Dictionnaire de théologie catholique/ACTES DES APOTRES

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 1.1 : AARON — APOLLINAIREp. 179-187).

ACTES DES APOTRES. Un premier article sera consacré au livre des Actes des apôtres ; un second, au verset 18 du chapitre xix de ce livre ; un troisième aux Actes apocryphes des apôtres.

I. ACTES DES APOTRES (TlpâÇecç’Atzoazôlwv ; Acta ou Actus apostolorum). —
I. Auteur.
II. Date.
III. But.
IV. Texte et versions.
V. Commentaires principaux.
VI. Renseignements doctrinaux.

I. Auteur.

Les Actes des apôtres sont attribués à saint Luc par le concile de Trente : Actus apostolorum a sancto Luca conscripli, sess. IV. Cette attribution est pleinement justifiée par les témoignages traditionnels et par l’examen intrinsèque du livre. — 1° Il est certain que, vers le milieu du n* siècle, l’Église romaine regardait saint Luc comme l’auteur des Actes. Le canon de Muratori (160-170) dit en effet : Acta autem omnium apostolorum sub uno libro scripta sunt. Lucas optime Théophile comprehendit, quia sub prsesentia ejus singula gerebantur. Saint Irénée, qui réunit en sa personne les traditions de l’Asie et de la Gaule, s’exprime ainsi, après avoir rapporté plusieurs faits des Actes : Omnibus his cum adesset Lucas, diligenter conscripsit ea, uti neque mendax neque elatus deprehendi possit. Cont. hxr., III, xiv, 1, P. G., t. vii, col. 914. Clément d’Alexandre, Strom., V, 12, P. G., t. ix, col. 124 : Sicut et Lucas in Actibus apostolorum commémorât Paulumdicenlem : Viri A Ihenienses… Et il cite le commencement du discours à l’Aréopage. Act., xvii, 22. Tertullien, De jejun., x, P. L., t. ii, col. 966 : Porro, cum in eodem commentario Lucm et tertia hora oralionis demonslretur, sub qua Spiritu Sancto iniliati pro ebriis habebantur, et sexta, quaPelrus ascendit in superiora. Cf. Act., il, 15 ; x, 9. Enfin Eusèbe de Césarée, qui résume les anciennes traditions dans son Histoire ecclésiastique, , range les Actes parmi les livres canoniques, admis sans contestation, Ta Ô ! /.o).oyo’Vsva, H. E., iii, 25, P. G., ’t. xx, col. iTS, et les attribue nettementà saint Luc. H. E., ni, 4, P. G., t. XX, col. 220. — 2° L’examen intrinsèque du livre confirme puissamment les témoignages traditionnels. « Une chose est hors de doute, dit M. Renan lui-même, Les apôtres, Introd., p. X, c’est que les Actes ont eu le même auteur que je troisième Évangile, et sont une continuation de cet Évangile. On ne s’arrêtera pas à prouver cette proposition, laquelle I n’a jamais été sérieusement contestée. Les préfaces qui sont en tête des deux écrits, la dédicace de l’un et de l’autre à Théophile, la parfaite ressemblance du style et des idées, fournissent à cet égard d’abondantes démonstrations. » Étant donné en effet que l’unité de style dans tout l’ouvrage suppose l’unité d’auteur ; que l’emploi du pluriel, nous, à partir du chapitre XX, révèle clairement un compagnon de saint Paul, de même que les détails du récit montrent un témoin souvent oculaire ; qu’entre les Actes et le troisième Évangile, il y a une visible parenté de style, de procédé et de doctrine générale ; que le livre tout entier dénote une science historique approfondie du monde grec et romain ; qu’enfin tous ces caractères réunis conviennent parfaitement à la personne de saint Luc, sans qu’aucun autre écrivain puisse se prévaloir des mêmes titres : on doit conclure logiquement qu’il est l’auteur véritable des Actes des apôtres. Voir Revue biblique, juillet 1895, p. 322-326. — Aussi bien toutes les tentatives faites par les rationalistes pour expliquer autrement l’origine de ce livre sont des hypothèses gratuites et souvent invraisemblables. Voir Vigouroux, Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 155. On commence d’ailleurs, dans le monde rationaliste, à revenir sur ce point au sentiment traditionnel de l’Église catholique. Voir M. Blass, Acla apostolorum sive Lucie ad Theophilum liber aller, Gœttingue, 1895 ; A. Harnack, Lukas der Arzt, etc., Leipzig, 1906 ; Die Apostelgeschichte, 1908.

IL Date. —

La tradition est muette sur la date précise et le lieu de la composition des Actes. On admet généralement, parmi les catholiques, qu’ils ont été rédigés ou du moins terminés à Rome, l’an 64, à la fin de la seconde année de la captivité de saint Paul. Cette période de la vie de l’apôtre, étant relativement calme, fournissait à saint Luc, qui vivait encore avec lui, une occasion favorable pour écrire son livre. Cette conclusion est suggérée par la brusque interruption du récit, précisément à ce moment, sans nous faire connaître l’issue d’un procès dont les péripéties antérieures ont été soigneusement racontées. — La plupart des critiques protestants et rationalistes assignent une autre date aux Actes. Les uns, comme M. Harnack, Die Chronologie der altchristlichen Literatur, il, 1, Leipzig, 1897, les placent sous le règne de Domitien, vers l’an 93. Les autres, comme Baur ( + 1860) et son école, en reculent la date jusqu’au IIe siècle. Cette dernière opinion est d’ailleurs généralement abandonnée aujourd’hui, et avec infiniment de raison. Quant à la date assignée par M. Harnack, elle est rejetée par des critiques tels que M. Blass, qui préfère, en somme, la date traditionnelle.

III. But. —

Les Actes ont pour but de raconter, pour les générations futures, les origines et la diffusion de l’Église, d’abord parmi les Juifs, i-ix, ensuite parmi les païens, x-xxviii. En d’autres termes, ils montrent la marche du christianisme dans le monde, pendant trente ans environ, en suivant le chemin indiqué par Jésus-Christ lui-même. Act., I, 8. Le rôle de saint Pierre est prépondérant dans la première partie, I-ix, et celui de saint Paul dans la seconde, x-xxviii. — Outre ce but premier des Actes, faut-il en admettre un autre, qui serait l’apologie de saint Paul, et l’intention arrêtée chez l’auteur de montrer, dans l’histoire du développement de l’Église, l’accord complet qui existait entre saint Pierre et l’apôtre des gentils, leur entente absolue au point de vue dogmatique et disciplinaire ? Certains catholiques, comme le P. Semeriai, Revue biblique, juillet 1895, p. 320, croient devoir donner à cette question une réponse affirmative, en maintenant, bien entendu, contre l’école rationaliste de Tubingue, qui soutient une opinion analogue, l’historicité’et la véracité absolue des Actes. Là où Baur ne voit qu’une préoccupation apologétique, inspirant l’œuvre de saint Luc et la transformant en une sorte de roman historique où les faits seraient altérés de parti pris, pour concilier les partis opposés de saint Pierre et de saint Paul, le P. Semeria proclame l’existence de faits rigoureusement historiques, mis au service d’une thèse de conciliation, par un emploi judicieux des documents que l’auteur avait à sa disposition. Cette théorie est ingénieuse ; mais plusieurs la trouvent contestable.

IV. Texte et versions. —

I. texte. —

Saint Luc écrivit les Actes en grec, un grec régulièrement pur, mêlé pourtant de nombreux araméismes, surtout dans la première partie de son travail. Les principaux manuscrits du texte sont de deux sortes : les onciaux, ou à écriture majuscule, et qui sont les plus anciens ; les cursifs, ou à écriture courante et minuscule, qui vont du xe au xve siècle. Parmi les onciaux, les principaux sont : le Vaticanus (B), IVe siècle ; le Sinaïticus (n), IVe s. ; VAlexandrinus (A), V s. ; le codex Eplirsemi (C), V s. ; le codex Bezse ou Canlabrigiensis (D), grec et latin, vi" s. ; le Laudianus (E), grec et latin, VI s. On peut y ajouter, quoique moins importants, le Mutinensis (H), IX" s. ; VAngelicus (L), IX" s. ; le Porfirianus (P), palimpseste, IX" s. — Les cursifs représentent en général un texte bien inférieur aux onciaux ; pourtant les manuscrits 13, 31, 61, 137, 180 oll’rent çà et là des leçons très anciennes et dignes d’attention.

