Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Antoine (rue du Faubourg-Saint-)

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Antoine (rue du Faubourg-Saint-).

Commence aux rues de la Roquette, no 2, et de Charenton, no 1 ; finit à la place du Trône. Le dernier impair est 337 ; le dernier pair, 286. Sa longueur est de 1 810 m. — 8e arrondissement. Les nos impairs sont du quartier du faubourg Saint-Antoine, les pairs du quartier des Quinze-Vingts.

Cette voie publique doit son nom à l’abbaye Saint-Antoine. En 1633 elle portait encore le nom de Chaussée-Saint-Antoine jusqu’à l’abbaye, et de chemin de Vincennes jusqu’à l’endroit où se trouve aujourd’hui la place du Trône. En 1635 on y avait construit 150 maisons. Elle était presqu’achevée en 1637. Une ordonnance royale du 30 avril 1838 a fixé sa moindre largeur à 17 m. Les constructions ci-après sont alignées : de 1 à 35 inclusivement, de 39 à 65 inclusivement, de 181 à 195 inclusivement, 203, 233, 267, 269, 289, 325, 327 ; de 2 à 80 inclusivement, de 86 à 118 inclusivement, de 136 à 152 inclusivement, 162, 164, 204, 206 ; de 212 à 222 inclusivement, 278, 280 et 282.

Les propriétés de 271 à 289, 82, 84, 166, 168, et de 248 à 276, devront, pour exécuter l’alignement, avancer sur la voie publique.

La partie de la rue du Faubourg-Saint-Antoine comprise entre la rue de Picpus et la place du Trône, a été plantée d’arbres en 1841.

Égout depuis la rue de Charonne jusqu’à celle de Reuilly ; conduite d’eau depuis la rue de la Roquette jusqu’à celle de Picpus ; éclairage au gaz depuis la rue de la Roquette jusqu’à celle de Reuilly (compe Parisienne).

Le 2 juillet 1652, le vicomte de Turenne, commandant les troupes royales, livra dans ce faubourg un combat sanglant qui faillit anéantir l’armée des princes. Condé s’était emparé de Charenton, de Neuilly et de Saint-Cloud. Après la retraite du duc de Lorraine, Condé avait rassemblé toutes ses forces dans ce dernier village développant sa position jusqu’à Surènes. Le vicomte de Turenne, renforcé d’un corps de troupes que lui avait amené le maréchal de la Ferté, occupait Chevrette, à une lieue de Saint-Denis. La rivière séparait les deux armées. Toute l’attention de Turenne se portait à placer son adversaire entre l’armée royale et les murs de Paris. Condé comprit tout le péril de sa position, leva son camp et chercha à gagner Charenton, pour se poster sur le terrain près duquel s’opère la jonction de la Seine à la Marne. Turenne, instruit de la marche du prince, avait détaché quelques escadrons pour le harceler dans sa retraite. L’arrière-garde de l’armée de Condé, plusieurs fois chargée et rompue, se rallia avec peine et gagna le faubourg Saint-Antoine.

