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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Coeur de Jésus (Culte du)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 291-302).

CŒUR DE JÉSUS (CULTE DU). —
I. Objet de ce culif. — 11. Valeur symbolique du cœur. — III. l’adoration due au cœur corporel de Jésus-Christ. — IV. Si le culte du sacré Cœur est matérialiste. — V. Fruits et effets de ce culte. — VI. Sa portée. — VIL Approbation donnée par l’Eglise. — VIII. Si Benoit A’IV lui fut hostile. — IX. Ses origines. — X. Les promesses divines en sa faveur. — XI. Légitimité de son rayonnement social. — XII. Compromissions politiques.’I. Objet du culte du sacré Cœur. — Il est bien

entendu que tout culte d’adoration rendu à Jésus-Christ s’adresse à sa personne même. Toutefois la personne est susceptible d’être envisagée sous divers aspects, considérée dans diverses circonstances, dans l’accomplissement de telle ou telle action, dans la manifestation plus spéciale de l’une ou l’autre de ses qualités. De là vient la pluralité des fêtes de Notre-Seigneur dans la liturgie chrétienne, la pluralité des dévotions dont il est l’objet de la part des fidèles.

Or, un des traits dominants dans la personnalité du Sauveur, c’est l’amour. « Dieu est charité », et le Fils de Dieu s’est fait homme par amour et pour aimer, ne se proposant d’autre but que de vouloir et de procurer la gloire de Dieu et le l)ien de l’humanité. Par là nous nous trouvons invites à honorer Notre-Seigneur en tant que rempli d’amour pour nous, en tant qu’agissant sous l’empire de son amour pour nous. Et s’il est juste d’honorer cet amour en célébrant une à une, dans le détail, les actions qui en sont autant d’effets et de marques, ne sera-t-il pas également à propos d’honorer Xotre-Seigneur, ami des hommes, dans l’ensemble et la généralité de son amour pour nous ?

Toutefois cet amour de Xotre-Seigneur envers nous devra, pour constituer un véritable objet de culte chrétien, se présenter sous les dehors d’une expression sensible. Ainsi l’exige une loi foncière de la nature humaine, que la vraie religion ne saurait méconnaître : nous ne nous mettons en rapportavec le spirituel que par le moyen et le secours du sensible.

« C’est, remarque Bossuf.t, une loi établie pour

tous les mystères du christianisme qu’en passant à l’intelligence, ils se doivent premièrement présenter aux sens, et il l’a fallu en cette sorte pour honorer celui qui étant invisible par sa nature a voulu paraître pour l’amour de nous sous une forme sensible. » (Sermon sur la parole de Dieu, Œuvres oratoires, édit. Lebarq. t. III, p. 58 1.) Où prendre ce signe sensible de l’amour ? Il en est un tout indiqué, naturel, intelligible à tous, usuel : c’est le cœur. Le cœur de Xotre-Seigneur, son cœur corporel, son cœur de chair, voilà donc un objet matériel qui, en même temps qu’il peut être atteint parles sens et représenté dans l’imagination, suggère à l’esprit la pensée de l’amour qu’a éprouvé et dont s’est inspiré le Sauveur.

L’assemblage harmonieux dti cœur corporel de Jésus-Christ et <le son auu)ur pour les hommes — le cœur symbolisant l’amour, l’amour symbolisé par le cœur — tel est lobjct [jropre du culte du sacré Cœur de Jésus.

Mais, tout en étant cela essentiellement et en substance, le culte du sacré Civur, par une extension légitime et forcée, déi)asse ce domaine iirimordial. Il 567

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englobe tout ce qui est en connexion avec l’amour, s’y rattache, l’accompagne ou en procède. La parole de BossuET sur les passions « … posez l’amour, aous les faites naître toutes…) (De la connaissance de Dieu et de soi-même, ch.i, §6) est juste pour l’Homme-Dieu comme pour nous ; la vie sensible et volontaire et la vie morale se tiennent si étroitement que l’une ne va pas sans l’autre ; en outre, en matière d, e culte surtout, le passage du cœur et de l’amour à la personne aimante s’effectue de soi-même : autant de raisons pour lesquelles l’objet, amplilié si l’on veut, mais normal, du culte du sacré Cœur n’est rien de moins que Jésus-Christ, considéré et honoré dans son amour, dans l’ensemble de ses sentiments et de ses émotions, dans ses joies et dans ses douleurs, dans ses déterminations et ses acceptations, dans la pratique des vertus dont il fut le modèle, dans sa vie intime et profonde tout entière, dans ses actions mêmes et ses démarches, accomplies qu’elles sont sous l’influence des motifs intérieurs. — Il résulte aussi de pareille extension que le culte du sacré Cœur ne s’en tient pas à honorer seulement l’amour de Jésus pour les hommes — amour, au reste, déjà tout pénétré de l’amour pour son Père — mais, parce que ce culte arrive à prendre Jésus dans sa vie intime complète et ses vertus, ilen vient à l’iionorer notamment dans son amour pour Dieu.

L’amour de rHomme-Dieu, tout cet amour, pris non seulement en lui-même, mais encore dans ses appartenances, dans ses tenants et aboutissants, voilà le « plus grand >. objet, mais l’objet toujours véritable et justifié, du culte du sacré Cœur.

II. Valeur symbolique du cœur. — Il est certain que, sinon d’une façon universelle et constante, du moins très communément, l’humanité a associé le cœur et l’amour, et employé l’un comme signe de l’autre : les idiomes, les locutions courantes, le langage des gestes, les croyances populaires, les œuvres littéraires, les ligurations graphiques et plastiques, des coutumes et des traits de mœurs l’attestent pour les époques et les régions les plus diverses. (Cf. D^ F. Andry, Beclierches sur le cœitr et le foie considérés au point de vue littéraire, médico-historique, symbolique, etc. Paris, 1858.) Fiit-il dénué de fondement, cet usage général suffirait, à lui seul, à conférer au cœur une valeur symbolique indéiiable encore que simplement conventionnelle, car le symbolisme est un langage, et en inatière de langage l’usage est souverain. Mais cet usage n’est pas seulement établi en fait, il est fondé en droit et sur la nature même des choses. En effet, nous sentons notre cœur intéressé dans nos émotions, nos passions ; nous remarquons par expérience un parallélisme, une corrélation entre le fonctionnement de notre vie affective et le fonctionnement de notre cœur. Il y a là une réalité psychophysiologique que nous constatons de façon expérimentale antérieurement à toute explication. Ce n’est pas sur l’explication à intervenir que pourra reposer, mais bien sur le fait d’expérience que repose d’ores et déjà, à bon droit, le symbolisme du cœur : le cœur est symbole naturel de l’amour, parce que entre lui et l’amoiu* existe et apparaît un rapport naturel.

De quelle nature est ce rapport ? Là-dessus les réponses ont varié selon l’état de la science physiologique. Durant de longs siècles, l’interprétation des philosophes, comme celle des savants, — jusques et y compris Bicuat, — aussi bien que du vulgaire, faisait du cœur le co-principe sensible, l’organe par lequel se produisaient et se ressentaient les sentiments, affections, émotions, en particulier l’amour, le courage, la joie et la peine. Les théories scientifiques

actuelles, tout en ruinant les hypothèses non vérifiées et les assertions trop aisément reçues dans le passé, sont loin d’exténuer pour autant la portée du rapport physiologique entre le cœur et la vie affective : elles l’expliquent autrement, voilà tout. Claude Bernard place dans le système nerveux l’action primitive de toutes les sensations et l’excitation qui en résulte ; comme les autres viscères, le cœur n’est affecté que secondairement, mais il est celui de tous les organes qui ressent le plus et le plus vite l’influence des excitations sensitives déterminées dans les centres nerveux. Non seulement le trouble même de son rythme normal accuse la nature de l’excitation venue du cerveau, mais, en outre, la circulation du sang se trouvant par là modifiée, le cerveau en subit une réaction qui, par le jeu subséquent des nerfs, puis des muscles, s’étend dans l’organisme. « Les sentiments que nous éprouvons sont toujours accompagnés par des actions réflexes du cœur ; et, bien que le cerveau soit le siège exclusif des sentiments, c’est du cœur que viennent les conditions indispensables de leur manifestation au dehors. L’expression de nos sentiments résulte d’un échange continuel d’influence entre le cœur et le cerveau. » (Claude Bernard, Etude sur la physiologie du cœur [1865], publiée notamment dans le volume-recueil La science expérimentale, Paris, 1878, et édit. suiv.) Un physiologiste russe, E. Cyon, après avoir approfondi et précisé la nature des connexions nerveuses entre le cœur et le cerveau, aboutit à des conclusions analogues(/.e cœur et le cerveau, discours à l’Académie de Saint-Pétersbourg [iS^S], traduit dans la Revue scientifique du 22 novembre 18^3) : le cœur serait un organe où ii-aient se répercuter admirablement tous les états passionnels, et la conscience que nous prendrions de ces états passionnels ne serait autre que notre connaissance intime — par le moyen des nerfs et du cerveau — de l’infinie diversité des oscillations et des variétés des battements cardiaques. (Cf. F. Papillon, Les passions d’après les travaux récents de physiologie et d’histoire naturelle, article dans la Revue des Deux Mondes du 15 décembre 18y3.) Selon la remarque de M. Th. Ribot (La psychologie des sentiments^, Paris, igo6, p. 118), « Claude Bernard et, après lui, Cyon ont pris à tâche de justifier les expressions populaires siu" le cœur, de montrer qu’elles ne sont pas de simples métaphores, mais le résultat d’une observation exacte et qu’elles peuvent se traduire dans la langue physiologique ». G. Sergi, dans son livre Doloree Piacere (Milan, 1894), revu et traduit en français sous le titre Les Emotions (Paris, igoi), se montre partisan d’une théorie « périphérique », suivant laquelle les phénomènes affectifs se développent primitivement dans les organes de la vie de nutrition, ce qui l’amène à dire dans sa préface : « Il y a fort longtemps que l’expérience Aulgaire place le siège des sentiments dans la région du cœur… Je tente une démonstration scientifique de l’expérience Aiilgaire… » Dans sa Psychologie des sentijnents*’, M. RiBOT explique comment tout n’est pas préjugé dans l’opinion courante qui fait du cœur l’incarnation de la vie affective : « Pourquoi le cœur, muscle dépourvu de conscience, se trouve-t-il érigé en organe essentiel et central des émotions et des passions ? C’est en raison de cette loi physiologique bien connue qui nous fait transférer nos états psychiques dans l’organe périphérique qui les communique à notre conscience. De tous les chocs qui nous frappent, il subit le contre-coup ; il reflète les impressions les plus fugitives ; dans rf)rdre des sentiments, aucune manifestation n’est hors de lui, rien ne lui échappe ; il vibre incessamment quoique différemment « (p. 118). Il va jusqu’à conclure, plus loin, en ces termes : 569

