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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Dogme (II. Existence et objet)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 573-584).

IIe Partie. — Existence et objet du dogme

IV. Existence du dogme. —

Que l’Eglise ait un dogme défini, c’est chose d’autant plus manifeste à l’heure actuelle, qu’en dehors d’elle presque toutes les sociétés religieuses sèment sur la route, d’année en année, quelques pages de leur Credo. Elle sera bientôt presque seule à garder le sien.

L’esprit moderne, que ce dogmatisme importune, prétend lui ôter tout droit à le faire : il l’accuse d’avoir transformé en un système intellectualiste imposé d’autorité la religion toute spirituelle inaugurée par Jésus-Christ.

« Bavards prédicateurs, extravagants controversistes, 

écrivait Voltaire, tâchez de vous souvenir que votre Maître n’a jamais annoncé que le sacrement était le signe visible d’une chose invisible… Il a dit… « Aimez Dieu et votre prochain. » Tenez-vousen là, misérables ergoteurs ; prêchez la morale et rien de plus. » Dictionn. philosophique, au mot Morale, Œm-res complètes, in-8°, Paris, 1826, t. LVII, p. 154. La thèse est poussée de nos jours par tout le mouvement libéral. HATCHl’aexprinu’e dans un contraste frappant, en opposant au Sermon sur la montagne, dans lequel il voit le Christianisme pur, le Symbole, déjà nettement intellectualiste de Nicée ; The influence ofgreek ideas… upon ihe Christian Church. in8°, Londres (éd. 1907), lect. i, p, i. Pour A. Sabatier, l’Evangile n’était qu’une « expérience », Esquisse, 1. III, c. i, § 4, 7<’éd., p. 280, 290, et M. Goblet d’ALViELLA. écrit dans son Syllahus d’un cours sur les origines du Christianisme : « Sa théodicée était une page blanche, où la philosophie hellénique pouvait inscrire ses conceptions favorites de Dieu et de l’àme, sans devoir les coucher dans le lit de Procuste des vieilles mythologies. , Be^-. de l hisf. des relig., Paris, 1908, p. 821. Historiquement ces assertions sont insoutenables. De toute évidence, il n’y a, dans l’Evangile, ni les formules abstraites, ni l’ordonnance d’un manuel scolastique ; nuiis il s’y trouve des alTirmalions catégoriques, assertions concernant Dieu, ses attributs et ses (vuvres, ou narrations de faits. Cela sutlit pour constituer une dogmatique révélée et le travail logique pourra et devra en déduire toute une théologie. Voir plus loin, VIII, col. 1 144.

Pour vérifier ce qu’il en est, remontons du 11= siècle aux origines.

1° Comment expli((uer, sans l’existence d’ime doctrine précise, l uniformité du langage chrétien, dès le premier siècle de l’Eglise, 50-150, son accord remarquable dans un ensemble de vérités exprimées dans les mêmes lernies, cf. Kattknbusch, Das Apostolische Symbol, ii-8", Leipzig, t.II, iQOO.p. 619 ; A. IIaun. 113

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Bihliothek âer Symbole, in-8°, Breslau, 189’j, Appendice de A. Harxack. p. 364 sq., considérées comme un dépôt et comme le fondement du salut ? Cf. art. Tradition. Le fait est d’autant plus inexpliqué, si Jésus n’a pas inauguré un enseignement intellectuel comme il a inauguré un mouvement moral, qu’aucune secte religieuse de cette époque n’a senti le besoin d’un corps de doctrine arrêté, qu’aucune école philosophique n’exerce alors sur tant de points du monde romain une influence ainsi caractérisée, et que les philosophes chrétiens de cette première heure A’ont philosopher non pour introduire ces formules, mais pour essayer de les justifier. S. Justin, / Apol., 60, P. G., t. VI, col. 420.

2° L’histoire de S. Paul est la meilleure réponse aux innovations qu’on lui prête. Qu’il ait mieux compris et fait mieux comprendre la richesse des dogmes reçus, nul ne le conteste ; qu’il ait proprement créé la dogmatique chrétienne et fait délier la piété chrétienne Aers la spéculation, quelle critique consciencieuse pourra l’établir ? Voici les faits.

Son caractère ne l’y prédispose pas : c’est le docteur de la charité et de la liberté dans le Christ, / Cor., II, 15 ; // Cor., iii, 17, non l’apôtre du savoir.

Sa manière d’agir est signilicatiA e. En proposant ses vues profondes, il se réclame de l’enseignement commun, / ror., xv. i, 3, 11. C’est habile, s’il innove, mais dangereux, s’il veut réussir, car il est le dernier venu et n’a que trop d’ennemis prompts à lui opposer les « grands apôtres ». On les lui oppose en eflet, mais uniquement sur le terrain disciplinaire et moral.

Il tient à afTirmer son union avec les Douze et à autoriser « son Evangile » de l’approbation complète que Jacques, Pierre et Jean lui ont donnée. Gal., i, 23 ; II, 2-1 1 ; cf. II Petr., iii, 16.

Ce noA’ateur s’adresse à des églises qu’il n’a pas fondées et leur prêche ses idées, sans éprouver le besoin d’excuser ces innovations, en prédicateur qui reprend un thème connu et l’explicpie seulement plus à fond, Ad Rom., xvi, l’j.

Ces lettres, loin de reljuter par leur nouveauté, ou par l’articulation d’un dogmatisme inconnu aux premiers disciples, ont tel succès, qu’elles sont recherchées même par les églises auxquelles elles ne sont pas adressées et que leur ferveur devait défendre contre ces déviations.

Enfin, cet apôtre de l’Esprit et de la liberté est celui qui donne pour pierre de touche de l’inspiration authentique l’attachement à la tradition, / Cor., xji, 3 ; XIV, 37, 38 ; Ephes., iv, 3-^ ; Gal., i, 8, 9, et qui distingue avec soin son enseignement personnel de celui qui Aient de Jésus : / Cor., iii, 1 1 ; vii, io-13, 25 ; XI, 23, XV, 3 ; H Cor., v, 20 ; Gal., i, n ; 11, 2 ; / Tim., VI, 20 ; // Tim., i, 14 ; iv, 7.

S° Les évangiles synoptiques marquent un stade moins aA’ancé de la pensée chrétienne : c’est une histoire anecdotique, une catéchèse rudimentaire. Ils paraissent après les épîtres pauliniennes. Or ils sont, malgré tout, reçus avec elles et au même titre : lïi difl’érence de forme et, jusqu’à un certain degré, de contenu, qui devait mettre en garde, n’a pas permis de méconnaître l’identité foncière de la doctrine.

Il existe en efl"et, dans les Synoptiques, bien qu’enveloppé dans des récits et caché dans des faits, un enseignement précis, dont l’accord a^ec celui de S. Paul se découvre sans grande peine. C’est d’abord le fonds dogmatique de l’A.-T., qui forme la trame du Nouveau : personnalité de Dieu, création, providence, rémunération, salut messianique. C’est ensuite l’histoire de la naissance, de la Aie, de la mort et de la résurrection du Christ. Ce sont encore des assertions nettes sur le Messie lui-même, définissant sa nature.

J/flf., XI, 2- ; Luc, X, 22 ; Mat., xa’i, I’J ; et ses pouvoirs, Mat., IX, 6 ; Marc, 11, 10 ; Luc, v, 24 ; Mat., xxaiii, 18, I g… Jésus ne s’y présente pas comme simple transmetteur de la foi ; il est lui-même objet de croyance.

Est-ce bien là une page blanche ?

Si l’on objecte les difl"érences marquées qui séparent les Synoptiques, S. Paul, S. Jean, les Pères apostoliques, il sera facile de montrer qu’elles n’indiquent pas une altération, une déAiation du courant primitif, mais une description plus complète et une prise de conscience progressivc du contenu intellectuel des faits chrétiens. Cf. J. Lebreton, Origines du dogme de la Trininé, t. I, c. v, p. 3^4 sq. ; Aoir XIV, col. 116 1 sq.

C’est à nos advcrsaires de prouvcr ce double postulat de leur thèse : qu’un auteur ne peut parler sur un sujet, sans être tenu de tout dire, ou qu’un fait transcendant, comme l’Incarnation du Verbe, peut être exprimé en une esquisse unique, et qu’on estcon-A’aincu d’erreur ou de duplicité, dès qu’on prétend en traduire quelque détail avcc plus de précision.

V. Trois classes de dogmes- — D’après la nature des A’érités garanties par l’autorité diA-ine.’nous pouvons distinguer trois catégories de dogmes :

a) Les vérités d’ordre naturel. — En droit au moins, elles ne dépassent pas les limites de la raison humaine : telle l’existence de Dieu, de la loi morale, de la Aie future…

/3) Les mystères proprement dits. — Inaccessibles aux forces de la raison, qui ne peut ni les découvrir à elle seule, ni les prouvcr directement, même après leiu’réAélation, ils ne tombent sous son contrôle que par la critique des titres du témoin divin qui nous les a enseignés : Trinité, péché originel, adoption diA’ine, etc.

/) Les faits historiques enseignés par la Bible ou par la Tradition, et spécialement ceux qui concernent la personne du Sauveur. — Ils relè-A’ent de la connaissance sensible et du témoignage historique, quant au matériel de l’éA’énement, et des inductions de la raison, quant à leur qualification de faits diA’ins : naissance, vie, mort et résurrection du Christ…

Manifestement les diflicultés que présente chaque classe, à l’adhésion de l’esprit, sont très différentes : l’attaque comme la défense se doivent d’en tenir compte.

VI. Valeur de vérité. — AA-ant de définir quels rapports le dogme peut avoir soit à la spéculation, soit à l’action, nous noterons aA^ec profit trois degrés dans la connaissance religieuse.

a) Connaissance catéchétique : c’est celle du catéchumène dans l’esprit duquel, tant bien que mal, le catéchiste a A’ersé son propre savoir. Il peut avoir compris quelque chose aux termes bonté divine, providence et autres, comme l’enfant des écoles entrevoit au moins quelque chose, quand on lui explique bien représentation nationale, finesse diplomatique, etc. C’est à peine une connaissance personnelle.

/3) Connaissance pratique : c’est celle de qui connaît par sa propre expérience, de qui comprend par exemple la miséricorde et la « philanthropie » du Christ, pour en avoir épromé les efl’ets.

/) Connaissance dialectique : c’est celle du saA-ant et du philosophe.

