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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Divorce des Princes

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 565-569).

DIVORCE DES PRINCES ET L’ÉGLISE.

On sait quel dommage l’Eglise a souffert à raison de la sévérité de sa discipline sur le mariage, quand cette discipline gênait les princes ; on sait, en particulier, qu’à l’époque du protestantisme le divorce, préconisé par les réformateurs, tendu aux princes comme un appât, ne fut pas étranger à de noinbreuses défections. Chose étrange ! dans les cas où l’Eglise a résisté aux violateurs de la loi du mariage, ou lui a reproché u excès de rigueur ; dans les cas où elle a cétlé ou gardé le silence, on l’a accusée de faiblesse, de conq)laisance vis-à-vis des grands.

Après rpielqucs observations générales sur l’ensemble des décisions que l’histoire de l’Eglise nous présente, nous examinerons en détail quelques cas pris 1115

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parmi les plus célèbres de l’histoire de France, montrant pourquoi dans les uns l’Eglise a accordé, dans les autres elle a refusé, non le divorce, mais la déclaration de nullité, ou la rupture d’un premier mariage, avec faculté d’un second mariage.

1° L’Eglise n’a jamais accordé, pas plus à un prince qu’à tout autre fidèle, le dh’orce proprement dit, c’est-à-dire la rupture d’un mariage validement contracté et consommé, et la permission d’un second mariage.

2° L’Eglise a plus d’une fois, poir des princes comme pour d’autres fidèles, reconnu l’invalidité originelle d’un premier mariage et par conséquent la licéité d’un second mariage. Elle a, en outre, pour de sérieuses raisons, rompu plus d’un mariage validement contracté mais non consommé. Ces raisons pouvaient se présenter plus nombreuses et plus fortes en faveur des princes qu’en faveur des simples sujets.

3" Des défaillances d’hommes d’Eglise, voire de conciles particuliers, dans l’application des principes ci-dessus énoncés, ne sont pas niables. Des évcques, des officialités, des conciles particuliers, tout en maintenant le principe de l’indissolubilité du mariage validement contracté et consommé, ont admis trop facilement l’invalidité originelle de tel ou tel mariage princier, ou sa non-consommation, et par là servi les passions d’un souverain. Généralement les Papes se sont montrés, en cette matière, fidèles à leur devoir, et Joseph de Maistre a signalé avec raison, comme une des principales causes de leurs démêlés aA ec les princes « l’inébranlable maintien des lois du mariage contre toutes les attaques du libertinage tout-puissant » (Du Pape, chap. 7).

On cite, à l’enconlre, la rupture du mariage de Lucrèce Borgia avec Jean Sforza, prononcée en 1^97 par Alexandre VI, père de Lucrèce, pour permettre à celle-ci une plus brillante union : Lucrèce jura que le mariage n’avait pas été consommé ; Jean Sforza protesta d’abord, puis, cédant à la pression exercée par sa famille, donna par écrit la même attestation. Personne ne prit au sérieux ces déclarations, et la rupture du mariage de Lucrèce compte au nombre des pires scandales du règne d’Alexandre VI (cf. Grego-Rovius, Lucrèce Borgia, t. I, p. 202 sq. ; Pastor, Histoire des Papes, t. V, p. 498).

Il nous reste à examiner quelques exemples, célèbres dans notre histoire, d’instances en rupture de mariage, dont les unes furent repoussées, les autres admises par les Papes.

1" Lothaire, roi de Lorraine, et Teutberge (années 807 sq.). — Lothaire II, roi de Lorraine, frère de l’Empereur Louis II, avait répudié en 85^ sa femme Teutberge, et vivait mai-italement avec sa concubine Waldrade. Waldradc exigea le mariage. Pour faire casser sa première union, Lothaire II accusa Teutberge d’un inceste et d’un avortement commis avant son mariage, et découverts dans la suite ; à l’époque, ces crimes étaient considérés, par les évcques de l’enqiire franc, comme rendant invalide le mariage subséquent (Juxgmann, Dissertationes, t. III, p. 286 sq.). La reine se justifia par l’ordalie de l’eau bouillante, dont sortit indemne un de ses serviteurs ; surtout elle prouva rinvraiseml)lance évidente des accusations portées contre elle ; un premier concile d’évcques lorrains lui donna raison. En 860, Lothaire II revint à la charge ; à force de mauvais traitements, il arracha à la malheureuse Teutberge l’altestation de ses prétendues fautes ; le concile d’Aix-la-Chapelle enregistra son aveu, et lui imposa une pénitence. En 862, un nouveau concile déclara nul son mariage, et Lothaire épousa solennellement

