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Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Eucharistique (Epiclèse)

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Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 1 – de « Agnosticisme » à « Fin du monde »p. 801-807).

EUCHARISTIQUE (ÉPICLÈSE). —
I. La question. — II. Données théologiques. — III. Données liturgiques. — IV. Données de la tradition ecclésiastique. — V. Conclusion : Explication de l'épiclése. — VI. Bibliographie.

I. La question. — Epiclèse (i-(/-/r.- : it) signifie //uocation. On donne spécialement ce nom à une prière qui se trouve dans toutes les liturgies orientales, et dans un bon nombre d’anciennes liturgies d’Occident, après le récit de l’institution eucharistique. Le célébrant y demande à Dieu le Père, quelquefois au Fils, d’envoyer le Saint-Esprit (le Verbe d’après deux ou trois formules) sur le pain et le vin pour les transformer au corps et au sang de J.-C, et aussi pour faire que ce corps et ce sang précieux produisent dans les communiants leurs salutaires effets. Voici, par exemple, l’épiclèse la plus en usage aujourd’hui dans l’Eglise orientale, celle de la liturgie byzantine de S. Jean Chrysostome : « … Nous t’offrons encore ce sacrifice raisonnable et non sanglant, nous te prions, te supplions et te conjurons, envoie ton Esprit-Saint sur nous et sur ces oblations, et fais |de] ce pain le corps précieux de ton Christ. Amen. Et [de] ce qui est dans ce calice, le précieux sang de ton Christ, le transformant par ton Saint-Esprit. Amen. Amen. Amen. Ue manière qu ils soient pour les communiants purification de l’àme, rémission des péchés, accomplissement du royaume des cieux, gage de confiance devant toi, et non pas un jugement ou une condamnation. » (Brioutmax, Easlern Liturgies, p. 886-7.) La liturgie dite de s. Basile, en usage seulement à certains jours déterminés, s’exprime en termes légèrement dilférenls, qu’il nous faut citer, car la connaissance en sera nécessaire j)Our l’exposé historicpie qui suivra : « … C’est pour(pioi, tout saint Seigneur, nous aussi qui sommes (les pécheurs et tes indignes serviteurs…, nous nous approchons avec confiance de ton saint autel, et. t’otlranl les anlitypes du saint corps et du sang de ton Christ, nous te prions et te conjurons, ô Saint des saints, par une faveur de ta bonté, que ton Esprit-Saint vienne sur nous et sur ces oblations, qu’il les

bénisse, les sanctifie, et fasse [de] ce pain le corps précieux de notre Seigneur, Dieu et Sauveur J.-C, et [de] ce calice le sang précieux de notre Seigneur, Dieu et Sauveur J.-C, qui a été répandu pour la vie et le salut du monde. Amen. Amen Amen. Quant à nous, qui participons à un seul pain et à un seul calice, nous te prions de nous unir les uns aux autres dans la communion d’un seul Esprit-Saint, et de faire qu’aucun de nous ne communie pour son jugement ou sa condamnation… » (Brigutmax, op. cit., p. 405-6.)

L’exemple de ces deux liturgies byzantines suffit pour laisser voir aussitôt la ditliculté suggérée par de telles formules au sujet des paroles qui opèrent la consécration, en d’autres termes, au sujet de la forme de l’Eucharistie. A considérer la teneur de l’épiclèse et sa place dans le canon, il semblerait, à première vue, que la transsubstantiation n’a pas été accomplie par les paroles : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, déjà prononcées, mais qu’elle doit l’être seulement au moment où se dit cette oraison. Telle est, en efl’et, la croyance actuelle de l’Eglise orientale schismatique, qui en a fait une divergence dogmatique entre elle et l’Eglise romaine. Que telle ne soit pas, au contraire, la croyance de la tradition patristique, cet article le montrera, en indiquant même le point précis à partir duquel s’est produite dans l’Eglise orientale la déviation dont sa doctrine présente est la conséquence. Une fois cette démonstration brièvement faite, il nous restera à concilier la tradition catholique avec le fait de l’épiclèse. Mais il sera utile, avant d’aborder ainsi directement la solution de la diflîculté, de rappeler tout d’abord certaines données théologiques et liturgiques.

II. Données théologiquss. — La thèse catholique est celle-ci : La forme de l’Eucharistie est constituée par les paroles de J.-C à la dernière cène : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, paroles que le prêtre répète à l’autel au nom et en la personne de X".-S. Une fois ces paroles prononcées, la transsubstantiation est parfaitement accomplie. Bien que cette doctrine n’ait pas été solennellement définie par l’Eglise, on peut la considérer comme définie par le magistère oi’dinaire, ou tout au moins comme une vérité certaine et proche de la foi. Eugène IV s’exprime ainsi dans le décret pro Armenis. « Forma hujus sacramenli sunt verba Salvaloris, quibus hoc conficit sacramentum », Drnzinger, 698 (093). Xous sa^ons, du reste, par l’histoire du concile de Florence, que cette doctrine était unanimement proclamée en Occident à cette époque. Peu s’en fallut qu’on n’en fit une définition de foi (IIf.iele, Hist. des conc, trad. Delarc, t, XI, p. 451 seq.). Le concile de Trente (>’t’i.s-. xiii, cap. 3) suppose manifestement la même croyance :

« Semper hace fides in Ecclesia Dei fuit slatim post

consecrationem verum D. N. J. (-. corpus verum(]ue ejus sanguinem snb panis et vini specic una cum ipsius anima et divinilate exsistere ; sed corpus quidem sub specie panis et sanguinem sub vini specie e.r vi s’erhoruni. i> Dex/.., 876 (767). A ces déclarations il faut ajouter les rubriques ilu missel romain, spécialement De dcfectihus, V, n. 1 et X, n. 3. Mais on doit aussi tenir grand comi)te de deux décisions très formelles adressées au patriarche mclkilc d’Antioche, l’une par Benoît XIII le 8 juillet 1729, l’autre par Pie VII. sous forme de Bref, le S mai 1822. La première ordonne d’enseigner que la transsubstantiation s’acconii)lit non par l’invocation d S -Esprit, mais parles paroles de X.-S. ; la seconde interdit à qui que ce soit, sous les peines les plus sévères, d’enseigner ou de défendre la doctrine opposée (Coll. Lacensis, J587

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Acta et decr. concil. receiitior., t. ii, iS^G, col. ^Sg- 1 440, 551.)

