résolutions connues et déclarées des puissances coalisées, en présence de la véritable situation des choses, un semblable projet était un défi ou une dérision.

M. de Metternich, il faut lui rendre cette justice, n’avait rien épargné pour faire arriver la vérité jusqu’à Napoléon par l’intermédiaire de l’envoyé français à Châtillon ; jusqu’au dernier instant, il ne cessa jamais d’adresser lettres sur lettres au duc de Vicence pour le tenir au courant des intentions des cours alliées. « Si la paix ne se fait en ce moment, lui mandait-il avec une parfaite bonne foi, nulle autre occasion ne se présentera plus dans laquelle il pourra être permis à un ministre anglais de proposer même une négociation. Le triomphe des partisans de la guerre à extinction contre l’empereur des Français sera assuré. Le monde sera bouleversé, et la France sera la proie des événemens[35]. »

Quand il eut connaissance du contre-projet de Napoléon, M. de Metternich en fut comme atterré. Dans une dernière lettre au duc de Vicence, il le supplia pour ainsi dire de se faire l’intermédiaire de propositions plus admissibles. Donnant même à entendre qu’il ne serait pas tout à fait impossible aux puissances étrangères de se relâcher un peu de leurs premières exigences, il laissa échapper quelques mots sur la Savoie, « dont on n’avait pas encore disposé et qui pourrait être concédée à la France ; mais, ajoutait-il avec une certaine ironie, les questions sont trop fortement posées pour qu’il soit possible de continuer à écrire des romans[36]. »

Le duc de Vicence n’avait pas besoin qu’on lui fit sentir la vanité des combinaisons que ses instructions l’obligeaient de mettre en avant ; mais que pouvait-il faire ? Il avait les mains liées. En vain il s’était efforcé de faire brèche dans cette coalition formidable de six plénipotentiaires étrangers toujours unis comme un seul homme pour repousser ses ouvertures particulières ; en vain il s’était appliqué à relever maintes fois, avec beaucoup d’à-propos, d’habileté et de chaleur, ce qu’avaient d’excessif et de violent les procédés de ses adversaires[37] ; en vain il essaya, en termes nobles et touchans, de faire un dernier appel à l’esprit de conciliation : tout fut inutile, L’impossibilité de concilier les volontés absolues de Napoléon avec les exigences impérieuses des coalisés était manifeste, et la rupture inévitable. Les délais fixés étant tous expirés, les conférences de Châtillon, à la grande joie des ennemis déclarés de Napoléon, furent rompues définitivement le 19 mars 1814.


À considérer, après tant d’années écoulées, les incidens diplomatiques que nous venons de retracer avec la plus scrupuleuse exactitude, on ne peut se défendre d’un sentiment de tristesse. Certes il serait puéril d’imaginer qu’après avoir, dans toutes ses précédentes négociations, bravé à plaisir et constamment humilié tous les cabinets de l’Europe, Il dépendait maintenant de Napoléon de les arrêter au plus fort de leur récent succès, et de faire tout à coup surgir, comme par miracle, des conférences de Châtillon, une ère inattendue de pacification générale et de concorde définitive. Cependant, quoique difficile, si une transaction honorable n’était pas tout à fait impossible, si elle était évidemment conforme aux intérêts des peuples, et surtout de notre pays, si, un instant consentie par désespoir plus que par sagesse, elle a été ensuite repoussée dans un mouvement d’orgueil extravagant, né d’un retour passager de la fortune, c’est le droit de la conscience publique de blâmer sévèrement celui qui n’a pas craint de jouer, ainsi, au gré de ses coupables passions, la vie de plusieurs milliers d’hommes, le repos du monde et sa propre destinée. Pour l’honneur d’une aussi grande renommée, on aimerait du moins à penser qu’après avoir hautement proclamé sa fière résolution, Napoléon l’a jusqu’au bout intrépidement soutenue. Peut-être alors la froide raison serait-elle mal venue à protester, et l’imagination serait-elle fortement saisie par la noblesse d’un si beau rôle. Napoléon parut d’abord vouloir s’en emparer : il affecta de recevoir assez mal son ministre des affaires étrangères quand celui-ci vint le rejoindre après la rupture des conférences : il affecta de parler avec dédain de ce qui s’était passé à Châtillon. « Mieux lui valait périr que de se soumettre, » et de nouveau il répéta « qu’il laisserait aux Bourbons à traiter à de pareilles conditions. » Déjà quelques jours auparavant, refusant d’écouter M. de Saint-Aignan, envoyé de Paris pour le supplier, au nom du conseil de régence et de ses plus dévoués partisans, de vouloir bien conclure la paix la plus prompte, il s’était écrié avec colère, : « La paix,… la paix !… elle viendra toujours trop tôt si elle est honteuse. »