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« On comprend donc comment l’opinion populaire a

pu considérer le cœur comme le siège ou le générateur des émotions. C’est l’expression instinctive d’une vue très juste : l’importance souveraine, pour la vie affectiA^e, de l’action des viscères résumée dans un organe fondamental » (p. 119). — Mais alors, en ce qui concerne la vie affective, quelle est la part d’action du cerveau ? M. Ribot déclare admettre, d’accord avec G. Sergi, que « le rôle du cerveau dans la genèse des états affectifs a été surfait ; il n’agit que de deux manières : comme moyen de rendre conscients tous les troubles de la vie organique, base physique des sentiments ; comme cause d’excitation par le moyen des idées » (p. 128). — En somme, les excitations, engendrées par des sensations ou des représentations mentales, proviennent ])ien du cerveau, c’est bien par le moyen du cerceau que sont ressentis les modifications et les troubles de la vie organique, mais il n’en est pas moins vrai qu’une correspondance intime et étroite règne entre les mouvcments du cœur et les états passionnels qui influent sur eux, que ces états nous deviennent conscients précisément par la conscience même que nous avons des altérations du rythme cardiaque, des variations dans la fréquence et l’amplitude des battements, et enfin que certains des symptômes extérieurs, indices de ces états passionnels, résultent de modifications dans la circulation du sang, suite directe des modifications survenues au cœur. — Si donc le cœur n’est pas un principe organique, l’organe de production des affections sensibles de l’homme, il en est, en revanche, l’organe de manifestation. L’examen scientifique établit que le rapport physiologique, perçu par l’expérience générale, entre le cœur et les passions, est un rapport d’expression. Pareille explication ne va qu’à confirmer la valeur symbolique attribuée au cauir, à le montrer comme d’autant mieux qualifié pour être la représentation expressive de l’amour.

Le rapport physiologique ne relie, il est vrai, d’une façon directe, le cœur qu’à l’amour sensible. Mais dans l’homme les opérations les plus spirituelles sont nécessairement accompagnées d’opérations sensiljles : pas d’idée qui aille sans image, pas d’amour supérieur, pas d’acte de la volonté qui aille sans affections sensibles. La faculté supérieure d’aimer et de vouloir est, en Aerlu de l’unité de nature, indissolublement unie à la puissance corporelle de sentir et de s’émouvoir. L’amour le plus élevé, de soi immatériel, a donc sa répercussion dans le cœ-ur par l’intermédiaire des émotions et passions, qu’il suppose ou qu’il détermine ; à son égard le cœur joue encore le rôle d’organe de manifestation. Par suite, c’est l’amour humain tout entier, dans son ensemble cojnplexe, que le cœur est apte à signifier et à exprimer.

Mais en Jésus-Christ, comme il y a deux natures, il y a deux amours : l’amour humain, tant spirituel que sensible, et l’amour incréé. Le cœur de l’Homme-Dieii pourra-t-il symboliser la charité divine ? Outre le rapprochement provenant de l’analogie, l’amour créé se rattache à l’amour incréc par un lien intime de causalité, d’iiiq)ulsion reçue, de régulation et de sujétion, si bien que l’un ne se sépare pas de l’autre et qu ainsi le syndiole incontesté de l’un éveillera, en plus, par association, la i)ensée de l’autre, et, partant, sera indirectement symbole de l’amour incréé comme il est direcleiuent synd)()le del’anumr humain. On peut dire encore <{nc si, ; iu point de dé|)art de la signification, le cœur est symbole naturel et spécial de l’amour sensible, l’acception de l’emblènie va s’élargissanl et qu’il s’étend à symboliser indistinctement et sans restriction tout l’amour, tout amour de la personne dans la poitrine de laquelle il vil. Le cœur d’une personne symbolisant ainsi, d’une façon

générale, l’amour que peut avoir cette personne, et, d’autre part, la personne divine de Jésus nous portant, en vertu de l’union hypostatique des deux natures, non seulement une affection sensible et un amour de volonté humaine, mais aussi un amour divin, il semble parfaitement admissible que son cœur symbolise ces amours dans leur plénitude et leur totalité. Le cœur de Jésus est le cœiu* d’une personne divine, il est le cœur du Verbe incarné, il représente donc tout l’amour que le Verbe incarné a pour nous.

111. L’adoration due au cœur corporel de Jésus.

— Le cœur de Jésus est d’autant plus apte à servir d’élément sensible dans l’objet d’un culte spécial qu’il est, lui-même, digne d’adoration.

L’humanité de Jésus-Christ est adorable du culte suprême de l’adoration proprement dite, non pas certes pour elle-même, chose créée et iinie, mais à raison de son union à la personne du Verbe divin. Ce n’est point simplement une adoration semblable, mais bien une seule et même adoration, qui est due à la personne divine et à ce qui subsiste en elle et par elle. Le motif du culte rendu à la nature humaine du Sauveur est sa prise en possession par la personne divine, mais, comme objet de culte, cette humanité est adorable directement, immédiatement, en soi ; elle présente un terme matériel à qui peut s’adresser l’hommage d’adoration. Cela est Arai de l’humanité du Christ ; cela est vrai aussi de chacun des éléments, de chacune des parties dont elle se compose. En conséquence de l’union hypostatique le corps de Jésus-Christ est la propre chair de Dieu, son camr est adorable comme le propre cœHir de Dieu.

Toutefois la situation changerait radicalement, bien entendu, au cas où, par un effort d’abstraction, on s’attacherait à envisager l’humanité, ou une portion de l’humanité du Christ, comme séparée de la personne divine, à rompre ainsi par une hypothèse toute fictive l’union hj’postatitjue du Verbe avec l’humanité, en Aertu de laciuelle. d’ailleurs, cette humanité même et chacune de ses parties subsistent et existent en réalité. Ceux qui firent opposition au culte du sacré Cœur, principalement dans le dernier tiers du XAiii"^ siècle, menèrent grand bruit autour de cette Aerité élémentaire, prétendant que le culte attaqué par eux importait justement cette division et cette séparation ; que, par suite, l’on n’adorait le canir de Jésus qu’en ruinant par le fait même les raisons d’une adoration légitime ; qu’enfin l’adoration ainsi rendue à une portion de sinq)le humanité était pur nestorianisme. L’accusation est fausse, au point de manquer même de A’raisemblancc, et dénote une ignorance surprenante de la question de fait. De tous les ouvrages antérieurs où le culte du sacré Ca’ur avait été l’objet d’un exposé doctrinal, des mémoires et rapports présentés à la Congrégation des Rites pour l’obtention de la fête, du fond même et des formules du culte, il ressortait, sans aucun malentendu possible, que le culte du sacré Cieur prend le cœur de Jésus non pas imaginaireinenl détaché de l’humanité ou séparé du Verbe — à quoi rimerait cette invcntion ? — mais tel qu’il existe dans la réalité, en pleine vie, coexistant à toutes les autres parties de l’humanité sans que celles-ci soient exclues même numtalement, subsistant avec l’humanité totale dans la personne du Vei-be, et ([u’on y adore la personne dans son ca^ur ainsi que le cœur dans la personne. Néanmoins l’imputation mensongère fut maintenue avec tant de persistance et d’alfectation que dans la Bulle Auctoiem fidel, PiK VI eut à la repousser ; il le fil en condamnant la 63* proposition du synode janséniste de Pistoie, aux termes de hupielle ceux qui adorent le cœur « oublient que la chair très sainte du Christ, ou toute partie de 571

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celle-ci, ou même l’humanité tout entière, si on la sépare ou si on fait abstraction de la divinité, ne peut être adorée d’un culte de latrie » ; et en rétablissant la vérité de fait, (( comme si, expliquait-il, les tidèles adoraient le cœur de Jésus en le séparant ou en faisant abstraction de la divinité, tandis qu’ils l’adorent comme le cœur de Jésus, c’est-à-dire le cœur de la personne du Verbe, à laquelle il est inséparablement uni… » (Denzinger-Baxxwart, Enchir. <<’, n. 1563.)

Dans le même ordre d’idées les Jansénistes, en vue d’une application au culte du sacré Cœur, avaient aussi tenté de glisser une équivoque tendancieuse au sujet du mot « directement », tâchant de le faire passer pour synonyme de « séparément, isolément, à part », ce qui eût fait du culte irréprochable adressé directement à riiumanité (ou au cœur) de Jésus-Christ, un culte nestorieu de l’hunianité (ou du cœur) considérée ou adorée séparément, à part, isolément. Dans la même Bulle, Pie VI démasque cette fourberie dont avait usé le synode de Pistoie dans la rédaction de sa 61^ proposition ; il déclare x fausse, captieuse, dommageable et injurieuse au culte pieux et mérité que les fidèles rendent et doivent rendre à l’humanité du Christ » la proposition qui prétend que « adorer directement l’humanité du Christ et plus encore une partie de celle-ci, sera toujours un honneur divin accordé à la créature ; en tant que par le mot directement cette proposition entend réprouver le culte d’adoration que les lldèles dirigent vers Ihumanité du Christ, comme si une telle adoration, par laquelle l’humanité et spécialement la chair viviliante du Christ est adorée, non assiu’ément à cause d’elle-même et en tant que chair seulement, mais en tant qu’unie à la divinité, était un honneur divin accordé à la créature et non pas, bien au contraire, cette seule et même adoration par laquelle le Verbe incarné est adoré avec sa propre chair (selon le second concile de Constantinople, 5’œcuménique, canon 9) » (Enchir. <", n. 1561). Cf. Gerdil, Animady. ad notas Feller ; de prop. Lxi, § II.

