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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Egypte

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 659-680).

EGYPTE. — Les origines historiques du christianisme présentent avec le passé de l’Egypte des points de contact nombreux ; l’étude sommaire que nous en ferons ici peut se ramener commodément à trois points :

I. L’Egypte et la Bible. II. Chronologie égyptienne. III. la religion égyptienne.

I

l’kgypte et la bible

A. Origine des Egyptiens.

I. Les races,

II. Souvenirs primitifs.

B. Les LLébreux en Egypte.

I. Abraham.

II. Joseph.

1. La date.

2. Analogies égyptiennes.

III. Moïse et les plaies d’Egypte.

IV. Le passage de la mer Rouge.

V. L’époque et les I^haraons.

1. Remarques générales.

2. Première hypothèse, xvm’dynastie.

3. Deuxième hypothèse, xix’dynastie.

VI. Conclusion.

A. Origine des Egyptiens

I. Las races. — Tous les hommes descendant d’un même couple, dont l’habitacle semble bien avoir été une région de l’Asie centrale, la question se pose de savoir si ce fait est dans quelque mesure confirmé ou infirmé par l’histoire des anciens Egyptiens. Quelle est, d’après les documents authentiques, l’origine de ce peuple ? Vient-il de l’Asie, de la Libye, du centre de l’Afrique ? Ou même, vient-il de l’clranger et n’est-il pas autochtone ? Il semble, en effet, que la civilisation égyptienne, si nettement caractérisée, et restée sensiblement la même pendant plus de 4 000 ans, n’ait aucun rapport de filiation, de parenté même, avec les autres civilisations antiques de l’Orient, et soit née tout entière et de toute pièce dans la vallée du Nil. Telle on l’admire sur les monuments des derniers Pharaons, telle on la reconnaît dans ses éléments essentiels, au début de l’histoire. Le problème longtemps resté insoluble est entré, ces dernières années, dans une nouvelle [)hase. Les fouilles archéologiques accomplies sur divers j)oints de ce sol inépuisable de l’Egypte, par MM. ue Mou( ; ax, Pethie, Amélineai’, QiiBELL, ont fourni de nouvelles données qui permettent de tenter une solution au moins provisoire.

Ces fouilles nous apprennent qu’il faut distinguer deux peuples de race dificrente, les Egyptiens i)roprerænt dits, auteurs de la civilisation appelée égyplicnne, et un autre peuple plus ancien, picmier occupant de la vallée. Ce peui)le i>rimilif, soumis par les Egyptiens conquérants, appartenait à la race libyenne représentée aujourd’hui par les Berbères et les kabjles, il ne porte aucun trait de ressemblance aA ec les races asiatiques. D’après les monuments retrouvés

récemment, armes, poteries recouvertes de peintures grossières, c’était un peuple de pécheurs et de chasseurs, qui ne semble rien avoir demandé à la culture du sol. On ne Aoit dans leurs dessins ni bœufs, ni ânes, ni moutons, mais en revanche des animaux aujourd’hui sauvages, gazelles, antilopes, que ces aborigènes avaient apprivoisés et domestiqués. Combien de temps furent-ils les tranquilles possesseurs du pays ? A quelle époque entrèrent-ils en lutte avec les étrangers envahisseurs, guerriers valeiu-eux et intrépides, qui finirent par les refouler hors de la vallée ? Il est impossible de le déterminer avec quelque précision. Les nouveaux venus, groupés sous l’autorité de Menés, leur premier roi, s’établirent fortement dans la région conquise, bâtirent des villes, cultivèrent le sol qui devait les nourrir si libéralement et fondèrent ce peuple puissant qui fut les Egyptiens. D’où venaient ces conquérants ? Etaient-ils asiatiques ? Ici, tous les indices sont convergents, ressemblance de traits avec les peuples établis sur les bords de la mer Rouge, siu-tout dans l’Arabie du Sud, nez aquilin, barbe pointue, chevelure soyeuse, un pagne pour tout vêtement, tout nous parle d’une origine orientale.

On avait cru autrefois, et c’était l’opinion de Lepsrs, qu’ils avaient pénétré en Egypte par l’isthme de Suez et s’étaient avancés graduellement jusque vers la première cataracte. Les nouelles découvertes, coiifirmées d’ailleurs par la tradition éthiopienne et égyptienne, prouvent, semble-t-il, que la civilisation, au lieu de remonter le cours du Nil, le descendit et que les vainqueurs venus d’Arabie par l’Ethiopie ou par le Ouadi Hammamat se fixèrent d’abord en Haute-Egypte d’où peu à peu ils gagnèrent le Nord et s’étendirent jusqu’à la mer. Telles sont donc les données actuelles de l’histoire, données qu’on ne saurait considérer comme définitivement acquises mais qui ont pour elles toutes les probabilités : un peuple autochtone établi à l’origine sur les bords du Nil. un autre peuple venu d’Asie le dépossédant et fondant l’enqiire égyptien.

Ces conclusions ne saui’aient faire difficulté à l’exégète. Les renseignements ethnographiques de la Bible, au chapitre x de la Genèse, sont vagues et flottants, les interprétations traditionnelles ne sont nullement d’accord, il ne restequ’unpointabsolument hors de doute, la descendance de tous les ])euples d’un seul homme. Or ce fait, garanti par la Révélation, ne peut en aucune façon être contredit par l’histoire. Entre le berceau de l’humanité et les points de déjiart historiquement constatés des différentes nations, quel est le moyen de mesurer le temps écoulé, les distances locales parcourues ? Les premiers habitants de l’Egypte, à nous connus aujourd’hui, semblent plutôt africains et ne portent aucune empreinte asiatique. Soit ! Mais ([ui serait à même d’assurer qu’à une époque reculée les Africains ne vinrent pas d’Asie ? Est-il nécessaire pour cela qu’ils aient gardé des ressemblances évidentes avec leurs congénères restés plus près du berceau ? Assurément non. Les conditions climatériiiues, le temps, les iniluenccs du milieu ont pu effacer ces ressemblances. Au reste, la ditl’érenciation des races est un problème qui attciul encore une solution. En l’aljsence de documents, les origines de Ihunuinité restent hors de l’histoire, et dans cette période obscure et ténébreuse, seule la foi projette quelque lumière.

II. Souvenirs primitifs. — Avant de ([uitter les anciens Egyptiens, demandons-leur s’ils n’auraient I)oint conservé quelque souvenir de leur origine, des scènes et des événements qui se passèrent avant la dispersion des peuples : paradis terrestre, tentalion.

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chute, perversité des premières générations, déluge, tour de Bal)el. A vi’ai dire, tous ces faits, si bien connus des annales babjlonicnnes. les dociunents égyptiens les ignorent. Ils ne font aucune mention d’une préhistoire asiatique, tout ce qu’ils racontent se passe en Egypte. Les Egyptiens, comme la plupart des peuples, mettent à leurs débuts une période de bonheur et de prospérité (cf. le mythe d’Osiris). Mais cette période d’une vie idéale, qu’ils placent sous le règne du glorieux Osiris, ne se ferma point en punition d’une désobéissance, elle finit avec la mort tragique du grand roi qui en était l’organisateur. Dans la suite, les Egyptiens avec un peu moins de félicité et quelques injustices en plus de la part de leurs gouvernants, continuèrent à remuer le sol de leur riche vallée. Leurs devanciers dans ce pays, les archers primitifs, refoulés sur les frontières, restés ennemis héréditaires, vinrent parfois troubler les jours heureux des paisibles agriculteurs, mais ceuxci saA aient aussi manier l’arc et les flèches, monter les chevaux et conduire les chars de guerre, ils furent toujours vainqueurs.

Une légende, gravée sur les tombeaux des rois de la XIX* et de la xx’" dynastie, parle d’une destruction des honmies tentée jjar les dieux. Rà régnait à Héliopolis, il apprend un jour que les hommes se pervertissent et blasphèment son nom. Il réunit aussitôt son conseil et, après délibération, il est décidé que la déesse Hathor ira venger la majesté divine en exterminant les coupables qui s’enfuient déjà sur les montagnes. La terrible guerrière ne s’acquitte que trop bien de son oflice et fait couler à flots le sang des Egyptiens. Rà effrayé en apprenant cet affreux carnage, et craignant de voir périr la race humaine, veut arrêter la déesse, il n’y parvient qu’en usant d’un stratagème. Il inonde toute la vallée, à une hauteur de quatre palmes, d’un liquide capiteux. Le matin, Hathor arrive, trouve la plaine couverte de ce liquide, elle y mire son beau visage, puis boit à satiété, s’enivre et ne voit plus les hommes. Rà en profite pour la ramener au ciel. — Un passage du livre des morts fait également allusion à une inondation qui couvrira tovite la terre. C’est le dieu Atoum d’Héliopolis qui parle : « Voici, je m’en vais défigurer ce que j’ai fait. Cette terre dcA’iendra de l’eaii par une inondation, comme elle était au commencement. C’est moi qui resterai seul avec Osiris, et je prendrai la forme d’un petit serpent qu’aucun homme ne connaît et qu’aucun dieu ne peut voir. Je vais faire du bien à Osiris, je lui donnerai le pouvoir sur le monde inférieur, son fils Horus héritera de son trône dans l’île des flammes » (cité par Naville, La religion des anciens Egyptiens, ). 187).

Ces deux légendes n’ont rien de commun avec le déluge biblique, elles appartiennent à la mythologie égyptienne, et rien n’autorise à leur attribuer une provenance asiatique. Elles germèrent, comme tant d’autres, dans les cerveaux féconds qui avaient inventé Aloum, Rà et Osiris. Cependant dans l’une et dans l’autre perce quelque analogie avec notre déluge. Dans la première, c’est la perversité des hommes et la résolution divine de les châtier et de les détruire ; dans la seconde, c’est le déluge ravageant la terre entière. Au reste, si grandes sont les différences qu’on ne peut en aucune façon songer à quelque dépendance.

B. Les Hébreux en Egypte

L Abraham. — « Facta est nuteni famés in terra, descenditque Abram in Aegyptum, ut peregrinaretar ibi » (Gen., xii, 10). Le voyage d’Abraham en Egypte n’est positivement confirmé par aucun document

égyptien. A cela rien d’étonnant, les annales égyptiennes, ainsi que celles de Babjdone, ne racontent guère autre chose que des Aictoires et des campagnes glorieuses, elles ne parlent des peuples étrangers que pour relater leurs défaites et leur soumission. Le voyage d’Abraham, le séjour des Hébreux, n’étaient pas des faits propres à flatter l’orgueil des Pharaons, on n’avait aucune raison d’en parler.

Abraham, pressé par la famine, partit pour l’Egjpte peu de temps après son arrivée en Canaan. On ne peut assigner une époque à ce voyage, avant d’avoir déterminé avec quelque pi-écision la date de l’existence même d’Abraham. Or cette date est encore loin d’être certaine, bien qu’avec beaucoup de vraisemblance elle doive se placer autour du deuxième millénaire avant Jésus-Clirist (cf. Coxdamix, Etudes, 20 mai 1908, p. 485-501). Ce point serait-il acquis par la chronologie babylonienne, on ne pourrait dire encore avec certitude quel fut le Pharaon qui reçut Abraham. Nous savons, en effet, que la chronologie égyptienne, surtout pour ces temps reculés, est tout à fait indécise et que l’écart entre les dates proposées par les égyptologues varie de i^lusieurs centaines d’années. Peu importe d’ailleurs la dj’uastie, xi% xii’ou xiii% et le nom du Pharaon, Ousirtasen ou Aménémhat, ce qu’il convient de noter et de mettre en relief, c’est le caractère intrinsèfque de vérité qui brille dans le récit biblique et qui est une éclatante confirmation de sa valeur historique.

1° Abraham descend en Egypte avec toute sa famille. Ce n’était pas la première fois que les Egyptiens voyaient arriver chez eux une caravane de Sémites, ce fait les avait tellement frappés qu’ils ont voulu en conserver le souvenir. Le tombeau d’un seigneur de la xii* dynastie, Khnoumhotep, à Beni-Hassan en Moyenne-Egypte, contient précisément dans sa décoration un tableau représentant une de ces cai’avanes arrivant dans la vallée ; elle « compte, hommes, femmes, enfants, trente-sept personnes. Quand même l’inscription ne le dirait pas, on ne peut se tromper sur la race, à leurs traits, à leurs vêtements multicolores, à leurs armes. Ils ont le nez fortement aquilin, la barbe des hommes est noire et pointue, leurs armes sont l’arc, la javeline, la hache, le casse-tête et le boumerang. Si la plupart des hommes n’ont pour vêtement que le jjagne bridant sur la hanche, le chef porte un riche manteau, les femmes, de longues robes de bon goût et de belle élégance, le tout rayé, chevronné, quadrillé de dessins bleus sur fond rouge ou rouges sur fond bleu, semé de disques blancs centrés de rouge. Des ânes portent le mobilier. Un autre àne est muni d’une sorte de selle à bords relevés où sont assujettis deux enfants. C’est le grand veneur Néferhotep qui a rencontré ces Amou (xVsiatiques), le scribe royal Khéti les a aussitôt inscrits et, en les présentant à son maître, il lui transmet la requête du chef de la tribu, Abi^pa. Celui-ci demande à s’établir sur les terres du Pharaon. En signe de soumission, il ofl’re les produits du désert, du kohl, un bouquetin et une gazelle. Knoumhotep le reçoit, lui et les siens, avec le cérémonial usité pour les personnages de distinction » (Camille Lagier, Die t. de la Bible, fasc. xxxi, col. ig4, 195).

2° Sara fut enlevée pour le compte du Pharaon ; c’est chose trop fréquente dans l’histoire que ces sortes d’enlèvement. Plusieurs faits analogues nous montrent le goût des Egyptiens pour les Syriennes : un fils de Ramsès II, Samentou, accepta une fille sémite dans son harem ; le roi Aménophis II avait reçu trois princessesde mêmerace, dont l’une, comme suite, avait amené trois cent dix-sept compagnes ; le gouverneur de Jérusalem sous la xviii’dynastie.

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Abkliiba, rappelle qu’il a envoyé vingt et une esclaves au Pharaon (cf. C. Lagier, loc. cit.).

Pharaon, châtié, rend à Abraham son épouse. La religion égyptienne était sévère sur ce point, et tout défunt, pour entrer dans l’Eden, devait pouvoir affirmer qu’il n’avait point eu de commerce avec une femme mariée (voir Religion égyptienne).’5" Pharaon rend donc Sara à Abraham, lui fait de nombreux cadeaux et le renvoie en Asie. Détail digne de remarque, parmi ces présents, moutons, bœufs, ânes, chameaux, tous animaux représentés sur les monuments contemporains et antérieurs, ne paraît pas le cheval, qui ne fut introduit que plus tard en Egypte, sous les Hyksos, croit-on.

Ainsi le voyage d’Abraham, bien qu ignoré encore des documents anciens, se trouve en parfaite harmonie avec les mœurs, les usages, les faits connus de ce temps.

II. Joseph en Egypte. — Pour toute l’histoire de Joseph, comme pour celle d’Alji’aham, nous n’avons aucun document égyptien, en lovanche il est reconnu et admis de tous que le récit bibliqueporte toutes les marques de la vraisemblance et se distingue par une couleur nettement égyptienne.

1. La date. — Joseph étant l’arrière-petit fils j d’Abraham, la date de son arrivée en Egypte dépend de celle qu’on assigne à son aïeul. Or ni l’une ni l’autre de ces deux dates n’est encore déterminée avec quelque précision. D’aprèsune tradition que rapporte Jean d’Antiociie (Hist. græc. f’ragni., édit. Didot,

t. IV, p. 555), les Hébreux descendirent en Egypte sous les rois Pasteurs, et au rapport de Georges le Syxcelle (Chronographie, édit. Dindorf, 182g, p. 204), Joseph aurait été élevé à la dignité de vizir par un Pharaon nommé Apapi ou Apophis. Tous les rois de ce nom — on en connaît deux ou trois — sont des Hyksos de la dernière époque, c’est-à-dire, des Hyksos égyptianisés de la xvi-^ d} nastie. Le fait est possible, l’intervalle qui sépare la xii° ou la xiii" dynastie de la xvi* correspond à peu près à celui qui existe entre Abraham et Joseph. Il a même quelque probabilité, on comprend mieux la faveur de Joseph, de Jacob et de toute sa famille auprès d’un roi sémite, d’origine asiatique, qu’auprès d’un Pharaon indigène ; l’établissement des Hébreux dans la terre de Gessen eut certainement lieu à uneépoque de paix et de tranquillité publique, avant cette longue guerre de l’indépendance que les princes de Thèbes entreprirent contre les Hyksos et qui se termina par la défaite et l’expulsion de ces derniers, le triomphe des Egyptiens et la domination sur toute la vallée d’une dynastie indigène, la xviif. Ce n’est pas dans de pareilles conjonctures que des Asiatiques auraient été bien accueillis en Egypte. Le moment le plus favorable est bien le règne des Pasteurs (xv* ou plus prol)al)lement xvi’dynastie), ainsi que le suppose la tradition.

2. Analogies égyptiennes. — i) Joseph est sollicité au mal jjar la fennne de Putiphar, il résiste cnergiquement et, sur une fausse accusation, il est jeté en prison. Une histoire semblaljle est racontée dans le

« conte des deux frères », roman coniposé plus tard

sous le règne de Ménejihtah pour l’instruction du prince qui fut Séti II. En voici la substance : Il y avait une fois deux frères dont l’aîné s’ajjpelait Anoupou, et l’autre Bitiou ; le premier était marié, le second ne l’était pas, il vivait avec son frère en guise de serviteur, gardant les bestiaux, travaillant aux champs. Un jour que les deux frères étaient ensemble occupés aux semailles, loin du village, les semences vinrent à manquer. Anoiq)ou dit à Biliou : Va, cours à la maison et apporte-nous des seuiences.

Bitiou partit, il trouva la femme de son frère, assise à se coiffer. Debout, dit-il, donne-moi des semences. Elle lui dit : « Va, ouvre le magasin et prends ce qui te plaira. » Bitiou coiu’t au magasin, renqjlit son sac de blé et s’apprête à repartir. La femme arrive et l’arrête : « Viens ! reposons ensemble, si tu m’accordes cela je te ferai de beaux vêtements. » Bitiou indigné bondit « comme une panthère du midi », reprit vertement sa belle-sœur d’une pareille proposition et partit pour les champs. L’autre ne lui pardonna jias ce refus méprisant. Le soir, quand on rentra, la maison était dans les ténèbres, point de lumière, point d’eau pour se laver les mains comme d’habitude, Anoupou trouva sa femme étendue sur le sol, déchirée, échevelée, poussant des cris : Qui donc t’a parlé, lui dit-il. — Personne autre que ton frère, répondit-elle. Cependant, Bitiou rentrait tranquillement les bestiaux. Averti d’une manière merveilleuse de ce qui se passait, il prit immédiatement la fuite et n’échappa à la poursuite de son frère que par une intervention des dieux (cf. Maspero, Les contes populaires de l’Egypte ancienne, Paris, 1889, p. 5-32. ViGOLROix, La Bible et les découvertes modernes, t. II, p. 43-57).

2) Les songes de Pharaon, les sept vaches grasses et les sept vaches maigres, les sept épis pleins et les sept épis desséchés, la convocation des magiciens, tout cela est franchement égy^itien. « La sorcellerie avait sa place dans la vie courante, aussi bien que la guerre, le commerce, la littérature, les métiers qu’on exerçait, les divertissements qu’on prenait… Le prêtre était un magicien… Pliaraon en avait toujours plusieurs à côté de lui. » (Maspero, Les contes, préface, p. xLVi.) L’élévation de Joseph, un serviteur, un étranger, à la dignité de premier ministre, avec des pouvoirs presque royaux, est certainement une faveur peu commune. Elle s’explique par les circonstances extraordinaires. Elle est la récompense de l’interprétation des songes du Pharaon, un Hyksos, un Asiatique, un étranger lui aussi, interprétation qui a eu le plus grand éclat, après l’échec de tous les magiciens du pays, et qui a pour toute l’Egypte de si grandes conséquences. Au reste, des faits analogues sont constatés sous les dynasties indigènes elles-mêmes. A la cour de Ménéphtah. un Cananéen du nom de Ben-Matana occupe un poste élevé. Deux esclaves arrivèrent à être l’un surintendant des domaines d’Amon-llà, l’autre procureur du Pharaoa (cf. L.vgier, Dict. de la Bible, fasc. xxxi, col. 199).

