Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Ascétisme

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 155-167).

ASCÉTISME. — Définition. — Diverses sortes d ascétismes. — Ascétisme chrétien. — Raison d’être de l’ascétisme chrétien. — Degrés de l’ascétisme chrétien. — Pratiques de l ascétisme chrétien. — Ecoles d’ascétisme chrétien. L’Imitation de Jésus-Christ ; Les Exercices spirituels de saint Ignace ; L’Introduction à la vie dévote. — Objections contre l’ascétisme chrétien.

Le mot ascétisme vient d’une racine qui exprime l’idée d’exercer ; on la trouve dans le verbe xyy.iw, s’occuper de, s’exercer à, et ses dérivés « jz/iTt ;, exercice, K7/ir, rY, i, celui qui s’exerce. Le verbe KTzèw s’emploie également pour tout genre d’exercice : « îzstv sofiv.v y.y.’i v.^f-f : j (Platon), v.z/.ù-j rà liy.y.w. (Sophocle), à^y-ûj zh-j l-mrixriv (Xénophon) ; il semble pourtant que tout d’abord il s’appliqua surtout aux exercices du corps ; avec le temps il en vint à désigner toutes sortes d’efforts. Très Aite et tout naturellement, à cette idée d’exercice se joignit l’idée d’endurance, de vigueur entretenue, l’athlète qui s’exerce se fortifie, et on trouve cette phrase dans Euripide : yuixû-Ji à.7/.-x-j iTijuia, endurcir par l’exercice son corps contre le froid.

L’ascétisme, c’est donc, au premier sens du mot, l’ensemble des exercices qui entretiennent la vigueur physique, intellectuelle ou morale : l’athlète fait de l’ascétisme pour garder sa force, le stoïcien fait de l’ascétisme pour dominer les impressions sensibles, le néoplatonicien fait de l’ascétisme pour atteindi-e Dieu.

Quand les premiers auteurs chrétiens composèrent leurs ouvrages, ils employèrent les termes dont leurs contemporains se servaient, modifiant légèrement le sens. Tliéodorel comme Platon parlent de r « 7/î/ ; Tizsç Cte ;, mais ces deux mêmes mots ne désignent pas évidemment, chez les deux auteurs, la même vie ascétique, le même genre d’exercices. Saint Paul, dans une célèbre comparaison de sa I" Epître aux Corinthiens marque nettement la différence : « Ne le savez-vous pas ? Dans les courses du stade, tous courent ; mais un seul emporte le prix. Courez de même, afin de le remporter. Quiconque veut lutter, s’abstient de tout : eux poiu-une couronne périssable, nous, pour une impérissable. Pour moi, je coiu’s de même, non comme à l’aventure ; je frappe, non pas comme battant l’air. Mais je traite durement mon corps et je le tiens en servitude, de peur qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois moi-même réprouvé. » (ICor., ix, 24-27.) L’athlète chrétien fait de l’ascétisme pour gagner une couronne immortelle, pour jouir de la félicité du ciel. (Matt., xi, 12.)

Dans toutes les espèces d’ascétismes, il y a donc une partie commune : des exercices ; les divers ascétismes se distinguent par leur but.

Diverses sortes d’ascétismes. — L’Ecriture nous (lit que la vie est un combat (Jol>., vii, 1). Cela est exact, non seulement pour tous les chrétiens, mais pour tous les hommes. Poiu" atteindre un but, quel qu’il soit, nous avons à lutter contre des obstacles ; la lutte devient surtout pénible s’il s’agit de notre perfection morale, but général de tous les ascétismes. Chrétiens ou infidèles, déistes ou athées, tous ont reconnu la nécessité de cette lutte. Il y a dans la nature humaine des forces opposées : on peut ne pas s’entendre, on ne s’entend pas sur la nature, sur les causes de celle opposition ; le fait est indéniable. Il faut toujours en revenir à la pénible constatation de Louis XIV, que saint Paul avait déjà faite en s’en plaignant : Je sens deux honmies en moi. Lequel l’emportera ? Voilà tout l’ascétisme. M. Gabriel Séailles a écrit : « La manie de se persé cuter soi-même est la plus vaine des manies. » (Les affirmations de la conscience moderne, Paris, Colin, 2° édition, p. 82.) Il peut sans doute ne pas être très agréable de se persécuter soi-même, mais cette persécution qui s’appelle de son vi-ai nom mortification, est une nécessité à lacpielle nous ne pouvons nous soustraire : la simple politesse, notre intérêt, notre perfectionnement moral nous y obligent, et quelquefois le besoin de faire un acte de volonté.

Nos contemporains et nous-mêmes avons l’horreur de la douleur physique. Nos ancêtres la considéraient comme un élément indispensable de l’ordre du monde, elle nous effraye, et même parmi les catholiques beaucoup pensent qu’il y aurait quelque extravagance à faire revivre les « disciplines » héroïques d’autrefois. Le moment n’est pas venu de dire si elles sont aussi mortes qu’on le suppose, je voudrais seulement remarquer que, malgré la poussée de notre siècle vers la jouissance, il nous faut à tous, même aujourd’hui, savoir faire effort, et il en est parmi nous qui recherchent encore l’austérité, le combat et la souffrance. Pourquoi ? Parce qu’ils estiment la douleur nécessaire à leur perfectionnement moral. Pour bien comprendre leur ascétisme et tout autre ascétisme, il importe donc, d’abord, de déterminer en quoi consiste le perfectionnement moral de l’homme. La question n’est pas simple. Chaque école philosophique, chaque religion a eu sa doctrine et son idéal, et par là même nous pourrons dire qu’elle a eu son ascétisme.

Pour les Pythagoriciens, les âmes, dans une série de migrations et d’épreuves, s’élèvent graduellement par la vertu ou s’abaissent par le vice ; cette doctrine de la métempsj’chose détermine en partie leur ascétisme : ils s’abstiennent de chair, et même des végétaux dont la forme rappelle le plus à l’imagination les êtres vivants. Leui-morale piu’e et élevée tend à faire dominer l’intelligence sur les appétits et les passions : on connaît les sacrifices et les mortifications qu’ils s’imposaient, et le dur silence des écoles pythagoriciennes.

Les Cyniques se font gloire de mépriser toutes les lois : nature humaine, cité, famille, ils refusent d’admettre n’importe quel joug ; leur ascétisme consistera donc à fouler aux pieds tout respect humain, à mépriser fortune et pauvreté, à braver tous les caprices des hommes, à secouer les préjugés, les usages même les plus légitimes, à froisser toute pudeur, en un mot à choquer les habitudes établies, même dans les choses les plus indiiférentes.

Les Stoïciens ont poiu" grand principe de morale : ’A-Ay/yj xv.’i v.-réyo-j, supporte et abstiens-toi : le bien et la vertu seuls méritent nos efforts, le sage ne dépend ni du monde ni de ses semblables, il ne relève que de lui-même. On voit d’abord les grandeurs et les défauts de leur ascétisme. Ils montrent ou du moins ils doivent montrer une insensibilité absolue pour les biens et les maux ; tout entiers à leur perfection propre, ils ne s’occupent pas des autres, et dédaignent la société ; le dévouement leur manque.

Les Alexandrins s’inspirent des stoïciens et les dépassent par leur élan mystique vers le monde de la pensée pure. « O mon âme, s’écrie Philon, si tu désires hériter des biens divins, abandonne non seulement la terre, le corps, les sens et la maison paternelle, abandonne non seulement la science et la raison, mais fuis-toi toi-même, ravie hors de toi, animée d’une fureur surnaturelle et ne rougissant pas d’avoiu’r quc lu es agitée et possédée de Dieu. Heureuse l’àme ainsi transportée hors d’elle-même, inspirée d’un délire divin, échauffée d’un céleste désir, entraînée par la vérité qui écarte devant elle tous le s obstacles et qui lui fraie la route. Dieu même est

l’héritage qui l’attend… Courage, ô âme, et comme tu as quitté tout le reste, sors aussi de toi. » Quis rerum div inarum hères, éd. Mangey, Londres, 1742, t. I, p. 482.

Il serait trop long de continuer ainsi l’étude même sommaire de tous les ascétismes de l’antiquité ; rien de plus difficile à éclaircir, en particulier, que l’ascétisme du bouddhisme et du brahmanisme, ei, peut-on ajouter, rien de plus terre-à-terre. Le but comme les manifestations varient avec les époques et avec les castes. Les lois de Manu obligent le brahmane à des actes d’une minutie ridicule : Un brahmane ne doit pas enjamber une corde à laquelle un veau est attaché, ni courir pendant qu’il pleut, ni boire dans le creux de sa main, etc. Entrer dans le détail des obligations imposées au prêtre serait fastidieux. A peine trouve-t-il une heure dans sa journée dont l’emploi ne soit pas minutieusement réglé. Il y a plus, ces misérables prescriptions du rituel brahmanique semblent bien ne manifester aucune préoccupation morale.

On peut dire que chez les Perses et les peuples de la Mésopotamie, de la Syrie et de la Phénicie, l’ascétisme est nul, nul encore chez les Romains, où pourtant il faut signaler l’institution des Vestales ; nommons aussi les xv.to-//ji, prêtres et prêtresses du dieu Sérapis en Egypte.

Il n’en est pas de même chez les Juifs. Dans la pensée divine ils étaient les préciu’seurs des chrétiens, et la Loi nouA’elle devait développer l’ancienne Loi. Il convenait donc qu’il y eût chez le peuple juif un ascétisme. Dieu, le législateur suprême, en fixa lui-même les pratiques, comme lui-même en détermina le but. Ces pratiques ordonnent l’abstinence légale de différents aliments : chair de certains animaux et surtout le sang et la graisse (Lev., vil, 27 ; xvii, 10-16 ; Deut., xiv, ii ! -21 ; xv, 28…, etc.), et elles fixent des jeûnes annuels (Lev., xvi, 29-34 ; xxiii, 27-88 ; Num., XXIX, 7-12 ; Zach., vii, 15 ; viii, 19). En même temps qu’il impose ces privations, Dieu en indique nettement le but. « Vous êtes les enfants de Jéliovah, votre Dieu… Tu es un peuple saint à Jéhovali, ton Dieu, et Jéliovah t’a choisi pour lui être un peuple particulier entre tous les peuples qui sont sur la surface de la terre. » (Deut., xiv, 1 et 2.) Ces prescriptions, ces jeûnes, cet ascétisme ont donc pour effet de resserrer les liens qui unissent Dieu à son peuple choisi, Jéhovali à Israël, ils sont le signe d’une bonté et d’une protection paternelle, comme aussi d’une obéissance, d’une vénération et d’une confiance filiale. Ils aideront les Juifs, en leur rappelant les grands souvenirs d’Egypte et du désert, à lutter contre leur esprit d’insubordination, et contre les mauvais exemples qui leur seront donnés par les peuples étrangers, et ainsi à rester fidèles à Jéhovah. Ce sera en outre, un moyen d’obtenir le pardon de leurs offenses.

Mais maintenant encore, dit Jéhovah,

Revenez à moi de tout votre cœur,

Avec des jeûnes, avec des lai-mes et des lamenta Déchirez vos cœurs et non vos vêtements, [tions.

Et revenez à Jéhovah, votre Dieu ;

Car il est miséricordieux et compatissant,

Lent à la colère et riche en bonté.

(Joël, 11, 12 et 13.)

Ces jeûnes, le texte de Joël l’indique, doivent être l’expression de la volonté ou du repentir de l’âme :

Déchirez vos cœurs et non vos vêtements ; pom-obtenir tout leur effet, ils doivent être accompagnés d’œuvres de charité.