La première est juste un peu plus que verbale, la seconde est expérimentale, la troisième toute abstraite. On peut aA’oir la première et la troisième sans la seconde et la seconde sans la troisième ni la première. Dans les trois cas, pourtant, on sait quelque chose.

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Ces distinctions rappelées, la doctrine catholique peut se résumer dans les propositions suivantes :

1° Le dogme est, avant tout, un énoncé intellectuel ; 2° // est cependant révélé en vue de l’action ; 3° // est compris surtout dans et par l’action.

Les deux dernières feront l’objet du § VII, Valeur de vie, col. 1143.

Le dogme, disons-nous, est, avant tout, un énoncé intellectuel.

Dire qu’il est cela e.vclusivement supposerait, ù tort, que le Christianisme n’est qu’une « sagesse ». ou encore une juxtaposition bizarre de doctrines et de pratiques, sans lien. Dire principalement donnerait à croire que la révélation a eu pour but de faire surtout des gens instruits. En disant avant tout, on exprime seulement, quel que soit son rôle comme règle d’action et notification de conduite, que le dogme ne remplit cet office qu’à condition d’être d’abord règle de pensée et notification de vérité.

A. Preuves théologiques. — Si l’argument de prescription a quelque part (pour les fidèles) tm emploi légitime, c’est, à coup sur, en pareil sujet.

Comme la différence est énorme. — soit théoriquement et en soi. soit comme stimulant d’action, soit tomme dignité et donc mérite de nos actes. — d’agir parce que l’on sait, ou de faire comme si l’on savait quelque chose sur Dieu, il est inadmissible que vingt siècles de Christianisme se soient trompés sur ce point. Or, si plusieurs de ces siècles ont pu donner dans un intellectualisme excessif, on peut assurer <iue pas un n’a admis le pragmatisme, sous quelque forme qu’on le propose (symboles de A. Sabatier, formules défensives de G. Tyrrell, surcrorances de M. W. James, recettes d action de M. E. Le Roy). Tous ont cru vraiment que les dogmes leur ax^prenaient quelque vérité.

a. L.a conduite des apôtres, à l’égard des trois classes de dogmes signalées plus haut, est significative : œ) Ils se donnent comme témoins des faits évangéliques et manifestement nous les livrent comme de l’histoire : Ad., i, 8 ; 11, 82 ; iii, 15 ; v, 22 ; x, 89 ; Luc, xxn-, 48 ; i, i-5 ; II Petr., i, 16 ; IJoa., i, i-4 ; iv, 14. jS) Pour les autres dogmes ils prétendent proposer un enseignement reçu, à garder et à transmettre, tel, en certains cas, que le Fils de Dieu, seul renseigné, pouvait seul en donner la matière, Joa., i, 18. Les épîtres témoignent, avec une préoccupation marquée de maintenir la morale chrétienne, un souci aussi vif de prévenir toute corruption des vérités qui la fondent, IJoa., II, ai ; v, 11, 20 ; Jud.. i^-aS.

/ ;. Le cas de S. Paul est instructif.

Même prétention à rapporter après les aiifres l’histoire exacte du Christ, / Cor., xv, i sq.

Pour les autres dogmes, a) sa notion de la foi est celle d’une sujétion ou d’une obéissance intellectuelle, // Cor., X, 5 ; Rom., vi, fj ; cf. Eplies., 11, 2 ; v, 6 ; ce n’est pas seulement une confiaiice aimante ; elle comporte une connaissance obscure par rapjiort à la vision, / Cor., xiii, 12. î) Son progrès dans la foi est un surcroît, non dépure confiance, mais d’intelligence, / C’o/-., II, 6 ; 111, 2 ; Coloss., i, io ; cf. flehr., v, 1…

v) Certaines épîtres ont pour but très net d’opposer thèse à thèse vg. la christologie chrétienne aux spéeidations gnostiques. Sans doute, en quelques cas, il se borne à interdire des rêveries sans profit, / Tint., I. 3, 4 ; Tit., iii, 9 ; Col., II, 4 ; vi, 16 ; mais « ce rejet des fausses représentations en suppose une véritable, la rappelle et la détermine d’autant ». De Grandmai>ox, dans le Bulletin de litt. ecclés., 1906, p. 196 ; et <l"ordinaire c’est par un surcroit de lumières qu’il combat la séduction des fables hérétiques : , /rf Coloss. ;

Ad Ephes. Le P. Lemoxnyer l’a noté judicieusement, dans l’épître aux Hébreux : « L’auteur pressent, semble-t-il, que la répétition incessante des vérités élémentaires est stérile et que seul un progrès dans l’intelligence du Christ peut assurer la persévérance de ses correspondants dans la foi et l’épanouissement de leur vie religieuse. » Epitres de S. Paul, 3"^ édit., Paris. 1906, t. II, p. 220. s) Le rapport de la foi à l’action s’accuse cliez lui. par cette division habituelle de ses lettres en deux parties, la première théorique, la seconde pratique et par son insistance à appuyer ses directions morales sur quelque point de la christologie. ô) Enfin, il a contribué, pour une très large part, à faire entrer dans la langue et dans la pensée chrétienne les notions de dépôt et de tradition. Voir les citations de S. Paul dans S. Vincent de Lérins, Commonit. I, n. 7, 21, sq., P. L., t. L, col. 648, 666 sq. En l’une et en l’autre, il ne voit pas seulement un rituel, un ensemble d’habitudes chrétiennes ; comme il les oppose à la pseudognose, ils constituent pour lui une gnose orthodoxe, donc une doctrine spécifiquement chrétienne.

c. La pratique de l’Eglise, à la considérer dans ses grandes lignes, trahit la même manière de voir. C’est, entre autres : k) l’importance donnée dans le catcchuménat primitif à la remise du Symbole, traditio Srmboli, cf. Vacant, Dict. de ihéoL, art. Catéchuménat. C’était le signe de l’initiation à l’enseignement du Christ, à « ses dogmes », en opposition à tous « les dogmes » qui partageaient les écoles et les sectes des Gentils ; /3) c’est surtout, dès l’origine. Tintention manifeste de ses formulaires de foi et des définitions de ses conciles : elle oppose orthodoxie intellectuelle à spéculation hétérodoxe et cherche à prévenir des écarts, non de pratique, mais de pensée, par des précisions de concepts et de mots.

Les dogmes ont donc, avant tout, aux yeux de la tradition chrétienne, une valeur de vérité. Qui les définit autrement, altère leur sens authentique et corrompt la foi ^.

B. Preuves philosophiques. — Cette valeur intellectuelle, la raison d’ailleurs la défend aussi comme toute première.

1. Par une illusion singulière, M. E. Le Roy a prétendu cependant n’apporter « aucun changement substantiel », parce que, au lieu de l’appliquer seulement à tel ou tel dogme, il étendait son interprétation pragmatiste à tous les dogmes également, « les rapports demeurant intacts dans l’égale transposition de tous les termes ». Rev. du clergé, 1907, t. LU, p. 217.

Ces raisonnements sont de mise en mathématiques, où l’on ne change pas la valeur d’un rapport en multipliant tous ses membres par un même nombre, d’une étpialion en la transposant dans un autre système, en musicjue, où l’on peut transposer dans une autre clef, etc., mais le cas ici n’est pas le même. Ce n’est pas la notation que transpose M, Le Roy — il conserve au contraire tout « le formulaire » dogmatique, loc. cit., — c’est la réalité notée, qu’il fait autre..ux mêmes mots il fait signifier, au lieu d’une vérité dogmatique précise, une attitude pratique impliquant une donnée intetlectuelle tftéologisal>le. Le changement de sens portant sur une seule formule ne modilierait qn’un dogme ; portant sur toutes, c’est toute la dogmatique chrétienne qui est transformée.

M. Le Roy doit en convenir, puisqu’il reconnaît avec ses contradicteurs que le dogme est exprimé en langage do sens commun, loc. cit., p. 2Il sq., et que pourtant linterprétalion du sens commun qu’il adopte date de M. Bertrson, i/jid. p. 214 sq., « dont l’univre admirable est le point de départ d’une profonde révolution dans les idées traditionnelles ». Hcfur de Métaphysique et de Morale, ISy.l, p. 727, puis qu’ayant concédé que le dogme est en dehors des systèmes, ilinterprète aujourd’hui tous les dogmes, à neuf, dans son propre système.

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Renvoyant le lecteur, pour une réfutation plus détaillée aux articles Agnosticisme, Ricvklation, Immanence, Expérience religieuse, nous nous bornerons ici à l’essentiel.

En un sens, la ditliculté articulée par l’agnosticisme commande toutes les autres. Si Dieu n’est point connaissable, exprimable en quelque manière par les mots humains, on peut parler encore d’une certaine rcvclation par le sentiment (émotionnelle), non de révélation par énoncés précis de vérité (intellectuelle).

Nous montrerons donc brièvement qu’il nous est possible de connaître et de désigner en quelque manière les choses divines, qu’il est donc com’enable ({ue Dieu novis secoure par un apport de vérités, bien plus, que cela est Tiécessaiie, à faute de rendre immorales certaines attitudes pratiques, enfin que les thèses opposées pèchent par illogisme.

a. Possibilité d’une valeur intellectuelle des formules dogmatiques. — La difficulté capitale qui fonde l’agnosticisme, c’est la distance qui sépare le divin de l’humain. La réponse, s’il en est, doit se tirer du rapprochement ou de l’affinité de ces deux termes.

Or — il faut bien concevoir ce fait — si Dieu seul est par lui-même, s’il est VEtre, il n’y a pas deux types d’être ; il n’y en a qu’un. S’il est toute-puissance, il n’y a de possibilité d’être que par imitation de sa nature. L’être fini, ayant toute sa raison d’être dans l’Infini, n’est concevable dans sa nature propre qu’en fonction de l’Infini, comme il n’est réalisable que par participation de l’Inlîni.

Il en résulte, qu’il est aussi impossible d’imaginer un être qui ne ressemble pas à Dieu, par tout son être, que d’admettre un être qui existe indépendamment de Dieu.

En quoi consiste cette ressemblance ?

— Si Dieu est la plénitude de l’être, il est certain que seul le néant absolu diffère de lui du tout au tout. S’il est infini, il est cei"tain qu’il n’y a pas de proportion mesurable entre lui et le fini. Mais il n’est pas moins évident, pour la raison indiquée, qu’il y a une certaine communauté de nature, une certaine affinité d’être entre lui et nous. Qu’on nomme cela comme on voudra, analogie avec S. Thomas, I, q. 13, cf. CAJETANetToLET, //i 11. /., ou univocité (ontologique ou métaphysique) avec Scot, /// IV Sent., 1. I, dist. 3, q. 2, n. 5 sq. ; q. 3, n. 6 ; dist. 8, q. 3, le fait de la ressemblance demeure, indépendamment des systèmes qui se proposent d’en expliquer le comment.