D’après les critiques les plus récents et les plus autorisés, Westcott et Hort, The New Testament in the greek original, Londres, 1881 (2e édit., 1896), c’est le Vaticanus qu’il faut suivre de préférence pour reconstituer le plus possible le texte primitif original, tel qu’il sortit de la plume de saint Luc. — Parmi les autres manuscrits onciaux, le codex Bezse a une importance spéciale, parce que, selon Westcott et Hort, loc. cit., t. il, p. 149, « il donne, mieux qu’aucun autre manuscrit grec, une fidèle image de l’état où les Actes étaient généralement lus au un et probablement une bonne partie du ile siècle. » En outre, il sert de base à une théorie récente sur l’origine des Actes. S’il faut en croire en effet M. Blass, qui a formulé le premier cette théorie, loc. cit., Introd., saint Luc aurait donné successivement deux éditions de son livre : la première compterait pour témoins principaux le codex Bezse, le palimpseste latin de Fleury et la version syriaque philoxénienne ; la seconde serait celle que représente l’immense majorité des manuscrits et des versions. Cette théorie a eu pour résultat d’attirer l’attention des critiques sur la recension occidentale du texte et de lui faire reconnaître une plus grande valeur qu’on ne croyait auparavant. — Parmi les manuscrits cursifs, le 2 et le 4, d’origine byzantine et tardive, méritent d’être signalés, parce qu’Érasmes’estservi d’euxseulspourconstituer le premiertexlo imprimé des Actes, qu’il publia en 1516, et qui est devenu ensuite, avec de légères modifications, le célèbre textus receptus, dont les protestants ont beaucoup exagéré la valeur. La plupart le reconnaissent d’ailleurs aujourd’hui.

II. VEftsioxs. —

Les anciennes versions ont une importance critique considérable, et souvent égale, parfois même supérieure à celle des manuscrits, quand leur antiquité est bien constatée, parce qu’elles représentent alors. un texte plus ancien. Les principales sont : les latines, les syriaques et les égyptiennes. — La plus ancienne version latine des Actes est appelée communément italique, depuis saint Augustin, qui la préfère aux autres versions ou recensions existant à son époque. De doctr. christ., Il, 15, P. L., t.xxxiv, col. W. Elle date peut-être du milieu du IIe siècle. Vers la fin du ive siècle, saint Jérôme en donna une revision, qui fait partie de la Vulgate actuelle. Les principaux manuscrits des Actes ainsi revisés sont VAmiatimis et le Fuldensis, ive siècle. Voir Wordsworth et White, Novum Testamentum D. N. J. C. latine, Oxford, 1905, t. ii, fasc. 1 er. L’édition oflicielle dans l’Église est celle de Sixte-Quint, revue et corrigée par ordre de Clément VIII. Les lois ecclésiastiques défendent de rien changer à la troisième édition clémentine, parue en 1598. — La principale et la plus ancienne des versions syriaques est la Peschito, du iie siècle, qui est remarquable par son exactitude générale et sa littéralité. Nous ne la possédons plus aujourd’hui, selon Westcott et Hort, que dans un texte complètement revisé, au ni" ou ive siècle, par ordre de l’autorité ecclésiastique. Plus tard, en 508, une nouvelle traduction, presque servile, fut faite par les soins de l’évêque Philoxène. Elle fut revisée en 616 par Thomas d’Héraclée. Il y a enfin une troisième version syriaque, dite de Jérusalem, que Tischendorf place au ve siècle, et d’autres critiques à une époque plus basse. — Les versions égyptiennes ou coptes sont la version bohaïrique, du iie siècle, qui les complète ; et la version sahidique, du me siècle, qui est fragmentaire. — Notons encore la version éthiopienne, du IV ou ve siècle ; la version arménienne, du Ve siècle.

V. Commentateurs principaux. —

1° Anciens :

S.. Jean Chrysostome, quia soixante Rome lies sur les Actes, P. G., t. li, col. 65-124 ; t. lx, col. 13-384 ; Cassiodore, Complexiones in Aclus apost., P. L., t. lxx, col. 1381-1406 ; V. Bède, Expositio super Acta apost. et Liber relractationis in Actus apost., P. L., t. xen, col. 937-1032 ; Théophylacte, In Acta apostolorum, P. G., t. cxxv, col. 483-1132. —

2° Modernes. Érasme, Adnotationes, Bâle, 1516 ; Va table, Adnotationes, Paris, 1545 ; Gagnrrus, Scholia, Paris, 1552 ; Arias Montanus, Elucidalionesin Acta, Anvers, 1575 ; Luc de Bruges, Notationes, Anvers, 1583 ; Lorin, S. J., In Acta apost. commentaria, Lyon, 1605 ; G. Sanchez, S. J., Commentarii in Aclus apost., Lyon, 1616 ; Fromond, Actus apostotorum… illustrait, Louvain, 1654. — 3’Au xix< siècle, parmi les catholiques : Beelen, Comment, in Acta apost., 2 in-4o, 2e édit., Louvain, 1864 ; Patrizi, S. J., Invctusapost. commentarii, Borne, 1867 ; Bisping, ExegetischesHandbuch, Munster, 1871, t. iv ; Crelier, Les Actes des apôtres, Paris, 1883 ; J. Felten, Die Apostelgeschichte, 1892 ; J.Knabehbauer, Comment, in Aclus apost., Paris, 1899 ; J. Belser, Die Apostelgeschichte, 1985. — Parmi les protestants : Baur, Paidus der Apostel, 1867 ; Baumgarten, Apostelgeschichte, 1852 ; Page etWalpole, The Acts of the Apostles, 1895 ; Nosgen, Commentar ùber die Apostelgescldchle des Lukas, 1892 ; Wendt, Die Apostelgeschichte, 8e édit., 1899 ; H. HolUmann, Die Apostelgeschichte, 3° édit., 1901 ; Backham, The Acls of the Aposlels, 1901, etc.

VI. BENSEIGNEMENTS DOCTRINAUX. —

I. DIVINITÉ DU CBRiSTiANiSME. —

Trois" classés générales de faits concourent à l’établir. Ce sont :
1° le témoignage des apôtres ;
2° leurs miracles ;
3° les caractères principaux de l’Église naissante. —

1° Le témoignage des apôtres.

— Le but principal que se proposent les apôtres, dans leurs discours aux Juifs, est de prouver que Jésus de Nazareth est le Messie divin annoncé et attendu depuis des siècles : il, 36 ; iv, 27 ; x, 37, 38 ; ix, 22 ; xvii, 3 ; xviii, 28 ; d’où il suit que le christianisme est une religion divine. Or, pour faire cette démonstration et atteindre leur but, les apôtres se servent de deux moyens : 1. Ils affirment le grand fait de la résurrection de Jésus, et ils se donnent, avant tout, comme les témoins autorisés de ce miracle : I, 22 ; il, 32 ; iii, 15 ; iv, 33 ; v, 32, etc. C’est la fonction première de leur apostolat et comme le résumé de leurs discours. Et cette.affirmation est l’expression sincère d’une connaissance certaine : leur attitude devant le sanhédrin, iv, v, prouve leur sincérité ; cl leurs relations antérieures avec Jésus, i, 2. 3, 21, 22, ainsi que leur science des Écritures, II, 24-36, démontrent leur compétence. — 2. Us citent et interprètent l’Écriture, en appliquant à Jésus divers passages messianiques de l’An cien Testament, spécialement ceux qui concernent sa résurrection, ii, 24-36 ; xiii, 16-38, etc. —

2° Les miracles des apôtres.

— Ces miracles prouvent la divinité de leui mission, et, par conséquent, de la religion qu’ils enseignent. Les Actes signalent, d’une façon générale, « les nombreux prodiges et miracles que faisaient les apôtres, » ii, 43 ; v, 12, etc. ; et, en particulier, plusieurs miracles éclatants de saint Pierre, m ; ix, 33-35 ; ix, 36-42 ; et plusieurs de saint Paul, xiii, 11 ; xiv, 9 ; xvi, 18 ; xix, 12 ; xx, 10 ; xxviii, 5, 8, 9. —

3° Caractères principaux de l’Eglise naissante. —

1. L’intervention miraculeuse du Saint-Esprit dans la fondation définitive de l’Église, à la Pentecôte, ii, 1-5. —
2. La vie fervente des premiers chrétiens, il, 44-47 ; iv, 32. —
3. La propagation rapide et le développement considérable du christianisme dans la Palestine, il, 41 ; iv, 4 ; v, 14 ; viii ; ix, 31 ; dans la Phénicie, à Chypre, et jusqu’en Syrie, xi, 19-22, en une douzaine d’années ; puis dans la Cilicie, la Macédoine, l’Achaïe et l’Asie, xv-xxi, et jusqu’à Borne, xxviii, 24, 31, en une vingtaine d’années. —

4° Le courage des apôtres et des disciples,

iv, 13, 19, 20 ; v, 40, 41, etc., courage poussé parfois jusqu’au martyre, vii, 59 ; xii, 2. — 5. La sollicitude miraculeuse de Dieu pour les apôtres, v, 19, et spécialement saint Pierre, xii, et saint Paul, xvi.