Outre ces déclarations de TEglise, il faut rappeler ce principe théologique très important, que la transsubstantiation est un acte instantané, comme, du reste, tout changement substantiel. Il y a donc pendant la célébration de la messe, un moment précis où s’opère le changement du pain et du vin au corps et au sang de J.-C, et l’on ne saurait reproclier aux scolastiques d’avoir cherché à déterminer cet instant. Dès lors, si les paroles de l’institution, d’après l’intention de l’Eglise et aussi d’après l’intention même du Christ telle qu’elle ressort du récit des synoptiques et de S. Paul, sont la forme de l’Eucharistie, on ne pourra pas dire que l'épiclèse joue également ce rôle.

III. Données liturgiques. — Nous nous bornerons à dire un mot de l’extension liturgique et de l’origine de l'épiclèse. Bien que la lumière ne soit pas encore complète en ces matières fort complexes, nous pouvons, avec un groupe assez nombreux de liturgistes (HoppE, Probst, Dcciiesxe, Fcxk, Cabrol. Cagix, etc.) admettre l’existence de l'épiclèse, à la place que nous avons dite, dans toutes les liturgies anciennes d’Orient et d’Occident, au moins à partir de leur période de fixation, c’est-à-dire au iv' siècle.

Pour l’Orient, toute démonstration est superflue : il suffit de parcourir les recueils de Rexaudot, Daniel, Hammoxd, Brigiitmax. Bornons-nous à signaler ici le fait d’une épiclèse très explicite, après les paroles de l’institution, dans les anaphores les plus anciennes, comme celle des Constitutions apostoliques, celle de S.Jacques, celle de S.Marc. L’anaphore de Sérapion de Thmuis, qui représente la liturgie égyptienne du milieu du iv' siècle, a de même son épiclèse après le récit de la cène, avec cette particularité qu’au lieu de solliciter l’intervention eucharistique du S. -Esprit, elle sollicite celle du Verbe. Mais ce détail mis à part, son contenu est identicjue à celui des autres épiclèses. Notons aussi, à propos des liturgies égyptiennes, que, tout en ayant leur épiclèse normale après les paroles de l’institution, elles possèdent, en outre, entre le Scmctus et ces paroles, une sorte de prolepse de l'épiclèse, plus ou moins explicite suivant les cas. Cette caractéristique, déjà remarquée par Hoppe et par Renaudot, empêche de voir i e exception à l’universalité liturgique de l'épiclèse dans le fragment découvert en 1907 à Deir Balyzeh. Ce fragment grec, écrit sur un papyrus du Ail' ou du VIII siècle, comprend la lin de la préface, le Sductiis avec la prolepse d'épiclèse dont nous venons de parler, le récit de la cène et l’anamnèse ; mais la suite reste encore à trouver. Que cette suite possédât l'épiclèse proprement dite, la chose ne me parait pas douteuse, étant donnée l’analogie que présente la nouvelle anaphore avec les autres liturgies égyptiennes déjà connues. Voir Echos (V Orient. t. Xn. nov. 1909, p. 829-335, où j’ai exposé les raisons de ce jugement, contrairement aux vues de Dom P. DE PcxiET, qui a publié le manuscrit de Deir Balyzeh à l’occasion du Congrès eucharistique de Londres, en 1908. Voir aussi dans le même sens un article de Mgr Batii-i-ol, dans la He<, 'iie du Cler<(é français, le"" déc. 1909, p. 528-530. — L’universalité liturgique de l'épiclèse est donc certaine pour l’Orient.

Quant à l’Occident, la conclusion la plus probable des recherches pratiquées à travers les textes, c’est qu'à partir d’une époque difficile encore à préciser, l'épiclèse y a été atténuée, déplacée ou môme supprimée. Mais son existence antérieure n’en doit pas

