Dictionnaire de Trévoux/6e édition, 1771/BALEINE

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Jésuites et imprimeurs de Trévoux
(1p. 720-722).

BALEINE. s. f. Balæna. Poisson d’une grandeur extraordinaire, le plus grand de tous les animaux. Godeau les appelle des écueils vivans. Pline fait mention de quelques baleines longues de quatre arpens, d’autres de 200 coudées ; mais il se trompe, ou il exagère. Il y en a dont les os ou arrêtes sont capables d’étayer ou de servir à construire de grands édifices. Les baleines du Nord sont beaucoup plus grandes que celles qui atterrissent sur les côtes de Guyenne, ou de la Méditerranée. Il y en a pourtant à l’Amérique de fort grandes, qui ont jusqu’à 90 ou 100 pieds entre la tête & la queue, dont les nageoires ont 26 pieds, les ouies trois pieds, & la largeur de leur queue est de 23 pieds. Le P. d’Ouaglie écrit dans sa Relation du Chili, ch. 17, qu’il y a plus de baleines au Chili qu’en aucun autre lieu du monde, & si grandes qu’on les prend quelquefois pour des îles. Pomey rapporte qu’en 1658, on apporta à Paris le squélette d’une baleine, dont le crane étoit de seize à dix-sept pieds d’ouverture, pesant quatre mille six czns livres ; les mâchoires de dix pieds d’ouverture, & quatorze pieds de longueur, pesant chacune onze livres ; les nageoires qui ressembloient à des mains, de douze pieds de long, pesant chacune six cens livres ; les côtes de douze pieds & demi, pesant chacune quatre-vingt livres ; les nœuds de l’échine depuis la tête jusqu’au bout de la queue de quarante-cinq pieds de long, les premiers nœuds pesant cinquante livres, & les autres diminuant jusqu’au bout. Les Chinois disent qu’on en a pris dans leurs mers qui avoient 960 pieds de long. Nos Européens néanmoins n’en ont guère trouvé qui aient excédé 200 pieds. Ambass. des Holl. à la Chine, Part. II, p. 99.

Il y a des baleines de plusieurs sortes, qui produisent toutes des baleinons vivans & parfaits animaux, mais qui n’en portent que deux tout au plus. Elles les nourrissent à la mamelle avec grand soin. La nourriture des baleines est une eau ou écume qu’elles savent extraire de la mer, à ce que disent Ælian, Rondelet & Gesner. Elles vivent aussi d’un petit insecte que les Basques nomment Gueld, qui est le Psillus marinus, ou la Puce de mer, qui se trouve dans le Nord en grande abondance pour nourrir le gros poisson. En effet, dans la dissection des baleines on ne trouve autre pâture dans leur estomac que de l’eau épaisse, & de ces menus insectes, rarement quelques anchois ou petits poissons blancs ; mais jamais de gros poissons, ni de morceaux d’ambre, comme ont voulu faire croire Cardan & autres. Les Hollandois, dans leur Ambass. à la Chine. p. 99, disent qu’on ne trouve dans leur estomac qu’environ 10 ou 12 poignées de petites araignées noires, & quelque peu d’herbe verte ; & que quand la mer se trouve couverte de ces araignées, c’est une marque que la pêche sera bonne. Ils ajoutent qu’on a quelquefois trouvé 30 ou 40 cabilleaux dans leur ventre.

La plûpart des baleines n’ont point de dents, mais seulement des fanons ou barbes dans la gueule larges d’un empan, & longues de quinze pieds, plus ou moins, finissant en franges semblables par le bout aux foies de porceaux, lesquelles sont enchâssées par en-haut dans le palais, & rangées en ordre selon leur différente grandeur, comme le manteau d’un oiseau. Ces barbes servent à dilater & à restreindre les joues de la bête, qui sont quelquefois si amples, qu’elles sont capables de contenir le baleinon nouvellement né, comme dans une boîte, pendant les orages, comme écrit Olaüs. L’Auteru de l’Ambass. des Holl. au Japon, Part. II, p. 130, dit que les baleines du Japon ont deux grands trous sur le mufle, par où il entre quantité d’eau, qu’elles revomissent ensuite avec grande impétuosité. Le P. du Tertre, Hist. des Antilles, Tr. IV, ch. I, §. I, dit qu’elles vont soufflant & comme séringuant par les nazeaux deux petits fleuves d’eau, qu’elles poussent dans l’air haut de deux piques, & que dans cet effort elle font un certain meuglement, qui se fait entendre d’un bon quart de lieue. L’Auteur de l’Ambassade au Japon ajoute que leurs yeux sont longs de trois aunes, & larges d’un pied & demi ; leurs ouies beaucoup plus grandes dedans que dehors, & qu’elles entendent le moindre bruit ; que quand elles ouvrent la gueule, elle est large de plus de cinq brasses ; que leur langue a dix-huit pieds de long sur six de large ; qu’il est certain qu’elles se nourrissent de poisson, & qu’on a trouvé dans le ventre de quelques-unes 40 ou 50 morues.