Les conséquences sont des plus graves. En effet, s’il n’y a pas hétérogénéité absolue entre les deux termes, fini et Infini, il est acquis que le fini connaît quelque chose de l’Infini, en demeurant en soi, et donc qu’il peut nommer avec quelque exactitude l’Infini, en usant des mots qui désignent le fini. En atteignant mon existence, ma liberté, ma pensée, j’ai une image, infiniment imparfaite mais inévitablement ressemblante, de l’existence, de la liberté, de la pensée de Dieu. J’en conclus que toute perfection connue en moi m’indique, non le terme de la perfection divine correspondante, mais la direction de pensée selon laquelle je dois m’attacher à la concevoir : Dieu est cela, en infiniment mieux. Pour que cette indication me soit précieuse, il n’est nullement nécessaire que je voie où elle aboutit. Si la direction indiquée est claire et sûre, c’est beaucoup. C’est assez, si je ne puis prétendre à plus sans déraisonner.

Ce point établi est l’essentiel : il j a un pont entre le Dieu transcendant et le sujet connaissant et c’est la nature même du sujet connaissant. Parce qu’il existe seulement dans la mesure où il imite le

transcendant, il peut connaître celui-ci, sans sortir de soi*.

En résumé, les diflicultés élevées contre la valeur intellectuelle du dogme proviennent de ce fait : ou bien l’on suppose que nos expériences (et j’entends ici connaissances acquises, soit des choses sensibles, soit des choses spirituelles par le moyen du sensible ) n’ont rien de commun avec la réalité divine ; ou bien on imagine que la révélation se présente à nous en dehors de nos expériences. La première erreur étant réfutée en substance, la seconde appelle quelque explication.

C’est un principe communément reçu : point de connaissance qui ne s’appuie sur une expérience sensible : nihil est in intellectu, quod non prius fuerit in sensu. Nous dirons donc, non, comme le sjmbolofidéisine et le modernisme : « Seule l’expérience du divin peut nous instruire », mais : ’< Nous ne pouvons connaître le divin que par l’analogie de Jios expériences. » Pour concevoir la sainteté divine, par exemple, il faut avoir expérimenté par nous-mêmes ce qu’est la sainteté (conn. pratique). L’enseignement catéchétique ne nous donnera que des mots (conn. verbale), tant qu’il n’accrochera pas le mot à une expérience personnelle au moins embryonnaire, qui nous renseigne sui- son contenu.

C’est là une nécessité de notre nature ; la voie est donc la même pour quelque ordre de connaissance que ce soit, que nous inventions par nous-mêmes, cu ?n aliquis… principia applicat ad aliqua pai’ticularia, quorum memoriam et expérimenta m per sensum accipit… ex notis ad ignota procedens, ou que nous apprenions d’un maître, quilibet docens, ex his quae discipulus nosit, ducit eum in cognitionem eorum quæ ignorabat, S. Thomas, I, q. 117, a. i, c ; De Verit., q. Ji, a. i-4 ; Cont. gent., 1. II, c. 76, 3°, etc., et la méthode sera la même, que le maître soit un homme, ou un ange, ou Dieu même, De Verit., q. 11. a. 3, c.

S’agit-il de la révélation chrétienne ? Elle nous a été proposée précisénient dans le cadre de nos expériences habituelles. Le Verbe s’est fait l’un de nous ; Il a parlé comme nous, élevant sans cesse la pensée au delà de la mesure humaine, mais en partant toujours de l’analogie des choses terrrestres. n’expliquant jamais le comment, qui nous est incompréhensible, mais enseignant le fait, dans les mots que l’expérience nous a rendus intelligibles.

S’agit-il de la révélation prophétique ? — Dieu, en

1. Ces vues ont été fréquemment proposées par les premiers Pères. Ils ont insisté a) sur l’affinité de l’àme et de Dieu, pour expliquer en nous l’appétit du divin et la connaissance des perfections divines, /3) sur l’influence, à ce double point de vue, de tout ce qui, vice ou vertu, pouvait aviver ou affaiblir cette ressemblance.

Ne pouvant retracer ici l’histoire de cette théorie, je donne seulement quelques textes, pour orienter le lecteur. S. Justin, Dlal. n. 4, P. G., t. YI, col. 484 ; S. Théophile, AdviitoL, 1.1, c.ii, P. G., t.T, col. 1025 ; Clément d’Alex., Sfrom., 1. III, c. v, P. G., t. VIII, col. 1145, 1148 ; 1. V, c. XI, t. IX, col. 101 sq. : S. Athanase, De Inc. VerbI, n. 57, p. G., t. XXV, col. 196, 197 ; S. Basile, Epixt. ccxxxiii, n 1, 2, P. G., t. XXXII, col. 865, 868 ; S. Grégoire deNaz., Orat. XX, ci, xii, P, G., t. XXXV, col. 1065, 1080 : Orat. theol. II, C. I, II, t. XXXVI, col. 25, 28 ; S. Augustin, dans Vacant, Dût. de thiol. art. Augustin, col. 2332…

La théorie de l’analogie n’a été fixée que beaucoup plus tard. Elle a apporté des précisions de haute importance, dont j’ai préféré ne pas m’occuper ici.

Sur la relation entre affinité de nature et affinité d’appétit », cf. S. Thom. : non enim esset in natiira alicujns quod amaret Deum, nisi e.r eo quod unumquodque dependet a bono, quod est Deus, I, q. 60, a. 5, 2™ ; II, 11, q. 26, a. 13, 3"" et P. Rousselot, /’oj</- l’histoire du problème de l’Amour, in-8°, MUnster, 1908.

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utilisant les connaissances et les images acquises, amène le voyant à comprendre, dans un agencement nouveau de cet avoir personnel, une image ou une idée nouvelle. Le message sera donc exprimé en dépendance évidente des antécédents du prophète — c’est un fait. — En quoi cela empèche-t-il qu’il y ait. dans cette phrase nouvelle, autre chose que la somme des images et des mots déjà connus ? S. Thomas, II, II, q. 173, a. 2, c.

S’il s’agit de catéchèse, la marche sera la même.

Le secours du maître, — que sa voix, comme celle de Dieu, résonne dans le cœur, ou, comme la nôtre, aux oreilles, — n’est jamais que pour aider la nature à comprendre par elle-nieine ; mais en l’aidant, il ne supplée pas son mode essentiel d’opération, omnis scientia ex præcedenti pt cognitloiie, S. Thomas, lac. cit. : on comprend le nouveau par l’analogie des connaissances antérieures’.

Appliquons ces principes aux trois ordres de dogmes indiqués, col. iiSa.

a) Les vérités d’ordre naturel, comme les attributs divins, nous sont intelligibles par l’analogie des perl’ections humaines.

Il se peut, car il y a des âmes qui pratiquent, avant la foi, nombre de vertus chrétiennes, et qui, par cela même, sont conduites à aftirmer de Dieu tout ce qu’elles conçoivent de beau et de bien, que la révélation ou la catéchèse leur apporte seulement les mots qui distinguent et classifient leurs appréhensions confuses.

Il se peut aussi que des intellectuels, par voie de déduction (conn. dialectique), aient découvert tout cela.

A tous, la foi n’apporte rien que dans le langage de l’expérience.

ji) Les faits évangéliques sont, comme phénomènes sensibles, de même ordre que les faits quotidiens. Si certains, comme la résurrection de Jésus, font exception aux lois ordinaires, ils restent constatables, comme faits matériels, même quand reste inexpliqué le comment de leur production. Ils s’imposent à la raison, comme s’imposent à elle les faits imprévus, déconcertants, naturels pourtant, que la science doit parfois enregistrer.

M. Le Roy l’a reconnu : « L’autonomie de la pensée s’accorde parfaitement avec le principe de la soumission aux faits. La raison la plus scrupuleuse et la plus jalouse ne voit aucune gène à là liberté de sa

1. Voici IVxagération.

Les théoriciens prolcstants et modernistes vont répétant que lu foi au Glirist, par exemple, présuppose l’expériencf personnelle du Christ, et racceptation des mystères l’expérience de leur vérité.

Erreur manifeste. On expérimente des manifestations, des opérations, qui.suitt difincs ; ou ne les connaît cortintc dii’iiies, que par l’intelligence. Les sens ex[)érinienteront ce qui est morrcilleux, mais In raison seule peut le reconnaître en tant que miraculeux, etc.

Il importe de distinguer entre concept e. jugement (affirmation de r.ip[)orts enti’C coiicejits). L’expérience est nécessaire pour nous amener aux conce|)ts, mais, ceux-ci donnés, on peut apprendre des rapports nouveaux, soit par voie de déduction (preuve intrinsèque), soit par voie d’autorité- (preuve extrinsèque), sans expérience nouvelle. L’intelligence antérieure des concepts fait ces rapports intelligibles, et In preuve certains : il peut donc y avoir une certitude (dialectique), avant l’expérience de la vie de foi.

Que, pour admettre cette preuve et pour régler sa vie sur cette vérité, il faille avoir goûté- déjft, en quelque mesure, les charmes de la bonté, de la sainteté, de la sagesse du Christ, soit. Cette expérience peut bien être, à quelque de> ; ré, une rondilioii indispensable, mais elle ne peut être tenue, sans les plus graves dangers, comme le critère suprême de la connaissance : ce n’(-st jamais au sentiment à prononcer du vrai et du bien.

recherche dans l’obligation d’admettre que les faits jugent les théories. » Dogme et critique, p. 286 sq.

