Dictionnaire de théologie catholique/ABEL

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 20-24).

1. ABEL. Nous le considérerons exclusivement comme personnage figuratif de l’avenir ; toutefois, avant d’indiquer les divers prototypes dont il a été l’image, il sera bon de noter les traits historiques qui ont servi de fondement à son caractère typique.

I. Abel dans l’histoire. —

Abel (hébreu : Hébel, « souflle, vanité ou deuil », suivant les rabbins et les anciens commentateurs, ou mieux « fils », de la forme habal qui se lit dans les inscriptions assyriennes ; F. Vigouroux, La Bible et les découvertes modernes, 6’édit., Paris, 1896, t. i, p. 290) fut le second fils d’Adam et d’Eve et le frère cadet de Caïn. Les deux frères se montrèrent d’humeurs et de dispositions différentes. Bien qu’ils aient puisé la vie à la même source et qu’ils aient reçu la même éducation, ils furent entièrement dissemblables de goûts et de sentiments. Abel fut pasteur de troupeaux et Caïn agriculteur. Gen., iv, 2. Ils se partagèrent ainsi, dès l’origine de la société, les deux arts nourriciers de l’humanité, la culture de la terre et l’élevage des animaux domestiques. Le genre de vie des-deux frères laisse pressentir la divergence de leurs, goûts et île leur caractère. S. Cyrille d’Alexandrie, Glaphyr. in Gaies., 1. de Gain et Abel/n. 2, P. G., t. lxix, col. 33. Cette différence se manifeste plus nettement dans les sacrifice^- qi’j’ls offrent au Seigneur. Caïn, agriculteur, consacra des produits de la terre ; Abel, pasteur de brebis, des animaux de son troupeau. Caïn ne lit qu’une simple oblation, n’offrit qu’un sacrifice non sanglant ; à en juger par le contraste et les termes employés, Abel immola des victimes. Caïn ne consacra au Seigneur que des fruits ordinaires ; s’il n’offrait pas les plus mauvais de sa récolte, il ne choisissait pas les meilleurs ; Abel sacrifiait les prémices, les premiers nés et les plus gras de ses agneaux. Jéhovah regarda favorablement Abel et ses présents, mais il ne considéra ni Caïn ni ses dons. Gen., iv, 3-5. Dieu cependant ne voyait pas tant la différence des dons eux-mêmes que la diversité des dispositions avec lesquelles ils étaient faits. « C’est par la foi, nous apprend saint Paul, Hebr., xi, 4, qu’Abel a offert un sacrifice plus abondant que Caïn, » nXziova. 6u<rt’av, une victime meilleure en raison de la foi de l’offrant, plutôt que par sa nature et ses qualités propres. « Dieu ne considérait pas les présents de Caïn et d’Abel, mais leurs cœurs, de sorte que celui dont le cœur lui plaisait, lui plaisait aussi par son présent. » S. Cyprien, De oralione dominica, n. 21, P. L., t. iv, col. 536. Dieu envisageait surtout l’intention et avait pour agréable le sacrifice fait d’un cœur droit et sincère. S. Chrysostome, In Gen., homil. xviii, n.5, P. G., t. un, col. 155-156. La dillérence de résultats et d’efficacité auprès de Dieu est un indice de la diversité des consciences. S.Jean Chrysostome, Ad populum Antioclienum, homil. xii, n. 4, P. G., t. xlix, col. 132. Cf. S. Pierre Chrysologue, Serm., cix, P. L., t. lii, col. 502 ; Basile de Séleucie, Orat., îv, n. 3, P. G., t. lxxxv, col. 68-09. Poussé par la jalousie, S. Clément de Rome, I Cor., iv, 7, dans Funk, Opéra Patrum apostolicorum, Tubingue, 1887, t. I, p. 66 ; S. Nil, Narrât., H, P. L., t. lxxix, col. 608, et à l’instigation de Satan, S. Ignace d’Anlioche, . Ad Philip., xi, 3, l’unk, ibid., P. G., t. ii, col. 118 ; AdSmym., vii, l, t. ii, col. 148 ; Pseudo-Athanas, Quæst.ad Antiochum ducem, q. lvii, P. G., t. XXVIII, col. 632, Caïn fut violemment irrité de la préférence que Dieu avait manifestée à son frère, et son animosité intérieure se trahit par l’abattement de son visage. Il ne tint aucun compte des paternels avertissements du Seigneur et, dominé par la rancune, il résolut de se venger, fl proposa un jour à Abel de sortir au dehors et lorsqu’ils furent dans les champs, il se jeta sur son frère et le tua. Gen., iv, 8. Par ce meurtre, la mort qui était la peine du péché d’Adam, Gen., iii, 19, fil son entrée dans le monde. Rom., v, 12. La première victime ne fut pas un coupable, mais un innocent et un juste. Ce coup prématuré, qui frappait leur fils, montrait à Adam et à Eve la grandeur du châtiment de leur faute. Théodoret, Qusest. in Genesim, quæst. xlvi, P. G., t. lxxx, col. 145 ; Photius, Ad Amphiloeh. , quæst. xi, P. G., t. ci, col. 120. La voix du sang de l’innocente victime s’éleva jusqu’au Seigneur et Jéhovah interrogea Caïn pour lui faire avouer son crime. Mais le fratricide impénitent mentit impudemment, disant qu’il ignorait où était son frère ; il ajouta insolemment : « En suis-je le gardien ? » Cependant, le sang d’Abel criait vengeance vers le ciel, et Dieu porta contre le coupable une terrible sentence. Gen., iv, 9-12.