moins, croyons-nous, être tenue pour assxirce. Elle était générale au a" siècle dans la liturgie gallicane, à laquelle se rattache la liturgie Avisigothique ou mozarabe, comme dans celles de Milan et de Rome (RausciiEX, Eucharistie und Busssakrament in den ersten sechs Jahrhund., Frihonrg-en-B., 1908, p. 87 ; trad. franc, par Decker et Ricard, Paris, 19 10, p. 108). Pour l'épiclèse gallicane et mozarabe, on trouvera une imposante série de formules très explicites dans l’ouvrage de Hoppe, Die Epiklesis, SchafFhouse, 1864, p. 71-92. Les noms mêmes qu’on leur donnait, Post mrsterium, Post sécréta, Post pridie, indiquent que ces oraisons occupaient, après le récit de la cène (Qui pridie), une place exactement correspondante à celle des épiclèses orientales dont elles reproduisent le sens général. A Milan, l'épiclèse n’a disparu qu’au Aine siècle (Ralschen, op. et loc. cit.). A Rome, une lettre du Pape S. Gélase (492-496) à Elpidius de A’olterra atteste son existence (Thiel, Epist. roni. poniif. ^enuinae, t. I, p. 486). On a cru longtemps que cette épiclèse romaine était aA-ant le récit de la cène et échappait ainsi à la difficulté rjue présentent les autres liturgies. D’après ceUe opinion, qui garde encore quelques partisans, ce serait l’oraison Quant ohlationem cpii représenterait l'épiclèse. Mais l’analogie générale entre le canon occidental et les anciennes anaphores d’Orient, les similitudes remarquables du canon romain et du canon gallican, permettent d’affirmer, malgré toutes les opinions contraires, que le Supplices te rogamus représente l’ancienne épicièse romaine, « dont la forme a été légèrement modifiée pour cviter les erreurs d’interprétation auxquelles a donné lieu l'épiclèse dans certaines liturgies « (Cabrol, Dict. d arch. chrét. et de lit., art. Anamnl-se. t. I. col. 1885). Toutefois, il est possible que le canon romain ait eu jadis, comme l’anaphore égyptienne, une double épiclèse : l’une, plus courte, avant le récit de la cène (= Quant ohlationem) ; l’autre, plus explicite, l'épiclèse normale (^ Supplices te) après ce récit. Voir mon article /^'épiclèse dans le canon romain de la messe, dans Revue Aus ; ustinienne. mars 1907, t. XIV, p. 303 318. On peut donc soutenir, croyons-nous, que l'épiclèse existait dans toutes les liturgies au ia « siècle. Est-ce à dire qu’elle ait été absolument primitiAC ? Cette universalité porterait à le penser, et plusieurs liturgistes l’ont admis. L’analogie générale des anaphores suppose, en effet, un fonds commun de la liturgie primitive, dont l'épiclèse pourrait bien avoir fait partie (Cabrol. op. cit.. art. Anaphore, t. I, col. 191 2, et Canon, t. II, col. igoo). Quelques auteurs, ScHERMAXX. Baiaistark, Buchaa’ald, auxqucls semble se rallier Raischex, — Batiefol A^oit dans l'épiclèse du S. -Esprit une évolution de l'époque constantinienne — ont essayé récemment de prouvcr que l'épiclèse du S. -Esprit datait seulement de l'époque des pneumatomaques (fin du iv^ siècle). Cette hérésie a provoqué sans doute l’addition de la série plus ou moins longue d'épithètes dont le Saint-Esprit se trouvc qualifié en maintes liturgies, comme celles de S. Jacques et de S. Marc, mais « l’existence de l'épiclèse est incontestablement antérieure « (Cabrol, op. cit., t. I, col. 1918). En tout cas, l'épiclèse du "Verl)e qui, d’après ces auteurs, aurait précédé celle du S. -Esprit, laisse la difficulté intacte, puisqu’elle a même place et même sens. — S’il était prouAé que la Constitution ecclésiastique égyptienne fût antérieure au livreVIII des Constitutions apostoliques, on pourrait supposer que l'épiclèse priinitiAC, tout en aj^ant sa place après le récit de la cène, ne sollicitait que l’effet spirituel du sacrement et du sacrifice, sans mentionner la demande de transsubstantiation. La ' conclusion serait, certes, intéressante pour la théo1389

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logie et l’apologétique. C’est l’hypothèse de DomCv-GiN dans un Mémoire sur le tlièine apostolique de Vanaphore, encore manuscrit, mais dont les grandes lignes ont été indiquées par Dom Socben, Le canon primitif de la messe, dans les Questions ecclésiastiques, avril 190g. Seulement, d’après Flnk, qui a étudié de près la question (Z’fti- Testament uns. Ilerrn und dieervandten Schriften, Mayence, 1901, p. i^’Jlôo), la Constitution égyptienne est postérieure aux Constitutions apostoliques, leàqnelles, on le sait, possèdent l’épiclèse explicite à double membre. Si l’on admet, comme y inclinent plusieurs auteurs, que la liturgie dé ce dernier recueil, appelée liturgie clémentine parce qu’elle est censée transmise par S. Clément de Rome, représente en somme la liturgie la plus voisine des temps apostoliques, il semble ditlicile de ne pas tenir l’épiclèse proprement dite pour une pièce tout à fait primitive. Pour souligner ce qu’il y a encore d’hypothétique dans ce problème d’histoire liturgicjue, je tiens à noter ici qu’un des derniers auteurs qui aient traité e.r professa ce sujet (Varaixe, L’Epiclèse eucharistique, Briguais, igso), pense, contrairement à l’opinion vers laquelle j’incline, que répiclèse n’est pas primitive et qu’il n’y eut jamais d’épiclèse dans la messe romaine. Ses argviments ne me paraissent pas convaincants, mais il Caul reconnaître qu’il y a des didicultés de part et d’autre.

Sans prétendre trancher cette délicate question d’origine, on peut trouver à l’épiclèse certains fondements scripturaiies. Ainsi, Ilebr., ix, 14, où l’auteur inspiré semble faire allusion à l’intervention du S. Esprit dans le sacriiice du Christ, contrastant de ce chef avec les sacriticcs mosaïques. (Comparer, dans les prières du missel romain avant la communion <lu prêtre, l’expression : Qui voluniate Patris. coopérante Spiritu Sancto, pcr mortem tuam mundum s’ii’ificasti. ) Ainsi encore, le discours après la cène (Joan., xiv-xvii), outre qu’il accentue très nettement l’activité générale du S. -Esprit à côté de celle du Père et du Fils dans la nouvelle économie du salut, nous semble, pour ainsi dire, situer spécialement son intervention dans le mystère eucharistique par rapport à la série des actes qui concourent à ce mystère. Ainsi enlin, le récit évangélique de la conception surnaturelle de Jésus en Marie de Spiritu Sancto {Matth., 1, 18-20 ; Luc, 1, 35) constitue un fondement scripturaire de 1 épiclèse en vertu d’un raisonnement. tli(’ologique, c’est-à-dire à raison de l’analogie entre l’incarnation et la transsubstantiation, attribuées l’une et l’autre par apiiroprialion au S. -Esprit, au Verbe par qviclfjues anciens Pères et quelques liturgies. Disons dès maintenant que cette analogie est, au demeurant, la meilleure explication de l’épiclèse. Remarquons aussi tout de suite qu’autre chose est d’admettre l’épiclèse comme universelle ou même primitive, autre chose de lui reconnaître une valeur essentielle pour la consécration. Toute la question est là. Elle ne peut être tranchée que par la tradition patristique qui est, dans l’espèce, la plus sûre interprète de la liturgie. Car, primitive ou non, l’épiclèse n’en est pas moins, à une éi)0(pie donnée, un fait liturgique et, partant, une ditliculté dont il faut demander à l’ancienne littérature ecclésiasticpie une solution autorisée.

IV. Données de la tradition ecclésiastique. —

1" 1.(1 plupart des textes des trois premiers sii’rles, et plusieurs encore aux siècles suis’anls, parlent de la prière consécratoire en général, c’est-à-dire de ce que nous appelons aujourd’hui le canon. C’est certainement le sens qu’il faut donner aux termes de prière, invocation Q7 : t/.yr, 71 :), supplication, et autres sembla bles, où l’on aurait tort de voir l’épiclèse proprement dite. Cependant un hon nombre de ces textes indiquent déjà le râle prépondérant des paroles de J.-C. et leur efficacité propre.