Waldrade. Teutberge, réfugiée sur les terres de Charles le Chauve, en appela au Pape S. Nicolas I""" ; l’épiscopat français, et en particulier le fameux Hinkmar, archevêque de Reims, prirent sa défense et l’appuyèrent auprès du Pape. Deux légats, envoyés par S. Nicolas 1 « " en France en 863, eurent la faiblesse de confirmer la sentence des évêques lorrains. Heureusement S. Nicolas voulut prendre lui-même connaissance des pièces du procès. Pleinement convaincu du bon droit de Teutberge, il déposa et interdit les évêques de Cologne et de Trêves, qui s’étaient faits les instruments de Lothaire, et cassa les sentences du sjnode lorrain et des légats. Rien ne put le faire revenir sur sa décision, pas même le siège mis devant Rome pai" l’Empereur Louis II, qui soutenait son frère. Les deux évêques coupables et Lothaire durent faire leur soumission et accepter une pénitence ; Teutberge fut reconduite à son mari par un légat. Mais la nmlheureuse fennne fut l’objet de telles vexations qu’elle-même demanda au Pape la permission de se retirer dans un monastère, afin que Lothaire pût épouser Waldrade. Nicolas refusa, à moins que Lothaire ne fît vœu de continence. Après la mort du Pape, Lothaire demanda et obtint d’Hadrien II, successeur de Nicolas, la reprise du procès ; il mourut, le 8 août 869, avant que le synode romain qui devait statuer sur son cas se fût réuni (cf. Jungmann, Dissertationes in Bistoriam Ecclesiasticam, t. III, p. 288 sq., Ratisbonne, 1882 ; Parisot, Histoire du royaume de Lorraine sous les Carolingiens, ]). i/Jô sq., Paris, 1898 ; RoY, S. Nicolas I^ p. 45 sq., Paris, 1899).

2° Philippe-Auguste et Ingeburge (1198 sq.).

— Ingeburge de Danemark, seconde épouse de Philippe-Auguste, ne jouit pas longtemps de la faveur du roi. Dès le lendemain de son mariage, pour des raisons restées inconnues, Philippe déclara vouloir la répudier, et tenta de la remettre à l’ambassade danoise qui l’avait amenée en France. Sur le refus des ambassadeurs et de la reine elle-même, Ingeburge fut enfermée dans un monastère. Un synode français réuni à Compiègne déclara invalide son mariage, à cause de sa parenté éloignée avec Isabelle de Hainaut, première femme de Philippe. A l’annonce de cette inique sentence, la malheureuse princesse, qui ne savait pas notre langue, s’écria : « Mala Francia, mala Francia. » Et elle ajouta aussitôt : « Roma, Roma. » Sa confiance ne fut pas trompée. Célestin III déclara

« illégale, nulle et non avenue » la sentence de rupture.

