Dictionnaire de théologie catholique/DÉMOCRATIE

La bibliothèque libre.
Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.1 : DABILLON - DIEU philosophie modernep. 144-169).

DÉMOCRATIE.
I. Le double sens du terme : le régime politique, le mouvement social.
II. La compétence des théologiens au sujet de la démocratie.
III. Saint Thomas d’Aquin : la théorie morale de la démocratie au xiiie siècle.
IV. Savonarole : le problème pratique de la démocratie à Florence, au xve siècle. V. La légitimité de la démocratie, d’après l’enseignement commun des théologiens.
VI. Le mouvement démocratique aux temps modernes.
VIL De Pie VII à Grégoire XVI : condamnation réitérée des menées révolutionnaires.
VIII. Pie IX : la souveraineté du nombre et de la force matérielle, condamnée par le Syllabus.
IX. Léon XIII : la démocratie politique reconnue parmi les formes de gouvernement que l’Église peut accepter.
X. L’éducation morale de la démocratie ; problèmes connexes.
XI. L’encyclique De conditione opificum et la démocratie comme mouvement social.
XII. L’encyclique Graves de communi et la démocratie chrétienne.
XIII. Pie X : l’encyclique Pascendi et la démocratie dans l’Église.

I. Le double sens du terme : le régime politique, le mouvement social.

Le régime politique.

Dans l’usage courant, le terme démocratie éveille d’abord l’idée d’un peuple qui se gouverne lui-même. C’est le sens voulu par l’étymologie. C’est le sens consacré par l’opposition classique de la démocratie, gouvernement de la multitude, à l’aristocratie, gouvernement de l’élite en petit nombre, et à la monarchie, gouvernement d’un seul. Platon, République, l. i, c. viii, Le politique ; Aristote, Politique, l. ii, c. iv. v ; Polybe, Histoire générale, l. VI, c. iii ; Cicéron. La République, l. I, c. xxix, xlv ; l. II, c. xxix, xxxix ; S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. cv, a. 1 ; Machiavel, Discours sur les Décades de Tite Live, l. I, c. ii ; Montesquieu, Esprit des lois, l. I, c. ii ; Rousseau, Contrat social, l. III. c. iii. x ; Fonsegrive, La crise sociale, Paris, 1901, p. 438, 440 ; Gayraud, Les démocrates chrétiens, Paris, 1899, p. 4 ; Ch. Antoine, S. J., Cours d’économie sociale, Paris, 1899, p. 248 ; sir Henry Sumner Maine, Essais sur le gouvernement populaire, Paris, 1887, p. 90.

Mais que signifie exactement le mot peuple dans cette définition nominale de la démocratie ? Dans un sens large et fondamental, c’est une multitude, composée de familles et d’autres groupes, unifiée par de communs intérêts et de communes lois. S. Augustin, d’après Cicéron, De civitate Dei, l. II, c. xxi ; l. XIX, c. xxi, P. L., t. xli, col. 66, 648. Mais, tandis que certaines sociétés se maintiennent dans une sensible égalité des conditions et des fortunes, soit par suite des ressources modiques du lieu, soit par suite de travaux faciles, art pastoral et culture rudimentaire, d’autres sociétés, mieux pourvues de ressources locales ou plus laborieuses, se distinguent en classes : les ouvriers et les patrons, les pauvres et les riches, les gens à l’aise et les opulents, les petits et grands propriétaires. L’égalité et l’uniformité des conditions se maintiennent facilement dans les sociétés simples, vivant de récoltes spontanées, de culture extensive, de petite fabrication ménagère ; mais elles font place à de croissantes inégalités dans tout milieu qui exige un travail intense. E. Demolins, Comment les sociétés compliquées sont issues des sociétés simples, dans La science sociale, 1886, t. i, p. 486, 520 ; Id., Les commencements de la culture, ibid., 1886, t. ii, p. 413, 432. C’est par l’effet de ces causes, que, chez les Grecs, le terme δῆμος, et, chez les Latins, populus, reçurent une acception particulière nouvelle. Les patriciens, grands propriétaires fonciers ou commerçants enrichis, se distinguèrent de la masse ouvrière et pauvre, spécialement nommée le peuple. C’est en ce sens que le protocole disait : Senatus populusque romanus. C’est en ce sens que l’Iliade oppose le δῆμος aux rois et aux chefs. Iliad., II, 188, 198 ; Odys., VIII, 157. Les politiques disaient, à peu près comme à Rome, ἡ βουλὴ καὶ ὁ δῆμος ; comme enfin ce sont les travailleurs manuels qui forment la grande majorité des sociétés, et que les classes riches, les aristocraties, les gouvernants, échappent de par leur condition à la nécessité du travail manuel, peuple se dit plus spécialement encore au sens restreint de la classe ouvrière.

Est-ce du peuple-ouvrier, de la multitude sans fortune, ou bien du peuple en totalité que l’on entend parler en disant que le peuple gouverne dans la démocratie ?

Chez les anciens, ce n’était absolument ni de l’un ni de l’autre ; car les démocraties classiques de la Grèce excluaient de tout droit politique diverses catégories de travailleurs manuels : les esclaves ruraux et domestiques ; les périoèques de la Crète, les métèques de l’Attique, les 'poénestes de Thessalie, les hilotes de Sparte. C’étaient des paysans attachés à la glèbe, des serfs ou des demi-serfs de la terre. Aristote, Politique, l. II, c. vi. § 2. 3. C’est que l’État grec, la cité, se composait d’une ville, soit militarisée comme à Sparte, soit plus généralement enrichie par le commerce de terre et de mer. Les bourgeois possédaient en outre des propriétés dans la banlieue, cultivées en régie par les types de serfs énumérés plus haut. Par la richesse, l’habileté dans les affaires, la culture de l’esprit, la pratique des sports et de l’équitation, le prestige des assemblées délibérantes, la bourgeoisie en corps dominait les paysans de la banlieue, comme les artisans de la ville. Gabriel d’Azambuja, La Grèce ancienne, Paris, 1906 ; Le Play, La réforme sociale, c. lxii, § 13. De cette situation de fait, Aristote extraira sa théorie du citoyen, qui sera vraiment l’idéal grec : un bourgeois assez honnête et assez lettré pour faire tour à tour acte de gouvernant et de gouverné, de juge et de justiciable ; assez riche, pour ne dépendre de personne et posséder tous les loisirs que réclament les assemblées de l’ἀγορά et de la βουλή. « Dans une cité bien constituée, les citoyens ne doivent point avoir à s’occuper des premières nécessités de la vie : c’est un point que tout le monde accorde ; le mode seul d’exécution offre des difficultés. » Aristote, Politique, l. III, c. iii, § 1, 3. De par cette exclusion, si rigoureuse en principe, une démocratie grecque se ramenait dans la réalité à une bourgeoisie privilégiée. Etant données la facilité de vivre sur les rivages de l’Archipel et sous le ciel méditerranéen, la frugalité d’une race contente avec quelques sardines, quelques olives, quelques ligues, sans grands besoins de chauffage ni de vêtements, beaucoup de citoyens peu fortunés vivaient à l’aise. Alors, au lieu de l’oligarchie des riches ou de l’aristocratie des anciennes familles, une quasi-démocratie se constituait, par l’accession au pouvoir de la masse plus humble. Mais, en regard des cent mille esclaves ou métèques de l’Attique, les six mille citoyens de la démocratie athénienne restaient, dans le fait, une simple oligarchie.

C’est dans un sens tout différent que, de nos jours, on entend la démocratie. Tandis que la pratique du commerce, la richesse, la civilisation urbaine inspiraient naturellement aux Grecs le mépris du travail manuel, de l’artisan et du paysan, l’Évangile et l’Eglise en ont prêché et inculqué le respect, au nom de la fraternité humaine en Dieu et de la loi morale du travail. Les races du Nord et du Centre de l’Europe étaient d’ailleurs mieux prêtes que les races méditerranéennes, à entendre cet enseignement : l’amollissante douceur de vivre énerve souvent ces dernières, par les caresses du soleil et les dons spontanés du sol ; mais, au contraire, les climats froids et tempérés, les terrains pauvres, la productivité plus incertaine de l’Europe centrale ou septentrionale enseignent rigoureusement la nécessité el le prix du travail. Surélevées par le christianisme, ces influences du lieu et du métier ont déshabitué l’Européen moderne de regarder l’ouvrier comme moins homme, d’abord, et ensuite moins citoyen que le bourgeois ou le noble. C’est du peuple en totalité, que l’on parle depuis longtemps en France, quand on dit le peuple, au point de vue politique. Au Etats-Généraux de 1483-1484, Philippe Pot, représentant de la noblesse de Bourgogne, disait : « Un état ou un gouvernement quelconque est la chose publique, et la chose publique est la chose du peuple ; quand je dis le peuple, j’entends parler de la collection ou de la totalité des citoyens, et dans cette totalité, sont compris les princes du eux-mêmes comme chefs de la noblesse. » Recueil des anciennes lois françaises, t. xi, cité par le R. P. Maumus, L’Eglise et la France moderne, p. 201.

Tel est, logiquement, le sens entendu, lorsque, de nos jours, on définit la démocratie par l’accession du peuple au pouvoir : ainsi le pensent les philosophes qui définissent les termes. D’après M. Goblot, Vocabulaire philosophique, Paris, 1901, démocratie veut dire : « État social où le pouvoir politique est exercé par le corps social tout entier, sans distinction de caste ni de classe. » Les politiques en tombent d’accord. M. Charles Benoist disait à la Chambre des députés, le 6 mars 1908 : « La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple et non pas le gouvernement d’une partie du peuple par une autre. » Cf. Fonsegrive, La crise sociale, p. 438, 440.

Tel est le sens actuel du mot démocratie ; mais l’idée qu’il éveille chez nous correspond-elle aussi bien à quelque chose de réel ? Des théologiens et des philosophes, comme le cardinal Zigliara, Summa philosophica, t. iii, De auctoritate sociali, § 7 ; des politiques, comme M. de Lamarzelle, relèvent une « flagrante contradiction » entre les nécessités réelles du gouvernement et la notion de peuple gouvernant : le commandement et l’obéissance, l’action subie et l’action exercée ne peuvent se trouver dans le même sujet. Il faut qu’à la masse dirigée, une organisation des dirigeants se superpose, sous peine d’anarchie. De Lamarzelle, Démocratie politique, démocratie sociale, démocratie chrétienne, Paris, s. d., p. 2, 3. Visiblement impressionné par des vues du même ordre, M. G. Clemenceau regarde le peuple comme une « masse flottante », qui ne se mène pas, mais qu’on mène : « En réalité, ce qu’on entend par démocratie dans le langage courant, c’est l’accroissement fatal, profitable, mais incohérent des minorités gouvernantes. » Le Grand Pan, p. 316, 317.

Il y a une part de vérité dans ces considérations, mais aussi une part d’erreur. Elles sont trop générales, trop absolues, pour s’appliquer exactement à tous les modes possibles de gouvernement direct ou indirect par le peuple ; aussi, nous ne signalons ici de telles appréciations que pour rappeler le danger particulier des généralités oratoires ou dialectiques, dans une matière aussi complexe et aussi variable que la vie sociale. L’observation des types concrets de gouvernement qualifiés démocratie nous dira seule dans quelle mesure la multitude arrive ou non à se gouverner elle-même. La connaissance réelle et scientifique de la démocratie est à ce prix.

1° cas : le gouvernement direct par le peuple en assemblée générale.