II. Abel figure de l’avenir. —

Considéré successivement ou simultanément par les Pères et les écrivains ecclésiastiques dans les différentes situations et sous les divers aspects de sa courte vie, Abel a été la figure :
1° des justes trop souvent persécutés par les impies ;
2° de Jésus-Christ, innocente victime immolée pour l’expiation du péché.

Abel figure des justes persécutés.


Sous ce rapport, Abel a été envisagé en tant que faisant contraste et opposition à Caïn, l’impie fratricide. Tandis que l’auteur de la Sagesse, X, 3, désigne Caïn comme « l’injuste, aotxoç, qui, dans sa colère, s’était éloigné de la sagesse et avait péri par le coup qui le rendait meurtrier de son frère », Jésus lui-même appelle Abel, « le juste, » Sûcaioç, et il le met au nombre des prophètes et des saints dont le sang retombera sur les Juifs. Matth., xxiii, 32-35. Saint Paul, Hebr., xi, 4, dit qu’en raison de la foi avec laquelle il avait oiï’ert son sacrifice, Abel avait reçu de Dieu le témoignage qu’il était « juste », puisque Dieu avait accepté ses présents. Saint Jean, I Joa., iii, 10-12, indique comme signes distinctifs entre les enfants de Dieu et les enfants du diable, la justice et l’amour fraternel, et il cite Caïn « qui était du malin et qui tua son frère. Et pourquoi le tua-t-il ? Parce que ses œuvres étaient mauvaises et que celles de son frère étaient justes ». Ainsi, Abel est présenté par l’Écriture comme la première personnification du bien. Caïn, qui représente le mal, le hait et l’immole à sa cruelle jalousie. Après avoir méprisé les paternels avis de Dieu, il s’enfonça de plus en plus dans le péché et fut le père d’une postérité perverse. Seth avait été substitué à Abel, Gen., iv, 25, et ses descendants persévérèrent longtemps dans la voie droite et furent les représentants du bien. Ainsi apparurent dès l’origine les deux grandes catégories d’hommes qui se partagent l’humanité entière ; ainsi furent inaugurées l’opposition et la lutte perpétuelle entre le bien et le mal. Cette antinomie constante i sera à travers les siècles l’épreuve des bons, mais aussi