Malgré cet arrêt, Philippe épousa Agnès ou Marie de Méran, fille d’un grand seigneur bavarois. Innocent III, successeur de Célestin III, n’ayant pu, malgré ses démarches répétées, ramener au devoir le roi de France, fit jeter l’interdit sur le royaume par un légat (1198). Philippe tenta de résister ; contraint par lindignation populaire, il fit mine, en 1200, de reprendre sa femme, et l’interdit fut levé. Agnès de Méran, à laquelle le roi avait gardé toute sa faveur, mourut en 1201 ; Ingeburge, accablée de mauvais traitements, emprisonnée, n’avait, en réalité, recouvré aucun de ses droits, et Philippe s’acharnait à demander au Pape la revision de son procès. Pour ménager le puissant roi de France, Innocent III fît toutes les concessions que sa conscience lui permettait ; il alla jusqu’à légitimer les deux enfants que Philippe avait eus d’Agnès de Méran ; mais il n’abandonna pas la cause d’Ingeburge. En avril 1218, Philippe, lassé de la lutte, ayant besoin de l’appui du Pape et du Danemark pour sa guerre avec l’Angleterre, rendit à Ingeburge sa place de reine ; après la mort du roi (1228) Ingeburge fut, pendant les quinze années qu’elle vécut encore, traitée en souveraine, et jouit de la somme de 10.000 livres parisis que Phi1117

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lippe lui avait léguée par testament « comme à sa très chère épouse >. (cf. Luchaire, Philippe-Auguste et Innocent III, à ?in ?, V Histoire de France cleE. Lavisse ; t.III(i), p. 144sq., et les auteurs auxquels il renvoie).

2, " Louis XII et Jeanne de Valois (i^gS). — Louis, duc dOrléans, avait épousé en 1476 Jeanne de France, lille de Louis XI ; la princesse, à laquelle ses rares Aertus ont mérité labéatilication, était contrefaite et d’une laideur repoussante ; Louis d’Orléans ne l’avait épousée qu’à contre-coeiu-, forcé par la terrible volonté du père de Jeanne. A peine sur le trône de Fi-ance (i^gS), il demanda au Pape Alexandre VI l’annulation de son mariage, fondant sa demande sur quatre chefs principaux : i-^ Sur ce qu’il était parent de Jeanne de France au quatrième degré ; 2’^ sur ce que Louis XI, père de Jeanne, ayant été son parrain, il y avait entre elle et lui une affinité spirituelle qui annulait le mariage ; 3’^ sur ce qu’il n’avait donné à ce mariage qu’un consentement forcé ; 4° sur ce que Jeanne était tellement contrefaite, que les médecins la jugeaient incapable d’avoir jamais d’enfants.

En ce qui regarde les deux premiers points, il est de fait que la parenté et l’affinité spirituelle constituaient des empêchements dirimants ; mais Jeanne prétendait que ces empêchements avaient été levés par une dispense. Elle ne put toutefois apporter qu’une copie de cette dispense, et le témoignage de l’évêque d’Orléans chargé de la fulminer. Celui-ci n’osa affirmer que la dispense d’aflinité spirituelle fût mentionnée dans la Bulle pontificale.

De tous les motifs présentés par Louis XII pour obtenir la déclaration de nullité de son mariage, celui sur lequel on insista davantage fut le motif de violence. Il convient de se défier des témoignages plus ou moins sincères, et des pièces écrites plus que suspectes, qui furent produits pour attester la violence dirigée contre le jeune duc d’Orléans dans la réalisation de son mariage ; néanmoins il reste probable, vu le caractère de Louis XI qui avait fermement voulu cette union, que le futur roi de France avait pu n’avoir pas toute la liberté nécessaire pour refuser la main de Jeanne. L’évoque d’Orléans assura que, lorsqu’il demanda au duc d’Orléans s’il consentait à épouser la princesse Jeanne, le duc lui avait répondu : « Hélas, monseigneur d’Orléans, mon ami, fjue ferai-je ? Je ne saurais résister, j’aimerais mieux être mort que de faillir à le faire ; car vous connaissez à qui j’ai affaire, il n’est force et n’y a remède. » Il aurait dit à d’autres personnes : « J’aimerais mieux épouser une simple demoiselle de Beauce. »

Sur la (jiu’stion d’inquiissance et de non-consommation, la reine répondait que sa conscience l’empêcliait d’en demeurer d’accord. Le roi, cependant, insistait fort de ce côté. Il fut produit une lettre de Louis XI au comte de Dammartin, ainsi conçue : « Je me suis délibéré de faire ce mariage de ma petite fille Jeanne avec le petit duc d’Orléans ; pour ce qu’il me scml)le que les enfants qu’ils auront ensemble ne leur coûteront guère à nourrir ; aous avcrtissant que j’espère faire ledit mariage ; autrement, ceux qui iraient au contraire ne seraient guère assurés de leur vie en mon royaume ; par quoi il me seml)le que j’en ferai le tout à mon intention. »