Que nous sert déjeuner, si vous ne le voyez pas, D’humilier notre âme, si vous n’y prenez garde ? demandent les Juifs à Jéhovah. Il répond :

Au jour de votre jeûne, vous faites vos affaires * Et vous pressez au travail vos mercenaires. C’est en vous disputant et aous querellant que

[vous jeûnez,

Jusqu’à frapper du poing méchamment ; Vous ne jeûnez pas en ce jour

De manière à faire écouter votre voix en haut, Est-ce là le jeûne auquel je prends plaisir, Un jour où l’homme liumilie son àme ?

(Is., Lviii, 3-5.)

La perfection de l’iiomme, c’est d’unir sa volonté à la volonté divine, tel est bien le but des pratiques ascétiques du judaïsme. On trouve d’ailleurs dans l’histoire du peuple hébreu l’existence de véritables ascètes et même un essai de l’ascétisme en commun. Les Nazaréens sont bien des ascètes(Num., VI, i sqq.) par leur vœu d’abstinence perpétuelle ou temporaire de vin et de toute boisson enivrante. Les écoles des prophètes ne sont pas sans doute des communautés monastiques, et il faut en dire autant des Réchabites dont nous parle Jérémic au chapitre xxxv. Il convenait pourtant de signaler ces deux groupements. Les communautés esséniennes sont plus curieuses. Nous les connaissons par Philon, Josèphe et Pline. Les Esséniens n’ont point l’obligation du célibat, mais cependant ils détestent le mariage et se forment une famille au moyen d’enfants qu’ils adoptent et façonnent à leurs usages ; ni indigence ni richesse parmi eux, chacun met tout son avoir à la disposition de tous ; ils se gardent de toute délicatesse dans le vivre et le vêtement, détestent les parfums ; modestes dans leurs regards et leur démarche, ils s’interdisent les plaisirs que d’autres trouvent légitimes. Renoncement et dévouement : tel semble avoir été leur idéal. Il est regrettable que de graves erreurs doctrinales se soient mêlées à des pratiques aussi recommandables.

L’ascétisme chrétien-, comme tout ascétisme, se compose de moyens, d’exercices destinés à atteindre un but. Tâchons d’abord de déterminer le but ; les moyens ont varié.

Ascétisme chrétien. — Dieu n’a pu créer que pour Lui-même ; toute créature est donc pour Dieu, l’homme est donc pour Dieu. « Fecisti nos ad te et irrequietum est cor nostrum donec requiescat in te. » S. Aug., Conf., i, 1. Nous devons aller à Dieu, parce qu’il est notre Créateur, nous devons aller à lui encore pour répondre à un besoin de notre être. Dieu est notre bien suprême, rien si ce n’est lui ne peut suffire à notre bonheur. « Satis ostendis, écrit encore saint Augustin, quam magnam feceris creaturam rationalem. Cui nullo modo sufficit ad beatam requiem, quiquid te minus est. « Conf., xiii, 8. Dieu est notre principe, Dieu est notre fin ; partis de lui, nous retournons à lui. Voilà bien l’essence et la moelle de la doctrine chrétienne, comme aussi, dans sa forme la plus large, la notion de notre perfection ; dès lors le l)ut de l’ascétisme chrétien est de nous conduire à Dieu, notre fin, notre idéal.

Mais comment aller vers Dieu, comment l’atteindre ? Dieu est esprit, c’est par notre esprit que nous l’atteindrons. Saint Thomas représente l’intelligence et la volonté comme les deux bras de notre àme qui servent à saisir la vérité et la bonté, et à nous les unir. Or, la vérité par essence, la bonté par essence, c’est Dieu. Pendant cette vie, nous ne pouvons le saisir qu’imparfaitement, à travers la création, image

qui le révèle, mais aussi voile qui le cache. La lumière de la foi et le don de sagesse nous aident sans doute à le mieux voir et à le mieux atteindre ; mais parce qu’ils ne changent pas noire mode de connaissance, il en résulte nécessairement que, même avec leur secours, nous ne pouvons nous unir à Dieu, pendant cette vie, qu’imparfaitement. Au ciel seulement la pleine lumière, au ciel seulement la pleine union. La foi, qui nous l’apprend, n<His apprend encore que, déjà sur la terre, nous pouvons, par des actes surnaturels de l’intelligence et de la volonté atteindre Dieu, comme principe et lin surnaturels, nous joindre à ce bien souverain, en vivre, grandir en lui, et nous préparer à la rencontre face à face et aux joies divines de la vision intuitive. Cf. Ant. Le Gaudier, S. J., De perfectiune vitae spiritualis, p. i, sect. i, cap. 4 L’ascétisme doit aider ces actes surnaturels de l’intelligence et de la volonté. Ils ont pour principe en nous la grâce. C’est elle qui nous permet dès maintenant, de vivre de la Aie divine et de nous unir à Dieu très intimement. Dieu en effet est la vie de notre àme, non seulement parce qu’il lui a donné les dons qui lui permettent de vivre et d’agir surnaturellement, mais encore parce que l’àme, par ces dons, atteint Dieu lui-même. Elle s’en nourrit comme de l’aliment qui lui est propre, qui la fait croître et se perfectionner. Cette divine nourriture la rend de jour en jour plus semblable à Dieu, la divinise.

Notre perfection de chrétiens, c’est donc, dès icibas, de nous unir à Dieu par la grâce le plus étroitement possible, et l’ascétisme n’a pas d’autre but que de nous y aider.

Par quels actes particuliers s’opère cette union et quelle espèce de secours doit nous donner l’ascétisme ? Dieu est le plus simple des êtres, il semble dès lors qu’il n’y ait qu’un moyen de s’unir à lui. Il est vrai de dire cependant que tous les actes extérieui’s par lesquels, dans sa divine bonté, il se donne aux créatures sont pour nous des moyens de l’atteindre. Ses bienfaits et dans l’ordre de la nature, et dans l’ordre de la grâce, et dans l’ordre de la gloire, sont comme des liens qui peuvent nous unir à lui.

— Dieu est notre Créateur. A chaque instant il emploie sa puissance à nous conserver ses dons ; dès lors notre volonté doit estimer et chérir sa bonté, reconnaître qu’elle lui doit tout, et, par l’aveu de cette dépendance, augmenter en elle, d’une certaine façon, la vie de ce Dieu qui lui a tout donné. — Dieu est notre liii, notre souverain bien ; par l’espérance notre volonté, se détachant des biens de ce monde, s’efforce de s’unir à Lui. C’est sa béatitude du temps, avant d’être sa béatitude de l’éternité. — Dieu est la beauté iniinie, donc infiniment aimable, et nous devons donc l’aimer d’un amour de charité. Quand il n’aurait pas d’autre titre à notre tendresse, sa diine amabilité serait une raison sulfisante de lui rendi-e nos hommages, de lui vouloir tout le bien possible, un bien infini, de lui donner, si nous le pouvions, et s’il ne les avait déjà par lui-même, et la Toute-Puissance, et la Toute-Beauté, et la Toute-Grandeur, et la Toute-Bonté et toutes ses perfections inlinies.

De tous ces sentiments, de toutes ces vertus en est-il une qui opère seule ou du moins qui achève notre union avec Dieu commencée par les autres ?

— Cette vertu, si elle existe, ne sera pas la foi. Acte de rintelligence, la foi, pendant cette vie, ne peut s’unir directement à son objet, elle n’atteint Dieu qu’à travers les oljscurités de la révélation, dans des images et sous des symboles. — La volonté réussirat-elle mieux que rintelligeuce, et ses vertus auront-elles plus de p.iissance ? Aux obscures clartés de la foi, que l’on peut comparer à une lampe qui brille dans un lieu somln-e (II Petr., i, 19), la volonté

aperçoit suffisamment le souverain Bien auquel elle doit s’unir. Elle ne peut sans doute le vouloir, tendre vers lui et l’aimer qu’autant qu’il est connu ; il reste vrai pourtant que cette connaissance n’est pas le motif mais seulement la condition de son amour. Le A-rai motif qui porte la Aolonté à s’unir à Dieu, à le désirer, à l’aimer, c’est sa perfection infinie, c’est sa bonté infinie. Sans doute encore cette perfection, cette bonté infinie doivent être manifestées par l’intelligence, et cette manifestation est imparfaite. Mais l’intelligence, en raisonnant sur son concept, comprend suffisamment qu’elle ne peut saisir la perfection de Dieu ; elle sait d’ailleurs qu’il est digne d’un amour infini et, dès lors, elle dégage assez son acte de son imperfection nécessaire, pour que la Aolonté, d’un plein élan, de toute elle-même, se porte non pas sur l’objet limité qu’elle lui propose, mais sur cet objet infini tel qu’il existe. Saint Thomas répète sou-A-ent que la Aolonté par l’amour se porte A-ers l’objet tel qu’il est en lui-même, l’intelligence, au contraire, ne l’atteint qu’autant qu’il est en elle-même (Sui » . I » 2° q. 2’j, a. 2. — Cf. De perfectione vitae spiritualis, pars. I, sect. i, cap. 6). D’où, l’on peut conclure que les actes de la A-olonté sont, dans cette Aie, plus parfaits que ceux de l’intelligence, et que notre perfection consiste dans une A’crtu de la Aolonté.

Est-ce l’espérance ? Par elle nous tendons vers Dieu, notre fin dernière, notre souvcrain bien ; nous y tendons cependant, non pas parce qu’il est le souverain bien, mais parce qu’il est ?wtre souvcrain bien. Il serait plus parfait éA’idemment de chercher à nous unir à Dieu pour lui-même : il peut donc y aA’oirune Aertu de la volonté qui, mieux que l’espérance, nous fasse atteindre notre fin.

Est-ce la religion ? Elle nous unit à Dieu, elle atteint la majesté divine et son excellence infinie ; elle ne le fait pas cependant d’une manière parfaite. Il peut arriA’er en effet que notre culte religieux procède, non pas de notre bienvcillance euA-ers Dieu, mais de la crainte ou de la nécessité ; il ne saurait donc seul nous unir parfaitement à notre fin dernière// La Aertu de religion n’atteint pas d’ailleurs Dieu directement, elle a pour objet premier le culte qui lui est dii. La justice, l’obéissance, la pauA’reté, la chasteté et toutes les Aertus morales, sont de même un chemin vers la perfection, elles n’en sont pas le terme ; elles ne nous unissent pas immédiatement à Dieu, notre souA-era-in et unique bien.

Reste la charité. Par elle, chaque jour notre àme acquiert une connaissance plus intime de la bonté divine, par elle se perfectionne notre ressemblance avec Dieu, par elle l’àme, ornée de la grâce surnaturelle, non seulement se sent unie aux perfections divines par les actes des différentes A^ertus, mais encore, d’une certaine façon, attire ces A-ertus en elle, pour en vivre et s’en diviniser. C’est elle qui établit entre Dieu et nous cette union si intime par laquelle nous dcvenons aA^ec lui un même esprit. Par la charité l’àme se plonge en Dieu tout entière, et Dieu tout entier se donne à l’àme, ils s’unissent tous deux d’une admirable et incompréhensible union. Pour l’àme cette union consiste dans la tradition entière au Dieu qu’elle aime, de son intelligence, de sa A-olonté, de ses opérations, de tout son être. Et voici le résultat : dans son intelligence, dans sa volonté, dans toute sa vie, c’est l’infinie bonté de Dieu qui va se manifester, non seulement remplir ses puissances, mais tellement y grandir, tellement les absorber que l’àme Ijaraisse vivre non plus elle-même, non plus ijour elle-même, non plus en elle-même, mais en Dieu seul et pour Dieu seul. Il n’est que l’amour pour posséder une pareille puissance de transformation. Saint Augustin, parlant de l’amour des chrétiens pour Vie299

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lorinus, au moment de sa conversion, écrit : Volehant eum omnes intro rapere in cor suiim ; et rapiebant amando et gaudendo. Hae rapientium manits erant (Conf., VIII, 2). Si tout amour a cette force, quelle vertu transformante n’aura donc pas cet amour, le plus vrai et le plus pur des amours, qui, très ardemment et très suavement, nous unit à Dieu comme au meilleur des pères.