Ce type se réalise tout près de nous, depuis bien des siècles, dans un certain nombre de cantons suisses. « D’après la constitution d’Appenzel (Rhodes intérieures), qui se retrouve, à peu de chose près, dans les cantons de Rhodes extérieures. de Glaris, d’Uri, des deux l’Uterwalden, le pouvoir souverain — sous réserve des droits de l’assemblée fédérale — est exercé par les citoyens du canton réunis en assemblée générale : Landsgemeinde. Un Grand Conseil, élu par la Landsgemeinde, est chargé de préparer les lois. Le pouvoir exécutif est confié à un Conseil d’État, nommé par l’assemblée ; le Landamman, qui fait partie de ce Conseil, est le chef du pouvoir exécutif. La puissance souveraine repose donc essentiellement dans le peuple. Il se donne sa constitution, vote ses lois, nomme ses autorités, ses fonctionnaire et ses juges. » Il approuve ou censure les comptes de l’administration financière. Robert Pinot, La démocratie actuelle en Suisse, dans La science sociale, Paris, 1891, t. ii, p, 184, 186. Voici donc le gouvernement du peuple par lui-même : 1° dans le vote des lois que lui préparent des mandataires particuliers ; 2° dans le contrôle financier de ceux-ci ; 3° dans leur nomination. Ces actes de souveraineté s’accomplissent collectivement, à la majorité des voix, à intervalles périodiques. Dans le train quotidien de la vie, chacun retourne à ses affaires ; il redevient simple citoyen, pour obéir aux magistrats, payer les taxes, observer les lois. Nous ne trouvons là aucune trace de « la flagrante contradiction » alléguée tout à l’heure : les citoyens ne sont pas gouvernants et gouvernés dans le même instant, sous le même rapport, pour le même objet. Von Hertling, Democrazie, dans Slaatslexicon, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1901, col. 1335-1338.

Mais aussi bien, ce gouvernement direct par le peuple ne saurait être qu’intermittent ; chacun se doit à son gagne-pain, à sa famille, à ses intérêts dans la vie quotidienne. Nécessairement, l’exécution quotidienne des lois, l’administration des personnes et des deniers publics, la préparation des textes législatifs, la police, réclament des fonctionnaires, des spécialistes, des magistrats. La masse du peuple doit s’en remettre de ces soins et de ces charges à une minorité dirigeante. Mais il la nomme et il la contrôle en assemblée générale : il retient donc son éminente souveraineté, bien qu’il transfère diverses juridictions qu’il ne saurait exercer. Ainsi, le gouvernement du peuple par le peuple existe ; et il mélange aussi bien l’exercice direct du pouvoir par la multitude et son investiture à des autorités.

Mais il y faut des conditions particulières :
un étroit territoire et une population peu nombreuse, afin que la totalité des citoyens puisse aisément se transporter à l’assemblée générale, et y entendre les rapports, les propositions, et y compter ses votes. Robert Pinot, loc. cit., p. 187.
2° Il faut aussi l’égale possibilité pour les citoyens de se prononcer en connaissance de cause sur les candidats, les projets de loi et les comptes. Cette possibilité n’existe que dans un état social peu compliqué, pour des affaires simples. Voilà pourquoi la démocratie directe est de temps immémorial le régime de cantons forestiers, pastoraux, dont les vallées renferment peu d’industrie, pas de grand commerce, avec une population de paysans sensiblement égaux entre eux. Les intérêts cantonaux ne sont en réalité que des intérêts intercommunaux. Dans ces milieux, « la démocratie surgit de la nature de l’homme et des choses. » Le Play, La réforme sociale en France, Tours, 1887, t. iii. p. 308.
3° La démocratie directe exige enfin chez ses participants un sérieux amour du bien commun, s’inspirant de la justice, de la fraternité et du goût de la paix. « Elle fait naître toujours la prospérité, si le peuple, soumis à la loi de Dieu, s’accorde à conférer le pouvoir aux autorités naturelles, » c’est-à-dire aux plus capables et aux plus dignes. Le Play, loc. cit. Et aussi bien les montagnards suisses sont-ils profondément honnêtes et sauvegardés dans leur honnêteté par une religion convaincue et grave. Robert Pinot, loc. cit.

Ainsi, le gouvernement direct du peuple par le peuple se réalise dans les petits États de vie simple, de médiocres affaires et de haute moralité. Il s’adjoint aussi bien une minorité de délégués ou de mandataires.

2e cas. — L’adjonction de cette minorité devient plus nécessaire encore, et sa fonction plus considérable, dès que la population devient plus dense, avec une vie plus compliquée, dans un pays devenu plus riche, par la culture, l’industrie et le commerce. Des intérêts plus nombreux et plus délicats sont à ménager, à promouvoir, à défendre ; et leur discussion technique ou prudentielle dépasse les loisirs comme les capacités de la masse. Elle ne les connaît plus par elle-même que très en gros. C’est par l’effet de ces causes, que, dans les cantons de Berne, Fribourg, Râle, Genève, Zurich, des représentants assemblés se substituent à l’assemblée générale. A Berne, le pouvoir législatif en entier appartient à un Grand Conseil, pour quatre ans aussi, et que préside un magistrat annuel. En cours le 09/2023 Mais cette part faite à la nécessité de spécialistes gouvernants, le peuple garde le contrôle des lois par voie de référen dum : c’est le vote suprême sur leur rejet ou leur adoption. Grâce à la clause, introduite dans toutes les constitutions cantonales ou fédérali s. le peuple suisse conserve le droit d’annuler purement et simplement les lois de ses représentants qui ne lui plaisent pas. Robert Pinot, loc. cit., p. 191 sq. Ces modifications nouvelles du régime démocratique nous permettent de distinguer un 2e cas : le gouvernement direct fait place à un gouvernement représentatif, dont le peuple retient le contrôle effectif par la clause de référendum. (Ne pas confondre celui-ci avec le plébiscite : le plébiscite porte sur un homme, et non sur une loi ; le plébiscite peut servir à se donner un César, mais le référendum demeure essentiellement un moyen de contrôle populaire.)

3e cas. — Puisque ce sont l’intensité du travail, l’accroissement de la richesse, la complexité’des in ! qui déterminent les institutions représentatives, nous verrons les minorités gouvernantes de députés, de fonctionnaires, de citoyens inlluents s’accroître considérablement dans les grands pays riches. Tout ce que le peuple y peut retenir, dans les affaires générales de la province ou de la nation, c’est le contrôle légal par voie de référendum, ou bien encore l’inlluence positive, comme celle que les Trade-Vniuns exercent en Angleterre sur la législation et dans le parlement, par la puissance combinée du nombre, de la compétence, et de l’action disciplinée. Ainsi, les grands États démocratiques ou qui vont se démocratisant, réalisent un 3e cas de gouvernement par le peuple : indirect et représentatif, pour l’ordinaire, avec moyens légaux et reconnus d’action populaire. Le mouvement tradeunioniste aux États-Unis, Circulaire du Musée social, n. 10, série B, 29 juin 1897 ; Le Cour-Grandrnaison. Le passé et l’avenir des Trade-Unions.

4* cas. — Enfin, dans tout état social et politique, compliqué ou simple, monarchique, aristocratique ou républicain, le gouvernement du peuple par le peuple se réalise aisément, utilement, pour les affaires intérieures des communes rurales. C’est un cas analogue à celui des cantons suisses forestiers et pastoraux. Partout, excepté en France, les paroisses et les communes forment des démocraties indépendantes. Le Play. La réforme sociale en France, t. iii, p. 309, 310. La commune russe, ou le mit’. Tikhomirov, La Russie politique et sociale, p. 113, 116 ; Stepniak, La Russie sous les tsars, p. 6 ; A. Leroy-Beaulieu. L’empire des Tsars et les Russes, 2e édit., Paris, 1883, t. i, p. 476 sq. La commune rurale suisse (Jura Rernois). R. Pinot. Monographie du Jura bernois, dans La science sociale, 1887. t. iii, p. 619 sq. — Allemagne (Lunebourg). E. Demolins, Le Rauer du Lunebourg, ibid., 1887, t. III, p. 585, 593. — Angleterre, Le Play, Constitution de l’Angleterre, t. n. c. ni ; La réforme sociale en France, t. ii, c. i.v. î.vi ; cf. lti ; c. Routmy. Le développement et la constitution de la société politique en Angleterre ; Edward Jenks, Esquisse du gouvernement local en Angleterre, Paris, 1902. — Norvège. Paul Bureau, Le paysan des fjords de Norvège, dans La science sociale, 2° période, 2P fascicule, p. 208. 211.

Ces espèces variées de communes rurales présentent les caractères génériques suivants : 1° souveraineté de l’assemblée générale des habitants qui paient les taxes ; 2° nomination et contrôle dos agents communaux par l’assemblée ; 3° extension des pouvoirs de l’assemblée ou de ses mandataires aux intérêts locaux et solidaires des familles domiciliées : chemins communaux, police des champs et endroits publics, dépenses du culte et de l’instruction primaire, assistance des indigents de la commune. Aucun de ces besoins ne dépasse la compétence qu’un paysan peut acquérir par la pratique journalière de son travail, de sa vie domestique et de ses relations avec ses voisins. Immédiatement

intéressé à ce que les frais de ces divers services ne le surchargent pas, voyant de ses yeux ce qu’on lui donne pour son argent, il sera un émérite contrôleur de ses mandataires et de son budget, et le plus économique : il les surveille gratuitement pour des motifs de bien propre. E. Guerrin, Les faux remèdes au mal social, dans La science sociale, 1887, t. iii, p. 362. On retrouve ainsi la démocratie directe, assistée de mandataires élus, responsables et contrôlés, dans l’administration des communes rurales comme dans le gouvernement des petits Etats où la vie est simple.

On constate en même temps le développement de la démocratie représentative, avec des mandataires élus, qui gouvernent eux-mêmes, plus ou moins contrôlés, à mesure que les Etats se compliquent par l’accroissement de la population, de la richesse et des groupements ou classes distinctes. En ce dernier cas, l’influence quotidienne des minorités au pouvoir, de l’administration, des partis, peut arriver à supprimer dans la pratique le contrôle du peuple, si les moyens légaux lui sont refusés à cet égard et si sa formation dans la famille, dans la commune, dans les associations professionnelles, ne l’exerce pas au contrôle de soi-même et de ses affaires. C’estdire que l’expression démocratie représentative exigerait encore bien des observations spéciales pour arriver à sa dernière précision.

L’on voit par là qu’il faut prendre l’expression « gouvernement du peuple par le peuple » comme la formule très générale, très inadéquate, d’un ensemble de faits, diversifiés largement par espèces et variétés. Cette formule ne suffit que pour tracer une démarcation sommaire entre aristocratie, monarchie et démocratie. Mais une notion précise, complète, scientifique de ce dernier régime ne peut s’acquérir que par l’analyse des types de sociétés et de gouvernements où, dans le concret, une commune, un canton souverain, un grand Etat se gouverne. Au prix seulement de ces observalions particularisées, on évitera ce que Le Play nommait « l’abus des mots » et « une phraséologie abrulissante. Malheureusement beaucoup de lettrés, de journalistes, de politiciens en donnèrent ou en donnent l’exemple, avec tant d’expressions d’un sens très respectable, mais 'employées ^ms discernement et sans précision ! Démocratie est du nombre, avec liberté, -.esprit moderne, science moderne, civilisation, l.n réforme sociale en France, t. iii, p. 306. Cf. L’organisatiou du travail, g 56-60.