Pour S. JcsTiN (I Ap. XIII et lxv-lxvi), ce qui « eucharistie )’ou transforme le pain et le viii, c’est « la formule de prière et d’action de grâces y, mais c’est aussi « la formule de prière (ou : la parole-prière) qui vient du Christ ». Pour S. Iri’ : née (Contra hær., i, XIII, 2 : IV, xviii, 4 ; V, H, 3), c’est « l’invocation de Dieu (rr.j kT.i/.y-r.zi-j TîO Qîc->), la formule de l’invocation » (riv /c/cv -zii îrtz/yiTîw ;), mais c’est aussi « la parole de Dieu ». Pour Eirmiliex de Cksarée (inter epist. Cypriani, ep. lxxv, 10), c’est « l’invocation auguste ». Pour Origèxe (In jLatth., hom. xi, 14 ; Contra Cels., VIll, 33), et S.GrégoiredeNvsse(0/’. ca^ec/ ;., xxxvii), c’est « la prière, la prière faite sur le pain et qui le sanetiiie », mais c’est aussi « la parole de Dieu et l’invocation », ou simplement <> la parole de Dieu dite sur le pain ». Pour EusiiBE (De laud. Constant., xvi, circalin., A G., XX, 14, 25), ce sont « les prières et la mystérieuse 550/s/(a « ; pour S. Athanase (Serm. ad baptiz., cilédans P. G., LXXXYl, 2^01), « les grandes et admirables prières et les saintes supplications qui font descendre le A’^erbe ». PourS. Ambroise (/>e/î’f/e, IV, X, 154 ; De niyst., ix, 50-54), c’est « le mystère de la prière sacrée, la bénédiction divine ». mais c’est aussi, et d’une manière très précise, « la bénédiction du Christ et la consécration par les paroles du Christ ». Ainsi ces expressions de prière, i/n’ocation désignent habituellement le canon de la messe, sans autre précision ; mais plusieurs d’entre elles désignent les paroles de X. -S., toujours supposées comme formule centrale. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre S. Cyrille de Jérusalem et S. Basile, deux Pères cpie l’on oppose souvent, à tort, crojons-nous, à la thèse catholique. Le premier, tout en signalant l’invocation du S. -Esprit et en attribuant à la troisième personne divine la transsubstantiation, n’entend pas fixer le moment précis du mystère à l’épiclèse proprement dite. Pour lui, le temps de la consécration va de la iin du Sanctusk la lin de l’épiclèse, et toute cette partie de la liturgie répond au nom général d’ « invocation (- : -t/î// ; 71ç) de ia sainte et I adorable Trinité ». Catecli. xxiii, 7 ; xix, 7 ; xxi, 3. Le second, S. Basile, cxprimeuneidéeanalogue quand il appelle « paroles de l’invocation » (rie zi- - : r(//y ; 7-o)ç r/r, ijy-c/) les prières que la tradition a insérées dans le rite eucharistique, ayant et après le récit évangélique de l’institution. De Spir. S., xxvii.

2" A partir de la seconde moitié du iiv" siècle, nous constatons que la consécration est attribuée à la fois à J.-C. et au S.-Esprit, et les attestations de l’épiclèse

! proprement dite commencent. Mais des affirmations

très catégoriques, tant en Orient qu’en Occident, surtout à partir du iv* siècle, indiquent que ce sont les paroles de l’institution qui jouent le rôle de forme, et non pas l épiclèse.

L’attribution au S. -Esprit paraît dans la Didascalie, VI, XXI, 2 ; XXII, 2. Elle est aussi dans la pensée de S. Cyprien (Epist. Lxv, 4)- Ce dernier ne laisse pas cependant d’allirmer que le prêtre tient à l’autel la place du Christ souverain prêtre, dont il reproduit les gestes augustes (^/>. lxiii, 10. 14). Au iv" siècle. S. GuÉc.oiRK DE Xysse trausuict l’une et l’autre allirmalion, mais en précisant la seconde : car il seud)le bien attribuer aux paroles de J.-C. l’opération instantanée de la consécration (P. G., XLV, 90-97 ; XLVI. 582, 805). S. Grégoire de Nazianzk (£'/>. clxxi) entend sans doute aussi designer ces dernières quand il signale la parole qui attire le Verbesur l’autel et qui. comme un glaive, sépare le corps et le sang du 1591

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Seigneur. S.Cyrille d’Alexandrie (In Luc., xxir, 19) répète l’idée de S. Cyprien sur le sacerdoce du Christ en un texte qui, de plus, met en relief l’action trinitaire dans le rite eucharistique, fournissant ainsi la vraie base de solution pour la question de l'épiclèse. On peut dire que cette question est tranchée par S. Jean Chrysostome. Il connaît l'épiclèse pour l’avoir employée dans la liturgie quotidienne ; il attribue avec insistance la transsubstantiation et le sacrifice à la vertu invisible du S. -Esprit agissant par le ministère du prêtre (P. G., XLVIII, 6^2, 681 ; L, 458-9 ; LIX, 253 ; LXI, 204). Mais cela ne l’empêche pas d’aflirmer en termes formels que le prêtre, à l’autel, représente le Christ ; qu’il répète, au nom et en la lîersonne du Christ, les paroles dites au Cénacle : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, et que ces paroles opèrent la mystérieuse transformation, « Ceci est mon corps, dit-il. Cette parole transforme les