C’étaient là de beaux mouvemens et de magnifiques paroles ; malheureusement ceux-là-se sont abusés qui les ont pris au sérieux, et, pour relever le prestige affaibli du grand vainqueur vaincu à son tour, ont voulu lui faire honneur d’être resté à l’heure des revers constamment inébranlable. Il n’en fut rien. Sur le champ de bataille, jamais l’énergie ne fit, il est vrai, défaut à l’homme de guerre, et si dans le moment même il résistait avec opiniâtreté aux conseils pacifiques de son entourage et de son état-major lassé de le suivre, c’est qu’il voulait en appeler encore à la fortune. Toujours infatigable, toujours confiant dans sa supériorité militaire, il avait mis son espoir dans le succès d’une manœuvre audacieuse sur les derrières mêmes de l’ennemi. Quand la vanité de cette dernière chance de salut lui fut démontrée, quand il s’aperçut que, malgré son essai de diversion, les armées alliées avaient continué de marcher droit sur Paris, quand le péril de sa situation lui apparut enfin manifeste, imminent, inévitable, la force de son âme faillit à l’épreuve. Sans transition comme sans embarras, il résolut aussitôt de tout céder. Deux dépêches datées de Doulevent le 25 mars, et dictées coup sur coup au duc de Vicence, annoncèrent à M. de Metternich que l’empereur acceptait en bloc, purement et simplement, ces mêmes conditions déclarées quarante-huit heures auparavant inadmissibles et honteuses. Arrivées trop tard et comme perdues dans le flot des désastres qui ont précipité la ruine de l’empire, ces lettres n’ont point influé sur le cours des événemens. À peine l’histoire en a-t-elle parlé ; l’authenticité en est toutefois incontestable.

S’il convient de ne pas dissimuler les fautes de l’empereur pendant la durée du congrès de Châtillon, il n’importe pas moins de réprouver la conduite des cours alliées, conduite d’autant plus fâcheuse qu’elles avaient pour elles le succès, et qu’elles prétendaient agir au nom de la justice et du droit. Ajourner brusquement les conférences au moment où l’on supposait M. de Caulaincourt autorisé à consentir les propositions faites à son maître, c’était un acte d’insigne mauvaise foi, et l’on ne saurait trop le flétrir. Cependant il ne faudrait pas imputer à tous les cabinets indifféremment une part de responsabilité égale dans cette manœuvre déloyale ni dans les fâcheuses résolutions qui ont contribué à faire avorter le congrès de Châtillon. Un préjugé assez répandu veut que ce soit l’Angleterre dont nous ayons eu alors le plus à nous plaindre, et qui ait en toute occasion, mis en avant les prétentions les plus excessives. C’est le contraire qui est la vérité. Dans les pourparlers qui précédèrent la signature du traité de Chaumont, sans aucun doute le représentant de l’Angleterre joua le rôle principal ; mais s’il fut le plus influent, lord Castlereagh fut aussi, avec M. de Metternich, le plus modéré des plénipotentiaires étrangers. L’empereur de Russie au contraire ne craignit pas de se montrer intraitable au-delà de toute mesure. Au fond, Alexandre ne voulait d’aucun arrangement avec son ancien allié de Tilsitt, devenu son ennemi personnel. Il était décidé à élever toujours ses exigences en proportion des sacrifices consentis par Napoléon. Telle n’était pas la disposition de lord Castlereagh. Que les ministres anglais voulussent sérieusement traiter avec Napoléon, cela ressort non-seulement de leurs dépêches confidentielles, où maintes fois ils s’indignent des procédés de leurs collègues, qui tardent tant à s’expliquer avec M. de Caulaincourt[38], mais les instructions adressées de Londres au duc de Wellington en font également foi. C’était pour se conformer aux ordres de sa cour que le chef des forces britanniques, alors parvenu jusqu’auprès de Bordeaux, refusait de recevoir le duc d’Angoulême à son état-major, et déclarait, dans ses proclamations aux municipalités royalistes du midi de la France, a qu’il ne pouvait encourager la révolte contre un pouvoir établi avec lequel son gouvernement était actuellement en négociation[39]. »