Dieu d’ailleurs, en même temps que nous tâchons de le saisir, s’unit lui-même à notre âme. Par son Esprit saint il verse dans nos cœurs sa divine charité et les trésors de sa grâce. Cette grâce répandue en nous n’est pas autre chose que la ressemblance parfaite de Dieu, don qui surpasse tous les dons, qui contient d’une manière admirable Dieu lui-même, qui l’unit à l’àme humaine, imprègne cette âme de la divine beauté et la rend participante de la nature divine. De toute éternité le Père engendre le Fils, d’une nature semblable à la sienne, digne par conséquent de son amour infini ; Dieu ne communique pas sans doute à l’homme, par voie de génération, sa nature divine, mais il lui donne sa grâce ; sa grâce qui tend à le diviniser, qui en fait un fils bien-aimé, digne d’un amour très grand et capable de s’unir à son Père par une véritable amitié. La grâce nous rend aimal>les à Dieu ; grandit-elle, son amour pour nous grandit.

Elle ne se contente pas de créer en nous une ressemblance divine, elle nous excite, elle nous aide à produire des actes qui augmentent cette auguste similitude. Peu à peu l’àme, en s’unissant à Dieu plus intimement, se nourrit et se fortifie de sa vie divine et de ses perfections divines comme d’un céleste aliment ; peu à peu elle se vide de tout bien, de tout amoiu" créé, et, pour ainsi parler, de sa propre vie, elle se laisse remplir de Dieu seul, elle est comme transformée en lui, et peut en toute vérité s’écrier avec l’Apôtre : Vivo, jam non ego, vivit vero in me Christus (Galat., ii, 20).

C’est donc la charité qui seule, nous unissant véritablement à Dieu, nous aide à atteindre notre perfection, et dès lors l’ascétisme ne devra pas avoir d’autre but que de la faire naître et grandir en nous. Dans un traité complet, il faudrait étudier les différents actes de cette charité et ses rapports a^ec les autres vertus, qu’elle renferme et vivifie ; ce que nous venons de dire suflit à bien déterminer la nature de l’ascétisme chrétien, méconnue par tant de nos contemporains. On peut le définir : l’ensemble des moyens qui nous aident à nous unir à Dieu dans et par la charité.

Raison d’être de l’ascétisme chrétien. — i. — Il suffit pour en voir l’utilité et la nécessité d’étudier un .nstant la nature humaine. Un fait s’impose, que nous avons déjà signalé : la guerre existe entre le corps et l’àme (Galat., v, 17), entre les appétits et la raison et il nous faut lutter pour rétablir l’ordre. Chrétiens, nous disons que cette lutte défensive et offensive contre ce que saint Jean appelle la triple concupiscence — concupiscentia carnis, concupiscentia oculorum et superbia’itae, I Joan., ii, 16 — est la conséquence du péché originel (Sum. tlieol., 2^2", q. 85). Par suite du péché d’Adam, la volonté n’est plus maîtresse des sens, elle n’est plus maîtresse des facultés sensibles de l’àme. Dès lors, comme c’est par la volonté et par la raison que nous devons nous unir à Dieu dans la charité, il faudra lutter pour permettre à ces deux bras de l’àme de se débarrasser des liens qui les enlacent, et de saisir Dieu qu’ils doivent étreindre : l’ascétisme devra combattre tout ce qui, en nous et hors de nous, serait un obstacle à cette étreinte, à notre perfection.

2. — Il peut arriver et il arrive souvent que la déchéance de notre nature, la révolte originelle de la concupiscence, s’augmente par nos fautes et les habitudes vicieuses qui sont la conséquence de leurs répétitions. La lutte en devient plus nécessaire et plus dure.

3. — Notre-Scigneur ne nous a pas d’ailleurs caché la nécessité de l’abnégation, du renoncement et delà mortification : Si quis vult venire post me, abneget semetipsum, et tollat crucem suam et sequatur me. Qui enim voluerit animam suam salvam f’acere, perdet eam ; qui autem perdiderit animam suam propter me, invenieteam (Matth., xvi, 26, 25). Ces paroles empruntent à la circonstance où elles furent prononcées une gravité exceptionnelle. Jésus-Christ venait de parler à ses disciples de sa passion ; il semble donc qu’il ait voulu leur laisser entendre que, de même que sa mort était nécessaire au salut du monde, ainsi la mortification était nécessaire au salut de chaque homme ; par elle seule, il peut mourir à lui-même et Aivre pour Dieu. La similitude évidemment n’est pas rigoureuse, et il ne faut pas presser la comparaison, elle serait fausse ; il semblait bon toutefois de rappeler l’occasion oii furent prononcées les paroles de Notre-Seigneur. Saint Paul est tout aussi pressant : Qui autem sunt Christi, carnem suam crucifixerunt cumvitiis etconcupiscentiis(Ga.at., v, 24), etdansl’épître aux Colossiens (ni, 5) : Mortifîcateergomembra vestra quae sunt super terram.

4. — L’ascétisme est nécessaire à notre perfection individuelle, il est nécessaire aux autres hommes, à l’Eglise universelle, au genre humain tout entier, et il a dès lors un rôle social. Ce n’est pas ici le lieu de démontrer la valeur satisfactoire, et pour nous-mêmes et pour les autres, du renoncement et de la mortification, ni d’établir, contre la théologie protestante, la doctrine de l’Eglise catholique. Notre-Seigneur, en clouant avec lui, sur la croix, l’acte de notre damnation, l’a détruit entièrement, et, par son sang, apaisant la colère divine, il nous a réconciliés avec Dieu. Nous aussi selon l’exemple et la doctrine de saint Paul (Col. 1, 24). achevant ce qui manque aux souffrances du Christ dans notre propre chair, nous mortifions nos membres pour apaiser la colère divine et détourner la vengeance du Tout-Puissant. Tel est surtout le but des ordres contemplatifs, si glorieux et si méconnus de nos jours ; par leurs prières et leurs mortifications ils sauvent les âmes et réconcilient la terre avec le ciel. Les apôtres qui travaillent à la conversion des pécheurs savent bien aussi que la souffrance et le sacrifice donnent seuls à leurs traaux une surnaturelle fécondité. In cruce salus, la croix sauve toujours le monde.

5. — Il est une autre raison d’être de l’ascétisme chrétien, trop belle pour ne pas en parler. Tota vita Christi fuit crux et martyrium : et tu tibi quaeris requiem et gaudium {De /mit., 1. II, c. 12,’]). Jésus-Christ a souffert par amour pour moi, je veux souffrir par amour pour lui ; j’aime mon Dieu et je veux être traité comme lui ; il a porté sa croix, je veux porter la mienne. C’est ici une affaire de cœur, et non plus de raison ; mais il n’est pourtant pas besoin d’être chrétien poiir la comprendre. « J’aime la pauvreté parce que Jésus-Christ l’a aimée… y> « Voilà de ces accents, écrit Sante-Beuve, — et ils sont de Pascal, — qu’il faut opposer pour toute réponse à ceux qui demandent au sortir de Montaigne, à quoi bon l’assiette de terre et la cuiller de bois. » {Histoire de Port-Royal, t. II, p. 504, édit. de 1860.)

En répondant aux objections contre l’ascétisme, nous rendrons mieux compte encore de sa raison d’être et de sa nécessité. 30 i

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Degrés de l’ascétisme chrétien. — Saint Thomas et les auteurs ascétiques distinguent trois degrés dans la charité, et dès lors il doit y avoir trois degrés dans l’ascétisme : le degré de ceux qui commencent, le degré de ceux qui sont plus avancés, le degré des parfaits.

Dès qu’il est en état de grâce, l’homme entre dans le premier degré. Il bouillonne encore de passions, il se sent entraîné vers ses fautes anciennes : la charité brûle son âme, il voudrait être tout à Dieu, mais ses habitudes mauvaises, ses passions indomptées exposent cette charité à mille périls et ne peuvent lui donner la sécurité de la paix. Il faut donc dompter les rébellions du corps, fuir les occasions des fautes, arracher la racine de tous les vices et pour cela lutter Aigoureusement. Quand la victoire sera devenue facile, quand le péril de pécher mortellement sera presque éloigné tout à fait, quand l’ascète n’aura presque iilus, pour ainsi dire, aucun besoin de combattre pour conserver la charité, il entrera dans le second degré.

Il s’agit alors pour lui de donner à la charité un plus grand éclat, ainsi qu’aux autres vertus qui l’accompagnent. La lutte existe toujours, il faut chasser de l’àme par une énergie et un labeur constants les passions mauvaises, les inclinations vicieuses, fuir les péchés véniels, se détacher des biens temporels et de l’impressionnabilité qui troul)lent la paix. L’ascète y i^arviendra par l’exercice des vertus morales, qu’il devra s’efforcer d’acquérir au prix des plus grands efforts. Il devra aussi travailler à connaître tout ce qui regarde la pratique de la charité, et c’est une longue étude, elle ne peut se faire sans de multiples soucis et de continuelles distractions do l’âme : soucis et distractions qui s’accordent mal avec la paix et le calme du troisième degré. Il faudra donc à celui qui combat dans ce second degré de longues luttes pour parvenir à l’état de calme qui lui permettra de s’unir â Dieu et de travailler pour lui, sans trouble et dans la paix.

L’ascète entre alors dans le troisième degré : les passions sont vaincues, l’âme, détachée de la terre, vide des désirs du monde, possède tout ce qui lui est nécessaire pour atteindre pleinement sa lin ; tout à Dieu, tout à son amour, elle se plonge en lui par une contemplation presque continuelle, ou bien elle se dépense et souffre pour sa gloire. C’est là le véritable état de perfection, et les deux autres degrés ne i)euvent être appelés degrés de perfection que parce (ju’ils sont le chemin qui conduit à ce troisième (Siim. tlieal., 2^ 2^% q. 184. a. 5, ad i.)

Ces trois degrés de perfection s( » nt encore appelés voie purgative, voie illuminative, voie unitive. Ce n’est pas seulement la nature des choses qui nous les fait connaître, saint Paul les indique nettement (E[)hes., 111, 14-nj) ; Denys fait reposer toute sa doctrine sur cette triple forme de la vie spirituelle ; saint Grégoire de Nysse (fn Cantic, homil. i) rattache la voie purgative aux Proverbes, la voie illuminative à l’Ecclésiaste, la voie unitive au Cantique des Cantiques ; saint Grégoire le Grand admet cette même distinction {Moral., 1. 2/4, c. 11), et depuis saint Tliomas (Sitm. t/ipol., 2 » 2^’, cj. 2/ », a. g) elle est commune à tous les théologiens et à tous les auteurs ascétiques.

Il est bien évident que ces trois degrés de perfection, que ces trois vies ne sont pas entièrement isolées les unes des autres et connue séparées par des cloisons ctanclies. Ceux (jui commencent peuvent avoir leurs UKuncnts de paix relative, et de victoire facile ; pour ceux qui sont dans le second degré, il est des retours de passion brusc[ues et si impétueux qu’ils nécessitent toutes les énergies de la vertu ; on

pourrait croire que toutes les luttes anciennes sont à recommencer ; même pour les âmes plus intimement, unies à Dieu, la vertu n’offre pas toujours la même facilité, il faut combattre et parfois bien durement. L’ascète ne devra jamais l’oublier, et, à certaines heures, il lui faudra reprendre les armes qu’il avait crues inutiles à jamais, et recommencer les luttes d’autrefois.