Le prince, alors convaincu de l’impossibilité de continuer cette retraite, fait replier son avant-garde et son corps de bataille, s’empare de quelques retranchements que les habitants avaient élevés pour se garantir des insultes des troupes lorraines, place son canon et ses soldats à l’entrée des rues du Faubourg-Saint-Antoine, de Charonne et de Charenton, et attend de pied ferme l’armée royale. Turenne arrive jusqu’à l’abbaye Saint-Antoine, fait pointer son canon contre les barricades ; les boulets sillonnent une partie de la rue, écrasent les soldats de Condé. Le prince, foudroyé de tous côtés, conserve son sang-froid, fait percer plusieurs maisons, met son avant-garde à l’abri, et l’artillerie du vicomte est inutile. Un instant de répit succède au carnage. Turenne donne l’ordre d’avancer et de franchir les anciennes barricades ; alors recommence un combat plus furieux et plus sanglant encore, dans lequel ces deux capitaines épuisent à l’envi toute la science de l’attaque et tout l’art de la défense. Aux soldats de Condé une mauvaise barrière improvisée, des pans de muraille, suffisent pour faire tête aux bataillons ennemis. On perce les maisons on s’y bat à travers les brèches faites aux cloisons. Le prince est partout ; son courage le multiplie ; quand ses soldats accablés cèdent le pas, sa voix, son exemple, les rappellent. Il se met à leur tête et d’assiégés ils deviennent assaillants. Malgré ses efforts, Condé voit tomber à ses côtés ses meilleurs officiers. Le vicomte de Turenne s’apprête à porter un coup décisif. Déjà les royalistes défilent à droite et à gauche, par Conflans et Popincourt ; en se rapprochant, ils doivent envelopper le faubourg Saint-Antoine. Cette manœuvre est exécutée, les soldats de Condé vont être écrasés. En ce moment on entend le canon de la Bastille, Mademoiselle fait ouvrir la porte Saint-Antoine aux troupes du Prince. « Il y entra des derniers, dit un acteur de cette terrible scène, comme un dieu Mars, monté sur un cheval tout couvert d’écume. Fier encore de l’action qu’il venait de faire, le grand capitaine portait la tête haute et élevée ; il tenait son épée toute ensanglantée à la main, traversant ainsi les rues de Paris au milieu des acclamations et des louanges qu’on ne pouvait se dispenser de donner à sa brillante valeur. » Des mousquetaires placés sur les remparts arrêtèrent les royalistes qui poursuivaient l’arrière-garde du prince, et le canon de la Bastille tonna contre les troupes de Turenne. Au commencement du combat, le cardinal Mazarin était placé avec le roi sur les hauteurs de Ménilmontant. Les regards du ministre embrassaient les mouvements des deux armées. Vers la fin de l’action, un courrier apporta une dépêche du vicomte de Turenne. Le cardinal en prit lecture. Un dernier coup de canon se fit entendre, puis le ministre, se tournant vers un groupe d’officiers généraux, dit en souriant, de ce sourire qui annonçait une vengeance : « Mademoiselle a eu la prétention d’épouser le roi, ce boulet de canon vient de tuer son mari. » — Une autre scène également déplorable eut lieu au faubourg Saint-Antoine le 27 avril 1789. Un riche fabricant de papiers peints, Réveillon, qui, par son habileté commerciale, fournissait du travail à plus de trois cents ouvriers, fut accusé d’avoir cherché à réduire les salaires à moitié prix. La populace se porta avec fureur à sa maison et la détruisit de fond en comble.

La rue du Faubourg-Saint-Antoine fut longtemps le forum où grondait la colère du peuple.

La maison no 232 appartenait en 1791 au fameux Santerre, qui s’élança d’une brasserie pour diriger les masses qui attaquèrent, au 10 août, le palais des Tuileries.

Santerre, général, se distingua dans la guerre de la Vendée. Son ancienne profession lui valut cette épitaphe grotesque que l’histoire effacera peut-être :

« Ci-git le général Santerre
Qui n’eut de Mars que la bierre. »

Au no 333, à l’angle de la rue des Boulets, on voit une maison d’assez belle apparence, mais dont les fenêtres sont garnies de barreaux de fer.

Une inscription est placée au-dessus de la porte d’entrée ; on y lit ces trois mots : maison de santé. En effet, depuis longtemps cette propriété est affectée au traitement des aliénés.

Il y trente et un ans environ, un général compromis dans un complot républicain avait été enfermé la Force ; sur sa demande, il fut transféré en 1812 dans la maison de santé du faubourg Saint-Antoine.

Là, sans argent, privé de sa liberté, seul il conçut le projet de renverser le gouvernement impérial.

Ce conspirateur, ce général était Malet.

Il s’ouvrit à un certain abbé Lafon.