II. ECCLÈsiowGiE. —

L’Église nous apparaît, dès l’origine :
1° comme une société autonome et distincte du judaïsme ;
2° pourvue d’une hiérarchie qui se développe suivant les circonstances ;
3° munie de ses pouvoirs et de ses caractères essentiels. —

1° Quoique recrutée exclusivement, à l’origine, au sein du judaïsme, l’Église en était néanmoins profondément distincte, par la doctrine spéciale qu’elle professait, ii, 42 ; iv, 32-35 ; par ses rites sacramentels, le baptême et la fraction du pain, ii, 41, 42 ; par ses réunions spéciales dans des maisons privées, à Jérusalem, pour la fraction du pain, ii, 46. Cette distinction s’accentua bien davantage quelques années après, par la conversion et l’introduction des païens dans l’Église, xi, ainsi que par le6 décisions du concile de Jérusalem, xv, qui étaient l’abrogation implicite des observances mosaïques. —

2° L’Église naissante fut d’abord gouvernée par le seul collège apostolique, ii, 42 ; IV, 32-35, etc. Mais bientôt les apôtres durent s’adjoindre des collaborateurs, appelés diacres, pour les aider dans les services d’ordre matériel, et sans doute aussi d’ordre liturgique, vi, 1-6. Peu après, les Actes signalent une autre catégorie de pasteurs, appelés tantôt du nom de upso-êuTÉpoc, que la Vulgate traduit indifféremment par seniores, presbyteri, majores natu, et tantôt du nom de iniTAÔnoi, episcopi. Cf. xx, 28 ; xx, 17. Cette terminologie un peu ilottante semblerait indiquer que le presbijtérat et Yépiscopal (voir ces mots) n’étaient pas encore, à ce moment précis, deux fonctions nettement séparées, et militerait en faveur de l’opinion qui veut que l’épiscopat unitaire ait seulement existé après la mort des apôtres. En revanche, d’autres passages des Actes montrent clairement que l’Église de Jérusalem, à tout le moins, était déjà gouvernée par un évoque proprement dit, saint Jacques. Ce qui le prouve, c’est la place exceptionnelle que tient ce personnage dans l’église en question, xii, 17 ; xv, 13 ; xxi, 18. Au sein du collège apostolique lui-même, la prééminence de saint Pierre est visible. Il fait acte d’autorité, en prenant l’initiative de l’élection d’un douzième apôtre, dont il proclame la nécessité et les conditions, i, 15-23 ; en châtiant sévèrement la faute d’Ananie et de Saphire, v, 1-11 ; en flétrissant le crime de Simon le magicien, viii, 20-24 ; en recevant, le premier, les Juifs et plus tard les gentils au sein de l’Église, ii, 41 ; x, 9-18 ; en étendant sa sollicitude non seulement sur le collège apostolique, qu’il venge de la calomnie, il, 15-21, mais sur toutes les églises particulières qu’il parcourt et visite, ix, 32 ; en tranchant, au concile de Jérusalem, par une déclaration doctrinale importante, la question de principe qui était agitée sur les observances mosaïques, xv, 7-12. Son incarcération par Hérode et sa délivrance par un ange sont environnées de tous les caractères qui supposent en lui un chef de parti, xii, 1-12. Enfin, considéré comme prédicateur et comme thaumaturge, ses discours et ses miracles ont, dans la première partie des Actes, un relief et une importance bien supérieurs à ceux des autres apôtres, dont il est le porte-parole, i, 15-23 ; il, 14-41 ; III j IV, 8-13 ; v, 3-9, 15, etc. —

3° L’Église est déjà munie de ses caractères et de ses pouvoirs essentiels. Elle est une, quoique dispersée en divers pays, IX, 31 ; sainte, dans ses chefs qui souffrent avec joie pour le Christ, v, 41, et dans ses membres qui mènent la vie fervente, II, 44-47 ; IV, 32, 34, 35 ; enfin catholique, en ce sens que son divin fondateur a prédit son extension jusqu’aux extrémités de la terre, i, 8, et que les apôtres ont donné à cette prédiction, dans l’espace d’une trentaine d’années, une exécution magnifique, quoique partielle. Act., passim. — L’Église exerce son pouvoir doctrinal par une prédication ininterrompue, passim, et par des décisions dogmatiques, xv, 11, 19, 28 ; son pouvoir d’ordre, par la collation du baptême, ii, 41, etc., l’imposition des mains, VI, 6 ; viii, 17 ; xin, 2, 3, etc., la fraction du pain, ii, 42, 46, etc. ; son pouvoir disciplinaire, par les décrets du concile de Jérusalem, xv, 29.

/II. théologie (proprement dite). —

Les Actes mentionnent :
1° l’existence d’un Dieu créateur, conservateur et providence dumonde, facile à connaître, xvii, 24-30 ; ses pri ncipaux attributs, tels que sa puissance, v, 30, 31, etc., sa justice, v, 1-11 ; xii, 23, etc., sa miséricorde, IX, etc. ; —
2° le dogme de la Trinité : le Père, i, 7 ; ii, 22, 33, 36 ; m, 13, 18, 26, etc. ; le Fils, iii, 13, 26 ; iv, 27, 30 ; ix, 20, etc. ; le Saint-Esprit, i, 8, 16 ; ii, 4 ; iv, 25 ; v, 3, 4, 32 ; vii, 51, etc. Sans doute, parmi les passages où le Saint-Esprit est mentionné, il en est quelques-uns qui sont un peu vagues, et qui visent plutôt une grâce ou un simple don fini qu’une personne divine ; mais la plupart démontrent ou supposent clairement la personnalité de l’Esprit-Saint. Les opérations qu’on lui attribue sont en effet des opérations personnelles, i, 16 ; ii, 38 ; v, 3, 19 ; vii, 51 ; ix, 31 ; xi, 12 ; xiii, 4, etc. Il y a même des textes qui l’appellent expressément Dieu.v, 3, 4 ; xxviii, 25-29. Parmi les œuvres qui lui sont attribuées spécialement, on remarque son action merveilleuse sur les apôtres, ii, 1-5 ; iv, 8 ; v, 32 ; xiii, 2, 4 ; l’assistance qu’il leur fournit pour les décisions dogmatiques, xv, 28 ; l’effusion de la grâce en général, ii, 38, surtout par le sacrement de confirmation, vin, 15-17 ; certaines faveurs extraordinaires, appelées depuis grâces gratis datai, x, 44-46 ; xix, 6.

iv. cbristologie. —

Non seulement Jésus de Nazareth est le Messie ou le Christ, ii, 36 ; ix, 22 ; xvii, 3 ; XVIII, 28 ; mais il est aussi Fils de Dieu, iii, 13, 26 ; iv, 30 ; vin, 37 ; IX, 20 ; et Dieu Jui-même, xx, 28, puisque, d’après le texte, le sang au prix duquel l’Église a été achetée est le propre sang de Dieu. Ce dernier passage, xx, 28, prouve en même temps que Jésus-Christ est à la fois Dieu et homme, et qu’il possède ses deux natures dans l’unité d’une même personne, puisque c’est le même qui est Dieu et qui a acheté l’église au prix de son sang. C’est aussi une preuve de la légitimité de la communication des idiomes. — Quarante jours après sa mort, Jésus est monté au ciel, où il est à la droite du Père, I, 3, 9-11 ; vu, 55, 56. En dehors de lui, il n’y a pas de salut pour les hommes, iv, 12. Il a été établi juge des vivants et des morts, x, 12 ; et, de même qu’il est monté au ciel le jour de l’Ascension, de même il reviendra plus tard, i, 11.