Pratiques de l’ascétisme chrétien. — Il serait très curieux et très intéressant de traiter cette question historiquement, d’étudier dans leur germe, c’est-à-dire dans le Nouveau Testament, les diverses praticjues de l’ascétisme chrétien. Les conseils de Xotre-Seigneur à tous les chrétiens : vigilance à exercer, Matt., XXIV, 49 ; XXV, 13 ; xxvi, 40 ; Marc., xui, 33 ; XIV, 38 ; renoncement, Matt., x, 3^ sqq. ; xvi, 2^, 26 ; Marc, viii, 34 ; Luc, xiv, 26, 2’j ; Joan, xii, 26 ; jeûne, Matt., ix, 14, 10 ; xvii, 21 ; Marc, ix, 28 : à ceux cjui veulent le suivre de plus près : renoncement aux biens de la terre. Malt., xx, 21, 27 ; Marc, x, 28, 30 ; Luc, IX, 59, 62 ; XIV, 33 ; virginité perpétuelle, Matt., XIX, 12 ; — les recommandations de saint Paul qui rappellent et précisent celles du divin Maître, I Cor., XVI, 13 ; Rom., vii, 23, 25 ; xiii, 14 ; I Tim., iv, 7, 8 ; I Cor., vii, 27-40, nous donnent les éléments essentiels de cette pratique de l’ascétisme. Les Pères de l’Eglise, et les premiers auteurs chrétiens, saint Justin (Apol., 1, c. 15, P. G., t. VI, col. 350 ; Clément d’Alexandrie, Strom., 1. III, c. i, P. G., t. VIII, col. 1198. Origène, In Jeremiaiii, hom., xix, n. 7, P. G., t. XIII, col. 518 ; TertuUien, Apol., c. 9, P. L., t. I, col. 379 ; saint Cyprien, De habita i, -irginam, n.d, sqq., P. L., t. IV, col. 44^) nous montrent leur développement pendant les premiers siècles ; au IV’^ les moines viennent leur donner un élan magnifique que rien n’arrêtera plus (Dom Besse, Uoù viennent les moines, c. iv et v).

Mais cette exposition historique demanderait tout un ouvrage, il vaut mieux grouper d’une autre façon les diverses pratiques de renoncement et de mortification de nos ascètes chrétiens. Leur but est de s’unir à Dieu par l’intelligence et la volonté, dans la charité ; leur devoir est donc d’éloigner tous les obstacles à cette union qu’ils viennent du dehors ou d’eux-mêmes, de leur corps ou des facultés sensibles de l’âme.

Si le monde, les relations extérieures, la vie sociale nous absorbent trop, et, nous attirant tout entiers, nous éloignent de Dieu, la solitude et le silence aideront à nous en séparer. Nos devoirs, devoirs de situation ou d’apostolat, nous empêchent sans doute de rompre entièrement avec les autres hommes et même nous font une obligation de traiter avec eux, une sage mortification nous permettra toutefois de ne pas perdre de vue notre fin et notre perfection au milieu de ces nécessités journalières de notre vie, et même d’y trouver un moyen de nous en rapprocher, de nous y unir.

Si notre corps nous éloigne de Dieu, il faut savoir nous éloigner de lui et le mater. Cette mortification du corps, que nous aurons à justifier plus loin, n’est pas seulement en usage dans l’ascétisme chrétien ou même dans l’ascétisme religieux, quelle que soit la croyance de l’ascète : des agnostiques l’ont pratiquée :’( Souvent étant bien au chaud dans mon lit, écrit l’un d’eux, je me sentais lionteux de tenir tellement à cette jouissance ; et cha([ue fois que cette pensée me prenait, il me fallait me lever, fût-ce au milieu de la nuit, et m’exposer une minute au froid, afin de me prouver à moi-même que j’étais un homme. » (William Jami-s, L’expérience religieuse, p. 254.) Celte lutte contre le corps, obstacle à notre union 303

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avec Dieu, se pratique surtout par la pauvreté, la chasteté et les austérités de la pénitence. Telle austérité, telle pratique de pauvreté ou de continence importe peu en elle-même ; bien plus, il peut s’en trouver de blâmables. Personne n est tenu de se traiter comme se traitait le bienheureux Henri Suso. « Frère Henri était dans la fleur de sa jeunesse d’une nature vive, ardente et fortement portée aux plaisirs ; il ressentait sans cesse les attaques et les combats de la chair, et pour la soumettre à l’esprit il inventa des pénitences si rigoureuses, si impossibles à imiter, qu’elles feront frémir le lecteur. D’aljord il se revêtit d’un cilice et se ceignit d une chaîne de fer qui lui déchirait le corps. Il la garda jusqu’à ce que la quantité de sang qu’il perdait l’obligeât à la quitter ; mais pour la remplacer il se fit une espèce d’habit tissu de cordes dans lesquelles étaient cent cinquante pointes de fer si aiguës et si terribles, qu’ai)pliquées sur la chair elles la perçaient et faisaient autant de douloureuses blessures. Ce vêtement avec lequel il dormait la nuit, lui couvrait et lui serrait les côtés et une partie des reins et du corps… Pour se priver de tous les adoucissements qu’il aurait pu se donner en touchant aux endroits malades, il se lit une espèce de collier d’où pendaient deux courroies ou plutôt deux anneaux de cuir où il plaçait ses mains et ses bras pendant la nuit et qu’il fermait et serrait ensuite avec un cadenas. » {Œuvres du B. Henri Suso… Paris, 1856, p. 65, 66, 67.) Ce n’est là qu’une partie, et la moindre, des mortifications que s’imposait le B. Henri Suso, et cela pendant seize ou dix-sept ans.

Tous les sens du corps : la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat, le toucher, parce qu’ils peuvent nuire à l’élan de l’àme vers Dieu, ont été mortifiés par les ascètes, et la vie des saints offre de nombreux exemples des supplices parfois effrayants qu’ils s’infligeaient. « La mortification a un baume et des saveurs dont on ne peut plus se passer quand on les a une fois connus. Il n’y a qu’une manière de se donner à Dieu, c’est de se donner tout entier sans rien garder pour soi. Le peu qu’on garde n’est bon qu’à embarrasser et à faire souffrir. Il s’imposait donc de ne pas sentir une fleur, de ne pas boire quand il brûlait de soif, de ne pas chasser une mouche, de ne jamais se plaindre de quoi que ce soit qui intéressât son bien-être, de ne jamais s’asseoir, de ne jamais s’accouder quand il était à genoux. » {Le curé d’Ars, 17e édition, 1904, t. II, p. 475.) L’insomnie est une des plus rudes mortifications, celle qui, au début, coûta le plus à saint Pierre d’Alcantara ; pendant quarante ans, il ne donna au repos qu’une heure et demie en vingt-quatre heures. « Pour y parvenir, il se tenait toujours ou à genoux ou debout. Lorsqu’il dormait, c’était assis, et la tête appuyée contre un morceau de bois fixé à la muraille. » {Œm-res complètes de sainte Tkrèse, Paris, Retaux, 1907, t. I, p. 8^7, 348.) Il est inutile d’ailleurs d’insister sur toutes ces mortifications corporelles ; les manuels d’ascétisme et les biographies des saints sont dans toutes les mains.

Avec le corps et plus que lui, il faut dompter l’àme. Non seulement ses facultés sensibles, l’imagination et la sensibilité, mais ses facultés spirituelles elles-mêmes ; l’intelligence et la volonté, dans leur activité mal réglée, peuvent être un obstacle à notre union avec Dieu, il faut donc veiller avec soin sur elles, et s’opposer à leurs élans désordonnés. On lutte contre les facultés sensibles, comme contre les sens ; on lutte contre l’orgueil de l’esprit par l’humilité et contre les révoltes de la volonté par l’obéissance.

Humilité, obéissance, véritables vertus de race et distinctives de l’ascète chrétien, celles que nos contemporains, les protestants en pai-ticulier et parmi

les protestants, les Américains, ont le plus de peine à comprendre. « On ne peut pas dire qu’à notre époque l’obéissance soit tenue en grand honneur. Au moins dans nos pays protestants, on estime que l’individu a le devoir de régler lui-même sa conduite, en subissant les conséquences heureuses ou malheureuses de son indépendance. Cette idée fait tellement partie de notre pensée que nous avons quelque peine à nous représenter des êtres raisonnables qui regarderaient comme un bien de soumettre leur Aolonté à la Aolonté d’un autre homme. J’avoue que pour moi cela tient du mystère.)> (William James, L’expérience religieuse, p. 268.) Nous retrouverons plus loin cette objection, pour le moment il suffit de constater que ce sont là les deux vertus réservées de l’ascétisme chrétien, ses deux joyaux. Tous les auteurs ascétiques, le jésuite Rodriguez en particulier dans la Pratique de la perfection chrétienne. leur consacrent de longs développements, je me contente d’y renvoyer.

Ces pratiques de l’ascétisme chrétien ne conviennent pas également à tous. Cela est évident : les vocations diffèrent, et dans les vocations les voies par où doivent cheminer les âmes. Une Carmélite ne conçoit pas l’ascétisme comme une religieuse de la Visitation, un Chartreux comme un Jésuite, un homme du monde comme un prêtre ; l’idée de perfection est sans doute la même chez tous, les moyens diffèrent pour l’atteindre. Les pratiques de l’ascétisme diffèrent encore dans une même vocation avec les âmes. Elles diffèrent d’abord à cause des âmes elles-mêmes : les unes ont besoin de s’appliquer à une vertu, les autres à une autre, selon leurs divers caractères, et dès lors ce besoin particulier donne à leur ascétisme sa forme spéciale ; un tempérament bilieux n’a pas à réagir comme un tempérament sanguin, un apathique comme un orgueilleux. Elles diffèrent ensuite selon le degré d’obligation des vertus chrétiennes que les pratiques de l’ascétisme doivent sauvegarder ; les unes sont prescrites sub gravi, les autres sub le’i, les unes nous détournent complètement de notre liii, les autres nous en éloignent seulement. L’ascétisme sans doute nous pousse à éviter les fautes graves et les fautes légères, mais, on le conçoit d’abord, ses exigences n’ont pas la même rigueur dans les deux cas. Comme nous sommes assez souvent de mauvais juges dans notre propre cause, il conviendra de demander conseil, et de nous faire aider, quand il s’agira de déterminer les pratiques qui conviennent à notre ascétisme. Cum viro sancto assiduus esto, quemcumque cognoveris observantem timorem Dei, cujus anima est secundum animant tuam : et qui, cum titubaveris in tenebris, condolebit tibi (Eccli., xii).

Ecoles d’ascétisme chrétien. — « C’est une chose pleine de danger, écrivait saint Ignace, de a’ouloir pousser tous les honunes à marcher vers la perfection par le même sentier ; le directeur qui agit ainsi ne comprend rien à la nuiltiple variété des dons du Saint-Esprit. » (Selectae S. Ignatii Sententiae. ) Rien de plus vrai. A considérer le but de l’ascétisme, — unir l’àme à Dieu par la charité, — à considérer les Jiommes qui doivent le pratiquer, il paraît évident qu’il y aura divers ascétismes chrétiens.

L’objet de la charité est Dieu, mais cet objet unique, elle le saisit de plusieurs façons. Elle atteint d’abord évidemment l’infinie bonté de Dieu, mais elle atteint aussi ses autres perfections : sagesse, puissance, miséricorde, justice ; elle atteint encore non seulement la divinité en général mais en particulier les trois personnes divines : le Père, le Fils et le Saint-Esprit. En outre les anges, les saints du ciel. 305

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les hommes qui vivent sur la terre, participent d’une certaine manière aux perfections et aux dons divins ; il s’ensuit donc que nous pouvons les aimer d’un amour de cliarité, comme nous devons nous aimer nous-mêmes de cet amour. Il n’est pas jusqu’à notre corps, instrument qui sert à notre àme pour la pratique de la vertu, qui ne puisse être aimé, dans une juste mesure, d’une vraie cliarité. Saint Augustin énunière les quatre objets de notre charité : Dieu qui est au-dessus de nous, nous-mêmes, les hommes qui sont près de nous, notre corps quiest au-dessous de nous (A. Le Gaudier, De perfectione vitae spiiitualis, p. I, c. 13).