La famine n’est pas chose inconnue dans les annales égyptiennes. Nous en trouvons une mentionnée précisément sous un roi hyksos, Sef[enen-Uà III. un contemporain de Joseph, peut-être. Un des officiers de ce roi, Bebj’, après avoir énuméré ses qualités et ses serA’ices, parle ainsi : « Ami du dieu des moissons, vigilant au temps des semailles, je recueillais la moisson et lorsque s’élevait une famine durant plusieurs années, je distribuais le blé dans la cité à quicon(iue avait faim. » (Garrow Dincan. The exploration of Egypt and tite Old Testament, p. 76.)

3) Lorsque Joseph a été reconnu par ses frères, Jacob descend en Egypte avec toute sa famille, et Pharaon leur donne la terre de Gessen. Ce pays est nommé dans les textes égyptiens conlcmporains et même antérieurs, au temps des Hyksos il était probablement cultivé et canalisé (cf. Liebleix, L’Exode des Hébreux, dans Proceedings of tlie Soc. of bibl. Archæology. 1899, vol. xxi, p. 53-5^). C’est la région actuelle de la Basse-Egypte, appelée Ouadi Toumilàt, couq)rise entre Zagazig et Ismailia, vallée fertile

« piand elle est bien arrosée, où se voient Tell-el-kebir, 

Tell-Uolàb, Tell-cl-Maskhoula l’ancienne Pilum (Plii-Ihom), le centre du pays de Tliukut (Socoth). Plus 130 :

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tai’d, sous Ménéphtah, quand les Israélites furent partis, cette même région fut concédée à une tribu asiaticiue pour y faire paître ses troupeaux (Papyrus Anastasi VI, pi. iv. Cf. Lieblein, loc. cit., p. 67).

III. Moïse et les plaies d’Egypte. — Un nouveau roi monta sur le trône, qui ne connaissait pas Joseph et qui commença à persécuter les Hébreux. Pour arrêter leur accroissement déjà inquiétant, il ordonna de mettre à mort les enfants mâles, puis il les soumit tous, hommes et femmes, à la corvée, fabrication des briques, construction des magasins de Ramessés et de Phithom, et, dit la Bible (Ex., i, 14), toute sorte de travaux agricoles. C’était l’oppression, la servitude, la misère. Quand la mesure a atteint le comble, Dieu, qui a ainsi détaché son peuple des charmes de l’Egj’pte, lui envoie Moïse pour l’arracher à l’esclavage, le ramener au pays de ses pères et lui donner l’autonomie et l’indépendance. Mais Pharaon ne l’entend pas ainsi, il a besoin d’ouvriers pour ses grandes constructions, il refuse obstinément et, pour obtenir son consentement, il faut toute une série de merveilles et de fléaux.

Ce n"est pas le lieu ici de faire une étude complète des plaies d’Egypte. Il sulTu-a à notre but d’en faire ressortir le caractère intrinsèque de vraisemblance et le côté merveilleux,

1. L’eau du Nil est changée en sang, fléau terrible pour l’Egypte où tout vit du Nil, où toute eau potable Aient du fleuve directement ou par infiltration, fléau meurtrier pour les poissons, les plantes, les animaux, les hommes, qu’on admette un changement en sang véritable, à la suite d’Origène et de S. Cyrille d’Alexandrie, ou qu’on se contente de surabondance de limon rougeàtre qui rendit nauséabondes et délétères les eaux non filtrées, et cela au moment de la crue, quand le fleuve engraissé des éléments terreux qu’il charrie est naturellement coloré en rouge, soit à une autre époque, ce qui accentuerait encore le caractère surnaturel du fléau.

2. Les grenouilles foisonnent pendant l’inondation ; pour en faire une plaie, il suflit de les multiplier dans une grande proportion.

3. Les moustiques ne sont que trop conDiis des habitants de l’Egypte. De nos jours encore, à certaines époques de l’année, ils sont un vrai tourment dont on a de la peine à se garantir ; multipliés, ils feraient de la vie un supplice.

tj. Les mouches sont également une cause de souffrance pour tous, mais spécialement pour les enfants qui ne peuvent en protéger leurs yeux, toujours attaqués, fréquemment perdus.

5. 6. La peste des animaux et des hommes n’est pas inconnue dans le pays.

7. La grêle est rare, elle tombe quelquefois pourtant et alors elle est redoutable pour les plantes, l’orge, le liii, le blé.

8. Les sauterelles et leurs nuées épaisses, s’abattant sur les moissons, les prés, les jardins, les arbres et ravageant tout sur leur passage, c’est de l’histoire de tous les temps, dans toute l’Afrique du Nord.

9. Les ténèbres furent sans doute produites par un khamsin, vent brûlant qui passe sur les déserts, enlève dans les airs des tourljillons de sal)lc et vient éclater comme un orage dans toute la vallée.

10. La dixième plaie, la mort des premier-nés, n’a aucun rappoi’t spécial avec l’Egypte, elle fut la plus sensible au cœur du Pharaon endurci qui vit ainsi périr son propre fils, 1 héritier de son trône, elle amena le dénouement et arracha enfin l’autorisation si longtemps refusée, si chèrement vendue.

Tous ces fléaux ont donc une couleur nettement indigène, et cela même les prémunit contre toute

accusation de fiction. Ils sont naturels en eux-mêmes et dans leurs elFets ; ce qui dépasse les forces de la nature, c’est le ?node instantané dont ils sont produits et l’extraordinaire intensité qu’ils revêtent. Qu’ils soient, dans l’ensemble, de vrais miracles, cela ressort du récit lui-même, consternation du peuple et du Pharaon, impuissance des magiciens à imiter le plus grand nombre et surtout à endiguer le mal, cela ressort du but que Dieu se proposait, frapper les Egyptiens d’étonnement et leur inspirer une grande idée du peuple qu’ils avaient méprisé, relever le courage des Hébreux, les détourner du culte des idoles et implanter en eux la foi en sa toute-puissance.

Les sages égyptiens imitèrent trois des actions de Moïse, baguette transformée en serpent, eau changée en sang, multiplication des grenouilles. Ce fait, quelle que soit la manière dont on l’explique (voir Vigou-Rorx, La Bible et les décoin-ertes modernes, t. II, p. 819-324), ne porte aucune atteinte au caractère miraculeux de l’ensemble des fléaux ; au contraire, c’est pour le mettre plus en relief, semble-t-il, que Dieu le permit. L’ombre fait ressortir la lumière ; combien pâlit la puissance pourtant si grande des magiciens devant celle qui éclate entre les mains de Moïse !

IV. Le passage de la mer Rouge. — Avant de partir, les Hébreux, sur l’ordie de Moïse, demandèrent à leurs voisins égyptiens des objets d’or et d’argent et en reçurent, d’après le texte sacré, une bonne quantité. Dire qu’en les emportant avec eux ils commirent un vol, c’est juger d’un fait sans en connaître les circonstances, c’est surtout oublier les nombreuses journées de travail forcé fournies par les Hébreux pour la fabrication des briques et la construction des magasins. N’avaienl-ils pas droit à une compensation !

Les Israélites partirent donc ensemble de la terre de Gessen, ils se dirigèrent d’abord vers l’Orient jusqu’à Etham sur le bord du désert ; là, au lieu de poursuivre en ligne droite, sur l’ordre de Dieu ils infléchirent vers le sud et vini-ent camper sur le bord occidental de la mer Rouge.

Il est impossible d’expliquer cette marche par des raisons d’ordre natiu-el. Une multitude si considérable, voulant gagner la Syrie, devait suivre la route ordinaire par le désert et ne pouvait sans périr s’engager dans des voies inconnues, en tout cas elle ne pouvait espérer sortir d’Eg3’pte en mettant la mer Rouge entre elle-même et le pays à atteindre. Au reste, dans toutes les hypothèses, l’exode n’était possible que par une intervention spéciale de Dieu. Pharaon, averti que les Hébreux avaient d’avUres intentions que celle de sacrifier dans le désert, lancerait son armée à leur poursuite, et Dieu seul poiu-rait arrêter, détourner ou anéantir les ennemis de son peuple. C’était donc Dieu qui dirigeait les Hébreux, et malgré eux, malgré leurs murmures, il allait marquer d’un prodige éclatant et à jamais mémorable le terme de leur exil et l’inauguration de leur nouvelle vie de liberté et d’indépendance. Ils étaient campés sur le bord de la mer, quand, au soir, levant les yeux du côté de l’Occident, ils virent au loin l’armée égyptienne s’apprêtant à fondre sur eiTX, et ils commencèrent à récriminer contre Moïse. L’heure était trop avancée pour engager le combat, les fugitifs d’ailleurs ne pouvaient échapper, la nuit noire se lit entre les deux camps. Le passage eut lieu par la pointe eirilce de la mer, à un endroit qii’il est impossible aujourd’hui d’identifier avec certitude, ce qui importe peu d’aillem-s. Quel que soit le théâtre du miracle, le fait reste le même. La nuit tombée, Moïse sur l’ordre de Dieu, étend la main au-dessus de la mer, un vent violent et chaud s’élève, qui divise les eaux et met la mer à sec, les Fils d’Israël s’y engagent et marchent vers 1309

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lautre bord entre les deux murailles liquides, les Egyptiens avertis du mouvement poursuivent les Hé-Jireux au milieu de la mer, avant l’aurore les roues de leurs chars commencent à s’enfoncer, la mai-che devient impossible, les Egyptiens reconnaissent l’intervention de Jahvé et veulent revenir sur leurs pas. Dieu ordonne à Moïse d’étendre la main sur la mer ; tous les Hébreux sont sortis, les eaux reviennent dans leur lit, enveloppent les Egyptiens et les engloutissent, Israël est sauvé.

Le passage de la mer Rouge est un fait historique, son caractère surnaturel et strictement miraculeux est garanti par des autorités irrécusables : le récit lui-même, simple, tranquille, déjJOuiUé de tout artilice poétique, de toute mise en scène ; la tradition biblique et juive qui, sans cesse, rappelle le fait et le considère comme un miracle de premier ordre ÇYiim., XXXIII, 8 ; Deut., xr, 4 ; Jos., ii, lo ; iv, 2^ ; xxiv, r : Is., xLiii, 16 ; Li, 10 ; lxiii, ii ; Ps., lxv, 6 ; lxxvii, l’ô ; cv, g ; cxiii, 3 ; Judith., v, 12 ; II Esdr., ix, 11 ; Sap., X, 18 ; xix, 7 ; I Macch., iv, 9 ; Acl., vii, 36 ; I Cor., x, i ; Ilebr., xi, 29) ; la tradition clirétienne tout entière qui l’a toujours regardé comme un des points fondamentaux de riiistoire du peuple élu, comme un moyen efficace dont Dieu se servit pour arracher définitivement ce peuple à ses oppresseurs, le détourner du polythéisme et de l’idolâtrie, alTermir en lui la foi à sa toute-puissance, à son attribut essentiel de Dieu unique. Il ne peut y avoir de raison de nier ce miracle, que le parti pris de les nier tous ; en dehors des témoignages positifs qu’on ne pourrait rejeter sans renverser l’autorité de la Bible, il revêt tous les caractères de la vraisemblance, ce n’est pas une meiveille séparée, sans connexion avec le reste de l’histoire, un point lumineuxcréépar l’auteur pour embellir sou récit, c’est la seule explication possible de l’exode. Nous l’avons déjà dit, sans une intervention spéciale de Dieu, les Hébreux ne pouvaient échapper aux Egj’ptiens ; d’engagement, de combat, il ne reste aucun souvenir, les Fils d’Israël ne tirèrent pas l’épée, ils n’eurent qu’à obéir à Moïse et à Dieu. Sans doute, rintervention divine aurait pu se produire de beaucoup d’autres manières, mais de quel droit rejetterait-on la seule que connaisse la Bible et la Tradition ? Le miracle lui-même doit s’expliquer comme les autres de même ordre, comme le passage du Jourdain, lu chute des murs de Jéricho, la marche de Jésus-Clirist sur les eaux. Les circonstances, les détails nous sont inconnus ; les causes secondes, vent impétueux et chaud, mouvement naturel de la mer, ne sont pas exclues, mais elles ne suffisent pas à expliquer le fait, il faut recourir à une force qui dépasse de beaucoup celles de la nature.

V. Li’épcque et les Pharaons

I. Remarques générales. — Le séjoiu- des Hébreux en Egypte, leur oppression et leur servitude, les plaies, la sortie miraculeuse, restent des faits certain^, quelle que soit notre incertitude au sujet de l’époque à laquelle il faut les placer, au sujet des Pharaons qui furent mêlés à ces événements, ils restent certains alors même ([ue de nouvelles découvertes viendraient renverser les calculs faits jusrju’ici cl détruire la probabilité quc nc^us croyons devoir attacher à nos hypothèses. Disons-le franchement, sur la qiu^stion des dates, nous n’avons encore aucune certitude, nous sommes réduits à des indices et à des probabilités ; orne se trompe i)asqui n’affiruu- pas plus que ses raisons ne lui permettent d’affirmer.

Nous atleiiulrons i)leinement notre but, qui est uniqucmeiil apologéliipie, si nous montrons que les événements bibliqucs trouvent un cadre convenable

dans l’histoire égyptienne et que, de ce côté, nous n’avons à craindre aucune objection sérieuse. Deux difficultés peuvent d’al^ord se présenter à l’esprit, il nous faut les résoudre pour être plus à l’aise dans la question historique.

a) Moïse ne nomme aucun Pharaon par son nom propre, ni celui de l’oppression, ni celui de l’exode. Pourquoi ? N’est-ce pas étonnant de la part d’un auteur contemporain des événements ? La difficulté n’est qu’appai-ente. En se servant du titre générique de Pharaon, Moïse est en parfait accord avec les usages égyptiens de son teiiqjs, les papyrus ne parlent pas autrement. On employait alors le mot Pharaon comme nous employons aujourd’hui ceux de Khédive, Sultan, Czar, Mikado. « Ce fut surtout au temps des Ranisès, quand le peuple d’Israël était prisonnier en Egyi)te, que ces mots per à a (Pharaon) servirent à dénommer le roi du Delta et de la Thébaïde… Lorsque nous donnons aujounrhui à Ramsês le nom de Pharaon, nous employons l’expression même dont se ser’aient ses conteuiporains pour le désigner. » (LoKET, L’Egypte au temps des Pharaons, 1889, p. 18.) Pouvait-on demandera Moïse défaire autrement ?

b) Faut-il admettre que Pharaon fut en personne enseveli sous les eaux de la mer Rouge ?

Rien ne nous y oblige, le texte sacré ne le dit pas. On lit dans le cantique de Moïse, Ex., xv, 19 :

« Ingressus est enim eques Pharao cum curribus et

equitibus ejusin maie, et reduxit super eos Dominus aquas maris », et au psaume cxxxv, 15 : a Et excussil Pharaoneni et virtutem ejus in mari liubro », mais c’est une figure du style po ; ’tique pour indiquer l’armée de Pharaon. Ne disons-nous pas de même : Napoléon fut écrasé à Waterloo ? Si donc il était établi que Ménephtah est le Pharaon de l’Exode, nous n’aurions pas à nous troubler de savoir que la momie de ce roi a été retrouvée et que chacun peut aujourd’hui la contempler de ses propres yeux exposée au musée égyptien du Caire. A supposer même que Pharaon en personne fut englouti avec son armée, nous savons.que la mer rejeta les cadavres et que les Hébreux les virent le lendemain sur le rivage. Or pour faire une momie il suffît d’un cadavre, et Ménephtah mort noyé aurait pu être momifié aussi bien que Ménephtah mort de maladie.

Les hypothèses

Deux hypothèses principales sont en présence, la première place les événements bibliques, oppression et exode, sous la xv !  !  ! ’dynastie et indique Thouthniès III comme principal oppresseur, la seconde les place sous la xix’dynastie et plus spécialeuient sous Ramsês II et Ménephtah. Nous exposerons simplement les raisons » |ui militent pour l’une et pour l’autre de ces deux hypothèses.

2. Première hypothèse, lu xviu" dynastie.

i) La chronologie biblique. — Nous prenons comme point de départ une date à peu près certaine, le dé ! >ut de la fondation du temple de Salomon en 957 (Fl. Josùphk, Àntiq. YIIl. ni, i, et Contra Apionem, I. 1 7). Or l’exode avait eu lieu 480 ans avant (III Reg.. VI, 1), ce qui nous reporte en 967 -f- /|So ^= : 1^37. Si on admet avec la Vulgale et riu’-breu que le séjouren Egvpte dura 430 ans^ l’arrivée de Jacob se place en , 43^ 4- 430 = 1867 ; si ou limite le séjour à 215 ans avec les Septante, le samaritain, et saint Paul (Gai, m, 17). elle tombe en i/|37 -f- 215 = 1662. Ces chiffres évidenunenl ne sont qu’approximatifs. La période des Juges, en comptant de l’Exode à Salomon, I)Ourrait être inférieure à 480 ans (Laguanok, Le livre des Juae^, introduction, p. xlii, xliu), mais ce 1311

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nombre est Araiseiiiblal)îe, il a même pour lui beaucoup de probabilité. Or d’après tous les égyptologues modernes, 143^ tombe dans la xviii' dynastie, et d’après les anciens cette date est plus rapprochée de Tlioutmès III que de Ménephtah.

Voici leurs dates pour les deux dynasties qui nous intéressent :

Champollion-Figeac XVIII' dyn. 1822-1473 XIX' dvn. 1473-1279

Anciens

Lepsius 1591-1443 1443-1269

Brugscli Mariette 1700-1400 1703-1462 1400-1200 1462-1288

Modernes

SteiudorlT

Peliie

Budge

Breasted

xviii' dynastie, Thoutmès I

)

Makéré Thoutmès II (

1543-1461

1541-1481

1566-1500

1540-1447

Thoutmès III

Amenophis II

1461-1436

.481-1449

1500-1466

.448-1420

Thuutmès IV

1436-1427

1449- "42 3

1466-1450

1420-141 1

Aménophislll

1437-1892

.423-4.4

14Ô0-1430

.411-. 375

AmenophisIV

1392-13-4

.4.4-1383

13 ; 3-1358

XIX'

dynastie, Ramsès I

1350

I 328-1 326

1400 13.5-1314

Seti l

1326-1300

.313-1292

Ramsès II

I324-I258

1300-1234

1292-122D

Ménephtah

1258 1234-1214

1225-12.5

Séti II

-I250

12.4-1209

I2C6-.230

1209-1200

Les égyptologues ne donnent pas tous le même ordre dans la suite des Pharaons, spécialement pour la XVIII* dynastie. Plusieurs mettent dans cette dynastie les deux règnes précédents, d’Ahmosis I""" et d' Amenophis I". Mais cela n’importe pas à notre sujet.

Lorsque Moïse entama les pourparlers avec Pharaon, il avait 80 ans (Ex., vii, j) ; à sa naissance, la persécution battait déjà son plein, puisque lui-même fut exposé sur le Nil ; en supposant qu’elle s’exerçait depuis une vingtaine d’années, on arrive à la durée d’un siècle. L’oppression des Hébreux aurait donc commencé vers lôS’j, c’est-à-dire dans les débuts de la xviii" dynastie, elle aurait atteint son maximum d’acuité sous le long règne de Thoutmès III (une quarantaine d’années), celui-ci serait le Pharaon qui mit à prix la tête de Moïse (Ex., ir, 15) et l’Exode aurait eu lieu sous Amenophis II. Les Hébreux seraient arrivés dans la terre promise 40 ans plus tard, au temps d' Amenophis III. D’ailleurs, comme les chiffres ici ne sont qu’approximatifs, on peut reculer tous les événements de manière à placer l’arrivée en Palestine sous Amenophis IV. Celte hj’pothèse, que nous suggère la chronologie biblique, n’est contredite par aucun document i)ositif et s’appuie sur plusieurs autres indices.