! le principe de leur mérite et de leur glorification au

ciel. Sa préfiguration mystique dans la personne d’Abel a été signalée par les écrivains ecclésiastiques. L’auteur des Homélies clémentines, homil. ii, n. 16, P. G., t. ii, col. 85, a écrit : « Adam avait été formé à l’image de Dieu. De ses deux fils, nés après son péché, l’aîné est mauvais et représente les mauvais ; le cadet est bon et représente les bons. » Les deux frères, dit saint Ainbroise, De Caïn et Abel, l. I, c. i, n. 4, P. L., t. xiv, . col. 317, représentent deux catégories opposées d’hommes : l’une rapporte toutes choses à elle-même ; l’autre rapporte tout à Dieu et se soumet à son gouvernement. Tous deux sont de la même race, mais d’esprit contraire. Abel est la figure des bons, Caïn celle des méchants. Le second fils d’Adam est meilleur que le premier, dit-il ailleurs. Exhortalio virginilatis, c. vi, n. 36, P. L., t. xvi, col. 347. Il est immaculé, tandis que Caïn est couvert de taches ; il s’attache à Dieu et provient tout à fait de Dieu, tandis que son frère est une possession mondaine et terrestre. Il annonce la rédemption du monde, alors que de son frère procède la ruine du monde. Par l’un est préparé le sacrifice du Christ, par l’autre, le fratricide du diable. A ses yeux, De Caïn et Abel, l. I, c. ii, iii, P. L., t. xiv, col. 318, 320, les deux frères figurent les deux peuples, juif et païen. Caïn représente le peuple juif, peuple fratricide ; Abel, les païens devenus chrétiens, qui adhèrent à Dieu, s’occupent des choses célestes et s’éloignent des terrestres. Ils représentent enfin l’ordre suivant lequel se manifeste la sagesse humaine. Abel, quoique le plus jeune, l’emporte en vertu sur son frère ; en nous, le mauvais homme naît avant le bon. Le travail de la terre a précédé la garde des troupeaux ; si le mauvais homme apparaît le premier, il est inférieur au rapport de la grâce. La jeunesse est le temps des passions ; la vieillesse, l’époque du calme et de la paix. Saint Augustin expose les mêmes vérités en termes différents. Le temps durant lequel les hommes qui naissent succèdent à ceux qui meurent, est le développement de deux cités. Caïn qui est né le premier des deux ancêtres de l’humanité appartient à la cité des hommes, Abel qui est le second appartient à la cité de Dieu. De civ. Dei, XV, i, P. L., t. xli, col. 437. La cité de Dieu, qui est pèlerine ici-bas, a été préfigurée par Caïn et Abel. Elle comprend deux groupes d’hommes, les terrestres et les célestes. Ibid., XV, xv, 1, col. 456. Depuis Abel, le premier juste tué par son frère, l’Église avance dans son pèlerinage au milieu des persécutions du monde et des consolations de Dieu. Ibid., XVIII, li, 2, col. 614. La cité de Dieu a commencé à Abel lui-même, comme la mauvaise cité à Caïn. Elle est donc ancienne cette cité de Dieu, qui tolère la