Dictionnaire de théologie catholique/COMMODIEN

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G. Bareille
Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 3.1 : CLARKE - CONSTANTINOPLEp. 214-218).
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COMMODIEN. — I. Vie. II. Œuvres. III. Appréciation.

I. Vie. — Parmi les anciens, le premier qui ait parlé de Commodien c’est Gennade, De script, eccl., 15, P. L., t. lviii, col. 1068. Mais il ne dit rien de sa vie, de son origine, de ses fonctions, de son rôle ; il se contente simplement de caractériser d’un mot l’objet, le but et la forme de son œuvre. Il est ensuite question de cet auteur dans le décret dit de Gélase, qui rangea ses ouvrages parmi les non recipiendi. P. L., t. lix, col. 163. Dans la suite on ne retrouve plus son nom que dans Honorius d’Autun, qui dépend lui-même de Gennade. De script, eccl., l. II. c. xv, P. L., t. clxxii, col. 213.

Le seul nom qu’on connaisse de lui est Commodianus, inscrit sous forme d’acrostiche, à la fin de ses Instructiones, avec le qualificatif de mendicus Christi. Cet acrostiche révélateur de 26 vers doit se lire de en haut dans l’Instructio qui a pour titre : Nomem Gazæi, et, d’après les manuscrits. Gasei. Mais qu’entendre par là ? Serait-ce pour désigner son lieu d’origine, la ville palestinienne de Gaza ? Ne serait-ce pas plutôt une allusion transparente à sa manière de vivre du fruit des aumônes ? Dans ce dernier cas, le mot Υάζα, gazum, trésor, lui aurait fourni gazæus, c’est-à-dire l’obligé du trésor de l’Église, celui qui ne revendique d’autre titre que celui de mendiant du Christ. Instr., lxxx, P. L., t. v, col. 260. Besson, Commodien, sa place dans la littérature chrétienne, dans la Revue de Fribourg, 1903, p. 261 sq., a signalé le fait que Gazeus est un nom propre dans d’anciennes inscriptions latines. Corpus inscript, latin., t. v, n. 645, 1587. Commodien a donc pu changer de nom et prendre Commodianus comme surnom pour des raisons particulières que nous ignorons. Harnack, Die Chronologie, Leipzig, 1904, t. ii, p. 436. Mais M. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, Paris, 1905, t. iii, p. 458-461, rejette toutes ces explications et suppose que le mot Gasei est une sorte d’énigme, un mot artificiel composé d’une série d’abréviations.

Le lieu d’origine de Commodien reste incertain. Pour les uns, il aurait été originaire de l’Afrique du Nord, de l’Afrique proconsulaire, de Carthage ou de ses environs. On le conjecture, à défaut d’autres indications, de son style et de ses attaches littéraires. Sa langue, en effet, est barbare comme celle des populations carthaginoises ; elle est remplie de vocables étrangers à la pure latinité, mais d’usage courant chez les puniques latinisés ; et certains passages de ses œuvres sont si étroitement apparentés avec des passages parallèles de Tertullien et de saint Cyprien qu’ils semblent n’avoir pu être écrits que par un compatriote de ces deux illustres Africains. Bardenhewer, au contraire, Geschichte der allkirchlichen Literatur, Fribourg-en-Brisgau, 1903, t. ii, p. 584, le range parmi les écrivains occidentaux qui ne sont ni romains, ni africains ; c’est dire qu’il n’admet pas comme prouvée son origine africaine ; car ses prétendus africanismes appartiennent au domaine commun de la littérature chrétienne. Cf. Lejay, Ancienne philologie chrétienne, dans la Revue d’histoire et de littérature religieuses, Paris, 1904, t. ix, p. 382. Harnack, Geschichte der altchristl. Litteratur, Die Chronologie, t. ii, p. 433 sq., sans se prononcer, incline à désigner Rome elle-même comme le lieu où s’est exercée son activité littéraire. Voir J. M. Heer, Zur Frage nach der Heimat des Dichters Commodianus, dans Römische Quartalschrift, 1905, t. xix, p. 64-82. M. Monceaux, loc. cit., p. 461, tient pour l’origine africaine de Commodien. La haine contre Borne, le nom de Commodianus qui se lit dans des inscriptions africaines, la mention de Cælestis, la grande déesse de Carthage, les nombreuses allusions aux persécutions et aux schismes d’Afrique, à l’épiscopat de Cyprien, la langue, l’emploi de formes particulières aux Africains, la redondance du style, les sources (Tertullien et Cyprien), le tempérament même du poète, son tour d’esprit, tout amène à cette conclusion que Commodien était un Africain, ou, du moins, vécut longtemps en Afrique, et qu’il écrivait pour un public africain.