2) Le Pharaon oppresseur. — a) « Il s'éleva sur l’Egypte un autre roi qui ne connaissait pas Joseph. » {Ex., i, 8.) Ces mots annoncent un revirement considérable dans la politique égyptienne, et tout naturellement on pense à l’expulsion des rois Pasteurs, les protecteurs des Hébreux, par les chefs indigènes qui forment la xvii" dynastie. Cette expulsion ne se lit pas en une année, ce fut une guerre qui dura peutêtre un demi-siècle. Lorsque les princes de Thèbes, descendant peu à peu la vallée, eurent entîn emporté d’assaut Avaris, la dernière forteresse des Hyksos, et étendu leur domination sur toute l’Egypte, ils devaient prendre tous les moyens pour consolider leur pouvoir à l’intérieur, et ils portèrent leur attention sur ce peuple d'étrangers, ces Asiatiques qui débordaient déjà de la terre de Gessen. « Voici que les enfants d’Israël forment un peuple plus nombreux et plus puissant que nous. Allons ! Prenons des précautions

contre lui, empêchons-le de s’accroître, de peur que, une guerre survenant, il ne se joigne à nos ennemis poiu' nous combattre et ne réussisse à sortir du pajs. » {Ex., i, 9, 10.) Une pareille mesure se comprend très bien alors que les ennemis étaient encore aux portes et qu’il y avait tout lieu de s’attendre à un retour offensif, elle est beaucoup moins Araisemblable, dans la seconde hypothèse, sous la xix' dynastie, alors que l’empire égyptien dépassait la Syrie et que jusqu'à rOronte tout tremblait devant Pharaon. De même, l’idée d’un h nouveau roi « , le changement de conduite à l'égard d’Israël, s’expliquent moins facilement sous la xix' dynastie, près de deux cents ans après la mort de Joseph, puisque dans les deux hypothèses le Pharaon de Joseph est un Hyksos.

Il est vrai que la durée du séjour en Egypte peut ici intervenir, mais cette durée, bibliqueinent pariant, est fort incertaine. Qu’on la porte jusqu'à 430 ans, ou qu’on la réduise à 215, c’est la première hypothèse qui est j)référable. Les 430 ans ajoutes à 143^ nous mènent à 1867, et comme Joseph ne peut être séparé d’Abraham par guère plus de 200 ans, puisqu’il est son arrière-petit-lils, cela place Abraham vers 2050, date que les autres documents actuels semblent indiquer (A. CoNUAMiN, Etudes, 20 mai 1908, p. 485-501). En adoptant les 210 ans, ce qui est un minimum, on aurait pour Abraham 1802. La seconde hypothèse, qui met l’exode sous Ménephtah, c’est-à-dire deux cents ans plus tard, doit rabaisser d’autant la date d’Abraham, ce qui est moins conforme aux autres données.

l>) Les Egyptiens « établirent donc sur Israël des chefs de corvée, alin de l’accabler par des traA’aux pénibles. C’est ainsi qu’il bâtit des villes pour servir de magasins à Pharaon, savoir Pithom et Ramsès. » {Ex., 1, II.) La fabrication des briques pour la construction de magasins publics, telle fut la cor%ée à laquelle, jusqu'à leur départ, les Hél)reux furent condamnés par les divers Pharaons qui les persécutèrent pendant une centaine d’années. La Bible a reçu ici de l'égyptologie une éclatante confirmation. Pithom, en égyptien pi-tum, la ville ou le temple de Tum, a été définitivement identifié parles fouilles de l'égyptologue suisse Xaa’ille en 188c5, avec les ruines de Tell el-maskhouta, dans le Ouadi Toumilat, à l’ouest d’Ismaïlia. Il y avait là un temple ancien dédié au dieu Tum, d’où le nom de la localité. Naville reconnut que ce temple se trouvait dans une vaste enceinte en briques, sorte de forteresse qui enveloppait une surface de quatre hectares environ. C’est dans cette enceinte qu'étaient les greniers destinés à recevoir le blé cjui servait d’approvisionnement aux troupes. Leurs traces, leur plan étaient encore conservés sous le sable, c'étaient des constructions rectangulaires, de dimensions inégales, solidement bâties en murs de briques, d’au moins deux mètres d'épaisseur (cf. Lagier, Dict. de la Bible, v, 323). Ce même endroit s’appelait Thukut (= Socoth ou Sucoth, Ex., xiii, 20) et ce nom désignait à la fois la ville et la contrée avoisinante. Quant à la ville de Ramsès, elle n’est pas encore identifiée avec certitude. Les uns ont dit que c'était Tanis, les autres pensent que Tanis, bien qu’api^elée dans quelques documents pi-ratnsès, est trop loin de la terre de Gessen, et inclinent pour les ruines de Tell Rotàb au milieu du Ouadi Toumilat. Les récentes fouilles (1906) de Flinders Pétrie en cet endroit ont mis à jour des ruines de temples, des murs en briques, travaux de la xviii<^ et de la xix « dynastie, mais rien n’indique que la ville ait eu nom Ramsès.

Un fait est certain, c’est que la xviii' et la xix' dynastie firent exécuter de grandes constructions en I briques dans la Basse-Egypte (Maspero, Histoire 1313

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ancienne des peuples de l’Orient, ^ « édit., 1906, p. 244), et spécialement dans la terre de Gessen. C’est aussi que ces deux dynasties présentent la même physionomie politique, caractère belliqueux des souverains, puissante organisation, guerres continuelles, longues et nombrevises campagnes en Syrie et jusqu’en Mésopotamie. On peut donc choisir dans ces deux dynasties les Pharaons oppresseurs des Hébreux. Il est même à croire que les princes de la xviii’djnastie qui furent les initiateurs de ce mouvement, qui commencèrent les travaux, de construction, tirent appel aux haljitants du pays, aux Hébreux qu’ils avaient intérêt à tenir dans un rude esclavage. La Araisemblance du lait est contirmée par un tableau figurant dans un hypogée de Gournah, près de Thèbes, et datant du règne de Thoutmès III. On y voit des étrangers, des Asiatiques, travaillant à la fabrication des briques pour le temple d’Amon, sous le regard de surveillants armés de limpitojable bâton. Tous les détails y sont représentés, on puise de l’eau, on pétrit l’argile, on porte le limon, on façonne les briques dans le moule de bois, on les cliarge, on les emporte ; ainsi peinait Israël autour de Pithom et de Ramsès. 3) La tradition. — Une tradition rapportée par Théophile d’Antioche (^c/ Autolyc, iii, 20 ; P. G., VI, 1147), par Fl. Joskphe (Contra Apioneni, i, 26, édit. Didot, II, p. 358) et par Manétuon (dans Josèphe, loc. cit., p. 360) place Moïse et l’Exode sous la xvuie dynastie. Voici en substance le récit de Mané-Ihon. Sur le conseil des dieux, le roi Aménophis veut délivrer le pajs des lépreux et de tous les hommes impiu-s, il en réunit 80.000 et les jette dans les carrières de Toura (au sud du Caire actuel), puis il leur concède la ville d’Avaris. demeurée déserte depuis le départ des Pasteurs. Ils s’y organisent en nation sous la conduite d’un prêtre d’Hcliopolis Orsasyph, appelé aussi Moïse. Celui-ci appelle à son secours les descendants des Pasteurs, fixés en Palestine. A eux tous ils s’emparent de l’Egypte et livrent le pays au pillage et à l’incendie. Aménophis a été obligé de se réfugier en Ethiopie, mais il en revient bientôt avec son lils Ramsès et une puissante armée, attaque les Pasteurs et les Impurs, les met en déroute et les poursuit juscju’aux frontières de la Syrie.

Malgré tout ce tpi’il y a de légendaire et d’invraisemblable dans ce récit, il est dithcile de croire que rien n’y est historique. Manéthon, qui écrivait sous Ptolémée II Philadelphe (286-247), connaissait-il Moïse par les annales égyptiennes ou par les Livres Saints, que traduisaient alors les Septante à Alexandrie, ou par les Juifs établis dans la vallée du Xil déjà depuis le v’siècle avant Jésus-Christ ? il est dilhcile de le décider. En tout cas, il avait une raison pour unir le nom de Moïse à celui d’Aménophis plutôt qu’à un autre, et on ne voit pas quelle aurait bien pu être cette raison, si ce n’est la tradition. Josèphe, qui cite tout le passage de Manéthon, accuse l’historien égyi)tien d’avoir changé à dessein le nom du Pharaon, mais en cela il n’a d’autre but <(ue de mieux séparer la cause de Moïse de celle des Pasteurs.

4) Les « Ilahiri » des lettres de Tell el-Amarna. — Si les H’-[)reux sortirent d’Egypte vers 1437 sous le règne d’Anu’nophis II, ils parvinrent en Palestine, après leurs 40 ans de pérégrinations dans le désert, vers 13g7 sous Améno|)his 111. Or à ce moment même, les lettres des gouverneurs des principales villes de Palestine à leur maître, le Pliaraon d’Egypte (.Vménoj )liis III ou Aménopliis IV), annoncent l’invasion du pays par un peuple d’élrangcrs qu’elles appellent IJabiri. Le préfet de Jérusalem en particulier, Ai)dkhiba, réclame instamment du secours : « Pourquoi aimes-tu les Ilabiri et haïs-tu les préfets ? » — « Le territoire du roi est perdu, si vous ne m’écoutez pas.

tous les préfets sont perdus, le roi n"a plus de préfets. Que le roi tourne sa face vers eux ; que le roi mon maître fasse marcher des soldats auxiliaires. Le roi n’a plus de territoire ; les Haljiri pillent tous les territoires du roi. » — « S’il n’y a pas de soldats auxiliaires, le pays du roi passe aux Ilabiri. y> (H. Wix-CKLER, Z>/e Thoutafelnvon Tell-el-Amarna. xi-doZ-ZiZ.) Les Habiri sont ainsi nommés plusieurs fois. Quel était ce peuple puissant qui envahissait alors les territoires soumis à Pharaon ? On a pensé immédiatement aux Hébreux. Et d’abord notons qu’il y a correspondance philologique entre Habiri et Hibri (Hébreux), puisque l’assyrien représente souvent par ha la lettre ain qui commence le mot Hibri ; en cela les assyriologues sont d’accord. Reste à savoir si pour d’autres raisons il est impossible d’identifier les Haliiri avec les Hébreux. Ici les avis sont pai-tagés ; Winckler regai’de cette identification comme certaine, d’autres la contestent (cf. Delattre, Revue des questions historiques, t. XXXI, 1904, p. 353 sqq). En tout cas, il semble diiricile d’admettre qu’elle ne soit pas possible. Il est à remarquer, en effet, que si les Habiri occupèrent la Palestine, comme il ressort des lettres de Tell el-Amarna, les Hébreux, à leur arrivée, eiu-ent à les expulser, ils eurent au moins à les combattre ; or, parmi les ennemis d’Israël, on ne trouve aucun nom qui rappelle les Habiri. Si ce peuple n’était pas les Hébreux eux-mêmes, où avait-il passé ? Qu’était-il devenu ? (Cf. article du P. A. Coxd.vmin sur Babyloxe ET LA Bible, col. 353.)

5) La stèle de Ménephtah. — Cette stèle, découverte en 1895 à Thèbes, par Flixders Pétrie, et conservée au musée du Caire, porte une longue inscription qui est un chant triomphal divisé en deux parties ; dans la première on raconte en style poétique qu’en l’an v de son règne Ménephtah remporta une victoire éclatante sur les Libyens, ses ennemis de l’Ouest ; dans la seconde, beaucoup plus courte, on dépeint la situation des peuples du Nord. Voici le passage qui nous intéresse : « Les chefs étendus à terre disent le salut, et nul parmi les nomades ne porte le front haut. Tihonou est devasté, Khéta est en paix, Canaan est la proie de tous les maux, Ascalon est emmené, Ghézer est pris, Jamnia est anéanti, Lsraël est détruit, il n’a plus de semence, lu Syrie est semblable à une veuve d’Egypte. Tous les pays sont réunis en paix. »

Israël est ici nommé expressément, et c’est le seul document égyptien qui fasse sûrement mention des Hébreux. Cette seconde partie contient, comme on le voit, rénumération d’un groupe de peuples établis en Syrie et en Palestine. Israël est bien à sa place géographique à côté des gens d’Ascalon, de Gézer, de Jamnia ; au temps de Ménephtah, il était donc fixé en Palestine, ce qui concorde bien avec la première hypothèse. Le document est authentique et clair ; il cadre mal avec la seconde hypothèse. On dit que l’Israël ici nommé n’est pas l’Israël de l’Exode, mais un clan d’Hébreux déjà établis dans la Terre prouiis(> ; supposition gratuite, et manifestement contraire à la Bible, On dit aussi que la mention de la stèle peut s’appli(pier à Israël récemment sorti d’Egypte et disparu, sans laisser de trace, dans les profondeurs du désert. Mais alors pourquoi le nommer après Ghézer, Jamnia, et avant la Syrie ? Pourquoi le confondre avec les ennemis vaincus et soumis, alors qu’il n’aA ait jamais été ennemi de l’Egypte, qu’il avait travaillé pour elle, lui avait construit des forteresses ? Pourquoi surtout le mentionner, alors que ce souvenir, loin d’être une gloire, ne rappelait à tous qu’un lamentable et Iiumiliant échec ? Sans doute, supposé prouvé par ailleurs le récent départ des Hébreux, ce serait la seule explication possible.

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mais c’est le contraire qui est en question. Qu’un historien sans parti pris, sans idée préconçue, lise la stèle de Ménephtah, il placera tout naturellement Israël en Palestine, à côlé des autres peuples que mentionne le texte.

3. Deuxième hypothèse, la xix’= dynastie.

i) Dans cette hypothèse, on prend pour point de départ ^a^ri^’ée de Joseph en Egypte, qu’on place sous un Pharaon hyksos de la xvi* dynastie, vers 1650, on compte 430 ans de séjour ou à peu près, ce qui met l’exode vers 1280, après Ramsès II, au début du règne de Ménephtah. ZS’ous avons au qu’on ne connaît avec certitude nila dui’ée du séjour en Egypte, ni le Pharaon de Joseph.

2) Ramsès II réalise de point en point le portrait du Pharaon oppressem* tel que le peint le récit biblique ; il est guerrier et constructeur, on lit son cartouche sur toutes les ruines de la Basse-Egypte, c’est le seul cartouche qu’on ait encore trouvé à Tell el-Maskhouta, l’ancienne Pithom et à Tell Rotab, peut-être lancienne Ramsès. — Mais on peut faire reniai-quer que le nom de Ramsès II s’étale sur presque tous les monuments d’Egypte, ce qui n’est pas une preuve que ce Pharaon fut le premier et le seul constructeur de ces monuments, et dans notre cas on sait positivement que les magasins de la terre de Gessen furent commencés sous la xviii- dynastie.

3) La Bible elle-même, en nommant une ville, Ramsès, indique bien que le Pharaon constructeur s’appelait lui aussi Ramsès. Cet indice est un des princii^aux appuis de l’hypothèse, et semble avoir été la cause de son succès. Avant la xix^ dynastie, le nom de Ramsès est inconnu en Egypte, donc on ne peut placer la construction des deux villes mentionnées dans la Bible sous une dynastie antérieure. — Cette l’aison n’est certainement pas dénuée de valeur, elle est malheureusement infirmée p£ir la Bible elle-même, qui dit (Gen., xlvii. 11) que Pharaon donna à Jacob et à sa famille la terre de Ramsès. Quelle que soit l’interprétation adoptée pour expliquer cette dénomination au temps des Pasteurs, il est bien probable qu’elle pourra s’appliquer également à la ville de Ramsès sous la xviii dynastie. Peutêtre l’auteur sacré a-t-il employé pour désigner la terre et la Aille de Ramsès les noms usités au moment de sa dernière rédaction, ainsi appelons-nous parfois du nom de Constantinople l’ancienne a ille de Byzance.

4) Deux documents datant du règne de P «.amsès II parlent d’étrangers appelés Aperiu, qu’on fait tra-A’ailler à la construction du temple du soleil à Mcmphis. On a pensé dabord aux Héljreux, et phonétiquement l’idenlitication est parfaite, mais pour d’autres raisons « elle est rejetée aujourd’hui par la majeure partie des égyptologues » (Maspero, Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, II, p. 443, note 3).

La première hypothèse est proposée par J. Lieblein (Procet^dings of tlie Society of biblical archæulof^y, XXI, 1899, p. 53 sqq), par A. L. Leaa’is {/bid., X’V, 1893, p. 423), i » ar Ho.AiMEL (Expositury Times, X, p. 210 sqq.), par Lixdl (Cyrus, p. 1 1), par Leop. Fonck {Zeitschrift fitr Katli. Théologie, 1899, P- 27/1, 276), par l^uiiMxys (Zivei Ilautprohleme, 1898, p. 160), par Lefkbure (.l/îf5eo « , t. XV, 1896, p. 345-387).

La seconde est proposée par Chabas, Recherches pour servir à l’histoire de l Egypte sous la xix"^ dynastie, 1873, p. 189 sqq. ; de Rougiî, Examen critique de l’ouvrage de M. le chevalier de Bunsen, 1846-1847. àanii Œuvres diverses, t. I, 1907, p. ùb (fJihliothèque égyptologique, t. XXI), et Moïse et les monuments

égyptiens, dans Annales de philosophie chrétienne, 6e série, t. I, p. 165-173 ; Bkugscu, Geschichte Aegyptens, 1877, p. 581-584) ; Ebers, Durch Gosen zum Sinaï, 1872, p. 189 ; Spiegelberg, Der Aufenthalt Isræls in Aegypten, 1904, p. 13 ; Pétrie, Egypt and Israël, dans Contemporary Bevien’, mai 1896, p. 617627 ; Sayce, The Eg^pt of the Ilehrews, 1902, p. 91100, etc.

Maspero et WiEDEAiAN placeraient plutôt l’exode sous Séti II.

Cette opinion est beaucoup plus ancienne que l’autre, elle fut émise à une époque où l’on ne connaissait ni les Halnri, ni la stèle de Ménephtah, où la XAiii* dynastie était encore euvcloppée d’ombres et de ténèbres, où le grand nom de Ramsès II dominait toute l’histoire égvptienne. Notons aussi que les anciens égyptologues qui l’ont mise en avant plaçaient beaucoup plus haut le règne de Ménephtah et qu’ils éAitaient ainsi l’inconA’énient que présente la date relatiA’cment basse assignée aujoui-d’hui à ce souacrain.

Ce qu’il importe de remarquer, c’est que les deux hypothèses sont à peu près également probables, que personne ne donne son idée comme une certitude, que beaucoup ne prononcent un nom propre que pom- fixer l’imagination. Comme date de l’exode, on pevit donc choisir une année quelconque entre les deux limites extrêmes, c’est-à-dire à peu près entre 1440et 1240, depuis Thoutmès III jusqu’à Ménephtah.

Les documents actuels nous donnent ces deux cents ans de latitude. Il est dillicile de descendre au-dessous de Ménephtah poui- deux raisons : a) Entre l’aAènement de SaiJl, vers io50, et l’arriA’ée des Hébreux en Palestine, on aurait de la peine à faire tenir la longue période des Juges ; h) Un document égyptien datant de l’an YIII de Ménephtah nous apprend qu’une bande nombreuse de Sémites, arri-Aant d’Asie, demanda et obtint de s’établir dans la terre de Gessen, au pays de Socoth, autour de la forteresse de Pitum. Les Hébreux étaient donc déjà partis.

Pour plus de détails sur toute cette question, cf. Lagier, Ee persécuteur des Hébreux, Etudes, 5 avril 1909, p. g5.

Conclusion. — Si l’on met à part la mention de Moïse dans Manéthon, mention dont la source ne semlile pas être égyptienne, l’histoire de l’Egypte ancienne est muette sur le séjour des Hébreux dans la Aallée du Xil, elle ignore leur- arriAée, leur départ, le miracle de la mer Rouge. En cela, rien ne doit nous étonner. Ni les Egyptiens ni les Babyloniens n’ont coutume de rapporter les éAcnements qui ne sont pas propres à flatter leur orgueil national. S’ils parlent des étrangers, c’est uniquement pour raconter, aA’ec une emphase toute orientale, leurs défaites et leur soumission.