La reim- Jeanne se refusa constamment à la visite des matrones, alléguant que cette épreuve était contraire à la jjudcur, et au-dessous d’une personne de sa naissance. KHe finit i)ar déclarer s’en rapporter au serment du roi. Louis.II ])rèta le serment que les défauts cor|)orcls de Jeanne mettaient obstacle à la consounnalioii du mariage. La sentence de nullité

fut rendue à Amboise le 17 décembre 1498, et Louis XII épousa Anne de Bretagne.

Si la vertu de la reine lui mérite une sympathie que n’excitent à aucun degré les procédés du roi dans le procès, on ne doit pas, pour autant, taxer d’injustice la sentence rendue contre elle : d’abord parce que, dans cette affaire, il est essentiel de séparer la responsabilité des juges de celle des témoins ; ensuite parce (pi’on se trouvait en présence d’une de ces situations douteuses dont la solution s’impose au juge, quand cette solution est favorable au bien public (cf. de Maulde, Jeanne de France, Pavi>, 1883 ; — id., Alexandre VI et le divorce de Louis XII : Bibliothèque de V Ecole des Chartes, t. LVH, 1896). Il est, du reste, à noter que cette décision, légitime en somme, d’Alexandre VI, suscita un certain scandale parmi les contemporains, ce malheureux Pape ayant, en retour du service rendu, sollicité et obtenu pour son fils César un riche apanage français et le titre de duc de Valentinois (Pastor, Histoire des Papes, t. VI, p. 56 sq.).

4° Henri I"V et Marguerite de Valois (1099j 600). — Marguerite de Valois, sœur de Charles IX. épousa, le 18 août 15^2, à Notre-Dame de Pai-is, Henri, roi de Navarre. Les dispenses nécessaires à cette union, à cause de la différence de religion, de la parenté des deux fiancés, enfin de l’affinité spirituelle qui les unissait (Henri II, père de Marguerite, avait été le parrain d’Henri de Navarre), avaient été refusées par S. Pie V d’abord, par Grégoire XIII ensuite ; malgré ce refus, le Cardinal de Bourbon, peut-être trompé, croyant que le Bref de dispense avait été accordé par le Pape et arriverait prochainement, consentit à la célébration du mariage. Les dispenses ne furent concédées par Grégoire XIII que plusieurs mois après ; le mariage était donc nul, et les époux prétendirent, dans la suite, n’avoir ni renouvelé leur consentement, ni consommé leur union après la réception des dispenses. De plus Marguerite avait manifesté la plus vive répugnance du mariage, éprise qu’elle était alors du jeune duc de Guise ; elle n’avait cédé qu’à la pression de Catherine de Médicis et de Charles IX, qui voyaient dans cette union un gage pour la pacification de la France. Si l’on en croit Davila, lorsque le Cardinal de Bourbon demanda à la princesse si elle donnait son consentement,

« Madame Marguerite ne dit jamais aucun mot ; alors

le Roy son frère, luy ayant porté la main sur la teste, la luy lit pancher, et ceste action fut prise pour le consentement qu’elle prestoit, bien que toutesfois, et auparavant, et depuis, aux lieux où elle pouvoit parler librement, elle eut toujours déclaré ([u’elle ne sçavoit point accommoder son esprit, non seulement à se priver du duc de Guise, à qui elle avoit déjà engagé sa foy, mais encore à prendre pour mary un de ses plus grands ennemis » (Guerres ci-iles de France, t.I, p. 609 ; Paris 1O61). Les deux époux vécurent presque constamment séparés, menant, chacun de son côté, la vie la plus licencieuse.