Les renseignements sur sa propre vie se réduisent à fort peu de chose, et nous les tenons de lui-même. Il nous apprend, en effet, qu’il est né de parents païens, qu’il a été élevé dans le paganisme, qu’il s’est même adonné aux pratiques de la magie et des incantations, choses fréquentes en Afrique, au rapport d’Apulée, Præf., vs. 4-6, P. L., t. v, col. 201-202 ; qu’il a partagé les erreurs païennes. Instr., xxvi, vs. 375 ; xxxiii, v. 492, ibid., col. 221, 225. Errabam ignarus spatians spe captus inani. Carm., i, vs. 3 ; Pitra, Spicilegium, Paris, 1852, t. i, p. 21. Mais il est sorti de la cloaca, c’est-à-dire de l’idolâtrie, parce qu’il a été converti par la lecture de l’Écriture sainte. Instr., lxi. vs. 965, P. L., t. v, col. 247. Abstuli me tandem inde, legendo de lege. Præf., vs. 6. ibid., col. 202. M. Monceaux, loc. cit., p. 462, suppose même, avec Bardenhewer, que Commodien s’était tourné d’abord vers le judaïsme. Il parle sans cesse des juifs et des judaïsants ; il s’acharne contre eux avec une rancune de transfuge. La lecture de la Bible l’amena ou le ramena au christianisme. Il raconte, mais sans en donner les raisons, qu’il avait été soumis à la discipline de la pénitence. On ne sait pour quelle faute. On peut supposer qu’il avait été baptisé dans sa première jeunesse et que, revenu à l’Église après s’être égaré dans les temples et les synagogues, il avait dû se soumettre à la pénitence pour obtenir son pardon. Blessé, puis guéri, il a voulu guérir les autres et désabuser ses lecteurs des erreurs auxquelles il a échappé.

Ob ea perdoctus, ignaros instruo verum. Præf., vs. 9.
Et qui ego moneo, idem fui nescius errans. Instr., xxxiii, vs. 2.
Sensi ipse ruinant,
Ideirco commoneo vulneratos cautius ire. Instr., xlix, vs. 9-10.
Et ideo tales hortor ab errore recedant.
Quis melior medicus, nisi passus vulneris ictus. Carm., i, vs. 14-15.

Sa conversion et l’ardeur de son prosélytisme rappellent ainsi celles de saint Justin et de Tatien, au iie siècle. De là le titre significatif de ses deux ouvrages : Instructiones adversus gentium deos pro christiana disciplina ; Carmen apologeticum.

Est-il permis d’aller plus loin et d’affirmer qu’il a occupé un rang élevé dans la hiérarchie ecclésiastique, qu’il a été évêque ? Peut-être ; car le manuscrit de Middlehill, bien qu’illisible dans les trente derniers vers, se termine par ces mots : « Ici s’arrête le traité du saint évêque. » Cette note sans doute pourrait n’exprimer que l’opinion du copiste inconnu ; mais comme, d’autre part, les conseils que donne l’écrivain aux divers membres de la hiérarchie, le ton d’autorité qu’il prend vis-à-vis de certains évêques, paraissent difficilement être le fait d’un simple laïque, dom Pitra a cru pouvoir conclure que Commodien avait été évêque, d’où le titre significatif qu’il a donné à son second ouvrage : Commodiani, episcopi africani, carmen apologeticum adversus judæos et gentes. Spicilegium, t. i, p. 20. Mais Commodien a si peu le ton et l’allure d’un évêque que cette supposition a été jugée invraisemblable par bien des savants. Dans ses poèmes, il ne fait aucune allusion à ses fonctions épiscopales. Il critique les clercs sans ménagement, et il ne se considère pas comme un des leurs. Il déclare qu’il n’est pas « docteur » , et il a toutes les allures d’un laïque. Toutefois M. Monceaux, loc. cit., p. 463-464, suppose qu’il était un de ces seniores laici, qui en Afrique formaient une sorte de conseil d’administration, chargé d’assister et d’aider l’évêque. Cette particularité expliquerait ses recommandations fréquentes de la charité en faveur de la caisse commune. On le prendrait volontiers pour le trésorier de la communauté, et ce serait peut-être l’explication du titre qu’il prend de mendicus Christi, mendiant pour les pauvres.

