Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/APÔTRE

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(1p. 419-420).
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APÔTRE. s. m. Envoyé, disciple de Jésus-Christ, qui a eu mission pour prêcher son Évangile par tout le monde, & pour le porter à toutes les nations de la terre. Apostolus. Le symbole des Apôtres. S. Pierre est le premier des douze Apôtres. S. Paul est appelé par excellence l’Apôtre des Gentils, parce que c’est celui qui a fait le plus de conversions parmi eux, son ministère leur ayant été particulièrement destiné, comme celui de l’Apôtre Saint Pierre aux Juifs. On donne quelque marque distinctive à tous les Apôtres. A S. Pierre des clefs ; à S. Paul une épée ; à S. André une croix en sautoir ; à S. Jacques le Mineur un bâton de foulon ; à S. Jean un calice, d’où s’envole un serpent ailé ; à S. Barthélemi un couteau ; à S. Philippe un long bâton, dont le bout d’en haut a la forme de croix ; à S. Thomas une lance ; à S. Matthieu une hache ; à S. Matthias une coignée ; à S. Jacques le Majeur un bourdon & une calebace ; à S. Simon une scie ; à S. Thadée une massue.

Le mot d’Apôtre, dans son origine, ne signifie autre chose que délégué, ou envoyé ; on le trouve dans Hérodote en ce sens, qui est le sens naturel de ce mot. Il est appliqué dans le Nouveau Testament à diverses sortes d’envoyés, premièrement aux douze disciples de Jésus-Christ, qui sont appelés Apôtres par excellence. C’est en ce sens-là que quelques faux prédicateurs de l’Évangile contesterent à S. Paul sa qualité d’Apôtre, parce qu’il n’y avoit que ceux qui avoient été témoins des actions de Jésus-Christ, qui pussent prendre cette qualité. Pour répondre à ces faux docteurs, qui avoient séduit les Églises de Galatie, il commença par ces mots la lettre qu’il leur écrivit, Paul Apôtre, non de la part des hommes, ni par aucun homme ; mais par Jésus-Christ & Dieu son pere. Il voulut leur faire connoître que sa mission venoit immédiatement de Dieu, & qu’il étoit par conséquent véritablement Apôtre.

En second lieu, le nom d’Apôtre se prend pour de simples envoyés des Églises ; comme quand S. Paul dit au ch. 16, de son Épitre aux Rom. v. 7 Saluez Andronicus & Junia mes parens, & qui ont été avec moi, lesquels ont un grand nom parmi les Apôtres.

En troisième lieu, on donnoit le nom d’Apôtres à ceux que les Eglises envoyoient porter des aumônes aux fidèles des autres Églises : ce qui avoit été pris des usages des Synagogues, qui appeloient Apôtres ces envoyés. C’est en ce sens-là que Saint Paul, écrivant aux Philippiens, dit au chapitre second de sa lettre, qu’Epaphrodite leur a servi d’Apôtre & de Ministre pour l’assister dans les besoins.

Apôtre est aussi celui qui a le premier planté la foi en quelque endroit. S. Denis de Corinthe est l’Apôtre de la France. S. François Xavier est l’Apôtre des Indes.

On donna encore au commencement de l’Église le nom d’Apôtres à d’autres que les douze que Jésus-Christ choisit. Ainsi S. Paul, Rom. XVI, ch. 7, dit qu’Andronicus & Junia sont considérables entre les Apôtres. Quelques-uns croient qu’on appeloit ainsi ceux qui avoient annoncé l’évangile les premiers en quelque lieu.

☞ Les Évêques ont été appelés autrefois Apôtres & Apostoles. Depuis ce nom a été donné au Pape seul, en sorte que nos écrivains françois l’appeloient Apostole, comme l’a remarqué M. Bignon dans ses notes sur les formules de Marculphe, pag, 251, édit. de Paris in-4o. 1666.