Pour les raisons mêmes qui viennent d’être données, le culte du sacré Cœur ne présente pas la moindre base à l’analogie compromettante que les mêmes adversaires s’ingénièrent à supposer entre lui et l’opinion, un moment fameuse, du P. Berruyer sur la tiliation divine (Histoire du peuple de Dieu, 2= part. Ispécialement t. VIII], la Haye, i^SS ; 3= part., Amsterdam, 1769). Suivant un système théologique de son cru, ou hérité plutôt du P. Hardouin, le P. Berruyer comprenait la iiliation divine comme effet de l’union non éternelle de la nature humaine avec le Verbe, en sorte que c’est en son humanité que Jésus-Christ eût été constitué « Fils de Dieu », du fait de l’union hypostatique de cette humanité avec une personne divine, — ce qui ne laissait pas, cpioi qu’en eût l’auteur, d’entraîner une certaine dualité de personne et sentait le nestorianisme. Pur de toute tache nestorienne, le culte du sacré Cœur n’a rien de commun tant avec les conséquences qu’avec les principes d’une telle doctrine. Il est à remarquer, par ailleurs, que ni le P. Berruyer, ni aucun de ses rares adeptes n’avait eu la malencontreuse pensée de faire application de cette théorie singulière pour expliquer les fondements théologiques du culte du sacré Cœur.

Ainsi donc entre le système et le culte, pas de lien doctrinal, pas même de lien accidentel qui autorisât un rapprochement quelconque. Celui que prétendirent trouver les Jansénistes fut tout artificiel et de leur invention.

IV. Si le culte du sacré Cœur est matérialiste.

— Le culte du sacré Cœur a été taxé de matéria lisme. Au xviii* siècle, les Jansénistes, italiens, français ou allemands, étaient prodigues de cette accusation. Elle a été maintes fois rééditée au xix’siècle, soit par des spiritualistes déistes, soit, chose plaisante, par des matérialistes avérés peu conséquents avec eux-mêmes. Elle repose sur vine méconnaissance de la nature humaine ou, plus souvent, sur une méconnaissance de l’objet véritable du culte en cause.

La vraie religion est religion d’esprit et de vérité, mais « s’imaginer que des objets sensibles ne sont pas nécessaires pour monter vers Dieu pai" la connaissance et l’amour, c’est oublier qu’on est homme. » (S. Thomas, Cont. Gentil., 1. III, c. 119.) Telle fut la doctrine constante de l’Eglise, toujours mise en pratique dans sa liturgie, tel fut l’enseignement de tous ses docteurs : elle a condamné les iconoclastes, les Béguards, la fausse mystique qui se détourne de l’humanité du Christ. C’est que nous ne sommes, selon le mot de Pascal, ni anges, ni bêtes, mais hommes, composés de corps et d’àme, et que nous portons jusque dans nos rapports avec notre Créateur les conditions de l’humaine nature. L’image et le mot matérialisent l’idée ; dans le regard d’un ami nous cherchons l’expression matérielle de son invisible affection, que nous retrouvons encore dans les gages et les souvenirs qu’il nous en laisse : autant de conséquences — et combien d’autres à citer — de notre propre matérialité. De même, dans l’ordre religieux, nous devons recourir aux symboles sensibles, et lorsque le culte du sacré Cœur présente à nos adorations un élément physique et corporel, il a le mérite de s’harmoniser avec les tendances et les besoins fonciers de notre humanité.

L’accusation de matérialisme a été portée la plupart du temps par des esprits prévenus, qui se figuraient bonnement, ou feignaient de croire que le culte était l’cndu au cœur de Jésus pris à part, comme une sorte de relique matérielle, rendu isolé par un travail mal défini de division et d’abstraction, séparé de l’ensemble de l’humanité du Christ, cessant de participer et à sa vie humaine et même à l’union avec la divinité. Et alors viennent naturellement les appellations outrageantes d’idolâtrie, de fétichisme, de paganisme, etc. On a vu plus haut combien est inexacte cette conception incohérente. Le cœur de Jésus est adoré sans division ni séparation d’aucune sorte, comme le cœur vivant du Verbe incarné. Il est viscère corporel, assurément, mais chair vivifiée par l’àme, éprouvant le contre-coup vital des sentiments et des émotions, mais chair hypostatiquement unie à une personne divine. Voilà qui rehausse et ennoblit singulièrement la matière, et qui, tout en laissant intact son caractère propre, lui confère une valeur et une dignité inestimables, associée qu’elle est, d’une alliance intime et indissoluble, aux réalités les plus sublimes. Ces réalités suprêmes, le culte rendu au cœur corporel les atteint : ce sont elles qui l’inspirent et le motivent, et elles font ainsi de lui un culte de nature hautement spirituelle.

Et encore ce cœur adorable ne compte-t-il dans l’économie du culte du sacré Cœur, que comme un des éléments combinés, comme l’élément secondaire, subordonné, auxiliaire, sei’vant à exprimer par son symbolisme l’élément spirituel, qui, lui, fait l’objet principal du culte : l’amour de Jésus-Christ pour les lionunes, son humaine et divine charité, et, par extension, son amour pour Dieu, ses sentiments, ses vertus, sa vie intime entière. Qui peut parler ici de matérialisme ?

Ces explications concordent pleinement avec la déclaration qu’énonce, en termes plus succincts, une phrase souvent citée de la lettre de blâme et de réfu573

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talion adressée, le 29 juin 1781, par Pie VI à l’évêque de Pistoie et Prato, Scipion de Ricci, un des porteparole les plus notables du jansénisme : « Le Saint-Siège a déjà assez claii-erænt montré que la substance de "la dévotion au sacré Cœur de Jésus, exempte assurément de toute matérialité superstitieuse, consiste exactement à méditer et à vénérer, sous l’image symbolique du cœur, l’immense charité et les effusions d’amour de notre divin Rédempteur. » (Cf. NiLLES, De rat. fest. SS. Cordis^, t. I, p. 344-34Ô.)

V. Frmts et effets du culte du sacré Cœur.

L’exercice de religion qui consiste à remarquer,

méditer, honorer, d’une façon habituelle ou au moins fréquente, l’amour de Notre-Seigneur, sa vie intime, svmbolisés dans son cœur, ne va pas sans effets produits dans l’àme du chrétien. Le principal résultat, et le plus immédiat, est de rappeler et de faire sentir plus vivement à quel point nous avons été aimés par Jésus-Christ et de nous porter ainsi à reconnaître cet amour par un retour, bien dû, d’affection, d’attachement, de dévouement, de conlîance, de générosité. .. L’acte propre de la dévotion au sacré Cœur est lacté d’amour sous ses formes variées de tendresse profonde, de gratitude, de louange, de désir de plaire, de service, de zèle actif, de compassion, de dédommagement par réparation et compensation,

— acte d’un amour affectif sans doute, passionné peut-être, mais surtout effectif, s’afTirmant par les œuvres et l’observation de la loi, selon la grande leçon du Maître : « Celui qui a mes commandements et qui les garde, c’est celui-là qui m’aime » (Jean, xiv, 21) ; l’amour du prochain en découle : il faut aimer ceux qui sont si chers à Jésus-Ciirist ; la culture des vertus et des disjiositions chrétiennes en est une application : l’amour appelle, en effet, la conformité de vues et de conduite, et qui vénère la vie morale de l’Homme-Dieu prend pour soi, en la généralisant, la recommandation de saint Paul : « Ayez en vous les mêmes sentiments dont était animé le Christ-Jésus. » (Philip., ii, 5.) En outre, le culte du sacré Cœur est de nature à mieux faire comprendre et réaliser les rapports personnels et intimes qui relient les fidèles au Sauveur, et à leur donner un rôle plus explicite, plus important, plus marqué dans la vie religieuse du chrétien. La pratique générale de ce culte se ramène donc à rendre à Notre-Seigneur aimant amour pour amour ; les diverses pratiques particulières ou exercices spéciaux de cette dévotion, sont autant de moyens d’exprimer et de témoigner à Notre-Seigneur cette réciprocité d’amour, d’établir, fortiûer et aviver en nous notre amour envers lui, d’en pénétrer davantage notre vie.

Tels sont, et logiquement, les fruits portés par le culte du sacré Cœur : ils dénotent une dévotion solide et virile, non pas, comme on l’a trop de fois répété sans preu^’es, une piété mièvre, alanguie et superficielle. En demeurant dans la vérité, nous sommes loin du « charmant quiétisme >> dont a parlé Taink {Voyage en Italie, Paris, 1866, t. l, cli. vni, p. 496). plus loin encore de la sentimentalité malsaine et pernicieuse que i)rétend MïcnKhur (pass i iii, et notamment dans son Histoire de France, éd. défin., t. XIII. ch. vin). Comme trop de détracteurs de cette dévotion, ces écrivains se sont payés de mots : sans enquête, sans contrôle, ils ont brodé de chic sur le premier tlième venu, que le seul terme de « cœur », prononcé en matière religieuse, eût évoqué dans leur imagination dépaysée. Cela surprend chez ïaine, d’ordinaire plus soucieux d’exactitude ; de la part de Michclet.cela va de soi : sur ce point comme sur tant d’autres, esprit dérangé, àme de basse scnsualilé en éveil, il a divaguéà sa fantaisie et mesure à son aune.

VI. Portée du culte du sacré Cœur. — Tou en étant une dévotion spéciale et nettement détert minée, la dévotion au sacré Cœur présente un caractère de généralité, d’universalité, en ce qu’elle honore explicitement et directement non pas une manifestation particulière de la charité de Jésus-Christ, mais la personne de Jésus-Christ dans la totalité même et la plénitude de son amour. En outre, dans sa pratique, elle ne se borne pas à inspirer tels ou tels exercices de piété, mais elle constitue une attitude et une disposition d’ensemble : c’est à orienter et à animer la conduite entière de la vie religieuse que s’étend l’esprit qui lui est essentiel.