Après (lu’IIenri IV lui dcNcnu le maître incontesté

« le la France, désireux d’avoir des héritiers légitimes, 

il ]tria Marguerite de consentir à introduire devant le Pai)e Clément Vlll une instance en annulation de mariage. Marguerite refusa, laiil (luelle crut que Henri voulait faire reinede FranceGalniellcd’Kslrees, duchesse de Beaufort ; celle-ci étant morte le 8 avril 1599, la fille de Henri H consentit, moyennant certains avantages, à demander au Pai)e l’annulation d’un uuiriage ipii lui avait élé iuq)osé. disait-elle,

« par force et contrainte >> ; Henri IV pourrait ainsi

rechercher l’alliance d’une i)rincesse étrangère. D’Ossat conduisit à Rome la négociation ; Clément A’III 1119

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voulut entourer le procès de toutes les garanties requises ; en septembre lôgg, il délégua trois commissaires, le cardinal de Joyeuse, le nonce de Paris et rarclievêque d’Arles, pour connaître de la cause en France : 1e 17 décembre, après une sérieuse enquête, ceux-ci admirent la validité des raisons présentées par Henri IV et Marguerite, — défaut des dispenses nécessaires, défaut de consentement d’une des parties, — et déclarèrent leur mariage nul. Le 25 avril 1600 fut signé, à Florence, le contrat de mariage d’Henri avec Marie de Médicis.

(Les détails sur le procès se trouvent dans les Lettres du Cardinal d’Ossat, t. III, p. 38^ sq., 403 sq. Amsterdam, l’joS. Cf. Degert, Le Cardinal d’Ossat, p. 2^4 sq. Paris, 189^ ; Poirsox, Histoire de Henri I t. II, p. 543 sq. Paris, 1864.)

5° Napoléon I^*" et Joséphine (1909 sq.). — Le 9 mars 1796, Napoléon Bonaparte s’était uni, par un mariage purement civil, à Joséphine Tascher de la Pagerie, veuve du général de Beauharnais. Le mariage fut stérile ; à mesure que la fortune de Bonaparte s’affermissait, ses frères le poussaient à un divorce qui lui permettrait une union féconde. Joséphine, qui se rendait compte de la campagne menée contre elle, profita du Aoyage du Pape Pie YII à Paris, à loccasion du sacre, pour lui révéler sa situation ; Pie VII fit entendre à Napoléon qu’il se refusait à la cérémonie du sacre, à moins que les deux souverains n’eussent auparavant reçu la bénédiction nuptiale. Après une explosion de colère qui montrait que dès lors il avait des projets, l’Empereur céda, par crainte du scandale ; la veille du sacre, le cardinal Fesch, prévenu par son neveu, se munit auprès du Pape

« de toutes les dispenses qui lui devenaient quelquefois

indispensables pour remplir les devoirs de grand aumônier » ; il maria ensuite Napoléon et Joséphine sans témoins, vers 4 heures de l’après-midi, dans les appartements privés des Tuileries (le"" décembre 1804). Le cardinal remit, quelques jours après, sur sa demande, à Joséphine, un certificat de la bénédiction nuptiale, et dut subir, à la suite de cet acte, une scène a iolente de son impérial neveu.

Dès 1807, Napoléon semble avoir pensé sérieusement au divorce, une liste des princesses d’âge nubile dans les différentes cours européennes fut alors dressée par son ordre. Un projet d’union avec la grandeduchesse Anne, sœur du tzar Alexandre, échoua à cause des exigences de la cour de Russie, qui eût voulu l’engagement formel que le royaume de Pologne ne serait jamais rétabli ; Napoléon fixa son choix sur l’archiduchesse d’Autriche Marie-Louise. Mais l’Empereur François II n’accorderait sa fille qu’après la dissolution canonique du mariage religieux avec Joséphine, dont il avait connaissance. Après l’émouvante scène du 15 décembre 1809, où Napoléon et Joséphine déclarèrent, dans une assemblée de famille, se séparer volontairement, « l’un et l’autre glorieux du sacrifice fait au bien de la patrie », après le sénatus-consulte du 16 décembre, qui déclarait le mariage dissous, et réglait le rang et la situation de Joséphine, l’Empereur pensa donc aussitôt à faire annuler sa première union par l’autorité ecclésiastique. Le mariage des princes était une de ces causes majeures qui, d’après les traditions mêmes de l’Eglise gallicane et les précédents historiques, relevaient du Souverain Pontife. Mais Pie VII était alors prisonnier à Savone par l’ordre de l’Empereur ; et d’ailleurs la fermeté avec laquelle il avait refusé de déclarer nul, en 1806, le mariage de Jérôme Bonaparte avec Elisabeth Patterson, laissait peu d’espoir de succès si l’on s’adressait à lui. Napoléon se résolut donc à confier sa cause, < ; omme celle d’un simple particulier, à l’officialité de