A quelle époque a-t-il vécu ? La précision est difficile à faire. D’après Gennade, Commodien a imité Tertullien, Lactance et Papias. Ce ne peut pas être une indication chronologique ; car Papias, le dernier nommé, est antérieur à Tertullien et à Lactance. Cependant Rigault, le premier éditeur des Instructiones, et, à sa suite, Dupin et Ceillier, le placent au commencement du ive siècle, sous Constantin et saint Sylvestre. Or cette opinion est fondée sur une lecture erronée. Le manuscrit des Instructiones, découvert par Sirmond, portait : Intrate stabiles vestra ad præsepia tauri. Inst., xxxiii, vs. 5. Dans la copie qu’il en fit, il mit : Intrate stabilis sylvestri ad præsepia tauri, de l’aveu même de Rigault, qui préféra la lecture suivante : Intrate stabiles Silvestris ad præsepe pastoris, où l’adjectif sylvestris, a été pris pour le nom propre d’un pape. C’est donc une opinion à laquelle il faut renoncer. Dodwel, d’abord, Dissrrt. de Commodiani ætate, Oxford, 1698, puis Cave. Historia litter., Oxford, 1740, en ont démontré le mal fondé. Et aujourd’hui on place Commodien au iiie siècle, soit avec Ebert, en 249, vers le temps de l’édit de Dèce, soit peu après la persécution de Dèce et avant la querelle sur la réitération du baptême, avec Pitra, Spicilegium, t. i, p. xxi, soit avec Aubé, en 260, sous la persécution de Valérien, soit sous Gallien et avant la persécution d’Aurélien, vers 270, avec Freppel et Bardenhewer. Les raisons en paraissent convaincantes, au moins contre les critiques qui veulent reculer l’époque de Commodien jusqu’au ve siècle. Car, d’une part, on ne trouve pas, dans les œuvres de Commodien, la moindre allusion, soit au célèbre triomphe de Constantin, soit au signe vainqueur de la croix, soit aux faveurs dont jouit alors l’Église ; et, d’autre part, plusieurs traits s’appliquent très bien au iiie siècle. Commodien, en effet, date de deux cents ans l’apparition du christianisme, Instr., vi, vs. 2, ibid., col. 205 ; il écrit dans un moment de répit qu’il qualifie de trompeur, pax subdola, Instr., lxvi vs. 7, 12, ibid., col. 252 ; il prévoit de futurs combats, Instr., liii, vs. 10, ibid., col. 241, et engage en conséquence les fidèles à assister les martyrs ou, comme il dit, à admartyrizare. Instr., lviii, vs. 19, ibid., col. 245. Les allusions au schisme de Novat, Instr., xlii, à la conduite douteuse de certains chrétiens pendant la persécution, Instr., lxi. à la discipline qu’il ne faut pas tempérer par trop de relâchement, aux déserteurs qui ne sont autres que les thurificati et les libellatici du temps de Dèce, etc., sont celles d’un contemporain de saint Cyprien ou d’un écrivain qui écrivait peu d’années après. Harnack, loc. cit., assigne à Commodien la période 260-350, et plus probablement les années qui suivirent immédiatement la persécution de Dioclétien. M. Monceaux, loc. cit., p. 452-458, adopte cette date en la précisant davantage. Les œuvres de Commodien ne peuvent être postérieures à l’édit de Milan (313). Les traits, précédemment relevés, conviennent fort bien à la période de paix menaçante (251-256) qui sépare les persécutions de Dèce et de Valérien, mais aussi à la période comprise entre 305 et 311, entre la fin des persécutions de Dioclétien et l’édit de Maxence. D’autre part, Commodien connaissait la plupart des ouvrages de saint Cyprien, et il écrivait certainement après la mort de cet évêque, donc après 258. La tolérance religieuse fait remonter à 260 au plus tôt. Il écrivait donc entre 260 et 313, et plus probablement dans les années 305-311. Enfin, s’il était démontré que Commodien a imité Lactance, dont les Institutions ont été composées entre 307 et 311, Commodien aurait écrit en 311-313.