terre, espère le ciel et qui est appelée Jérusalem et Sion. In Ps. cxii enarrat, no 3, P. L., t. xxxvii, col. 1846. Du meurtre d’Abel par Caïn, saint Jean Chrysost., In Gen., homil.xii, n. 6, P. G., t. liii, col. 103-166, conclut que les chrétiens ne doivent pas craindre ici-bas les adversités et les maux, mais qu’ils doivent plutôt prendre garde de faire du mal aux autres. Quel est, en effet, le plus malheureux, du meurtrier ou de sa victime ? Il est clair que c’est le meurtrier. Abel a toujours été célébré comme le premier témoin de la vérité. Son meurtrier a mené une vie misérable ; il avait été maudit par Dieu et il était regardé comme un homme abominable. Quelle différence encore dans l’autre vie ! Abel régnera durant toute l’éternité avec les patriarches, les prophètes, les apôtres et tous les saints et avec Jésus-Christ. Caïn endurera perpétuellement les tourments de l’enfer. Ceux qui l’imiteront auront part à ses souffrances ; les bons, fidèles imitateurs d’Abel, partageront son bonheur. Théodoret, Quæst. in Gen.', q. xlv, P. G., t. lxxx, col. 145. considérait Abel comme le premier fruit de la justice, prématurément coupé dans sa racine. L’auteur du Liber de promissionibus et praedictionibus Dei, part. I, c. vi, P. L., t. li, col. 737, reconnaissat dans Abel et Caïn l’image de deux peuples, les chrétiens et les juifs. Rupert, De Spiritu Sancto, l. VI, c. xviii-xx, P. L., t. cxlvii, col. 1752-1754, appelle Abel le premier des martyrs et il reconnaît en lui la figure de tous les bons comme Caïn est la figure de tous les méchants. Il a été suivi et imité par les martyrs de Rome et en particulier par le diacre saint Laurent, mis à mort à cause des trésors de l’Église ; les persécuteurs suivaient les traces de Caïn. Ailleurs, Comment, in XII proph. min., l. VI, t. clxviii, col. 196, il donne Abel, dont le nom signifie lamentation, comme le premier des pénitents qui annonce au monde la consolation de la rédemption. Le prémontré Adam Scot, Serm. v, n. 2, P. L., t. cxcvm, col. 480, propose Abel comme modèle aux religieux qui s’offrent à Dieu par la profession solennelle. Dans les prières de la recommandation de l’âme, l’Église invoque « saint Abel » pour qu’il intercède en faveur du chrétien qui subit les derniers combats de la vie. Abel était cité en tête des patriarches, des apôtres et des martyrs, nommés dans les dyptiques d’une église irlandaise (missel de Stowe). Duchesne, Origines du culte chrétien, Paris, 1889, p. 200. Les peintres chrétiens, en représentant Jésus-Christ dans les limbes, ont généralement placé Abel au milieu des saints qu’il venait délivrer ; ils l’associent aussi au triomphe du Sauveur dans le ciel. Grimoüard de Saint-Laurent, Guide de l’art chrétien, Paris, 1874, t. v, p. 53 ; Mgr X. Barbier de Montault, Traité d’iconographie chrétienne, Paris, 1890, t. i, p. 260.