S. Paul est aussi appelé simplement & absolument l’Apôtre. Les Prédicateurs sur-tout en usent souvent ainsi. Je sais que l’Apôtre & les Saints ont gémi devant Dieu, de trouver dans eux l’ennemi le plus dangereux de leur salut. Chemin. Voilà un excellent moyen de se conserver en grâce, &, si j’ose le dire, de s’y confirmer ; aspirer toujours à un nouveau degré de charité, selon le conseil de l’Apôtre. Id. Loin de cette chaire cet art, qui loue vainement les hommes par les actions de leurs ancêtres, & qui s’arrête à des généalogies sans fin, comme parle l’Apôtre, plus propres à satisfaire une vaine curiosité, qu’à édifier une foi solide. Flech. Avoir déjà la mort à ses côtés, mourir, comme dit l’Apôtre, à chaque moment, & ne s’empresser pas d’arriver à la sainteté par la voie courte & abrégée d’une vie fervente, il n’y a, ou qu’une stupidité grossière, ou qu’une infidélité au moins commencée, qui puisse aller jusques-là. Bourdal. Quelquefois on dit, le grand Apôtre. Cette réponse, pour appliquer ici la parole du grand Apôtre, c’est la réponse de la mort. Bourdal. Cette expression au reste est très-ancienne, & ne nous est pas particulière. Nous l’avons prise des Peres Grecs & Latins, qui en usent très-souvent. C’est aussi en ce sens qu’on appeloit à Constantinople le Docteur de l’Apôtre une des dignités de l’Église de cette ville, dont la charge, ou la fonction, étoit d’expliquer au peuple les Épitres de S. Paul.

On appelle aussi en termes de Liturgie, & même dans l’usage ordinaire, les Épitres de S. Paul du nom d’Apôtre. S. Grégoire, dans son commentaire, dit, Deinde sequitur Apostolus, puis suit l’Apôtre, c’est-à-dire, l’Epître qui est tirée des Épitres de S. Paul. Lire l’Apôtre, c’est lire les Épitres de S. Paul. Ce nom, chez les Grecs, signifie aussi dans le même sens, & en termes de Liturgie, un livre d’Église qui contient les Epîtres de l’Apôtre, c’est-à-dire de S. Paul, selon l’ordre qu’ils les lisent dans leurs Eglises pendant le cours de l’année. Ils en ont un qui contient les Evangiles ; qu’ils appellent Εὐαγγέλιον, Evangile. Celui dont nous parlons apparamment ne contenoit d’abord que les Epîtres de S. Paul, & pour cela fut nommé l’Apôtre. Depuis long-temps il renferme aussi les actes des Apôtres, les Epîtres canoniques, & l’Apocalypse. Il est aussi nommé actes des Apôtres, Πραξαπόστολος, parce que c’est le premier livre qui s’y trouve.

Le nom d’Apôtre a été aussi en usage dans l’Eglise latine au même sens, & il se trouve dans S. Grégoire, comme on l’a dit, dans Hincmar, & dans Isidore. S. Augustin, Sermon 176, al 10, de verb. Apostol. Le concile de Tolède, can. 4 ; le concile de Carthage, & les anciens Sacramentaires donnent le nom d’Apôtre aux Epîtres de S. Paul. L’on avoit aussi des livres anciens qui contenoient les Evangiles, ou les Epîtres, selon l’ordre qu’on les lisoit à la messe pendant l’année. Il y en a un fort beau & fort ancien à l’abbaye de Chelles, qui contient tous les Evangiles de l’année selon la Vulgate.

Apôtres, chez les Juifs, étoient anciennement certains Officiers qu’ils envoyoient dans les provinces ; pour veiller à l’observation de la loi, pour lever l’argent qu’on donnoit, soit pour les réparations du temple, soit pour payer le tribut aux Empereurs, comme il paroît par la lettre de l’Empereur Julien aux Juifs, citée au mot Apostole. Le Code Théodosien, Liv. XIV. De Judæis, les appelle Apostoli, qui ad exigendum aurum atque argentum à Patriarcha certo tempore diriguntur. Voyez aussi la loi 18. Ibid. Les Juifs les nommoient שליחין Schelihhin, c’est-à-dire, envoyés. Ils étoient inférieurs aux Officiers de la Synagogue nommés Patriarches, qui les envoyoient comme des Commissaires dans toute l’étendue de leur district, & ils avoient juridiction de Légats ou d’Envoyés. Quelques Auteurs ont remarqué que S. Paul l’avoit été, & que c’est à cela qu’il fait allusion au commencement de son Epître aux Galates, comme s’il eût dit : Paul, non plus Apôtre de la Synagogue, & envoyé par elle, pour maintenir & avancer la loi mosaïque ; mais maintenant Apôtre & Envoyé de Jésus-Christ, &c. S. Jérôme, sans dire que S. Paul l’ait été, croit au moins qu’il fait allusion à ces Apôtres de la Synagogue. S. Epiphane, Hér. 30, parle de ces Apôtres des Juifs, & dit qu’ils étoient en grande vénération. Voyez aussi Baronius à l’an 32 de Jésus-Christ. Honorius défendit aux Juifs ces sortes de levées, & ces Apôtres, par la loi que j’ai citée. Voyez Godefroy sur la même loi. Cet Auteur croit que les noms d’Apôtres & de Patriarches n’ont commencé à être en usage parmi les Juifs, qu’après la destruction de Jérusalem. Voyez encore M. de Tillem. Hist. des Empereurs Tom. I. pag. 673.