Malet était républicain et le prêtre royaliste, mais tous deux abhorraient Napoléon.

Voici quel était le plan du général.

Il supposait l’empereur mort le 8 octobre sous les murs de Moscou ; le sénat devait être investi du pouvoir suprême. Ce fut donc par l’organe du sénat qu’il résolut de parler à la nation. Il rédigea pour l’armée une proclamation dans laquelle, tout en déplorant la perte du chef de l’État, il annonçait l’abolition du régime impérial et le rétablissement de la république. Cette proclamation était signée par tous les sénateurs. Un décret nommait le général Malet gouverneur de Paris et commandant de la 1re division militaire. D’autres décrets donnaient des grades de nouveaux commandements à tous ceux que Malet comptait faire servir à l’exécution de ses desseins.

Les bases ainsi fixées, Malet n’attendit plus qu’une circonstance favorable pour agir.

Le dernier bulletin de l’armée, daté du 27 septembre, avait annoncé en même temps que l’entrée des Français à Moscou, le terrible incendie qui avait détruit cet unique refuge de nos soldats.

Ce triste événement avait produit une profonde sensation dans la capitale.

On était au 15 octobre, et depuis trois semaines le gouvernement n’avait publié aucune nouvelle.

Les fonctionnaires ne cachaient point leurs vives appréhensions.

Tout paraissait favoriser l’exécution du plan de Malet. Le soir du 22 octobre ses dispositions sont arrêtées. Vers minuit, à un signal convenu, le jardinier applique une échelle sur le mur de clôture bordant la rue des Boulets.

Malet descend le premier dans la rue, l’abbé Lafon le suit ; et tous deux se dirigent vers la place de la Bastille. Ils arrivent bientôt dans la rue Neuve-Saint-Gilles, chez un prêtre nommé Caamagno, où se trouvent le caporal Rateau et le répétiteur Boutreux, fidèles au rendez-vous que le général leur avait assigné la veille.

Rateau livre à Malet les mots d’ordre et de ralliement. Le général annonce la mort de Napoléon et les conséquences qu’elle doit produire. Il nomme Rateau son aide-de-camp et Boutreux commissaire de police. Après avoir endossé les uniformes qui ont été préparés, tous se rendent à la caserne Popincourt, occupée par la 10me cohorte de la garde nationale. Il était deux heures du matin.

Malet se présente au nom du commandant de Paris. Il est introduit sans difficulté. Soulié, le chef de cette cohorte, était retenu au lit par une fièvre ardente ; Malet lui apprend la mort de l’empereur et lui ordonne de faire prendre les armes à ses soldats. Soulié obéit, et Malet, suivi d’une partie de la 10me cohorte, arrive à la Force et oblige le directeur à délivrer les généraux de brigade Lahorie et Guidal.

Le premier est nommé ministre de la police ; le second est appelé au commandement de la nouvelle garde du sénat ; Boccheampe, autre prisonnier, est désigné pour remplir la fonction de préfet de la Seine. Boutreux doit remplacer le préfet de police Pasquier.

Les rôles ainsi distribués, Lahorie et Guidal, avec un bataillon de la 10me cohorte, marchent sur l’hôtel du ministère de la police, situé quai Malaquais.

De son côté, Boutreux s’empare de la préfecture de police. M. Pasquier est conduit à la Force.

Au ministère de la police même succès. Savary est enfermé avec M. Pasquier. Ainsi l’autorité qui répondait de la tranquillité de Paris était anéantie, et pour obtenir cet important résultat quelques heures avaient suffi et pas une goutte de sang n’avait été versée.

Il fallait ensuite s’emparer de l’autorité militaire. Malet s’était réservé cette opération difficile.