2o Abel, figure de Jésus-Christ.

Abel a représenté Jésus-Christ à trois titres distincts :
1. parce qu’il était pasteur de brebis ;
2. à cause du sacrifice qu’il a offert ;
3. en raison de sa mort violente.

1. Comme pasteur de troupeau.

Abel, qui était pasteur de brebis, dit saint Isidore de Séville, Allegorisæ quædam Script, sac, n. 5, P. L., l. lxxxiii, col. 99-100, fut le type du Christ, le véritable et bon pasteur, qui devait venir gouverner les peuples fidèles.

2. Comme sacrificateur.

Le sacrifice d’Abel est le premier des sacrifices offerts par des mains pures ; il a figuré, comme les sacrifices subséquents, le sacrifice du Fils unique de Dieu sur la croix et dans l’eucharistie. Le sacrifice d’Abel fut agréable au Seigneur, parce qu’il était fait des prémices du troupeau. S. Ambroise, Epist., xxxv, n. 9, P. L., t. xvi, col. 1079-1080. Ces prémices plurent au Seigneur, non pas en tant que créatures dégénérées par suite du péché, mais en raison du mystère de grâce qui s’y reflétait. Le sacrifice d’Abel prophétisait donc que nous serions rachetés du péché par la passion du Seigneur, qui est l’Agneau de Dieu. Abel a offert des premiers-nés pour représenter le premier-né des créatures. Id., De Incarnat. Dom. mysterio, c. i, n. 4, P. L., t. xvi, col. 819. La victime d’Abel fut agréable à Dieu, celle de Caïn lui fut désagréable. Jésus-Christ n’a-t-il pas manifesté clairement par là qu’il devait s’offrir pour nous afin de consacrer dans sa passion la grâce d’un nouveau sacrifice et d’abolir le rite du peuple parricide ? Id., In Ps. xxxix enarrat., n. 12, P. L., t. xiv, col. 1061. Pour signifier la passion de notre rédempteur, Abel a offert en sacrifice un agneau ; il a tenu dans ses mains cet agneau qu’Isaïe a annoncé et que Jean-Baptiste a montré du doigt. S. Grégoire le Grand, Moral, in Job., l. XXIX, n. 69, P. L., t. lxxvi, col. 515-516. L’Église dans sa liturgie a reconnu le sacrifice d’Abel comme une figure du sacrifice eucharistique. Dans une préface du Sacramentaire léonien, P. L., t. lv, col. 148, le prêtre chantait : « Immolant constamment l’hostie de la louange, dont le juste Abel a été la figure. » Chaque jour, les prêtres de l’Église romaine récitent à l’autel cette prière qui suit de près la consécration et qui répond à l’épiclèse des Grecs : « Daignez, Seigneur, regarder d’un œil favorable le sacrifice eucharistique comme vous avez daigné accepter les présents de votre enfant le juste Abel, le sacrifice du patriarche Abraham et celui du souverain prêtre Melchisédech. » L’art chrétien a fait ressortir, au cours des siècles, le caractère figuratif du sacrifice d’Abel. Sur des sarcophages des anciens cimetières chrétiens, les Offrandes de Caïn et d’Abel figurent le sacrifice eucharistique. Abel offre un agneau et Caïn une gerbe ou une grappe de raisin. À première vue on s’étonne de constater que Dieu agrée le sacrifice de Caïn aussi bien que celui d’Abel. On a voulu interpréter le geste du Seigneur comme un geste de répulsion ; mais l’examen attentif des dessins n’autorise pas cette interprétation. Si donc les sculptures ont été fidèlement dessinées par Bosio, il faut en conclure que les sculpteurs de ces sarcophages antiques oubliaient les intentions personnelles de Caïn et ne considéraient que la matière de son offrande, le froment ou le raisin, qui signifiaient l’eucharistie aussi bien que l’agneau d’Abel. Une mosaïque de Saint-Vital de Ravenne, qui est du vie siècle, représente à côté de Melchisédech, qui offre sur l’autel le pain et le vin, Abel élevant les mains au ciel et prenant part au même sacrifice. Martigny, Dictionnaire des antiquités chrétiennes, 2e édit., Paris, 1877, p. 2-3 ; Grimoüard de Saint-Laurent, Guide de l’art chrétien, t. iv, p. 29-31 ; t. v, p. 69 ; t. vi, p. 344-346. Sur une plaque gravée, de la fin du xiie siècle, Abel sacrificateur est joint aussi à Melchisédech ; il offre un agneau que Dieu accepte et bénit. Ce vers latin donne la signification de la gravure : Hec data per justum notat in cruce victima Christum. Au portail de la cathédrale de Modène, qui est du xiie siècle, on a gravé cet autre vers : Primus Abel justus defert placabile munus. Caïn est encore représenté avec Abel ; mais son sacrifice qui est « maigre » est repoussé par Dieu. Le vers : Sacrificabo macrum, non ilabo pingue sacrum, lu à rebours, fait dire tout le contraire à Abel : Sacrum pingue dabo, non macrum sacrificabo. Mgr Barbier de Montault, Traité d’iconographie chrétienne, Paris, 1890, t. ii, p. 53, 90-91. Sur la croix de Hohenlohe, du xiiie siècle, Abel et Caïn offrent, l’un un agneau, l’autre une gerbe de blé, sans qu’il y ait entre eux aucune différence ; Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. i, col. 61-66.