V. GRACE ET SACREMENTS. —

1° Jésus-Christ est le principe universel et indispensable du salut, iv, 2 ; car il a acquis l’Église au prix de son sang, xx, 28. C’est donc par sa grâce que tous les hommes, Juifs et gentils, doivent être sauvés, xv, 11. La condition nécessaire du salut est la foi sincère en Jésus-Christ, Fils de Dieu, viii, 37 ; xvi, 31 ; et, en outre, le repentir du péché commis, quand il s’agit des adultes, il, 38 ; iii, 19. —
2° On ni oit alors le baptême, qui efface les péchés, il, 38. Le baptême est conféré, dans les Actes, « au nom de Jésus-Christ, » c’est-à-dire, d’après le texte grec (eêç tô ôvo|j.a, xix, 5 ; iizi tu ovo|aocti, ii, 38), pour appartenir au Christ et être agrégé à sa religion, sur le fondement de son nom. C’est par opposition au baptême de saint Jean-Baptiste que les Actes parlent du baptême « au nom de Jésus », autrement dit du baptême chrétien. Le baptême s’administre avec de l’eau naturelle, qui en est ainsi la matière éloignée, viii, 36, 38 ; x, 47. Le mode d’application de l’eau n’est pas indiqué, sauf pour le baptême de l’eunuque de la reine Candace, où le baptisant et le baptisé descendirent tous deux dans l’eau et remontèrent ensuite, ce qui suppose le baptême par immersion, viii, 38, 39. Trois autres passages, ix, 18 ; xvi, 33 ; xxii, 16, où il est question de baptêmes donnés à l’intérieur des appartements, ne peuvent guère s’expliquer que dans l’hypothèse d’un baptême conféré par infusion. Le soin de baptiser était d’ordinaire confié par les apôtres à des ministres inférieurs, viii, 12, 13, 38 ; ix, 18 ; x, 48. —
3° Les nouveaux chrétiens recevaient ensuite, par l’imposition des mains des apôtres, le Saint-Esprit, c’est-à-dire un sacrement distinct du baptême, la confirmation, vin, 15-17 ; xix, 6. Il y a en effet, dans ce rit, un signe sensible et sacré, producteur de la grâce, puisqu’il attire le Saint-Esprit dans les âmes ; ayant le caractère d’une institution permanente, comme le laisse entendre saint Pierre, il, 38 ; accompli seulement sur les chrétiens déjà baptisés, et par le ministère des seuls apôtres. L’effusion du Saint-Esprit était parfois accompagnée de dons extraordinaires, xix, 6 ; mais ce n’était là que l’effet accidentel et passager du sacrement. —
4° La « fraction du pain », xXafftç to - j apxo’j, et la « communion », xoivtovta, dont il est parlé aux chapitres ii, 42, 46 ; xx, 7, n’est pas autre chose que l’eucharistie. La preuve en est la ressemblance étroite de ces formules avec celles du récit de la Cène, Matth., xxvi, 26 ; Luc, xxii, 19 ; xxiv, 35. Cf. I Cor., x, 16. L’acte liturgique marqué d’une façon un peu vague, xiii, 2 (XscTovpyoûvTwv ot’jTàiv), paraît aussi désigner l’eucharistie, mais considérée surtout comme sacrifice. —
5° Les Actes mentionnent-ils aussi le sacrement de pénitence, ou du moins la confession sacramentelle, dans le passage bien connu xix, 17-20 ? Nous l’examinerons à l’article suivant. —
6° Il y a enfin un rit spécial pour constituer les ministres sacrés et les investir de fonctions particulières, vi, 1-7 ; xiii, 2, 3 ; xiv, 22 ; xx, 28. Ce rit, appelé depuis ordre, consiste dans l’imposition des mains des chefs ecclésiastiques, est appliqué sous l’action du Saint-Esprit, et confère des pouvoirs particuliers et publics dans l’Église. Il offre ainsi les caractères essentiels d’un sacrement. Cf. I Tim., iv, 14 ; v, 22 ; II Tim., i, 16.

VI. DOGMES DIVERS. —

1° L’existence des anges et leur ministère auprès des hommes, v, 19 ; viii, 26 ; x, 3, 7 ; xi, 13 ; xii, 7-16 ; xxvii, 22. —
2° L’unité de l’espèce humaine, xvii, 26 ; et l’étroite dépendance de l’homme vis-à-vis de Dieu, xvii, 28. —
3° La résurrection et le jugement, iv, 2 ; x, 42 ; xvii, 31, 32 ; xxiii, 6 ; xxiv, 15, 21, 25. —
4° La nécessité et l’efficacité de la prière, iv, 31 ; vi, 4 ; x, 2, 4 ; xii, 5 ; xxvii, 24, etc. —
5° Le mérite de l’aumône, ix, 36 ; x, 2, 4, etc. Voir les articles du Dictionnaire consacrés aux divers points de doctrine qui viennent d’être indiqués. J. Bellamy.

II. ACTES DES APOTRES, XIX, 18.

Multiquc c.rcdentium veniebant confitentes et annuntiantes actus suos.

Et beaucoup de ceux qui avaient cru venaient confesser et déclarer leurs actions.

HoXXoÉ TE D, 7toXXoî 8e) TCÔV TrETtl<TTEUX.6T(jùV îîp)(OVTO. éi ; o|Ao).o"fO’itJ.svoi xa àvafféXXovTEç tàç 71pdcSei< ; aûnôv.

Il est raconté, dans les versets précédents, que certains juifs d’Éphèse avaient essayé inutilement de chasser, au nom du Christ, le démon d’un possédé, lequel même s’était jeté sur eux et les avait maltraités. « Ce fait, dit le texte, fut connu de tous les juifs d’Ephèse ; ils furent saisis de crainte et ils glorifiaient le nom du Seigneur Jésus. Et beaucoup du ceux qui avaient cru, etc. » Le texte ajoute que beaucoup aussi brûlèrent publiquement ieurs livres de magie, représentant une valeur de cinquante mille deniers ; et il conclut qu’ainsi la parole de Dieu croissait et était confirmée. Act., xix, 13-21.

De quelle confession s’agit-il dans le verset 18 ? La discussion du texte, à peu prés complètement négligée par les Pères (voir pourtant Œcuménius, P. G., t. cxviii, col.252), n’a pris une certaine importance, dans l’histoire de l’exégèse, que depuis les controverses nées au xvie siècle entre catholiques et protestants. Ceux-ci objectant que l’Écriture ne mentionne nulle part la pratique de la confession sacramentelle, les théologiens catholiques furent amenés à étudier de plus près le texte des Actes, et plusieurs crurent y trouver une réponse à l’objection qu’on leur faisait. Un des principaux fut Bellarmin, qui discuta assez longuement le texte dans ses Controverses, De psenitenlia, l. III, c. iv, Lyon, 1590, t. ii, p. 1624. Mais son exégèse est un peu sommaire, et il s’applique surtout à réfuter Luther et Calvin qui, contrairement à l’évidence, voyaient dans les mots actus suos, Ta ; itpâÇec ; , non des actions coupables, mais des actions miraculeuses. Les commentateurs du xviie et du xviiie siècle étudièrent plus sérieusement ce passage, en aboutissnnt d’ailleurs à des conclusions différentes. L’opinion qui se prononce pour la confession sacramentelle est surtout représentée par Cornélius a Lapide, Commentarius in Acla apostolorum, Anvers, 1698, p. 290. L’opinion négative, qui ne voit dans le texte qu’une confession semblable à celle qu’exigeait le précurseur avant de conférer son baptême, est défendue surtout par Estius, Annotationes in prsecipua ac difficiliora sacrae Scripturæ loca, Paris, 1663, p. 601, et par Lorin, Commentarius in Actus, Cologne, 1617, p. 715. Entre ces deux opinions, quelques exégètes ne veulent pas se prononcer, sous prétexte que les deux s’équilibrent. De ce nombre est Calmet. Commentaire littéral sur les Actes des apôtres, Paris, 1726, p. 979, rangé à tort parmi les partisans delà première opinion par Crelier, Les Actes des apôtres (collection Lethielleux, Paris, 1883, p. 233. — Les deux opinions ont continué, au xixe siècle, à diviserles interprètes, avec cette différence que les partisans de la première semblent avoir moins de valeur exégétique, si l’on excepte cependant le P.Corluy, qui a su l’exposer avec une force et une netteté inconnues de ses prédécesseurs, dans son Spicilegium dogmatico-biblicum, 1881, p. 444-448. L’autre interprétation est surtout représentée par Beelen, Commentarius in Acta apostolorum, Lou vain, 1850, t. il, p. 132-134 ; Patrizi, In Actus commentant, Rome, 1867, p. 153 ; Cambier, De divina inslitutione confessionis sacramentalis, Louvain, 1884. Voir t. iii, col. 833-834.

La question, dit avec raison, M. Vacant, dans Vigoureux, Dictionnaire de la Bible, art. Confession, t. H, col. 915, revient à savoir si les croyants qui venaient ainsi confesser leurs actions étaient baptisés, oui ou non ; car, s’ils avaient reçu le baptême, il y a lieu de regarder leur confession comme sacramentelle ; et s’ils n’étaient pas baptisés, la chose est impossible. L’opinion affirmative invoque les raisons suivantes : 1° Le terme de « croyants » désigne, dans le Nouveau Testament, les fidèles baptisés. Act., ii, 44 ; iv, 32 ; v, 14 ; xv, 5 ; xxi, 20, 25 ; Ephes., i, 19, etc. — 2° Il y a ici une raison spéciale de donner ce sens au mot TOiufjTsuxdTwv, car le texte distingue ces « croyants » des juifs et des gentils dont il est question au verset précédent. Sans doute, cette distinction ne paraît pas nettement dans le grec, où il y a uoXXot te, et non uoXXoî ôè ; mais c’est une leçon qui n’est pas absolument certaine, attendu qu’il y a uoXXoi 8e dans l’important manuscrit D (voir l’art. Actes des apôtres) ainsi que dans les versions coptes. — 3° Il est plus naturel de penser que les Éphésiens ainsi amenés, par la crainte du démon, à avouer leurs fautes et à se défaire de leurs livres de magie, étaient des chrétiens dont la conscience n’était pas tranquille. Cet aveu se comprend moins chez des juifs et des gentils, même disposés à se convertir, car ils ne pouvaient pas songer à recevoir l’absolution sacramentelle, et ils avaient d’ailleurs le baptême à leur disposition. — L’opinion négative fait valoir les arguments suivants : 1° Le terme de « croyants » ne s’applique pas exclusivement aux baptisés, dans les Actes des apôtres ; il désigne aussi des catéchumènes non baptisés. Act., xi, 21 ; xviii, 8. Le P. Corluy reconnaît lui-même que le mot 7rE7u<rTsuxdT<j>v ne signifie pas nécessairement, malgré sa forme passée, des fidèles baptisés depuis un certain temps, mais peut désigner l’état d’esprit des juifs et des païens qui avaient été impressionnés par les événements racontés dans les Actes, et avaient déjà commencé à croire. — 2° La distinction qu’on veut établir entre ces « croyants » et les autres n’est pas fondée. La leçon iroXXoî te est suffisamment garantie par la quasi unanimité des manuscrits et des versions. En bonne critique, on ne peut pas hésiter entre cette leçon quasi unanime et celle qui est donnée par le manuscrit D, où abondent des variantes singulières, et par deux versions dont l’importance exacte est encore mal connue. — 3° L’aveu dont il s’agit se comprend mieux, dit-on, chez des chrétiens. Un aveu sacramentel, oui ; un aveu extra-sacramentel, non. Or, la question est précisément de savoir dans quelle catégorie il faut le ranger. C’est à tort que certains partisans de la première opinion croient trouver un argument favorable dans le mot ÈÇop.oXoYoi l xîvoc, confitentes, attendu que c’est le même mot qui désigne l’aveu fait au précurseur. Matth., iii, 6. — 4° Il est invraisemblable que des chrétiens récemment baptisés, comme étaient les Éphésiens, eussent continué en si grand nombre à se livrer à la magie après leur baptême. Or, il ressort clairement de l’ensemble du texte que les personnes ainsi adonnées à la magie étaient les mêmes que les « croyants » mentionnés par saint Luc. — 5° Enfin la seconde opinion peut revendiquer en sa faveur la conclusion finale du récit, où il est dit que « la parole de Dieu croissait et se fortifiait », c’est-à-dire, d’après le sens ordinaire de cette formule, que l’Église recrutait de nouveaux fidèles.