Le christianisme est la religion de Jésus, le Dieu-Homme médiateur ; le culte du sacré Cœur nous unit avec Jésus en rapports intimes et personnels. Le christianisme est en substance l’amour de Dieu pour nous en Jésus, notre amour pour Dieu en Jésus ; de ces deux termes, le culte du sacré Cœur a l’un pour objet, l’autre pour fin. Ainsi se trouvent justifiées les paroles de Mgr Pie, si affirmatives en faveur de l’excellence de ce culte et de sa haute portée : «. Le culte duCœurde Jésus, c’est la quintessence même du christianisme, c’est l’abrégé et le sommaire substantiel de toute la religion… le christianisme ne saurait être identifié aussi absolument avec aucune autre dévotion comme avec celle du sacré Cœur. » (Lettre synodale, décembre 185^, Œu%res, t. III, p. 87-88.)

VIL Approbation donnée par l’Eglise. — C’est au fait dètrc passé du domaine de la dévotion simplement privée dans celui de la liturgie, que le culte du sacré Cœur a dîi, en partie, sa propagation rapide, à partir d’un certain moment, parmi les fidèles. Mais il n’a pu devenir liturgique que par autorisation de l’Eglise enseignante et gouvernante. Les initiatives ayant été locales au début, les premières approbations formelles vinrent principalement de l’épiscopat. C’est sous le contrôle et avec l’agrément de l’Ordinaire qu’ici ou là furent publiés les traités relatifs à la dévotion au sacré Cœur, érigées les confréries et les chapelles, établie et célébrée la fête spéciale, avec permission assez souvcnl de se servir à cet etTet d’une messe et d un office propres. (Cf. A. Le Doué, Les Sacrés-Cœurs et le vén. Jean Eudes, Paris, 1891, part. I, ch. xii-xiii ; A. Hamox, Vie de la B. Marguerite-Marie, Paris, 1907, ch. xii ; J. dk Galliffet, L’excellence de la dé’otion au Cœur adorable de Jésus-Christ, édit. de Lyon, l’^li’i, part. I, ch. 11.) Que si, sur ce dernier point, les évêques s’attribuaient, de bonne foi d’ailleurs, un pouvoir d’innovation, qui, en rigueur de droit, ne leur appartenait pas, cela ne porte en rien atteinte à la valeur de leur jugement approbatif.

Dès la même époque — seconde moitié du xvii* siècle

— Rome se mettait à approuver implicitement et à encourager la dévotion publique au Cœur de Jésus par l’octroi de brefs d’indulgences à de plus en plus nombreuses confréries érigées canoniquement dans toute la chrétienté sous le titre du sacré Cœur de Jésus, confréries qui faisaient chaque année dans leurs chapelles la fête du sacré Cœur au jour désigné par les Ordinaires, conformément au pouvoir que leur en donnaient les brefs d’indulgences. (Cf. J. de Galliffet, oui’. et édit. cités, dédicace à Benoît XIV. Voir aussi le Mémoire présenté en 1728 par le Roi de Pologne et l’évêque (le Cracovie à la Congrégation des Rites, dans N. Nillcs, De rat. fest. SS. Cordis /e.sM », t. l, p. 66, et surtout le Mémoire présenté au nom des évêques de Pologne, en 1765. § 6, dans Nilles, op. cit., p. 128 et sqq.) En 1766 les confréries auxquelles de pareils brefs d’indulgences avaient été expédiés déjiassaicnt largement le millier. (Cf. Nilles, op. cit., t. I, p. a66 et sqq.) 575

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Dès 169’j, le Saint-Siège avait été sollicité d’accorder une faveur plus considérable : la concession d’un oflice et d’une messe propres. La réponse de la Congrégation des Rites l’ut, en 1697, puis en 1727, pratiquement ou formellement dilatoire. Une nouvelle tentative, en 1729, essuya un refus : il pouvait, de fait, sembler prématuré et d’un exemple trop entraînant, de décerner pareil honneur à une dévotion de diffusion récente et dont le caractère hors pair ne s accentuait pas encore aux yeux de tous assez fortement ; et puis, surtout, la Congrégation tenait à ne pas paraître se prononcer, fût-ce indirectement, dans une cjuestion philosophique à bon droit controversée, le postulateur, P. de Galliffet, ayant tiré argument du rôle du cœur considéré comme organe et coprincipe des affections. (Cf. Nilles, op. cit., t. I, p. 87 et sqq.) D’ailleiu-s, ce refus n’avait rien de définitif. Si bien, qu’en i^Gô, la même requête, reprise par l’épiscopat de Pologne et l’archiconfrérie romaine du sacré Cœur, appuyée par des princes et par un nombre croissant d’évêques et de hautes notabilités ecclésiastiques, obtenait gain de cause près de la Congrégation des Rites, qui, rapportant sa décision précédente, accordait aux solliciteurs l’oUîce et la messe propres demandés. (Cf. Nilles, op. cit.. t. I, p. 162.) Par la suite, le même privilège fut libéralement concédé

— parfois avec un rite plus élevé — à tous les diocèses. Etats, villes, ordres religieux, confréries, qui en exprimèrent le désir.

Une habileté janséniste fut, durant longtemps, de confondre deux questions distinctes : approbation du culte du sacré Cœur, concession d’une fête avec office propre. Ils faisaient par là entendre que Rome avait répugné et même s’était, un certain temps, positivement refusée à reconnaître comme légitime le culte du sacré Cœur, alors que, selon la lenteur prudente dont elle estcoutumière, elle avait seulement attendu le moment convenable pour reconnaître hautement à un culte — d’ailleurs approuvé depuis longtemps et sans hésitation — la dignité et l’importance que suppose une sanction plus solennelle. Le décret de 1^65 énonce, du reste, expressément qu’il n’a pour effet que de développer et d’étendre (arnpliari) un culte déjà existant et prospère. Au surplus, les luêmes adversaires tâchèrent de détourner le sens de ce décret, on aflirmant que la Congrégation des Rites condamnait équivalennnent le culte du Cœur symbole d’amour, par le fait qu’elle aurait autorisé uniquement le culte du cœur métaphorique — autrement dit, de l’amour à l’exclusion de tout élément corporel. Or, en réalité, le décret déclare viser à étendre le culte tel qu’il est établi, ayant pour but de « symhoUce reno^ari memoriam illius di’ini amoris… ». Seul le cœur corporel du Verbe incarné est et peut être dit symbole d’amour ; le cœur métaphorique, lui, n’est rien autre que l’amour même et ne saurait donc en être le symbole, le symbole étant forcément autre que la chose symbolisée. En outre, le décret de 1766 constitue une réponse directe au mémoire des évêqiies polonais, lequel spécifiait, au 5^ n-, n. 82, qu’il s’agissait « de Corde non translatitie snmpto, sed in propria ac nativa significatione accepto, videlicet ut pars est corporis Christi nobilissima… » (dans Nilles, op. cit., t. I, p. iiG).

D’une façon plus directement doctrinale, Pik VI, rendit un témoignage éclatant à la légitimité du culte du sacré Cœiu- : non content d’en avoir pris i)ersonnellement la défense en repoussant les attaques injurieuses de l’évêque janséniste de Pistoie et Prato (lettre du 29 juin 1781 à Scipion de Ricci), il condamna formellement les assertions et les imputations de ses détracteurs, dans la bulle Auctovem (idei, du 28 août 1794 (propos. 62 et 63. o’iv Bullnr. Roman. Continuai,

t. IX, p. 411j t)u Denzinger-Bannwart, Enchir. *o, 1 562-1 563).

Au cours du xix’siècle, le culte du sacré Cœur fut de plus en plus mis en honneur par la suprême autorité ecclésiastique. Le 23 aoîil 1 856, acquiesçant à une supplique de l’épiscopat français. Pie IX étend à l’Eglise universelle, en la rendant obligatoire sous le rite double majeur, la fête du sacré Cœur, que presque tous les diocèses avaient déjà obtenue isolément, à titre de privilège particulier. En 1864 la béatification de Marguerite-Marie apporte une sanction de plus à la dévotion que l’humble Visitandine a si admirablement contribué à promouvoir. Faisant droit à la requête de plus de cinq cents évêques et à d’innombrables pétitions des fidèles, le souverain Pontife approuve et recommande une consécration générale pour le 15 juin 1876. Toujours à la suite de sollicitations multiples et réitérées, Lkon XIII élève la fête pour l’Eglise entière au rite double de première classe, sans octave ni adjonction du précepte des fêtes chômées (Lettre apostolique du 28 juin 1 889), avec permission de remettre la solennité au dimanche (28 juillet 1897). Enfin par l’encyclique ^ «  «  « m sacrum du 25 mai 1899, le même pape ordonne la consécration du genre humain au Cœur de Jésus, prononcée dans toute l’Eglise le Il juin suivant.

VIII. La prétendue opposition de Benoît XIV.

— Un des lieux communs traditionnels de la polémique janséniste est de représenter le pape Bexoit XIV comme un antagoniste déclaré du culte du sacré Cœur. Emis en premier lieu par Scipion de Ricci, cet audacieux mensonge a été depuis lors soigneusement reproduit, Aoire accentué : dans un article sur le Sachû-Cœvh (Dictionnaire de la conversation et de la /eci » re2, Paris, Firmin-Didot, 1868) le poète classique ViENNET, de l’Académie française, ne va-t-il pas jusqu’à écrire que Benoît XIV appela ce culte « une idolâtrie » — pas d’indication de source, naturellement. Quand ces appelants inattendus à l’autorité d’un pape se mettent en peine de montrer qu’ils n’inventent pas de toutes pièces — cette inqirudence leur arrive parfois — ils se réfèrent iuA ariablement à un unique passage des œiivres de Benoît XIV, celui où l’auteur relate la conduite tenue par lui-même comme promoteur de la foi dans la question d’une fête à établir en l’honneur du sacré Cœur : De senorum Dei beatificatione et heatorum canonizatione, lib. IV, part. II, cap. xxxi, un. 19-25. A noter, en passant, que cet « ouvrage de Benoît XIV '> fut publié à Bologne dès 1784-1738, alors que son auteur occupait le siège archiépiscopal de cette Aille et ne devait monter sur le trône pontifical qu’en 1740. Assez peu importe, d’ailleurs ; venons au fait.