Il y a plus. L’acte de charité, considéré, non plus dans son objet, mais en nous-mêmes, lie notre Aolonté comme d’un double lien. La charité suppose en effet l’union, dans l’amour, de celui qui aime à celui qu’il aime ; à ce premier sentiment tout affectueux s’ajoute la bienveillance : celui qui aime désire du bien à celui qu’il aime. La charité suppose la bienveillance ; la bienveillance n’exige pas l’affection, et je puis désirer du bien à une personne que je n’aime pas. Il peut arriver dès lors que dans la pratique de la divine charité, l’affection tienne une si grande place qu’elle n’en laisse presque plus à la bienveillance ; comme aussi il peut se faire que la bienveillance soit prédominante, et que la volonté tout active soit surtout occupée à procurer le bien de Dieu {Sitin. theoL, i a", q. 27, a. 2). Les théologiens, après Cajétan (in 2 2^^, q. 28, a. i), énumèrent tous ces l)iens que nous pouvons vouloir à Dieu ou lui donner ellectivement : d’un mot, cette charité de bienveillance saisit non seulement toute la création qu’elle offre et consacre et dévoue toute au Créateur, mais elle atteint Dieu lui-même, elle se réjouit de sa gloire extérieure, elle se réjouit de sa gloire intime, elle voudrait lui donner toutes ses diA’^ines perfections si déjà il ne les possédait.

La charité divine exige l’amour qui unit, et la bienveillance qui veut du bien : Si l’amour prédomine on l’appelle charité affecti’e, si c’est la ])ienveillance, charité effecti^-e, et l’on comprend que les pratiques de l’ascétisme chrétien varieront suivant les degrés de l’une et de l’autre charité, comme on comprend qu’elles varieront encore suivant les divers biens que l’ascète se proposera de procurer à Dieu par sa charité effective.

Et l’on arriverait encore à la même conclusion si. au lieu d’examiner l’objet de la charité, on étudiait les tempéraments divers et les divers besoins des ascètes, mais peut-être vaut-il mieux sinqjlementvoir ce <iu’a été historiquement dans l’Eglise la pratique de l’ascétisme.

On peut écrire, je crois, que la pratique constante des ascètes a oscillé entre la charité affective et la charité (îffective : les uns ont été surtout des contemplatifs et des passifs, les autres des apôtres et des actifs. Je dis surtout ; car au véritable ascétisme chrétien les deux (éléments sont nécessaires ; ils peuvent se dominer l’un l’autre, ils ne peuvent s’exclure sous peine d’erreur. La charité purement affective n’est pas de cette terre, et dans un sens véritable elle n’est pas même du ciel ; c’est une erreur d’y prétendre, et le Qui<tisino( : ">t l’une des formes de cette erreur. D’un autre côté, il est tout aussi vrai de dire que la charité elfective qui ne garderait rien ou presque rien de la charité affective, qui serait tout extérieure, tout active, ne serait i)oint non plus la véritable charité, et il n’y a pas bien longtemps que nous avons entendu leSouverain Pontife Léon XIII condamner VJmi’-iiranisine. La vérité, ici comme partout, est entre deux extrêmes : son champ s’étend d’ailleurs assez vaste pour les divers génies, et assez de manifestations de

l’ascétisme chrétien restent orthodoxes, pour nous laisser toute liberté de choisir.

Je ne puis m’occuper des ouvrages ascétiques dont le but plus restreint est de donner une direction à un groupement assez peu étendu (comme un ordre religieux). Prenons ceux qui semblent avoir eu le plus d’influence sur la Aie univcrselle de l’Eglise, et brièvement étudions leurs principaux caractères.

L’Imitation de Jésus- Christ- — A^ant ce chefd’œuvre, bien des ouvrages avaient paru, en Orient et en Occident, pendant les premiers siècles du christianisme comme au moyen âge, qui eurent une Aéritable influence sur le dcveloppement de l’ascétisme dans l’Eglise ; il faut au moins citer les noms de saint Basile, saint Ephrem, saint Grégoire de Nysse, saint Jean Chrjsostome, saint Nil, saint Jérôme, saint Grégoire le Grand, saint Benoit, Cassien et Cassiodore, comme aussi ceux de Rupert, saint Bernard, Hugues de Saint- Victor, saint Thomas et saint Bonaventure. Mais ces grands hommes ne remuèrent pas le peuple chrétien comme l’a remué et le remue encore l’auteur inconnu de Vlniitation de Jésus-Christ.

C’est que nous sommes là en présence d’un Uatc pratique avant tout et qui convient à toutes les âmes. Ecrit plus particulièrement pour des moines, l’expérience prouvc qu’il peut être utile à tous les chrétiens et s’adapter à toutes les situations. Vanitas vanitatum et omnia’anitas praeter amare Deum et illisoli servire (I, i, 4), Aoilà en trois mots le résumé de sa doctrine, connue aussi de tout l’ascétisme chrétien : la science, les honneurs, les plaisirs, la gloire, la Aie présente : tout n’est que Aanité. Qu’avons-nous à faire des disputes de l’école sur le genre et l’espèce ? O A’érité qui êtes Dieu même, faites que je m’identilie aACC Aous dans une éternelle charité (I, 3, 2). Charité effective d’abord ; il faut lutter contre nous-mêmes, combattre la Aanité, l’orgueil, l’impatience, l’apathie, la dissipation, la sensualité, la pusillanimité, l’irrésolution, toutes les maladies morales, il faut aimer la solitude et le silence. Claude super te ostium tuum, et s’oca ad te Jesum dilectum (I, 20, 8). Deux choses surtout aident à la réforme de la Aie : s’arracher Aiolemment au défaut Aers lequel entraîne la nature, et travailler pour acquérir la Aertu qui nous manque le plus (I, 25, 4). Veillons bien sur nous-mêmes, sachons nous exciter, nous morigéner ; les autres agiront comme ils l’entendront, à nous de nous occuper de nos affaires. La mesure de notre progrès spirituel sera précisément la mesure de la Aiolence que nous nous ferons (I, 26, 11).

Les inclinations mauvaises domptées, l’àme se tourne Aers Dieu, et, par la solitiule intérieure, par la méditation, peu à peu elle devient digne de convcrser plus intimement aA’ec son divin Maître. Dans ce ser-Aice de Dieu, dans ces colloques, dans cette vie commune de chaque jour, dans cette présence continuelle la connaissance et l’amour s’épurent et grandissent ; le Créateur descend juscju’à l’àme et en même temps l’élève jusqu’à lui dans et par la charité. L’union devient plus intime, et l’àme s’y transligure. « C’est une grande chose que l’amour, c’est un bien tout à fait grand… Au ciel et sur la terre, il n’y a rien de l)lus doux que l’amour, rien de plus fort, rien déplus élcAé, rien de plus large, rien de plus agréable, rien de plus plein, rien de meilleur, parce » pu" l’amour est né de Dieu, et il ne peut se reposer qu’en Dieu, au-dessus de toutes les créatures… L’anunir souvent ne connaît pas de mesure, mais il déboiile au delà de toute mesure… Celui qui aime connaît toute la force du mot d’amour… C’est un grand cri aux oreilles de Dieu que l’ardente affection de l’àme qui dit : Mon Dieu, mon Dieu vous êtes tout mien, et moi tout vôtre. 307

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Dilatez-moi dans l’amour, afin que j’apprenne à goûter avec toute l’affection de mon cœur combien il est doux d’aimer, de se liquéûer, de nager dans votre amour… Que je vous aime plus que moi, que je ne m’aime que pour vous, que j’aime en vous tous ceux qui vraiment vous aiment, comme le Aeut la loi de l’amour sortie de vous-même… » III, 5).

Tout l’enseignement ascétique de l’Imitation de Jésus-Christ est imprégné de cette charité affective toute brûlante ; c’est elle qui l’illumine et ne lui permet pas d’être « un livre douloureux et découragé, dédaigneux de l’action et froid dans sa muette résignation aux volontés du Père qui est aux cieux » (Gebhart). Il est juste toutefois d’ajouter que, dans la pensée de son auteur destiné d’abord aux moines, il s’occupe surtout du salut individuel et fort peu d’apostolat. Mais l’amour passionné qu’il crée dans l’àme est prêt à toutes les souffrances, comme aussi à tous les élans, quand il s’agit d’obéir à celui qu’il aime. Qui non est paratus omnia pati et ad voluntatem stare dilecti, non est dignus amatov appellari III, 5, 8). Un mot, un signe de Jésus, et le disciple formé par l’Imitation devient apôtre.

Sous une forme qui n’a rien de didactique, et en négligeant un peu les vertus apostoliques, le chefd’œuvre ascétique qui sera la gloire du moj-en âge a donc su combiner harmonieusement les deux tendances de la charité ; il est action par la lutte qu’il prêche contre les passions, il est amour par son fond le plus intime et par des élans tout mystiques : certains chapitres pourraient être signés de sainte Thérèse.

Les Exercices spirituels de saint Ignace. — Les

saints, les Souverains Pontifes, l’Eglise universelle ont loué ce livre, il est inutile de l’exalter après eux. La Compagnie de Jésus en est sortie comme le chêne du gland, et il est impossible de savoir et d’écrire tout le bien qu’il a fait et continue de faire aux âmes. Son plan d’une netteté toute géométrique, ses méthodes variées et si rationnelles sont trop connues i^our y insister : un mot seulement sur son but et siu* la direction générale de sa spiritualité.

Dès la première ligne nous sommes prévenus : les Exercices spirituels doivent nous aider à nous vaincre, à ordonner notre vie, à en exclure tout acte dont le motif ne serait pas entièrement louable : Exercitia spiritualia ut homo s-incat seipsum et ordinet vitam suam quin se determinet oh ullam affectionem cjuae inordinata sit. C’est là une belle foi’mule de l’abnégation, une puissante mainmise sur la volonté humaine qui toujours devra s’incliner devant la volonté divine. L’ascétisme de saint Ignace s’y révèle, tout entier, ascétisme de lutte, de volonté, de charité effective. Mais comment ai’river à cette parfaite abnégagation, à cette héro’ique pureté d intention ? Il faut rejeter toute volonté propre, tout amour-propre, tout amour du monde et de ses faux attraits. « La mesure de notre progrès dans la vie spirituelle sera précisément la niesiu"e dans laquelle nous nous dépouillerons de notre amour-propre, de notre volonté propre, de nos propres intérêts. » Nous avons trouvé la même formule dans l’Imitation, I, 25, ii. Cette maxime si nette, mais en outre si pressante, saint Ignace la rappelle toujours quand il s’agit de prendre une décision : Regulae octo ad se ordinandum in ^’ictu, de poenitentiarum usu, de Electione, de Vitae reformaiione, de Eleemosynarum distributione : nous la retrouvons dans les méditations qui sont comme la charpente des Exercices : le Règne, les deux Etendards, les trois Classes, les trois degrés d’Humilité. Le saint la complète d’ailleurs : plus nous nous éloignons de nous-mêmes, dit-il, plus nous nous rapprochons de Dieu

et lîlus notre cœur est vide de nous-mêmes, plus il se remplit de l’esprit de Dieu. L’abnégation n’est pas le tout de la perfection, mais elle doit nous aider dans l’acquisition des vertus chrétiennes et nous conduire à l’union divine.