— Ces derniers arguments, sans être décisifs, nous paraissent plus probants que ceux de la première opinion. Ils sont assez solides, en tout cas, pour mériter d’être pris en sérieuse considération par les théologiens, qui éviteront ainsi de prouver une thèse certaine par des arguments contestables. J. Bellamy.

III. ACTES (apocryphes) DES APOTRES.


I. Actes de saint Jean.
II. Actes de saint André.
III. Actes de saint Thomas.
IV. Actes de Pierre et de Paul.
V. Actes de Paul et de Thécla.
VI. Actes de saint Philippe.

La littérature des actes apocryphes des apôtres se compose de ce qui nous est parvenu, en des rédactions plus ou moins expurgées, de ces IlepioSoi du IIe -III e siècle, où se sont exprimées par des fictions, romanesques et puériles pour la plupart, certaines tendances soit morales, soit dogmatiques, du catholicisme populaire. Ce sont les traces de ces expressions que nous voulons relever dans cet article.

I. Actes de saint Jean.

Nous avons de larges fragments de la rkp£o80< ;’Iuivvou primitive, composition de la seconde moitié du IIe siècle. M. Bonnet en a donné l’édition critique dans les Acta apostolorum apocrypha, Leipzig, 1898, t. H, 1, p. 151-216. Les premiers fragments sont des épisodes miraculeux, sans couleur doctrinale. Dans le troisième cependant nous relèverions plusieurs belles invocations d’un style liturgique fort archaïque (77-84).

Le quatrième fragment, de tous le plus caractéristique, est un récit concernant le Sauveur et mis sur les lèvres de saint Jean lui-même. Jésus, après avoir choisi Pierre et André, vient vers Jean et Jacques et leur dit de le suivre. Jacques demande à son frère : Cet enfant, qui sur le rivage nous appelle, que veut-il ? — Quel enfant ? réplique Jean. — Tu ne vois donc pas un homme debout, au visage allègre ? — Non, repart-il ; mais débarquons et voyons ce qu’il veut. Comme en silence nous mettions la barque à sec, 77 vint nous aider. Et II m’apparut avec la tête chauve et la barbe chenue, tandis que Jacques le voyait jeune et imberbe. Souvent, poursuit saint Jean, il m’apparut sous les traits d’un homme petit, vilain. Autre prodige : lorsque je reposais sur sa poitrine, tantôt sa poitrine me semblait molle, tantôt elle me semblait résistante comme la pierre. Une fois il me conduisit avec Jacques et Pierre sur la montagne où il avait coutume de prier, et nous lui vîmes une clarté lumineuse indicible. Une autre fois sur cette même montagne, comme il s’était relevé pour prier à l’écart, j’approchai seul et je le vis sans ses vêtements, nu, mais il ne ressemblait point à un homme : ses pieds, plus blancs que la neige, illuminaient la terre, sa tête touchait le ciel. La surprise me fit pousser un cri. Il se retourna, et je ne vis plus qu’un homme petit, qui, me prenant le menton, me dit : Jean, ne sois pas incrédule, niais plein de foi. Pour moi je souffris du menton pendant trente jours, jusqu’à lui dire : Si une caresse de toi fait ce mal, que serait-ce d’un soufflet ? Et lui : A toi de ne point tenter celui qui ne peut être tenté. Une autre fois, à Génézareth, la nuit, Jean entend une voix qui dit à Jésus : Ceux que tu as choisis ne croient pas encore en toi. Et le Seigneur répond : Tu dis bien, car ils sont hommes. Encore des prodiges : un jour j’essaie de le saisir, et je découvre qu’il est immatériel, incorporel et comme s’il n’était pas. Un pharisien nous invite à un repas, chaque convive a un pain devant soi : Jésus partage son propre pain entre les convives et cette parcelle suffit à rassasier chacun. Souvent marchant avec lui je voulus voir la trace de ses pas sur le sol, et jamais je ne la vis. Ce que je vous dis là est peu de chose, car les grandes merveilles doivent actuellement être tues, elles sont indicibles et on ne peut pas plus les rapporter que les entendre (87-93). A la suite, saint Jean rapporte l’hymne que Jésus aurait chantée avec ses disciples avant d’être livré (91-96), et qui est une prière de style archaïque, gnosticisant.

Plus loin, toujours dans le même fragment quatrième, vient un récit de la passion. Saint Jean n’est pas demeuré auprès de Jésus, il s’est enfui à la montagne des Oliviers : là, sur la sixième heure du jour, au moment où les ténèbres se font sur toute la terre, Jésus apparaît devant Jean. Là-bas, lui dit-il, en Jérusalem on me met en croix, on me perce d’une lance, on m’abreuve de fiel : à toi je parlerai, écoute ce que je dirai. Je t’ai fait venir sur cette montagne pour que tu entendes ce qu’un disciple doit entendre d’un maître, un homme de Dieu. Ce disant, il me montrait une croix lumineuse, et la foule. Et je vis le Seigneur sur la croix. Il n’avait pas d’apparence (i/v-ua), mais seulement une voix, une voix qui n ; tut pas si vzix f iiiiiIk re, mus une voix douce et belle, vraiment d’un Dieu, et qui disait : Cette croix de lumière est appelée tantôt verbe, tantôt esprit, tantôt Jésus, tantôt Christ, tantôt porte, tantôt route, tantôt pain, tantôt semence, tantôt résurrection, tantôt fils, tantôt père, tantôt vie, tantôt vérité, tantôt foi, tantôt grâce. Ainsi pour les hommes, mais en réalité elle est en soi la pensée et pour nous l’exprimé, définition de tout…, non point la croix de bois que tu vas voir, non plus que je ne suis le crucifie’, moi que tu entends sans le voir. J’ai été pris pour ce que je ne suis pas, ce qu’ils disent que je suis est humble et indigne de moi. Et comme le lieu de mon repos ne se voit ni ne se dit, je ne serai pas vii, moi, le maître d’icelui. Ce galimatias gnostique se poursuit, et nous l’abrégeons pour ne citer que les traits caractéristiques. Sache, dit Jésus, que je suis tout dans le l’ère et le l’ère eu moi. Je n’ai souffert rien de ce qu’ils diront que j’ai souffert : cette passion que je t’ai montrée je veux qu’on l’appelle mystère. Ce que tu vois, je te l’ai montré ; ce que je suis, moi seul le sais, personne autre. Tu entends que j’ai souflert, je n’ai pas souflert ; que je n’ai pas souffert, j’ai souffert ; que j’ai été meurtri, je n’ai pas été frappé ; que j’ai été pendu, je n’ai pas été pendu ; que mon sang a coulé, il n’a pas coulé ; simplement ce qu’ils disent de moi n’est pas réel, mais ce qu’ils ne disent pas, cela, je l’ai souflert. Entends : meurtrissure du Verbe, sang du Verbe, blessure du Verbe, crucifixion du Verbe, mort du Verbe : pense au Verbe d’abord, pense ensuite au Seigneur, troisièmement à l’homme et à ce qu’il a souflert. L’apôtre Jean, ayant fini de rapporter les discours du Christ, conjure les fidèles qui l’écoutent de vénérer non point un homme, mais un Dieu indéfectible, un Dieu immuable, un Dieu plus haut que toute puissance et tous les anges et créatures, un Dieu plus ancien que les siècles (97-105).