OblatS. » Tîvrs', (/.îJ £TT( ri T&J//K, i/ÎTl'. Ti^TÎ TS pf, ! ^'-^ lj.-7y-pp.e ; M ; îL -zry. rc ; zî ! >£va (P. G., XLIX, 380, 389. Cf. LVII-LVIII, 507-8 ; LXII, 612). L, 'ellîcacité des paroles de J.-C. doit donc nécessairement se concilier, dans la pensée de S. Jean Chrysostome, avec la vertu transsubstantiatrice du S. -Esprit. Nous croyons légitime d’en conclure qu’elle doit se concilier aussi avec les expressions des autres écrivains orientaux attribuant, sans plus, la consécration à l’intervention de la troisième personne de la S. Trinité. Ainsi en est-il i^our S. Ephrem, pour Pierre et Théophile d’ALEXANDRiE, pour S. Isidore de Péluse, etc. Voir les textes dans les ouvi’ages spéciaux de Hoppe, Markovic, Riley GuiMMEY. Si, parmi les nestoriens, il en est peut-être, comme Narsès (- ; - 502), qui paraissent, à certains endroits, reporter sur l'épiclèse toute l’activité consécratrice, ils ont ailleurs des textes presque aussi formels sur le sacerdoce de J.-C. et les paroles de l’institution. La tradition attestée par Clirysostome en faveur de ces dernières se maintient très ferme, en même temps que l’attribution au S. -Esprit, dans les principaux représentants de l’Eglise syrienne. Citons Jac<)UEs de Saroug(-j-521) [Opéra S. Ephrem gr. la t. ad calcem t.Il, p. 3 1 1, et surtout Sévère d' Antioche, dont le témoignage est peut-être plus formel et plus explicite encore que celui de S. Jean Chrysostome.

« Le prêtre… prononce les paroles Ceci est mon

corps, ceci est mon sang comme en la personne du Christ, et cette parole divine sanctifie les éléments. » (E. W. Brooks, The Sixth Book of the sélect letters of Severus, Londres, 1904, t. II, p. 23--8.) Des textes aussi clairs, sous la plume d'écrivains aussi représentatifs, nous paraissent trancher la question historique touchant la tradition orientale.

Pour l’Occident, la chose est plus aisée encore. S. Ambroise (De mrst., ix, 52, 54) affirme expressément que ce sont les paroles du Christ qui opèrent la consécration, Christi sermone conficitur. L’auteur du De Sacramentis, IV, iv, 14-19 ; v, 21-23, reproduit cette doctrine avec une remarquable insistance. S. Augustin parle comme S. Jean Chrysostome quand il dit (Serm. cxliii. De inysteriis cænæ Domini, Mai, Nos’tt PP. hiblioth., t. I, p. i, p. 333) qu'à l’autel le Christ est le consécrateur : c’est lui qui prononce les paroles par la bouche du prêtre. Le verhum Dei souvent rappelé par Augustin (voir les références dans H0PPEOU Riley GuMMEY)parait bien, dès lors, devoir être identifié avec les paroles de J.-C. Celles-ci sont clairement regardées comme consécratricesparFAusxE DE Riez (P. L., XXX, 276), S. Césaire d’Arles (P. L., LXA’II, io53, io56), S. Isidore de Séville (P. L., LXXXIIl, 905-6), etc. Or, en Occident tout comme en Orient, ces déclarations formelles n’empêchent pas d’afiirmer en même temps l’opération c-onsécratrice du S. -Esprit. S, Optât de Milève l’insinue (P. L.,

XI, io64), S. Ambroise la suppose en comparant la transsubstantiation à l’Incarnation (De myst., ix, 53), et l’affirme (De Spir. S., III, xai, 112), ainsi que S. Augustin (De Trin., III, 4 ; Enarr. in ps. rv, n. 7) ; de même S. Gaudence de Brescia (P. /.., XX, 858), S. Gélase (De duahits naturis, et Ep. ad Elpid., dans TniEL, Op. cit., t. I, p. 486, 54 1). S. Fulgence (P. L., LXV, 184, 188), S. Grégoire LE Grand d’après Paul Diacre (R /.., LXXV, 53), S. Isidore de Séville (P.L., LXXXII, 255 ; LXXXllI, 752, 753, 755), etc. L’attestation de cette doctrine traditionnelle de l’intervention eucharistique du S. -Esprit se poursuit à travers tout le moyen âge. (Voir mon article, L’Epiclèse d’après S. Jean Chrysostome et la tradition occidentale, dans Echos d’Orient, t. XI, 1908, ji. 101-112.) S. Thomas la signale plusieurs fois sans y insister (S. th., 111^, q. 78, art. 4> ad 1 ; q. 82, art. 5 ; Comm. in IV Sent., dist. 8, q. 2, art. 3). Petau, Tiiomassin, Bossuet, Re-NAUDOT, Lebrun, Martène, Benoit XIV, ont attiré sur ce point l’attention des théologiens et des liturgistes. Cette pensée n’est pas absente de notre missel romain actuel. On la rencontre deux fois exprimée dans les Orationes ante missnm, dans celle du dimanche et dans celle du vendredi.

Une conclusion s’impose, c’est que, pour toute la tradition occidentale et pour la tradition orientale des sept premiers siècles, l’eflicacité consécratoire des paroles de J.-C. se concilie certainement a^ec la vertu transsubstantialrice du S.-Esprit. La formule de cette conciliation nous est fournie, entre autres, par Pas-CHASE Radbert qui, au xi' siècle, revient sans cesse sur cette idée que le corps eucharistique du Sauveur est produit « dans la parole du Christ par le S.-Esprit )), in yerbo Christi per Spiritum Sanctum, ou encore '< par la vertu du S.-Esprit, au moyen de la parole du Christ », virtute Spiritus Sancti per verhum Christi (P. L., CXX, 1279, 1310-î312).

3° Au viii" siècle, S. Jean Damascène, sous l in~ fluence de préoccupations polémiques, fait dévier la tradition en Orient et donne ainsi naissance à la théorie grecque de l'épiclèse.