3. En raison de sa mort violente.

Abel, tué par Caïn en haine du bien, est encore par ce côté une figure de Jésus-Christ qui, plus juste et plus innocent qu’Abel, a été la victime de la jalousie des Juifs. Cette signification mystique de la mort d’Abel a été esquissée dans le Nouveau Testament. Aux scribes et aux pharisiens hypocrites, qui élevaient des sépulcres aux prophètes, ornaient les monuments des justes et se prétendaient meilleurs que leurs pères qui avaient répandu le sang des prophètes, Jésus-Christ annonça qu’ils étaient les dignes fils des meurtriers des prophètes et qu’ils rempliraient la mesure de leurs pères. Ils tueront, crucifieront et flagelleront les nouveaux prophètes et docteurs qui leur seront envoyés ; ils les poursuivront de ville en ville ; mais tout le sang juste versé sur terre depuis celui du juste Abel retombera sur eux et le châtiment mérité par tant de crimes atteindra la génération actuelle. Matth., xxiii, 29-36. Avant de tuer les apôtres, les Juifs devaient frapper de mort Jésus, reconnu juste et innocent par Pilate, et appeler, sur leurs têtes et sur celles de leurs enfants, la vengeance de son sang. Matth., xxvii, 24-25. C’était par jalousie qu’ils l’avaient livré aux juges, Matth., xxvii, 18, comme Caïn avait tué Abel. Déjà, dans le cours de sa vie publique, ils avaient voulu le lapider à cause du bien qu’il accomplissait. Joa., x, 32. Les vignerons homicides qui, après avoir frappé, tué ou lapidé les serviteurs du père de famille, se saisirent de son fils, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent, Matth., xxi, 35-39, étaient l’image des Juifs, qui immolèrent le Fils de Dieu. La mort de Jésus ne ressemblait pas seulement à celle d’Abel par ces circonstances extérieures ; elle avait une plus grande vertu auprès de Dieu. Le sang d’Abel avait crié vengeance vers le ciel, Gen., iv, 10, et ainsi en raison de sa foi, ce juste avait encore parlé après sa mort. Hebr., xi, 4. Mais le sang répandu de Jésus, le médiateur de la nouvelle alliance, avait été plus éloquent que celui d’Abel, Hebr., xii, 24 ; celui-ci criait vengeance ; celui du Sauveur criait pour implorer la clémence et le pardon.