Le cinquième fragment, désigné d’ordinaire sous le titre de Metaslasis ou mort de saint Jean, débute par une sorte d’homélie adressée par Jean aux fidèles accourus un dimanche. L’homélie est suivie d’une prière à Dieu, d’une couleur liturgique qui va s’accentuer encore. Car Jean demande du pain et prononce une véritable prière eucharistique. Après quoi, il rompt le pain avec ses fidèles. Puis il s’en va hors de la ville, fait creuser sa tombe et s’y couche, non sans prononcer une dernière prière : toi qui m’as donné la pure science (yveiTiv) de toi, Dieu Jésus, père et maître des choses supercélestes ; toi qui m’as conservé jusqu’à cette heure pur et n’ayant touché aucune femme ; toi qui, lorsque jeune je voulais me marier, m’es apparu et m’as dit : Jean, j’ai besoin de toi ; toi qui, lorsque je voulais encore me marier, m’as dit sur la mer : Jean, si tu n’es pas mien, je te laisse te marier ; toi qui m’as laissé deux ans gémir et qui la troisième année m’as ouvert les yeux de l’intelligence ; toi qui as fait que mon àme ne possède rien d’autre que toi seul… (106-115).

Le cinquième fragment, qui a dû sa conservation à ce qu’il renferme le récit de la fin solennelle de l’apôtre, a gardé la trace de préoccupations encratites. Les encratites ne sont pas une secte, ils sont un esprit très répandu au IIe siècle, esprit de rigorisme qui prélude aux schismes des inarcionites, des montanistes, plus tard des novatiens, et pour lequel le salut a pour condition l’abstinence de toute sensualité : de là, la condamnation du mariage en même temps que l’usage de la viande et du vin. C’est bien l’esprit que nous trouvons dans le prière de saint Jean remerciant Dieu d’avoir échappé au mariage, et le sens de la parole de Jésus : « Si tu n’es pas mien, je te laisse te marier. » La tendance encratite est assez commune au IIe siècle, pour que nous devions avoir à en retrouver plus loin mainte autre trace.

Le docétisme est plus rare parce que, erreur non plus morale, mais christologique, il a été éliminé plus vite. Le docétisme est un essai de christologie qui distingue Jésus du Christ, fait du Christ un être impassible et veut que Jésus seul ait souffert : deux êtres dont l’un, le divin, est intermittent, à moins que l’autre, l’humain, soit fantomatique. L’auteur de notre quatrième fragment conçoit le Sauveur comme une apparition : à Jacques il se montre sous les traits tantôt d’un enfant, tantôt d’un jeune homme, à Jean sous les traits tantôt d’un vieillard petit et laid, tantôt d’un être lumineux et impalpable. La passion surtout prête à ces développements. Une apparence (a/r, ij.a) soutire sur la croix, un je ne sais quoi d’humble et d’indigne du Christ. L’impalpable Christ au contraire n’a pas souffert, n’a pas été crueilié, n’est pas mort ; ce qu’a élé son étal pendant la passion est un mystère ; ce qui paraissait était irréel, ce qui était réel a élé impénétrable comme le Verbe qui en est le sujet. El ce Verbe luï-même est tout dans le l’ère. La distinction du Père et du Fils n’existe pas, car les termes de Verbe, de Lumière, d’Esprit, de Jésus, de Christ, de Fils, de Père, de Vie, de Vérité, de Grâce sont identiques, comme autant de qualificatifs du Divin. Nous reconnaissons là les caractéristiques de la christologie des grands gnostiques, Basilide, Valentin, Saturnin, exprimés non point en formules, mais en images. En un temps où la christologie était loin encore des précisions d’analyse consacrées par les définitions d’Éphèse et de Chalcédoine, il était inévitable d’exprimer en des images enfantines la distinction confusément conçue des deux natures.

II. Actes de saint André. —

De la IlspioSoç’AvSpso-j, composition contemporaine de la IlepioSoç’Iwâvvou, il ne nous est parvenu que des remaniements tardifs, expurgés. On trouvera l’édition critique de ces divers textes dans M. Bonnet, Acta apostolorum apocrypha, t. ii, 1, p. 117-127.

D’abord un Map-rjpcov en forme de lettre soi-disant adressé par les prêtres et les diacres des églises d’Achaïe à toutes les Églises du monde, composition qui n’est pas antérieure au IVe siècle et qui n’a de remarquable que la belle invocation de saint André à la croix sur laquelle il va mourir : Salve crux… o bona crux quæ decorem et pulcriludinem de membris Domini suscepistl, etc.

Ensuite un MapTvpiov, où est rappelée d’abord la mission dévolue à chacun des apôtres, puis celle d’André qui est de prêcher en Bithynie, en Lacédémonie et en Achaïe, et la conversion qu’il fit à Patras du proconsul Lesbios. Mais Lesbios est remplacé par ^Egéates, qui fait arrêter l’apôtre, le fait crucifier, puis de désespoir se suicide. Ce récit dépend de la fkpt’oooç originale. Quelques passages ont une sensible couleur archaïque, telle l’invocation à la croix (14) : « Salut, ô croix… qui dès longtemps m’attendais : je viens à toi qui me désirais. Je connais le mystère pour lequel tu es dressée : tu es dressée dans le monde pour fortifier les instabilités : tu t’élèves vers les cieux pour manifester le Verbe : tu t’étends à droite et à gauche pour mettre en fuite la puissance ennemie et pour réunir le monde en l’unité : tu es plantée en terre pour unir aux supracélestes les choses de dessous terre. O croix, instrument du salut du Très Haut, etc. » Nous avons vu déjà la croix jouer un rôle dans les actes de saint Jean : elle était appelée Croix de Lumière et elle était une entité que l’on identifiait au Verbe, à l’Esprit, au Père, au Fils, à tous les vocables divins. « La croix, lisons-nous dans un fragment du valentinien Théodote, est le signe de la séparation qui est dans le plérôme : elle sépare les fidèles des infidèles, comme elle sépare le monde du plérôme : par ce signe qu’il a porté sur ses épaules, Jésus introduit les semences dans le plérôme. » Excerpt. Theodot., 42. Dans la théologie gnosticisante où se multiplient à l’infini les intermédiaires surnaturels, la croix est peut-être le plus synthétique comme elle est le plus concret. Le docétisme, en réduisant le Christ à un fantôme, était amené à exalter la Croix pour ne pas réduire à rien la vertu rédemptrice de la passion. L’entité croix ne se distingue plus du crucifié : « Belle est la croix, dit encore le MaprJpiov de saint André (16), car elle est vivifiante : beau est le crucifié, car il est le rédempteur des âmes. » On pourra comparer le texte de notre Maptûpiov et le texte si connu Salve crux… o bona crux quæ décorent, etc., que la liturgie a popularisé, pour juger de la transformation que le thème archaïque -i subie en se dépouillant de tout gnosticisme.

Sur saint André, on possède une pièce intitulée : Actes d’André et de Malhias dans la cité des Anthropophages, encore une pièce qui dépend de la LkpioSo ; originale, mais faite de fictions énormes sans portée doctrinale. Il faut en dire autant d’une dernière pièce intitulée Actes de Pierre et d’André : en revenant de la cité des Anthropophages, André joint saint Pierre, « l’évêque de toute l’Église, » et ensemble ils se rendent dans « la cité des Barbares » : ici encore des fictions expurgées de tout élément doctrinal et retenues pour leur seul merveilleux.

III. Actes de saint Thomas. —

Nous avons, sinon la IkptoSos ; ©cofjià originale, au moins une rédaction qui doit en être très voisine. M. Bonnet en a donné l’édition critique : Acta T/iomæ, Leipzig, 1883, qu’il a rééditée en 1903. On conjecture que la Elepcotac Ô<.>(j.à doit être une composition de la première moitié du iiie siècle.

Ces actes tels que nous les possédons se partagent en douze épisodes (7rpâÇet ; ) suivis de la passion de l’apôtre (p.apTjpiov). En tête du premier épisode est rappelée, comme dans les actes d’André, la mission donnée par le Seigneur à chacun des apôtres, puis celle de Thomas qui est d’évangéliser l’Inde. Il arrive dans la cité d’Andrapolis, au milieu d’une fête publique donnée par le roi indien à l’occasion du mariage de sa fille. Thomas, qui assiste au banquet, se met à chanter un cantique à la sagesse, d’un symbolisme violent et d’une inspiration gnosticisante. Le soir venu, Jésus lui-même sous les traits de Thomas apparaît aux jeunes époux dans la chambre nuptiale. Sachez, leur dit-il, que si vous vous abstenez de tout commerce impur, vous deviendrez des temples saints. Gardez-vous d’avoir des enfants, car les enfants sont l’occasion de tous les soucis et de toutes les fautes. Que si vous conservez vos âmes dans la pureté pour Dieu, vous aurez des enfants vivants dans un mariage sans souillure et véritable, vous serez les paranymphes du fiancé qui est tout immortalité et lumière. Les deux époux convaincus déclarent le lendemain au roi et à la reine que l’œuvre d’opprobre et de confusion est loin d’eux. Indignation du roi qui veut faire saisir Thomas, mais l’apôtre est déjà parti. On voit la tendance encratite de ce petit roman : il exprime sans restriction la condamnation des justes noces, et que dans le mariage la paternité et la maternité sont une déchéance.