En 1726, sous le pontificat de Benoît XIII, la Congrégation des Rites fut saisie d’une demande, non pas d’approbation du culte du sacré Cœur, mais, affaire plus spéciale, d’institution d’une fête liturgique du sacré Cœur avec concession d’une messe et d’un oflice propres. La cause introduite avait pour Postulateur, chargé de la soutenir, le P. Joseph de Galliffet. Le Promoteur de la Foi, à cette époque, était le futur Benoît XIV, alors Prosper Lambertini, archevêque-évêquc d’Aiicône.

On sait en quoi consiste, dans la procédure de la Congrégation des Rites, l’intervention du Promoteur de la Foi.

Le rôle de ce personnage important est assez bien caractérisé par le nom, moins fastueux, qui lui est vulgairement appliqué d’Avocat du diable. Ce rôle est tout d’opposition, et d’opposition systématique. Ce que l’on demande au Promoteiu- de la Foi, ce n’est pas de donner son opinion et ses conclusions person577

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nelles, mais bien de contrecarrer le Postulateur, de susciter et de soutenir des objections, de signaler les points faibles et les inconvénients des mesures proposées, d’épuiser tous les arguments défavorables, aussi bien apparents que solides. « A lui de soulever des difficultés, tant de fait que de droit », ainsi parle Lambertini lui-même dans l’ouvrage indiqué (lib. I, c. XVIII, n. i). Prosjier Lambertini eut donc à remplir en I’526-1 727, ces fonctions d’opposant. Il s’appuya d’abord, par similitude, sur l’autorité de saint Bei-nard, blâmant les chanoines de Lyon d’avoir introduit la fête nouvelle de la Conception de la Sainte Vierge ; puis il s’attacha à établir que l’on ne pouvait, par contre, admettre l’analogie, invoquée par le Postulateur, entre les circonstances qui motivèrent l’institution de la fête du Corpus Christi et celles qui pouvaient motiver alors l’institution d’une fête du sacré Cœur ; enfin il prétendit que la façon dont le Postulateur présentait le cœur humain — comme comprincipe organique de la vie affective — impliquait solution d’un débat philosophique, que l’Eglise n’avait pas à dirimer. Voilà ce que Prosper Lambertini nous raconte lui-même en détail, voilà tout ce que l’on trouve dans ce passage de ses écrits dont les Jansénistes paraissent faire si grand état. Ils omettent, bien entendu, de faire remarquer que Prosper Lambertini n’avait pas à manifester là sa manière de voir, mais qu’il parlait d’office, à titre de Promoteur de la Foi, ayant pour mission de faire entendre tout ce qui pouvait être dit contre la requête examinée, et de ne faire entendre que cela. Les difficultés qu’il lit valoir — lesquelles d’ailleurs, fussent-elles décisives, laisseraient intacte la dévotion même du sacré Cœur — il les prenait si peu à son compte qu’il prolesta, à la suite de son travail, n’avoir rédigé toutes les remarques susdites (aniinadversiones) que pour s’acquitter des devoirs de sa charge. Cette note peut se lire dans la réimpression officielle de ces mêmes Remarques, faite à la reprise de l’affaire sous Clément XIII (PosiTio causai ; , Romae, typis Rev. Caméras apost., 1765, — part. UI, p. 8).

Dans le traité même sur la Canonisation des Saints (1. iii, c. LUI, n. g), lorsqu’il s’agit de la méthode critique à appliquer et des règles de discernement à suivre pour reconnaître la valeur des communications surnaturelles, Prosper Lambertini désigne comme faisant autorité dans la matière le Discours préliminaire dont Mgr Languet a fait précéder sa Vie Je Marguerite-Marie Alacoque, et où le prélat conclut très fermement à l’authenticité des révélations de Paray-le-Monial.

Un autre document, fort signiûcatif, indique lui aussi ce qu’il faut penser des dispositions et des vues réelles de Prosper Lambertini. En même temps qu’il avait remis son Mémoire à la Congrégation des Rites, le P. de GallilTet avait fait paraître à Rome en 1726 un livre en latin sur le culte du sacré Cœur. Dans la suite, l’ouvrage fut traduit en français. En i^^S une nouvelle édition fut publiée à Lyon, chez H. Declaustre. Le P. de Galliffet la dédia à Benoît XIV, pape depuis trois ans. Or, voici le début de l’épitrc dédicatoirc :

« Très Saint Père, prosterné aux pieds de

Votre Sainteté je prends la liberté de lui offrir un ()uvrage sur lequel Elle a un droit particulier ; puisque c’est à Votre Sainteté qu’il doit le jour. Daignez, Très Saint Père, rappeler dans votre souvenir ce qui se passa à Home à cette occasion l’an 1726. J’y étais Assistant du Général de Notre Compagnie. J’avais composé un Livre latin, De CuUa SS. Con/is Domini Nostri Jesu Christi, rpieje « U^diais au pape Benoît XIII, d’heureuse mémoire. Le IMaître du Sacré Palais à qui je demandai, selon les règles, la permission d’imprimer ce Livre, y trouva quelque difficulté : il me dit

que s’agissant d’un culte qui lui paraissait nouveau, il était expédient d’avoir le sentiment du Promoteur de la Foi.

« C’était vous-même, Très Saint Père, qui exerciez

alors avec tant de réputation cet office. J’allai donc à Vous, j’en fus reçu avec cette affabilité qui Vous gagnait tous les cœurs. J’eus l’honneur de Vous faire le rapport de ce qu’avait exigé de moi le Maître du Sacré Palais et je présentai à Votre Sainteté mon Manuscrit, la suppliant de vouloir bien y jeter les yeux. Elle le prit avec bonté : Elle le garda quelques jours : Elle en parut contente, et Elle me fit la faveur d’écrire un billet au Maître du Sacré Palais pour lui déclarer qu’il pouvait librement permettre l’impression de ce Livre…

« Votre Sainteté verra par ce détail qu’il est vrai, 

comme je l’ai dit, que l’Ouvrage que j’ai l’honneur de Lui présenter Lui appartient : puisque c’est une Traduction du Livre latin qui lui doit le jour… »

Du reste, le Pape ne se départit pas de son sentiment d’antan : « … Le souverain Pontife sachant la tendre dévotion qu’a notre auguste et pieuse reine [Marie Leczinska] pour le sacré Cœur, lui envoya en 1748 un gi*and nombre de cœurs d’un taffetas rouge brodé en or. Ceux donc qui répandent des images du sacré Cœur entrent dans l’esprit du Chef del’Eglise… > » (G. F. NicoLLET, Le Parfait Adorateur du S. Cœur de Jésus, Paris, Valleyre, 1761, p. 74- Cf. Bened. Tetamo, De vero cultu et festo SS. Cordis Jesu, Venise, 1772, append. II.) Fait plus caractéristique : diu’ant son pontificat il n’accorda pas moins de 41g brefs d’indulgences perpétuelles à autant de confréries érigées sous le titre du sacré Cœur de Jésus

— dépassant en cela tous ses prédécesseurs. Le catalogue s’en trouve dans la Positio causæ de 1766 déjà mentionnée (part. II, Summar., pp. 34-56). Par un bref du 24 mars 1751 il avait, notamment, attaché la faveur du privilège perpétuel à l’autel dédié au sacré Cœur de Jésus dans l’Oratoire public, contigu à l’église de Saint-Théodore in Campo Vaccino, appartenant à l’archiconfrérie établie depuis 1729 sous ce même vocable du sacré Cœur de Jésus. {Ibid., Summar., n. 5, p. 6.)

Et voilà comment le pape Benoît XIV s’est personnellement et persévéramment opposé au culte du sacré Cœur !

Si cette fable janséniste a eu souvent les honneiu’S de la réédition, ce n’est pas que les réfutations lui aient manqué, même dès le xviiie siècle. Pour ne citer qn’un ouvrage français, Mgr de Fomel, évè([ue de Lodève, en fait justice danssonlivre Le culte de l’amour divin (nouv. édit., Lodève, 1776, t. I, 2e part., §§ xv et xvi). Il est vrai que M. Gustave Téky, homme de haute culture universitaire, copiant mal son devancier l’abbé Grégoire, range bravement Mgr de Fumel parmi les adversaires du sacré Cœur. (Z^es Cordicoles, Paris, i(jo2, p. 46 note.)

IX. Les origines. — Aussi bien que ses fondements théologiques, les éléments constitutifs du culte du sacré Cœur sont contenus dans la substance même du christianisme. L’amour de Jésus-Christ pour les hommes, l’amour rendu par les hommes à Jésus-Christ, c’est le fond de la religion. De tout temps Taniour du Sauveur, sa charité humaine et divine, fut digne d’hommage et d’adoration ; de tout temps le cœur de riIonune-Dieu fut apte à symboliser naturellement cet amour. Néanmoins ce fut seulement au cours des âges que, en fait, les chrétiens se portèrent à faire de l’amour de Jésus pour nous l’objet propre d’une attention particulière et d’un culte explicitement spécial, et, en même temps, à utiliser à cette lin l’aptitude qu’avait le cœur corporel à être la représentation