Il n’est pas non plus exact de représenter la France comme ayant toujours été, pendant toute la durée des séances du congrès de Châtillon, impérieusement sommée de se renfermer dans les strictes limites de ses anciennes frontières de 1790, C’était le langage tenu en commun par les plénipotentiaires et régulièrement consigné au protocole ; mais, en dehors des séances officielles, nous avons déjà montré, par la citation d’une lettre de M. de Metternich, qu’il avait été fait d’autres ouvertures, notamment au sujet de la Savoie. Tout ce qui s’est passé dans les conférences qui ont préparé la signature du traité de Chaumont est encore incomplètement connu du public ; mais les personnes bien informées savent qu’il y eut à ce moment entre lord Castlereagh et l’empereur Alexandre des scènes assez vives, où l’empereur de Russie reprocha aigrement au représentant de la Grande-Bretagne de ne vouloir pas faire à la France des conditions assez dures. Sans doute il n’était plus question à Châtillon d’offrir à la France ce qu’on avait appelé à Francfort ses frontières naturelles, mais, rassurée sur le sort de la Hollande et décidée à ne jamais nous abandonner Anvers, l’Angleterre avait cessé d’être aussi ombrageuse : elle n’était pas éloignée de nous laisser un peu nous étendre du côté de l’est. Nous ne croyons pas nous aventurer beaucoup en affirmant que, dans l’opinion de quelques-uns des rares survivans qui ont pris part à ces mémorables négociations, Napoléon, s’il eût traité de bonne foi, aurait pu, avec l’assentiment du cabinet anglais, obtenir, outre la Savoie, offerte par le plénipotentiaire autrichien, la plus grande partie des provinces rhénanes[40]. Dieu nous garde d’attribuer à la seule sagesse du représentant de l’Angleterre cette modération si mal imitée par le souverain de la Russie ! Elle provenait surtout de la différence des situations. Humilier à tout prix celui qu’il osait nommer un rival, opposer à l’incendie de Moscou l’entrée triomphante à Paris, tel était le but unique d’Alexandre. Il n’avait à rendre compte à personne des risques à courir pour satisfaire sa glorieuse fantaisie. La position de lord Castlereagh et des ministres anglais n’était point la même. Aussi animé contre Napoléon, aussi désireux de sa chute, plus porté peut-être vers l’ancienne dynastie des Bourbons, le cabinet de Saint-James se savait constitutionnellement responsable des suites, quelles qu’elles fussent, de ses déterminations. La nécessité de faire approuver leur conduite par l’opinion de leurs concitoyens servait de frein à ces hommes d’état expérimentés, qui n’ignoraient pas qu’un peu plus, un peu moins de territoire n’était pas pour augmenter beaucoup l’importance d’un pays comme la France ; mais ces provinces ; qu’ils auraient vues sans trop grande inquiétude sous le sceptre d’un prince ami de la paix, il leur répugnait de les remettre aux mains d’un conquérant soupçonné de ne les tant souhaiter qu’afin de s’en servir pour se ruer de nouveau sur ses voisins. Une insignifiante question de frontières n’eût pas suffi à sceller l’accord funeste de nos ennemis ; la méfiance invétérée contre le chef redouté qui régnait despotiquement sur la France les fit tous se ranger, au dernier moment, du côté de l’empereur de Russie. Comment s’en étonner, et comment nous en plaindre ? Ils obéissaient à une loi fatale, ils pratiquaient les constantes maximes de la vieille politique européenne. La nécessité de leur salut les poussait plutôt qu’aucune mesquine jalousie de la France. Semblables inquiétudes ont toujours produit et produiront toujours un même résultat. Elles amènent inévitablement, à un jour donné, l’union forcée de tous les souverains et de tous les peuples contre l’ambitieux qui aspire à une prépotence excessive, que cet ambitieux s’appelle Charles-Quint, Louis XIV ou Napoléon.

Dans la suite de ce travail, nous essaierons en effet de montrer comment, rassurées sur les intentions de notre pays et toujours fidèles à ces mêmes traditions, les cours liguées à Châtillon avec la Russie se liguaient à Vienne avec la France pour résister en commun aux arrogantes prétentions de l’empereur Alexandre.