Pour avoir méconnu, sous l’influence de préoccupations polémirjues, l’emploi très orthodoxe du mot antitype désignant chez les anciens Pères l’Eucharistie même après la consécration (= le sacrement de l’Eucharistie), S. Jean Damascène est amené à dire que, si ce mot se trouve dans la liturgie de S. Basile, c’est avant la consécration (P. G., XCIV, 1 152). Or ce mot est après les paroles de l’institution et avant l'épiclèse. Il faut en conclure que, pour le Damascène, c’est l'épiclèse qui consacre : les paroles de J.-C. sont seulement une semence que la vertu du S. Esprit vient ensuite féconder (ibid., 1140 seq.). Celte dernière comparaison, probablement empruntée d’ailleurs à S. Ephrem (Opéra omnia gr.-lat., III, 608, 9), est susceptible en soi d’une interprétation catholique ; mais l’argument de l’antitype lui donne, dans la pensée de S. Jean Damascène, un sens exclusif qui fausse la tradition. Le désir de défendre contre toute interprétation symboliste le dogme de la présence réelle est la meilleure excuse du saint docteur. Mais on est bien forcé de reconnaître que, n'étant pas infaillible, il s’est trompé. Son explication du mot antitype et, avec elle, plus ou moins explicitement, la théorie de la consécration par l'épiclèse est bien vile devenue classique dans la théologie byzantine. Les actes du au* concile œcuménique (787) nous la signalent très clairement dans une réfutation du conciliabule iconoclaste de 753 (Mansi, XIII, 264). Les défenseurs des saintes images l’adoptent pour répondre aux iconoclastes qui ne reconnaissaient qu’une seule véritable image du Christ digne de nos hom1593

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mages, l’Eucharislie. C’est le cas pour S. XiciUmiore, S. Théodore Studite, Pierre le Siciliex. A leur suite viennent Thkophylacte, Samonas de Gaza, Euthy-Mius ZiGABiîXus, et bien d’autres. (Voir Jlgie, l.’épiclèse et le moi antitype de la messe de S, Basile, dans Echos d’Orient, t. IX, 1906, p. igS-igS.)

Cependant ni Photius, ni Michel Cérulaire n’avaient songé à signaler ce point comme divergence entre les deux Eglises (Hergexuoether, Photius, t. III, p. 601, 769). D’ailleurs, outre que nombre d’écrivains byzantins se contentent d’attribuer la consécration au S. -Esprit sans dire si elle s’oiière au prononcé des paroles de l’institution ou à l’épiclèse, on trouverait facilement plusieurs textes où cette attribution au S. -Esprit va de pair, comme chez les anciens docteurs, avec la croyance à l’efficacité consécratrice des paroles de J.-C. C’est le cas, au xii’siècle, pour Théodore d’Axdida (P. G., CXL. /^i" » 456), pour le commentaire liturgique communément mis sous le nom de S. Germain (P. G., XCVIII, 433), au xiv" siècle, pour Théodore DE Mélitène(/*. G., GXLIX, 948, 907, 961). De plus, l’Eglise syrienne ne semble pas avoir subi l’influence du Damascène, puisque Jean de Dara, au ix* siècle (Comm. in cap. Il eccl. hierarch., dans Opéra S. Ephreni syr.-lat., ad calcem, t. II, p.31), et DenysBarSalibi au xii’(Expos. Liturg., éd. Labourt, Paris, 1903, p. 62, 61, 78, 80, 82), demeurent très explicitement iidèles à la tradition représentée par S. Jean Clirjsostome et Sévère d’Antioche.

4° A partir du xiv’siècle, la controverse avec les Latins amène les Grecs et, à leur suite, quelques autres Orientaux, à poser leur théorie de l’épiclèse en divergence dogmatique entre leur Eglise et l’Eglise romaine.

La question de l’épiclèse ne fut pas soulevée au concile de Lj’on (1274). On ne dut commencer à l’agiter qu’au commencement du xiv’siècle, et il semble bien que l’initiative de la controverse doive être attribuée à certains Latins séjournant en Orient. C’est à ceux-ci que Nicolas Cabasilas (-j- vers 1363) et SiMÉoN de Thessalonique répondent en rééditant la théorie damascènienne et en ne reconnaissant aux paroles de J.-C. que la valeur d’un simple récit (P. G., CL, 429 seq. ; CLV, 297, 782 seq., 95 1). Au concile de Florence, on demanda aux Grecs de s’expliquer sur l’épiclèse. Cette demande embarrassa les Orientaux, qui, raconte l’historien grec Dorothée, avaient décidé de ne pas soulever cette question parce qu’ils n’avaient pas sur ce point des idées bien claires (Mansi, t. XXII, col. 1012). Sans nier l’efficacité des paroles de J.-C, ils inclinaient à la théorie damascènienne. Au cours des discussions, Isidore dk Kiev défendit cette théorie, tandis que Jean de Torc^iemada exposa les bases traditionnelles de la doctrine occidentale. Mais le 5 juillet 1489, Bessarion déclara au nom des Giiecs ([u’ils se ralliaient à la doctrine de leur grand docteur S. Jean Clirysostome et reconnaissaient aux paroles de J.-C. toute la vertu de la transsubstantiation. Si ce point ne fut pas inséré au décret d’union, ce fut — et cela sur la demande des évêques grecs — pour ne pas inlliger à l’Eglise orientale le déshonneur de faire supposer qu’elle avait professé jusqu’alors une croyance contraire. Mais Eugène IV l’inséra un peu plus tard dans la lettre aux Arméniens (IIkiele, Hist. des conc, trad. Delarc. t. XI, p. 451 seq.). Marc Eu-GENicrs, d’Ephèse, le fougueux adversaire de l’union, publia [)eu après le concile un petit traité où il reprend contre les Latins la thèse de Cabasilas, d’une manière plus exclusive encore (P. G., CLX, 1080 seq.).

Telle est aussi la doctrine exprimée par Jérémie II, Gabriel de Philadelphie, la confession de Dosithée et de MoGHiLA, le synode de Jérusaleui (1672). la réponse patriarcale et synodale de l’Eglise de Cons tantinople à l’Encyclique de Léon XIII en 1896’. (Voir les textes dans Riley Gummey, op. cit., p. 822 seq.)

Cependant, en Russie, la métropole de Kiev a professé jusqu’au xviii’siècle la doctrine de la consécration par les paroles de J.-C. Cette doctrine eut de même ses défenseurs en Moscovie. L’opinion grecque, longtemps combattue très vivement, ne triompha que grâce à l’influence des deux frères grecs Liiciior-DÈs et à la condamnation portée par le patriarche de Moscou, JovcniM, en 1690, puis par son successeur Adrien. C’est ce dernier qui inséra la doctrine grecque dans la formule du serment que doivent prêter les évêques russes le jour de leur sacre (G. Mirkovitcii, Du moment de la consécration (en russe), Vilna, 1886)2.