Il se dirige vers la place Vendôme où se trouve l’état-major de la 1re division militaire. Le général Hulin remplaçait alors Junot. Malet, s’adressant au général qui était encore au lit, lui annonce sa destitution et lui demande son épée et le cachet de la 1re division. Hulin, un instant troublé, demande à voir les ordres du gouvernement ; alors Malet lui tire à bout portant un coup de pistolet. Au bruit de la détonation, l’épouse du général Hulin jette des cris affreux. Malet l’enferme avec son mari, et se rend aussitôt chez l’adjudant-général Doucet. Cet officier, qui reposait encore, reçoit l’ordre de mettre aux arrêts l’adjudant Laborde, dont l’activité pouvait être nuisible au complot. Ce dernier résiste, une discussion s’engage, il se retire enfin. Au bas de l’escalier, il aperçoit l’inspecteur-général de police Pasques, auquel on refusait l’entrée de l’état-major. Laborde le fait entrer, lui raconte ce qui se passe et le conduit jusqu’à la chambre de Doucet. À peine l’agent Pasques est-il entré, que Malet se trouble. Cependant il saisit son second pistolet, mais Laborde s’élance sur lui et le fait arrêter ainsi que Rateau. Ils sont conduits sous bonne escorte au ministère de la police. Laborde se dirige immédiatement vers l’Hôtel-de-Ville occupé déjà par Boccheampe, que Malet avait nommé Préfet de la Seine, en remplacement du comte Frochot. Boccheampe est arrêté. On s’empare également de Guidal et de Lahorie. À onze heures du matin les fils de la conspiration étaient rompus. À midi tout rentrait dans l’ordre.

Les prisonniers furent transférés le lendemain à l’Abbaye. Le 28 octobre, les accusés, au nombre de vingt-quatre, comparaissaient devant une commission militaire présidée par le général Dejean, sénateur grand-officier de l’empire et premier inspecteur du génie. Malet est interrogé. À cette question : « Quels étaient vos complices ? » Il répond : « La France entière et vous-même tout le premier, monsieur le comte, si j’avais réussi. » Les autres accusés sont entendus, presque tous n’ont point de défendeurs.

Le 29, à huit heures du matin, la commission se retire pour délibérer. À quatre heures elle rentre en séance, et le président prononce le jugement qui condamne quatorze accusés à la peine de mort ; les dix autres sont acquittés à l’unanimité.

Le même jour, à quatre heures de l’après-midi, de forts détachements de la garnison de Paris sont réunis à la plaine de Grenelle. Au milieu du carré formé par ces troupes, on voit deux pelotons. Le premier est composé de cent vingt hommes, et le second de trente seulement. Ils ont été désignés pour exécuter le jugement.

Les condamnés arrivent ; tous, la tête découverte, marchent d’un pas ferme. Ils s’arrêtent ! on les place sur un seul rang, adossés au mur d’enceinte qui séparé le boulevart extérieur du chemin de ronde de la barrière de l’École-Militaire.

Malet s’avance et demande à commander le feu : « Peloton, attention, » s’écrie-t-il d’une voix pleine et sonore, « portez armes !… apprêtez… armes !… Cela ne vaut rien nous allons recommencer. L’arme au bras, tout le monde. » Plusieurs vétérans sont troublés, quelques armes vacillent. « Attention, cette fois, » reprend Malet : « Portez armes !… apprêtez armes !… À la bonne heure, c’est bien. Joue… feu ! » Cent vingt balles criblent à l’instant ces malheureux. Malet seul est resté debout, il n’est que blessé. « Et moi donc, mes amis, » dit-il aux vétérans, « vous m’avez oublié ; à moi le peloton de réserve ! » Les soldats s’avancent. À cette seconde décharge, Malet tombe la face contre terre ; il respire encore ! on l’achève à bout portant.

Quelques moments après cette horrible exécution, trois charrettes suivaient lentement le chemin qui conduit au cimetière de Clamart !

On a dit que la conspiration Malet ne fut qu’une échauffourée. Napoléon en jugea autrement. Il sentit que le trône impérial avait tremblé sur sa base.