Mais à défaut de documents positifs, quel cadre merveilleux l’histoire des dynasties offre à la série des éA-énements bibliques ! Il n’est p.as un trait de la narration de Moïse qui ne porte en lui-nu^me son cachet de Araisemblance et ne soit rcAètu d’une cou leur égyptienne. Ce récit a été a^^cu, l’auteur est parfaitement au courant des choses du jiays. Il nomme le souverain de la même manière que les écriA^nius indigènes contemporains, il ne se trompe pas sur les noms de a illes, de localités, de pajs, il décrit aA* la plus stricte exactitude les mœurs et les usages ( ! ce temps, histoire de l’échanson et du panetiei-, songes de Pharaon, leur interprétation, fabrication des briques, construction des greniers de Pithom v de Ramsès. C’est une Aision de la réalité, il ne nous i.ixnque qu’un chilfre et qu’un nom propre. Peut-o

demander une harmonie plus parfaite ? Quant au surnaturel, au miracle, on n’est pas plus en droit de le bannir de cette histoire que de toute l’histoire du peuple de Dieu.

On peut se demander quelles furent pour les Israélites les conséquences de leur séjour en Egypte et s’ils n’empruntèrent rien à la religion et au culte de leurs anciens maîtres. Avi point de vue doctrinal, une comparaison facile de l’Ancien Testament avec le résumé que nous avons fait de la religion égyptienne montrera avec évidence qu’il n’y a de l’un à Fautre aucun rapport de dépendance. Dans le culte, tous les auteurs reconnaissent quelques relations ; le veau d’or est certainement un souvenir du bœuf Apis, devant la statue duquel les Hébreux avaient vu se prosterner les Egyptiens ; le pectoral du grand prêtre est une imitation du pectoral égyptien ; l’arche du "vrai Dieu, avec les deux chérubins étendant leurs ailes, rappelle ces naos égyptiens où trônait la statue de la divinité et que deux génies enveloppaient de leurs longues ailes ; les instruments de musique aussi, tambourins, flùles, trompettes, sistres, harpes, guitares, sont d’origine égyptienne ; musique n’est pas religion : dans la terre de Gessen, les Hébi-eux, en bons orientaux qu’ils étaient, ne pouvaient manquer de prendre goût à ces divertissements, à ces lëtes de l’oreille, d’ailleurs bien humaines, si populaires chez leurs voisins païens.

Ces emprunts, loin de faire difficulté, sont une nouvclle preuve de la vérité biblique, ils nous ramènent à l’Egypte que les Israélites venaient de quitter, ils nous parlent d’un long séjour, ils sont des pièces à conviction et, dans la vie d’Israël, ils établissent la continuité entre la période égyptienne et la période palestinienne.

Bibliographie. — F. Vigouroux, I.a Bible et les découvertes modernes, I, II, Paris ; J.Lieblein, L’Exode des Hébreux (Proceedings ofthe Society of biblical arcliæologr, XX, 1898, pp. 277-288 ; XXI, 1899, pp. 53-67)."

n

CHROXOLOGIE ÉGYPTIENNE

I. Idée générale de la chronologie égyptienne ;

II. Conclusions modernes.

Il y a quelques années, on faisait de la chronologie égyptienne une arme contre la Bible et surtout contre les faits racontes dans lePentateuque : le déluge, l’histoire d’Abraham, le séjour des Hébreux en Egypte, l’Exode. Les dates bibliques de ces événements, disaient les adversaires, sont en contradiction avec les dates certaines fournies par les documents égyptiens, elles sont donc fausses. Aujourd’hui, les positions ne sont plus les mêmes. De part et d’autre, les affirmations sontmoins catégoriques. L’historien etl’exégète ont cessé de donner comme certaines des dates irréductibles, et la prétendue contradiction est dou-Ijlemenl lorid^ée. Il reste cependant utile pour l’étude de l’Ancien Testament d’avoir une idée de la chronologie égyptienne et de savoir quelle est à ce sujet l’opinion des savants modernes.

I. Idée générale de la chronologie égyptienne.

— Les sources de ((lie clircMiologie sont tic deux sortes, les sources jjurement égyjjtienncs, monuments anciens existant encore dans la vallée duNil, inscriptions Iiiérogly[ » hiques qui couvrent des monuments, papyrus dont plusieurs reinonlent à une haute antiquité, et les sources grecques, récits d’IIi’: RODOïH et de DiODORE de Sicile, surtout histoire de Manétiion,

prêtre égyptien, probablement d’Héliopolis, qui écrivait sous Ptolémée II Philadelphe (280-246). Cette histoire, composée d’après les documents originaux, est malheureusement perdue, et il n’en reste que des fragments conservés par quelques auteurs, comme Flavius JosÈPHE(fr. 42, 00, 02), JuLiusvpRicANUSjdans son Pentabiblion qui n’est lui-même connu que jiar ce qu’en rapportent Georges le Syncelle, patriarche de Constanlinople vers la fin du viiie siècle, et EusÈBE dans ses deux premiers livres des « Chroniques », connus par Georges le Syncelle, une version arménienne et S. Jérôme.

Manéthon classe les rois égyptiens, depuis le premier qu’il appelle Menés jusqu’à Alexandre le Grand inclusivement, en 31 dynasties qui régnèrent sur le pays l’une après l’autre ou parfois simultanément.

Les égyptologues ont conservé la division par dj’nasties ; ils se sont contentes de les grouper en quatre ou cinq grandes divisions qu’on appelle empires ou périodes. vSi l’on met donc à part Alexandre qui forme la XXXI-dynastie, les souverains de l’Egypte sont distribués en 30 dynasties. Au reste, dans ce nombre, on le A’erra, il y a plusieurs dynasties étrangères. Peut-on fix ; er des dates certaines à tous ces rois qui, pendantplus de^ooo ans, se sont succédé dans le gouvernement de la A’alléeduXil ? C’est la question qu’il nous faut étudier.

Ce qui fait pour nous la difficulté de la chronologie égyptienne, c’est qu’on n’avait pas autrefois une ère fixe qui servît à dater tous les événements, à les relier ensemble en une série unique et continue. On les indiquait seulement d’après les années de chaque roi. Ainsi les textes disent que, l’an 21 de son règne, Ramsès II conclut un traité avec les Hittites ; mais à quelle date se place Ramsès II, depuis le premier Phai-aon ? les documents égyptiens ne s’en occupent pas. Pourtant on connaissait plus ou moins la succession des rois, on en dressait des listes qui se conservaient dans les archives des temples et qu’on gravait parfois sur les monuments. Il nous reste quatre échantillons de ces listes : le papyrus royal de Turin, contenant près de 180 noms, la table de Karnak, celle d’Abydos et celle de Saqqarah. La table de Karnak représente Thoutmès III (xyiii" dynastie) rendant hommage à 61 de ses prédécesseurs dont les images et les cartouches sont gravés devant lui (mais cette table ne suit pas l’ordre chronologique) ; sur celle d’Abydos. t’est Sétir’(xix° dynastie) qui, accompagné desonlils Ramsès II, offre de l’encens à 7°) de ses ancêtres ; celle de Saqqarah où figure Ramsès II lui-même, successeur de Séti I", ne porte que 47 cartouches. Sur ces deux dernières labiés, les rois viennent par ordre chronologique, mais ils ne sont pas tous nommés, sans doute parce qu’on ne voulait mentionner que les principaux parmi les pharaons, ou seulement ceux qui recevaient un culte partieidier en ces endroits.

Ainsi doncces différenles listes, non plus que celles des auteurs grecs, Diodore de Sicile, Manéthon, Julius Africanus, Georges le Syncelle, ne s’accordent ni sur le nombre des pharaons, ni sur l’ordre de leur succession, ni sur la durée de leur règne.

Les découvertes récentes, faites en différents endroits, ont amené la connaissance de nouveaux noms royaux, dont quelques-uns entrent Iiien dans les anciens cadres, mais dont plusieiirs sont plus dillieiles à caser. Quelques égyptologues ont même émis riij’polhèse, sans succès d’ailleurs, qu’on aurait trouvé une nouvelle dynastie, inconnue des historiens et antérieure à la première de Manéthon. Que nous réservent les découvertes de demain ? On ne saurait le prévoir. Dans ces conditions, il est facile de reconnaître que l’histoire est inq>uissante à dresser une chronologie exacte de l’Egypte ancienne. On a cru, 1319

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un niomont. avoir trouve des points de repère au moj’en de considérations astronomiques, mais il ne semble pas que les textes sur lesquels on a voulu s’appuyer fournissent des données suffisantes pour fonder un calcul certain. On n’espère guère aujourd’hui de ce côté-là.

II. Conclusions modernes. — En fait, les égyptologues de nos jours sont unanimes à admettre qu’il n’y a de chronologie certaine que jjour les dernières dynasties, depuis la xxiii" ou tout au plus depuis la xxii^. En 332 av. J.-C. Alexandre le Grand s’empare de TEgypte, qui depuis 34 1 était sous la domination des Perses. Ceux-ci, en battant Xectanébo à Péluse, avaient renversé la xxx’et dernière dynastie indigène. Cette dynastie, ainsi que les deux précédentes, est assez peu connue. Les Perses forment la xxvii’. En 525. ils avaient fait pour la première fois invasion dans la Aallée du Nil. sous la conduite de Cambyse ; ils s’y étaient maintenus pendant plus d’un siècle. La xxvi’dynastie marque poiu" l’Egypte une période d’indépendance et de grande prospérité. Elle débute au second tiers du’siècle et fournit deux Pharaons qui prirent une part importante dans les affaires de Palestine : Apriès. le Hophva de la Bible (589-570), qui essaya en vain de défendre Jérusalem contre Nabuchodonosor, et Xéchao (610-59/S) qui, dans sa marche contre les Babjdoniens, vainquit à Mageddo Josias, roi de Juda (608), et fut vaincu lui-même à Garganiich par Nabuchodonosor (605).

A la xxv dynastie, qui est éthiopienne, appartiennent Taharqa, le Tivliakah de la Bible (693-667), et Shabakou ou Sabacon (715-707), qui soutinrent les Juifs contre les Assyriens.

Il est à remarquer, pour les dates de ces quatre rois, que les égyptologues ne sont pas entièrement d’accord, et qu’elles peuvent varier de quelques années. Nous avons donné celles de Flinders Pétrie.

Dans le li^Te d’Isaïe, xxxvii. 9, et dans le second livre des Rois, xix, 9. il est dit que « Taharqa. roi d’Ethiopie > sortit d’Egypte pour aller combattre Sennachérib guerroyant alors en Palestine. Or c’était la troisième campagne de Sennachérib, qui se place en 701, et d’après la chronologie égyptienne Taharqa ne serait monté sur le trône que plus tai-d, ^ers 693. Ces dates se concilient si on admet, comme l’insinue FI. Pétrie (A historv of Egypt, III, p. 296), que Taharqa, avant d’avoir le pouvoir suprême, avait été associé au trône depuis plusieurs années. Le cas s’était déjà présenté pour Sabacon, et on peut l’admettre d’autant plus volontiers pour Taharqa que son prédécesseur Sliabataka (707-693) semble avoir joué un rôle plutôt effacé et laissé à d’autres la direction de la guerre.

Sheshonq, le fameux Shishaq de la Bible, qui s’empara de Jérusalem et pilla le temple de Salomon dans la 5’année de Roboam. peut être placé vers le milieu du x’siècle.

Au-dessus de la xxn* dynastie, on ne peut établir de chronologie qu’avec une approximation qui naturellement va toujours en s’affaiblissant à mesure qu’on remonte dans l’histoire, et qui pour les origines peut osciller entre des siècles.

Il y a ici parmi les égyptologues deux tendances. L’école française, fidèle aux traditions de Mariette, de Brlgsch, de Champolliox-Figeac et d’Emmanuel DE RouGÉ, donne des chiffres assez forts tandis que l’école allemande moderne (A. Erm.a.x, G. Steindorff, K. Sethe, E. Meyer, auxquels il faut ajouter Breasted et Pétrie) propose des chiffres beaucoup plus faibles.

Pour la xviii’et la xix* dynastie, les deux plus

intéressantes au point de vue biblique, l’écart atteint près de deux siècles.

De la xv’dynastie à la i", c’est-à-dire jusqu’aux premiers temps historiques, l’écart entre les chiffres proposés par les égyptologues, va naturellement en s’accentuant. Tous s’accordent à prendre pour point de départ, le règne de Menés, le premier des Pharaons. Or, comme date probable, Champollion-Figeac lui assigne 5867, Mariette bool, Flinders Pétrie 4777> Brugsch 4480ï Lepsius 38g2, Bunsen 3623, Breasted 3400, l’école allemande moderne 2800. Le règne de Menés, c’est l’Egypte organisée en royaume et dotée d’une civilisation déjà avancée. Depuis combien de temps les Egyptiens étaient-ils dans la vallée du Nil ? Combien leur avait-il fallu pour s’y installer, l’occuper, la coloniser, la cultiver ? C’est là un problème qui ne dépend pas de l’histoire, et qu’on ne peut résoudre que par induction. Compterait-on mille ans et plus, il reste évident que l’exégète qui cherche à fixer une époque au déluge et à la dispersion des peuples n’a pas à craindre de se heurter à la chronologie égyptienne. Pour ces temps reculés, tout le monde en convient, le champ des hypothèses reste ouvert, l’échelle des probabilités est considérable et chacun a la plus grande latitude.

Bibliographie. — W. Budge, A hisiory of Egpyt, I, p. II 1-162 ; Lieblein, Etude sur la chronologie égyptienne (Actes du onzième congrès international des Orientalistes, Paris. 1897 ; 5’et 6° sect., p. 1-33) ; E. Meyer, Aegrptische Chronologie (Aus den Abliandlungen der Kônigl. Preuss. Akademie der AVissenschaften vom Jalire 1904), Berlin. 1904. Cf. Revue Critique, 1905, t. LX, p. 203 ; FI. Pétrie, A history of Egypt., I (1908). II (1904), III (igoS), passim, surtout, I, p. 248-254 ; G. Steindorft’, Histoire ancienne de VEgypte, dans le Guide Bædeker pour l Egypte, édition française, igoS, p. lxxii-Lxxxv ; J.-H, Breasted, A history of Egypt, froni the earliest tinies to the Persian Conquest, New-York, 1905 ; A history of the ancient Egyptians, London, 1908.

III

LA RELIGION ÉGYPTIENNE

I. Généralités I. Les sources. 1. Caractères généraux de lu religion égyptienne.

II. Les dieux et les cosniugonies.

1. Doctrine d’Uéliopolis.

2. Doctrine de Memphis, d’LLermopoIis, de Thèbes.

3. Idées des Egyptiens sur la nature des dieux. — Pas de zoolâtrie pure. — Polythéisme. — Lueurs monothéistes.

4. Légende d’Isis et d’Osiris^

III. L’homme et ses destinées

1. Immortalité de l’âme.

2. le jugement, confession négative.

3. La rétribution, le sort des méchants, le sort des justes.

IV. Fin de la religion égyptienne

1. Décadence et zouldtrie.

2. Rapports avec le judaïsme.

3. Rapports avec le christianisme.

I. Généralités

I. Les sources. — La religion égyptienne nous est connue surtout pai" les documents égyptiens. 1321

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Nous avons cependant plusieurs documents écrits en grec, tels que les récits d’HÉRODOTE, de Diodore de Sicile, et par-dessus tout le « De Iside et Osiride ' » de Plutarque. Mais ces auteurs nous sont en réalité de peu de secours. Ce qu’ils nous racontent, c’est ce qu’ils ont entendu raconter eux-mêmes en Egypte ou ailleurs, traditions, légendes recueillies et transmises sans examen. Ces légendes reflètent sans doute les crojances populaires de cette époque, mais que nous appVennent-elles siu- les temps anciens ? Lorsque Hérodote visitait l’Egypte, vers ^bo, la religion égyptienne était à son déclin, il y avait plus de mille ans qu’elle avait atteint l’apogée de son développement, et plus de trois mille qu’elle avait des prêtres et des temples. Pour ces âges lointains, seuls les documents anciens de l’Egypte peuvent nous fournir des renseignements certains. Ces documents sont de deux sortes : les inscriptions, dessins et talileaux gravés sur les tombeaux, les pyramides et les temples, et les papyrus qui sont les livres d’autrefois. Ces débris s'échelonnent im peu sur toutes les époques depuis l’ancien empire jusqu'à la conversion de l’Egypte au christianisme, mais avec des alternatives de rareté et d’abondance. C’est sous l’ancien empire et le nouvel empire qu’ils sont le plus nomlireux, et c’est aussi de ces deux périodes cpi’il sera question dans cette étude. Aussi bien, c’est alors, avec les plus grands des Pharaons, avec les constructeurs de pyramides, Chépliren, Chéops. Ounas, Pépi, avec les célèbres conciuérants, Touthmès III. Séti I", Ramsès II, que la pensée religieuse de l’Egypte ancienne se manifeste avec plus de précision et plus d’ampieur. Evidemment nous lîe donnons ici qu’un aperçu général, et nous renvoyons aux ouvrages spéciaux pour une étude plus complète.

2. Caractères généraux de la religion égyptienne. — Les Egyptiens, comme tous les peuples de l’antiquité, étaient souverainement religieux. On l’a remarqué depuis longtemps, tous les monuments qu’ils nous ont laissés sont des temples ou des tombeaux, des temples pour le culte des dieux, des tombeaux pour le culte des morts. Ces deux idées, la divinité, la vie d’outre-tombe, semblent avoir domine toute leur vie et al)sorbé le meilleur de leur existence. C’est sous leur influence qu’ils ont entrepris et exécuté ces travaux gigantesques qui ont l)ravé le temps et qui font l'étonnement des générations. Quant à leurs demeures particulières, aux habitations des princes, aux palais des rois, il n’en reste rien ou presque rien ; c'était pour eux des lieux de passage, des hôtelleries qu’on hal)ite quelques jovu-s et qu’il faut quitter bientôt : ils ne s’en occupaient <jue dans la mesure du nécessaire. Et parmi les papyrus qui sont parvenus jusqu'à nous, le plus grand nombre, pour ne pas dire la totalité, traitent de sujets religieux, ou concernant la religion ; ce sont des récits sur les dieux, des hymnes, et surtout des renseignements ^ur la vie future, des fornuiies, des prières à l’usage des défunts. Il y a donc une religion égyptienne. Quels sont les caractères distinctifs de cette religion ? On peut les réduire à deux principaux : c’est une religion de la nature, c’est une religion composite.

Et d’abord c’est une religion de la nature et p ;  ; rdessus tout une religion solaire, non pas en ce sens que les Egyptiens aient adoré le soleil ou la lune, le ciel ou la terre, ou leur grand fleuve, le Nil, ils n'étaient ni sabéistes. ni panthéistes, mais en ce sens que, mises à part les idées abstraites, tout ce qu’il y a dans leur religion de synd)olcs, d’emblèmes, de figures et d’images est emprunté aux éléments dii monde visible égyptien. Ainsi, il y a un dieusuprcme.

un dieu créateur, ce dieu se confond avec le soleil, de telle sorte qu’il est souvcnt impossible de distinguer, dans les hymnes, s’il s’agit de l’astre matériel ou de la divinité. Le soleil toujours radieux, toujours vainqueur, se levant et se couchant toujours aux mêmes points, est pour eux l’image la plus parfaite de la divinité. On se le représente dans une barque, le jour traversant glorieux l’Océan céleste, gouvernant les hommes et leur distribuant la vie, la nuit voguant sur un fleuve inconnu et mystérieux, et revenant d’Occident en Orient, à l’endroit où il doit renaître au monde supérieur, après avoir réjiandu sur les morts la lumière et la joie.

Les divinités de second ordre, qui exercent une certaine influence sur le monde et les hommes, mais avec dépentlance du dieu solaire, ont pour emblème la lune. Pour les déesses, c’est le tirmanient étoile, la terre ; pour un dieu qii se distinguera par sa bonté envers les hommes, Osiris, c’est le Nil, le père de l’Egypte, pour d’autres divinités, c’est l’eau, le désert, etc. Les Egyptiens se sont-ils arrêtés à ces éléments matériels et n’ont-ils pas atteint l’invisible, le spirituel ? Il n’y a là aucun doute, comme on le verra plus loin. Mis en éveil par les phénomènes sensibles et guides par un esprit naturellement droit, ils se sont élevés, et dès l’origine, à une notion assez pure de la divinité.