2° Le second sens du terme démocratie dérive du premier. Qu’un peuple vive en république ou en moaarchie, du moment qu’il admet le suffrage universel, le peuple v participe au pouvoir. Dans un royaume ou « fuis mi empire, un élément de démocratie politique s’introduit alors au milieu de la constitution. Son

avéne ni noie en quel, pic sorte la minorité dei

teurs censitaires, capacitaires ou privilégiés dans une masse bien plus considérable d’ouvriers ou de paysans en 1848, le suffrage universel ajouta pn huit millions d'électeurs ouvriers et paysans aux deux cent mille censitaires de Louis-Philippe. Cel a ment politique, d’une part, et, de l’autre, les souffrant i

iquées dans la classe ouvrière par letransformations de l’industrie, popularisèrent l’idée de gowx ou profit du peuple, nier terme employé

dans le sens particulier de la classe ou i m pouvoir par ton droit de suffragi. cette

mullitud pi ! .

lus el la preste. L ancienne législatiot difla Paul Bureau, Le contrai de travail, Paris, 1902, ji. 209, Jll.cii. Benoist, L’organisation du ira

1905, p. ! », lu l’avén< ment politique de la di ratie, un mouvement d’opinion s’ensuit, qui réclame, étudie et provoque d

loi nouvelle sur les lyndl

assurances obligatoires contre les risques professionnels et accidents du travail, inspection des ateliers, lois sur l’hygiène des locaux et des habitations. A raison de l’inspirateur et du bénéficiaire de ce mouvement, qui est le peuple, classe ouvrière, tout ce mouvement social se qualifie démocratique. Dans ce nouveau sens, démocratie représente une fin spéciale de l’initiative privée et de l’action gouvernementale. Au lieu de désigner un régime politique, ainsi que le veulent son étymologie et son sens propre, il s'étend par analogie à un mouvement social en faveur de la classe ouvrière. Ce n’est plus S/jivoy.paT’a, ce serait plutôt £r, (jLo ; pi) ; a. Tel est le sens où nous disons : des mesures démocratiques, des lois démocratiques ; nous voulons dire : amies du peuple-ouvrier. Ce sens nouveau est devenu classique chez tous ceux qui s’intéressent au bien particulier des travailleurs manuels, soit de la campagne soit des villes. Fonsegrive, La crise sociale, p. 438, 440 ; Ch. Antoine, Cours d'économie sociale, p. 248. Nous verrons tout à l’heure comment Léon XIII s’achemina vers ce sens nouveau dans l’encyclique Berum novarum et le consacra définitivement à un usage chrétien dans l’encyclique Graves de communi.

II. La compétenxe des théologiens au sujet de la démocratie. — Les analyses de termes et de faits qui précèdent nous montrent la démocratie, régime politique, et la démocratie, mouvement social, comme deux faits naturels, qui relèvent de causes familiales, professionnelles, économiques, communales, gouvernementales, et qui se subordonnent essentiellement aux fins de la vie présente. C’est pourquoi la démocratie est étrangère de soi à l’objet propre du théologien, qui est le surnaturel et la fin dernière.

Un seul ordre de faits sociaux relève directement par soi de la théologie : les faits constitutifs de l'Église ; et aussi bien, appartiennent-ils au dépôt de la révélation. C’est la Jérusalem nouvelle, dont le plan, même sur terre, est descendu de Dieu, tracé dans ses grandes lignes par Jésus-Christ et par ses apôtres.

En revanche, nous constatons l’absence de tout enseignement révélé sur la démocratie dans l’Ecriture et dans la tradition. Et c’est pourquoi il n’en est pas question au cours du développement dogmatique réalisé

par les l’eres.

Mais, à partir des scolastiques, la démocratie devient, au contraire, un objet d'étude qui retiendra l’attention îles maîtres. Au xixe siècle, des papes. Pie IX et Léon XIII. lui donneront une place croissante dans les enseignements pontificaux. Voilà un double fait doctrinal, un double fait catholique, en face duquel on se demande ; i quel titre les papes et les docteurs croient devoir s’occuper de la démocratie.

Un régime politique, un mouvement social, ne se propage ou ne s’exerce pas, sans engager du droit ou île l.i violence, de la justice ou de l’injustice ; sans -., trouver non plus en sympathie ou en conflit avec les droits sociaux de l'Église. Ainsi, par des répercussi morales ou religieuses, la démocratie intéresse l'Église

i tes théologiens. Telle est du moins la conclusion ie i ili que nous suggère l’observation Bommaire di Faits, tassi, devons-nous aller plus loin. Pour chacun des pontil docteurs qui se sont occupés de la

démocratie, nous aurons < spécifier dans quelle situation sociale, de -a personne, de sa fonction, de SOH milieu civil ou religieux, il dut ou non intervenir à pi opos de démocratie. On ni trou era pas, néanmoins, dans cet article, des

ii eignements techniqui et spéciaux sur les Instilutions et mouvements démocratiques, sinon dans lu mesure où leur intelligence est ne expliquer 1rs doctrines catholiques, Nous ne di nous

i ni dans l 1 ' domaine réseï i é de I poli lique et sociale ; mais cependant n Ii ons sufflsam

ment y pénétrer, l’n principe de méthode, un devoir professionnel de théologien nous commande cette extension de compétence, afin de juger intelligemment et en équité, au point de vue chrétien, la démocratie. La probité de l’étude et la prudence du conseil l’exigent également d’un spécialiste de la inorale ; en s’occupant. à de telles lins, de faits apparemment profanes et temporels, le théologien ne sort pas plus de sa compétence dans les choses divines et de sa mission d’enseignement religieux, que saint Thomas n’en sort en étudiant à fond la théorie métaphysique de la nature et de la personne pour son traité de l’incarnation. Notre-Seigneur Jésus-Christ se continue moralement et socialement dans l’Église enseignante, étudiante et enseignée ; et -si, pour satisfaire à leurs diverses fonctions, les pouvoirs enseignants, les puhlicistes enseignés abordent le problème moral de la démocratie et de ses rapports avec la vie catholique, ils demeurent aussi bien en communion avec Jésus-Christ dans la pensée de son Église. S’ils quittent en apparence Jésus-Christ, pour s’occuper de démocratie communale ou de lois ouvrières, c’est afin de propager l’esprit de son Évangile dans ce que ces institutions doivent renfermer de juste et de fraternel.

On aurait tort, ici, de reprocher au théologien quelque inutile complication de son caractère : il ne fait que son devoir dans les limites de sa compétence ; car celle-ci doit annexer des renseignements de fait, historiques et sociaux, aux principes de foi révélée et de morale naturelle dont l’Église est dépositaire.

Un lieu théologique de la plus haute valeur, un enseignement pontifical réitéré et approfondi, nous certifie la pensée de l’Église, à propos de cette compétence. Dans sa Lettre au ministre général des frères mineurs, Léon XIII écrivait, le 25 novembre 1898 : « Plus que jamais c’est sur le peuple que repose en grande partie le salut des États. Aussi, étudier de prés la multitude, qui si souvent est en proie, non seulement à la pauvreté et aux durs labeurs, mais encore à toutes sortes de pièges et de dangers ; l’aider avec amour d’enseignements, de conseils et de consolations, tel est le devoir des prêtres séculiers et des réguliers. Nous même, si nous avons adressé aux évêques nos encycliques sur la franc-maçonnerie, sur la condition des ouvriers, sur les principaux devoirs des citoyens chrétiens, et autres du même genre, c’est surtout dans l’intérêt du peuple, afin qu’elles lui apprissent à délimiter ses droits et ses devoirs, à.se diriger lui-même, à travailler comme il convient à son propre salut. » On remarquera, dans ces dernières lignes, que Léon XIII ne voit aucune contradiction, pas même d’impossibilité pratique, dans l’idée d’un peuple qui se dirige lui-même, exactement conscient de ses droits et de ses devoirs. Et c’est la classe ouvrière qu’il vise directement.

III. Saint Thomas d’Aquin : la théorie morale de la démocratie au xiiie siècle. — I. les documents. — 1° Le Commentaire sur la Politique d’Aristote.


De nombreuses leçons concernent la démocratie dans les huit livres de commentaires édités sous le nom de saint Thomas. Mais ce n’est pas là qu’on peut absolument reconnaître sa pensée personnelle. D’abord, il ne poursuivit lui-même la rédaction de cet ouvrage que jusqu’à la fin de la leçon vie du 1. III. Le reste est l’œuvre de Pierre d’Auvergne, un disciple fidèle, en qui, assurément, se retrouvent l’esprit et la méthode du maître, mais dont le texte, néanmoins, ne saurait engager l’opinion personnelle de saint Thomas. De Rulieis, Dissertationes rriticæ in S. Thomam, diss. XXII, c. iii, § 2. De plus, c’est seulement à partir de la leçon vr 5 au l. III, que saint Thomas commente la division classique des trois formes de gouvernement. La plus grande partie de ses commentaires personnels sur le régime démocratique nous manque ainsi ; car

Aristote en parle surtout dans les chapitres ou livres suivants.

Du moins, possédons-nous la leçon vr. et dans le I. II e de précieuses observations sur la démocratie, à propos des constitutions de la Crète, de Carthage et de Lacédéinone. Lect. xiii-xvi. Mais, on ne saurait oublier que l’originalité de saint Thomas, commentateur d’Aristote, consiste précisément à s’eflacer en entier, pour établir une exégèse littérale du Philosophe, aussi objective que possible, sans trace de vues à soi, d’approbations ni d’improbations. Toute sa visée est de réagir contre l’exégèse sollicitante qu’il a blâmée chez Averroès et qu’il combat chez les disciples de Siger de lirabant. Mandonnet, Aristote et le mouvement intellectuel du moyen âge, Fribourg, 1899, p. 40. A raison de cette méthode particulière, deux conditions s’imposent dans l’usage des Commentaires sur la Politique, si l’on veut y retrouver les idées personnelles de saint Thomas : 1° il faut que les doctrines formulées dans le Commentaire se retrouvent explicitement dans quelque ouvrage où saint Thomas parle en son nom personnel ; ou bien : 2° que les doctrines du Commentaire se reconnaissent incluses dans les siennes propres, par voie de causalité ou de conséquence.

2° C’est dans la Somme théologique, que l’enseignement de saint Thomas sur la démocratie se formule surtout, sous forme d’une théorie générale des éléments démocratiques dans une constitution parfaite. Ia-IIæ, q. cv, a. 1. Divers autres passages de la Somme doivent èlre aussi consultés : Ia-IIæ, q. xcv, a. i ; q. xc. a. 3 ; II a II’, q. i xi, a. 2.

3°. On ne doit pas oublier l’important opuscule De regimine principum. C’est un cours de morale à l’usage des rois, dédié à celui de Chypre, Hugues II ou III de Lusignan. Malheureusement, de ses quatre livres saint Thomas ne rédigea lui-même que le I er et le II e jusqu’à la moitié du c. iv, opporlunum est igitur. De Rubeis, Dissertationes, diss. XXII, c. I. S 3. Le reste est de Tbolomée de Lucques, un disciple, dont le travail constitue un document ancien et curieux de la sociologie dans l’école thomiste. Quant aux chapitres écrits par saint Thomas lui-même, la méthode comparative qu’il affectionne lui fournit l’occasion d’intéressants parallèles où figure la démocratie. Pas plus que dans la Somme, d’ailleurs, il ne s’arrête à l’étudier pour elle-même et à fond.

II. SIMPLE DÉTAIL DA.YS UNE ŒUVRE ENCYCLOPÉ-DIQUE. — Elle vient au contraire comme un simple détail, dans une vaste encyclopédie théologique, où de nombreuses questions morales sont abordées. A propos des divers états de la vie chrétienne, l’obligation du travail manuel est démontrée, II’II’, q. eixxxvii, a. 3 ; à propos de vol et de rapine, les fondements du droit de propriété sont établis, II a II’. q. i.xvi. a. 1, et le droit particulier à la propriété individuelle est justifié parallèlement au régime de la communauté, a. 2. Dans le traité de la foi, à propos de l’infidelitas ou incroyance des non-baptisés. les problèmes des relations civiles avec les Juifs ou les infidèles, des mesures coërcitives ou défensives contre eux. des droits de souveraineté ou de patronat qu’ils peuvent avoir sur les chrétiens, de la tolérance de leurs rites en pays catholique, du nonbaptême de leurs enfants malgré eux. sont discutes et résolus. Il » II*, q. x. a. 8-12. Dans le traité de la charité, les problèmes de la guerre étrangère et de la révolte civile sont également examines. Il* II*, q. xl. xlii. Une morale sociale lies achevée, sensiblement au point de l’époque et du milieu, pourrait s’extraire de la Somme, ainsi que du Commentai re sur les IV livres des Sentences, où, à propos du mariage, il est longuement traité de la famille et de l’éducation. Telle est le vaste ensemble doctrinal, où, en son lieu, le problème de la démocratie nous apparaît amené. De sobres déve

loppements, très généraux, mais substantiels, attestent pour lui, comme pour les autres, la double préoccupation d’être complet et d’être rapide dans un travail avant tout synthétique. Il fallait, en effet, que la pensée des théologiens eût déjà fait comme le tour du monde moral et de la société humaine, pour s’arrêter à tous ces éléments divers de la vie collective. Les Pères, spécialisés r plutôt dans les questions particulières qui se soulevaient tour à tour sur la trinité, l’incarnation, la rédemption ou la grâce, ne pensaient pas encore à ces grandes projections des principes moraux sur les détails de la vie sociale ; ou du moins, s’ils y pensaient pratiquement, comme évêques ou comme homélistes, prêchant sur la propriété, l’esclavage ou le mariage, ils ne vivaient pas encore dans le milieu spéculatif des universités et des Sommes.