Elle nous aide d’abord à mieux connaître, à pleurer nos fautes et les désordres de notre vie ; elle nous aide ensuite à suivre et à imiter Notre-Seigneur. Quand nous n avons plus à ménager notre amour-propre, il est facile d étudier le divin Maître, d admirer ses vertus et de nous essayer à les pratiquer : son humilité, sa pauvreté, sa douceur, son obéissance, sa mortification, sa charité ; il est facile alors de prendre, en toutes choses, les intérêts de Dieu, même aux dépens de nos intérêts terrestres. Au contact de son amour qui éclate dans les souffrances de la Passion, dans les délicatesses de la vie glorieuse, et que nous avions déjà senti brûler son cœur dans les mystères de l’enfance et de la vie publique, nous voulons, à notre tour, aimer Notre-Seigneur et ne plus vivre que pour lui, nous dépenser à son service et lui gagner des fidèles. Cette conformité de vie créée dans nos âmes, c’est bien la véritable union entre le divin Maître et nous, c est bien, selon l’énergique parole de saint Paul, se revêtir de Jésus-Christ, comme il conA’ient à des baptisés (Rom., xiii, 14 ; Galat., ni, 27).

On le voit assez, l’union que saint Ignace veut établir entre le chrétien et Jésus-Christ, est une union de charité avant tout agissante, aj)ostolique, effective. L’action, l’apostolat, c’est encore le signe particulier de l’amour pour Dieu qu il essaie d’exciter en nous par sa contemplatio ad ohtinendum amorem. D’une élévation de pensées admirable, ce dernier cri de son cœur pousse plutôt à l’amour effectif qu’à l’amour affectif, à l’action qu’à la contemplation : saint Ignace veut que nous offrions, dans un holocauste parfait, à la gloire du Dieu qui nous a tout donné, et nous-mêmes et tous les bienfaits que nous avons reçus : Ad majorem Dei gloriam : Tout à la plus grande gloire de Dieu.

Sans doute le grand contemplatif de Manrèse et de Rome, le glorieux élu des faveurs divines que son himiilité n’a pu cacher entièrement, connaissait les ardeurs et les joies de lamour affectif ; celui qui sait lire les Exercices, les Règles du discernement des esprits en particulier, ne peut s’y tromper, mais il reste vrai pourtant que le livre est avant tout un livre de combat et de lutte apostolique.

Impossible, faute d espace, d’insister sur les moyens dont saint Ignace sesertpour atteindre son but, l’examen particulier et l’une ou l’autre de ses méthodes d’oraison si viriles et si sûres. On l’a accusé de minutie, de rapetisser et de matérialiser la piété, d autres ont dit que les vertus d’obéissance et d’humilité qu’il enseigne, ou bien ne sont plus de notre époque, ou bien n’ont plus l’importance qu’il leur donne. Un seul mot de réponse : Pai-mi les saints et les apôtres de l’Eglise, pourrait-on en citer un seul qui n’ait pas été humble et obéissant, à l’exemple de celui qui fut doux et humble de cœur, et qui a dit : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul, mais s il meurt, il porte beaucoup de fruit. » (Joan., xii, 2^, 25.)

L’Introduction à la vie dévote. — Saint Ignace est un soldat ; son ascétisme, une bataille poui’la gloire et pour l’amour de Dieu ; s’ilressent toutes les douceurs et toutes les suavités de cet amour, il faut le deviner, il n’a guère songé à nous le dire. Saint François de Sales se montre sans doute moins géométrique, moins pressant, ou plutôt il nous fait moins sentir sa douce pression. Son style naïf et charmant donne un air gracieux à toute sa doctrine ; l’ex

trême bonté de son âme, la continuelle présence de Dieu dans laquelle il vit, comme dans son divin élément, animent son livre d’une chaude tendresse ; mais vraiment il ne faut pas savoir lire pour oser, à propos de son œuvre, parler de « dévotion aisée », ou bien de paralysie de la volonté, d’amour sentimental et de paresseux quiétisme. A défaut d’une étude de V/ntroduction à la vie dévote, nécessaire pourtant si l’on veut juger en connaissance de cause, un simple coup d œil sur la table des matières suffît pour connaître suffisamment la pensée du saint docteur : certains titres de chapitres sont suggestifs : Qu’il faut commencer parla purgation de l’âme ; De la première purgation qui est celle des péchés mortels ; Qu’il faut se purger des affections que l’on a aux péchés véniels ; Qu’il faut se purger de l’affection aux choses inutiles et dangeureuses ; Qu’il faut se purger des mauvaises inclinations. C’est, presque dans les mêmes termes, la doctrine du fameux colloque qui suit le troisième exercice de la première semaine de saint Ignace ; et on serait mal venu de s’en étonner : c’est la doctrine élémentaire de l’ascétisme chrétien ; c’est la voie purgative, la voie de ceux qui commencent, et qui pour réussir veulent commencer par le commencement et non par la fin. Le doux saint François de Sales a écrit un chapitre -.Les exercices de la mortification extérieure ; il conseille la discipline et la haire, même aux gens mariés, rarement toutefois pour ces derniers, « es jours plus signalés de la pénitence », et selon l’avis d’un discret confesseur(^^A"îa’;-es de saint Fia ?içois de Sales, éd. d’Annecy, t. III, p. 220) ; mais c’est l’àme surtout qu’il veut qu’on mortitie, parla patience, l’humilité, la douceur, l’obéissance, la chasteté, la pauvreté ; il veut même qu’elle en arrive, afin de garder une imperturbable paix, à se désintéresser des « douceurs » et des

« tendretés » spirituelles qui, pour être divines, doi-A’ent

nous rendre « plus humbles, patients, charitables et compatissants à l’endroit du prochain, plus fervens à mortifier nos concupiscences et mauvaises inclinations… » {Œuvres…, t. III, p. 323.) D’ailleurs toutes les vertus pour être vraiment surnaturelles doivent être pénétrées (Je « l’amour de Dieu qui les contient toutes » (Œuvres…, t. VI, p. g’i) ; et on se rappelle que le saint exigeait de ses religieuses de la Visitation qu’elles s’occupassent avant tout à « vaquer à la perfection du divin amour » (Constitutions… De la fin pour laquelle cette Congrégation a été instituée). Cette perfection du divin amour consiste pratiquement à a s’unir non seulement à la volonté de Dieu mais à ses désirs, voire même à ses intentions. » (Œuvres…, t. VI, p. 82.)

Dans Vlmitation, comme dans les Exercices spirituels, comme dans V Introduction à la vie dévote, c’est donc bien la même spiritualité fondamentale, le même ascétisme ; l’àme doit se sépai’er descréatures etd’ellemême, pour s’unir à Dieu dans et par la charité effective surtout, mais aussi affective. Les principes sont les mêmes, il y a des nuances dans leur application, ces nuances s’expliquent par le caractère ou le but des auteurs, et parleur époque : ces nuances existent surtout entre saint Ignace et saint François de Sales. Pour saint Ignace, l’ascétisme est un combat, un combat contre les passions déréglées, une lutte, un duel journalier entre le vieil homme et le nouveau, une attaque de front, qui a de grands avantages : elle donne un merveilleux ressort à la volonté ; mais qui peut avoir des inconvénients : la perspective de cette longue guerre à mort a de quoi elfrayer et décourager certaines bonnes volontés hésitantes. C’est une perfection intime, forte, généreuse, que demande aussi saint François de Sales : « la vraie vertu est toujours ferme et constante » (Œuvres…, t. III, p. 292, t. VI, p. 13, 14)et prescpie aussi souventque de la’( suavité ><,

de la dévotion, il parle de sa « force ». Tout comme saint Ignace, il déclare la guerre à l’amour-propre, mais il mène cette guerre d’une autre façon. Il recommande surtout de mépriser les attaques de l’ennemi ; au lieu de renverser l’obstacle, qu’on le tourne humblement et simplement. Dans les luttes intérieures, il faut savoir « divertir notre esprit de son trouljle et de sa peine », se resserrer auprès de Notre-Seigneur et lui parler d’autre chose » (Œuvres…, t. VI, p. 84, 1^4) ; dans un mouvement d’aversion contre le prochain :

« l’unique remède à ce mal, comme à toute autre

sorte de tentation, c’est une simple diversion, je veux dire n’y point penser > (p. 290, cf. t. III, p. 304309). Je sais bien que l’on pourrait m’opposer, et précisément à la page 3 1 o de V Introduction à la vie dévote, des textes où il recommande énergiquement la tactique de saint Ignace : « Faites force actions de la vertu contraire, et si les occasions ne se présentent, allez au-devant d’elles pour les rencontrer « ; l’impression pourtant qui se dégage de l’œuvre salésienne est moins belliqueuse, et n’a pas l’austérité militante de Vagendo contra suaju propriam sensualitatem, et contra suum amorem carnalem et mundanum (saint Ignace, De Regno Christi) ; toutefois je n’oserai pas dire que la tactique de saint François de Sales exige moins d’énergie. Voici un texte qui l’exprime bien :

« Méprisez donc ces menues attaques et ne daignez

pas seulement penser à ce qu’elles veulent dire, mais laissez-les bourdonner autour de vos oreilles tant qu’elles voudront, et courir çà et là autour de vous, comme l’on fait des mouches ; et quand elles viendront vous piquer et que vous les verrez aucunement s’arrêter en A’otre cœur, ne faites autre chose que de tout simplement les ôter, non point combattant contre elles ni leur répondant, mais faisant des actions contraires, quelles qu’elles soient, et spécialement de l’amour de Dieu. Car si vous me croyez, vous ne vous opiniàtrerez pas à vouloir opposer la vertu contraire à la tentation que aous sentez, parce que ce serait quasivouloir disputer avec elle ; mais après avoir fait une action de cette vertu directement contraire, si vous avez eu le loisir de i-econnaitre la qualité de la tentation, vous ferez un simple retour de votre cœur du côté de Jésus-Christ crucifié, et par une action d’amour en son endroit, vous lui baiserez les pieds sacrés. » (Œuvres…, t. III, p. 308.)

La spiritualité de saint François de Sales et celle de saint Ignace sont identiques par leur fond ; la forme seule varie, et cette diversité s’explique par le caractère, l’éducation et le but des auteurs. D’ailleurs ni l’un ni l’autre n’est exclusif ; nous venons de le voir dans les paroles mêmes de l’Introduction à la vie dévote pour saint François de Sales ; il suffira, quant à saint Ignace, de rappeler sa célèbre sentence :

« C’est une chose pleine de danger de vouloir pousser

tous les hommes à marcher vers la perfection par le même sentier. »

Pratiquement, au lieu de choisir lui-même son sentier, l’ascète chrétien denumde à un prudent directeur de le lui désigner et de l’y conduire, ou plutôt il recherche, sous sa direction, la voie que lui a marquée le Saint-Esprit.

Objections contre l’ascétisme chrétien. — Elles sont de tous les temps et de tous les pays, mais on les rencontre particulièrement à notre époque. Les partisans du « surhomme », les docteurs du culte exagéré du moi, du libre jeu et de l’entier épanouissement des passions, tous les philosophes et les poètes du siècle dernier, dont les doctrines continuent la poussée païenne de la Renaissance : Heine, Nietzsclic, Leconte de Lisle, ont déclaré une guerre à mort à l’ascétisme. Sous leurs attaques, il semble que les 311

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idées d’un certain nombre de chrétiens aient fléclii, ou se soient légèrement modiiiées. « Une étrange transformation morale s’est opérée durant le siècle dernier dans toute l’étendue du monde occidental. Nous ne pensons plus être appelés à braver d’une àme sereine la douleur physique. On nexige pas d’un homme qu’il la supporte sans miu-murer, on ne s’attend guère à ce qu’il l’inllige à l’un de ses semblables. La description des douleurs physiques nous donne la chair de poule… La conséquence de cette transformation, c’est que, même au sein de l’Eglise romaine, où l’ascétisme sappuie sur une tradition imposante, où pendant si longtemps on l’a envisagé comme une source de mérites, il est presque partout tombé en désuétude, sinon en défaveur. Un chrétien qui se flagelle ou pratique d’autres macérations suscite aujourd’hui plus d’étonnement et d’effroi que d’émulation. Beaucoup d’écrivains catholiques admettent que les temps sont changés et paraissent s’y résigner sans trop de peine. » (William J.mes, L’expérience religieuse, p. 202.) La remarque est d’un adversaire qui veut être impartial et qui l’est presque toujours. Il importe donc de résoudre les objections faites à l’ascétisme chrétien ; c’est aider à le bien juger ; et à lui faire rendre l’estime à laquelle il a droit.