« La comparaison est éclairante.) L’auteur tente eu

vain, par la suite, de reconquérir ce que cette concession nécessaire lui fait perdre. « Avant d’être matériaux de science, écrit-il, les faits sont des moments de vie, p. 287. » Non pas. Si le fait est fait pour moi, s’il entre dans ma connaissance, c’est, il est vrai, par le point où il entre en contact avec ma t’/e, mais, s’il y entre, souvent, très souvent, c’est parce qu’il la heurte, parce que j’ai senti hors de moi, contre moi, s’exercer une activité qui n’était pas de moi et qui ne s’explique pas par ma vie seule. Dans nombre de cas, c’est l’hétérogénéité du fait qui est sa note dominante, et plus cette hétérogénéité nous dérange, au premier choc, plus il y a chance que cette rencontre nous fasse apprendre du nouveau. N’estce pas du heurt des contradictoires, de l’impasse où les faits nous jettent, cpie sortent souvent les grandes inventions ? L’expérience en quelque sorte nous impose un problème, dont les données sont intelligibles et dont la solution reste à chercher. En ce sens, le parallèle entre les faits et les dogmes est assez strict : à côté du « donné expérimental », il y a le « donné révélé » : l’un et l’autre ont une valeur de vérité.

/) Les mystères proprement dits présentent évidemment le maximum de difficulté. Quand on a prouvé qu’ils sont garantis par le témoignage divin (crédibilité), on n’a pas encore montré leur intelligibilité intrinsèque (cognoscibilité).

Faut-il exagérer, et montrer là un « bloc notionnel », imposé du dehors, pesant de tout son poids sur la vie de l’esprit ?

— Sans doute, une proposition comme celle-ci : « Un Dieu en trois personnes » comporte plus d’ombre que de lumière ; mais encore est-il qu’il y a là plus que des mots. On entrevoit un rapport’insoupçonné entre personne et nature, indémontrable dans sa vérité intrinsèque, mais dont la contradiction intrinsèque est aussi indémontrable, ou plutôt dont on peut concevoir, par comparaison avec l’àme humaine, quelque vague analogie. C’est insuflisant pour une preuve, mais suflisant pour indiquer une nouvelle orientation de pensée : le terme dernier nous échappe ; la direction reste assez précise.

Extrinsécisme, oppression… soit ! Exactement comme des formules qu’o/ ? sait vraies, sans avoir jamais pu soi-même établir comment elles sontvraies, comme ces conclusions de vingt sciences dillérentes que nous acceptons d’autorité, sans yOo « t’o//- les justifier, comme des faits bruts, établis dans leur réalité, à l’explication des((uels nous ne comprenons rien.

Ces « blocs » sont-ils un poids mort ?

— Ce n’est pour étonner personne, si l’on allirme ([u’ouvrir seulement à l’intelligence une perspective nouvelle et l’angoisser d’un problème fécond, c’est lui rendre un bien autre service que de l’abanilonner à ses études somnolentes et à sa béate sutlisauce.

Le lecteur voudra bien, pour plus d’explications, se reporter aux articles spéciaux. On ne prétend ici que lui faire entrevoir comment chaque classe de

1. Dire « Comment les termes humains signifieraient-ils autre chose que de l’humain ? » Lahkuthonnifihk, Ann. de p/iil. clirét.. t. CLVII. p. 69, équivaut à dire : Comment avec des traits et des points, en télégraphie, peut-on signifier autre chose que des traits et des points ?

On apprend du neuf, quand on a[)prcnd des rapports nouveaux, et ces rapports peuvent être signifiés en n importe quelle langue. Voir les page » pénétrantes de New-MANsur la j)ossibilité d’exprimer une valeur en de multiples systèmes. De la théorie du déi’eloppement, n. 31 sq., 38 sq., dans Sai.eii.i.fs, f.a foi et la raison, p. 239 sq., 249 sq. 1139

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dogines pciil contenir quelque vérité et comment l’esprit humain peut en prendre connaissance.

b. Converunice d’une i-évélation de vérité. — Si cette notitication est possible, il n’est pas besoin de longs discours pour montrer à quel point elle est convenable.

Outre l’utilité de garantir divinement les vérités capitales de l’ordre naturel, Concil. Vatic, Sess. iii, c. 2 ; voir le texte, col. 1122 ; Vacant, Etudes théol. sur le Conc. du Vat., t. I, p. 343 sq., il paraît plus digne de Dieu et de l’homme, que Dieu initie l’homme, dès cette terre, à la vie plus haute à laquelle il lui a plu de l’élever, comme il a voulu, de fait, aA-ant l’Incarnation, prévenir la Vierge, pour que sa collaboration consciente fût plus digne d’elle et de lui.

Puisque notre vie doit se terminer à la Aision du Père, du Fils et du Saint-Esprit, il convient que, dès cette Aie, quelque chose nous en soit réAclé, afin que nous puissions orienter au moins notre pensée dans le sens de cet Infini de mystère, que l’éternité même ne nous permettra pas d’épuiser. Et puisqu’elle doit se couronner par l’amour béatifiant des trois personnes, il convientque notre amour, dès maintenant, aille à elles trois. Eu s’ue de cette conduite à tenir, il était opportun que nous fussions d’abord informés de cette vérité.

c. Nécessité de cette révélation. — Il y a plus. Dieu se doit d’en agir ainsi.

La raison en est — et partout ailleurs cette assertion ne fait pas l’ombre d’un doute — que c’est l’intention (et donc l’idée dont ils s’inspirent), qui donne leur sens aux actes. Dire, par conséquent, que les attitudes religieuses imi^ortent seules (A. Sabatier, W. James), ou que les attitudes seules sont réA-élces et les Aérités affaire de sA’stèmes (E. Le Roy), oucp^ie les dogmes ne sont qu’énoncés prophétiques, proA’identiellement utiles sans être philosophiquement Arais (G. Tyrrell), conduit à des conclusions également inacceptables.

Dans le premier cas. comme les interprétations humaines sont, non seulement de perfection différente, mais divcrgentes et contradictoires, on aboutit à dire que Dieu et la morale autorisent, à la fois, le pour et le contre.

Dans les autres cas, on fait les prescriptions diAÙnes déraisonnables et gravcment insuffisantes. La morale interdit, en effet, des attitudes que la réalité des choses ne justifie pas. Se conduire euvcrs Jésus comme euA’ers le Fils du Père, l’égal du Père, est un crime, s’il n’est pas tel en Aérité. Adorer l’hostie comme si elle était Jésus est pure idolâtrie, si elle n’est pas Jésus mèuîc, le dogme affirmant d’ailleurs qu’elle n’est ni pur symbole, ni pure image du Christ. Les préceptes qu’on nous donne d’agir comme si ne sont donc légitimes que si la AÔrité est telle en effet.

Précisons. Dieu commande un acte immoral, non seulement s’il n’y a pas, jiour justifier l’acte, une Aérité objective, mais s’il n’y a pas cette vérité que l’attitude d’un homme implique ; et si elle l’implique nécessairement, est-il si difficile d’exin-imer. au moins enfermes approchés, ce qu’elle est !

Bien plus, c’est par la réA^élation de cette vérité que Dieu doit commander la pratique. L’action, en effet, est brutale et sans nuances. Si l’on me dit : « agissez avcc Dieu comme avec une personne », j’agirai aA-ee Dieu comme aA ec une autre personne humaine : c’est de l’anthropomorphisme pratique, et c’est faire injure à Dieu. Il faut donc rectifier l’attitude. Or quel moyen d’y atteindre, sinon de mettre dans l’intelligence les corrections nécessaires ?

Autre raison. Si la pensée est ainsi la forme de l’acte, qui ne Aoit combien l’action est pour ainsi dire malléable ? Les attitudes d’àme sont parfois

comme identiques. Sénèque écrit un Suscipe qu’on pourrait croire signé par S. Ignace ; S. Nil adopte pour ses moines le Manuel d’Epictète, se contentant de remplacer le nom de Zeus par celui de S. Paul. On peut donc entrevoir une similitude « dans toutes les démarches de la Aie… dans tous les actes pratiques de l’àme », JSull. de litt. etc/e’s., igo6, p. 19, qui serait parfaite en effet, si quelque panthéisme — et il n’est pas diflieile d’en trouvcr de plus subtil que le stoïcisme — n’imprégnait pas toutes les pensées des uns ou des autres et n’altérait pas tous leurs actes.

Dans ces conditions, pourquoi Aeut-on que Dieu ait prescrit le geste sans préciser l’esprit (fui doit l’animer, et, pour le rendre ce qu’il doit être, ne nous ait pas. avant fout, appris à penser de Lui comme il faut ?

Il dcvait le faire ; Il l’a fait.

d. Illogisjiies des théories pragmatistes. — Il nous reste à examiner sommairement les thèses qu’on nous oppose.

Les formules dogmatiques sont ou facultatives (A. Sabatier, W. James), ou obligatoires à quelque degré (G. Tyrrell, E. Le Roa’).

Dans la première hypothèse, et très logiquement, si elles ne sont que la traduction humaine d’émotions individuelles, elles sont interchangeables, modifiables en recettes écpiivalentes ; il est même loisible de les abandonner à qui pense arrivcr sans elles au même résultat.

Le protestantisme est allé jusqu’à cette conclusion. Chacun s’y taille son Credo. Et donc « il [y] serait plus juste de dire : j’ai jua foi que de dire j’ai la foi ». G. GoYAU, Le Protestantisme, p. 108 sq. Au dernier terme, l’historicité des faits chrétiens est déclarée accessoire à la Aie chrétienne, cf. J. Lebreton, L’Encyclique et la Théologie moderniste, p. 65. Il est A-rai que, par respect du passé, et pour ne pas effaroucher les simples, on conseille de garder au moins le culte des A ieux mots.

On Aoit la singularité d’une telle conduite.

Elle aboutit à fonder la Aie religieuse sur le sentiment et l’émotion, alors que partout ailleurs nous réglons l’agir sur le savoir.

Elle conduit à ce résultat singulier, qu’en matière religieuse seule les propositions n’ont pas de sens objectif ferme, et qu’on légitime des duplicités de langage inconcevables partout ailleurs. Cf. G. Goyau, op. cit., p. 128 sq. ; J. Lebreton, op. cit., p. 68.

Enfin, au nom de l’unité des attitudes religieuses, elle installe dans la religion le principe de la divergence la plus radicale : l’autonomie du sentiment. L’attitude matérielle et animale demeurant à peu près la même, l’attitude humaine, qui Aarie avec les idées, A-arie d’homme à homme, cf. Expérlence religieuse.

Dans l’autre hypothèse, les objections ne sont pas moindres.

On rejette, au nom de l’immanence et de l’autonomie de l’esprit, une vérité imposée du dehors, et le remède que l’on propose, c’est une action imposée du dehors et une action qui reste sans justification pour l’esprit. En somme, on transporte seulement î’hétéronomie sur un autre terrain, celui de la Aolonté, et. pour la rendre plus tolérable, on la rend in-ationnelle.