/II. COMPARAISON DE LA DÉMOCRATIE AVEC LES

AUTRES RÉGIMES. — C’est en savant que saint Thomas aborde cette délicate comparaison, avec une impartialité tranquille, aussi libre de toute passion, que s’il s’agissait de la matière ou des figures du syllogisme. La supériorité du régime monarchique et de son principe à l’état pur, lui apparaît dans l’unité de direction qu’il impose à la société : elle lui est naturelle, tandis que dans les régimes polyarchiques, elle s’opère laborieusement, et plus laborieusement dans la démocratie que dans l’aristocratie. A ce point de vue de l’unité, saint Thomas regarde donc la démocratie comme le plus imparfait des régimes. De reg. princip., 1. I, c. n. Il est pour le moins un par essence. Cf. l a, q. ciii, a. 3 ; II » II", q. i., a. 1, ad 2° IM ; Conl. gent., 1. I, c. xi.ii.

Mais au point de vue des abus possibles dans chaque forme de gouvernement, « la royauté n’est la meilleure de toutes que si elle n’est point corrompue ; or, en vertu de la grande puissance qui est accordée au roi, aisément la royauté dégénère en tyrannie, à moins que le potentat ne soit doué d’une parfaite vertu… Mais la parfaite vertu se trouve en bien peu d’hommes. » Comment, in libros Elhicorum, 1. X, lect. vin ; Sum. theol., l a II", q. CV, a. 1, ad 2° m. Et c’est pourquoi saint Thomas préfère une monarchie où des pouvoirs appropriés tempèrent celui du roi. De reg. princip., I. I, c. VI. C’est que la tyrannie d’un seul est le pire des mauvais régimes : » Sou-- un régime injuste, plus il y a d’unité dans le pouvoir, plus le pouvoir est malfaisant. La tyrannie est donc plus dangereuse qu’une aristocratie corrompue, ou oligarchie, et celle-ci, plus danger que la démocratie. De tous les mauvais régimi démagogie est le plus supportable, et la tyrannie, le plus nuisible, i Ibid., I. I, c. m. Dana une démagogie, an moins, si la multitude pauvre opprime les riches par la force du nombre, du moins vise-t-elle au bien d’un plus grand nombre, tandis que dans une oligarchie, le bien d’une minorité, el dans une tyrannie, le bien d’un Beul qui prime tout. Ibid. Cf. c. vin.

Malgré leur infériorité à promouvoir l’union, nne aristocratie ou une démocratie intéressent davantage

1rs citoyem au biet mun : Il arrive souvent que

1rs hommes vivant sous la domination d’un -< travaillent peu pour le bien commun, persuadés d’avance qui tout ce qu’ils feraient dans l’intérêt général ne leur

il point rapporté el tournerait i l’honneur de i lui qui a le monopole di ci I inti n i Mais, quand on voit le bien commun ne pas dépendre d’un seul, chacun

plique à le promouvoir, non pis comn le bien d’un autre, mais com le sien propre. u si

a pu con - i [mentalement qu’une ville

i ils dont l’autoi ité

qu’annuelle, i -’parfois plus poissante qu un roi en

De plus, de faibli

charf par di rois sont suppôt

beaucoup plu d in patii ai i que di chargi plu li imposées par la co unauti d on l’avait

déjà remarqué au temps de la République romaine. » De reg. princip., 1. I, c. ni. Cf. Crahay, La politique de saint Thomas d’Aquin, Louvain, 1896 ; R. P. Montagne, 0. P., La pensée de saint Thomas sur les diverses formes de gouvernement, dans la Revue thomiste, janvier et juillet 1901 ; janvier et juillet 1902. Ce n’est donc pas un partisan Ae tel ou tel régime, que nous rencontrons chez saint Thomas, mais un critique impartial des avantages et des inconvénients inhérents au principe ou à l’abus de chacun. Cette liberté d’esprit explique bien la préférence finale du moraliste pour un régime tempéré, où les trois formes de gouvernement interviendraient chacune dans une certaine mesure : est eliam aliquod regimen ex istis commixlum, quod est optimum. Sum. theol., I a II", q. xcv.a. 4.

IV. LES ÉLÉMENTS DÉMOCRATIQUES HIC LA CONSTITU-TION parfaite. — Sum. theol., I a H » , q. CV, a. 1. « Relativement à la bonne ordonnance des pouvoirs dans une cité ou une nation, deux choses sont à considérer : 1° Que tous aient quelque part dans le gouvernement. Par là se conserve la paix du peuple : tout le monde aime et soutient l’ordre ainsi établi, comme le dit Aristote, Politique, 1. II, c. VI, § 15. — 2° Il faut considérer de quelle espèce est le régime existant, la hiérarchie des pouvoirs. Il s’en rencontre de plusieurs sortes ; mais comme le dit Aristote, Politique, 1. III, c. v, § 2, 4, les principales sont : 1° la royauté, gouvernement d’un seul, conformément à la vertu ; 2° l’aristocratie, gouvernement des meilleurs, confié à un petit nombre pour l’exercer d’après lu vertu. Par suite, la meilleure constitution dans une cité ou dans un royaume existe, là où un seul est promu selon la vertu, pour qu’il préside à tous, en même temps que, sous lui, d’autres gouvernent selon la vertu. Et aussi bien, ce gouvernement appartient à tous, parce que tous peuvent être élus aux charges d’après le suffrage de tous. Telle estla meilleure constitution : bien composée de royauté, en tant qu’un seul préside ; d’aristocratie, en tant que beaucoup gouvernent selon la vertu ; enfin de démocratie, en tant que les gouvernants peuvent être choisis parmi le populaire et qu’au peuple appartient l’élection des gouvernants. »

Ce plan de constitution fait une large part aux éléments démocratiques : 1° par le principe du suffrage universel ; 2° par le principe des charges électives, y compris la suprême. Saint Thomas dissocie donc là le principe monarchique du principe dynastique : le principe monarchique est sauf pour lui, du moment que représenté par un individu qui gouverne vraiment en chef, bien qu’assisté de conseils et contrôlé. Ce n’est plus le monarque absolu, seul détenteur de tous les pouvoirs ; ni le monarque constitutionnel ou le président électif, simples chefs de l’exécutif, avec un parlement souverain. On laisserait la pensée de saint Thomas, en voulant la réduire à l’échelle et au type de nos régimes modernes ; il faut la voir dans sa réalité originale, en dehors de nos classements actuels. S’il regarde un monarque comme l’un des éléments nécessaires di ii parfaite constitution, c’est un monarque électif, entouré de conseillers et d’agents élus, el sorti comme eux tous du suffrage univei sel L’i lite gouvernante et le chef suprême sont d’oi igim i I de facture démocratique.

v. ils RAPPORTS hi CETTE TBÉORU AVBl il : Vlini ISTBl POLITIQUE, lui n.l II m l

BAIN !

TBOMA8. -- l" l.e milieu intellectuel de saint Thomas

le mettait en contact intime, prolon un Aristote

étudié critiquement. Mandonnet, ristoteel le mouvement intellectuel du moyen âge, p 63, 05 aussi, ipn son long et méritoire effort d’abnégation personnelle

.i oi i analyse et dans i i la Politique, uni

inche en véritable philosophe, dans une’lui qu’il opère

la Métaphysique du Stagyrite, lia trouvé cl

dernier une conception de la société politique essentiellement modelée sur la cité grecque, celle-ci érigée en idéal humain, avec la naiion, société pour barbares, comme son repoussoir, de nature étrangère et de qualité inférieure. Politique, l. I, c. i, iv (alias vin. Pour saint Thomas, au contraire, la cité ne constitue qu’une variété des sociétés politiques, sur le même rang que la nation. Sum. Iheol., I a H*, q. cv, a. 1. L’expression même de civilas se dépouille de tout sens urbain, pour désigner en général « la communauté parfaite » ou société politique. Ibid., q. xc, a. 2, 3, ad 3um. Cf. Polilie, l. I, lect. i. On se rend compte aisément du genre d’observations qui provoquaient cet élargissement du terme civitas et cette rétrogradation de la cité sur le même rang que la nation. Au lieu de vivre comme Aristote dans le monde grec, saint Thomas vit dans une Europe où des nations se constituent. Et puis, dans le passé, le spectacle de la nation juive l’impressionne aussi : c’est elle qui lui donne sujet de formuler sa théorie sur le meilleur gouvernement soit des cités soit des nations. Sum. Iheol., W IIe, q. cv, a. 1.

L’indépendance de saint Thomas à user d’Aristote s’affirme encore dans la manière dont il entend la maxime de ce dernier : « que tous aient une part dans le gouvernement. » Aristote l’entend de la totalité des bourgeois à l’aise, non-ouvriers, ni artisans, ni paysans. Polilic, l. III, c. iii, § 2, 3 ; 1. IV (ou VII), c. viii, § 2-Saint Thomas ne pose aucune de ces exclusions : le populus et les populares représentent pour lui la multitude entière. Sum. iheol., II a II æ, q. cv, a. 2. Il insiste sur le droit de tous comme électeurs et comme éligibles : certaines institutions de Moïse, Deut., 1, 13, 15 ; Exod., xviii, 21, lui semblent bien réaliser son type : principes assumebantur ex toto populo et etiam populus eos eligebal. Sum. Iheol., IIa-IIæ, q. cv, a. 1. A noter cependant les privations de droits civiques pour cause d’âge ou de sexe. Les femmes et les enfants, dit saint Thomas, sont a demi. citoyens par le droit d’habitat, mais ne le sont point absolument, puisqu’ils manquent du droit de suffrage. Ibid., a. 3, ad l um, 2 l, m.

En 3e lieu, Aristote considère la cité comme l’œuvre humaine par excellence ; c’est pour lui la meilleure et la plus divine des fins à laquelle un individu puisse et doive se subordonner. En conséquence, l’individu lui appartient comme la partie au tout qui le fait être et qui lui parachève son bien. Polilic, l. I, c. i, § 11-13. « C’est une grave erreur — déclare le Stagyrite — de croire que chaque citoyen est maître de lui-même : ils appartiennent tous à la cité, puisqu’ils en sont les éléments, et que les soins donnés aux parties doivent concorder avec les soins donnés au tout. » L. V (ou VIII), c. i, § 2. Aussi est-il « de toute évidence » pour Aristote que « la loi doit régler l’éducation et que celle-ci doit être publique », c’est-à-dire nécessairement une et uniforme pour tous, comme à Lacédémone. Or, saint Thomas pense au contraire que l’éducation appartient à la famille, tout aussi bien que l’entretien physique. Les enfants doivent achever de se faire hommes dans le milieu familial, sicut in quodam spirituali utero. C’est de droit naturel. « Il serait contre la justice que, avant l’âge de raison [où il devient son maître et dispose de soi], l’enfant fût enlevé aux soins de ses patents ou bien que l’on ordonnançât à son sujet des mesures contraires à ce qu’ils veulent. » Sum. Iheol., 11*11 », q., a. 12. Néanmoins, des mesures légales peuvent devenir justes et nécessaires en matière d’éducation, si le bien public les requiert : l’enfant est un futur citoyen, que sa famille prépare à sa vie civique, non moins qu’à sa vie privée ; en ce cas, le législateur agit sur l’éducation familiale et scolaire, œuvres privées en soi, par le moyen de ses droits sur leurs agents propres, pour le bien général de la justice et de la paix. Sum. Iheol.,

I" H, q. XCVI, a. 3.