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sensible et expressive de cet amour. Sans compter les textes plus anciens, mais sporadiques, qui établissent un rapprochement entre le cœur de Jésus et son amour, ou y font allusion, — sans témoigner toutefois de l’existence d’un culte, même pas d’une dévotion, — la vénération du sacré Cœur symbole d’amour est attestée dans les écrits de tel ami et de tel disciple de saint Bernard. Puis la dévotion prend consistance et se fornmle à l’occasion fort nettement, comme dans la Vitis mystica de saint Boy A^^ESTVB.K{fl 2’^ li). (Opéra omnia, éd. deQuaracchi, t. VIII, opusc. lo.) Au xiii’siècle, elle est habituelle aux deux moniales de Helfta, saint Mechtilde (-j- 129g) et sainte Gertrude (-[-vers 1303). Durant les deux siècles suivants, elle se propage, mais plus qu’elle ne se développe. Au xvi^ siècle elle franchit les frontières de la mystique pour faire, avec Louis de Blois, Lansperge et Jean d’Avila, son entrée définitive dans l’ascétisme, sous une forme nouvelle, plus objective : on la propose avec exercices déterminés ; on en fait ressortir la valeur ; on en recommande la pratique. Déjà il y aurait eu bien des noms à ajouter à ceux qui viennent d’être cités ; au XVII* siècle la liste s’en allongerait démesurément : à cette époque, en effet, c’est chose commune de rencontrer la dévotion au sacré Cœur, soit accidentellement et en passant, soit d’une façon ordinaire et par pratique assidue, chez les âmes adonnées à la vie intérieure, aussi bien dans le monde qu’en religion, et dans les pages des œuvres spirituelles les plus diverses — voire celles d’Angélique Arnaud et du P. Quesnel. Bossuet, qui, à en croire certains, aurait dû se prononcer contre le culte du sacré Cœur, s’il l’eût connu, se montre, au contraire, très proche de le professer expressément et y achemine les esprits, par exemple au 3^ point du Panégyrique de l’apôtre saint Jean (Metz, prob’1658) et au cours du Sermon pour la fête de l’Annonciation (Carême du Louvre, 1662). (Œuvres orat., éd. Lebarq.. t. II, p. ô/Ji et suiv. ; t. IV, p. 187 et suiv.) En outre, voici que la dévotion, restée simplement privée jusque dans sa diffusion plus étendue, vient alors (1670) à passer, sur l’initiative et sous l’impulsion du B. Jean Eudes, dans le domaine du culte liturgique. Peu après — et sans grande dépendance directe de ce passé préparatoire — la religieuse visitandine Marguerite-Marie Alacoque devient l’instrument choisi et employé par Notre-Seigneur lui-même pour déterminer un mouvement merveilleux, tout à la fois de précision et d’universelIe extension, au profit tant de la dévotion intime que du culte public. (Pour le détail de ce développement historique avant Marguerite-Marie, voir Bainvel, ouv. cité, III<= part., ch. i, où une documentation déjà abondante est enrichie d’indications facilitant une plus ample information ; sur les monuments iconographiques de la même période, voir Grimoûard de Saint-Laurent, Les Images du Sacré-Cœur, au point de vue de l’histoire et de l’art, articles publiés dans la Revue de l’art chrétien, 1878-1880, puis réunis en volume, Paris, 1880.)

Dans quelle mesure le culte du sacré Cœur dépend-il des révélations de Paray-le-Monial ? Aucunement, en droit ; en partie seulement, en fait. En droit, — cela ressort de tout ce qui précède, — le culte du sacré Cœur a pleines valeur et légitimité intrinsèques ; les fondements sur quoi il repose sont d’ordre théologique ; il se justifie et se recommande par lui-même, sans nul besoin de cautions du dehors. C’est en lui-même que l’Eglise l’a jugé et approuvé, abstraction faite totalement de communications surnaturelles à l’appui. Cela est si vrai que plus d’un demi-siècle s’est écoulé entre le décret approbatifde 1765, portant autorisation de la fête, et l’examen des révélations reçues par Mai-guerite-Marie, premier acte des procès

apostoliques qui devaient aboutir à la béatification de la servante de Dieu. Ces révélations ne se fussent-elles pas produites, eussent-elles été reconnues illusoires et controuvées, que le culte du sacré Cœur n’en serait pas moins solidement fondé et parfaitement légitime. Historiquement, le fait est qu’une éclosion, une formation, une propagation, lentes mais réelles, de la dévotion au sacré Cœur sont antérieures, et de beaucoup, à l’œuvre de Marguerite-Marie, et que, en matière même de culte liturgique, la priorité appartient au B. Jean Eudes. Il reste que l’intervention de Notre-Seigneur — qu’on ne saurait méconnaître sans témérité dans les révélations de Paray — et l’action personnelle de Marguerite-Marie, ont eu pour effet de donner une impulsion décisive à l’empressement durable des fidèles, d’inaugurer pour la dévotion et le culte du sacré Cœur une ère de diffusion sans précédent pour l’amplitude et l’importance, d’introduire dans la manière de les comprendre et de les pratiquer plus de netteté et de fixité, avec plus d’ampleur aussi.

Des origines du culte du sacré Cœur, de sa marche progressive, de la diversité et de la multiplicité de ses précurseurs, adeptes et propagateurs, il faut tout ignorer ou tout dissimuler pour imputer aux Jésuites l’invention de ce culte, comme le fait, entre autres, le rédacteur de l’article Herz-Jesu-Kultus dans la Real-Encykiopadie fiir protestantische Théologie^ (t. VII, p. 777). Ceux qui tiennent ce propos l’expliquent généralement en ce sens que les Jésuites auraient suggéré à Marguerite-Marie de prétendues révélations qu’ils auraient exploitées et dont ils se seraient autorisés. Remarquons, au préalable, que, même dans une telle hypothèse, ils n’eussent point pour autant imaginé et créé cette dévotion, vu qu’elle se trouvait déjà existante par ailleurs et d une croissante vitalité. Mais, au surplus, l’accusation est une pure calomnie, et une calomnie sans apport de preuves, en opposition radicale avec ce que l’on sait positivement non seulement du caractère, mais encore de la conduite, sur ce point particulier, des quelques Jésuites qui dirigèrent Marguerite-Marie ou furent personnellement en rapport avec elle. (Voir A. Hamon, Vie de la bienheureuse Marguerite-Marie, Paris, 1907, et P. Charrier, Histoire du vén. Père Claude de La Colomhière, Lyon-Paris, 189/1.) Il n’est pas hors de propos d’ajouter ici que les autorités constituées de la compagnie de Jésus, loin de se montrer prêtes à encourager et à patronner le mouvement parti de Paray-le-Monial, l’accueillirent au contraire a^ec une réserve et par une abstention marquées, et qu’elles mirent le temps à se départir de cette attitude. (Cf. A. Hamon, ouv. cité, p. t’ii et suiv.)

Lancée à tout hasard, durant une polémique où les Jansénistes faisaient flèche de tout bois, la légende qui attribue à Thomas Goodwin la paternité de la dévotion au sacré Cœiu" ne supporte pas l’examen. Elle a cependant été assez souvent prise complaisamment au sérieux, pour que force soit de ne pas la passer sous silence.

Thomas Goodwin (1600-1680), — théologien et ministre puritain en renom, de la secte des Indépendants ou Congregationalists, lié avec Olivier Cromwell, mis par le Long Parlement à la tête de Magdalen Collège à Oxford (1650), retiré à Londres lors de la Restauration, et là uniquement occupé jusqu’à sa mort (1680) d études théologiques et de la direction spirituelle d’une petite « congrégation », — a composé un traité assez court intitulé : The heart of Christ in heaven towards s’inners on earth, or a treatise demonstrating the gracious disposition and tender affection of Christ in his human nature now in glory unto his memhers under ail sorts of infirmities 581

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either of sin or rnisery. Ce traité ne tignre pas dans la grande édition posthume des Œin-res de Th. Goodwin (5 vol. in-f^, London, lôSi-i^o/J), mais il a été imprimé à plusieurs reprises du vivant de l’auteur, à partir de iG^s, soit isolément, soit en recueil. En outre, il fut, conjointement avec trois autres opuscules, traduit en latin et publié à Heidelberg en 1658. (Opuscula quaedam viri Ductissimi juxta/ et Pien tissimi Doniini Tho. Goodu’ini^. T. D etc.) Cette

traduction latine comptait plus d’un siècle de date, lorsqu’elle vint à la connaissance de Jansénistes italiens, à l’époque où ils s’évertuaient encore à fausser le sens et à annuler l’effet du décret de i’ ; 65 accordant la fête du sacré Cœur. Afin de dénigrer la dévotion détestée, ils ne se firent pas scrupule d’avancer que le culte du sacré Cœur avait sa source dans l’enseignement de l’hérétique anglais Thomas Goodwin : un écrit de celui-ci ne parlait-il pas du « cœur du Christ » ? — que de là était venue au P. de La Colombière l’idée de la dévotion au sacré Cœur : ce Père n’avait-il pas habité Londres en un temps où Th. Goodwin y vivait encore ? — que le Jésuite, de retour en France, avait habilement suscité les visions de Marguerite-Marie : n’avait-il pas été son directeur ? Les amis eurent tôt fait il’admettre une démonstration aussi satisfaisante ; dès lors, en Italie, en France, en Allemagne, ils en donnèrent couramment la conclusion comme un fait acquis et hors de conteste.

Or, tout est à l’envi gratuit et faux dans ces assertions. Ainsi que le titre du ti-aité à lui seul en fait foi, Th. Goodwin prend le mot cœur comme signifiant non pas l’organe corporel, mais bien l’ensemble des sentiments affectueux. Son but est d’établir que Jésus-Christ garde dans le ciel les mêmes dispositions bienveillantes et misériconlieuses, la même bonté et tendresse de cœur, dont il fut animé durant sa vie mortelle, envers les malheureux et les pécheurs. S’il fait remarquer (IIP part., sect. i) que, sur terre, Notre-Seigneur a, de par sa nature humaine, éprouvé et ressenti, au sens propre de ces mots, de la pitié et de la miséricorde, et s’il recherche ensuite de quelle façon pareils sentiments de compassion peuvent se retrouver dans une humanité glorifiée, comment nos peines peuvent maintenant k s’introduire dans le cœur du Christ » pour y déterminer de la sympathie, il ne s’avise pourtant nulle part de proposer comme objet spécial de notre adoration et de nos hommages reconnaissants l’amour du Sauveur, figuré par le symbole sensible de son cœur de chair.