Encore faut-il bien saisir cette irrationabilité. Non seulement on ne Aeut pas que la « recette d’action » ou « l’énoncé prophétique » se justifient par leur Aérité spéculative obvie, mais on leur dénie cette A-aleur de Aérité, malgré la logique elle-même. Car pourquoi ces formules sont-elles obligatoires, si elles ne sont Araies ?

Parce qu’elles sont utiles ? — Mais précisément, si 1141

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elles sont si riches d’efricacité morale, n’est-ce pas parce qu’elles sont appujées sur une connaissance divinement sûre de la réalité ? Si c’est d’agir comme si Dieu était personnel qui me fait vivre la vie humaine la plus accomplie, n’est-ce pas une bonne preuve que Dieu est personnel en quelque manière ? Et comme, à propos de tous ces énoncés dogmati((ues, où MM. G. Tykrell et Le Roy ne voient qu’un formulaire d’action (s’adressant aussi à rintelligcnce, mais sans l’instruire positivcment). je pourrai renouveler un raisonnement semblable, concluant que Dieu est trine, en quelque manière analogue à une personnalité triple, que le Verbe est Fils, en quelque manière etc., toutes ces déductions inéluctables s’appuyant l’une l’autre, ne trouverai-je pas, dans l’ensendjle de la dogmaticiue, une lumière propre à me faire mieux saisir, au moins obscurément, en quelle manière chaque proposition isolée peut exprimer la réalité ?

MM. G. Tyrrell et E. Le Roy ont observé judicieusement, chacun à leur point de vue, que, pour apprécier la valeur prophétique ou pratique de chaque dogme, il fallait le considérer dans ses rapports avec tous les autres. De même, dirons-nous, de tout l’ensemble de ces indications divines il se dégage, inévitablement, toute une série de concepts, indicpiant tous une direction de pensée et la précisant les uns par les autres. Si les dogmes me disent tour à tour : conduisez-vous envers Jésus comme envers le Fils du Père en quelque manière, comme envers le coprincipe du Saint-Esprit ; adorez-le comme le Père, personnel et puissant comme lui ; tenez-le comme le principe de votre xie religieuse, cause de Aotre salut, vie de votre vie, terme de tous vos actes… plus je parcours cette liste de recettes, plus nettement se dessine le concept que je me fais et me dois faire du Christ. Je vois bien qu’il me l’cste, dans le sens de ces aperçus, infiniment à comprendre, mais je vois bien que je comprends quelque chose, que ce quelque chose la réalité doit le contenir, non pas « sous une forme ou sous une autre », Dogme et critique, p. 25, p. 298, mais sous une forme qui m’apparait de plus en plus déterminée, d’autant que des faits comme ceux-ci, divinité stricte, égalité stricte, omnii)iussance stricte, sont singulièrement clairs et en illuminent d’autres.

Allons plus loin ; laissons le rapport d’utilité et considérons les notions mêmes. Qu’est-ce donc qu’un

« énoncé prophétique » ou une « recette pratique », 

indépendamment d’une valeur spéculative, non seulement inq)licite dans leur formule, mais explicitement connue avant qu’on les énonce ?

G. Tyrrell, qui ne l’admet pas, est obligé de recourir à un instinct prophétique de l’Eglise. Il substitue ainsi à la connaissance noi-male un sens divinatoire, et le miracle continuel au jeu naturel des facultés. Cela rend-il l’explication plus claire et plus acceptajjle à resi)rit moderne ?

M. E. Le Roy rejette aussi cette valeur spéculative, mais sa recette d’action malgré lui l’aflirme.

Il est certain que, dans la connaissance Aulgaire, nous connaissons les clioses par leur actionsur nous, que nous les envisageons surtout dans leurs rapports avec nos actions. En dehors de toute explication scientifique, le feu c’est ce fjui nous brûle, la beauté ce qui nous charme, la miséricorde ce qui nous soulage. S’ensuit-il que ces idées, même grossières, n’aient aucune valeur spéculative ? M. Bergson ne peut le prom er. Sans doute cette connaissance du feu par son ellet sur moi est très relative, très rudinicntaire, mais elle me dit quelque chose sur la nature du feu, et c’est l’essentiel ; et ce quelque chose, ce n’est pas seidement m^n altitude passée et mon attitude à Acnir, mais quelque chose qui explique en

partie l’une et exige l’autre : c’est leur raison d’être, mal définie, mal exprimée, mais réelle. La formule qui exprimera cela n’est pas un schème d’action ; elle exprime une vérité objective, toujours par rapport à moi, mais, en même temps et si grossièrement que ce puisse être, en soi.

Il le faut bien.

En disant que les « concepts » sont des « schèmes d’action », on n’entend pas qu’ils soient des représentations mentales qui produisent certains actes comme par un déclanchement automatique ou instinctif. Ces images, toutes relatives à l’action, sont telles qu’elles permettent à l’homme de prévoir les besoins de l’action et d’y pourvoir ; et parce que, pour une action précise, il faut prévoir et pourvoir de manière exacte, l’image doit avoir avec l’acte à produire une conformité précise. S’il en est ainsi, que manque-t-il au « concept » pour être spéculativement A’rai ? Il y a donc une mérité dans le « concept », et non pas seulement dans « l’intuition ». Par cette brèche, on restituera aux formules du langage vulgaire leur valeur intellectuelle ; cf. de Toxqukdec, La notion de vérité, p. 76 sq., 81 sq. La Aaleur spéculative des formules dogmaticpies rentrera par la même porte.

L’idée abstraite d’air ou d’eau, qui sera ma

« recette » peut-elle être « pratique », si elle n’est
« Aéridique », me représentant l’air et l’eau fluides, 

comme ils sont, et le dogme trinitaire peut-il être

« recette pratique », s’il ne me décrit, toutes proportions

gardées, l’être divin trine et un, comme il est ?

Sans doute la connaissance humaine ne Aa pas loin. Elle définit ce qu’est le feu par ses qualités sensibles, sans atteindre sa nature intime. Elle n’atteint pas davantagele constitutif intime de la personnalité humaine, quand elle juge que Pierre est une personne : elle avoue un rapport de Pierre à d’autres êtres et un rapport statique. Elle n’atteint pas la réalité profonde qu’est la sagesse, quand elle estime qu’il est sage : elle exprime un rapport spécial de couvcnanceet d’opportunité, qui se traduit dans tous ses actes et dont elle Aoitenlui la cause responsable. A tout prendre, le langage courant fournit une définition des choses par l’extérieur, par la collection de leurs actions et réactions, qui suffît à les distinguer, qui exprime tantôt leur état, tantôt leur aptitude à produire divers effets, tantôt le fait qu’elles les ont produits. La notation de ces réalités reste très superficielle ; elle s’inspire surtout de nos besoins pratiques : c’est chose éA’idente ; mais elle suffît à discerner des individualités précises et des rapports bien définis. C’est assez pour que l’on sache de quoi l’on parle et ce que l’on en dit.

Dire que la révélation, qui s’exprime en cette langue du sens connnun n’apporte que des « données théologisaliles » Bulletin de litt. ecclés., 1906, p. 8, cf. Revue du Clergé, 1907, t. LU, p. 21g, repose donc sur une confusion de la théologie et du dogme, et reste un propos « subvcrsif ». Dogme et critique, p. 29g, si l’on veut dire que le dogme contient uniquement des recettes i)ratiques, que légitime un grand X, à préciser vaille quc vaille par les théologies. La révélation apporte un ensemble de A-érités, exprimant avec toute la lucidité du langage courant les rapports qu’il nous importe le plus de connaître entre l’Etre divin et nous : Dieu vrainuMit personnel, vraiment Père, vraiment auteur de l’Univers, ele… Et cet apport de vérité c’est proprement la dogmatique. La théologie peut s’exercer en marge, pour expliquer préciser, agencer. Elle n’a pas à déduire ces vérités majeures ; elle les trouve, et elle s’égare, le jour où elle met sous ces mots un sens que le vulgaire ne comprend plus, cf. IX, col. 1 1 48 sq. 11’13

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VII. Valeur de vie. — i" Le dogme est une vérité révélée en vue de l action. — Ayant dit ce que les dogmes sont en eux-mêmes, à savoir nolilîcation de vérité, il est inutile d’expliquer longuement qu’ils ne sont pas révélés pour eux-mêmes, à titre de renseignement, pour satisfaire notre curiosité et notre amour de la spéculation.

Les vérités d’ordre naturel doivent guider notre vie morale, les faits évangéliques nous proposer le type concret de la vie chrétienne et nous entraîner par un exemple divin, les mystères nous indiquer le fondement de l’ordre surnaturel, nous initier obscurément à la vie de Dieu, et nous faire désirer les réalités entrevues. C’est une lumière fumeuse, destinée à guider la niai’che en attendant le jour, //Pe/r.,

On en verra une preuve dans le nombre relativement restreint et dans le choix des vérités révélées, dans le caractère tout concret de leur formule évangélique, dans les exhortations de J.-C, des Apôtres et des Pères, à agir de suite, sans jjcrdre de temps à sonder les profondeurs de Dieu.

« Il est de la perfection même de ces dogmes, dit

très bien A. Nicolas, que la plus grande somme de leur évidence soit tournée vers la pratique, qui est leur unique but (ces derniers mots pris en rigueur dépasseraient la pensée de l’écrivain), que vers la spéculation. — Considérer les dogmes trop abstractivement serait un grand vice de méthode, car ce serait commencer par supposer, dans le Christianisme, un vice qui fort heureusement ne s’y trouve pas ; et en ce sens l’obscurité cju’il oppose à nos téméraires investigations, pour les ramener à une évidence jjratique, ne prouve pas moins sa divinité que cette évidence même. » Etudes sur le Christianisme, 16 édit., in-12, 1863, t. II, 1. 11, p. 367-378,

2° Le dogme est compris surtout dans et par l action. — C’est à prévoir, s’il est révélé surtout pour l’action.

N’allons pas dire, avec le pragmatisme de M. Bergson, que les « intuitions » de l’agir nous donnent seules la vérité sur Dieu. — Dieu n’est objet d’expérience directe que dans le panthéisme — ni avec le pseudo-mysticisme, protestant ou moderniste, que les émotions religieuses nous renseignent sur Dieu mieux que toutes les dogmatiques. Les résultats se cliargent de juger la théorie ; cf. Expkhience religieuse. Il sulïit de rappeler les trois degrés de connaissance, signalés plus haut, cf. VI, col. 1132, et de voir comment ils se complètent.