Saint Thomas reçoit donc seulement à correction le principe aristotélicien de la subordination du citoyen à la cité sous tout rapport, comme la partie au tout. Il le reçoit, d’une pari, II" II*, q. i.viu, a 5 ; q. i.xi, a. 1 ; q. i.xiv, a. 2, et c’est ce qui lui fait dire que l’homme tout entier se doit au bien de sa cité ou de son pays comme à sa lin. IIa-IIæ, q, i.xv, a. 1. Mais, d’autre part, son pays ou sa cité lui doit son bien personnel : c’est la justice distributive déjà si bien décrite par Aristote. Il » IL, q. i.xi, a. 1-4 ; Ethic, 1. V. lect. îv sq. Or, te bien personnel de l’homme inclut deux sortes de droits dont l’objet constitue, pour saint Thomas, une fin supérieure aux droits mêmes de l’État : 1° les droits naturels de la personne humaine, contre lesquels aucune autorité, paternelle, patronale, royale, ne peut prescrire, sinon à titre de pénalité, en cas de fautes extérieures, et selon les limites propres du pouvoir qui s’exerce. IIa-IIæ, q, civ, a. 5. Cf. q. i.xiv, a. 2, 3, 5 ; q. lxv, a. 1, 2. — 2° La cité n’a pas prise non plus sur les droits religieux et surnaturels du citoyen, parce que « si le bien de la chose publique est le premier des biens humains, le bien divin est supérieur à tout bien humain. » il a II 1, q. cxxiv, a. 5. De là, une conclusion thomiste qui eût fait sursauter le philosophe : Homo non ordinatur ad communitatem politicam secundum se lotuni et secundum omnia sua. I* II*, q. xxi, a. 4, ad 3° m.

Ce respect de la personne et de ses droits naturels est inconnu des Grecs, de même que la notion de la personne, confondue implicitemeut avec celle du singulier et de l’individu. Mais les controverses trinitaires et christologiques amenèrent les Pères d’abord et puis les scolastiques à dégager aussi nettement que possible la notion métaphysique de la personne. Tixeront, Des concepts de nature et de personne dans les Pères et les écrivains ecclésiastiques des V et VF siècles, dans la Bévue d’histoire et île littérature religieuses, 1903, p. 582, 592 ; E. Hugon, 0. P., Les notions de nature, substance, personne, dans la Bévue thomiste, 1908. p. 753, 769. Bénéficiaire de cette lente élaboration. saint Thomas reconnaît la personne comme la réalité la plus parfaite dans toute la nature, puisqu’elle possède et la nature raisonnable, qui est supérieure a toute autre, et le mode suprême de l’existence, qui est d’exister par soi. Sum. Iheol., I a, q. xxix, a. 3 ; Quæstiones disputatæ, De potentia, q. ix, a. 3. Elle possède la propriété d’agir par soi. conséquemment à son mode d’existence, De potentiel, q. IX, a. 1, ad 3° n conséquemment aussi elle vit pour soi, se gouverne ou est gouvernée pour soi, c’est-à-dire pour le bien de la nature qu’elle possède, comme pour sa vraie fin. Cont. génies, l. III, c. cxii. De là, le rigoureux devoir qu’a l’État de procurer à chacun des particuliers, selon sa nature et son mérite, les avantages du bien commun, d’après les formes propres à chaque type de gouvernement. Dans une démocratie, ce sera la liberté. Sum. Iheol., II" II », q. lxi. a. 1.

Ce sont là, il est vrai, des considérations éparsesdans l’œuvre de saint Thomas, et dont il ne fait guère qu’un usage métaphysique. Il n’a pas beaucoup développé leurs conséquences morales et civiques ; mais néanmoins notion de la personne demeure comme sous-jacentedans les réserves qu’il pose aux doctrines d’Aristote sur la totale appartenance du citoyrii a la cité, dans sa notion si ferme des devoirs de celle-ci envers les personnes privées. Aristote est un communautaire absolu ; saint Thomas introduit dans l’aristotélisme un élément de particularisme, qu’il doit intellectuellement à sa notion métaphysique de la personne humaine et de ses droits naturels, et à sa notion de la fin dernière surnaturelle. Pour Aristote. c’est la cité qui est la fin de l’individu ; pour saint Thomas, c’est le bien île la personne humaine, naturel et surnaturel, qui est la fin de la cité.

Ici le milieu chrétien, où se développe la pensée scolastique, réagit sur les doctrines que celle-ci emprunte au milieu hellénique ; sans nier qu'à certains égards, le citoyen ne doive se subordonner au bien de la cité comme au bien de son tout et à une véritable fin, saint Thomas aperçoit de plus hautes fins auxquelles la cité même doit se subordonner pour le bien de l’homme et du chrétien.

2° Dans le milieu politique du xiiie siècle, ce ne sont pas des modèles adéquats qu’on peut retrouver, comme donnant corps aux vues de saint Thomas sur les éléments démocratiques de la constitution parfaite. Cependant, à côté des dynasties royales et des familles aristocratiques installées dans toute l’Europe, une démocratie véritable se réalise dans le mouvement communal, précisément au xiiie siècle. Les premiers citoyens des villes sont des artisans et des marchands, à qui la communauté des intérêts, du voisinage et des dangers lit conclure des alliances. « Partout au Xe et XIe siècle, on les trouve unis dans les Ghildes, et partout ces Ghildes bourgeoises sont confondues avec la commune ; l’autorité de la Ghilde est celle de la cité : à Londres, la Ghilda mercatoria, à Cologne, la Richerzeclieit, à l’aris, les mercatores aquæ, en Flandre, les Geschlechten. Ce sont les génies, les lignages, les patriciens de naissance. Investis du monopole du pouvoir, ils deviennent arrogants et s'érigent en aristocratie fermée. Mais ils ne sont plus seuls. Ils ne constituent plus toute la cité politique ; des parvenus se sont établis à cùté d’eux, se sont enrichis et ont formé de nouvelles G/tildes qui égalent les anciennes en richesse et en considération qui revendiquent leur part d’autorité et d’honneurs, En Angleterre, en Allemagne, en Flandre, les rivalités éclatent. En général, la lutte finit par une transaction : les nouvelles Ghildes obtiennent leur place au conseil de la cité. Le patriciat bourgeois, qu’on peut en quelque sorte considérer comme la fusion de la propriété » et du capital dégagés des liens féodaux, est constitué sous sa forme définitive. Mais cette classe dirigeante abuse de sa puissance, se complaît dans l’oisiveté, fait des règlements pour exclure de la vie corporative ceux qui a ont les mains sales et les ongles noirs ou qui crient leurs marchandises dans la rue ». A moque la richesse publique s’accroit, l’antagonisme lasses et des intérêts s’accuse davantage. Partout, an mu siècle. ni, le travail, entre

en 8< dresse contre les Ghildes patriciennes.

Prenez Paris ou Londres, Gand ou Bruges, Bruxelles mi Cologne, Francfort ou Augsbourg, les travailleurs i méprisés par la bourgeoisie ont pour bouclier le droit corporatif et, imitant l’organisation qu’ils avaient sons I ment des unions pour la pro tection du travail. Ces plébéiens ni' demandaient pas le partage des biens, ils ne déclaraient pas la pierre au capital dont ilse servaient eux-mêmes. Ils combattaient pour i'égo lique, poui la /" <"<.

affaire » publiques, el il » voulaient intervenir dam le ernement, c'éta garantir leur gagne-pain

ri leui indépenda ii, h //es haulei

Ce qui domine dans cette lutte séculaire et dans l’accession graduelle d< -eu-.m droit

corporatif, c’est, au milieu de la violence des pa et malgré le choc furieux des partis, la modération des ntioni populairei Prins, Lu démocratie et le i, Bi uxelles, 1888, p, H, 57, De ce

mouvement résultait nue large part de la démocratie rnement des communes libreou souverain élection det conseil bourgmestres, s

parfois même, i me |< m bourg mestres, l’un patricien et l’autre plébéien, représentaient la I n entre le peuple et les nobles de 1 1 cité'. Prin Cette inle action de la i nement des iiie^ attire

manifestement l’attention de saint Thomas dans le passage du De regimine principum, où il invoque l’expérience des municipes, régis par des magistrats annuels, l. I, c. ni. C’est là que se réalisait l’application de tous aux intérêts communs et ce support allègre des charges publiques, même lourdes, par où, selon saint Thomas, le gouvernement populaire l’emporte sur le gouvernement royal. Il n’est donc pas téméraire de conclure à une réelle inlluence du mouvement communal et de sa poussée démocratique au xiiie siècle, sur le vœu de saint Thomas que tout le monde participe au pouvoir. Cf. Perrens, Histoire des tendances démocratiques dans les populations urbaines au xive siècle, Paris, 1873.

3° Des observations, des expériences plus intimes s’aperçoivent encore à l’origine de ces idées. Dans les couvents dominicains où vivait saint Thomas, l’institution monarchique du prieur conventuel, du provincial, du maître général de tout l’ordre ; l’institution aristocratique des conseils de couvent ou de province, des chapitres provinciaux ou généraux se tempéraient d'éléments démocratiques : élection des prieurs conventuels par les religieux prêtres et profès ; adjonction de ces derniers assemblés en chapitres conventuels, pour sanctionner certains votes importants des conseils ; élection de députés des couvents aux chapitres provinciaux, par les religieux de chaque maison. Lacordaire, Vie de saint Dominique, c. vin ; R. P. Mortier, O. P., Histoire des mailres généraux de l’ordre de saint Dnminique, t. i, p. 77, 82. Les frères prêcheurs appliquaient là une tendance générale de la vie religieuse en Occident, à l’organisation particulière de leur régime. Des principes analogues se retrouvent aussi bien dans cette sorte de domaine complet et de cité autonome qu’est l’abbaye bénédictine. Dom Cabrol, Bénédictins, dans le Dictionnaire d’archéologie chrétienne, t. ii, col. 666. « Le régime qui est supposé par la règle [de saint Benoit] ne répond pleinement à aucun des qualificatifs que nous donnons à un gouvernement absolu, ou représentatif, monarchique ou démocratique. Par le pouvoir très étendu donné à l’abbé, il est fortement monarchique ; par le droit donné à tous d'élire leur chef, d’avoir une voix au conseil, d'être éligible à toutes les fonctions, ce régime apparaît démocratique. Les res et les decani ont cependant une autorité spéciale et représentent, si l’on veut, un élément de gouvernement oligarchique. La règle, à laquelle tous doivent obéissance, in omnibus omnes magistram sequuntur régulant, peut être considérée comme la charte d’un régime constitutionnel. » D. Cabrol, lue. cit., col. 669. Monastiques donc ou canoniales. I. habitudes et les maximes de la discipline religieuse favorisaient positivement l’idée de ce gouvernement tempéré, ou saint Thomas l’ait sa place à la démocratie par le suffrage et l'éligibilité également universels Sa théorie de la constitution parfaite cadre aussi bien avec souvenirs du Mont-Cassin où il fut élevé el ses habitudes dominicaine-, qu’avec ses observations sur le mouve ni communal. Au lieu de ces g réminiscences I et de ces i piècerapportées ». que Paul.lanel croit retrouver seules dans les doctrines politiqui saint Thomas, nous retrouvons ici des expériences el di observations â l’appui de vues originales et personnelles. Cf. Paul Janei. Histoire de la science politique dans tes rapports avec la morale, Paris, 1872, t. i, p. 135.

l. i LBVR PRATIQUE II Uoiim I lu l, OOCTRIXE

thomiste. La politique d’Aristote unissait des vues el des doctrines de philosophie morale i des observatiom me sociale et politique

on y trouve des i graphies de la constitution

tiate, carlhag ie ou ci côté de théories sur

i tus du citoyen, La Somme de saint Thomas et le

De regimine principum abandonnent les points de vue descriptifs, monographiques et concrets, de la science positive, pour s’en tenir aux considérations morales. Dans cet ordre de pensées, trois sciences particulières, purement philosophiques, intègrent la inorale humaine : monasliea, la science de la morale individuelle ; œconomica, la morale domestique ; politica, la morale civique. Elltic, 1. I, lect. i, S Sic ergo moralis p/iilosophia… jusque multitudo civilis quæ vocatur polilica. Mais les vertus et les devoirs qu’imposent ces trois morales — n’en faisant qu’une au fond — sont ramenés dans la Somme de théologie au cadre général des lois, des vertus, des états de la vie chrétienne ; et c’est ainsi que l’esquisse d’une constitution parfaite appartient au traité des lois et prend occasion de vues rétrospectives sur la loi de Moïse et la constitution du peuple héhreu.