Un autre caractère distinctif de la religion égyptienne, c’est quelle est un mélange de plusieurs systèmes différents, cpi’elle n’est pas une dans la rigueur du terme, surtout à l’origine. Vers 4000, avant que Menés eût établi l’unité politique de l’Egypte, chaque tribu avait ses dieux, son temple, ses prêtres, son culte, ses croyances. Plus tard, quand l’Egypte entière obéit à un seul chef, les tribus, lixées dans leurs nomes respectifs, continuèrent à garder leur autonomie religieuse. Cependant, avec la fusion politique et commerciale, se lit aussi peu à peu la fusion des croyances et du culte. De tous les éléments préexistants, il se forma bientôt une religion à peu près commune à toute l’Egypte. On avait d’abord des groupes isolés, un grand nombre de cours souveraines et indépendantes les unes des autres, avec la centralisation politique, on arriva, par la force des choses, à établir des relations entre ces groiq^es, on finit même par les réunir tous en un seul et même Eden national. De là cette armée de dieux et de déesses qui pciqilent le panthéon égyptien. Il y en avait plus de soixante qui recevaient un culte particulier en différentes localités, sans compter leur escorte de divinités inférieures. Cependant, il inqiorte de le noter, la multiplicité n’est qu’apparente, elle n’est que de surface ; elle n’est pas réelle, c’est une multiplicité d’appellations divines, non de dieux. Le dieu suprême, le dieu créateur, s’apj elle Atoum à Héliopolis, Phtah à Memphis, Thot à Ilermopolisen moyenne Egypte. Amon à Thèbes. Horus à Edfon.Khnoum à Eléphantine ; mais si on les examinede près.on reconnaît aisément que ces divinités ont partout la même nature, les mêmes attributs, les mêmes [ « lopriétés, le même rôle, qu’elles ne diffèrent que dans leur forme extérieure et dans quelques traits accidentels. C’est donc au fond le même dieu sous différentes dénominations. Et cela, les Egyptiens eux-mêmes l’avaient remarqué. Les adorateurs d’un dieu di terminé prétendaient fiue ce dieu réunissait en lui toutes les autres divinités. Pour les TliObains, le grand.mon était At(umi d’Héliopolis. Phtah de Menqdiis. Thot d’Hermoj)olis, il était tous les dieux à la fois, ou plutôt il était le seul dieu véritable, réunissant en lui toutes les prérogati es divines.

Le même amalgame d’idées se remarque dans les crovanccs sur l’homme et la vie future, et là. semble1323

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t-il, l’unité fut encore plus difficile à réaliser, soit à cause de rirréductibilité des éléiuenls comijiiiés, soit à cause de l’obscurité même du sujet.

Ainsi la religion égyptienne ne se présente pas à nous comme un corps doctrinal bien agencé, avec des principes bien arrêtés, des fondements stables et invariables, des déductions et des conclusions logiques formant un ensemble, un tout homogène. C’est un mélange de croyances et de cultes juxtaposés qui s’harmonisent assez souvent, sont fréquemment dispai-ates, parfois même franchement contradictoires.

II. Les dieux et les cosmogonies

I. Doctrine d’Héliopolis. — Toute la théologie de l’ancienne Egjpte est dominée et gouvernée par celle d’Héliopolis. Les doctrines professées dans cette ville, sous l’ancien Empire, nous sont connues par des documents bien authentiques, les textes des pyramides de la v= dynastie. Il est à remarquer que les grandes pjraniides, celles de la iv° dynastie, n’ont absolument aucune inscription.

Héliopolis était probablement la capitale du peuple qui occupait l’Egypte avant Menés. Après la fondation de Memphis, elle resta la capitale religieuse du pajs. Elle avait un collège de prêtres qui tenait école et enseignait toutes les sciences religieuses, y compris la médecine. Ce collège se maintint jusqu'à l'époque romaine.

D’après la doclrine d’Héliopolis, à l’origine existait l’océan ténébreux, l’eau primordiale, le chaos, le Non ou M’oiini. Là résidait seul Atoum, le premier dieu qui va créer et organiser le monde ; de là il sortit, disent les textes, alors qu’il n’y avait pas encore de ciel, qu’encore n’avaient été créés ni vermisseaux, ni reptiles. Il sortit sous fornie de soleil. Les mêmes textes l’appellent encore Rû (soleil) ou à la fois Atoum Râ, Bà Atoum. Plus lard le nom de lia prévalut, il désigna le soleil en plein jour, dans tout l'éclat de sa splendeur, dans toute la majesté de son triomphe sur les éléments et le monde. Du même coup, Rà fut le maître suprême de tous les dieux, Atoum resta plutôt le soleil couchant, le soleil disparu, caché, qui préexiste au jour, image de la divinité éternelle qui vit d’elle-même et par elle-même, alors quetout est ténèbres ou néant, qui se manifeste et donne la vie au monde quand il lui plaît. C’est dire qu’Atoum conserva toujours son rôle de principe premier dont tout est sorti et dont tout dépend.

A son lever, lorsqu’il brille à l’horizon, il a un nom particulier, il s’appelle Bâ Khopri, c’est-à-dire Rà Scarabée, pour indiquer qu’il sort de sa propre substance, qu’il naît de lui-même. Pour les Egyptiens de tous les temps, le scarabée est symbole de renaissance, de vie nouvelle, soit parce que le nom e’gyptien de cet animal, khoprir^ au moyen d’un léger changement signiliait devenir, kliopir, soit parce que le scarabée vivant dans les sables du désert et se perpétuant à l’insu des hommes semblait toujours renaître de lui-même. Lorsque le soleil navigue sur les eaux du fleuve noctm-ne et qu’il est sur le point de revenir à l’horizon, il est représenté dans sa barque avec un corps humain ayant un scaraliée en guise de tête.

Atoum Rà sort du chaos, il ne le crée pas. Les Egyptiens, non plus que les autres peuples de l’antiquité, ne semblent pas avoir eu l’idée d’une création ex nihilo. Ils ont des expressions très fortes, ils ne craignent pas de dire à leur grand dieu, à Atoum Rà, ou à Amon : O toi qui as fait tous les dieux, tous les hommes et toutes les choses : mais cette création de tout suppose dans leur esprit une matière préexistante, le jVo «. C’est plutôt une organisation.

Dans la doctrine d’Héliopolis, cette organisation est racontée d’une manière symboliqiie, presque énigmatique. Atoum Pià le premier dieu, qui vit de lui-même, qui est fécond de lui-même, a huit descendants, quatre mâles et quatre femelles, accouplés deux à deux et nommés dans l’ordre suivant :.Shou Tafnout {'J’efnet) ; Qeb (ou Seb, Sibou) IS’out ; Osiris Isis ; Set (Sit) yephthys. Les quatre derniers ne sont que les petits-iils d’Atoum Rà, ils sont fils de Qeb et de Nout. Pour Qeb et Nout eux-mêmes, l’ensendjle des textes laisse indécise la question de savoir s’ils sont enfants immédiats de Shou et de Tafnout ou bien d’Atoiun Rà. En tout cas, celui-ci est toujours premier et unique principe.

Cette liste de neuf dieux n’est pas invariable dans les textes. Comme toutes les données un peu précises de la religion égyptienne, elle présente des variantes assez considérables. Les dieux sont quelquefois dix, onze, douze même, parce que les rôles ont été dédoublés. Set est fréquemment remplacé par Horus et Nephthys par Hathor. Cependant, c’est sous forme d’Ennéade que sont décrits le plus souvent les dieux d’Héliopolis et c’est sous cette forme que nous allons essayer d’en saisii" la signification.

Le premier couple issu d’Atoum est Shou et Tafnout. Shou est un dieu à forme humaine, il s’apiielle le fils premier-né de Pià. Il a pour rôle, dans la formation du monde, de se glisser entre les deux autres descendants d’Atoum, Qeb et Nout, de les séparer, de soulever, par le milieu du corps, Xout, figure du ciel, et de la tenir en haut, arquée comme une voûte, touchant encore Qeb, la terre, du bout des pieds à l’Orient, et du bout des mains à l’Occident. Shou est donc l’air, l’atmosphère qui supporte le firmament. Dans les nombreuses statues qui nous en restent, il est représenté un genou en terre et l’autre droit, étendant les bras et élevant les mains à la hauteur de la tête, comme pour soutenir un fardeau. Cette opération n’a t-elle pas quelque analogie avec celle que décrit la Genèse, i, 6 : Dixit quoque Deus : Fiat firmamenlum in medio aquaruni, et dividat aquas ab aquis ?

La sœur de Shou est Tafnout. Le rôle de cette déesse est assez obscur. Son nom se rattache à un radical qui signifie cracher, elle serait donc la cracheuse, c’est-à-dire l’eau du ciel, la pluie. Elle peut avoir encore une autre signification. Ses statues la représentent avec une tête de lionne. Or la tête de lionne était symbole d’ardeur et de flamme, Tafnout pourrait ainsi être la chaleur de l’atmosphère, le feu, la lumière.

Le second couple, Qeb Xout, remplit un rôle bien déterminé, Qeb est la terre, le monde inférieur, Nout est le ciel, le monde supérieur. Ces deux époux, primitivement unis puis séparés par Shou, sont les auteurs de tous les autres êtres qui vont suivre. Qeb est le premier père et Nout la première mère, car Atoum Rà n’est ni père, ni mère, il a produit tout seul. Qeb est un dieu à forme humaine, il est représenté étendu à terre dans les nombreux tableaux où l’on voit Shou le séparer de Nout et tenir celle-ci voûtée au-dessus de sa tête. Nout, en sa qualité de firmament, est la mère des étoiles, elle symbolise ro : -éan céleste sur lequel navigue la barque solaire.

Osiris et Isis, les deux premiers-nés de Qeb et de Noul, sont des plus connus et des plus célèbres parmi les dieux égyptiens. Ils doivent cette célébrité à une fortune postérieure, non au rôle qu’ils jouent comme éléments cosnaiques dans la création héliopolitaine. Ce rôle lui-même est assez complexe et ne manque pas d’imprécision ; il semble bien qu’il soit double. Et d’abord, d’après tous les égyptologues, Osiris est certainement l'élément humide, l’eau fécondante.

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l’eau du Nil, le Nil lui-même, et Isis, la terre végétale, le sol fertile. Ces deux éléments unis sont le principe de la germination et de la végétation, la source de la richesse et de la prospérité égyptienne. Mais, en outre, il semble hors de doute qu’Osiris figure le premier homme et Isis la première femme.

Le dernier couple. Set et Nephthys, apparaît dès l’origine en guerre a^ec le précédent dans toutes ses fonctions. Il figure d’abord la partie stérile de l’Egypte, le désert, le sable qui sans cesse menace la A allée verdoyante, Osiris et Isis ; il personnifie, en outre, le règne animal, surtout les animaux du désert, les animaux féroces, ennemis de l’homme. Set en effet, est représenté sous la forme d’un animal étrange qu’on appelle animal typhonien mais qu’on n’a pas encore identifié. Quant à Nephthys, elle ne semble être là que pour le parallélisme ; dans les tableaux et les statues, c’est une déesse à tête humaine vêtue d’une longue tunique et portant sur la tête lliiéroglyphe qui sert à écrire son nom.

Tel est le mythe héliopolitain. ennéade composée d’un dieu créateur, Atoum Rà, et de sa descendance divine. Cette descendance joue un double rôle, elle est la personnification ou mieux la déification des êtres créés par Atoum. et elle lui sert d’intermédiaire pour l’organisation du monde. Ce système est une énigme, comme toute la littérature primitive. Plus tard on trouve quelques idées un peu plus claires. Ainsi on dit que Rà a tout créé par sa parole toute-puissante. Voici un récit de la création qui ne manque pas de beauté, il est mis dans la bouche de Rà lui-même : « C’est moi qui ai fait le ciel et la terre, qui ai soulevé les montagnes et qui ai créé tout ce qui est dessus. C’est moi qui ai fait l’eau et qui ai créé le grand abîme. C’est moi qui ai créé le ciel et qui en ai couvert les deux horizons, et j’ai placé dedans les âmes des dieux. Je suis celui qui, s’il ouvre les yeux, produit la lumière et qui, s’il les ferme, produit les ténèbres, qui fait monter l’eau du Nil, lorsqu’il l’ordonne, celui dont les dieux ne connaissent point le nom. Je suis celui qui fait les heures et qui donne naissance aux jours ; c’est moi qui envoie les fêtes de l’année et qui crée les inondations. C’est moi qui fais surgir la fiamme de vie afin de permettre les travaux de la campagne. Je suis Khopri au malin, Rà à son midi, Atoum le soir «.

D’après Ed. Naville, T.a religion des anciens Egyptiens, p. 19/1, les dieux d’Héliopolis ne furent pas confinés dans une ville, ou même dans un nome ; ils devinrent déjà sous l’Ancien Empire et restèrent toujours des dieux nationaux, reconnus de l’Egypte entière. Ils eurent des statues un i>eu paitoiit : à plusieurs furent dédiés des temples en liiirérentes localités. Avec les dieux, se ré|)andircnt aussi les idées ; la cosmogonie héliopolitaine est la plus ancienne et la plus importante des cosmogonies égyptiennes.

2. Doctrine de Memphis, d’Hermopolis. de Tbèbes. — (domine il a d< jà ctc- dit. dés les tenqis les plus anciens, on trr)uve dans les princij)ales localités de l’Egypte des dieux ([ui sont indépendants les uns tics autres et dont l’origine échappe à toute investigation. Plus tard, dans l’esprit des tiiéologiens et du peuple, des relations s’établirent entre ces diverses divinités, il se forma des groupements, « les unions, des familles, toute une société viant dans un moufle supérieur, société confuse d’abord, puis organisée, hiérarchisée, érigée eu monarchie plus ou moins absolue, plus ou moins tempérée selon les lieux et les tenq>s. Il serait hors de propos de décrire en détail tous ces jiroduits de l’imagiualion égyptienne ; nous nous arrêterons aux types principaux et caractéristiques, à ceux qui présentent un intérêt général.

Mythes memphites. — Memphis, une des premières capitales de l’Egypte, adora dès l’origine un dieu mystérieux appelé Phtah. Les statues représentent ce dieu sous forme humaine, la tête rasée, debout, enveloppé comme une momie dans une gaine d’où émergent seulement les deux mains qui tiennent le sceptre serré contre sa poitrine. Cette pose est symbolique. Phtah remplit à Memphis les fonctions d’Atoum Rà à Héliopolis ; c’est le créateur des dieux et des hommes, Torganisateur du monde, le seigneur de la justice ; mais il reste lui-même caché, iuvisibîe, il ne se dégage pas des ténèbres pour briller dans le disque solaire. Il joue encore un double rôle : sous une forme qui rappelle celle de l’embryon, portant le scarabée en tête, il figure la création elle-même dans son état primitif ; avec un corps d’adulte, généralement assis, c’est un dieu infernal qui porte le nom de Plitali-Sokar-Osiris, ou tout court Sokaris. Au culte de Phtah est rattaché le culte du bœuf Apis, Celui-ci était appelé « nouvelle vie de Phtah », parce qu’en lui était censée résider l’àiue du grand dieu. Quand un taureau venait à mourir, l’àmc passait dans un autre, et Apis revivait.

Mythe d’Herniopolis. — A Hermopolis, Aschmounéin, en Moyenne-Egypte, le dieu suprême et créateur était Thoth, à tête d’ibis. Ce dieu passa Aite au second rang et dut se contenter de paraître sOus les traits de la lune, d’être le remplaçant de Rà, le taureau parmi les étoiles. Plus tard il devint le scribe des dieux, le juge dans le ciel, l’inventevir des paroles divines, c’est-à-dire des hiéroglyphes, il apprit aux hommes la langue et l’écriture, le calcul, la médecine, toute science et toute sage->e. Celte fonction lui A int peut-être de ce que la lui.e servait alors par ses phases aux notations du temps. Thoth n’était pas resté seul, il avait produit de sa bouche quatre dieux qui s’adjoignirent plus tard quatre déesses. On eut ainsi une ennéade hermopolilaine à l’exemple de celle d’Héliopolis. Mais les huit dieux secondaires n’eurent jamais un caractère iudividuel saillant et tranché. On savait à peine leurs noms et on les appelait simplement les Huit, de sorte qu’Hermopolis (la Aille d’Hermès, c’est-à-dire de Thoth) fut à cause d’eux la ville des Huit, Shmoun, a’où l’arabe Aschmounéin.

Mythe de Tht^hes. — A Thèbes, en Havite-Egypte, capitale du Moyen et du NouacI Empire, trône le célèbre Aman. La doctrine de Thèbes est au fond seml)lable à celle d Héliopolis, mais comme elle est beaucoup plus récente et qu’elle est connue par un grand nombre de docximents, elle s’ollre à nous pins (lévelopp(’e et plus élcAéc. Amon, comme Atoum, est le dieu primordial qui a tout créé et tout organisé, il est le roi îles dieux, le maître suprême des hommes, il se confond avec le soleil et s’appelle Amon Rà. Divci’s groupements se formèrent autour de lui, le plus inqxutant est une triade composée d’Anton, de la déesse Mont et leur enfant Chons, dieu lunaire. A cette triade considérée comme un seul tout, on essaya de rattacher les huit dieux liéliopolitains issus d’.Vtoum, de manière à former une ennéade. Celle-ci elle-même s’augmenta de nouvelles divinités, et finit par s’incorporer tous les grands dieux d’Egypte, associés entre eux et distribués en neuf groupes.

Amon Rà suivit le sort de Thèbes et des grandes dynasties, il est certainement le dieu égyptien qui reçut le plus d’honneurs. C’est à lui qu’était dédié ce tenqile gigantesque de Karnak auqu( 1 travaillèrent toutes les générations égyptiennes « -t qui était digne (le figurer parmi les sept merveilles « lu monde. C’est à son sujet, connue nous le Acrrons. que s’éleva le plus haut la pensée religieuse des anciens Egyptiens. Sous les grandes dynasties, afin de donner plus de 1327

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prestige au PLaraon, on imagina une tliéogonie consistant dans l’union d’Amon avec la reine pour donner naissance au souvcrain. Amon entrait ainsi dans la vie de la société et prenait une part considérable dans la direction des affaires humaines.

Le culte de ce dieu subit une sérieuse éclipse sous le règne du Pharaon Aménophis IV, de la xviii’dynastie. Pour des raisons uniquement politiques, en particulier pour se soustraire à l’influence des prêtres d’Amon et établir une j)lus grande unité dans toute l’Egypte, ce roi entreprit une immense réforme religieuse : il décida la snjipression pure et simple de l’ancien culte et la création d’un culte noineau qui aurait pour objet unique le disque solaire. Plus (Vennéade, ni de triade, il n’y aura qu"un seul dieu, le soleil. Le puissant monarque ne s’en tint pas aux paroles, il mit la main à l’œuvre. Il lit marteler le nom d’Amon sur tous les monuments publics, changea son nom personnel d’Aménophis (offrande d’Amon) en celui de Khouniaton (génie du soleil), (t, pour être plus sur de réussir, il transféra la capitale de Thèbes à l’endroit appelé aujourd’hui Tell-el-Amarna. Ce n’était qu’une bourrasque. Les Egyptiens restaient attachés aux dieux de leurs pères. A la mort d’Aménophis IV, une puissante réaction ramena la cour à Thèbes et rétablit le culte d’Amon.

Parmi les autres dieux, il faut encore citer Horus d’Edfou, dieu solaire dont l’emblème est le disque ailé représentant l’astre au moment où, vainqueur de ses ennemis, il s’élance dans les airs ; À/iHowm d’Eléphantine, que les gens du pays, dont la grande industrie était la poterie, aimaient à se figurer sous les traits d’un potier moulant le monde et les hommes sur son tour. Dans un inscription grecque, datée du règne de Claude, Khnoum (appelé alors Khnoub) est identifié à Amon, le dieu suprême de Thèbes. (^Revue Bihlique, 1908, p. 264.)