Les Journeaux des Savans d’Angleterre, en parlant des baleines qui se trouvent dans la mer de l’Amérique aux environs des Bermudes, disent qu’elles ont de grandes barbes pendantes depuis le dessous du nez jusqu’au nombril, & vers la fin des parties de derrière une crète sur le dos ; que ce poisson a la figure fort aiguë par le derrière, approchant de celle du toit d’une maison ; qu’à côté de sa tête il y a plusieurs bosses ; que son dos est extrêmement noir, & son ventre blanc ; que l’agilité & la vîtesse de ces poissons est inconcevable ; qu’une ayant été arponnée, elle entraîna le vaisseau de plus de 6 ou 7 lieues loin en trois quarts d’heure ; que quand elles sont blessées, elles font un cri horrible, auquel toutes les autres qui le peuvent entendre, accourent, mais sans faire aucun mal à personne ; qu’elles sont plus longues que les baleines de Groenland, mais moins épaisses ; qu’elles se nourrissent des herbes qui croissent dans le fond de la mer ; que l’on a trouvé quelquefois dans leur estomac deux ou trois hottées de matière verte & herbue ; que l’on peut tirer jusqu’à 7 ou 8 tonnes d’huile des plus grandes de ces baleines ; que les baleinons en rendent un peu, & qu’elle ressemble plutôt à de la gelée qu’à de l’huile ; que celle des vieilles baleines, se fige comme su sain de pourceau, & ne laisse pas de très-bien brûler ; que celle que l’on tire de la graisse, est claire comme du petit lait ; mais que celle que l’on tire du maigre entrelardé, se durcit comme du suif, & petille en brûlant ; que celle enfin qu’on fait de la panne, est comme de la graisse de porc ; qu’on peut tremper sa main dans cette huile toute bouillante sans se brûler ; qu’elle est souveraine pour les plaies, & pour plusieurs autres sortes de maux, étant appliquée sur la partie malade.

Arrien rapporte dans les navigations de Néarque, que la flotte d’Alexandre ayant trouvé dans la mer des Indes des baleines qui jetoient beaucoup d’eau en l’air, tout l’équipage fut extrêmement épouvante ; que Néarque ayant appris ce que c’étoit, ordonna qu’on allât droit à ces monstres en ordre de bataille, trompettes sonantes, criant beaucoup, frappant les armes pour faire un grand bruit ; & que cela les fit plonger dans la mer, & les chassa.

Il y a une espèce de baleines qui ont de petites dents plates dans la gueule sans fanon ; & de celles-là les Basques tirent la drogue qu’on nomme sperme de baleine, dont ils remplissent des tonneaux, le puisant dans la tête avec des poilons, ou grandes cuilliers. Les Droguistes l’étreignent, le lavent, & le préparent ensorte qu’ils le rendent blanc comme la neige ou fleur de sel, & sentant l’odeur de la violette. Ils l’ont nommé blanc de baleine, à cause que les femmes s’en servent pour faire un fard excellent. Cette matière blanche & écailleuse se fond comme de la cire. La plûpart de ceux qui tirent cette matière des baleines, assurent que c’est son cerveau, mais il n’y a pas d’apparence, puisque nul cerveau de poisson n’a les qualités du blanc de baleine. Ne pourroit-on pas croire plutôt que c’est une substance moelleuse qui se trouve logée entre les deux tables du crane de ce poisson ? Le blanc de baleine s’appelle sperme, ou la nature de baleine, sperma ceti, parce qu’on a long-temps douté si cette matière n’étoit pas le sperme même de l’animal. On la nomme encore ambre blanc, ambarum album, à cause qu’on en a trouvé des morceaux sur les bords de la mer. Le blanc de baleine sortant du poisson est presque tout en huile. Les Hollandois sont les seuls qui en séparent cette huile ; & on tire d’eux cette matière rafinée & blanchie ; & lorsque cette même matière redevient jaunâtre, il ne faut que changer le papier qui l’enveloppe, & la mettre dans des papiers non collés, qui s’abreuvent de cette partie huileuse, & font que la matière devient blanche.

Il y a une autre espèce de baleine qui a l’ouverture de l’oreille sur les épaules. La queue de la baleine lui sert à nager en frappant l’eau. Elle s’en sert aussi à renverser les barques des pêcheurs qui la poursuivent.