II. Œuvres. — Il ne nous reste que deux ouvrages de Commodien, ses Instructiones et son Carmen apologeticum. Le premier, découvert par Sirmond dans un codex de Saint-Aubin d’Angers, fut d’abord édité par Rigault, à Toul, en 1649 ; le second, découvert à Middlehill, en Angleterre, dans la bibliothèque de Th. Philipps, au milieu d’un manuscrit de provenance italienne, peut-être de l’ancienne bibliothèque de Bobbio, sans nom d’auteur ou de copiste, et publié par le cardinal Pitra, à Paris, en 1852, dans son Spicilegium, t. i, p. 20-49. L’un et l’autre sont quasi versu, selon l’expression de Gennade.

Les Instructiones sont une suite de quatre-vingts poésies, portant chacune un titre. Les lettres de ce titre, l’une après l’autre, commencent chacun des vers du morceau et forment acrostiche ; il n’y a d’exception que pour la dernière pièce, dans laquelle les lettres du titre forment un acrostiche, qui doit se lire en sens inverse, du dernier vers au premier. Quant aux Instructiones xxxv et lx, les vers se succèdent et commencent chacun par une lettre dans l’ordre alphabétique. De tels procédés relèvent plus de la fantaisie que de la poésie.

Le fond vaut mieux que la forme ; c’est une série de conseils appropriés aux circonstances de la vie et relatifs aux diverses catégories de lecteurs. On y distingue trois parties : la Ire, Instructiones i-xxxvi, s’adresse aux païens pour leur démontrer la vanité des idoles et les inviter à embrasser la foi chrétienne ; la IIe, Instructiones xxxvii-xlv, vise les juifs pour leur prouver que la loi n’a été qu’une figure et les exhorter à entrer dans la religion du Christ ; elle traite de l’Antéchrist, du jugement et de la résurrection ; la IIIe, Instructiones xlvi-lxxx, s’adresse aux catéchumènes, aux pénitents, aux fidèles, aux apostats, aux présomptueux qui affrontent le martyre aux personnes qui aiment le luxe, aux lecteurs, aux diacres, aux docteurs ou pasteurs, selon les besoins de l’époque.

Le Carmen apologeticum est également en vers, mais non en acrostiches. C’est un poème suivi de 1060 hexamètres, groupés deux par deux à la façon d’un distique. Le titre a été donné par dom Pitra ; il ne répond pas à tout le contenu. Le poème une apologie ou une défense du christianisme ; c’est un exposé de la doctrine chrétienne, destiné à compléter l’instruction des fidèles et à préparer la conversion des infidèles. C’est un poème didactique, sur le ton de la prédication, avec des digressions satiriques. Il roule sur les mêmes idées que les Instructiones et les complète sur bien des points. Commodien emprunte a l’Écriture de quoi ramener les païens et les juifs comme il a été ramené lui-même. De la le tableau de l’histoire ancienne, i-xiii, vs. 1-220 ; l’énumération des prophéties de l’Ancien Testament relatives au Messie et réalisées dans la personne de Jésus-Christ, xiv-xxvi, s. 221-576 ; divers conseils adressés aux païens, xxvii-xxxv, vs. 577-582 ; et en dernier lieu un tableau de la fin du monde, xxxvi-xlvii, vs. 783-1021. Voir une analyse détaillée dans Monceaux, loc. cit., p. 469-472.

H. Waitz, Das pseudo-tertullianische Gedicht adversus Marcionem, Darmstadt, 1901, a revendiqué pour Commodien le Carmen adversus Marcionem, faussement attribué à Tertullien. Sa démonstration n’est pas absolument convaincante. Cf. Funk, Theol. Quartalschrift, 1902, t. lxxxiv, p. 137 sq.