Après la connaissance catéchélique, infime, presque verbale, et la connaissance dialectique, abstraite et sèche, il y a place pour une connaissance plus personnelle et, à quelques égards, expérimentale. On sait mieux, d’une connaissance plus pleinement humaine et donc plus persuasive, non confinée dans la seule mémoire ou dans la seule pointe de l’esprit, ce qu’est la bonté de Dieu, l’excellence du Christ, quand on vit en vrai chrétien. Si une expérience au moins rudimentaire des choses delà foi est indispensable avant la foi, col. 1 1 36 sq., pour la faire désirer et recevoir, c’est l’expérience pleine de la vie de foi, qui en rend la pratique facile et douce : elle ne dispense ni des formules, ni des preu^ es, nuiis elle les éclaire.

La thèse est classique. Cf. S. Anselme, De fide Trinitatis, c. 11, P. L., t. CLVIII, col. 264 et les commentaires des Pères sur la traduction d’/s., vii, g, JS’isi credideritis, non inlelligetis.

Comme ce progrès dans l’intelligence des dogmes est un des facteurs importants de leur développement, nous nous contenions ici de noter le fait, remettant à plus tard, XV, 3°, col. 1166 sq., d’en étudier la l>sychologie.

VIII. Rapports du dogme avec la théologie. — Sa valeiu- de vérité établie par ce qui précède, il convient de dégager le dogme de tout ce qui n’est pas lui.

La notion de dogme requiert : « ) une vérité, /3) l’autorité divine pour la garantir, /) et, au sens strict du mot, sa promulgation par l’Eglise, soit par voie de définition solennelle, soit par voie d’enseignement ordinaire et universel. Dexzixger, ii, 1792 (1641).

Les propositions qui réunissent ces caractères sont dite ? de foi catholique. A défaut de proclamation officielle, elles sont dites plutôt de foi divine.

i* » Dogme et théologie. — Sont distincts des dogmes, dont l’ensemble constitue la dogmatique, objet de la foi, les conclusions que l’on peut déduire de leur étude et les systèmes plus ou moins heureux que l’on peut édifier pour les justifier : c’est la théologie ou science de la foi.

Ainsi dogmatique et théologie difi’èrent :

Par leur objet : paroles de Dieu dans celle-ci ; déductions humaines, dans celle-là ;

Par leur méthode : l’une s’appuie sur l’autorité divine ; l’autre sur le raisonnement des docteurs ;

Par leur certitude : souveraine pour le dogme, garanti par la Vérité même ; limitée à la force des preuves dans l’autre cas ;

Par leur valeur religieuse : les dogmes portant sur les vérités capitales et venant de Dieu ;

Par l’approbation que l’Eglise leur donne : elle impose le dogme au nom de Dieu ; elle sanctionne certaines conclusions théologiques ; elle favorise certains systèmes ; elle tolère certaines opinions. Cf. Pesch, Institutiones propæd. ad Sacrum Theologiam, 3° édit., in-8°, Fribourg-en-Br., igoS, p. 6.

A coup sur, ce serait folie de s’appuyer sur cette différence, pour déprécier à l’excès la théologie. Une déduction sûre nous vaut une vérité indiscutable, à ce titre précieuse à tout esprit qui pense, encore plus chère à toute àme religieuse. Une conclusion sérieusement probable est encore une chance de vérité, dont un esprit sensé ne saurait faire fi. Et puis, qui est incapable de se démontrer à lui-même et de démontrer aux autres la rationabilité de sa foi, est en grand danger de la perdre. I Petr., iii, 15. Il importe toutefois de ne pas confondre les choses : par respect de la parole divine, pour ne pas mêler à son témoignage authentique des a ues humaines contestables ; par prudence, pour ne pas exposer notre foi à l’épreuve de voir établir la fausseté de ce que nous regardions à tort comme un dogme ; par bon sens, puisqu’il y a des degrés dans la démonstration de la vérité. A’oir S. AiGUSTix, Epist. cxx, ad Consentium, P. L.. t. XXXIIl, col. 452 sq., en entier.

2" Dogmes et conclusions théologiques. — D’aucuns reprocheront à l’exposé précédent d’exclure de la foi toute vérité obtenue par déduction. Quelques-uns, élargissant la notion de révélation, iront jusqu’à prétendre qu’il faut tenir pour révélé tout l’implicite, tous les présupposés, toutes les conséquences de la révélation explicite. Et Aoici la raison qu’on en pourrait donner : « Quand un homme parle, il a l’intention de faire connaître non seulement ce qu’il afiirme, mais encore tout ce qu’il sous-entend et en particulier toutes les pensées qu’il faut lui attribuer, pour concilier ses aflirmalions. » Vacant, Etudes théol. sur le Conc. du Va tic, l. II, p. 293.

Est-il besoin de dire que cette règle de critique est inadmissible ?

A tout le moins, ne peut-on nier qu’il n’y ait une différence notable entre ce qui est dit explicitement et ce qui est plus ou moins implicite dans cette assertion. Il y a garantie directe dans le premier cas. plus ou moins indirecte dans le second. Si le témoi1145

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gnage ijrésenle ainsi des degrés, l’assentinient qu’il appelle en comporte également.

De plus, il est reçu qu’une parole de l’autorité n’oblige qu’en son sens strict. On suppose, en effet, qu’elle n’intervient sur le terrain de la liberté, qu’autant qu’il est nécessaire, et donc quelle n’exige pas plus que ce quelle demande formellement.

Entin, le principe précédent va pratiquement à dénier à ceux qui parlent le droit de ne dire que ce qu’ils veulent, et sui)pose gratuitement que toutes les têtes humaines sont logiques, ou ont voulu l’être.

On objectera que Dieu est la logique même et que la remarque vaut, au moins, à son sujet. Ce serait exact, si nous pouvions connaître la pensée divine avec l’intelligence divine, mais en fait, c’est par le raisonnement humain que nous parvenons à l’interpréter.

Si l’on répond que ce motif d’hésitation cesse, quand l’Eglise infaillible garantit la valeur de ces raisonnements, il convient de distinguer trois cas :

« ) Ou la vérité nouvelle est tirée par syllogisme

de deux prémisses révélées ;

, î) Ou Tune des prémisses est soit l’énoncé d’un cas particulier é^’idemment contenu dans l’autre prémisse uniA erselle (v. g. tout homme naît avec le péché originel ; or S. Joseph est homme…), soit la traduction és’idente dun des termes (v. g. le Christ est vraiment homme, or tout homme a une volonté…) ; /) Ou l’une des prémisses est une vérité naturelle, plus ou moins systématique et contestable. Il devient aisé de conclure :

c.) Dans le i" cas, la proposition déduite est révélée {implicite >iitualiter), puisque les deux prémisses révélées ne s’accordent entre elles, et donc ne peuvent demeurer acquises, qu’à condition qu’elle soit vraie ;

.3) Dans le 2’cas, la proposition déduite est révélée {implicite formalitei), puisque le sjllogisme qui la nu

ifeste est purement expositif : ce qui est dit de toutes les parties eut dit équi’alemineiU de chacune ; /) Dans le 3’= cas, le raisonnement avertit seulement d’un lien entre les deux ordres de connaissance, naturel et surnaturel.

Dans les deux premiers cas, il y a donc matière à un acte de foi, si nous recevons cette vérité, non à cause de l’opération logique qui l’a dégagée, mais en raison de l’autorité divine, avec qui elle l’a montrée en relation et dont l’Eglise garantit la présence ; Sua-REZ, De pde, disp. iii, sect. 11, 11. 5 sq.

Dans le second cas, si la déduction est légitime, tout ce qu’on jjcut dire, c’est que la vérité nouvelle est en rapport certain avec la a érité révélée ; elle se trouve à ce titre sinon dans la révélation, du moins sur les confins de la révélation. Sullit-il que l’Eglise garantisse cette constatation, i)ovu’que cette vérité soitconsidérée comme révélée ? C’est là une question controversée, les uns préférant dire que cette vérité relèvera proprement de in. foi catholique. S. Schiffim, Tractatus de yirtutibus infusis, in-8°, Friljourg-en-Br. , 1904, I ». 213-231 ; les autres de la foi ecclésiastique, Ch. Pescu, De’irtulibus in f^enere. 2’éd., in-8°, Fribourg-en-Br., igoo, n. 256, 264, 2^)5, 2O9, 2^3, s(|. Nous n’axons pas à encombrer ces pages de notre opinion personnelle. Au d( ! meurant, tous s’accordent :

« ) à rccpiérir pour de telles décisions un assentiment

intellectuel intérieur ;  ; S) à reconnaître que par cette voie s’accroît réellement, sinon la somme des vérités objectives, du moins la connaissance sultjective <|ue nous en avons ; /) qu’avant toute déliiiition du magistère ecclésiastique, il demeure nécessaire de ne pas confondre ces conclusions avec les vérités révélées, pour les motifs que nous avons dits. Les mêmes raisons obligent à distinguer encore :

3° Dogmes et systèmes. — Un système est un ensemble de vues, destinées à expliquer le dogme, commandées et réunies entre elles par quelques principes philosophiques.

Tous les systèmes scolastiques ontceci de commun, qu’ils s’appuient sur les principes d’identité et de causalité, qu’ils insistent sur les rapports de déterminant et de déterminable, d’acte et de puissance.

La synthèse la plus remarquable construite sur ces bases est celle de S. Thomas d’Aquin.

Le scotisme se distingue en introduisant sa distinction

« formelle a parte rei » ; le thomisme en

poussant la théorie de l’acte et la puissance jusqu’à la distinction réelle entre l’essence et l’existence ; le suarézianisme en adoptant ime théorie spéciale des modes. D’autres systèmes se différencient moins par leurs principes généraux, que par la manière dont ils en précisent l’aboutissement extrême dans un cas donné : tels le bannézianisme et le molinisme.

La liberté laissée ainsi à chaque école prouve que l’Eglise ne confond pas la parole de Dieu avec les raisonnements de l’homme, les dogmes avec leur exposition systématique. Cette diversité ne préjudicie en rien à Funité doctrinale, puisque la rivalité n’existe que sur la question de savoir comment défendre mieux la foi commune. Cf. Newmax, Difficulties fell by Anglicans…, 4’= édit., lect. x, p. 269 sq. De ce que certains dogmes sont formulés dans le langage des écoles, on ne saurait daA-antage conclure que leurs théories font corps avec eux.