Les objections s’attaquent ou bien à la raison d’être de l’ascétisme : la doctrine du péché originel, ou bien à ses manifestations : lutte contre les obstacles extérieurs, lutte contre le corps, lutte contre l’àme.

i) Ni l’état physiqvie de l’univers, ni celui de la terre, ni la constitution physiologique de l’homme, dit-on, n’ont été atteintes par le péché originel, d’où il suit que, avant comme après la chute, l’état de l’homme est en harmonie avec les lois générales de la nature. Puisque la nature de l’homme et la nature du monde n’ont pas changé, leur état actuel est donc l’état idéal, et il est inutile de chercher à établir en nous un autre équilibre, par la mortification et les austérités.

Il est vrai que la mort et la concupiscence, nos souffrances et nos combats sont les conséquences naturelles de notre constitution pliysique, mais il est vrai aussi que l’homme, créé par Dieu dans l’état de grâce, jouissait, du fait de cet état de justice originelle, d’une maîtrise absolue de la raison sur les sens et les facultés sensibles : sa raison était soumise à Dieu, et tout en lui était soumis à la raison. Adam désobéit ; par sa désobéissance il perd la grâce, et aA-ec la grâce l’empire qu’il avait sur lui-même : révolté contre Dieu, il sent la chair se révolter contre lui. Le repentir lui rendit la grâce perdue, le baptême ne rend pas à ses descendants l’harmonie originelle des facultés : le péché disparait, la concupiscence reste. C’est donc bien par une conséquence du péché originel que la chair se révolte maintenant contre l’esprit, et que la nature lutte contre l’homme ; c’est donc le péché originel qui rend nécessaire l’ascétisme chrétien. Sans doute, encore une fois, cet ascétisme est la suite naturelle de notre état physique considéré en lui-même sans les privilèges de l’état d’innocence, mais il est aussi, et, dans l’ordre de Providence actuel, il est surtout la conséquence de la faute originelle qui nous a dépouillés de ces privilèges.

{Sum. theoL, i^ 2", q. 85 ; Contra Gentes, 4, 52 ; De malo, q. 5, a. 5. Cf. J. Y. Bainvel, Xature et surnaturel, surtout p. i-v, ^8-111 ; J. Lebreton, i ?et’ « ( ? pratique d’Apologétique, i""" février 1906, p. 406.) 2) L’ascète veut s’unir à Dieu ; pour y parvenir, il doit se séparer de tout ce qui pourrait être un obstacle ; aussi le voit-on renoncer au monde, et à tous ses devoirs sociaux : il devient indifférent aux souffrances et aux misères des autres, des siens même quelque fois — sainte Chantai foule aux pieds, pour se faire religieuse, son lîls étendu devant elle et qui veut l’eiU’pêcher de partir — l’ascète, retiré du nionde, vit en égoïste comme le rat dans son fromage de Hollande, en pharisien orgueilleux qui méprise le reste des hommes.

L’objection, on le voit, n’atteint pas tous les ascètes, ou du moins elle ne les atteint pas tous également, elle vise surtout les religieux séparés du monde liar leurs trois vœux, et parmi les religieux, les contemplatifs. Renoncer à ses devoirs sociaux par égoïsme ou les mépriser par orgueil, n’est pas un signe de vertu ni un motif avouable d’ascétisme, bien au contraire ; et le christianisme ne l’approuvera jamais : aucun ascète chrétien ne s’en est prévalu. Mais c’est une règle de bon sens qu’on peut négliger, pour un temps ou pour toujours, en partie ou entièrement, les avantages ou les devoirs de la vie sociale pour s’appliquer à d autres devoirs qu on estime plus importants. Il est bon de servir les hommes, il est meilleur de servir Dieu. — Mais en servant les hommes on peut servir Dieu 1 Sans dovite, toutefois on peut choisir de servir Dieu préférablement aux honnnes. Siyis perfectus esse, ^-ade, vende quae habes, et du pauperibus. et hahebis tliesaurum in caelo et veni, sequere me (Matt.. xix, 21). La vie religieuse, la Aie contemplative est née de ce renoncement éAangélique, nécessaire à la perfection, et 1 Eglise la toujours approuvée. D ailleurs, la critique ne semble pas entièrement désintéressée, et quand on Aeut perdre les moines contemplatifs, on a bientôt découvert qu’ils sont des « moines d’affaires » ; on les condamne parce qu’ils ne font que prier, mais on les condamne ; aussi parce qu’ils cultivent leurs champs ou même leur esprit.

Est-ce donc vrai, en outre, que les ascètes, même s’ils ne font que prier et se mortifier, soient inutiles à la société ? Ozanam écrivait en 1835 : « Religieux contemplatifs, on les a accusés d’égoïsme et d’oisiveté ; mais s’ils ne contribuent pas au bien social par une action directe et immédiate, ils y contribuent par leurs vœux, leurs supplications, leurs sacrifices » ; il ajoutait, après avoir assisté à l’office de nuit à la Grande-Chartreuse : ( J’ai songé à tous les crimes qui se commettent à cette heure-là dans nos grandes villes : je me suis demandé si A’éritablement, il y avait là assez d’expiation pour effacer tant de souillures. » (Cf. sainte Térése, Le chemin de la perfection, c. 3.) Ozanam avait parfaitement raison : les ascètes de la vie contemplative servent la société par leurs prières, par les mortifications qu’ils s’infligent ou souffrent pour elle. Nous touchons là une des formes de cet admirable dogme de la Communion des saints, l’un des attraits comme l’une des gloires du Christianisme. Les incrédules ne le comprennent guère, et mis en face d’une âme innocente avide d’expiations et de sacrifices, ils s’étonnent et n’entendent pas l’austère beauté de son déAOuement. Ils ne savent pas que les bienheureux du Ciel, les âmes souffrantes du Purgatoire, et nous qui sommes encore voj’ageurs sur la terre, nous ne formons qu’un seul corps mj’Stique dont Jésus-Christ est la tête toujours agissante, toujours dirigeante ; ils ne savent pas qu’unis ainsi, nous jouissons d’un trésor commun, les mérites de Notre-Seigneur, les méxùtes de tous les chrétiens décédés ou vivants ; que ce trésor commun, nous pouvons raugmentcr par nos propres mérites ; qu’il y a entre nous une solidarité mystérieuse mais réelle, dont nous ne comprendrons bien qu’après notre mort l’ineffable et consolant secret. Mais, qu’ils l’ignorent ou non, cette solidarité existe, et l’Eglise a toujours cru que Dieu consent à accepter la satisfaction offerte par un tiers, sans cela elle n’enseignerait 31^

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pas le dogme de la Rédemption, elle n’aurait jamais donné d’indulgences, elle n’affirmerait pas l’eflicacité de la prière (Cf. Raison d’être de l’ascétisme, 4) 3) Mais on insiste : les mortifications corporelles sont contraires à la nature, les jeûnes et les macérations sont des rites inutiles, sans ànie, qui dispensent de toute initiative, ils sont l’expression de la haine de la vie : ( L’idéal (pour l’ascète chrétien) reste l’anticipation de la mort par la violence faite à la nature qui s’identifie avec le péché. > (G. Séailles, I Les affirmations de la conscience moderne, 2<" édit., 1 p. 91.) On s’en prend à Dieu, tyran Ijizarre, Moloch cruel, et l’on affirme que la viande est tout aussi bonne le vendredi que les autres jours ; le jeune du carême ne trouve pas grâce, éAidcmment.

Il faut d’abord reconnaître qu’à lire la vie de plusieurs de nos saints, celle du l)icnheureux Henri i Suso en particulier, on se sent porté à taxer leurs mor-L tifications d’exagération. Quelques-unes ne peuvent [ se justifier que par une inspiration toute spéciale de l’Esprit-Saint. Pour les conseiller, il faudrait être en j face dune vocation bien caractérisée et longuement’éprouvée. LEglise n’approuve pas toujours, surtout elle est bien éloignée de conseiller tout ce que nous lisons dans la vie des ascètes chrétiens. Cette réserve taile, on nous permettra de faire observer qu’une mortification corporelle modérée non seulement trouve grâce près des meilleurs psychologues modernes, mais encore est fortement recommandée. Les travaux de Wundt, de William James, de Taixe, de UiiîOT, — la remarque est de M. Foxsegrive {Le catholicisme et la vie de l’esprit, 189g, p. 181) — démontrent qu’en pédagogie comme en morale, « on ne peut con)pter sur le corps qu’en comptant d’abord avec lui ». Tout le monde répète que pour bien vouloir, pour faire l’éducation de la volonté, il faut savoir dompter son inqiressionnabilité, et par conséquent ses sensations. Les médecins s’en mêlent, et par leurs prescriptions d’hygiène, par les actes matériels de volonté qu’ils exigent, ce sont de véritables mortifications corporelles qu’ils imposent, des efforts pliysiques continuels qui doivent aider à triompher lie l’apatiiie et de la nonchalance. Ils sont donc mal inspirés ceux qui nous répètent que les mortifications i r)rporelles sont contraires à la nature, c’est précisément la nature qui les exige (Cf. Guibert. La formation de la volonté, p. 29, sqq. Roure, Doctrines et Problèmes, p. 2^3, sqq.).

Klle les exige pom- la perfection banale d’une vie ordinaire, pour le simple équilibre de nos facultés liumaines, elle les exige pour le parfait développement de toute notre vie. La souffrance morale et physique est la grande ouvrière de notre perfection : (est du sang versé, qu’il vienne des veines ou du lur, que germe la grandeur, conmie la fleur d’un il fécond. « Toute l’histoire nous enseigne qu’il laut du sang pour hàler et cimenter la fusion des p< uples. Les sciences de la nature ont ratifié de nos jours la loi mystérieuse révélée à Joseph de Maistre par l’intuition de son génie et par la méditation des’logmes primordiaux, il voyait le monde se rachetant de ses déchéances héréditaires par le sacrifice. » (De ogvk, Itemarqites sur l’e.rpositton du centenaire !’ « 93)

Quoi d’étonnant dès lors si la douleur — la mortification corporelle est une forme de douleur — cpii perfectionne la vie individuelle et sociale perfectionne aussi la vie surnaturelle : les œuvres divines sont l>elles, d’une harmonieuse continuité. Voir dans les iiiortifications de rascètc chrétien l’efTct d’un stérile degoùl de la vie, c’est se troMq)er ; y voir une lutte -ans merci contre les sensations de la chair, c est ne pas les comprendre entièrement ; y voir un effort

généreux pour supporter d’abord, affronter ensuite, aimer enfin la douleur, par amour pour un Dieu souffrant, c’est comprendre leur beauté surnaturelle tout entière, sans indiquer encore cependant leur magnifique résultat dans l’âme de l’ascète. Par elles, en effet, il apprend à mieux vouloir, à mieux agir. Son apostolat devient fécond, non seulement d’une fécondité d expiation : — rien « ne poura enlever à l’humanité la conviction que le mal et que le péché réclament le châtiment, et que partout où souffre le juste, il y a une expiation qui justifie » (Harxack, L’essence du christianisme), — mais encore d’une fécondité d’amour agissant. La volonté soumise par la mortification n est plus qu’amour pour Dieu, n’est plus (

e charité, charité affectiA’e, mais aussi charité effective, et nous connaissons les merveilles de lapostolat des saints, qui tous furent de grands ascètes. Il convient de le rappeler pour le premier de tous. Celui ([u’on appelle l’Apôtre des nations : saint Paul a écrit : Castigo corpus meuni et in servitutem rédige (I Cor., IX, 2 ;).