Dans le second épisode, le roi Goundaforos donne à Thomas, présenté comme architecte, l’ordre de bâtir un palais et lui remet l’argent nécessaire. L’apôtre distribue l’argent en aumônes, et quand le roi lui demande s’il peut visiter le palais, il lui répond qu’il ne pourra le visiter qu’en quittant la vie. Colère du roi, qui fait jeter Thomas en prison. Cependant Gad, frère du roi, meurt, et, dans l’autre monde, est admis à voir le palais que les aumônes de l’apôtre ont préparé au roi. Il ressuscite pour en instruire son frère et tous deux sont faits chrétiens par Thomas. La scène de leur initiation est d’une liturgie fort singulière. Les deux frères demandent « le sceau du bain » (tr, v a-çpa-pSa toO Xo-jTpoO), car, disent-ils à l’apôtre, tu nous a appris que le Dieu que tu prêches « par ce sceau qui est sien reconnaît ses brebis ». L’apôtre leur répond : « Je me réjouis de vous voir prendre ce sceau et participer avec moi à cette eucharistie et bénédiction du Seigneur et devenir parfaits en elle. » Il fait alors apporter de l’huile « pour que par cette huile ils reçoivent le sceau », et, l’huile apportée, l’apôtre debout leur donne le sceau (Èa-çpâYcæv aùto-J ; ) en répandant l’huile sur leur tête et prononçant une longue invocation d’un style liturgique gnosticisant : « Vienne le saint nom du Christ… Vienne le charisme suprême : vienne la mère miséricordieuse : vienne l’économie du mâle : vienne celle qui révèle les mystères cachés : vienne la mère des sept maisons, le prêtre des cinq membres… » Cela fait, l’apôtre rompt le pain et communie les initiés à l’eucharistie du Christ (26-27). Dans cette initiation, il n’est question que par accident du « bain », tandis que dans tout le reste l’initiation parait se réduire à une onction d’huile.

Dans un autre épisode, l’épisode du dragon incube, la femme qui cinq années durant s’était livrée au dragon, une fois délivrée, demande à l’apôtre « le sceau ». Et ici encore nous avons une scène d’initiation. L’apôtre, lisons-nous, fit approcher la femme et posant la main sur elle la scella (ëcçpctYKTEv) au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ; il scella aussi plusieurs autres postulants avec elle. Puis il dit au diacre d’apporter une table et un banc : sur la table on mit un linge, sur le linge le pain de la bénédiction (âprov tîjç eùXoytaç), et, debout, l’apôtre prononce une épiclèse pareille à celle que nous lui avons vu prononcer : « Viens miséricorde parfaite, viens communion du mâle, viens toi qui connais les mystères de l’ordre…, viens mère cachée, … viens te communiquer à nous dans cette eucharistie que nous faisons en ton nom… » Ce disant, il signa le pain du signe de la croix, le rompit et le distribua, à la femme d’abord : « Que ceci soit pour la rémission de tes péchés et la rédemption de tes fautes éternelles » (46-47).

Dans le sixième épisode un jeune homme, au moment où il porte l’eucharistie à ses lèvres, voit ses deux mains se dessécher. L’eucharistie t’a condamné, lui dit l’apôtre, quel est ton péché ? Le jeune homme répond qu’ayant reçu « le sceau », il a conjuré sa concubine d’embrasser la pureté parfaite, que prêchait l’apôtre. La femme refusant, le jeune homme l’a tuée. A la demande du meurtrier, l’apôtre ressuscite la morte, qui, revenant à la vie, décrit les supplices qui sont infligés aux pécheurs dans l’enfer. La description de cet enfer est seule à noter (52-55).

Dans l’épisode de Charisios et de sa femme Mygdonia, la femme a été convertie par l’apôtre à la pratique de la parfaite pureté dans le mariage : cette conversion met le ménage en un désaccord dont les péripéties sont longuement racontées. Mygdonia reçoit le baptême. « Donnemoi, dit-elle à l’apôtre, le sceau du Christ et que de tes mains je reçoive le bain de l’incorruptibilité. » Puis s’adressant à sa nourrice, elle la prie d’apporter un pain et de l’eau. Comme la nourrice se récrie et propose d’apporter plusieurs pains et, au lieu d’eau, des mesures de vin, Mygdonia refuse : elle veut seulement de l’eau (jtpâ(Tiv’jôaroç), un pain et de l’huile. La nourrice obéit et alors, Mygdonia debout, le front découvert, l’apôtre verse sur son front l’huile, en disant : « Huile sainte à nous donnée pour la sanctification, mystère caché en qui la croix nous fut montrée, tu es la simplicité des membres voilés, tu es celui qui montre les trésors cachés, tu es le progrès de l’utile : que ta puissance vienne et que ta liberté même s’établisse sur ta servante Mygdonia. » Il est vrai que, l’huile étant versée, il se trouve là une source pour baptiser Mygdonia : mais il n’est pas hors de doute que cette mention du baptême d’eau n’est pas une correction tardive, car aussitôt l’apôtre, rompant le pain et prenant la coupe d’eau, fait communier Mygdonia aux mystères du Christ, en disant : « Tu as reçu le sceau, prends possession de la vie éternelle. » Le sceau, c’est-à-dire l’onction, semble bien encore être l’élément principal de l’initiation. Sur la fin de l’épisode, l’officier Siphor se convertit avec sa femme et sa fille : ils se vouent à la pureté parfaite et demandent le « sceau ». Et l’apôtre les catéchise ainsi : « Le baptême est la rémission des péchés : il régénère et renouvelle l’homme, qui par lui est trois fois élevé et participe au Saint-Esprit. » Il ajoute : « Gloire à la puissance ineffable : gloire à qui entre dans le bain du baptême : gloire à toi, qui ramènes 1rs hommes de l’erreur et les fais participer à toi. » Ce disant, il versait de l’huile sur leur tête, puis il fit apporter un bassin (iv.o.yr l) et les baptisa au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Puis on apporte du pain sur une table et l’apôtre le bénit : « Fais de ce pain le pain vivant pour que ceux qui en mangeront restent incorruptibles, etc. » Nous avons ici un baptême proprement dit ; mais ici encore l’onction joue un rôle préalable et important. Notons aussi que le baptême et l’eucharistie sont étroitement rattachés à la conception encratite delà vie chrétienne.

Au onzième épisode le roi Misdæos à son tour voit sa femme convertie par Thomas. Ensemble Charisios et Misdæos pénétrent dans le local où enseigne Thomas, le frappent violemment et le font jeter en prison. Mais dans sa prison, c’est le douzième épisode, tous les convertis de Thomas le rejoignent, plus le propre fils du roi Misdæos, Vasanés, lequel vivait avec sa femme depuis son mariage dans une parfaite pureté ; il n’a pas de peine à devenir chrétien. Les portes de la prison s’ouvrent d’ellesmêmes, l’on se rend dans la demeure de Vasanés où vont être baptisés Vasanés et les sœurs de Mygdonia. « Thomas prit de l’huile dans une coupe d’argent, et dit : fruit plus noble que les autres fruits, ô fruit incomparable, ô fruit miséricordieux, les hommes grâce à toi savent vaincre leurs adversaires : tu couronnes les vainqueurs, tu es le symbole de l’allégresse : tu évangélises aux hommes leur salut : tu donnes de la lumière à ceux qui sont dans les ténèbres, tu adoucis les amertumes : vienne, ô Jésus, ta force victorieuse, qu’elle fortifie cette huile… » L’apôtre verse l’huile sur la tête de Vasanés d’abord, puis sur la tête des femmes, en disant : « En ton nom, Jésus-Christ, que ceci soit pour ces âmes rémission des péchés, défaite de l’ennemi, salut. » Puis on baptise avec de l’eau, mais sans aucune solennité pareille, et immédiatement ensuite eucharistie. Le récit du martyre de saint Ihomas clôt ce long roman.

De cette rapide analyse il doit se dégager cette impression d’ensemble que les Acta Thomas prêchent un encratisme rigoureux. La liturgie s’y ramène à l’initiation et à l’eucharistie. Cette initiation, où le baptême joue un rôle si effacé que parfois il n’est même pas mentionné, est opérée par le « sceau », l’onction d’huile sur la tête, l’huile étant considérée comme une matière éminemment symbolique. La présence d’une onction d’huile dans la liturgie baptismale est attestée dès le IIe siècle ; mais ici, manifestement, cette onction a une exceptionnelle importance qu’aucun texte ne lui donne. Celse parle de chrétiens chez qui « celui qui reçoit le sceau est appelé Nouveau et Fils et répond quand il la reçoit : Je suis oint de l’onction blanche de l’arbre de vie ». Contra Ccls., vi, 27. Ces chrétiens sont des gnostiques ophites, et c’est de milieux semblables que procède le symbolisme liturgique des Acta Thomas.