M. O. D’HAUSSONVILLE.

  1. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVI, p. 68.
  2. « Napoléon, en prononçant ces mots, était pour ainsi dire hors de lui, et on prétend même qu’il se permit envers M. de Metternich des paroles outrageantes, ce que ce dernier a toujours nié. » M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVI, p. 67.)
  3. Histoire de la Restauration, t. Ier, p. 51.
  4. Histoire du Consulat et de l’Empire, XVI, p. 158.
  5. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVI, p. 160-161.
  6. «… Bien que personne, même dans le gouvernement, ne connût le secret des négociations de Prague, bien que Napoléon eût laissé croire à ses ministres et à l’archi-chancelier Cambacérès lui-même que les puissances avaient cherché à l’humilier jusqu’à vouloir lui ôter Venise, ce qui n’était pas vrai, le public était convaincu que si les négociations avaient échoué, c’était sa faute… » M. Thiers, t. XVII, p. 37.
  7. Rapport de M. de Saint-Aignan du 10 novembre 1813. Les passages en italiques sont ceux que l’empereur a fait retrancher du rapport inséré dans le Moniteur supprimé du 20 janvier 1814.
  8. Rapport de M. de Saint-Aignan du 10 novembre 1813 ; passage retranché dans le Moniteur supprimé du 20 janvier.
  9. « Lord Aberdeen est de la famille des Gordon. C’est un homme instruit, qui a beaucoup voyagé, particulièrement on Grèce. Son extérieur est simple, son ton extrêmement modéré. Il parle français avec quelque difficulté, mois trouvant bien cependant les expressions justes. On dit qu’il a une grande influence au parlement, et qu’il entrera au ministère en quittant l’ambassade de Vienne, qu’il n’a demandée, m’a dit le comte de Metternich, que dans l’espoir de faire la paix. Il passe pour avoir beaucoup de sagesse et de mesure dans ses opinions. On pense que s’il y a une négociation, ce sera lui qui en sera chargé. » Rapport de M. de Saint-Aignan, passage retranché dans le Moniteur supprimé du 20 janvier 1814.)
  10. Rapport de M. de Saint-Aignan, passage retranché dans le Moniteur supprimé du 20 janvier.
  11. Rapport de M. de Saint-Aignan, passage retranché dans le Moniteur supprimé du 20 janvier.
  12. Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVII, p. 34-35.
  13. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVII, p. 36.
  14. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVII, p. 97 et suivantes.
  15. Mémoires du comte Miot de Mélito, t. III, p. 325-326.
  16. Mémoires et Correspondance politique du roi Joseph, t. X, p. 2 et suiv. — Mémoires du comte Miot de Mélito, t. III, p. 309 et suivantes.
  17. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XV, p. 95. — Mémoires du comte Miot de Mélito, t. III, p. 308.
  18. M. de Viel-Castel, Histoire de la Restauration, t.1er, p. 127.
  19. Voir les correspondances de lord Clancarty et les lettres de MM. Hamilton et Edward Cok, sous-secrétaire des affaires étrangères. Letters and despatches of lord Castlereagh, 3e série.
  20. Dépêche de lord Aberdeen, janvier 1814.
  21. Dépêche de sir Charles Stewart du 27 janvier 1814.
  22. Dépêche de lord Castlereagh à lord Liverpool du 30 janvier 1814.
  23. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVII, p. 238-239.
  24. Protocoles des conférences de Châtillon. — Dans l’énumération générale et sommaire que font la plupart des historiens, et parmi eux MM. Thiers et de Viel-Castel, des propositions faites à Châtillon par les cours alliées, on voit figurer d’autres conditions plus rigoureuses. Entre leur version et la nôtre, il n’y a cependant, comme on s’en apercevra bientôt, aucune contradiction. Ces conditions plus rigoureuses, pour mieux dire ces commentaires plus rigoureux et véritablement excessifs des conditions d’abord établies, furent successivement mis en avant à mesure que se développaient les événemens de la guerre, et que grandissait au sein du congrès l’influence belliqueuse de l’empereur Alexandre. Pour garder aux faits leur véritable physionomie, nous sommes tenu, dans ce récit circonstancié, qui embrasse les différentes phases des conférences de Châtillon, à ne signaler ces exigences nouvelles des alliés qu’au moment même où elles se produisent. Les protocoles des conférences de Châtillon sont très succincts ; ils apprennent peu de chose. Sir Charles Stewart, l’un des plénipotentiaires anglais, a rédigé en forme de journal les minutes de chacune des séances. On les trouve imprimées à la suite de la correspondance de lord Castlereagh. Quoique l’auteur puisse à bon droit être tenu pour suspect, ces minutes paraissent fort exactes. Qu’il l’ait voulu ou non, c’est, pour la raison, la droiture et la modération, M. le duc de Vicence qui d’ordinaire a de beaucoup le plus beau rôle.