C’est pourquoi les vues de saint Thomas sur les éléments démocratiques de la constitution parfaite planent surtout dans la région de l’idéal et du désirable : il ne se demande pas à quel royaume ou à quelle cité de son temps son esquisse de constitution pourrait bien convenir. Abstraction faite, au contraire, des contingences particulières, des exigences pratiques ici ou là, il considère la démocratie dans l’hypothèse de son fonctionnement normal, avec les devoirs qu’elle impose à la multitude. C’est ne sortir du réel que pour y rentrer de très haut, en rappelant à tous qu’une démocratie fonctionne bien dans la mesure où le suffrage universel et ses élus opèrent selon la vertu. Secundum virtutem : l’expression revient jusqu'à cinq fois dans l’art. 1 er de la q. cv.

Et, en effet, Aristote observait que dans un régime où le citoyen fait acte de prince, lorsqu’il vote, délibère, légifère, juge un procès ou administre une charge, et acte de sujet, lorsqu’il reçoit une loi ou une sentence, les vertus personnelles et les vertus domestiques ne suffisent pas. Il faut les vertus politiques : de la prudence, de la justice, non plus seulement pour son bien propre et pour celui de sa maison, mais encore dans la poursuite et le maintien du bien public. Politique, 1. III, c. i. Saint Thomas commente cette morale civique avec sa précision et son exactitude habituelles, lect. i, et Ethic, 1. VI, lect. vu. De là s’inspirent ses articles sur la prudence politique. Sum. theol., IL' II ', q. L, a. 1, 2. Dans le citoyen qui fait acte de gouvernement, il faut donc la prudence d’un législateur et d’un roi, et de la prudence encore, dans le citoyen qui obéit, avec, de part et d’autre, une justice appropriée. Sum. theol., IIa-IIæ, q. L, a. 1, ad l um ; In IV Sent., dist. XXXIII, q. ni, a. 1, q. iv.

Cette ferme doctrine sur les vertus civiques nous donne la raison de l’insistance que met saint Thomas à inculquer les dictées de la vertu aux électeurs et aux élus du peuple. Aucun gouvernement n’a besoin d’une moralité plus générale et mieux équilibrée de justice et de sagesse, que celui où chaque citoyen fait tour à tour acte de prince et de sujet. Telle est l’utilité des considérations métaphysiques où il semble d’abord que saint Thomas se perde à d’incommensurables distances de la réalité : de la hauteur où il s'élève, il voit à fond que la démocratie ne gouverne pas bien sans une moralité tout à la fois très diffuse dans la masse des électeurs et très profonde dans le corps élu des gouvernants. Elle réclame une aristocratie morale et un peuple assez sage, assez bon pour la mettre au pouvoir.

IV. Savonarole : le problème pratique de la démocratie À Florence au xve siècle. — Réformateur moral et conseiller politique des Florentins, Savonarole intervint comme arbitre dans les débats de leur Seigneurie sur l’organisation du gouvernement qui succédait aux Médicis expulsés. L’assemblée constituante hésitait entre une oligarchie comme à Venise, et le retour aux

anciennes formes démocratiques de Florence elle-même. Vespucci et Soderini, citoyens influents, jurisconsultes autorisés, représentaient les deux tendances. C’est ainsi qu’en temps de révolution, le problème de la démocratie se posait, non plus en théorie comme à l'époque de saint Thomas, mais en fait. Savonarole fut prié de s adjoindre aux délibérations de la Seigneurie, et d’après Guichardin, Storia fiorenlina, c. XII ; Storia d’JtaUa, 1. II, le Fraie assura le succès aux partisans de la démocratie. Villari, Histoire de Savonarole, trad. G. Gruyer, Paris, 1871, t. i, p. 357.

Il développa ensuite ses doctrines dans une série de tracts : Trattati circa il reggimentoe governo délia Citlà di Firenze. A la requête de la Seigneurie, ces opuscules furent composés en toscan, pour une plus large diffusion. La langue du peuple et des politiques s’imposait à ces écrits de circonstance et de but pratique, au lieu de la langue des clercs et des écoles. Mais le théologien et le thomiste se retrouvent dans le vulgarisateur. A une situation concrète, actuelle, les Trattali appliquent des principes de philosophie sociale que la Somme de théologie expose dans. l’abstrait ou ne considère appliqués que dans un lointain passé.

Savonarole estime d’abord avec saint Thomas que la monarchie est en soi le meilleur des gouvernements : plus il y a de gens qui commandent parmi une société, plus il y a sujet à disputes et à partis. Et donc, si la démocratie est bonne, l’aristocratie est meilleure, la monarchie excellente : un seul chef réunit et pacifie tout le monde, soit par crainte, soit par amour. Dans le fait, néanmoins, il y a des peuples qui vivent mieux sous le régime aristocratique et d’autres qui sont mieux faits pour le régime démocratique. Ils ne pourraient garder un roi sans des inconvénients majeurs et intolérables. Trattato 1, c. II. Tel est, d’après Savonarole, c. iii, le cas de Florence, pour deux raisons : le caractère de la population et des coutumes invétérées. Ici, le réformateur ne s’en tient plus aux considérations morales, aux principes et aux thèses de droit naturel qui sont le propre du philosophe et du théologien ; il s’engage dans l’examen d’une situation concrète, appréciable par les historiens et par les politique ?. Aristote avait opposé l’esprit républicain des Grecs à l’indolence servile des Asiatiques, Polit., 1. IV (ou Vil I, c. vi, 1 ; 1. III, c. ix, 3 ; Savonarole oppose de même l’esprit républicain des Italiens, et notamment des Florentins, à la docile sujétion des popoli aquilonari. Robustes et sanguins, ces derniers lui apparaissent dépourvus d’ingéniosité, braves soldats et humbles sujets, monarchistes par simplicité d'âme ; l’Italien, au contraire, lui appirait ingénieux, sanguin, audacieux, incapable de supporter un roi, si celui-ci ne le mate par la tyrannie « Continuellement, les Italiens appliquent leur génialité à machiner des embûches contre leur prince, et leur audace les met à exécution, comme cela s’est toujours vu en Italie. Nous le savons, en effet, par l’expérience du passé comme par celle du présent : l’Italie ne put jamais durer sous le gouvernement d’un seul. Nous la voyons, petite province, partagée entre quasi autant de princes que de cités, et de princes qui n’ont jamais la paix. Et le Florentin est le plus génial des Italiens, le plus salace dans ses entreprises, avec une vigueur et une audace qu’on n’attendrait pas d’un commerçant et dont ses guerres étrangères et civiles ont donné la mesure. » Trattato 1, c. m.

A lire ces jugements sommaires sur la psychologie politique et le tempérament social des Florentins, on reconnaît un certain sens des faits et des réalités, assurément remarquable chez un spéculatif s appliquant à l’action. Savonarole se rend compte que des principes abstraits sur les mérites respectifs de la monarchie, de l’aristocratie ou du régime populaire ne suffisent pas à résoudre le cas de conscience universel posé à Florence

même par la révolution contre les Médicis. Nous ne trouvons plus ici le théologien pur ; il y a de plus le citoyen et le politique, avec une science et un art distincts, soit de la morale naturelle, soit de la morale chrétienne.

Néanmoins, un principe supérieur, d’essence morale encore, et bien chrétien toujours, guide Savonarole dans ces applications extra-théologiques : un principe de prudence civique. Il aperçoit très bien que si, théoriquement, toutes les trois formes de gouvernement sont en soi lionnes et possibles, et donc en soi choisissables ; dans la pratique, une forme ici utile serait ailleurs nuisible. Le critère de son adoption ou de son rejet, c’est de répondre ou non aux capacités et à la formation des citoyens. En face d’elle, la liberté humaine ne jouit pas d’un pouvoir illimité et arbitraire ; elle se trouve liée par un devoir de choix approprié à la nature du peuple : Li homini saviie prudenli li quali hanno ad instituire qualche governo primo considerano la natura del popolo, c. II. Savonarole est démocrate à Florence, comme à Venise, dans un ouvrage dédié au patricien Antoine Pizamani, un autre dominicain, Benoit de Soncino. sera partisan de l’aristocratie. Telles sont, en effet, les sentences que ce dernier extrait avec admiration de la Politique d’Aristote, à l’usage de -l’ii patricien : Optima civilas nunquam opificeni faciel eivem. ! « libro III Polit., lect. iv. Optabilius est ci ri taies ab oplimalibus gubernari, lect. xiv. llencdicli Soncinatis propositiones ex omnibus Aristotelis libris… excepta-. Le même principe d’approprier le ment ; i ce que Savonarole appelait la natura 'tel popolo engage ainsi de contingentes applications, toujours guidables par la inorale, mais relevant en propre de la science et de l’arl en matière sociale et politique. prudence honnête commande ici le choix d’un

rie et la celui d’un autre. Y. La légitimité de la démocratie, d’après l’enseignement commun DES riIÉOLOGIENS. — D’une manière - ri Taie, jusque dans le cours du xix r siècle, les théologiens ne s’occupent guère de la démocratie : déjà le

docteur angélique lui sure la place 'au milieu des

nombreuses questions sociales et politiques dont il

s’occupe en moraliste spéculatif, dans la Somme théo que. Il traite de la démocratii comme il traite du

ni manuel, Sum. theol., II' II 1, q. clxxxviii, a. '.', . droits de la famille en matière d'éducation, Il M x, a. 12, s Alia vero ratio est ; de la guerre et de ses justes conditions, Il II' <-. de la sédition, ibid., q iii, de la peine < ! ' mort, q. XI IV, a. '2. 3 ; de la propriété, q. ixiv, a. I, -2, du commerce, q. lxxvii ; de l’usure, q. i.xxviii, etc. Toujours, c’est à l’occasion d’une rertu on d un vice, d un devoir nu d’an péché, que ces divers faits sociaux apparaissent, donnant matii des qui stions particulières, à de simples détails dans

l’encyclopédie théologique de la Somme. Le problé

de l.i démocratie el « hsa juste pari dans une sage constitution ne repri ur.mit Thomas que l’un

d e..1. lui. el non hplus important. Au moyen dmla pluparl denations européennes, c’est 1er,

monarchique et l’aristocratie qui préd inenl

h lui 'i qui laissent au Becond rang les institutions

démocratiques des commun bien que saint

i et appréciât ie di rnièn. comme on

e il ii i ni |'.i cuper aussi dii ectemenl

que ' ! l’u 'm el 'in i hange, par i temple, une j i

lion d’alors, on que de la politique.i suivre i i les Ju II » II", q. X, a. 9, 19 /'

-i/, ., h. m la irlir du x lii cle, les monarques de l’Europe i' ndetil de plu i l’absolulismi irapi

i i.d di le, iii, - nu plutôt de i leur profit.

m, . la 'i communi - l'éclip, nu

inêi, i, quand i Franc* mettent la

un t 1, 1 TU KOI. CATBOL.

main sur elle par des fonctionnaires de leur choix et par des lois restrictives. Dans ces conditions, c’est au pouvoir royal et au pouvoir absolu que penseront surtout les théologiens, lorsqu’ils auront à s’occuper du pouvoir politique. La raison expérimentale et historique du fait prédominant s’ajoutera aux vues métaphysiques sur l’unité sociale, pour leur montrer le pouvoir du roi comme le pouvoir typique.