Les déesses principales sont, outre celles qui ont déjà été nommées, Hatlior, ?ieith, Bastit, Sochmit, Maât. Hathor n’est au fond qu’une autre forme de Nout, déesse du ciel, forme plus connue et plus populaire, qui éleva cette déesse au premier rang parmi ses comparses et en fit la représentante divine des femmes. Son emblème à l’origine était Tinc vache qu’on dessinait soutenue par Shou, constellée comme le firmament et portant la barque solaire. Ilathor était aussi l’oeil de Rà et la déesse de l’Ouest, debout sur la montagne escarpée de l’Occident où elle rece-Aait le soleil à son coucher.

Neith est la plus grande déesse de la Basse-Egypte, elle était honorée surtout à Sais. D’après une de ses statues, qui est au Vatican, elle est k la mère qui enfante le soleil et qui enfanta la première avant qu’il n’y eût d’enfantement ». L’arc et les flèches tp.i’elle lient en main lui donnent un caractère guerrier.

Bastit et Sochmit sont fréquempjent associées ; la X>remière, avec sa tête de chatte, le sistre en main, un panier au l>ras. préside à la danse, à la musique, aux jeux ; la seconde, la puissante, avec sa tête de lionne surmontée du disque, se plaît dans les combats et les guerres. Enfin Maàt n’est autre chose que la déification de la vérité et de la justice.

3. Idées des Egyptiens sur la nature des dieux. — Pas de zoohitrie pure. — Longtemps on n’a su des Egyptiens que ce qu’en racontaient les auteurs grecs ; volontiers on faisait d’eux de grands adorateurs d’animaux. Ils élevaient avec grand soin, pensait-on, des crocodiles, des cynocéphales, des chats, et ils leur rendaient tous les liomniages de la divinité. Il faut ici distinguer les temps. A la dernière époque, c’est-à-dire à partir du vu siècle, il y

eut en effet un certain culte des animaux, et nous eîi dirons un mot plus loin ; mais on ne voit rien de pareil aux époques précédentes, dans les plus beaux jours de l’Egypte, dans les plus amples manifestations de l’esprit religieux. On ne peut signaler que le culte du ])œuf Jpis à Memphis et d’un autre taureau appelé jMriéi’is à Héliopolis ; ces animaux n’étaient d’ailleurs honorés qu’à cause des relations intimes qu’on leur attribuait avec une divinité invisible distincte d’eux-mêmes.

Cependant, à toutes les époques, on trouve, dans le panthéon égyptien, des animaux, des dieux à tête d’animaux, ce qui choquait particulièrement le sens esthétique des Grecs. Thoth a une tête d’ibis, Amon une tête de bélier, Horus une tête de faucon, Khnoum une tête de bélier, Anubis, le dieu introducteur des morts, une tête de chacal, Sobk, le dieu des eaux, le dieu d’Ombos et surtout du Fayoum, une tête de crocodile ; la plupart des déesses ont une tête de lionne.

Quelle était la raison de cet affreux hybridisme ? Les égyptologues n’en donnent pas tous la même explication. Voici la plus vraisemblable. A l’origine, chacune des tribus errantes qui vinrent s’établir dans la vallée du Xil, avait sa religion et son culte, le culte d’un animal spécial dont on portait l’image sur une perche ; c était l’enseigne, le signe de ralliement de toute la tribu. En outre chacune de ses tribus avait son dieu. Il y avait la tribu du faucon, qui adorait Horus, la tribu de l’ibis, c]ui adorait Thoth, la tribu du bélier, qui adorait Amon. Quels rapports reliaient l’animal au dieu, et comment les deux en vinrent-ils à s’amalgamer et à ne former qu’un seul tout ? Ce n’est pas clair. Probablement, lorsque les tribus se furent fixées et eurent construit des villes, lorsque, unifiées et incorporées dans un seul royaume, sous un seul chef, elles construisirent des temples et voulurent représenter leur dieu sous une forme sensible, elles choisirent.comme emblème l’animal plus ou moins sacré qui les avait guidées dans leur marche. C’était à la fois conserver sa religion et un semblant d’indépendance politique. L’animal, cessant d’être signe de ralliement, devint un signe religieux. Le faucon descendit de sa perche, où il ne servait plus à rien, et sa tête fut installée sur les épaules d’Horus. Le dieu ainsi bâti résumait en lui toute la vie du clan. On conserva d’autant plus volontiers aux dieux ces traits personnels que c’était pratiquement le seul moyen possible de les distinguer.

Polythéisme. — Jusqu’à quel degré les Egyptiens se sont-ils élevés dans la connaissance de la divinité’? Notons d’abord que durant une si longue période, plus de quatre mille ans, les idées ont dû nécessairement changer, se modifier, évoluer, qu’elles n’étaient pas invariablement les mêmes pour les plusieurs millions d’hommes qui peuplaient la vallée du Nil. Il est bien évident que prise dans son ensemble, à toutes les époques connues, la religion égyptienne est un pur polythéisme, qu’elle a même une tendance très marqiu’^e à l’idolâtrie, je veux dire, à s’arrêter aux éléments matériels, aux phénomènes sensibles. La pluralité des dieux est un fait, elle est partout, sur tous les monuments, dans tous les textes, elle couvre la surface de l’Egypte, elle s’étale dans tous les temples et sur tous les tableaux. Le peuple la professe et les prêtres l’enseignent ouvertement. On ne trouverait pas une expression qui la blâme, la rejette, la condamne, qui affirme clairement l’obligation de croire en un seul dieu, qui donne le moindre encouragement, le moindre éloge à ceux qui y croient, qui énonce la plus légère désapprobation de ceux qui proclament la pku-alité. Le polythéisme a 1329

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régne sur l’Egypte ancienne comme sur la Cb aidée et sur l’Assyrie.

Ce polythéisme n’était certainement pas l’idolâtrie grossière qui s’arrête aux statues de bois et de pierre, il s’adresse babituellement à des dieux suprasensibles supposés intelligents et puissants, mais ])ien souvent aussi il s’attache aux éléments visibles et en premier lieu au soleil. N était-ce pas le culte du soleil matériel qu’AméTiophisIV avait voulu imposer à tousses sujets ? Sans doute, on donne à l’astre des attributs supérieurs, divins, la vie. l’intelligence, l’omniscience, la toute-puissance, on en fait le créateur et le maître de toutes choses, mais ces attributs, on ne parvient pas toujours à les dégager de la matière, et on les conçoit diiricilement réabsés ailleurs que dans cet astre, si beau, si brillant, si bienfaisant, cet astre qui, pour l’Egyptien, est la merveille du monde visible, et qui semble ne rien avoir au-dessus de lui. L’idolâtrie, sans caractériser la religion égyptienne, en est pourtant un des traits secondaires.

Lueurs monothéistes. — Ces deux points importants, ces deux empreintes de l’erreur étant hors de doute, recherchons si dans toute cette religion, que vécurent plusieurs millions d’hommes, ne jaillit jamais l’étincelle de vérité, si dans ces ténèbres épaisses ne brilla jamais l’éclair qui découvre le vrai Dieu, recherchons si les théologiens ne s’élevèrent pas à la conception d’un Dieu unique, infini, immatériel, s’ils n’énoncèrent pas des principes qui logiquement menaient au monothéisme. Pour qui lit les textes sans parti pris, il ne peut y avoir aucun doute dans l’afTirmative. Voici un extrait d’un hymne à Amon :

Le dieu auguste, le maître de tous les dieux, Amoii Râ, l’àme auguste qui fut au commencement, le grand dieu qui vit de vérité, le dieu du premier cycle qui a enfanté les dieux des autres cycles et par qui sont tous les dieux, le un uniquo qui a fait tout ce qui exisle quand la terre a couimencé d’être à la création, aux enfantements mystérieux, aux formes innombrables, et dont on ne peut savoir l’accroissemeut… maiire souverain de 1 être, tout ce qui est exi. « te jiarce f[u il est, et quand il a commencé d’être, rien n’éloit que lui ; dès la première aube de la création, il était di’-jà le disque solaire, prince des splendeurs et des radiaiicos, celui dont rap[)arition donne vie à tous les hommes. (D’a[)rès Navii.le, op. lauei.j p.’23.)

On dit aussi d’Amon Kà :

Il ordonna, et les dieux naquii’ent. Les hommes sortirent de ses yeux et les dieux sortii-ent de sa bouche. Il est celui qui fit l’herbe pour les troupeaux et l’arbre fruitier pour les hommes ; celui qui croc ce dont vivent les poissons dans le fleuve et les oiseaux sous le ciel, celui qui met le soutlle flans l’œuf, nourrit le fils du ver, et produit la substance des moucherons ainsi que des vers et des

f)uces ; celui qui fait ce qui est nécessaire aux souris dans eurs trous et qui nourrit les oiseaux sur tous les arbres. C’est par am.our pour lui que vient le Nil, lui, le doux, le’bien-aimé, et à son leior les hommes vivent. El ce chef de tous les dieux a cependant le ca-ur ouvei-t à celui « pii l’invoque. Il protège le crainti f contre l’audacieux,.ussi est-il aimé et vénéré de tout ce qui existe, si liant soit le ciel, si vaste la terre, si profonde la mer. Les dieux s’inclinent devant ta majesté et exultent leur créateur’. Ils sont en allégresse à 1 approche de celui qui les a engendrés : sois loué, disent les fauves, sois huié, dit le désert. Ta))eauté conipiiert les ccrui’s. (D’après Adolf Eh.m.vn, La religion égij[)ticnne, traduction ^’idal, p. 87, 88.)

Malgré beaucoup d’incohérences, est-ce qu’il ne ressort pas de ce tablca>i la ligme d’nn Etre suprême qui a tout créé, toutes les choses et tous les dieux, d’un Etre « (ue tout adore, même les dieux ? N’en fallait-il pas conclure que lui seul méritait les adorations des hommes ? Nomhreux sont les hymnes qui répètent les mêmes idées, sous les mêmes formes. Nulle part, certes, on ne dit qu’il n’y a qu’un seul vrai

Dieu et que tous les autres sont faux, mais ces autres sont rœu% re d’un premier, et ce premier est seitl, seul non seulement dans chaque ville en particulier, à Memphis, à Thèbes, mais seul sur toute la surface de l’Egypte, seul au ciel. C’est le même qui est partout sous dilTérents noms. « Il est l’Amon qui réside en toutes choses, ce dieu vénéré cjui était dès le commencement. C’est d’après ses desseins qu’existe la terre. Il est Phlah, le plus grand des dieux, celui qui devient un vieillard et qui se rajeunit comme un enfant, dans une durée éternelle. » (D’après Naville, op. laud., p. 125.) Ailleurs le même dieu est identifié avec Atoum d’Héliopolis. avec Thoth d’Hermopolis.

Voici une profession de foi. curieuse et significative, inscrite sur un cercueil de la xxii= dynastie et mise dans la bouche d’un défunt nommé Pétamon :

« Je suis un qui devient deux, je suis deux qui devient

quatre, je suis cjuatre qui devient huit, je suis un après celui-là, je suis Khoprl dans Hait-berhorou, je suis Osiris dans Khouit, je suis Hàpi engendré de Phtah, je suis ce créateur Rà père de Shou ! » (G. Mas-PERO, Recueil de Tvasaux, vol. XXIII, igoi, p. 196.) Malgré cette haute conception de la divinité, les Egyptiens restèrent pratiquement polythéistes, ils conservèrent dans leur olympe toute une armée de dieux auxquels ils élevèrent des temples, dressèrent des statues, offrirent des sacrifices. Comme les autres pa’iens de l’antiquité ils ont mérité les reproches de l’Apôtre. (Rom., 11, 21.)

Quant à leurs sentiments religieux, la fermeté de leurs convictions, leur respect de la divinité, leur confiance en elle, la spontanéité de leurs hommages, l’empressement à faire leurs otïrandes, leur fidélité aux cérémonies sacrées, aux pratiques cultuelles, en un mot l’observation effective de la religion, tout cela nous seml)le animé de la plus grande loyauté et de la plus profonde sincérité. C’est le ton général de toute leur littérature religieuse ; à peine peut-on y relever un ou deux textes qui trahissent le doute et l’indifférence et qui invitent à jouir de la vie présente et de ses plaisirs sans s’occuper de l’avenir.

4. Légende disis et d’Osiris. — Parmi les nombreuses légendes qui germèrent autour des dieux, aucune n’eut plus de succès que celle d’Osiris et d’Isis. Nous ne pouvons l’omettre ici, car elle remplit la religion égyptienne et elle est le fondement des croyances sur la vie future. Celle légende est racontée par Plutauque dans son De Iside et Osiride mais elle se trouve en détail sur les monuments égyptiens les plus anciens.

Osiris, fils d’Aloum lia, avait pour femme Isis. Il gouverna autrefois la terre, après Rà, son père, et enseigna aux honnnes la doctrine du bien et la pratique de la Acrlu. C’était le meilleur de tous les rois ; il rendit son peuple heureux, lui procura tous les biens de la terre el fil régner partout la paix et la justice. Or, Sel. frère d’Osiris, poussé par la jalousie ou par un autre motif que la légende ne dit pas, résolut de le renverser el de le mettre à mort. La fidèle Isis, au courant de ce projet criminel, réussit pour un lenii>s à déjouer les trames de Sel ; mais le rusé compétiteur finit i)ar triompher, il s’enij)ara d’Osiris, le mit en pièces et jeta ses débris à la mer ou aux quatre vents duciel. Isis, dépouillée delous ses droits, humiliée, éplorée, se mil, la douleur dans l’àme, à rechercher les restes d’Osiris, et elle n’eut de repos (pu’lors(pi’elle les eut trouvés. Alois s’agenouillant avec sa sœur Nephth} s, elle exhala sa plainte : « Viens à ta demeure, viens à ta demeure, ô dieu On ! viens à ta demeiue, toi qui n’asi)as d’ennemis. O beladolesccnl, viens à ta demeure où tu me verras ! Je suis ta sanir que tu aimes, lu ne dois pas l’écarter de moi. 1331

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O beau jeune garçon, viens à ta demeure… Je ne te vois pas, et, cependant, mon cœur plein d’angoisse va vers toi etmes jeux souhaitent ardemment te voir… AÙens à celle qui t’aime, qui t’aime, toi, Oiinofré, le bienheureux ! Viens à ta sœur, Aiens à ta femme ; viens à ta femme, toi dont le cœur a cessé de battre ! Viens à la maîtresse de ta maison. Je suis ta sœur de la même mère, ne reste pas loin de moi. Les dieux et les hommes ont leurs visages tournés vers toi et tous ensemble te pleurent… Je t’appelle et je pleure, et mes cris et mes pleurs montent jusqu’au ciel, mais tu n’entends pas ma voix et je suis cependant ta sœur que tu aimais sur la terre ; hors moi, tu n’aimais aucune autre, mon frère, mon frère ! » (D’après Erman, op. laud., p. 49.)

Et le plus grand des dieux eut pitié d’Isis, il envoya un de ses enfants, Anubis, qui embauma et inhuma Osiris. Alors Osiris commença de revivre, non pas sur cette terre, niais dans l’autre monde où il devint dieu, roi et juge de morts. Cependant sur terre il eut un vengeur dans la personne de son iils posthume, Horus. Horus, élcA é au milieu de mille dangers par sa mère Isis, ol)ligé de demander asile au désert pour échapper aux poursuites de l’implacable Set, Horus grandi détrôna le tyran et ceignit la couronne d’Egjpte.

Ce qui flt le succès de cette légende, c’est le fond humain ([ui la constitue : amour de la justice chez Osiris, fidélité conjugale et tendresse maternelle chez Isis, piété flliale chez Horus, et plus haut encore, récompense du juste dansunmonde meilleur, triomphe iinal de la justice sur liniquité, de la vie sur la mort.

HI. L’homme et ses destinées

I. Immortalité de l’àme. — Pour les Egyptiens, l’homme était composé d’un corps, d’une ànie et d’un autre élément qu’ils appelaient ka et qu’on a bien nommé en français le double. Dans les tableaux, en effet, ilest souventreprésenté en arrière de l’individu sous des traits identiques qui semblent en faire une réplique atténuée. La natm-e, le rôle de cet élément est ce qu’il y a de plus obsciu". On le concevait comme une sorte de génie invisible ou d’ombre qui accompagne chaque personne, ou peut-être réside en elle, qui naît avec elle, mais qui lui survit et qui, après la mort, continue à s’intéresser au corps et à l’âme. Quoi qu’il en soit du ka, qu’on le regarde comme distinct de l’àme, ce qui est l’opinion commune des égyptologues, ou comme identique, ce qui est très dillicile, il est absolument certain et admis de tous que les Egyptiens avaient la croyance la plus ferme à l’existence d’une autre vie, par suite à la survivance d’une partie essentielle de l’homme. Cette croyance est ce qu’il y a de plus saillant, de plus vigoureusement en relief dans l’àme égyptienne. Pour s’en convaincre, il sutlit de jeter un coup d’œil sur les monuments et la littérature funéraires, La Chaidée, l’Assyrie, la Grèce se glorifient de leurs temples, mais s’il y a quelque chose d’unique au monde, de spécial à la vallée du Nil, c’est bien ces tombeaux gigantesques que sont les pyramides, ces hypogées creusés verticalement dans le roc à 20 et 26 mètres de profondeur, comme à Saqqarah, ou taillés dans la montagne à 200 mètres de pénétration, comme à ïhèbes ; c’est encore ces momies si bien préparées qu’elles ont travcrsé ^.000 ans et sont aussi bien conservées aujourd’hui que lorsqu’elles sortirent des mains des embaumeurs. Pourquoi tous ces travaux, tous ces soins, toutes ces précautions, si rien de l’homme ne survivait pour en jouir, pour en recueillir les fruits dans une durée auprès de laquelle les jours mortels ne comptaient pas ? En trouvera-t-on une raison suffi sante dans l’orgueil, la vanité goûtée à l’avance, d’avoir un tombeau imijérissable, une chair incorruptible ? Quelle qu’ait été l’influence de ce sentiment, quelle qu’ait été la part de l’habitude acquise, là n’est certainement pas la source du principe lui-même, de ce principe impérieux qui domine la sépulture égyptienne, il faut à tout prix préserver le corps de la corrui^tion, lui conserver l’intégrité de ses membres. Ce principe ne pouvait naître que de la croyance à une vie d’outre-tombe, quelles que fussent les conditions de cette Aie.

Au reste, les documents écrits sont explicites et ne laissent subsister aucun doute. Le plus important de ces documents est le Lire des morts. C’est un des textes les plus anciens qu’on connaisse, il remonte jusqu’aux premières djnasties et on le trouAC grave sur les tondjeauxde la dernière époque. Il était si populaire et si vitile dans l’autre Aie que chacun aoulait l’emporter avcc soi dans la tombe. Donner à un défunt un exemplaire complet du livre, au moins la copie des parties essentielles, c’était lui rendre un des services les plus signalés. Or, non seulement ce livre affirme expressément l’immortalité de l’àme, par exemple au chapitre /J4 où il est dit : « Je ne meurs pas une seconde fois dans le monde inférieur n (Le Page RexocjF, The egyptian Book ofthe deiid, London, 1904, p. 101), mais par sa nature, par son but même, il la suppose, il l’exige, au point que, sans cette croyance, il n’aurait aucune signification, aucune raison d’être. En efiet, c’est un recueil de divers morceaux destinés à instruire l’àme de tout ce qu’elle doit accomplir dans l’autre monde, incantations à faire, prières à réciter, formules à prononcer dcvant les dieux et les génies gardiens des demeures souterraines, canaux à franchir et moyens d’avoir une barque, sentiers à suiA^re pour arriver aux champs du bonheur, avec le plan des endroits les plus dilficiles, le portrait des ennemis les plus redoutables, bref un Arai guide, un guide illustré du monde inférieur. Quel que soit le nom qu’on donne à cette partie de l’homme qui continue à A’ivre, ou plutôt qui Ait d’une A’ie nouvelle, il est certain que c’est une continuation, une prolongation de la personne ; c’est le même indiA-idu qui existait sur terre, qui existe encore et prononce des paroles comme celles-ci maintes fois répétées : « c’est uioi, un tel, je suis debout, je aIs, j’ai tous mes membres, je me recommence «.