Chez les autres Orientaux, la controverse n’a pas été aussi vive. Les Arméniens grégoriens adoptent de nos jours l’opinion grecque. Cette opinion, professée peut-être alors par quelques Arméniens, fut formellement rejetée par le synotle de Sis, en 1 342 (Heiele, op. cit., t. IX, p. 556 ; Denz., 544 | 1820-1]). Au xviii’et au xix siècle, plusieurs tentatives furent faites pour inculquer cette erreur aux Melkites. Mais Benoit XIII s’empressa de prohiber une telle doctrine, et Pie VII renouvela très sévèrement cette défense (Collectio Lacensis, t. II, col. 439-4 40, 55 1). _’n sj’uode ruthène et un synode maronite ont formulé sur ce point, en 1720 et 1786, la doctrine catholique (ibid., col. 30, 196-7). Deux conciles plus récents ont fait de même pour les Melkites et les Syriens unis.

5" En Occident, où, comme on l’a vii, la tradition de la consécration par les paroles de JV.-S. s’est maintenue sans altération durant tout le moyen âge, quelques théologiens catholiques, à partir du nyi" siècle, ont soutenu, relativement à l’e/Jicacité de l’épiclèse pour la consécration, une opinion se rapprochant plus ou moins de la doctrine grecque.

Pour Catharin et Christophe de Ciiefeontaines, la forme de l’Eucharistie est l’épiclèse, conditionnée par les paroles de J.-C. Dans la messe latine, cette épiclèse est l’oraison Quam oblationem, qui précède le récit de l’institution. Pour Lebrin, Touttée, Renau-DOT, la forme de l’Eucharistie est bien dans les paroles de N.-S., qui sont cause efriciente ; mais leur efficacité est conditionnée par l’épiclèse, qui est cause inipétratoire. On range souvent, à tort, Lequien et Com-BEi-is parmi les partisans de cette opinion. En réalité, Lequien, Combefis et Hoppe, tout en reconnaissant comme forme les paroles de J.-C, attribuent à l’épiclèse et, en général, aux prières du canon, une sorte de nécessité liturgique. Au xix* siècle, Schell n"a pas craint d’avancer qu’il y avait deux formes pour le sacrement de l’Eucharistie : dans la liturgie latine, les paroles de rinslilution ; dans les liturgies orientales, l’épiclèse (Schell. Kath. Dogmaiik, i. III, Paderborn, 1893, p. 539). Enfin Raischen. op. cit., p. 100, trad. Decker cl Ricard, p. 124, a émis l’opinion suivante : dans les liturgies orientales, ou bien l’épiclèse doit disparaître, ou bien la consécration n’est achevée fiu’a[)rès cette formule. Mais cette opinion nous paraît inadmissible ; car, d’une part, elle condamne un fait liturgique authentiquement attesté ;

1. A la fin du xvii" siècle, la théorie de Cabiisilas était ciuore loin d’être générale chez les Cirées, puisque plusieurs synodes, dans les professions de foi forinidées contre les protestants, partagent encore la croyance catholique ; Ainsi en est-il de hi piofession de foi de Païsiosde Claza, en 166(>, de celles du synode de Cliyprc en 16C8, de Chio en 1()7’2, d’Antioche en 16<18, 1(571, l(175.

2. PiEURK MoGuu.A, métropolite de Kiev, et ses disciples enseignaient la doctrine catholique de la consécration 1595

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et de l’autre, elle se heurte à l’idée de riustantanéilé de la transsubstantiation.

V. Conclusion. Explication de l’épiclèse. — La tradition ecclésiastique est donc nettement favorable à la thèse catholique de la consécration par les paroles de J.-C, tout en attestant l’existence de prières ou invocations eucharistiques, en particulier de l’épiclèse, et la croyance à la Aertu transsubstantiatrice du S. -Esprit. L’association, dans les œuvres des grands docteurs orientaux et dans toute la tradition occidentale, du sacerdoce du Christ et de l’eiricacilé de ses paroles, avec l’opération eucharistique du S. -Esprit exprimée par l’épiclcse, démontre la possibilité et le fait d’une conciliation des données qui semblent à première vue contradictoires. Quant aux liturgies elles-mêmes, elles fourniraient à qui les étudierait avec méthode maints éléments postulant et suggérant cette conciliation. On y ti-ouverait, par exemple, des allusions à ce fait que les paroles de J.-C. ne sont pas un simple récit, mais doivent être dites in persona Cliristi, et à la crojance de l’elUcacité de ces paroles. L’existence de formules d’épiclèse, parfois très explicites, au moment de l’olTerloire ou même pendant la préparation de la messe, diminue de beaucoup la diliiculté soulevée au premier abord par l’épiclèse normale qui suit lanamnèse. Enûn, la disparition de l’épiclèse dans les liturgies occidentales bien avant la séparation des deux Eglises prouve tout au moins que lépiclèse, au sens strict du mot. n’est pas nécessaire pour la consécration ; les noms de Post mysferium, Post sécréta, insinuent également que le mjstère était considéré comme accompli au moment où le prêtre récitait ces formules.