Nous ne saurions absolument rien des circonstances dans lesquelles le P. de La Colombière a contracté sa dévotion envers le sacré Cœur, que déjà il serait bizarr<’d’émettre une explication revenant à dire qu’il a dû jjuiser cette dévotion dans la lecture, toute problématique, d’un opuscule de provenance hétérodoxe, où elle ne se trouve pas, tandis que, par contre, il n’aurait eu occasion de la distinguer et de la goûter ni dans Lansperge, ni dans sainte Gertrude, ni dans la Vitis mystica, ni dans Louis de Blois, ni dans Diego Alvarez de Paz, ni dans le P. Saint-Jure, chez qui elle se présente si manifestement énoncée ou pratiquée. Dépourvue de vraisemblance, l’hypothèse se démontre, de plus, manquer de vérité, comme inconciliable avec des données certaines. Une considérati <m (le chronologie sutllt à trancher la question. Les priiicipiilfs révélations relatives au culte du sacré Cdur furent faites à Marguerite-Marie de 1672, ou, pins vraisemblablement, de 1673 à 1O75 : la « journée du 21 juin 1675 termine les grandes révélations du c(eur de Jésus >.. (A, IIamox, ou’, '. cité, p. 191.) Le P. de La Colombière arriva à Paray dans le courant de février 1675 ; il y resta dix-nciif’mois. C’est alors qu’il eut à examiner les connuunications surnatu relles dont la plupart étaient antérieures à sa venue. (P. Charrier, oiiv. cité, liv, VI, ch. iii-iv ; A. Hamon, ouv. cité, ch. VI.) Appelé, sur la désignation du P. de La Chaise, à remplir l’emploi vacant de Prédicateur de la duchesse d’York, Marie de Modène, il quitta Paray en septembre 1676, et débarqua en Angleterre en octobre. Il s’acquitta de ses fonctions au palais de Saint-James jusqu’en novembre 1678, époque où il se trouva impliqué, sur une dénonciation calomnieuse, dans une affaire connexe au coup du popisk plot récemment monté par Titus Oates : décrété de bannissement, il sortit d’Angleterre en décembre et rentra en France. (P. Charrier, omw. cité. liv. VIII et IX ; A. Hamox, oui cité, ch. vu.) Ainsi donc les révélations essentielles reçues par Marguerite-Marie eurent lieu, soit pendant, soit même en majeure partie a^ant le séjour du P. de La Colombière à Paray-le-Monial : il en prit connaissance, les étudia, les approuva, y acquit sa propre dévotion au Cœur de Jésus, fit consécration de sa personne à ce Cœur sacré en juin 1676 (A. Hamon, o(M’. cité, p. 184, note, et p. 190) et prit la résolution de faire son possible pour en établir la dévotion. C’est seulement ensuite qu’il fut envoyé en Angleterre. La simple confrontation des dates est décisive et réduit à néant la fable, par trop improvisée, des Jansénistes.

X. Les promesses faites par Notre-Seigneur en faveiir de la dévotion à son Cœur sacré. — Les

lettres de la bienheureuse Marguerite-Marie, celles des dernières années surtout, font mention de révélations où Notre-Seigneur lui aurait fait connaître nombre de grâces et d’avantages spirituels, dont il s’engageait à faire bénéficier ceux qui adopteraient, pratiqueraient, propageraient la dévotion à son Cœur sacré (A. Hamon, ouw cité, p. 896 et suiv. ; Bainvel, p. 78 et suiv. ; Terrien, p. 3Ô9 et suiv.), et ces promesses ont contribué dans une notable mesure à attirer et à attacher les âmes à une dévotion ainsi favorisée. La valeur de ces révélations est la même que celle des autres communications d’en haut reçues par la bienheureuse : à en examiner le fond, le caractère, les circonstances, à étudier l’àme qui les rapporte et les atteste, à consulter le jugement éclairé et autorisé de l’Eglise, on est amené à conclure que les admettre comme authentiques et surnaturelles est le parti vraiment raisonnable, le seul justifié. (Cf. René du Bouays de La Bégassière, Xotre culte catholique et français du sacré Cœur, VI. L’autorité delà B. Marguerite-Marie, Lyon, 1901.)

Seule la plus importante de ces promesses — la

« grande promesse », comme on l’appelle communément

— a pu fournir matière à la controverse. En voici la teneur : « … Et un jour de vendredi, pendant la sainte Communion il fut dit ces paroles à son imligne esclave, si elle ne se trompe : « Je te promets

« dans l’excessive miséricorde de mon Ccpur, que son

<( amour tout-puissant accordera à tous ceux qui

« communieront neuf pi’emiers vendredis du mois de
« suite la grâce de la pénitence finale, ne mourant
« point en sa disgrâce, ni sans recevoir leiu-s sacremcnts, 

se rendant leur asile assuré en ce dernier

« moment. » (Cf. A. IIamon, ous’. cité, p. 452-^53.)

Cette promesse fait partie des écrits approuvés par la Congrégation des Rites, lors des travaux préparatoires à la béatification de Marguerite-Marie : le texte en fut étudié avec soin, comme l’atteslent les coups de crayon dont il fut fortement marqué sur la traduction italienne authentique, conservée chez les Visitan <lines de Rome. C’e qui pourrait faire d’abord difliculté serait d’admettre que la pratique des neuf vendredis assure à tous la réception effective des derniers sacrements, et ainsi constitue une sauvegarde 5 « 3

CŒUR DE JESUS (CULTE DU)

584

infaillible, par exemple, contre la mort subite. Mais ce serait là mal comprendre : ces sacrements ne sont garantis qu’autant que leur réception se trouverait être l’unique moyen, en un cas donné, de recouvrer l’état de grâce perdu. Ne pas mourir dans la disgrâce de Di^u, voilà le fond même de la promesse ; ce qui est promis, c’est une assistance spéciale au moment suprême et le fait de la persévérance finale, — ces grâces advenant non comme un simple fruit propre et normal de la série de communions mensuelles, mais comme une récompense, attachée en surcroît par Notre-Seigneur à l’intention qui y fut mise d’honorer ainsi son sacré Cœur,

Il est bien entendu que les neuf communions doivent

« tre bonnes, et la pratique assumée avec des

vues droites et loyales. Une fois la condition dviment réalisée, le gage est-il acquis définitivement, valable irrévocablement ? le salut est-il désormais assuré, en tonte éventualité ? La question est grave et délicate, aussi les théologiens opinent-ils diversement.

Encore faudra-t-il, dira l’un, joindre le constant accomplissement des devoirs essentiels de la loi chrétienn

« — condition ordinaire du salut, dont la « promesse

» ne saurait être indépendante — faute de quoi le droit se perd à l’assistance finale ; il lui survit seulement l’espoir que le Sauveur aura quelque égard au droit jadis possédé et en sera plus miséri-Dordieux et libéral dans l’octroi de la grâce de conversion. (Cf. X. M. Le Bachelet, La grande promesse du Sacré-Cœur, dans les Eludes, 5 août 1901, p. 385.)

L’autre reconnaîtra une bien plus grande valeur à la faveur si spécialement promise : il rappellera que la grâce de Dieu peut triompher de la faiblesse comme de l’obstination, qu’elle est capable d’empêcher la présomption subséquente qui abuserait du titre acquis et à plus forte raison l’endurcissement dans ce péché ; que Dieu, qui donne à tous les grâces pleinement suffisantes, peut accorder à quelqu’un celles qu’il sait devoir être efficaces, c’est-à-dire suivies des actes salutaires et de la pénitence finale, qu’il peut cela en vertu d’une promesse, absolue ou conditionnelle ; la conclusion sera que, dans ces conditions, la i< grande promesse » est susceptible d’assurer dorénavant à quiconque aura rempli conmie il faut l’unique condition imposée, les secours divins voulus pour se maintenir dans l’état de grâce ou pour y rentrer à la mort. (Cf. A. Vermeersch, La grande promesse du Sacré-Cœur, Paris, 1908.)

D’ailleurs, pas même cette dernière interprétation ne met les fidèles en danger de témérité présomptueuse et funeste : la réalité même de la révélation faite à la Bienheureuse, l’exactitude des termes dans lesquels est rapportée la promesse, l’accomplissement satisfaisant par un chacun de la condition requise, tout cela n’est connu par eux qu’avec cette probabilité, cette persuasion morale, qui laisse assez de risque d’erreur pour que, raisonnablement, on doive quand même ne pas négliger les autres moyens de salut et se garder avec soin"des causes de damnation.

— Pour la même raison, se trouve en outre sauvegardée l’incertitude du salut proclamée par le concile de Trente (sess. vi, can. 16) : « Anathème à qui oserait affirmer avec une certitude absolue et infaillible, sauf le cas d’une révélation spéciale, qu’il aura sîirement le grand don de la persévérance finale. » (Denzinger-Banuvvart, Enchir. ^"^ n. 826.)

XI. Le rayonnement social du culte du sacré Cœur ; sa légitimité. — Le culte du sacré Cœur, sans cesser d’être intime et liturgique, en est venu, dans la façon dont il a été compris et pratiqué, à recevoir en outre un caractère national et social. N’a-t-il pas -subi de ce chef une altération, une déviation dans sa

croissance ? Nullement, c’est là le résultat d’un développement normal, dans lequel la notion vraie du culte du sacré Cœur a été fidèlement sauvegardée.

Il allait de soi, qu’une fois répandue la dévotion au Cœur de Jésus, les fidèles seraient portés à s’adresser à la bonté et à la miséricorde du Sauveur, figurées symboliquement par son Cœur, pour obtenir protection en faveur du bien public et des intérêts de la patrie, remède et sotilagement à ses maux, pardon pour les fautes générales et collectives, octroi des multiples grâces nécessaires au maintien et à l’accroissement de la foi au sein de la nation, à la régénération chrétienne du pays, lis l’ont fait surtout aux époques où la situation religieuse était formidablement compromise, comme durant le bouleversement révolutionnaire ; où frappaient les coups de l’adversité, comme durant l’année terrible de la guerre et de l’invasion ; où l’œuvre du relèvement national s’imposait urgente, possible mais incertaine, comme aux temps qui suivirent le désastre.

A la prière pour la patrie s’est joint l’hommage au nom de la patrie, et cela devait encore arriver.

Dans nos sociétés modernes, tout catholique est un citoyen. Le catholique sait que la doctrine et la loi du Christ ne valent pas moins pour la société que pour l’individu, conviction que le citoyen, de par sa participation à la souveraineté populaire, est en droit d’aspirer et de travailler à faire prévaloir dans les réalités de la vie nationale. Et si la dévotion au sacré Cœur apparaît à cet homme comme « la quintessence du christianisme », si elle est devenue à juste titre la forme sous laquelle s’épanouit le plus volontiers son amour pour la personne adorable de Jésus-Christ, il se trouvera naturellement et légitimement conduit â transporter le culte du sacré Cœur dans le domaine national, à en faire une forme sociale de l’hommage religieux que la nation, en tant que nation, doit rendre au vrai Dieu fait homme.