La croyance à une autre Aie est donc un des points les mieux établis de la religion égyptienne. SuiA’ons le défunt dans cette phase nouA’elle.

2. Le jugement. — Immédiatement après la mort, le défunt subit un jugement dcvant Osiris et quarante-deux autres juges assesseurs. Celte scène du jugement est célèbre, elle est reproduite sur presque tous les papyrus funéraires, conserAésen grand nombre et qui ne sont autre chose que des copies plus ou moins étendues du « Livre des morts ». Osiris, le dieu des morts, est assis sur son trône ; à ses côtés se tiennent, sceptre en main, les quarante-deux juges ; dcvant lui est posée une balance ; dans un plateau est une feuille droite symbole de la justice ; dans l’autre, le cœur du défunt ; Anubis, le dieu qui aA^ait inhumé Osiris, fait la pesée du cœur ; Thot, le secrétaire des dieux, inscrit le résultat ; dans un coin, un cerbère pour faire exécuter la sentence. En avant, le défunt assiste à la scène. Il n’y assiste pas impassible, il parle, il proclame son innocence, et c’est alors qu’a lieu ce qu’on appelle la coufession négatis’e. Transporté à ce mouient suprême où A-a se décider son sort éternel, l’Egyptien perçoit avec distinction tous les cris de sa conscience, il distingue aA’ec clarté toutes les obligations de cette loi morale qui est écrite au 1333

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fond de son être, ces obligations il ne les met pas en doute, il en sent vivement toute la gravité, il comprend qu’à les enfreindre on mérite un châtiment, qu’à les observer on mérite une récompense, et qu’il n’y a qu’un seul moyen de salut, c’est d’être juste et innocent. Aussi lui fait-on proclamer alors sa parfaite innocence. La confession négative nous donne la mesure de la morale ég-yptienne :

Hommage à toi, grand dieu, seigneur de justice !

Je suis venu à toi, ô mon maître,

j’arrive pour voir ta beauté.

Je te connais,

je connais le nom des quarante-deux dieux

qui sont avec toi dans la salle de justice,

qui vivent des artisans du mal,

qui dévorent leur sang,

au jour du règlement devant Ouniiofer (Osiris).

Me voici, j’arrive a toi.

Je t’apporte la justice,

j’ai écarté toute faute.

Je n’ai pas commiis d’iniquité envers les hommes,

je n’ai pas tué ma parenté.

Je n’ai pas dit le mensonge au lieu de la vérité,

je n’ai conscience d’aucune trahison,

je n’ai rien fait de mal,

je n’ai pas exigé, comme prémices de chaque jour,

plus de travail qu’il en était fait pour moi.

Mon nom n’est pas venu dans la barque du dieu

qui est au gouvernail,

je ne suis pas transgiesseur des volontés divines,

je ne suis pas un rapporteur,

je ne suis pas un détracteur,

je n’ai pas fait ce que détestent les dieux,

je n’ai indisposé personne contre son supérieur,

je n’ai fait souffrir personne de la faim,

je n’ai pas fait verser de larmes,

je n’ai pas tue,

je n’ai pas ordonné de tuer,

je n’ai cause de souflVance à personne,

je n’ai pas volé les offrandes des tem|)les,

je n’ai pas diminué les pains des dieux,

je n’ai pas ravi les dons des morts,

je ne suis pas adultère,

je n’ai rien fait d impur dans le sanctuaire du dieu local,

je n’ai pas augmenté ni amoindri le boisseau de blé,

je n’ai pas faussé la mesure de la coudée,

je n’ai pas raccourci la mesure des champs,

je n’ai pas pesé sur le fléau de la balance,

je n’ai pas faussé l’aiguille de la balance,

je n’ai pas enlevé le lait de la bouclie de l’enfant,

je n’ai pas chassé le bétail de son herbage,

je n’ai pas pris au filet les oiseaux des dieux,

je n’ai pas péché les i)oissons dans les étangs dos dieux,

je n’ai pas détourné l’eau en son temps,

je n’ai pas empêché le courant de passer,

je n’ai pas éteint le feu en son temps,

je n’ai pas frustré le Cercle divin de ses offrandes,

je n’ai pas éloigné les bestiaux des priq)riétés divines,

je n’ai pas arrêté un dieu quand il sort,

je suis pur, je suis pur. je suis i>ur, je suis pur. (Lf. Page Re^olf, T/ie Es^yptian Douk of tlic £/e « (/, cliap. 125. London, 1904, p. 212-214.)

Le défunt s’adresse ensuite aux juges assesseurs, invoque chacun en particulier, déclare de nouveau son innocence, reprend en partie sa confession négative, allirme qu’il a accompli tous les actes d’un bon Egyptien :

Vous, dieux, soyez loués ; je vous connais et je sais vos noms ; que je ne tombe passcms votre glaive : ne dites à ce dieu, vous qui êtes de sa suite, rien de mauvais coiiti’c moi ; dites la Vf’rilé sur moi un seigneur de tout ce qui est, car j’ai fait en Egypte ce qui est juste, je n’ai pas injurié le dieu, et le roi actuel n’eut pas à s’occuper de moi.

Soyez loués, ô dieux, qii êtes dans la salle des deux vérités, dont le corps ne contient aucun mensonge et qui vivez (le vérité… Sauvez-mni de liebon qui vit des entrailles des grands, au jour du grand règlement des comptes, voyez, je viens à vous sans taclic de mal, sans péché… je

vis do vérité et je me nourris de la vérité de mon cœur. J ai fait ce que les hommes disent et qui satisfait les dieux, j’ai contenté les dieux avec ce qui leur agrée, j’ai donné du pain à ralVamé. de l’eau à celui qui avait soif, des vêtements à qui étaitnu et un bacàqui n’avait pas de bateau, j’ai fait des offrandes aux dieux et des largesses funéraires aux glorifiés (les morts). (^D’après Erman oper. laud., p. 147, 148.)

Ainsi les Egyptiens tenaient pour certain que toutes les actions humaines reçoivent une sanction dans l’autre vie. C’est là un fait qu’il est impossible de contester et que personne ne conteste en effet. Cette croyance est nettement atiirmée sous le Nouvel Empire et même sous le Moyen Empire, ce qui nous mène près du troisième millénaire avant Jésus-Christ. Avant ces derniers temps on n’en avait pas de traces claires dans les documents antérieurs au Moyen Empire, et plusieurs égyptologues avaient émis l’hypothèse que l’idée de la sanction était inconnue des Egyptiens primitifs. Or, on a découvert, il y a quelques années, un mastaba de la sixième dynastie portant des inscriptions qui donnent des fragments de la confession négative et parlent explicitement du jugement : « Je serai jugé par le dieu grand, maître de l’Occident, dans l’endroit où se trouve le vrai > ; ou d’après des variantes, « dans le lieu où l’on juge ». En conséquence, le défunt fait son panégyrique :

« Je n’ai point dit de mensonges devant le jury, je

n’ai point fait de faux serments. » (Jean Capart, Clianihre funéraire de ta vi’dynastie, 1906, p. 20 et pi. III.)

L’idée de la sanction se trouve donc sous l’Ancien Empire, elle semble être une idée primitive des Egyptiens.

3, La rétribution

Le sort du méchant. — Le jugement achevé, Osiris prononçait la sentence. Cette sentence n’était pas la même pour tous, elle décernait le bonheur aux justes et condamnait le pécheur à d’affreux tourments. Sur le sort des méchants, les textes disent fort peu de chose, c’était un objet trop lugubre pour attirer l’imagination des Egyptiens.

Pour les fautes légères, on imagina, au moins à un certain temps, une sorte de purification par le feu, après laquelle le défunt était admis i)armi les bienheureux C’est ce qui ressort clairement de quelques cxemi)laires du « Livre des morts », conserves au Musée du Louvre. La scène qui représente le pèsemcnt de l’âme « est suivie de la vignette du bassin do feu, gardé par quatre cynocéphales : c’étaient les génies chargés d’effacer la souillure des iniquités qui auraient pu échapper à l’âme juste et de compléter sa [)urilicalion ». (Emmanuel nE RoiGii, Description sdiiimaire des salles du Musée Egyptien, nouvelle édition refondue par P. Pierret, Paris, 1873, p. 102.)

Le défunt soumis à cette épreuve était juste, à proprement parler, et il était compté parmi les justes, mais le pécheur, le vrai pécheur avait à souffrir des tournuMîts autrement horribles. Parfois il était condamné à devenir la proie vivante de monstres affreux fpii lui suçaient le sang, lui déchiraient les chairs et lui dévoraient les entrailles ; parfois aussi il était contraint d’entrer dans le corps d’un porc, de revenir sur terre et d’y vivre misérablement.

f.e sort des justes. — Ici encore, nuilgré une grande abondance de textes, la pensée égyptumne reste très vague et très flottante. C’est toujours pour l’homme pur et innocent un immense bonheur dont il jouit dans une parfaite sécurité en compagnie des autres bienheureux sous les regards des dieux, mais ce bonheur a été conçu de bien des façons. Il serait 1335

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hors de propos ici d'étudier en détail l'éden égyptien dans son origine, son développement et ses diverses phases. Il suiTira d’en indiquer les traits généraux. On peut ramener à deux types d'édens les descriptions que fournissent les documents. Le premier, le plus ancien, celui qui semble avoir dominé jusqu’au Nouvel Empire, est simplement iin décalque de la Aie terrestre dans un monde qu’on plaçait sous terre, ou bien derrière la montagne d’Occident où disparaissait le soleil, ou bien dans des îles Fortunées de la Méditerranée. C’est une vie humaine, mais avec l’immortalité, sans peines ni douleurs, une vie idéale telle que la rêvait toutEgyptien : de grandes propriétés, de riches moissons, d’immenses troupeaux, de nombreux serviteurs, une rivière poissonneuse, des parties de pêche et de chasse, bref toutes les distractions et tous les plaisirs honnêtes du corps. Le second, plus élevé, est, dans son essence, la vie avec les dieux, surtout auprès du dieu suprême, auprès de Rà, le dieu soleil. Le défunt pur et juste comme Osiris, s’appelant lui-même du nom d’Osiris, est admis dans la société divine, il y reçoit une vie nouvelle, supérieure à la vie terrestre. Le lieu même où se trouvait cet éden varie suivant les époques. Des textes indiquent d’abord la barque du soleil. Là est Rà ou Amon Rà avec toute sa cour. A l’origine, seuls les rois étaient, semble-t-il, admis dans le cortège divin, les simples mortels devaient se contenter du premier éden. Plus tard tous les justes purent aspirer au même l)onheur. Les textes parlent surtout dune Aague région souterraine qui est le vrai royaume des morts, les Cliamps Elysées des Grecs. C’est un mélange de l'éden sensuel et de l'éden contemplatif. Le juste est admis auprès des dieux, il peut les contempler, leur parler même familièrement, mais il reste libre de ses mouvements, il sort et il rentre quand il veut, il Aa se promener sur terre, il cultivc ses champs, il fait des parties de barque, il jouit de voir passer le soleil dans sa course nocturne, en un mot il a tout ce qu’il peut désirer.

Il est curieux de noter que ce bonlieur suprême n’est pas donné au juste innnédiatement après le jugement. Avant d’y arriver il doit passer j)ar une longue série d'épreuves, triompher de nombreux ennemis qui lui l>arrent la route, traverser un labyrinthe de salles obscures gardées par des monstres horribles. Tout cela est décrit en détail dans le

« Livre des morts », et c’est pour cette raison qu’il

était si important d’avoir en main un exemplaire de ce livre.

Résurrection. — Les Egyptiens croyaient-ils que le corps serait un jour rendu à la Aie ? Si l’on cherche une explication à cette coutume si générale de la momification, à ces mille précautions prises pour préserver le corps de la corruption et le conserA’cr intact aussi longtemps que possil)le, il faut nécessairement admettre que dans la pensée égyptienne il était d’une certaine utilité au défunt de sauvegarder l’intégrité de ses membres physiques. Mais quelle était la nature exacte de cette utilité, c’est ce que les textes ne disent pas clairement. Pensait-on que l'àme dcvait se réunir à son corps et que seuls les corps momiliés auraient un jour cette faveur ? Croyait-on que la corruption détruisait tout espoir d’une nouvelle Aie ? Voici à ce sujet le texte le plus clair du « Livre des morts ». C’est le chapitre 8g, intitulé : « Chapitre que l'àme est unie au corps » :

O toi qui portos ! toi, coureur, qui résides dans ton donjon, toi grand dieul Accorde que mon àme puisse venir à moi de quelque endroit qu’elle habile !

Mais s’il y a un délai à m’apporler mon âme, tu trouveras lœil d’Horus se dressant ferme contre toi, comme ces gardiens toujours vigilants qui résident dans. nou, cette terre où il y a des milliers de réunions.

Que mon âme soit prise, ainsi que le Klioii qui est avec elle, eu quelque endroit qu’elle habite. Dépiste cette âme qui est à moi, parmi les choses au ciel et sur la terre, partout où elle habite.

Mais s’il y a un délai h me faire voir mon àîiie et mon ombre, lu trouveras l'œil d’Horus se dressant fort contre toi. (Le P.<ge Renouf, p. 157, 158.)

La Aignette qui accompagne ce chapitre représente la momie étendue sur son lit, et au-dessus d’elle l'àme sous forme d’oiseau à tête humaine, la regardant et déployant ses ailes. Sans se tromper beaucoup, on peut dire que les Egyptiens ont eu idée que le corps pouvait ressusciter dans certaines conditions, mais que cette idée est restée A’ague et n’est jamais devenue une croyance ferme à une résurrection universelle.

IV. Fin de la religion égyptienne

I. Décadence et zoolâtrie. — A la fin du Xouvel Empire, l’Egypte entre dans une voie de décadence. Les nombreuses réAolutions qui boulcversent alors ce pays jusqu'à son incorporation à l’empire romain ont leur contre-coup dans la religion. Au contact des étrangers, le bloc ancien peu à peu se désagrège. Sous la xxA^e dynastie, l'épée Aictorieuse de quelques A’aillants soldats, les Pharaons Psammétiquc, Néchao, Apriès, rétablit jiour un temps l’unité politique et jette au dehors quchjucs reflets de gloire ; c’est une période de renaissance dans les arts et dans la religion. Les artistes rcviennent avcc succès aux anciennes méthodes. Les prêtres Acculent aussi faire rcA-ivre les institutions antiques. Mais le niveau des idées a considérablement baissé, et, on ne sait trop sous quelles influences, l'élan qui pousse les àiues aux pratiques religieuses aboutit simplement à la zoolâtrie. Les animaux que les anciens avaient plus ou moins mêlés à leur culte, comme symboles ou manil’estations de la divinité, montent sur les autels et, s’ils n’en chassent pas complètement les dieux, ils les relèguent au second plan. Serpents, crocodiles, oiseaux, chats, béliers sont tiaités comme des êtres sacrés, respectés autant et plus peut-être que les statues d’Amon Rà ou d’Osiris, embaumés, momiliés, inhumés aA^ec des honneurs diA’ins. Et ce mouA’ement, qui débute sous la xxai' dynastie, A’a en progressant jusqu'à l'époque romaine. Il n’y a rien d’exagéré dans ce que raconte Hérodote à ce sujet. Les découvcrtes modernes l’on pleinement confirmé. C’est en nomlire incalculable que sont revcnus à la lumière les animaux sacrés, gratifiés d’un luxe de sépulture qu’autrefois seuls les riches personnages pouA’aient se payer. On en trouAC d’immenses cimetières à côté des anciennes nécropoles des seigneurs et des rois ; les chats sortent des fosses pai- centaines de raille, bien euvcloppés dans leurs bandelettes d’où émerge une tête desséchée, des familles de crocodiles surgissent des cavcrnes et des trous, portant parfois dans leur sein de précieux papyrus qui ont serA’i à les bourrer, les ibis, les éperA^iers, les serpents, les poissons s'échappent des cruches éAentrées et foisonnent dans les décombres. Il semble que les hommes de ces générations, Aictinics de la plus étrange aberration d’esprit, apportaient plus de soin et de scrupule à la sépulture d’un chat qu'à celle de leur père et de leur mère.

C’est aussi à la même époque qu’apparaissent dans les tombeaux ces nombreuses statuettes en terre émaillée qu’on a appelées les répondants. Aux anciennes idées religieuses sur l’autre A’ie, restées foncièrement les mêmes, un nouvel élément s’est ajouté. On croit que les défunts, comme les Aivants, sont soumis à la corA-ée, et pour y échapper on n’a rien trouA'é de mieux que de se substituer des rempla1337

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çants. Le dieu qui prétendait les obligei- ù piocher, à labourer, à moissonner, à porter de l’eau et du sable, pouvait bien, pensaient-ils, animer un individu de terre, lui inspirer un souille de vie, et pourquoi ii’accepterait-il pas la substitution ? Il fallait donc emporter avec soi un nombre suflisant de ces remplaçants à bon marché, destinés à répondre au nom du vrai défunt et à exécuter tous les travaux commandés. Est-il nécessaire de faire remarquer que cette conception accuse une nouvelle chute dans la décadence morale et religieuse.

Sous les Ptolémées, cette décadence se précipite, malgré l’éclat et la pompe des cérémonies oilicielles. Les nouveaux souverains de rEgyi)te ont compris quel jiarti ils pouvaient tirer de la religion nationale pour étayer leur ^louvoir, et ils s’en font un instrument de règne. Non seulement ils lui laissent toute sa liberté, mais ils s’appliquent à eu rehausser le prestige. Ils respectent les prérogatives de la classe sacerdotale, prennent part aux processions et aux rites sacrés, restaurent les temples et les enrichissent des décors les plus somptueux. La plupart des sanctuaires encore debout en Egypte sont l’œuvre des Ptolémées. En retour le peuple ne ménage pas son respect à ces dignes successeurs des Pharaons, les prêtres leur décernent les honneurs divins comme au beau temps des Ramsès et des Thoutmès.

Et cependant ces brillantes manifestations ne sont qu’un mouvement de surface, il y manque cette spontanéité, cette sincérité qui vient de l’intime des âmes, les grandes idées religieuses ont décidément déserté les esprits. L’Egypte entière s’enfonce de plus en plus dans la fange du culte zoolâtrique. Par un renversement des rôles, l’animal n’est plus le serviteur de l’homme, c’est l’homme qui est le serviteur de l’animal. Il faut se laisser piquer par les serpents, dévorer par les crocodiles, plutôt que de leur causer le moindre mal en cherchant à se défendre. Un Romain tue un chat par mégarde, il est mis à mort par le peuple (Diouork, I, 84). Les habitants du nome cynopolite (Moyenne-Egypte) prennent et mangent un certain poisson vénéré par les habitants du nome d’Oxj’rrhynque, ceux-ci leur déclarent une guerre à mort, et prennent et égorgent le chien adoré par les cynopolites (Pi.utarque, De Iside et Osiride, ja). On nourrit à grands frais les crocodiles dans les lacs sacrés (Strabon, XVII, 38). L’auteur du liTe de la Sagesse, qui vivait à Alexandrie au milieu du second siècle avant Jésus-Christ, qui était donc lui-même témoin de pareilles horreurs, n’avait à faire aucun effort d’imagination quand il disait des Egyptiens : ft En punition des pensées extravagantes, fruit de leur perversité, qui les égaraient et leur faisaiejit adorer des reptiles sans raison et de A’ils animaux, vous lexir envoyâtes une multitude de bêles stupides ; pour leur a[)|)rendre ((ue ce qui sert à l’homme pour pécher sert aussi à son châtiment. » (Sap., XI, 15, iG.) Ces reproches, les générations contemporaines de l’Exode les avaient mérités, car elles aussi avaient un culte exagéré i)our les animaux, emblèmes des dieux, mais ils s’adressent à bien plus juste titre à ces Egj’ptiens des six <lerniers siècles, tjui s’abaissèrent aux pratiques les plus dégradantes du fétichisme animalier.