Ils reviendront cependant à la notion des droits politiques du peuple, en étudiant les origines du pouvoir. Il vient de Dieu, leur enseignait saint Paul : aucune autorité n’existe qu’instituée par Dieu. Rom., xiii, 1, 7. Mais saint Thomas observait déjà que l’institution directe du souverain ou du chef national par Dieu, comme ce fut le cas pour Moïse, Josué, les Juges, fut le résultat d’une providence spéciale envers le peuple israélite. C’est en vertu de cette exception que Dieu ne lui laissa pas l'élection de son roi, mais se la réserva. Sum. theol., 1' II », q. cv, a. 1, ad l" m. Ainsi, quand saint Thomas reconnaît une divine investiture à l’origine de tout pouvoir, II a II 1, q. civ, a. 1, ce n’est pas sans avoir admis le droit universel des peuples à se choisir les détenteurs de cette investiture et à la leur transférer. Il l’insinue encore en regardant la souveraineté des princes régnants comme établie, non pas de droit divin, mais ex jure gentiwm, quod est jus humanum. II a ll K, q. x, a. 12. le droit des gens consiste précisément, selon lui, en des institutions si bien conformes à l’avantage évident de la vie humaine, que facilement, les hommes tombent d’accord à leur égard : De facili in hujus modi homines consenserunl. I" II æ, q. xcv, a. 4, ad 3° m. Cf. II-' II', q. i.vn, a. 3. Il inclut donc une sorte de pacte social, consenti par les peuples. C’est pourquoi saint Thomas use volontiers de l’expression ri’ces gerens mrdliludinis pour désigner le prince. I » II 1 ', q. xc, a. 3 ; q. xcvii, a. 3 ; IIa-IIæ, q. i.vn, a. 2. Le prince jouit là d’une translation de pouvoir qui l’a substitué à la multitude pour faire des lois et gouverner.

On retrouve dans ces vues l’inspiration du droit romain. Le Digeste, I. I, tit. il, De origine juris, S '.. considère le pouvoir du Sénat connue substitué aux assemblées populaires trop difficiles à réunir. De même, selon la l.e.r regia, Digest., l. I, tit. IV, et les Institutionet de Justinien, l. I, tit. ii, le Sénat et le peuple transfèrent leur pouvoir à l’empereur pour le gouvernement entier. Cf. Digest., I. 1, lit. ii, § II. Au travers de cette explication juridico-historique, une doctrine métaphysique lend à se dégager, dans l’esprit des théologiens, par une transposition des termes du concrel i l’abstrait.

Ce dégagement s’opère chez lesscolasliques, à mesure qui' deproblèmes I héologiques les obligent à préciser lesorigines du pouvoir civil. D’Occam a Pierre d’Ailly el 'lu concile de Constance au conciliabule de Dise se propage une assimilation nouvelle entre le pape et les princes temporels, relativement aux origines de leurs pouvoirs respectifs. De même que les rois ou les ilunnul investis de leur pouvoir par l'élection popu I de même les souverains pontifes, a ce que disciil

les novateurs. Voir PlERRI D’AlLLY, I. 1. col. (ii(i. (117,

Almain, t. i. col. S'.Hi ; Quilliet, De civilis potestatis origine theoria catholica, Lille, 1893, p, 189, 190. Moyennant

issimilation, l< i et les galli

visaient à établir la rapériorité de l’Eglise universelle el notamment du concile -m le pape, comme Bur un simple ministre de leur autorité De m< me, disait ni ils. que i leur a donné naturelli ment pou' oii à la

communauté civile i ' se choisir des princi

ne, sin naturellement.)|, , , , ., Lit la communauti en

tière de l’I glise du droit ! éliie et de d pon

tifes, Joanni - Major, Ditput. de aulh

iiunij dan <> ; lonii,

t. u. col. 1 135

iv. - m '291

DEMOCRATIE

292

L'école thomiste s’attaque vigoureusement à démolir ce parallèle, s.iinl Antonio établit dans sa Somme théologique, part. I, tit. xviii, que le souverain pontife gouverne l'Église par institution immédiate de Dieu et non ex translatione populi sicut imper ator. Il use là des expressions mêmes du droit romain pour caractériser l’origine du pouvoir civil et le différencier d’avec celui des pontifes. Jean de Turrecremata signale, à litre d’exceptions, des choix comme ceux de Moïse et de David par Dieu, lorsqu’il s’agit de rois ou de chefs politiques. C’est le consentement de la multitude, soit exprès, soit tacite, qui établit ces derniers, qui accroil même ou diminue leurs pouvoirs, à l’inverse du pape, établi par Dieu seul dans un ensemble de droits que nul homme ne peut restreindre. Summa de Ecclesia,

I, XLIV, XC, XCI1.

Telle est aussi la doctrine de Cajetan, De auctorilalc papse et concilii, tr. ii, c. x, ad 2 am conlirmationem ; In ll i, m II- ', <[. i. a. 10, ^ 3, Ad brevem hovum intellig. Il précise d’ailleurs que l'élection d’un régime politique par une multitude ne constitue pas une démocratie à proprement parler, bien qu’au premier abord elle semble tirer le régime monarchique de la souveraineté populaire. Mais si l’on considère attentivement les choses, l'élection d’un gouvernement n’est point un acte particulier de tel ou tel régime : c’est un acte générateur detoute espèce de gouvernement, et donc un acte antérieur à toute forme politique existante. Au choix du peuple, il appartient, de par le droit naturel, que le régime à établir soit populaire, aristocratique ou royal. In i/ al " II X, q. L, a. 1, § Ad hoc dicitur. Celte doctrine expose très nettement l'égale légitimité des trois formes de gouvernement selon le droit naturel.

Elle dissipe également l'équivoque du terme peuple, qui signifie tantôt la multitude, et tantôt le régime populaire. Et cette distinction posée, Cajetan poursuit : le régime monarchique dépend de l'élection du peuplemultitude, qui lui donna ses votes et qui l’investit ; et c’est à cause de ce transfert qu’il est dit vices gerens populi. Mais il ne dépend pas du peuple comme régime populaire et n’en prend pas la place à la manière d’un successeur.

Dans cet ensemble de doctrines, la question de la démocratie se pose donc incidemment, comme le simple corollaire de la question des origines du pouvoir civil ; et celle-ci même ne se pose que par comparaison dans le problème théologique des origines du pontificat. Par là s’explique la sobriété des quelques textes intéressants qu’on peut glaner chez les auteurs. Autant ils sont copieux à préciser les causes divines et humaines dont ressort l'établissement du pouvoir civil, autant ils glissent rapidement sur l'établissement particulier de la démocratie. Le peu qu’ils en avancent, néanmoins, suffit à nous montrer qu’ils la rattachent, en droit naturel, au pouvoir de tout peuple sur le choix de ses institutions.

D’ailleurs, qu’il se soumette à un monarque, à des chefs aristocratiques ou à des magistrats populaires, un peuple, observe Cajetan, n’est pas dans la situation de l'Église en face du pape. « La papauté diffère de tous les autres pouvoirs humains en ce que tons ceux-ci tirent de la multitude leur origine et leur puissance : toute violence ou fraude cessante, et de droil naturel, la multitude est libre de se donner un chef avec telle puissance qu’elle le juge bon. » In //"" II", q. L, a. 10. Aussi, tandis que l'Église n’a pas à circonscrire et à tempérer l’autorité du pape, c’est le droit des peuples d’opérer ces tempéraments à l'égard de leurs chef-, et parla même d’influencer la juridiction réelle qu’il leur transfère dans l’ordre civil. Nous reconnaissons là une vue très nette des éléments démocratiques et pondérateurs à introduire dans les royaumes ou les cités aristocratiques. Mais aussi bien que saint Thomas, Cajetan se

renferme dans l’exposé général des principes du droil. Il reste un moraliste spéculatif ou plutôt même un métaphysicien, dans ses rapides aperçus de la démocratie.

Au xvi 1 siècle encore, les controverses de Bellarmin contre les protestants le ramenèrent à 1 antithèse des origines divines du pontilicat et des origines populaires de la souveraineté politique. Il établit très nettement que celle-ci, abstraction faite de ses formes particulières, vient premièrement de Dieu, car elle est la conséquence nécessaire de la nature humaine et de sa vie sociale ; et donc le pouvoir vient naturellement de celui qui a fait la nature et les tendances de sa vie : c’est un droit naturel, divinement établi. Mais ce pouvoir réside dans la nation, et non dans aucun homme en particulier ; car, en dehors des droits positifs qui peuvent survenir, il n’y a aucune raison de nature, pour qu’un homme soit le chef des autres, ses égaux par nature. Comme d’ailleurs la nation ne peut pas exercer la souveraineté directement, par elle-même, elle est dans l’obligation de la conférer à un individu ou à plusieurs. Ainsi, les diverses formes de gouvernement sont de droit positif et non de droit naturel ; car il dépend de la nation d’instituer un monarque, des consuls ou d’autres magistrats. Ces pouvoirs multiformes viennent encore de Dieu ; mais moyennant les délibérations, les choix de personnes, les transferts de l’autorité, opérée par les hommes. Bellarmin, De laids, c. VI.

Dans le même ordre d’idées, Suarez, De legibus, 1. III. c. iv, S 1, observe qu'à s’en tenir au droit naturel, les sociétés politiques ne sont pas obligées de constituer un régime plutôt qu’un autre. Bien que, de soi, la monarchie soit le meilleur et que sa plus grande extension atteste pratiquement son excellence — dit encore Suarez — les autres régimes peuvent être bons et utiles. L’expérience démontre d’ailleurs combien varient les opportunités : là où règne la monarchie, rarement elle va sans mélange, car, vu la fragilité, l’ignorance, la malice des hommes, il y a d’ordinaire avantage à tempérer l’autocratie royale par les interventions de la collectivité, en plus ou moins grand nombre, selon les coutumes et les besoins. Ainsi, tous les particuliers possèdent chacun leur quole part de valeur dans la communauté politique ; mais le droit naturel n’oblige pas celle-ci à exercer le pouvoir immédiatement ou à le retenir : trop de difficultés et de pertes de temps surviendraient, si le suffrage de tous était sans cesse requis.

Lorsqu’on se représenle l’Espagne absolutiste où vivait Suarez et l'état général de l’Europe au xviie siècle, de telles vues attestent une grande liberté d’espril à l'égard d’institutions puissantes et révérées. Intellectuellement, cette liberté procède encore de la ferme notion du droil naturel et de sa distinction d’avec les droits positifs, coutumiers, historiques, lesquels varient légitimement selon les besoins et les ententes des nations.