D’ailleurs, à en croire les révélations de Paray-le-Monial, Notre-Seigneur exprima lui-même le désù" que le culte rendu à son amour ne restât pas d’ordre privé et demanda le triple hommage national, de l’érection d’un temple, de la consécration, de l’apjjosition sur les drapeaux français de l’image de son Cœur sacré. (Cf. A. H.^mox, o « f. cité, p. 434 et suiv.)

La conduite des catholiques qui ont fait tout leur possible pour entrer dans ces vues est d’autant plus justifiée que la nature et le rôle propre du culte du sacré Cœur nous le montrent comme spécialement adapté aux nécessités religieuses des peuples à des époques comme la nôtre.

Si, par le culte du sacré Cœur, les hommes sont conviés à ne pas perdre de vue tout ce que le Sauveur a déployé pour eux de bonté, de tendresse, de dévouement ; si, par son objet même, ce culte tend directement à faire ressortir et resplendir la « philanthropie M du Christ, comme parle saint Paul (Tit. III, 4)> n’est-ce pas afin de provoquer un retour effectif d’amour, de faire naître, de maintenir et — là où besoin en est — de ressusciter et de rétablir un attachement intime, vivace et agissant, à la personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? « Je suis fermement convaincu, a écrit le cardinal Manning, que le but divin dans l’institution et la propagation de la dévotion au sacré Cœur dans ces derniers temps est de réveiller dans l’esprit des hommes la conscience de leur relation personnelle avec un divin Maître. » (The glories of the sacred LLeart^, London, s. d., p. 97.)

Aux apostasies des âmes s’estjointe l’apostasie des peuples, l’apostasie nationale et officielle. Le naturalisme politique et social est devenu un dogme public, la loi des Etats, le principe régulateur du monde contemporain. Au sein de nos sociétés, jadis chrétiennes, 585

CŒUR DE JÉSUS (CULTE DU)

586

Jésus-Christ est le grand absent : les mœurs, et encore plus les institutions et les lois, sont vides de lui. Voilà le mal moderne, qui le guérira ? Le remède spéciûque semble clairement indiqué dans le culte du sacré Cœur, providentiellement destiné à ramener vers Jésus-Christ quiconque l’oublie et le méconnaît, à resserrer, à renouer, s’il le faut, les liens relâchés ou rompus de l’amitié divine. Les nations chrétiennes en sont venues, elles aussi, à perdre insensiblement « conscience de leur relation personnelle avec un divin Maître » ; les nations ont besoin, en tant que nations, de revenir au Sauveur, de l’aimer à nouveau, comme pour vivre de lui il faut l’aimer. C’est assez dire que le culte du sacré Cœur convient aux nations, en tant que nations, et qu’il est appelé à prendre une forme sociale.

Social, ce culte l’est encore par ses effets sur les relations humaines. Amour de Dieu, amour des hommes, ces deux commandements suprêmes ne font qu’un. La pratique du culte du sacré Cœur va droit à combattre et à terrasser l’ennemi capital : l’égoïsme. Elle remplace l’àpre conflit des intérêts, la lutte à mort pour la jouissance terrestre, par l’esprit de conciliation, le sacrifice mutuel, la paix dans la fraternité. On sait pour quelle part prédominante l’élément moral entre dans la question sociale : le culte du sacré Cœur a pour résultat d’appliquer la solution chrétienne, la seule efficace. L’égoïsme abaisse et divise : comme l’avilissement païen a été guéri par la Croix, la haine cupide d’aujourd’hui pourra être guérie par la charité, apprise à l’école du Cœ’ur de Jésus.

XII. Compromissions politiques ? — Le culte du sacré Cœur a été, de temps à autre, accusé d’avoir un caractère politiqiie.

Si l’on veut dire par là — en termes alors bien impropres — que ce culte, par cela même qu’il attache et dévoue à la personne de Jésus-Christ, à sa doctrine, à son œuvre, est opposé à toute conception et à toute action visant à « déchristianiser » les individus et les peuples, ou à ruiner les conditions essentielles de l’ordre social naturel, rien de plus juste, mais il n’y a pas lieu de l’en disculper. Que si l’on dénonce par là une solidarité entre le culte du sacré Cœur et la politique de parti, l’assertion est inadmissible, car il en est sur ce point dxi culte en question comme de la Religion même et de l’Eglise, ni plus ni moins : rien, en effet, dans ce qui est propre au culte du sacré Cœur, dans sa nature, son esprit, sa pratique, ses effets, n’implique ni n’entraîne pareille solidaiité.(Cf. J. Thomas, f.a théorie de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, Lille, 1885, p. 492-493 ; et P. Suau, Les Cordicoles, dans les Iltudes, 20 janvier 1902, p. 250 et suiv.)Les catholiques affcctionnéset adonnésau culte du sacré Cœur out évidemment tout droitd’avoir des opinions et des préférences politiques nettement marquées et de régler leur manière d’agir sur leur manière de voir, mais en quoi cela engendrerait-il confusion entre des choses essentiellement distinctes ? Que si, accidentellement, d’aucuns ont prétendu établir, entre leurs visées i)olitiques et la dévotion par eux pratiqtiée ou préconisée, des liens qui ne répondent pas à la réalité, c’est là un abus dont le culte du sacré Cœur ne doit i>as porter la peine.

Toutes les formes cl applications légitimes de ce culte peuvent invoquer le bénéfice de la déclaration faite par le cardinal Guihicht au sujet de l’œMivre du Vœu National et de la construction de la basilique de Montmartre : « … Ce que nous ne devons pas tolérer, c’est qu’on ose attribuer un caractère politique à une pensée toute de foi et de piété. La politique a été et sera toujours loin, bien loin de nos inspirations :

l’œuvre est née au contraire de la conviction profonde que la i)olitique est tout à fait impuissante à guérir les maux de notre pays. Les causes de ces maux sont morales et religieuses ; les remèdes doivent être pris dans le même ordre, et si nous invitons la France à porter auprès du Cœur de Jésus-Christ un suprême recours, c’est que nous ne voyons de salut pour elle dans aucun des moyens dont la sagesse humaine dispose.

« Il y a un autre motif non moins décisif qui nous

fait écarter de notre entreprise toute idée politique : c’est que la politique divise, tandis que notre œuvre a poiu- but l’union. Le Cœur de Jésus est un rendez-vous pacifique où nous convions tous nos frères à venir chercher avec nous la vérité dans la charité : i’eritatem facientes in caritate. Ce que nous demandons à ce Cœur adorable, c’est la conversion de la France, non la conversion à telles ou telles opinions, mais sa conversion, ou plutôt, son retour à la foi chrétienne, aux espérances éternelles, à l’amour de Dieu, qui embrasse et comprend aussi l’amour des hommes. Ainsi la pacification sociale est au ternie de l’œuvre dont nous poursuivons la réalisation… «  (Mandement du 30 mai iS’jS. En vol., Paris, 1886, p. 389-390.)

Bibliographie. — J. V. BAinvel, La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, Paris, 1906 ; J.-B. Terrien, /a dévotion au Sacré-Cœur de /e’sMS^^ p^ris, 1902 ; N. Nilles, De rationibus festorum ss. Cordis Jcsu et pur. Cordis Mariae^, Innsbruck, 1885 ; Leonis P. XIU, Litteræencyclicæ (.1 Annumsacrum » d. 25ma11189g, de hominibus ss. Cordi lesu devovendis ; X. de Franciosi, La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus… notions doctrinales et pratiques^, Montreuil-sur-Mer, 1892 ; J. Thomas, La théorie de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, Lille, s.d.[1885] ; Ch. Sauvé, Le culte du Sacré Cœur, Paris, 1906 ; H. J. Nix^ Cultus ss. Cordis Jesu’^, Freiburg i/ B., 1906 ; L.Leroy, De ss. Corde Jesu ejusque cultu, Liège, 188a ; H. E. Manning, The Divine Glury of the Sacred Heart, London, 1 8^3 (augmenté et souvent réédité sous le titre : The glories of the sacred Heart), ;. G. Bucceroni, Coinmentarius de ss. Corde Jesu^, Rome, 1890 ; Mgr de Fumel, Le culte de V amaur divin, ou la dévotion au Sacré Cœur de Jésus, nonv. éd., Lodève, 1776 (2^ partie : Réponse aux Censeurs de la dévotion au Sacré Cœur de Jésu.s) ; B. Tetanao,. De vero cultu et festo ss. Cordis Jesu…, Venise, 1772 ; E. Marquez, Defensio cultus ss. Cordis Jesu…, Venise, 1 78 1 ; Card. Gerdil, Animadversiones in notas Felleri, dans l’éd. de Rome, 1806-1 821 : Opère., ,., t. XIV, p. 297 (travail reproduit dans Migne, Théologiae cursus completus, t. IX, col. 926 sqq.) ; A. Muzzarelli, Dissertazionc intorno aile regole da asservarsi nel parlaree scrivere con esattezzae con proprietd sulla divozionee sul culto dovuto al sacro Cuore di Gesii, Rome, 1806 (trad. fraiLç., Avignon, 18a6) ; J. Perrone, Prælectiones tkeologicac ^, t. V, tract, de Incarn., part. II, cap. iv, art. II, prop.II, Rome, 18^2 (et la plupart des Cours de théologie actuellement en usage, au traité de Ver ho incarnalo).

Les quelques ouvrages suivants contiennent à peu près tous les arguments produits coH/rc le culte du sacré Cœur : C. Blasi, De festo Cordis Jesu dissertatio commonitoria…, Rome 1765 ; H. Grégoire, anc. évêque constitut. de Blois, Histoire des sectes religieuses… ; art. Les Cordicoles…, i "’éd., Paris, 1814, t. I, p. 333 ; 2<- éd., Paris, 1828, t. II, p. ^44 ; [M. -M. Tabaraud] Des Sacrés-Cœurs de Jésus et de Marie… par un vétéran du Sacerdoce, Pavis, 18a3 ; G. Téry, /.es Cordicoles, Paris, 1902. — Dans le 587

COLIGNY (AMIRAL DE)

588

paragraphe de son Orpheus (Paris, igog, ch. xii, n. 72) consacré à dénaturer le culte du sacré Cœur, M. Salomon Reinach s’est borné à répéter quelques-unes seulement des « inexactitudes » capitales déjà conniies.

R. DU BOUAYS DE La BÉGASSIKRE.