Les Pères ont développé cet aspect nouveau d’Abel, figure du Christ. Plusieurs ont célébré Abel comme le premier des martyrs. « Imitons, mes frères bien-aimés, écrivait saint Cyprien, Epist., lvi.De exhortatione martyrii, n. 5, P. L.,t. iv, col. 353, le juste Abel qui a inauguré le martyre, puisque le premier il a été occis pour la justice. » Abel, dit-il ailleurs, De orat. domin., n. 24, col. 536, qui avait offert à Dieu un sacrifice, a été lui-même plus tard sacrifié au Seigneur de telle sorte que, donnant le premier l’exemple du martyre, il a annoncé le premier, par la gloire de son sang, la passion du Seigneur, lui qui avait eu la justice de Dieu et sa paix. Et encore, De bono patientiæ, n. 10, col. 628, les patriarches, les prophètes et les justes, qui ont été d’avance les images du Christ, ont tous été des modèles de patience. Tel Abel, le premier martyr et le premier juste persécuté, qui n’a pas résisté à son frère fratricide, mais s’est courageusement laissé tuer comme une victime humble et douce. Abel, écrit saint Athanase, De decretis Nicœnæ synodi, n. 4, P. G., t. xxv, col. 432, a souffert le martyre pour la vraie doctrine qu’il avait apprise d’Adam. Écoutons saint Augustin, Op. imp. contra Julianum, l. VI, no 27, P.L.,t. xlv, col. 1575 : Caïn fut l’auteur de la mort d’Abel. La mort de cet homme juste fut l’œuvre de l’homme méchant. Abel, qui a supporté le mal pour le bien, n’a pas inauguré la mort, mais le martyre, étant la figure de celui que le peuple juif, son méchant frère, a tué. L’Église, dit-il ailleurs, Enarrat. in Ps. cxviii, serm. xxix, t. xxxvii, col. 1589, n’a pas manqué d’exister dès le commencement, du genre humain. Saint Abel en a été les prémices, lui qui a été immolé en témoignage du sang du futur médiateur, qui devait être versé par un frère impie. Et encore, 'Contra Faustum, l. XII, c. ix-x, t. xlii, col. 258-259 : Le Nouveau Testament, qui honore Dieu par l’innocence de la grâce, est préféré à l’Ancien, qui honorait le Seigneur par des œuvres terrestres, de même que le sacrifice de Caïn est rejeté, alors que celui d’Abel est accepté. À cause de cette préférence, Abel, le frère cadet, est tué par Caïn, le frère aîné ; ainsi le Christ, chef du peuple le plus jeune, est tué par le peuple plus ancien des Juifs ; l’un est immolé dans les champs, l’autre au Calvaire. Interrogé par Dieu, Caïn répond qu’il ne sait où est son frère et qu’il n’en est pas le gardien ; interrogé sur le Christ par la voix des Écritures qui est la voix de Dieu, le peuple juif ne sait ce qu’on lui demande. Caïn ment, les Juifs nient faussement. Ils devaient garder le Christ, en recevant la foi chrétienne. La voix divine les accuse dans l’Écriture. Le sang du Christ a sur terre une grande voix, quand tous les païens l’ayant entendue, lui répondent : Amen. Cette voix éclatante de son sang, c’est celle que son sang exprime par la bouche des fidèles rachetés par lui. De son côté, saint Grégoire de Nazianze, Orat., xvi, n.16, P. G., t. xxxv, col. 956, s’écrie : « Elle est terrible l’oreille de Dieu, entendant la voix d’Abel qui parle par son sang muet. » D’après saint Chrysostome, Adversus Judæos, viii, 8, P. G., t. xlviii, col. 939-940, Abel a été tué, parce qu’il avait offert une meilleure victime que Caïn. A-t-il été privé de la couronne du martyre ? Qui oserait le soutenir ? Au témoignage de saint Paul, il faut le placer au nombre des premiers martyrs. Selon Basile de Séleucie, Orat., iv, n. 1, P. G., t. lxxxv, col. 64-65, le juste Abel a passé le premier les portes de la mort. Il était en cela l’ombre du Christ. Il convenait de présager le dogme assuré de la résurrection par le sang d’un juste. La mort, qui frappait un innocent, devait être un jour vaincue, et le Christ est le premier qui soit ressuscité. L’auteur du Liber de promissionibus et prædictionibus Dei, part. I, c.vi, P.L., t.li, col. 738, dit qu’Abel est la figure du Christ, pasteur de brebis, qui a été tué par le peuple juif. Un sermon, attribué à saint Léon le Grand, Serm., iii, De pascha, P.L.,t. li,co. 1134, contient cette vérité que le Messie a été immolé dans la personne d’Abel. Saint Maxime de Turin, Homil., lv, P.L., t. lvii, col. 355-356, répète que, pour figurer Jésus-Christ, le juste Abel a été tué et l’innocent égorgé par l’impiété pour ainsi dire judaïque de son frère. Saint Paulin de Noie écrit de son côté, Epist., xxxviii, n. 3, P. L., t. lxi, col. 359 : Dès le commencement des siècles, le Christ a souffert dans tous les siens ; en la personne d’Abel, il a été tué par son frère. Alcuin, Comment. in Joan., l. I, P.L.,t. c, col. 768, dit dans le même sens : Au premier âge du monde, Abel le juste a été tué par son frère. Le meurtre d’Abel préfigure la passion du Sauveur ; la terre qui ouvre sa bouche et boit le sang de la victime, c’est l’Église qui reçoit le sang du Christ versé par les Juifs pour le mystère de sa rédemption. Saint Paschase Radbert, Exposit. in Matth., l.IX, c. xx, P. L.,t. cxx, col. 675, expose deux aspects du caractère figuratif d’Abel. Abel est la première figure du Christ : il l’a représenté, en offrant et en immolant un agneau ; il montrait ainsi l’agneau qui devait venir. Lui-même a été immolé pour le préfigurer et être par son sang un témoin fidèle. Ici encore, la tradition monumentale a exprimé la même idée que la tradition écrite. Sur un vitrail de Cantorbéry, qui date du xiiie siècle, Abel, par sa triste mort, figure le Christ immolé. Signat Abel Christi pia funera funere tristi. Barbier de Montault, Traité d’iconographie, t. ii, p. 16.