Paris, rétablie depuis le Concordat. Le 22 décembre 1809, l’ofRcial elle promoteur de Paris, mandés par Cambacérès, que l’Empereur avait chargé de poursuivre cette affaire, apprirent les volontés du Maître. Ils essayèrent de se dérober à la responsabilité qui les menaçait, en faisant observer que la cause n’était pas de leur compétence, mais de celle du Pape ; l’avis de la commission ecclésiastique alors réunie à Paris, et qui comprenait plusieurs évêques, fit taire leiu-s scrupules, et le 6 janvier 18 10 l’enquête commença. Cambacérès faisait valoir, au nom de l’Empereiu*, deux motifs de nullité contre l’acte du i^"’décembre 1804 : « la bénédiction nuptiale départie à Leurs Majestés n’a été précédée, accompagnée, ni suivie des formalités prescrites par les lois canoniques et par les ordonnances, non plus que des conditions essentiellement nécessaires pour constituer un mariage valable. Le vice radical du mariage que nous vous dénonçons est le défaut de lien, résultant de l’absence d’un consentement mutuel, que l’on doit considérer comme la cause et le résultat des circonstances qui l’ont accompagné ». Les témoins entendus furent le cardinal Fesch, Berthier, Duroc et Talleyrand. Fesch, après avoir fait le récit reproduit plus haut, ajouta que deux jours après le mariage l’Empereur lui avait déclaré « que tout ce qu’il avait fait n’avait d’autre but que de tranquilliser l’Impératrice et de céder aux circonstances ; qu’au moment où il fondait un Empire, il ne pouvait pas renoncer à une descendance en ligne directe ». Berthier, Duroc et Talleyrand afiîrmèrent

« avoir eu plusieurs fois l’occasion d’entendre

dire à Sa Majesté qu’il n’avait pas voulu s’engager, et ne se croyait nullement lié par un acte qui n’avait ni le caractère, ni les solennités prescrites ».

Le 9 janvier 18 10, l’alibé Rudemare, promoteur, déposa ses conclusions ; il prétendit plus tard qu’elles avaient été approuvées de plusieurs théologiens, parmi lesquels M. Emery. Il renonçait à l’argument tiré du défaut de consentement, n’osant pas faire valoir, disait-il plus tard, « en faveur d’un homme cpii nous fait tous trembler, un moyen de nullité qui ne fut jamais invoqué utilement que pour un mineur surpris ou violenté ». En revanche, il admettait que l’absence du propre curé et des témoins, requis par le Concile de Trente, rendait nulle l’union célébrée par le cardinal Fesch. Sans doute, celui-ci avait obtenu du Pape les dispenses nécessaires à l’exercice de sa charge de grand aumônier, mais « n’ayant pas particularisé, et nominativement spécialisé, les fonctions extraordinaires et curiales qu’il allait exercer auprès de Sa Majesté, il n’avait pu recevoir, et n’avait reçu, ni la dispense des témoins, ni le pouvoir de se substituer au curé ». L’Official de Paris, l’abbé Boilesve rendit en conséquence, une sentence par laquelle « vu la dilTiculté de recourir au chef visible de l’Eglise, à qui a toujours appartenu de fait de connaître et de prononcer sur ces cas extraordinaires », il déclarait nul et de nul effet le mariage contracté entre l’empereur et roi Napoléon, l’impératrice et reine Joséphine, et les prononçait libres de cet engagement, avec la faculté d’en prendre un autre. Appel fut immédiatement formé par le promoteur Rudemare à l’officialité métropolitaine, « attendu que M. l’Otlicial, qui a jugé selon sa sagesse, n’en a pas moins jugé contre la pratique ordinaire des tribunaux en pareil cas ». Le 1 1 janvier 1810, l’Oflicial métropolitain, l’abbé Lejeas, vicaire général capitulaire et administrateur de l’archevêché de Paris, rejeta l’appel, et admit, en plus du motif qu’avait accepté l’ofiicial diocésain, celui tiré du défaut de consentement ; Napoléon avait exigé cette insertion dans la sentence ; Lejeas obtint en récompense l’évêché de Liège, et s’y comporta en parfait courtisan. Le 14 janvier, le Moniteur, par 1121