IV. Actes de Pierre et de Pm*l. —

Larkpîoôo ; ITIipou originale, composition de la seconde moitié du w siècle, croit-on, est perdue. Les pièces qui en dérivent ont été publiées en une édition critique par M. Lipsius dans les Acta apostolorum apocryplta, Leipzig, 1891, 1. 1, p. 1-234.

Le Martyrium du pseudo-Linus est fortement coloré d’encratisine. Saint Pierre y prêche la pureté parfaite dans le mariage. A sa voix, « un grand amour de la pudicité enllamme les femmes de tout âge et de toute condition, jusque-là que la plupart des matrones de Rome refusent de partager la couche de leurs époux pour sauvegarder la pureté de leur cœur et de leur corps. » Du nombre sont les quatre concubines du préfet Agrippa, qui font vœu de chasteté. Colère d’Agrippa. Puis c’est Xantippé, femme d’Albinus favori de César. Albinus et Agrippa dénoncent au sénat ce Pierre « qui nous sépare de nos femmes au nom d’une loi nouvelle, inouïe ». L’apôtre est arrêté, puis crucifié. En arrivant au lieu de son supplice, il prononce une belle invocation à la croix sur laquelle il va mourir : « O nom de la croix, mystère caché, grâce ineffable. O croix qui as uni l’homme à Dieu ! etc. » Cette invocation rappelle celle de saint André, et nous avons dit en quoi ces thèmes se rattachaient au docétisme.

Les Aittts découverts dans un manuscrit de Verceil par M. Studemund et publiés par M. Lipsius, sont pour une part la réproduction en une recension différente du martyrium que représentait déjà le pseudo-Linus, mais pour une part (1-29) un récit dépendant, comme le pseudo-Linus, de la 1 1 eptoSoç Ilérpou originale. Ce récit s’ouvre par la description du départ de Paul pour l’Espagne ; puis Simon le Magicien arrive à Rome al y tait des dupes si nombreuses que saint Pierre est envoyé par Jésus pour le confondre ; nous avons alors le récit du voyage de saint Pierre, des nombreux miracles qu’il accomplit à Rome, de ses discussions avec Simon, finalement de la mort de Simon. Les Actus Pétri cum Simone sont pleins de merveilleux et le démon y joue un rôle prépondérant ; on les a manifestement expurgés de tout archaïsme doctrinal, mais il y demeure quelque trace d’un gnosticisme pareil à celui des Acta Juannis. Saint Pierre s’exprime ainsi sur Jésus : « Il a mangé et bu pour nous, quoique n’ayant ni faim ni soif… Il vous consolera pour que vous l’aimiez, lui qui est grand et minime, beau et horrible, jeune et vieux, visible un temps et éternellement invisible… C’est lui la porte, la lumière, la voie, le pain, l’eau, la vie, la résurrection, le rafraîchissement, la perle, le trésor, la semence, la satiété, le grain de sénevé, la vigne, la charrue, la grâce, la foi, le Verbe… » (20). Ces expressions appartiennent au docétisme. De même, quand saint Pierre demande aux veuves ce qu’elles ont vu dans l’éclat à elles apparu d’une lumière surnaturelle, les unes lui répondent : Nous avons vu un vieillard, dont l’apparence était telle que nous ne pouvons l’exprimer. Les autres : Un adolescent. Les autres : Un enfant qui toucbait nos yeux subtilement, et nos yeux se sont ouverts (21). Les Acta Joannis nous avaient présenté les mêmes traits. Nous en relèverons un dernier : il est dit (2) que les fidèles présentent à saint Paul pour le sacrifice du pain et de l’eau : Optulerunt auteni sacrificium Paulo panent et aquam et (pour ut) oratione facta unicuique daret : in quibus contigit quamdam nomine Rufinam, volens itaque et ipsa eucliaristiam de manibus Pauli percipere, etc. L’histoire est l’analogue de celle du jeune meurtrier des Acta Thomse ; ici c’est une femme qui vit en concubinage et que saint Paul exclut de la communion. Mais l’intérêt de l’épisode est dans ce détail, que l’eucharistie est faite de pain et d’eau. Déjà dans les Acta Thomse, la servante de Mygdonia apportait pour l’eucharistie du pain et de l’eau. C’est un trait authentique d’encratisme, car l’encratisme condamnait l’usage du viii, et cette condamnation s’étendait à l’eucharistie elle-même. De là, ce que les hérésiologues ont appelé la secte des aquariens.

V. Actes de Paul et de Thécia.

Le récit commence abruptement au moment où Paul arrive à Iconium, fuyant Antioche. Reçu dans la maison d’Onésiphore, il rompt le pain et prononce un discours que l’auteur qualifie de discours de Dieu sur la continence (èyxpaTeiaç) et la résurrection : « Heureux ceux qui sont purs de cœur, heureux ceux qui gardent chaste leur chair, heureux les continents, heureux ceux qui ayant femmes sont comme s’ils n’en avaient pas, heureux les corps des vierges, car ceux-là plairont à Dieu et ne perdront pas la récompense de leur continence » (5-6). Nous sommes ici en plein encratisme. Or Thécia, fiancée de Thamyris, entend le discours de l’apôtre et ne veut plus vivre que selon sa loi. Colère du fiancé et de sa famille contre l’étranger qui enseigne « qu’il faut craindre Dieu seul et vivre dans la pureté » (9), que « les noces ne doivent pas être » (11), qu’il « n’y a point de résurrection si l’on ne reste pur » (12). L’apôtre s’enfuit et Thécia part avec lui pour Antioche. C’est à Antioche que Thécia aura à combattre dans l’amphithéâtre contre les bêtes féroces et sortira saine et sauve de ce combat.

On a récemment émis l’hypothèse que les Acta Pauli et Theclse ne sont qu’un fragment de la Ilspt’oôo ; IlaûXou originale du {{rom-maj|II)e siècle, et qu’à cette même ITcpioSo ; appartient la correspondance apocryphe de saint Paul et des Corinthiens et le Maprupiov Ila-jXou publié par Lipsius, Acta apostolorum apocrypha, t. i, p. 104-117. Nous avons dit ailleurs, Dictionnaire de ta Bible, t. ii, col. 190$1-$2901, en quoi cette hypothèse ne nous paraissait

pas plausible pour ce qui est de la correspondance apocryphe : quant au Maprjpiov, l’hypothèse est simplement vraisemblable. Du reste, l’histoire des doctrines n’a rien à noter dans ce Maprûpiov.

VI. Actes de saint Philippe.

C’est encore l’encratisme que nous présentent les fragments desvctaPhilippi retrouvés par nous. Analecta bollandiana, 1890, t. ix, p 20’t-21-9 ; édit. Bonnet, 1903. Une femme vient de perdre >on fils et se lamente : il n’y a plus de joie possible pour elle, il ne lui convient plus de se marier, ni de manger des aliments qui édifient le corps, savoir le vin et la viande. « Tu as raison, lui répond saint Philippe. Que penses-tu de la pureté ? C’est la pureté qui a commerce avec Dieu, mais elle est odieuse aux hommes, car ils ne savent ni être chastes, ni boire de l’eau, » i, 3. AAzotos, l’apôtre est accusé d’être un magicien et un homme dangereux, parce qu’  « il sépare les mariés, enseigne que la pureté seule voit Dieu, et que le fait d’avoir des enfants est une calamité, » iv, 1. A Nicotera, il est poursuivi sous prétexte qu’il enseigne « une doctrine nouvelle et étrangère, savoir : demeurez purs et vous vivrez et vous brillerez comme des astres dans le ciel, » VI, 8.

Si nous résumons les observations précédentes, nous dirons que les actes apocryphes nous fournissent de très intéressants spécimens d’abord du docétisme, ensuite de l’encratisme. Le docétisme a sa date dans l’histoire de la christologie ; l’encratisme, dans l’histoire de la théologie morale et plus précisément de la doctrine pénilentielle, car il est bien évident que l’encratisme est une tendance antipénitentielle. La liturgie enfin, soit dans le style de ses prières, dont nous avons rencontré des modèles si archaïques, si gnostiques, soit dans l’économie de ses rites, par exemple les éléments du baptême et les éléments de l’eucharistie, a beaucoup à retenir de l’étude de ces textes apocryphes.

R. A. Lipsius et M. Bonnet, Acta apostol. apocrypha, 3 in-8°, Leipzig, 1891-1903 ; R. A. Lipsius, Die apocryphen Aposlotgeschichtenund Apostelteænden, Brunswick, 1883-1890 ; M.R.James, Apocrypha anecdola, Cambridge, 1897 ; P. Batiflbl, Ane. litt.chr. grecque, Paris, 1898, p. 41-46 ; Theolog. Literaturzeitung, iS91, t. xxil, p. 625-629 ; Anal, bolland., 1898, t. xvii, p. 231-233 ; F. Hennecke, Neutestam. Apocryphen, Tubingue, 1904.

P. BATIFFOL.