Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/ALLOBROGE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 243-244).
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ALLOBROGE. s. m. Allobrox. C’est ainsi qu’on appeloit autrefois un ancien peuple de la Gaule Narbonnoise, peuple puissant, dit Polybe, Liv. XXX. Ch. 50. qui les appelle en grec, aussi-bien que Ptolémée, Ἀλλόϐριγες, Allobriges. Quelques-uns prétendent qu’Allobroges s’est dit pour Ariobriges, formé d’ἀρείος, martial, belliqueux, & brige, qui en cette langue signifioit Peuple, Nation. D’autres le dérivent d’ἄλλος Βρογλος ; & disent qu’il signifie une nation qui habite un pays coupé de montagnes & de vallées. Etienne Barlet a cru que ce nom étoit composé d’ἄλλος & de Αρέτος, & qu’ils le prirent par vanité ; pour dire, qu’ils étoient autres que des hommes mortels. Ils croyoient, ajoute-t-il, que le soleil est l’image corporelle de Dieu invisible, & ils l’adoroient par cette raison. Les Chaldéens nommoient Dieu Alla, & les Allemands Brux, ou Brox, toute médaille où est gravée une tête. D’Alla & de Brox, a été composé Allobrox. Ce sont des rêveries. Chorier a grande raison d’en juger ainsi. Un ancien Scholiaste de Juvénal dit, qu’en gaulois broga signifie champ, terre, & qu’Allobrox est composé de alius, autre, & broga, comme qui diroit un homme venu d’une autre terre, venu d’ailleurs ; mais le nom d’Allobroge étoit fait long-temps avant que la langue gauloise fût mêlée du latin : ainsi M. Bochard tire plus vraisemblablement ce nom de ברא, bro, qui en langage celtique, comme en hébreu, signifie, champ, terre. C’est ce qu’a voulu dire le Scholiaste de Juvénal, qui n’a pas su distinguer l’inflexion latine gis, gi, ga, des radicales bro. Al en cette occasion, comme en hébreu, על signifie haut ; desorte qu’Allobroge signifie celui qui habite un pays élevé, montagneux, des montagnes, un montagnard nom qui convient très-bien aux Allobroges, puisqu’ils occupoient depuis Genève jusqu’au Rhône, toute la Savoie & le Dauphiné, pays plein de hautes montagnes. Ptolomée dit que Vienne étoit la capitale des Allobroges. D’autres dérivent ce nom du grec Ἄρειος, qui signifie martial, belliqueux, de Ἄρης, Mars, & du gaulois Brig, qui signifie nation, peuple. Geofroy de Viterbe, Secrétaire des Empereurs Conrad III, Frédéric I, & Henri IV, dans l’onzième siècle, tire ce nom de celui d’une rivière nommée Labroga, sur les bords de laquelle les Allobroges, selon lui, habiterent d’abord. Borel dit qu’il vient d’al & de brava, parce que les Allobroges étoient un peuple de Gallia bracata : & ailleurs il dit qu’il vient d’al, tout, lo, hhut, & brig, ou brug, pont, ou tour, donjon, montagne, comme s’il y avoit berg. J. Picard, dans sa Celtopédie, Liv. III, pag. 136, a pensé que ce nom étoit grec, ἀπὸ των ἀλλων ϰαὶ του βρύειν, c’est-à-dire, de ἀλλος, autre & Βρύειν sourdre, être en mouvement, quod aliis, atque aliiis rebus movean tur, parce qu’ils étoient remuans, & qu’ils aimoient le changement. Il prétend que c’est à cela qu’Horace fait allusion, Epod. XVI. Novisque rebus infidelis Allobrox. Mais on peut dire contre ces étymologies, que dans les premiers temps, les lieux n’ont point donné le nom aux hommes, mais plutôt les hommes aux lieux. C’est un principe dont il ne faut guères s’écarter dans cette matière ; outre qu’il n’est pas sûr que les Allobroges aient habité d’abord les rivages de la Lobraga. Un nom grec pour les Gaulois, ou la composition d’un mot grec & d’un nom celte, ou gaulois, ne revient pas davantage, & Ἀλλοβριγες s’écrit par un iota. Il paroît que M. Bochard a été le plus heureux. César, Liv. I, Ch. 6. Ciceron, dans son Oraison pour Fonteius, Strabon, Liv. IV. Tite-Live, Liv. I. de la Décade III. Tacite, Liv. I. Hist. Ch. 66. Polybe, Liv. XXX. 50. M. Valois, Notit. Gal. sur Vienne, parlent des Allobroges. Les Anciens font mention du Sénat & du peuple des Allobroges. Aujourd’hui par Allobroges, nous n’entendons que les Savoyards ; & de là est venu que dans le style comique & familier, il est pris pour grossier, rustre, ou homme qui a le sens de travers. C’est un franc Allobroge. Traiter quelqu’un d’Allobroge. Acad. Fr. Il parle françois comme un Allobroge. Cette manière de parler n’est pas nouvelle, & nous trouvons dans Juvénal, Sat. VII, v. 214, qu’un certain Rhéteur gaulois, nommé Rufus, & qui eut de la réputation, traitoit Cicéron d’Allobroge par mépris. Voyez le II, Livre de l’Histoire de Dauphiné de Chorier.