Ce que l’Eglise emprunte aux philosophies diverses, c’est leur terminologie ; mais elle l’emploie sans canoniser le reste des systèmes, et, d’ordinaire, sans donner au mot autre chose quune moyenne courante de signification.

L’accord sur ce point tend à s’établir de plus en plus entre les théologiens.

Toutefois la généralité de cette assertion et l’imprécision des termes laissent place à des malentendus, ([u’on pourrait peut-être prévenir par les observations suivantes :

a. En disant que les formules dogmatiques exprimées en langage philosophique n’ajoutent nulle philosophie au dogme, on n’entend pas dire qu’elles n’ajoutent pas au concept vulgaire quelque chose de plus philosophique. On entend affirmer seulement que ce quelque chose, c’est plus de précision abstraite dans l’expression du dogme, et non l’intrusion des « constructions » humaines dans les « données » de la révélation.

Les mots du langage courant, col. ii^a, détachent en pleine lumière une notion centrale (v. g. paternité), dont les alentours sont indécis (v. g. paternité transitive ou immanente ? avec ou sans mutation ? ) ; ceux de la langue phih)sophi<]ue sont obscurs pour le commun, mais à contours très nets pour les initiés. Instruments de précision, ils permettent de déjouer les subtilités hérétiques, qui d’ordinaire transforment le dogme en prétendant interi)rcter savamment la formule vulgaire, ou le déforment a tout le moins en voulant le préciser. En parlant la langue pliilos »)phi<iue. l’Eglise répond aux hérétiques en leur langue et, parlant plus clair, n’exprime rien de plus.

; ?. De ce fait, on peut conclure que le dogme impose

une philosophie qui respecte ces notions abstraites (le personne, de nature, de substance distincte des apparences sensibles, etc., on n’en peut déduire que telle philosophie qui les respecte soit entrée dans le dogine, le jour où on lui a emprunté les mots qui les exi>rimaicnt., , ,.„,

Le dogme et la philosophie sont des plans différents. En formulant son dogine dans telle philoso1147

DOGME

1148

pliie, l’Eglise indique, au plus, qu’elle touche tel plan philosophique en tel point. C’est une lumière pour tous. Le nombre de ces contacts peut être si grand, qu’on soit amené à reconnaître une coïncidence remarquable de son dogme et de tel sjstème, si bien que logiquement on puisse conclure : jjour rester dans le plan du dogme, restons dans le plan de cette philosophie ; mais, à aucun instant, l’Eglise n’a entendu confondre ces deux étages de connaissance, et leur accord présumé n’autorise personne à le faire.

Autre comparaison. Deux hommes jiarlent des langues différentes, et affirment sur plusieurs points importants les mêmes choses. On j^ourra traduire les paroles de l’un dans la langue de l’autre ; on ne concliu-a pas que les paroles de celui-ci deviennent les paroles de celui-là ; de plus, on donnera au moins réputé des deux une confiance qu’on lui eût refusée, si cet accord de pensée ne plaidait en sa faveur ; on pourra même, avec réserve, éclairer la pensée de l’autre par la sienne ; mais à aucun instant un juge prudent n’oubliera la distinction des deux soiu-ces.

Ainsi du dogme et de la philosophie, l’une parole de Dieu, l’autre parole de la raison.

Théoriquement, il ne paraît pas impossible que l’Eglise exprime ses dogmes dans n’importe quel système, tout comme elle parle grec, latin, arabe, suivant les lieux. Cela reviendrait à dire : si vous voulez penser dans tel plan ou parler telle langue philosophique, voilà comment il faut chiflrer les vérités que j’enseigne.

Pratiquement, il est impossible qu’elle traduise du moins tous ses dogmes dans chaque système, puisque certains d’entre eux reposent sur des conceptions irrecevables pom- elle. C’est le cas des philosophies idéalistes. Elle ne se prêtera même pas à employer le langage de toutes les philosophies réalistes, soit pour ne pas lier son sort à leurs fluctuations, soit pour ne pas leur témoigner une faveur, que quelques erreurs gravcs l’obligent à leur refuser.

Si l’on observe que l’emploi de la terminologie aristotélicienne et scolastique révèle donc, à tout le moins, une sympathie spéciale pour ces systèmes, il n’y a pas lieu de s’en étonner. Il existe en effet un accord manifeste entre certaines doctrines foncières de ces philosophies et les principes que son dogme parait impliquer : objectivité de la connaissance, valeur des principes d’identité, de contradiction, de causalité, acceptation des évidences du sens commun, comme point de départ obligé de toute spéculation. De plus, les philosophies scolastiques. s’étant donné pour tâche de défendre le dogme, s’harmonisent forcément plus que toutes autres avec lui. Il en résulte qu’en tous les points communs au dogme et à ces philosophies, celles-ci participent à la vérité et à l’immutabilité de celui-là, qu’un chrétien ne peut sans illogisme rejeter ces thèses, et se doit d’accepter leurs autres doctrines, dans la mesiu-e où elles sont vraiment liées aux précédentes. C’est tout. On ne voit pas que de ce chef la scolastique soit entrée proprement dans le dogme ou que le dogme ait canonisé toute la scolastique. La preuve en est que l’Eglise tolère plusieurs philosophies scolastiques, séparées entre elles par les variations très appréciables du thomisme, du scotisme. du suarézianisme. encourageant à les perfectionner sans cesse, et laissant à chacune, dès qu’elle respecte la foi, la responsabilité de ses spéculations.

Si le magistère ecclésiastique marque une bienveillance plus constante à tel système en particulier — comme elle le fait pour celui de S. Thomas — il y a là une indication précieuse. Il est difhcile de ne pas reconnaître dans cette conduite une marque

assez sûre de cette prudence par laquelle l’Esprit-Saint doit procurer ici-bas le maintien de la vérité.

Inutile toutefois de faire remarquer que plus les thèses d’un système sont éloignées de ses assertions fondamentales, plus s’atténue la faveur qui lesrecommande. Libre àchacun de recevoir jusqu’aux ramifications extrêmes de la théorie, s’il les croit Aalables, mais ce serait pour le théologien un illogisme et une imprudence de faire de sa foi et de ses thèses un bloc homogène. Il lui serait impardonnable surtout de refuser à autrui une liberté cjue l’Eglise reconnaît. Disons plus, puisque la probabilité d’une théorie n’exclut pas la probabilité d’une autre, on peut concevoir une mentalité plus philosophique et plus apostolique. Plus philosophique celle qui s’applique à mesurer les probabilités de chaque hypothèse, et préfère à la joie facilement décevante d’avoir pour l’universalité des problèmes un système clos, la joie plus sage de n’exclure et de ne majorer aucune vraisemblance, et l’espoir, par conséquent, de n’adhérer vraisemblablement à rien de faux : Magis eligo cautam ignorantiam confiteri, quam falsani scientiam profiteri. S. Acgustix, Epist. cxcvii, n. 5, P. L., t. XXXIU, col. 901 ; Epist. cxcix, n. 54, col. 926. Utilius enini [Ecclesia] studet nescire qiiæ perscrutari non i’alet. (/iiam audacter definire quod nescit. S. Grk-GoiRE LE Graxd, Mordl., 1. XIV, c. xxviii, P. L, , t. LXXV, col. io56. Plus apostolique celle qui, après réfutation de l’erreur, solution négative, propose loyalement, avec leiu- coefficient respectif de valeur, les diverses solutions positives qui ont chance d’approcher de la vérité, ouvrant ainsi toutes les portes libres, au lieu de n’en laisser qu’une, pour arriver à la foi.

Les systèmes philosophiques, toutes proportions gardées, ont le même rôle en théologie que les hypothèses dans les sciences positives ; Baixvel, De magisterio yii’O, p. 153, n. i’j6. La même prudence s’impose donc et la même haine de l’exclusivisme systématique, le plus sûr ennemi de la vérité et du progrès.

IX. Dogmes et formules dogmatiques. — jVotions. — On pourrait distinguer, semble-t-il : k) un fondement éloigné du dogme : ce serait la réalité concrète sur laquelle porte l’affirmation, v. g. la réalité humano-divine de Jésus ; /î) un fondement prochain : ce serait cette même réalité sous l’aspect précis où le dogme nous la présente, v. g. le Fils de Dieu en tant que vivifiant à nouveau son corps, par une opération dont le secret nous échappe ; -/) le dogme lui-même : ce serait ce même aspect en tant qu’objet de connaissance, A g. la résurrection sensible de Jésus-Christ ; ô) enfin la formule dogmatique, c’est-à-dire la proposition grammaticale qui le traduit : le Clirist est ressuscité.

Ces distinctions ont l’avantage de rajipeler que les propositions dogmatiques, loin d’exprimer adéquatement la réalité ijrofonde, n’en traduisent, comme tous les mots du langage humain, col. ii^a, qu’une face et qu’un aspect.

De là l’intérêt de rechercher de plus près leur valeur

  • de signification.

Auparavant observons diverses catégories.

Certaines formules sont littérales : elles expriment des faits en quelque manière à notre i)ortée et sont à prendre au pied de la lettre — v. g. le Christ est mort ; il est ressuscité. D’autres sont métaphoriques : elles traduisent la réalité par une image — v. g. le Christ est assis à la droite de son Père ; cela signifie seulement qu’il règne avec lui dans la gloire. D’autres enfin sont analogiques : elles attribuent à Dieu une propriété de la créature, qui n’est proprement vérifiée 1.149

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en lui qu’au degré transcendant — v. g-. Dievicst personnel, il est grand.

A. Relativité des formules. — Si nous envisageons leur aptitude à traduire le réel, non plus la manière très accessoire dont elles lexprinient, nous trouverons qu’aucune formule ne peut avoir jamais qu’une Aaleur relative et approchée.

Les formules littérales, dans le dogme comme dans Tusage vulgaire, n’expriment que l’aspect phénoménal des choses, et un seul aspect à la fois. Dire :

« Pierre se lève », c’est exprimer clairement le fait

sensible, et confusément — car les deux choses sont liées dans la réalité et dans notre pensée — le jeu de la volonté et des muscles qui l’a produit. Dire : « Jésus est ressuscité », c’est indiquer expressément, jjar ce détail partiel qu’il s’est relevé du tombeau, sa réapparition comme vivant, et confusément le jeu des forces mystérieuses qui ont opéré ce prodige.