III. Appréciation. — L’œuvre de Commodien a à la fois celle d’un apologiste et d’un moraliste. Apologiste, il s’en prend, comme ses prédécesseurs, aux païens et aux juifs, mais le ton n’est pas le même. Si, comme nous le croyons, il a écrit soit à l’époque où Gallien ordonna de rendre aux chrétiens les cimetières, les maisons et autres biens confisqués, ou bien à celle où Aurélien, à propos de Paul de Samosate, prescrivit de restituer la résidence épiscopale d’Antioche à ceux qui étaient en communion avec les évêques d’Italie, particulièrement avec celui de Rome, Eusèbe, II. E., vii, 13, 30, P. G., t. xx, col. 673, 720, on comprend qu’il n’ait pas eu à démontrer l’iniquité de la procédure suivie contre les chrétiens, ni même à plaider le droit du christianisme à l’existence ; il s’est contenté d’attaquer, dans le paganisme, ses divinités qu’il appelle des démons et quelques-uns de ses mythes qu’il qualifie d’absurdes et d’immoraux, ou bien d’arracher les juifs à leur entêtement, en leur démontrant, comme saint Justin, l’accomplissement des prophéties dans la personne du Christ. Ce qu’il demande aux juifs et aux païens, c’est de se convertir et d’embrasser le christianisme, la seule religion vraie. Voir Monceaux, loc. cit., p. 474-476.

Moraliste, il se préoccupe avant tout de voir la pratique de la piété et de la vertu chrétiennes régner souverainement dans les rangs du cierge et des fidèles. On sent un homme qui, peut-être, a distribué tous ses biens aux pauvres selon le conseil évangélique, mais qui, certainement, a voulu mener la vie des pauvres. Sur tous les problèmes de son époque, la conduite des catéchumènes, le rôle de la pénitence, la fuite en temps de persécution, les menées schismatiques, la recherche indiscrète du martyre, le sort de ceux qui sont prématurément enlevés par la mort, ses sentiments sont les mêmes que ceux de saint Cyprien. Pas de haine, recommande-t-il, le martyre lui-même ne servirait de rien sans la charité. Pour être de vrais soldats du Christ, il suffit de fuir les plaisirs et les spectacles et de combattre ses propres passions. Que les femmes évitent le luxe et s’appliquent à ne porter que des vêtements simples. Que les riches ne se laissent point paralyser par l’avarice, mais pratiquent généreusement les œuvres de miséricorde. Que surtout les membres du clergé, lecteurs, diacres, prêtres et évêques, remplissent bien leur ministère et donnent l’exemple. Voir Monceaux, loc. cit., p. 477-478.

Sa théologie manque de précision sur la doctrine de la trinité. Quelques vers de ses poèmes. Carm. apol., v, vs. 91 sq., 277 sq., 363 sq., 617 sq., ont une couleur modaliste et patripassienne assez prononcée. Il semble ne voir dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit, et surtout dans les deux premiers, que des noms différents donnés à la même personne. Dieu s’est dit Fils, lorsqu’il s’est manifesté, et afin de n’être pas reconnu. Par suite, au sujet de l’incarnation, Commodien parle d’une façon trop générale des souffrances et de la mort de Dieu. Ibid., vs. 327 sq., 357, 414, 775 sq. En revanche, Commodien a accueilli quelques-unes des fausses opinions qui couraient de son temps, telles que la chute des anges provoquée par un commerce charnel, Instr., iii, P. L., t. v, col. 203, et le millénarisme de Papias. Instr., xliii, ibid., col. 234. De même, il s’est fait l’écho de quelques fables, telle que celle du lion baptisé des Acta Pauli et Theclæ. Carm. apol., xxix, vs. 621, Spicilegium, t. i, p. 38. Enfin, il a inséré dans son tableau de la fin du monde plusieurs traits, empruntés soit à l’ancienne traduction de saint Irénée, qui lui a fourni le nom de l’Antéchrist, Latinus, Instr., xli, vs. 13, P. L., t. v, col. 231, soit surtout aux livres sibyllins. Instr., xli-xlv, ibid., col. 231-236 ; Carm. apol., xxvii-xlvi, vs 798-1012, Spicilegium, t. i, p. 43-48. Sous sa plume, la fin du monde devient un drame. Néron doit sortir de l’enfer. Élie viendra marquer les élus. Au bout de sept ans, Latinus accourra de Babylone à Jérusalem, tuera Néron, se proclamera le Christ, sera reconnu et adoré par les juifs. Alors surgira le vrai Christ avec les juifs perdus au delà de l’Euphrate ; il taillera en pièces l’armée de l’Antéchrist et s’emparera de Jérusalem. Ce sera le début du règne de mille ans, après quoi le monde s’écroulera et le jugement dernier aura lieu. Certains traits de ce tableau se retrouvent, plus ou moins déformés, dans Victorinus, Lactance, Tichonius, etc. Cf. Pitra, loc. cit., p. xxiii ; Monceaux, loc. cit., p. 478-480.