4) L ascète, pour se rapprocher de Dieu, pour s unir à lui dans la charité, mortifie non seulement son corps, mais aussi son esprit ; il s’attaque à l’âme, à 1 intelligence dont il arrête le développement normal : il redoute trop lorgueil et s abêtit ; à la volonté ([u il asservit par une honteuse soumission : ce n est plus un homme, mais un cadavre. L ascétisme, pour ([uelques-uns de nos contemporains, n est qu un moyen assuré d arriver au monoidéisme et à lanéantissement de la personnalité (Murisier, Les maladies du sentiment religieux, p. 43, 44) Par le terme monoidéisme, on veut désigner 1 état mystique : dès lors l’objection ne i^orte pas. L état mystique d’abord n anéantit pas la conscience, sauf dans le cas extraordinaire et momentané de l’extase. 11 n 5’a d ailleurs aucun rapport nécessaire entre lascétisme et 1 état mystique. Tous les chrétiens, tous les hommes même qui savent s imposer une mortification, font de l’ascétisme ; létat mj’stique est un état surnaturel réservé, entièrement en dehors de nos efforts, Dieu y élève quand il veut, comme il veut, qui il veut. Voir pour plus de détails le mot Extase.

Reste le reproche fait à lascétisme, d’amoindrir lessor naturel de notre esprit et d’humilier notre volonté par lobéissance. Vraiment j’ai peine à croire que les autem’s qui parlent ainsi soient de profonds psychologues, car ils sont de bien mauvais historiens, et l’histoire ne saurait, au moins d’une façon permanente, contredire la psychologie. N est-ce pas elle en effet qui surtout nous permet d’en établir les lois les plus universelles ? Que dit donc l’histoire ! Que presque tous les grands ascètes chrétiens, de saint Paul à saint Ignace de Loyola, furent des hommes éminents par 1 intelligence et la volonté. Des noms ? Mais qu’on ouvre au hasard un martyrologe ou un bréviaire : saint Ambroise, saint Antoine, sait Allianase, saint Augustin, saint Benoit, saint Bruno, saint Domini(pie, saint François d’Assise, saint François Xavier, saint François de Sales, saint Jean de la Croix, saint Philippe Néri, saint Thomas d’Aquin, saint Vincent Ferrier, saint Vincent de Paul. A quoi bon continuer ? 11 faut pourtant rappeler qu’il y a eu dans lEglisedes femmes assez illustres classez mortifiées : sainte Catherine de Gênes, sainte Catherine de Sienne, sainte Chantai, sainte Claire, sainte Elisabeth de Hongrie, la bienheureuse Marguerite-Marie et sainte Thérèse. Beaucoup de grands liouunes sans doute ne furent point des ascètes, mais il y eut tant d’ascètes qui furent de grands hommes, ([u’on n’a vraiment pas le droit de penser et d’écrire (jue l’ascétisme chrétien déprime et abêtit. Quelques-uns do 315

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nos ascètes ont pu exagérer, nous serons les premiers à les blâmer, mais de grâce qu’on juge une pratique par l’ensemble, et non par quelques-uns de ses résultats.

Il ne faut pas l’oublier d ailleurs, la^doctrine cathoque, et l’ascétisme qui en fait partie, est une doctrine de Aie ; ce sont les doctrines humaines qui presque toujours sont des doctrines de mort ; à bien les voir dans leur fond, on trouvera que souvent elles amoindrissent en nous ou 1 esprit, ou le corps, ou la liberté, ou la personnalité, ou 1 action. « Le voleur ne vient que pour dérober, égorger, et détruire ; moi je suis venu pour que les brebis aient la vie et qu elles soient dans l’abondance. Je suis le bon pasteur. « (Joan., x, 10.) L’ascétisme, loin d’amoindrir l’intelligence, lui permet, en se dégageant du corps, d’élargir son horizon, de contempler la vérité de plus haut et d’y pénétrer plus avant ; en se dégageant de l’orgueil, de recevoir plus directement les rayons de la Aérité que n’arrêtera pas l’écran de l’amour propre ; l’ascétisme, loin d’amoindrir la volonté par l’obéissance, l’y trempe et l’y déAeloppe. Pour nous aider à Aouloir, il faut souvent nous servir de la Aolonté d’un autre ; c’est du bon sens avant d’être de la psychothérapie. Si celui qui nous aide à vouloir n’est pas pour nous simplement vm homme^ mais le représentant de Dieu, si, pratiquement, lui obéir c’est obéir à Dieu, quelle influence n’aura pas sa Aolonté sur la nôtre, et de quelle force ne disposera-t-il pas pour nous faire Aouloir ! L’ascétisme, en soumettant notre volonté à Dieu ou à son représentant, est donc pour nous le plus sîir moyen pratique de nous aider à vouloir, de fortifier notre Aolonté.

5) Du fait que dans presque tous les temps, chez presque toutes les nations païennes ou hérétiques, on rencontre un ascétisme, on conclut quelquefois que l’ascétisme chrétien ressemble à tous les autres ; l’ascétisme est une aberration à peu près générale de la nature humaine ; partout où elle se manifeste, il faut la réprouA’er.

11 n’est jjas exact de dire que l’ascétisme chrétien ressemble à tous les autres. Dans l’Inde, dans la Perse, en Grèce, en Egypte, chez les Juifs, comme chez les montanistes, gnostiques, manichéens, albigeois, Aaudois, frères apostoliques, flagellants, protestants, schismatiques, on trouve sans doute des pratiques extérieures d’ascétisme qui ressemblent à celles des catholiques : célibat, vie commune, abstinences, jeûnes^ mortifications coi’porelles ; et il n’y a point à s’en étonner : la nature humaine est partout la même, les moyens de la mortifier doivent donc être partout à peu près les mêmes. Mais ce qui fait la Aaleur de ces mortifications extérieures, c’est le but où elles sont dirigées, la fin que l’ascète se propose. Dans l’ascétisme païen, chez les sectes hérétiques ou dissidentes, presque toujours ces pratiques

— qui souvent sont déjà ridicules en elles-mêmes par quelque côté — sont viciées par l’orgueil, et elles ne disent cpi’à contenter l’amoui- propre. L’ascétisme chrétien, au contraire, tel au moins que l’exige la doctrine catholique, ne doit jamais se séparer de l’hiuuiUté, et j’ajouterais volontiers du bon sens ; il n’a d’ailleurs pas d’autre fin que d’unir l’âme à Dieu dans et par la charité affective et effective.

On peut encore ajouter que l’ascétisme chrétien est essentiellement actif et non paresseux, comme l’ascétisme de l’Inde : à ses moines, il a presque toujours fait une obligation du travail manuel et du travail intellectuel, qui aide à la contemplation et à lapostolat ; on connaît assez les services rendus par les premiers ascètes chrétiens qui transcrivirent la Bible ou les écrits des Pères (Dom Besse, Le moine

bénédictin, Ligugé, 1898, p. 185 sqq. ; Les Moines d’Orient, Paris, 1900, p. 335 sqq., 3^8 sqq., 445 sqq. ; Paul Allard, Les Esclaves chrétiens, saint Basile ; MoNTALEMBERT, Les Muines d’Occident, p. lvu sqq., Lxxiv sqq. ; on peut consulter aussi les Règles de saint Pacome, P. L., t. XXIII, de saint Basile, P. G., t. XXXI, de saint Macaire, P. L., t. GUI, etc.).

En outre, l’ascétisme chrétien est éminemment social et apostolique. Toujours il s’est dévoué aux œuvres de charité : il fait l’aumône, donne l’hospitalité, soigne les malades, assiste et délivre les prisonniers ; par ses exemples, son autorité morale, ses prédications, il exerce une haute influence, réprime les scandales, et quand le bien de l’Eglise est en cause, il n’hésite pas à donner de hautes et dures leçons aux princes et aux évêques eux-mêmes. Il est à la portée de tous et non point seulement des castes de privilégiés. Autant d’idées qu’il faudrait développer l’histoire en main, pour en comprendre la vérité et en saisir toute la force apologétique.

Me permettra-t-on de remai-quer, en terminant, que plusievu-s philosophes contemporains, partisans du plus pur positivisme, en arrivent à proclamer la nécessité du renoncement, c’est-à-dire de l’ascétisme. (( La Aie a deux faces, écrit M. Guyau {Esquisse d’une morale sans obligation fti sanction, 1. I, c. 2) : par l’une elle est nutrition et assiaailation, par l’autre production et actiA-ité. Plus elle acquiert, plus il faut qu’elle dépense, c’est sa loi… Il y a une certaine générosité, inséparable de l’existence, et sans laquelle on meui’t, on se dessèche intérieui-ement. Il faut fleurir ; la moralité, le désintéressement, c’est la fleur de la Aie humaine… Nous sommes bien loin de Bentham et des utilitaires, qui cherchent à éAiter partout la peine, qui Aoient en elle l’irréconciliable ennemie ; c’est comme si on Aoulait ne pas respirer trop fort, de peur de se dépenser, w

Spencer, malgré ses efforts pour ramener l’altruisme à l’égoisme, n’en est pas moins forcé de reconnaître le fait de l’abnégation, du renoncement, abnégation, renoncement qui grandissent à mesure que l’individu s’élèAc, et il écrit :’( Le sacrifice de soi n’est donc pas moins primordial que la conservation de soi. »

Max XoRDAU avoue que la civilisation a eu pour grand objectif « de dompter la concupiscence », et d’élcvcr l’homme au-dessus « du carnassier Aoluptueux ». L’effort fait par la civilisation doit être aussi l’effort de chaque indiAÎdu ; il nous faut lutter contre les ennemis du dedans comme contre ceux du dehors. Toute civilisation, toute société a « pour première prémisse l’amour du prochain et la capacité du sacrifice : le progrès est l’effet d’un asserA-issement toujours plus dur delà bête dans l’homme, d’un refrènement de soi-iuéme toujours plus séAère, d’un sentiment du deA’oLr et de la responsabilité toujours plus délicat ».

M. Payot, dans l’Education de la Volonté, recommande un grand nombre des pratiques de l’ascétisme chrétien, la méditation, aA’ec résolutions grandes et petites, universelles et de détail, d’orientation et de pratique immédiate ; il Acut même qu’on fasse des retraites, non pas une fois, mais trois fois par an. De plus, il faudra « dans le com-ant de l’année scolaire, se ménager de nombreux instants de réflexion sur soi dans les intervalles de l’action. Le soir en s’endormant ou la nuit lorsqu’on s’éAcille, ou dans les moments de repos, quoi de plus facile que de renouA-eler ses bonnes résolutions ? quelle occupation plus utile encore le matin lorsqu’on s’éAcille, pendant qu’on s’habille, qu’on se rend à son travail, que de faire rcvcrdir la plante des bons désirs ? » (p. 131, 28’édit.). Si M. Payot connaît les Exercices de SJgnacBj je crois qu’il lui a été diflîcile de ne pas se souvenir

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de leur enseignement en écrivant ces lignes ; s’il les ignore, il sera peut-être intéressant pour lui de savoir (jue, près de quatre cents ans avant lui, le fondateur de là Compagnie de Jésus choisissait déjà, pour la formation de la volonté, les moyens qu’il devait luijiième choisir un joiu-. Décidément, par certains rôtés, le nouveau est toujours vieux.

Il n’est pas enfln jusqu’aux pires adversaires de lascétisme >DI. Séailles et Izoulet, qui, même aux jiages où ils l’attaquent, ne lui fournissent des arguments pour se défendre (Léonard de Vinci, préface XIII ; La Cité moderne, p. 496). La vérité a de . I ^ retoiu-s de logique Aictorieux (Cf. Lucien Roure, Doctrines et Problèmes, p. 242-267).

Aug. Hamox.