Les formules métaphoriques ont une relativité évidente. S. Augustin, Epist. cxx, n. ib, P. /.., t. XXXIII, col. 459 ; S. Athanase, Orat. contra Arianos I, n. 61, P. G., t. XXVI, col. 140. On a dit pour les déprécier : c’est de « l’imagerie pieuse ». Elle n’est répréhensible que si quelque naïf prend le symbole pour la réalité.

Les formules analogiques se rapprochent des précédentes, en ce qu’elles ne nous fournissent pas un concept propre de la réalité elle-même ; elles s’en distinguent, en ce qu’elles nous en disent vraiment quelque chose. Les premières s’appuient, si naturelle et obvie que soit l’image, sur une convention : pour signifier la gloire du Sauveur, on eût pu dire qu’il portait la couronne, tout comme on dit qu’il est assis à la droite du Père. Les secondes s’appuient sur une proportion incommensurable, il est Arai, mais réelle, entre les perfections humaines et les perfections de Dieu : celles-ci sont vraiment tout ce que sont les nôtres, mais en infiniment mieux, Cf. Agnosticisme.

On le voit : la relativité des formules n’exclut nullement leur vérité. Elles ont une valeur relative, en tant que relatif s’oppose à absolu et à intégral ; elles ont une valeur absolue, en tant qu’absolu s’oppose à hypothétique et à temporaire.

Des images et des expressions même imparfaites peuvent donc nous apporter des lumières très utiles : on dit vraiment quelque chose, même quand on ne dit le tout de rien. C’est pour ce motif, parce que presque tout changement de formule emporte une modification d’idée, que l’Eglise se montre gardienne si jalouse des expressions dogmatiques consacrées par le Christ et par la Tradition. / Tim., vi, 20.

Cei)endant, par le fait que toutes ont nécessairement leur inqierfection, les formules dogmatiques ont encore une autre relativité par rapport aux temps et aux lieux. Ici encore la vérité est un milieu entre deux extrêmes.

Entendre cette relativité comme radicale et intégrale, si bien que la formule n’ait d’autre valeur que son opportunité pour l'éporpie qui l’emploie, c’est une thèse manifestement hérétique. Voir XIII, Immutal)ilité du dogme, col. 1 158. Le sens que l’Eglise a défini reste acquis et invariable jusqu'à la fin des temps.

B. Mobilité des formules. — Cette erreur exclue, on pourrait peul-ctre, pour plus de clarté, distinguer la mobilité îles formules — ce serait leur propriété de se remplacer suivant les lenqis — et leur élasticité — ce serait leur aptitude à couvrir, suivant les épocpies, des sens ou plus ou moins étendus.

La mobilité des exi)ressioiis dogmatiques a son fondement : a) dans ce fait que les mots sont des signes arbitraires des choses : leur adoption par conséquent

reste discutable, tant que l’usage ne leiu- a pas rivé un sens défini et exclusif. Pour ce motif, la même locution peut être reçue un moment, rejetée ensuite, et vice versa, selon qu’on la juge, en des acceptions diverses, plus ou moins apte à rendre le sens que l’on veut traduire. C’est ainsi que le mot ô//î15J7tc ; fut condamné au synode d’Antioche, chez Paul de Samosate, cf. S. HiLAiRE. De Synodis, n. 81, P. L., t, X, col. 534, parce qu’il s’en servait pour appuyer ses erreurs, et reçu à Xicée, parce que les Ariens le rejetaient au sens orthodoxe. La même foi avait donc inspiré deux décisions en appai-ence opjiosées, probando et improbando ununi utrumque statuerunt, ibid., n. 86, col. 539 ; les circonstances seules étaient différentes, S. Athanase, De synodis, n. 45, P. G., t. XXVI, col. 773. Cf. Petau, Theol. dogm., in-fol., Venise, 1721, De Trinitate, 1. IV, c. v, p. 203 sq. ; Bethune Baker, T/te meaning of liomousios in the Constantinapolitan Creed, dans Texts a. Studies, Cambridge, 1901, t. VII, fasc. I, p. 26 sq. De même les mots oJ^ta, ûrîVra7(5, Tpdzotrw, ont failli diviser le monde, S. Grégoire de Naz., Orat. xxi, n. 35, P. G., t. XXXV, col. II25, beaucoup de docteurs, d’accord sur le fond, s’achai-nant à condamner l’un ou l’autre terme, qu’ils jugeaient employé dans un sens hétérodoxe. S. Jérôme pressait en conséquence S. Damase de fixer leur sens respectif, Epist. xv, P. L., t. XXII, col. 356 sq. Voir, sur cette controverse, de Régxon, Etudes positives sur le dogme de la Trinité, t. I, p. 129 sq.

/3) Une autre raison de cette mobilité est la possibilité de concevoir une même chose de diverses manières. Puisque tous nos concepts sont fragmentaires, il est loisible d’exprimer la réalité par un procédé ou par un autre, pourvu qu’on arrive à chiffrer exactement le tout. C’est le cas des discussions sur la procession du Saint-Esprit. Les Grecs préféraient concevoir cet acte divin comme aboutissant du Père au Saint-Esprit par le Fils, les Latins comme arrivant au Saint-Esprit par le Père et le Fils. Chaque manière de Aoir est juste, si dans chacune le Père et le Fils réunis ne constituent qu’un seul principe adéquat du Saint-Esprit. Chacune a ses avantages et ses inconvénients. L’Eglise, à Florence, a reçu l’une et l’autre ; L.bbe, Sacrosancta Concilia, infol., Venise, 1732, t. XVIII, p. 496, 505, 521 <.

y) Une dernière cause est l’infinité de l’Etre divin. Il en résulte que les deux formules contraires s’appliquent à lui légitimement. Dieu est connaissable (de quelque manière) et inconnaissable (de nuinière propre et adéquate), Dieu est partout (d’une présence qui déborde les lieux) et nulle part (d’une présence qui l’astreigne aux dimensions des lieux), sont des formules exactes. Ici encore, une expression ne chasse pas l’autre ; toutes deux sont à bien comprendre et à compléter l’une par l’autre.

C. Elasticité des formules. — L'élasticité des formules, qu’il nous reste à signaler, a son explication dans nos habitudes de pensée et de langage : nous afiirmons d’abord en gros ; nous n’en venons, que si l’on insiste, aux précisions nécessaires. Cette pratique a l’avantage de donner plus de relief aux vérités que l’on veut accentuer, et l’inconvénient d’induire en erreur, si l’on prend cette première assertion au pied de la lettre. Les précisions nécessaires, les nuances exactes sont-elles ignorées de celui qui parle ainsi ? On ne peut le conclure d’une manière géné 1. X la suite du P. Diî Rkgnon, le R. P. Uhb.vx. S. J., a signalé limporlance d.> telles remarques pour la eoncilialion des divergences d..gmali<|ues, De u.s qiiæ tlieologi cathoJici præstare possint <ic deheanl erga EccUsiam Russicam, in-8°, Prague, 1907, p. 6 sq. ilol

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raie et absolue. Le plus ordinairement, il les eût exprimées, si on l’eût interroge ; mais, devant une négation lilus brutale, il a aouIu avant tout proclamer la vérité contraire.

On a un exemple illustre de ce fait dans l’Ecriture elle-même. L’universalité du péché originel y est exprimée de telle sorte qu’à première vue au moins la Très Sainte Vierge y paraît incluse, Boni., v, 12 sq. Nombre de Pères ont parlé de même. « Il importe peu, écrit à ce sujet le B" Camsics, de justiUer des auteurs anciens qui, à l’heure où la question était peu étudiée et n’avait pas encore été l’objetd’une controverse, ont pu exposer librement leur sentiment, mais n’ont pas voulu ou n’ont pas dû en ceci inqioser aux autres une règle de foi détinitiAe et obligatoire, niiUam… aiit-oluerunt, aut debuerunt. y, De corniptelis yerhi dù-Ini, in-fol., Lyon, 1584, t. II, 1. I, C. VII, p. 35a.

Les déflnitions solennelles ne prêtent guère à pareille remarque, parce qu’elles sont formulées après mùr examen et pour répondre à des attaques jJrécises, qui obligent à mesurer l’expression. L’Eglise alors tranche le débat, en articulant les distinctions opportunes, ou réserve les questions délicates. Telle fut la conduite des Pères à Trente, lorsqu’ils déclarèrent qu’en aflirmant l’universalité du péché originel ils n’entendaient en rien inclure dans leur décret la Bienheureuse Vierge. Pallavicixi, Histoire du Concile de Trente, in-4°, Montrouge, 1844, 1. VII, cm ; c. vit, p.133, 169 sq. : DExziNGER. n. 792 (674). Gela équivalait à dire que la formule globale de la première heiu-e était, en un sens, insutlisante (puisqu’on faisait des restrictions qu’elle pai-aissait exclure), bien qu’elle fiit juste (puisqu’on la proclamait à nouveau). La Tradition, à ce stade de son histoire, ne savait pas moins que par le passé ; elle n’était pas davantage en voie de changement ; mais, avant de dire de manière plus exacte ce qu’elle portait en soi, elle s’exprimait déjà avec plus de nuances.

Ces observations s’appliquent moins aux formules strictement dogmatiques, qu’à certains adages théologiques, reçus d’abord sans conteste, à cause des vérités indiscutables qu’ils énoncent, mais dont la portée exacte est à mesurer déplus près, dès qu’on en vient aux détails.

On a cité la réduction qu’avait subie l’opinion exégétique sur l’universalité du déluge, Bruckek, Questions actuelles d’Ecriture Sainte, in-8°, Paris, 1895, p. 303-31 1.

On a signalé une réduction analogue de la formule

« Hors de l’Eglise point de salut », ou encore l’élargissement

apparent des principes anciens sur l’illicéité du prêt à intérêt. En fait : « C’est que l’argent, considéré à bon droit alors comme généralement improductif. .., a acquis de nos jours unemploi nouveau qui le rend susceptible d’un intérêt modéré. Et c’est ainsi que, le noyau doctrinal restant le même, les idées courantes qui le couvrent et l’interprètent pratiquement peuvent subir avec le temps de larges variations. » L. DE Graxdmaisox, dans les Etudes, 18q8, t. LXXVI, p. 495. ^

Cela prouverait, s’il était besoin de le noter, qu’il ne sutlit pas d’accumuler les textes pour trancher un débat ; il reste encore à les peser avec prudence. Ce que l’Eglise a une fois déOni, ce que le consensus des Pères a tenu réellement pour un dogme, tout cela, mais cela seul, est immuable.