Les pêcheurs appellent bonnes baleines, celles dont ils tirent le plus d’huile. Elles n’ont qu’un seul évent sur le front, d’où sort assez lâchement une bruine d’eau, ressemblant à la fumée : ce qui les fait remarquer, lorsqu’elles viennent en haut pour respirer. Ces bonnes baleines sont femelles, & le plus souvent nourrices ; car c’est alors qu’elles sont les plus grasses. On en prend à la Chine qui rendent plus de 240 barriques d’huile, & dont la seule langue en donne quelquefois 60 barriques. Je ne sais si nos Hollandois en ont jamais tant tiré en leur pêche de Groenlande. Ambass. des Holl. à la Chine, part. II, p. 100.

Les baleines qui font réjaillir leur fumée en l’air, à la hauteur d’une lance, comme par une seringue, se nomment Physetères, ou Souffleurs. Pour celles qui fument & respirent par deux ouvertures posées sur le front, car c’est leur manière de respirer, qui comme on l’a dit, se fait à grand bruit ; pour celles-là, dis-je, je ne trouve pas qu’elles aient de nom particulier. Leurs nageoires sont nommées bras, ou leurs ailes, & sont couvertes de gros cuir noir, aussi-bien que la queue & tout le corps, à la réserve du ventre qui est blanc. Il y a une autre espèce de baleine qu’on appelle Jubartes.

Le passage vient en hiver depuis l’équinoxe de Septembre, & elles s’arrêtent en un lieu nommé la chambre d’amour, proche le mur de l’ancien château de Ferragus à une lieue de Bayonne. Elles s’y viennent engouffrer pour éviter les profondes ténèbres de la mer glaciale du nord, où elles séjournent pendant tout l’été, (car elles aiment la lumière & le soleil) afin de jouir d’un jour continuel de six mois. quand il se retire, elles courent en flotte vers le pôle du sud. Celles des îles de l’Amérique paroissent depuis le commencement de Mars jusqu’à la fin de Mai. Les Pêcheurs conjecturent que le reste du temps elles se retirent dans les antres herbus du golfe de la Floride, parce que l’on a observé que sur leurs ailes & sur leurs queues il y avoit quantité de viscosités gluantes, sur lesquelles il croissoit des rocailles, & qu’on y a même trouvé des coquilles plus grandes que celles des huitres. Elles sont alors en chaleur, & s’accouplent pendant ce temps-là. Quand deux mâles se rencontrent auprès d’une femelle, ils se livrent un dangereux combat, frappant si rudement des ailes & de la queue contre la mer, qu’il semble que ce soient deux navires aux prises à coups de canon.

La baleine suit continuellement son baleinon : ce qui a fait croire à quelques Naturalistes, comme à Ælan, que c’étoit un poisson différent, qu’ils ont nommé musculus, ayant présumé que la nature l’avoit produit exprès pour servir de guide à la baleine. Cardan l’appel Orca, & croit qu4il poursuit la baleine pour la blesser par le foible du ventre : mais au contraire cela n’arrive que quand le baleinon se dresse à la tetine pour prendre son aliment. Ces petits sont toujours sous les ailerons de la mere jusqu’à ce qu’ils soient sevrés. Les femelles n’ont point de pis, quoiqu’elles aient du lait en abondance, & qu’on en ait quelquefois tiré de leurs mamelles jusqu’à deux barriques. Ambass.des Holl. au Japon. P. II, p. 140.

C’est une fable que tout ce que les Anciens ont dit d’un poisson qui sert de guide aux baleines. Jean Cabri, Académicien de Florence, fait mention d’une baleine qui échoua sur les côtes d’Italie en 1624, qui avoit, dit-il, la gueule si large, qu’un homme à cheval y auroit pû entrer commodément. Pour la prise la pêche des baleines, voyez ci-après Harpon, & Harponneur. La manière dont Garcie décrit la pêche des baleines par les Sauvages de l’Amérique, paroît suspecte au P. Du Tertre.

Il y a des baleines si grasses, que vives & mortes elles surnagent. Leur huile sert pour engraisser le brai, pour enduire & espalmer les navires, pour brûler à la lampe ; aux Drapiers pour préparer les laines ; aux Corroyeurs pour les cuirs ; aux Peintres pour certaines couleurs ; Aux Foulons pour faire du savon ; aux Architectes & Sculpteurs, pour faire une laitance ou détrempe avec céruse ou chaux, qui durcit & fait croûte sur la pierre molle, qui en a été enduite, & la fait résister aux injures de l’air. Et les fanons avec le membre génital s’emploient à faire des parasols, des éventails, des baguettes aux Ecuyers & aux Huissiers, des corsets, paniers, buses aux Dames, & à plusieurs ouvrages de Tourneurs, Coutelier, &c. Un bourgeois de Ciboure, nommé François Soupite, a trouvé l’invention de cuire & de fondre les graisses à flot & en pleine mer, bâtissant un fourneau sur le second pont du navire. On se sert des grillons & du marc de la première cuite, au lieu de charbon pour la seconde.