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une note de Cambatérès, porta les sentences des deux olttcialités à la connaissance du public. Le même jour, le Journal des Curés annonçait qu’elles avaient reçu l’approbation unanime du Comité ecclésiastique réuni à Paris. L’archevêque de Vienne, avant de procéder à la célébration du mariage de Marie-Louise avec Tarchiduc Charles, qui représentait Napoléon, manifestalintention d’examiner les sentences parisiennes ; sur la protestation de l’ambassadeur de France, il s’en rapporta à la pai-ole de celui-ci, qui attestait

« qu’il avait vu et lu les originaux des deux sentences

des deux olBcialités diocésaines de Paris… et qu’il résulte de ces actes que, conformément aux lois ecclésiastiques catholiques établies dans l’empire français, ledit mariage a été annulé de toute nullité x. Le second mariage de Napoléon fut célébré à Vienne le 1 1 mars 1810.

Pie VII, par contre, lorsqu’il connut à Savone les événements, protesta, devant les Cardinaux qui l’entouraient, contre l’illégalité des sentences rendues par les oflicialités parisiennes en une matière qui n’était pas de leur compétence.

Cette protestation du Pape, connue des Cardinaux qui se trouvaient à Paris, fut cause d’un grave inci<lent lors de la célébration du second mariage au Louvre, le 2 avril 1810. Treize cardinaux sui- Aingt-sept refusèrent d’y assister. Bien que, dans une note remise quelques jours après à l’Empereur, ils aient déclaré « qu’ils n’entendaient pas s’immiscer dans le fond de lalTaire, et statuer sur la validité ou sur l’invalidité du premier mariage, par conséquent sur la justice ou l’injustice des causes du second, que leur désir était de ne point léser les droits du Saint-Siège, qui, à leur a^is, devait être le seul juge compétent dans cette affaire », ils reçurent la défense de porter les insignes de leur dignité, et furent dispersés en diverses villes de France et soumis à la surveillance le la police jusqu’à la chute de l’Empire.

Mais pourquoi le Saint-Siège n’a-t-il pas protesté plus tard ?

On peut donner plusieurs raisons de son silence. La première, c’est que la cause ne lui fut pas officiellement déférée par Joséphine, et que, dans ces sortes de causes, le Pape n’intervient que sur la demande de la partie lésée. La seconde, c’est qu’au fond l’iniquité du jugement pouvait paraître douteuse. La troisième, enfin, est un motif d’opportunité : le Pape était resté en dehors de toute cette affaire ; le doute subsistait sur le fond de la cause, personne n’en réclamait la revision ; le silence du Saint-Siège devait donc passer, auprès des esprits sincères et réfléchis, pour un acte de prudence, et non pour une approbation de l’injure faite à la sainteté du mariage.

A consulter : H. Welscui-nger, Le du’orce de Napoléon, Paris 1889. — B. Duiiu, S. J., Divorce et second mariage de Napoléon A (allein.), dans Zeilschrift fiir Kathol. Théologie, 1888, 4 Heft.

Sur la question du divorce en général, on consultera avec fruit : J. Cauvière, Le lien conjugal et le Divorce, Paris, Thorin. Et voir ci-dessous l’arliclc M.A.niAGE.

[P. GCILLEUX], J. DE LA SeRVIÈRE.