  25. « On rejetterait la Prusse au-delà de l’Oder ; on lui laisserait la vieille Prusse ; on y ajouterait la principale partie du duché de Varsovie, et on ferait une espèce de Pologne moitié allemande, moitié polonaise, ayant pour capitales Kœnigsberg et Varsovie. » Propositions faites par l’empereur Napoléon à l’Autriche, mars 1813. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XV, p. 358.)
  26. M. Thiers, t. XVII, p. 269.
  27. M. Thiers, t. XVII. p. 271.
  28. Lettre du duc de Vicence à l’empereur Napoléon, 6 février 1814.
  29. Lettre de Napoléon à Joseph, Nangis, 18 février. — Mémoires du roi Joseph, t. X. p. 13.
  30. Mémoires du comte Miot de Mélito, t. III, p. 339.
  31. Lord Burghersh à lord Castlereagh, février 1814.
  32. M. Thiers, Histoire du Consulat et de l’Empire, t. XVII, p. 501-502.
  33. Ibidem.
  34. Lettre du duc de Vicence, 5 mars 1814.
  35. Lettre de M. de Metternich au duc de Vicence, Chaumont, 8 mars 1814.
  36. Lettre de M. de Metternich au duc de Vicence du 18 mars.
  37. Les minutes des séances du congrès, rédigées par sir Charles Stewart, démontrent parfaitement que le rôle du plénipotentiaire français ne s’est pas borné à Châtillon à répondre par oui et par non aux propositions faites par ses collègues. La plupart du temps les discussions furent au contraire très vives au sein de la conférence, et M. de Caulaincourt, respecté de tout le monde, fut toujours admis à défendre ses opinions avec une entière liberté.
  38. Voyez la correspondance de lord Castlereagh.
  39. Dépêches du duc de Wellington du 25 février, 3, 4, 7,10, 1, 14, 16, 18, 29 mars 1814. «… Je vous ai déjà dit, monsieur le maire, que les puissances alliées sont en traité pour la paix avec le gouvernement actuel de la France, entre autres les trois puissances dont j’ai l’honneur de commander les armées. Je crois aussi qu’on traite toujours à Châtillon ; je ne peux donc commander à des individus, ni aux autorités du pays, qui passent sous mes ordres par suite des opérations de la guerre, de faire un pas qui va les compromettre personnellement, surtout puisque, si la paix se fait, il faut que je cesse de leur donner des ordres que, dans les circonstances actuelles, il m’est permis de leur donner. » Lettre du duc de Wellington du 18 mars 1814.)
    « Il n’est pas vrai, comme le dit la proclamation de M. le maire de Bordeaux, que les Anglais, les Espagnols et les Portugais se soient réunis dans le midi de la France, comme d’autres peuples au nord, pour remplacer le fléau des nations par un monarque père du peuple. Il n’est pas vrai que ce ne soit que par lui que les Français puissent apaiser le ressentiment d’une nation voisine contre laquelle les a lancés le despotisme le plus perfide. Il n’est pas vrai non plus, dans le sens énoncé dans la proclamation, que les Bourbons aient été conduits par leurs généreux alliés. Je suis sûr que votre altesse royale n’a pas donné son consentement à cette proclamation, parce que c’est contraire à tout ce que j’ai eu bien souvent l’honneur de lui annoncer. » Lettre du duc de Wellington au duc d’Angoulême, Aix, 16 mars 1814.)
  40. Au moment où ces lignes étaient écrites, lord Aberdeen vivait encore. Ancien ministre plénipotentiaire de la Grande-Bretagne aux conférences de Châtillon, il avait conservé un souvenir très vif de ces mémorables négociations, où de bonne heure il avait donné des preuves si notables de son juste et ferme esprit, ainsi que de son penchant naturel pour l’alliance française, qu’il n’a jamais depuis cessé de préférer et de conseiller à son pays. Les personnes qui ont eu l’avantage de s’entretenir avec lord Aberdeen des circonstances diplomatiques qui ont précédé la chute du premier empire ont pu beaucoup apprendre par sa conversation ; pour notre part, nous croyons être assuré que les papiers de cet illustre homme d’état, s’ils sont jamais publiés, ne démentiront pas notre récit.