Poète, Commodien accuse une époque de décadence ; il connaît peu la prosodie classique ; il a recours au rythme, emploie l’accent tonique, qui tient lieu de mesure et de quantité, et rappelle ainsi les poêles primitifs de Rome. C’est de la poésie populaire, telle que la comprenait et la goûtait la race mêlée des environs de Carthage ou des provinces. Selon Bède, rythmus est verborum modulata compositio, non ratione metrica sed numero syllabarum, ad judicium aurium examinata, ut sunt carmina vulgarium poetarum. De metrica, 24, P. L., t. xc, col. 173. C’est le quasi versu, dont parle Gennade. « Pour donner à ceux qui lisent ces vers de hasard l’illusion des vers classiques, il conserve la césure après le second pied et forme le cinquième d’une syllabe accentuée suivie de deux qui ne le sont pas. » Bardenhewer, Patrologie, édit. franç., Paris, 1898, t. i, p. 356. Sa versification offre, en effet, un sujet difficile. « Il avait l’intention de faire des vers métriques : il recourt à son oreille qui lui suggère une mesure tonique. Ainsi s’explique le mélange bizarre de prosodie et de rythme tonique qui est le fond de sa versification. Quand le vers paraît rythmique, il l’est malgré la volonté de l’auteur. » Lejay, loc. cit., p. 386-387. Commodien n’est pourtant pas un ignorant ; car il loue, en passant, Térence, Virgile, Cicéron. Cf. Dombart, De fontibus Commodiani, præf., p. iii-vii. Sa forme poétique est celle dont l’Église usera dans les inscriptions funéraires et ses chants liturgiques. Dom Pitra écrit avec raison : Malim Commodiani mei versum, horridiore asperum cultu quam calamistris inustum. Placet namque mihi martyris aut martyrum præconis testimonium nudum, nihil fuco temperatum, nihil quod rhetorum artem aut sophismata philosophorum, nihil quod nugas sapiat Alexandrinorum. Spicilegium, t. i, p. xxv. Au demeurant, comme l’a fort bien dit Cave, son œuvre poétique est un remarquable monument de la piété antique, où éclate partout l’esprit de la vertu chrétienne et de la discipline, un zèle immense et incomparable, un amour sans bornes pour le Christ, une prédilection marquée pour les pauvres et un cœur vaillant prêt au martyre. M. Monceaux, loc. cit., p. 481-489, a étudié avec une compétence spéciale la langue et la versification de Commodien. Le poète écrit dans la langue populaire, et sa versification est restée une énigme. M. Monceaux n’admet chez Commodien ni la versification rythmique, ni des règles fixes. Le poète ne respecte pas plus les lois du rythme tonique que celles de la prosodie. Ses vers ressemblent vaguement aux hexamètres classiques ; ils sont presque tous faux, bien que Commodien ait voulu les faire corrects. Imitation approximative de l’hexamètre classique, césure régulière, hémistiches symétriques, rythme à peu près normal des deux derniers pieds : tels sont les procédés instinctifs de sa versification élémentaire. Joignez-y l’emploi de l’acrostiche, du distique, le goût du parallélisme et l’usage, tantôt systématique, tantôt capricieux, de la rime. Commodien n’était pas un lettré, mais plutôt un demi-lettré, qui sème des barbarismes et fabrique de mauvais vers, parce qu’il ne sait pas mieux faire.

Commodien n’a pas connu que les auteurs profanes, poètes ou prosateurs ; il a aussi utilisé certains apocryphes, tels que le livre d’Hénoch, les Acta Pauli et Theclæ, les Actes de Pierre perdus ; il a puisé dans Papias, les livres sibyllins, Hermas. Harnack, Theologische Literaturzeitung, 1876, p. 51 sq. Zahn a relevé des rapprochements avec les œuvres de saint Théophile. Geschichte des neutestamentlichen Kanons, Erlangen, 1881-1884, t. ii, p. 301 sq. ; t. iii, p. 259. Dombart en a relevé d’autres avec Minucius Félix. Commodiani opera, Vienne, 1887, p. iii, note 5. Il paraît se souvenir de Lactance et a peut-être mis à contribution saint Irénée et saint Théophile d’Antioche. Mais c’est surtout avec Tertullien et saint Cyprien qu’il a de nombreux points de contact. Comme eux, il se servait de la même version de l’Écriture et connaissait les livres protocanoniques et deutérocanoniques de l’Ancien Testament ; mais il ne possède ni la force ni l’originalité du premier, ni la douceur ni l’élégance du second ; il reste un écrivain intéressant, mais d’un ordre inférieur.