Telle était la religion du peu|)le. Etait-elle aussi celle de la classe supérieure ? A Alexandrie et dans les autres villes où dominait l’élément grec, il semble bien que le monde pensant et lettré se délachait insensililemenl des anciennes croyances, ou plutôt qu’il tendait à les moderniser, c’est-A-dire à les gréciser. Les Grecs, c’était alors la science, la philosophie, la civilisation. L’attrait qu’on ressentait pour eux se portait aussi sur leur religion. Aussi voit-on

alors les dieux de l’Olympe entrer dans la société antique des dieux héliopolitains et thébains, Jupiter trôner dans les temples à côté d’Osiris et d’Amon, Aphrodite à côté d’Isis. Avec la marche des idées, on oublie même les anciennes divinités nationales, on n’en retient qu’un petit nombre, Osiris, Isis, Horus, Thoth, encore a-t-on soin de les transformer, de les dépouiller de leurs formes rigides et hiératicfues, de les délivrer de la gaine qui les emprisonnait, pour leur donner un peu de l’aisance et de la souplesse hellénique. Horus devient Harpocrate, sorte de bambino qui s’amuse à aller à cheval sur le bélier ou sur l’oie, les animaux sacrés d’Amon, qui aime à tenir le doigt sur la bouche, ce qui l’a fait surnommer le dieu du silence, qui se déguise pai"fois en homme vêtu à la grecque, portant un panier au bras ou la corne d’abondance. Sa mère Isis est également obligée, pour se faire accepter, de prendre les allures d’Aphrodite. Osiris doit s’effacer à Alexandrie devant le grand Sérapis ou se fondre avec lui. Sérapis est un dieu de Sinope, apporté à Alexandrie par Ptolémée II, sur la foi d’un songe, et richement installé dans un temple au milieu de la ville. Il reste le dieu favori des Alexandrins jusqu’à leur conversion au christianisme. Au premier siècle de l’ère chrétienne, la religion égyptienne est un mélange d’éléments grecs et égjptiens.

2. Rapports avec le Judaïsme. — Depuis la captivité de Babylone, l’Egypte fut i^our les Juifs le lieu de refuge. Déjà en 58^ ceux que Nabuchodonosor a laissés en Palestine commencent le mouvement. Après avoir misa mort le gouverneur Godolias, ils s’enfuient au delà du désert, pour échapper à la fureur du grand roi, et vont s’établir à Memphis, à Daphné, à Migdol, au pays de Phaturès (Jer., xxiii, "j ; XLiv, i). Les découvertes de ces dernières années nous ont fait connaître une puissante colonie juive lixée dès le sixième siècle au fond de l’Egypte, à Assouan. Avant même la conquête de Cambyse (525), cette colonie était assez développée et assez riche pour se construire un temple superbe dans l’île d’Eléphantine. Ce temple, détruit et incendié par les Egyptiens adorateurs du dieu Chnouni, l’an 14 de Darius (ôoy), fut réédilié quelques années plus tard. Sous les Ptolémées, le nombre des Juifs établis à Alexandrie s’élève à cent mille, et au temps de Vespasien il atteint un million dans l’Egyitte entière. Outre le temple d’Eléphantine, ils en ont un autre en Basse-Egypte, construit par le grand prêtre Onias avec l’aide de Ptolémée Philomélor II. probal )lcmeut à Tell-el-yahoudié, près de Chibin-el-Kanàter.

Quelles intluences religieuses s’exercèrent dans un sens ou dans l’autre, pétulant ces six siècles ? Se iit-il (pu hiue conqiéiiétration du judaïsme etdupaganisme, ou l>ien les deux religions restèrent-elles étrangères l’une à l’autre ? A vrai dire, nous n’avons aucun document précis sur cette question, et il faut la trancher surtout par des considérations générales. En effet, remar(pions d’abord qu’aucun des deux cultes n’était à cette époque en voie de fornuUion, qu’ils avaient leur doctrine et leurs cérénumies depuis longtemi)S déterminées et réglées, il est donc à présumer que chacun continua à garder ses propres usages.

Au reste, les Juifs u étaient i>as synqialhiques aux Egyptiens. C’est jiar jalousie ou rivalité que les prêtres du dieu Chnoum tirent détruire le temple d’Eh’pliantine. A Tell-el-Yahoudié, les fils d’Israël ne se mêlaient ])as aux païens, ils occupaient des quartiers à part. Ils n’avaient d’ailleurs pas l’esprit de prosélytisme et attendaient de Dieu sculcette conversion des nations que les prophètes avaient annon1339

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cée. On ne trouve quelque trace de l’influence juive que dans la magie. Là, dans des grimoires où fourmillent les termes les plus exotiques, apparaissent des souvenirs bibliques. Un magicien parle de « Moïse devant lequel (Dieu) se manifeste sur la montagne ». Une amulette porte l’inscription / « o Sabaoth (Erman, La religion égyptienne, p. 817, 819).

Il serait pourtant exagéré de dire qu’au point de vue des idées la séparation fut aussi tranchée que le culte, et qu’il n’y eut aucune action réciproque. Dans les documents découverts à Assouan en igo^. on voit les Juifs prononcer sans scrupule le nom de Jahvé, jurer à la fois et sur le même ton par une divinité égj’ptienne et par Jahvé. D’autre part, les grands événements qui s’accomplirent sous les Ptolémées, la traduction des Saintes Ecritures qui, com mencée vers 285, dura plus de cent ans, la composition de ce livre magniûque de la Sagesse, attirèrent nécessairement sur la communauté juive d’Alexandrie l’attention du monde savant, et plus d’un païen voulut prendre connaissance de ces fameux livres qu’on disait inspirés de Dieu.

HYMNE AU soleil ; PSAUME CIV

Dans son Histoire def ; Anciens Egyptiens, Breaste » met en parallèle le psaume civ. célébrant la création, et l’hj’mne triomphal d’Aménophis IV (vers 1400 a. J.-C), il ne conclut d’ailleurs à aucun emprunt ni d’un côté ni de l’autre. (A Historrof the ancient Egyptians, London, 1908, p. 2^3.)

La ressemblance entre ces deux chants est purement accidentelle.

Splendeur du Soleil. — Hymne.

Tu te lèves brillant à l’horizon du ciel,

disque vivant et la vie recommence ; Tu brilles à l’horizon de l’Orient.

Tu remplis la terre de tes bienfaits. Tu es beau, grand, étincelant. élevé au-dessus du monde,

Tes rayons enveloppent les terres, Tu les embrasses dans ton amour,

Tu es éloigné et les rayons sont sur terre. Tues dans lesliauteurs et le jour est la trace de tes pieds.

La Xail.

Hymne.

Tu te couches à l’horizon de l’Occident,

La terre est dans les ténèbres comme dans la mort : Les hommes se couchent dans leurs demeures.

Les têtes sont couvertes, leur nez bouché,

L’œil ne voit plus le voisin. Ils prennent toutes leurs afïaires,

Elles sont sous leur tête,

Ils sont sans connaissance. Les lions sortent de leurs repaires,

Les reptiles mordent, la terre est en silence,

Leur auteur s’est couché dans son horizon.

Le Le^’er. — Hymne.

La terre s’illumine, tu te lèves à l’horizon,

Ton disque brille et ramène le jour. Il chasse les ténèbres, tu répands tes rayons,

Les deux pays (Egypte) sont en fête. Les hommes s’éveillent, ils sont sur pied.

Tu les excites, ils lavent leurs membres. Ils prennent leur habit, ils saluent ton lever,

La terre entière est à son travail.

Les Eaux. — LLymne.

Les barques voguent au Nord et au Sud également, Toute voie est ouverte à Ion apparition,

Les poissons dans le courant dansent devant toi. Tes rayons f)énètrent la grande mer.

Psaume cia’, i-4.

Jéhovah, mon Dieu, tu es infiniment grand,

Tu es revêtu de majesté et de splendeur !

Il s’enveloppe de lumière comme d’un manteau.

Il déploie les cieux comme une tente,

Dan- les eaux du ciel il bâtit sa demeure,

Des nuées il fait son char.

Il s’avance sur les ailes du vent,

Des vents il fait ses messagers.

Des flammes de feu ses serviteurs.

Psaume civ, 20-21.

Il a fait la lune pour marquer les temps

Et le soleil qui connaît l’heure de son coucher,

Il amène les ténèbres et il est nuit ;

Aussitôt se mettent en mouvement toutes les bêtes de la

Les lionceaux rugissent après la proie [forêt.

Et demandent à Dieu leur nourriture.

Psaume civ, 22-23.

Le solei) se lève, ils se retirent, Et se couchent dans leurs tanières. L’homme sort alors pour sa tâche Et pour son travail jusqu’au soir.

Psaume civ, 2.5-26.

Voici la mer, large et vaste :

Là fourmillent sans nombre

Les animaux petits et grands ;

Là se promènent les navires

Et le léviathan que tu as fait pour se jouer dans les flots.

3. Rapports avec le Christianisme. — Il est certain que le Christianisme se répandit en Egypte dès le » 1" siècle, et qu’au m’la majorité de la population égyptienne était chrétienne : il est certain aussi qu’au V* siècle encore les païens étaient assez nomljreux dans la Aallée du Nil, et que le culte d’Isis subsista dans le temple de Philæ jusqu’au vi^ siècle.

Cette conquête de l’Evangile se lit-elle sans aucune réaction de la pai’t du paganisme ancien ? N’y eut-il aucun compromis entre les deux religions, aucune inliltration païenne dans la nouvelle foi et le nouveau culte ? Pour ce qui est de la foi elle-même, on peut l’affirmer sans aucune hésitation. L’Evangile fut reçu partout comme la vraie lumière de l’esprit, le libérateur des âmes, il fut reçu dans son intégrité, et aucun élément étranger n’en vint ternir la pureté. C’est si vrai que les nouveaux chrétiens, pour posséder plus siirement la doctrine apostolique, adoptèrent les

mots mêmes qui exprimaient en grec les principaux dogmes, alors qu’ils avaient des termes équivalents dans leur langue nationale. C’est absolument sans aucune preuve qu’on a accusé les chrétiens d’Egypte de n’avoir pris du christianisme que la surface et d’être restés païens au fond de l’àme. Pendant la persécution de Dioclétien, leur sang a coulé à flots pour la foi ; on ne meurt pas en témoignage de ce qu’on ne croit pas.

Quant à certains détails de culte, à certaines pratiques par elles-mêmes indifférentes, on ne saurait affirmer qu’en passant au christianisme les nouveaux convertis n’en aient point apporté. N’en fut-il pas ainsi partout, à Antioche comme à Eplièse, à Corinthe comme à Rome ? Ces pratiques, telles que la célébration de certaines fêtes, la manière d’ensevelir les morts, étaient des usages anciens profondément ancrés dans les mœurs, on ne pouvait les supprimer

d’un seul coup. On ne fait pas du jour au lendemain table rase de tout son passé. C’est peu à peu qu’en Egypte, comme ailleurs, se sont formés les usages chrétiens. Est-il étonnant que dans les néci’opoles on trouve les chrétiens ensevelis à côté des païens ? M. Naville a exhumé dans le temple de Deir-el-bahari, à Théhes, des momies qui, à côté d’emblèmes païens, portaient des sjmboles chrétiens, la coupe et l’épi, le liain et le vin. (La religion des anciens Egyptiens, p. 266.) Mais ces momies étaient-elles celles de convertis, ou de païens à religion éclectique, comme il y en avait tant à cettï époque de transition ? D’ailleurs, serait-il certain que leurs possesseurs étaient chrétiens, on peut en conclure tout au plus la persistance d’anciens usages et non la fusion des deux cultes. Les nouveaux convertis ne prennent pas tous des noms grecs et continuent à s’appeler de noms indigènes, Pachome. Horsiisi, Sclienoudi. Mais la religion tient-elle dans le nom ? On a trouvé à Chéras une ligurine représentant un berger qui porte un agneau sur les épaules à la manière du Bon pasteur ; cette ligurine était mêlée à d’autres qui sont nettement païennes. (Ermax, oper. laud., p. 3 18.). Admettons que nous ayons là un vrai Bon pasteur, ce qui est assez probable ; on ne pourra en déduire autre chose sinon que les deux religions ont coexisté en Egypte, fait historique depuis longtemps établi poiu" les six premiers siècles du christianisme.

Le gnosticisme est-il sorti de la religion égyptienne ? On l’a dit. (Naville, oper. laud., p. 267.) Mais on voudrait en avoir la moindre preuve. Les grands gnostiques Alexandrins que nous connaissons, Basi-LiDE et son fils Isidore ; Valextix et toute son école, HÉRACLÉox, Ptolémée, Théodote, Axioxikos ; Carpo-CRATE, n’étaient pas des Egyptiens, c’étaient des Grecs, imbus de la culture hellénique, notu-ris à la fois de la doctrine des Saintes Ecritures et de la philosophie de Platon. Que savaient-ils des systèmes religieux d’Héliopolis, de Memphis ou de Thèbes ? Que pouvaient-ils en savoir, à une époque où ces vieilles croyances, écrites dans des textes désormais inintelligibles, ne survivaient que dans des pratiques fétichistes grossières ou dans les grimoires des magiciens ? Au reste, on cherche en vain quelque élément égyptien dans les portraits de la gnose et dans les hiérarchies des éons.

On sait que le culte d’Isis, de Sérapis et de quelques autres divinités égyptiennes, en grand honneur à Alexandrie, se répandit avec quelque succès en Europe, spécialement en Grèce et en Italie Isis, la déesse mystérieuse, exerçait une grande attraction sur les àmes dégoûtées de la i-eligion ollicielle et éprises de nouveautés. Elle avait un temple à Rome, à Pompéi, à Bénévent, à Malcésime sur le lac de Garde. On a trouvé des statues d’Isis etles inscriptions funéraires de ses dévots en Syrie, en Asie Mineure, à Délos, à Athènes, dans le nord de l’Afrique, en Espagne, en France, en Allemagne et même en Angleterre. Julien lit frapper des monnaies aux elligies d’Apis et d’Anubis. Au temps de Tertullien, il n’y aA ait pas une province du vaste empii-e qui ne payât son tribut d’hommages aux dieux égvptiens.(TERTUi.L., .-/f/i’. Aationes, II, 8, P. L, i, 696.) *

II est bien é ident que ces cultes, mêlés à tant d’autres, n eurent aucune influence sur le christianisme, qu’ils n’apportèrent aucune entrave à sa diffusion, qu’ils contribuèrent plutôt, en favorisant le syncrétisme, à détacher les esprits de la religion d’Etal et à les préjiarer à la réccption de la vérité.

/es liires hermétiques. — Les derniers tenants de l’ancienne religion égyptienne sont les auteurs des livres ajipelés hermétiques. On désigne sous ce titre un ensemble d’écrits, moitié religieux, moitié philo sophiques, composés en grec dans les premiers siècles de l’ère chrétienne et attribués à Hermès ïris-MÉGisTE. Les auteurs sont tous inconnus ; ils se sont abrités derrière la grande autorité d’Hermès Trismégiste, nom grec du dieu égyptien Thot, ainsi appelé à cause de son rôle d’inventeur des lettres et des sciences. Ces écrits comprennent : 1° un traité divisé en quatorze sections sous le litre gênerai Poimandrès, pasteur des hommes ; il peut être daté du 11’siècle de notre ère. C’est tantôt un discours prononcé par Poimandrès, tantôt un dialogue entre Hermès et Asclépios ou entre Hermès et son fils Tat ; 2° un autre traité appelé discours d’initiation ou Asclépios, conservé seulement en latin ; c’est un dialogue entre Hermès et Asclépios, composé sous le règne de Constantin ; 3° un livre, à l’état fragmentaire, intitulé La Vierge du monde, considérations philosophiques sous forme d’instructions données par Isis à son fils Horus ; 4° nn certain nombre de fragments conservés par les écrivains ecclésiastiques, Stobée, S. Cyrille, Lactance, Suidas. Ce ne sont que les débris de la littérature hermétique, qui semble avoir été immense.

On s’accorde à reconnaître dans ces écrits l’œuvre de philosophes égjptiens influencés à la fois par le christianisme, sur le point de triompher en Egypte, et par la philosophie grecque qui dominait alors dans le milieu païen d’Alexandrie.’( On peut dire que les livres hermétiques appartiennent à l’Egypte, mais à l’Egypte fortement hellénisée et à la veille de devenir chrétienne. On ne trouverait pas dans un véritable Grec cette adoration extatique qui remplit les livres d’Hermès ; la piété des Grecs était beaucoup plus calme. Ce qui est encore plus étranger au caractère grec, c’est cette apothéose de la royauté qu’on trouve dans quelques livres hermétiques et qui rappelle les titres divins décernés aux Pharaons et plus tard aux Ptolémées. » (Méxard, Hermès Trismégiste,

p. XXIV.)

Ce n’est pas un simple plaidoyer en faveur de la religion pharaonique, ni un exposé decette religion ; c’est un système nouveau, une combinaison de divcrs éléments, une fusion des croyances communes aux chrétiens et aux païens, en un mot le syncrétisme de toutes les idées iihilosophiques et théologiques qui se disputèrent le monde égyptien a^anl le trionqthe définitif du christianisme. Les livres hermétiques

« représentent bien l’opinion commune de

cette population alexandrine si mêlée, sans cesse tiraillée en sens contraires par des religions de toute sorte, et faisant un mélange confus de dogmes hétérogènes ». (Ménard. loc. cit., p. ex.) Le fond de la doctrine hermétique est le monothéisme juif, avec un mélange d’idées platoniciennes et une tendance panthéistique. Cette doctrine est néanmoins assez pure pour avoir mérité les éloges des Pères. « J’estime aussi, dit S. Cyrille (Contra Julianuni, I, P^ G., LXXVI, 547). digne de mémoire TEgyplien Hermès auquel ses contemporains, comme marque d honneur, décernèrent, ilit-on, le litre de trois fois grand (Trismégiste) et que quelques-uus assimilent au légendaire fils de Jupiter et de Maia. Bien que prêtre et passant sa vie dans les temples des iiloles, cet Egyptien eut, en partie du moins et dans une certaine mesure, les mêmes idées que Moïse. » Lactance en parle à peu près dans les mêmes termes (De falsa relig., 1, 6, /-*. L., VI, 13(j) : « Hic scripsit libros, et quidem niultos, ad cognitionem divinarum rerum pertinentes, in quibus majestalem summi ac smgularis Dei asserit, iisdemque nominihus appcUat quibus nos Deuniet Patreni. » Au reste, comme pour les philosophes grecs, les Pères pensaient qu’Hermès, dont ils faisaient un personnage historique ancien.

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ÉLECTIONS EPISCOPALES

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RAait emprunté ses connaissances sur Dieu aux Hcbreux pendant leur séjour en Egypte. La vérité est en effet que les livres hermétiques doivent à la religion révélée le meilleur de leur doctrine, et que le christianisme n’a subi en rien leur influence, — A consulter : L. MÉNARD, Hermès Trismégiste, traduction complète précédée d’une étude sur l’origine des livres hermétiques, Paris, 1866.

Bibliographie. — A. Erman, Die aegypfisclie Religion, Berlin igoô (traduction française par Vidal, Paris, 190^) ; Ed. Naville, La religion des anciens Egyptiens, Paris, 1906 ; E. Amélineau. La morale égyptienne, quinze siècles avant notre ère. Etude sur le papyrus de Boulaq., n" 4 ; Paris, 1892 ; G. SleindorlT, The Beligion of the ancient Egyp</ « 71s, London, 1905 ; G. Maspero, //is/o/re ancienne des peuples de l’Orient classique, I. Paris, 1896 ; Etudes de Mythologie et d’Archéologie, Paris, 4 Aol., 1898-1900 ; Causeries d’Egypte, Paris, 1907 ; Wiedeman, lîeligion of Egypt (Dict. de Hastings. Extra-volume, 176-197, 190^) ; Die Religion der alten.Egypter, 1890 ; Brugsch, Religion und Mythologie der alten.Egypter, 1888-1890 ; Lanzone, Dizionario di mitologia egizia, Toriiio, 1881-1886 ; W. Budge, The Gods of the Egyplians, or Studies in egyptian mythology. 2 vol., London, 190^ ; The egyptian heaven and hell, 3 vol., London. 190^ ; P. Pierret, Le >< Livre des morts » des anciens Egyptiens, Paris, 1907 ; Le panthéon égyptien. Paris, 1881 ; Le Page Renouf, The egyptian Book of the Dead, London, 190^ ; Ph. Virej-, Religion de l’ancienne Egypte, Paris, 1909.

A. Mallox, s. J.