Mais comment expliquer l’épiclèse ? Les éléments de cette explication nous sont fournis par la tradition. Unité d’action des trois personnes divines dans le rite eucharistique, sacerdoce du Christ agissant par le ministère du prêtre, vertu transsubstantiatrice du S. -Esprit : telles sont, en définitive, les trois idées fondamentales présentées par les liturgies et les écrivains ecclésiastiques. La première et la troisième de ces idées sont tout naturellement exiirimées par des prières ou des invocations et désignées par des termes analogues, la seconde, tout naturellement aussi, est exprimée et réalisée à la fois par les paroles de J.-C. ; la troisième se trouve, non moins naturellement, traduite par 1 epiclèse. Pour déterminer le moment précis de la transsubstantiation, une seule solution est possible : c’est de tenir, avec l’Eglise catholique et la tradition, les paroles de J.-C. pour la forme de l’Eucharistie. Mais si, abstraction faite de ce moment précis, on considère la consécration eucharistique comme une œuvre de la toute-puissance divine, commune aux trois personnes de la S. Trinité, ainsi que toutes les œuvres ad extra, on comprendra le langage des liturgies et des Pères relativement à l’ensemble de l’eucliologie eucharistique. Enlîn, la théorie théologique de l’appropriation donnera la raison de la vertu transsubstantiatrice du S. -Esprit ; celle-ci est, en effet, une appropriation basée sur l’analogie de la transsubstantiation avec l’Incarnation, sur la théorie générale de la sanctilication, sur la doctrine, chère surtout aux Pères orientaux, d’après laquelle le S.-Esprit est considéré comme l’opération divine, la

par les paroles de J.-C. Ce sont les Grecs qui, après les conférences de Jassy (16’12), corrigèrent sur ce point en leur faveur la Confession de.Mochila (J. Parooire, Mélétios Syrigon^ sa vie et ses œuvres, dans Echos d’Orient, t. XII, 1009, p. 25). MoGHiLA n’en conliiiua pas moins à professer la doctrine catholique, notaninient dans son grand Rituel de 1041), qui fui imite par un grand nombre d’autres rituels même après lliOO.

vertu et l’opération Aivante du Fils. Quant à la place de l’épiclèse après les paroles consécratrices de l’institution, elle s’explique, sans préjudice pour l’eflicacité de celles-ci : i° par la nécessité où se trouve le langage humain d’énoncer successivement ce qui s’opère en un instant, l’esprit des liturgies n’étant pas, d’ailleurs, pour emprunter un mot de Bossuet {Explication de quelques difficultés sur les prières de la messe, xlvi), « de nous attacher à de certains moments précis » ; 2"^ par la pensée Ihéologique, évidente dans les liturgies et chez les Pères, d’indiquer, dans la contexture même du canon de la messe, l’ordre logique des trois personnes divines entre elles et de leur intervention dans l’économie du salut.

Ainsi donc, l’Esprit-Saint concélèbre en quelque sorte avec le Père et le Fils au moment où le prêtre prononce les paroles sacrées : « Ceci est mon corps, ceci est mon sang. » Mais, pour sauvegarder l’ordre qui est le plan même du canon de la messe, force est bien au langage humain de reporter après la consécration l’énoncé de l’opération transsubstantiatrice et sacrilieale du S.-Esprit, laquelle, en réalité, coïncide avec l’action eucharistique du Fils. Seule, l’action sanctificatrice de la troisième personne sur les fidèles est mentionnée à sa vraie place, après la consécration. Mais les épiclèses anciennes et toute la tradition attribuent au S.-Esprit beaucoup plus qu’une simple action sanctificatrice sur les communiants, beaucoup plus qu’une confirmatio sacramenti ou sacrificii (Dom Cagix, Paléogr. musicale, t. V, p. 82 sq.), beaucoup plus qu’une ostension ou épiphanie eucharistique (E. Bouvy, Congrès euchar. de Beims, 1894. p. 7Ô’)). quelle que soit la haute portée théologique donnée à ces expressions. Ce qui lui est attribué, c’est la confection même du sacrement, c’est la sanctification du pain et du viii, c’est-à-dire leur consécration. C’est pour avoir parfois un peu trop laissé de côté ou cherché à atténuer cette donnée bien précise de la tradition, que certains théologiens catholiques se sont condamnés à ne fournir de l’épiclèse que des interprétations incomplètes ou mêlées d’éléments en partie contradictoires. Même Bessarion et Bossuet n’ont pas entièrement échappé à ce défaut, bien que leurs écrits sur cette matière renferment àpeu près tous les cléments d’une bonne solution.

Tout se réduit, en somme, à une question d’appropriation et à une question de style liturgique. On peut dire, à propos de cette dernière, que l’épiclèse eucharistique n’est pas un fait isolé dans la liturgie. On retrouve de véritables épiclèses dans tous les rituels, à l’administration des divers sacrements, surtout duliaptème, de la confirmation et de l’ordre : le ministre demande au S.-Esprit de venir opérer les effets du sacrement, alors même que les paroles de la forme, dûment prononcées et unies à la matière, les ont déjà produits. L’épiclèse eucharistique n’est qu’un cas particulier de ce procédé liturgique, auquel l’appropriation de la transsubstantiation au S.-Esprit donne ici une spéciale importance. Si l’Eglise latine a banni de cette formule toute expression concernant la confection du sacrement, c’est pour mieux mettre en relief l’eflicacité absolue des paroles de J.-C, mais sans détriment pour l’unité d’action des trois personnes divines et pour l’appropriation au S. Esprit. Elle est donc en pleine conformité avec l’enseignement de la tradition.

YI. Bibliographie. — Bessarion, De sacramento Eucharistiæ et quibus verhis Cliristi corpus conficiatur, dans P. G., CLXI, 49^ seq.. Catharin, Quibus verbis Christus Eucii. sacrum. confecerit, loïne, j552 ; C. de Cheffontaines, ï’arii tractatus, etc., ÉVANGILES CANONIQUES

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I

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; 16"et 1726 (ouvrage plusieurs fois réédité dans

, ’v suite), surtout dissert, x, art. 17 ; du même, ’fense de l’ancien sentiment sur la forme de la ronsécration, Paris, 1727 ; Bougeant, Traité tliéolo^ique sur la forme de la consécration de l’Eucha-I : .tie, Paris, 172g ; Breyer, Nous’elle dissertation r les paroles de la consécration de la S. Euchaiiie, Troyes, 1780 et 1733 ; Orsi, Dissertatio eologica de invocatione Spiritus Saucti in litur : is Græcorum et Orientalium, Milan, 1781 ; Peins Benedictus (= Mobarak), Antirrlieticon ailem adyersus Lehrunum et Renaudotium, dans

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j’a illustratione epicleseos ex liturgia ecclesiae

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igio, p. 107-130 (résumé de la question et recueil

les textes palristicjues les plus connus) ; P. de Puuiet, Fragments inédits d’une liturgie égyptienne, Londres, 1909 ; ConnoUy, The liturgical Ilomilies

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S. Sai.avillk.