I. Éditions. — Les Instructiones ont été éditées par Rigault, Toul, 1649 ; 2e édit., 1650 ; rééditées par Galland, Bibliotheca veterum Patrum, t. iii ; Migne, P. L., t. v, col. 189-262. Œhler en a fait une édition nouvelle, Leipzig, 1847. Le Carmen apologeticum a été découvert et publié par Pitra, Spicilegium Solesmense, Paris, 1852-1854, t. i, p. xvi-xxv, 20-49, 587-543 ; t. iv, p. 222-224. H. Rönsch en a donné une nouvelle édition dans Zeitschrift für die historische Theologie, 1872, t. xlii. p. 163-302. Les deux poèmes ont été édités ensemble par Ludwig, Commodiani opera, Leipzig, 1877-1878 ; Dombart, Commodiani opera, dans le Corpus script., de Vienne, 1887, t. xv.

II. Travaux. — Outre les études de Rigault, Dodwel, Cave, Pitra, déjà signalées dans l’article, Freppel, Commodien, Arnobe, Lactance, Paris, 1893 ; Ebert, Commodians carmen apologeticum, dans Abhandl. der sächs. Geschichte der Wissenchaft, Leipzig, 1870, t. v, p. 387-420 ; Leimbach, Carmen apologeticum, program, Smalcalde, 1871 Kælberlah, Curarum in Commodiani Instructiones specimen, Holle, 1877 ; Han, De arte metrica Commodiani, Strasbourg, 1881 ; Aubé, L’Église et l’État dans la seconde moitié du iiie siècle, Paris, 1885, p. 517-544 ; G. Boissier, Commodien, dans les Mélanges Rénier, Paris, 1887, p. 37-63 ; La fin du paganisme, Paris, 1891, t. ii, p. 31-50 ; L’Afrique romaine, Paris, 1901, p. 302 ; Bardenhewer, Commodien, dans Kurchendexikon, Fribourg-en-Brisgau, t. i, p. 701-704 ; Patrologie, édit. franç., Paris, 1898, t. i, p. 353-39 ; Geschichte der altkirchliechen Literatur, Fribourg-en-Brisgau, 1903, t. ii, p. 584-593 ; G. Kruger, Geschichte der altchrist. Litt., 2e édit., Fribourg-en-Brisgau et Leipzig, 1895, p. 199-201 ; Hurter, Nomenclotor, 3e édit., Inspruck, 1903, t. i, col. 86-88 ; Harnack, Die Chronologie der altchristl. Litteratur, Leipzig, 1904, t. ii, p. 433 sq ; P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, Paris, 1905, t. iii, p. 451-489 ; Smith et Wace, Dictionary of christian biography, Londres, 1877, t. i, p. 610 ; W. Meyer, Der Versbau Commodians, dans Abhandt. der bayer. Akademie, 1885, t. xvii, p. 288-307 ; Vernier, La versification populaire en Afrique : Commodien et Verecundus, dans la Revue de philologie, 1891, t. xv, p. 14-33, 117-130 ; de Gourmont, Le latin mystique, Paris, 1892, p. 23-31, J. L. Jacobi, Kommodianus und die altkirchliche Trinitatslehre, dans Deutsche Zeitschrift für christl. Wissenschaft, 1853, t. iv ; L. Atzberger, Geschichte der christl. Eschatologie innerhalb der vornicänischen Zeit, Fribourg-en-Brisgau, 1896, p. 555-566 ; J. Tixeront, Histoire des dogmes. I. La théologie anténicéenne, Paris, 1905, p. 405-452 ; U. Chevalier, Répertoire Bio-bibliographie, 2e édit., t. i, col. 999-1000.

G. Bareille.