Papias appela Apôtres, les Hérétiques nommés communément Apostoliques, dont nous avons parlé. S. Augustin leur donne le même nom, & dit qu’ils faisoient profession de ne rien posséder en ce monde. S. Bernard crie aussi avec force contre les Hérétiques de son temps, qui se nommoient Apôtres. Voy. Apostolique.

Le peuple appelle aussi Apôtres, des Confreres ou Pénitens qui vont les pieds nus aux processions du S. Sacrement, & en d’autres solemnités. En Portugal, & aux Indes, à Goa, on appelle les Jésuites, Apôtres. Des fruits si visibles & si merveilleux firent regarder les deux Missionnaires (Xavier & Rodriguez) comme des hommes envoyés du Ciel, & remplis de l’esprit de Dieu. Aussi tout le monde leur donna-t-il le surnom d’Apôtres, & ce titre glorieux est demeuré à leurs successeurs dans le Portugal. Bouh. Vie de Saint Franc. Xav. Liv. I. Dans l’arsenal de Brême, il y a 12 pièces de canon qu’on appelle les douze Apôtres ; supposant que tout le monde doit acquiescer à la prédication de pareils Apôtres.

Apôtres, chez les Protestans, sont de jeunes ministres, qui ont été reçus par provision, en attendant qu’ils soient appelés au service de quelque Eglise, afin qu’il y en ait toujours de prêts à remplir les places vacantes, & qu’ainsi les Eglises ne demeurent pas sans Pasteurs. Cela se pratique ordinairement à Genève, & en plusieurs endroits de la Suisse.

On dit proverbialement & ironiquement, de quelqu’un qui se lache sous un extérieur réservé. C’est un bon Apôtre.

On appeloit autrefois Apôtres, les Lettres dimissoires données à un Appelant par le Juge, à quo, adressées au Juge d’appel, par lesquelles il le certifioit de l’appel interjetté, & lui en renvoyoit la connoissance, sans quoi il n’étoit pas permis de le poursuivre par l’ancienne rigueur du droit ; ce que l’article 117 de l’Ordonnance de 1539 a aboli. Provocationis indices, & dimissionis testes Litteræ. Le temps limité pour obtenir ces Lettres étoit de trente jours ; au lieu de quoi on a introduit les désertions. Cette formule de Lettres dimissoires appelées Apôtres, a été plus long-temps en usage dans la Juridiction ecclésiastique. Il y en avoit de cinq sortes. On appelle Apôtres les Dimissoires, lorsqu’ils ont été expédiés par le Juge dont est appel, & qu’il renvoie l’appelant au Juge supérieur : Reverentiaux, lorsqu’ils ont été donnés seulement par révérence pour le supérieur : Refutatoires, lorsque le Juge à quo ne veut point déférer à l’appel, qui lui paroît frivole, & illusoire : Testimoniaux, lorsqu’en l’absence du Juge l’appel est interjetté devant un Notaire : Conventionnaux, lorsque, par le consentement des parties, l’appel est dévolu au Juge supérieur. Ce style a été aussi supprimé dans les Cours ecclésiastiques après l’Ordonnance de 1539. On appeloit encore autrefois Apôtres, les Lettres dimissoires que l’Evêque donnoit à un Laïc, ou à un Clerc qui se transportoit dans un autre diocèse pour y être ordonné. Voyez Cujas, Souchet, le commentaire de, M. Bourdin sur l’art. 117, de l’Ordonnance de 1539, &c.

Ce mot vient du grec ἀπόστολος, qui signifie un homme envoyé, du verbe ἀποστέλλειν, envoyer ; d’Apostolus, on a dit d’abord Apostole. Le Duc de Bretagne Jean II, dans son Testament, dit, « Et requier & pri mon cher Pere espituel l’Apostiole de Rome. » Geoffroy de Villehardouin a dit l’Apostoile de Romme. Ensuite on a dit Apostole. Henri III, Roi d’Angleterre, dans un acte de l’an 1266 rapporté par D. Lobineau, Hist. de Bret. T. II, p. 409, dit : « Le Jur de Jouedy prochein devaunt la feste S. Barnabé l’Apostle. » Puis enfin Apôtre, changeant la lettre l, en r, comme en beaucoup d’autres mots.

☞ APÔTRES. (Onguent des) Voyez Apostolorum.