Les baleines sont en si grande abondance au nord de l’Islande & vers le Spisberg, qu’en été ces monstres nagent & s’ébattent en grosses troupes comme des carpes dans un vivier, ou du poisson blanc dans une rivière. En Angleterre les baleines sont des poissons royaux qui appartiennent au Roi, aussi-bien que les éturgeons, ensorte que la tête de baleine appartient au Roi, & à la Reine la queue.

On lit dans la plupart des versions françoises du nouveau Testament au chap. 12 de S. Matth. v. 40, que Jonas fut trois jours & trois nuits dans le ventre de la baleine. M. Simon a cru que cette interprétation n’étoit pas exacte, parce que le mot qui est dans l’original grec, & celui de Ceti qui est dans l’ancienne édition latine, signifie en général un gros poisson. Et en effet, il n’y a point autrement dans le texte hébreu du Prophète Jonas. M. de Saci même, dans son Commentaire sur ce Prophète, dit qu’on croit communément que les baleines, quelques grandes qu’elles soient, ont le gosier trop serré & trop petit pour pouvoir avaler un homme tout entier.

Les ennemis de la baleine sont le Dauphin, le Tonin, l’Orke, & le Poisson noir, lequel tâche de lui ouvrir le ventre avec sa scie, ou bien d’enter dans sa gueule pour lui emporter la langue. Ambass. des Holl. à la Ch. P. II, pag. 99.

Ce mot vient du grec φάλαινα, ou βάλαινα, selon l’ancienne coutume des Grecs, qui disent, par exemple, πύξος, pour βύξος. C’est le sentiment de Festus. On ajoute qu’elles sont appelées de ce nom, à cause qu’elles jettent fort haut l’eau de la mer, car en grec βαλλειν signifie jetter, lancer. D’autres font venir ce mot phalaina de φαλὸς, qui signifie en grec reluisant. La baleine est un animal à poil, & ses poils reluisent de loin sur sa tête. On pourroit encore ajouter que la baleine est appelée par les Geecs phalaina de φαλὸς, reluisant, à cause de certaines taches blanches qu’elle a qui paroissent de fort loin. Selon le P. Pezron balaina, balene est formé du celtique balen, & selon Vossius, de Idol. Lib. IV, cap. 22. φάλαινα vient du chaldéen בלע, avaler, parce que cet animal avale un homme entier.

Une baleine qui reçoit dans sa gueule ses baleinons pour les défendre des tempête, comme le dit Philostrate dans la vie d’Apollonius, Liv. II, ch. 7 & ce mot Quos perdere visa, tuetur, fut la devise qu’on donna à Victor Amedée Duc de Savoie, après son expédition contre le Duc de Nemours.

Baleine. On appelle aussi de ce nom toutes les parties de la baleine qui servent, ou à mettre dans les corps de jupe, ou à faire des parasols, & des éventails, des buses, des baguettes, des paniers, &c.

La chair de baleine est de mauvaise odeur, & très-difficile à digérer, aussi n’en mange-t-on pas : il n’y a que les peuples qui habitent proche le cap de Bonne-Espérance qui en mangent quand ils peuvent en avoir : elle convient assez à leurs estomacs robustes & peu délicats, qui s’accommodent d’intestins crus & puants, & qui les digerent comme les choses les plus tendres & les plus agréables. rondelet dit que la langue de la baleine est d’un bon goût.

Baleine. Terme d’Astronomie. C’est le nom d’une des Constellations méridionales. Elle est composée de vingt-deux étoiles, dont dix sont de la troisième grandeur, huit de la quatrième, & quatre de la cinquième : la principale est dans sa mâchoire. Elle est de la nature de Saturne, & de la seconde grandeur. David Fabricius découvrit, dans le cours de la baleine, une nouvelle étoile qui s’est montrée & cachée plusieurs fois. Elle parut en 1648 & 1662. Ismaël Bouillaud en a décrit le cours & le mouvement. ☞ Selon le catalogue Britannique, la baleine est composée de 78 étoiles.

☞ Dans la Mythologie, Laomedon, pour apaiser Neptune, fut obligé de sacrifier sa fille, & de l’exposer à un monstre marin pour en être dévorée. Hésione fut délivrée par Hercule, & le monstre marin, suscité par Neptune, fut changé en la constellation dont on vient de parler.