Les écrivains ecclésiastiques, dont nous avons rapporté jusqu’ici les témoignages, n’ont envisagé qu’un seul aspect du caractère figuratif d’Abel. D’autres en ont réuni tous les traits épars et ont fait une description d’ensemble. Saint Cyrille d’Alexandrie, Glaphyr. in Genes., l. I. n. 3, P. G., t. lxix, col. 40-44, a reconnu dans Caïn et Abel le mystère du Christ par qui nous avons été sauvés. Gain représente Israël, le premier-né de Dieu ; Abel, qui était pasteur, est la figure d’Emmanuel, le chef du troupeau ; comme juste, il préfigure le Christ innocent qui, en sa qualité de prêtre, a offert un sacrifice supérieur aux sacrifices de la loi. Israël jaloux a fait périr le Christ, et le sang de Jésus crie vengeance contre les Juifs déicides. Parmi les œuvres de saint Chrysostome on a imprimé un morceau apocryphe, De sacrificiis Caini, de donis Abelis, etc., P. G., t. lxii, col. 719-722. dont l’auteur remarque dans Abel plusieurs traits de ressemblance avec le Christ. De même que le Sauveur fut le chef de ceux qui ont été régénérés après la loi, et le premier juste ; ainsi Abel a été le prince de la justice parmi les premiers hommes. Il fut aussi le premier qui ait combattu pour la justice et qui ait été couronné par Dieu. En cela encore, il a été l’image du Christ qui a souffert pour la justice. Le sang d’Abel a beaucoup d’affinité avec le sang du Christ. Ils enseignent au monde entier la piété. Ils crient tous deux, l’un en suppliant, l’autre en accordant le pardon. Abel, qui était innocent, meurt le premier, portant la peine du péché de son père coupable ; le Christ meurt pour expier les fautes du genre humain tout entier. Un commentaire de l’Apocalypse, inséré parmi les œuvres de saint Ambroise, In Apoc. exposit., P. L., t. xvii, col. 813, contient un tableau analogue. Caïn est la représentation du peuple juif ; Abel, celle du Christ. Le sacrifice de Caïn symbolise les sacrifices temporels du judaïsme ; le sacrifice d’Abel, en tant qu’il est l’offrande des prémices du troupeau, symbolise les apôtres, qui sont les premiers-nés de l’Église ; en tant qu’il est l’offrande de la graisse des victimes, la foi des apôtres. Le Christ a offert à son Père les apôtres et leur foi. Caïn, meurtrier d’Abel, est la figure des Juifs qui font mourir Jésus-Christ et qui, en punition de ce crime, sont devenus un peuple maudit, vagabond sur la terre. L’abbé Rupert, De Trinitate et operibus ejus, In Genes., l. IV, c. ii, iv et v, P. L., t. cxlvii, col. 326, 328-330, a appelé Abel le premier témoin de Jésus-Christ. Son sacrifice, qui vaut par la foi, est la figure de la passion. Tout ce qu’a fait Abel est une parabole du Christ. Pasteur de brebis, il représente le bon pasteur, tué par Anne et Caïphe. Le sacrifice de Caïn est la pâque juive, qui est morte et inanimée ; le sacrifice d’Abel est la pâque chrétienne, qui contient le véritable Agneau de Dieu offert sous les apparences du pain et du vin. Le sacrifice eucharistique est gras ; il est esprit et vérité. Abel, assassiné dans la campagne, annonce Jésus-Christ qui a souffert en dehors des portes de Jérusalem. Enfin, saint Brunon d’Asti, évoque de Segni, Exposit. in Gen., P. L., t. clxiv, col. 172-173, a reconnu dans Abel, pasteur, le Christ dont nous sommes les brebis et que les Juifs, ses frères, ont fait cruellement mourir. Caïn est l’image du peuple juif ; Abel, celle du Christ crucifié en dehors de la ville ; son sang qui crie, celle du Christ qui demande pardon. Il crie encore, pour représenter l’Église qui garde le souvenir de la passion. Les théologiens et exégètes modernes n’ont pas oublié l’enseignement de l’antiquité sur Abel, figure du Christ.

Signalons seulement Bossuet, Élévations sur les mystères, 8e semaine, 4e élévation ; Œuvres complètes, Besançon, 1836, t. iii, p. 58-59, et Mgr Meignan, Les prophéties contenues dans les deux premiers livres des Rois, Paris, 1878, p. lv, et L’Ancien Testament dans ses rapports avec le Nouveau, De l’Éden à Moïse, Paris, 1895, p. 195-201.

E. Mangenot.