Cette liberté scandalisa Jacques 1 r. roi d’Angleterre et théologien, qui s’efforçait de consolider l’autocratie des Stuarts, très contestée des Anglo-Saxons, en s’appropriant la doctrine gallicane du droit divin des rois. Dans l’ouvrage qu’il composa sur l’ordre de Paul V pour répliquer au roi Jacques. Suarez établit encore les origines populaires de tout régime politique, sans exception pour la monarchie. Défi n-iii fidei, I. III. c. iv. Suarez avance même que si la monarchie et l’aristocratie ont besoin d’une institution positive pour s'établir, la démocratie peut s’en passer : elle existe, par le l’ait même que la nation ne transfère le pouvoir à personne, mais le retient pour soi collectivement, tel que, de droit naturel, elle le possède, en tant que société complète. Defensio fidei, 1. 111, c. IV, § 8. Il

aurait ainsi, dans tout peuple, une sorte de démocratie naturelle, préexistant à tout autre régime.

Cette manière de voir n’accuse pas seulement une vigoureuse offensive contre la dialectique du roi d’Angleterre ; elle achève d’accentuer l’entière liberté d’esprit des théologiens en présence des trois formes possibles de la souveraineté politique. Suarez ou Bellarmin continuent bien là saint Thomas et ses commentateurs. Et c’est un fait significatif : le fait que, du xiii c au xvir siècle, toute l'École enseigne l'égal droit naturel des peuples à se constituer en monarchies, aristocraties ou démocraties. C’est un enseignement commun des théologiens. Il est reçu dans l'Église sans la moindre protestation de la hiérarchie ; et, de la sorte, il anticipe la neutralité de l'Église dans la question moderne des régimes politiques à choisir ou à modifier. V. Maumus, L'Église et la France moderne, p. 209.

VI. Le mouvement démocratique aux temps moderm s.

Pour bien saisir l’opportunité et la valeur des enseignements pontificaux, soit de Pie IX, soit de Léon XIII, sur la démocratie, on doit reconnaître la situation qui les provoqua. Elle comporte un ensemble de faits économiques et de faits politiques dont les répercussions morales et religieuses déterminèrent d’abord l’attention de publicistes catholiques et puis l’intervention motivée des papes. Il est ainsi nécessaire de connaître d’abord quelles sortes de faits politiques et de faits économiques donnèrent sujet à cet enseignement des pontifes et aux initiatives des publicistes, qui en apparaissent comme les précurseurs.

I)ans le cours du xviiie siècle, l’application de la force hydraulique à l’industrie ; dans le cours du xix surtout, l’application de la vapeur, voilà le fait de technique et de métier, qui opéra une révolution sans précédent jusque-là dans la fabrication. Avec des forces motrices considérables, de très puissantes machines s'établirent. On vit finir l’universel emploi des outils à la main et des machines-outils à petit moteur. Sans doute, celles-ci et ceux-là ne disparurent pas entièrement, el leur us ; i ; ie partiel continue encore : il y a toujours des moulins à vent, des rabots ou des scies à m. lin. des noriahs qu’un mulet fait tourner. Mais ces antiques outillages cédèrent la primauté à la machinevapeur, bien autrement puissante et productive. Ce changement peut bien s’appeler une révolution, à cause de bb rapidité ; en moins d’un siècle, il bouleversait un outillage plusieurs fois millénaire, dont les fn quesde h. ptiens attestent le monopole

i imorial. La machine à vapeur devint par cette

révolution l’agent caractéristique de la fabrication

moderne. Ch. Benoist, La crise de l'État moderne,

ionisation du irai ail, Paris, 1906, t. i, p. 30. Pour

i nouveau industrii I, Le Plaj disait

la houille. parce que 1 1 puis ance des

machines s’alimente aux r< ervei de forces conden

dans les di pots énormes de ce combustible. Le Play,

I. » i i otutitulion an ntielle de l’humanité, Toui 1881,

p 66, 7 ' 7H. 77.

I cette révolution de l’outillage correspondit une ii tnsformation sociale du personnel fabricant, soit du

oit ilu côté patronal. Du côté ouvrier, un phénomène de concentrait produit, d’abord.< l’atelier, jadis un petit local ou le

n i ' i et i p i non Ira aillai* al ensemble,

m. uni' ii. mi agrandi et devenu l’usine. La tnachini à ii ntralne uni d< pi n 'i ai g< ni etdi forces molient i" rdni i i Ui n ai tionnail di noml i ies fabrii inti 1 1 uni ta te pi odui

i ii p< i onnel < proportion i di i"i ni autour de 1 1 mai hini II m multiplie dan - une mesure que ne souffraient jadis ni les petits capitaux ai li i" lit m ti ami ut di malin ai ti an

II i plus, De cette concentration des atelii i. résulte

une concentration des foyers, du voisinage, des intérêts ouvriers. « Concentrés dans l’usine pour le travail, les ouvriers ont été conduits à se concentrer autour de l’usine après le travail. Et, de la sorte, ce ne sont pas seulement les conditions et les circonstances du travail que l’on a vues brusquement modifiées du tout au tout, mais les conditions et les circonstances de la vie de l’ouvrier, dans l’usine et hors de l’usine ; de sa vie tout entière, je veux dire de sa vie matérielle et de sa vie intellectuelle et morale. Ce n’est pas seulement le travail qui d’individuel est devenu collectif ; c’est en quelque manière la vie même de l’ouvrier, à qui un intérêt collectif évident et permanent a créé, comme le besoin appelle la fonction et comme la fonction crée l’organe, une espèce de conscience ou d'âme collective. Par cette conscience ou cette âme, chacun de ces ouvriers, réunis pour une même fin, dans une même profession, en un même lieu, a senti bien plus vivement tout ce qui le touchait personnellement et tout ce qui touchait son groupe. Le groupe a senti bien plus vivement tout ce qui, louchant chacun de ses membres, le touchait lui-même et, avec lui et en lui, toute la corporation. » Ch. Benoist, loc. cit., p. 4, 5. Cf. p. 30, 43. « Les ouvriers sont devenus la classe ouvrière, économiquement, socialement et psychologiquement très différente. » Benoist, p. 5.

Ce fait de classement social n'était pas moins nouveau et considérable que la révolution technique opérée par la houille et le machinisme. Jamais au moyen âge, la classe des compagnons et des apprentis ne s'était opposée à celle des maîtres artisans, avec autant de différences et de séparations que celle des ouvriers d’usine et des patrons. De maître à compagnon, la différence existait bien comme de celui qui achète le travail d’un homme et qui le commande, à celui qui le vend et qui obéit ; mais cette opposition des intérêts, des conditions, des points de vue, s’atténuait par la communauté du travail avec les mêmes outils et dans le même atelier, par l’espérance de passer maître un jour. Dans le régime du machinisme, au contraire, l’opposition s’accentue par le fait que le patron cesse d'être ouvrier. La direction d’une usine exige un ensemble éminent de qualités prudentielles et de connaissances spéciales pour le choix des matières ouvrables, la surveillance et le renouvellement de l’outillage, la recherche des débouchés, l’organisation de la vente, l’acquisition du crédil nécessaire pour les fonds de roulement. C’est pourquoi la machinisme sélectionne

d’entre lei vriers ou bien leur superpose une aris tocratie naturelle du travail formant une aulre classe distincte, et qui possède elle-même sa mentalité el ses intérêts. Voir CORPORATIONS, t. III, col. ISIi'.l.

In troisièl llément complique la situation : sou vent, de tels capitaux sont nécessaires à une entreprise que son fondateur ou son patron technique fait appel à de nombreux capitalistes. Une société anonyme par actions devient ainsi propriétaire de l’entreprise et concentre de la Borte, aux mains de es administrateurs, les fonctions et la puissance du patronal. C’est le type commun des grandes entrepri u - de transports, chemina de fer ou paquebot. des mines de houille, di hauts fourneaux et aciérie tionnaire,

bailleur de fond. et l’administrateur apparais ent i l’ouï in i plu éloigm l ncoi i di a le et di i - inté|ui le patron individuel, propriétaire de son u ne l Demolins, Let population* mini

, i, ii, iii, lie, dan / 1889, t. vii,

p, ui’e Sou ent lointain. uniquement pn enta par leur argent et plutôt banquiei qu’entrepreneurs, anonyme » ia-à-vh d’uni ma ae ouvrière qui, elle

IIII II I pOUT 'l| quille foi 1 © lll"llll|e Mil

ti di muscli ajouté > un tas de charbon ; mais rap procle nentre eux dana la recherche du

bénéfice, les patrons sont devenus le patronal ; du moins ils apparaissent tels aux veux méfiants des ouvriers qui leur prêtent volontiers, comme ils l’ont eux-mêmes, une espèce d'àme ou de conscience de classe, opposée sinon hostile à la leur, v Iîenoist, loc. cit., p. 5.

A se regarder ainsi de classe à classe, à comparer leur condition précaire de salariés et l'étroitesse de leur existence avec la vie solide et large des capitalistes et des patrons, les ouvriers sentirent s’aviver en eux, douloureusement, le désir si humain du hien-êlre et d’un sort meilleur. Comme un ferment actif, ce désir s’est propagé de plus en plus dans la classe ouvrière, non sans mêler, comme c’est inévitable, de légitimes revendications et d’excessives prétentions, de très justes griefs et de regrettables envies. L’ivraie pousse toujours au milieu des blés ; mais le blé lui-même ne cesse pas d'être du blé, malgré ce voisinage.

L'état nouveau de la production avivait naturellement ces désirs mélangés. Toutes sortes de produits alimentaires, textiles et autres se vulgarisèrent de plus en plus, de par la concurrence des fabricants. Les transports en activèrent la circulation. De grands et de petits magasins les mirent de tous côtés à la portée des ouvriers. D’une manière générale, chez ces derniers comme chez les bourgeois, le machinisme industriel surexcita l’indéfinie capacité de la convoitise humaine à se faire du luxe d’hier le nécessaire d’aujourd’hui, et du luxe d’aujourd’hui le nécessaire de demain. Cet accroissement des exigences populaires se compliqua en outre d'émulation : l’aisance extérieure et le luxe reconnu de la classe bourgeoise ne s’accroissaient-ils pas de leur côté, sollicitant les ouvriers à désirer leur part des améliorations produites aussi bien avec leur propre travail ?

Enfin la hausse des salaires permit souvent de réaliser des conditions de vie meilleures ; mais là encore, la même loi foncière de l’infini désir humain suscita de nouveaux désirs à satisfaire par de la les désirs satisfaits. Ainsi que l’observe M. Ch. Benoist, on aura beau prouver à l’ouvrier, chiffres en main, qu’il est mieux logé, mieux nourri, mieux vêtu que ses pères, ce sera peut-être la vérité statistique, matériellement exacte ; ce ne sera pas toute la vérité, la vérité morale, qui tient compte de l’impondérable et de l’incalculable. L’ouvrier actuel est plus riche et plus pauvre que ceux des temps où de moindres gains excitaient de moindres désirs, et où de moindres désirs tenaient pour superflu le nécessaire d’aujourd’hui. Finalement, la révolution de l’outillage par la machine à vapeur a posé d’une manière plus aiguë que jamais le problème de l’amélioration de la vie matérielle, dans l'âme des ouvriers. C’est le grave problème social du bien-être populaire : i/n problème d'économie sociale et de politique, engageant de sa nature un problème d’ordre et de justice. La justice dislribulive exige, en effet, que chaque catégorie de citoyens puisse, dans sa condition, honnêtement et décemment vivre.

Mais la solution de ce nouveau problème — nouveau dans son acuité universelle et dans les exigences qu’il fallait satisfaire — entraînait également un problème nouveau dans l’ordre politique. « Les classes sociales résolvent mal les questions les unes pour les autres : c’est ce q*ui fait que toute classe dont la condition devient une question aiguë pour l’ordre public est introduite au pouvoir, sauf dans les cas particuliers où par là on n’aboutirait à rien, ou à rien que de radicalement désastreux, comme au cas de la révolte des esclaves à Rome ou du parti anarchiste actuel. Les longues doléances de la plèbe romaine l’ont finalement introduit au pouvoir. La Grande Charte d’Angleterre y a introduit la noblesse malmenée par les rois et le peuple opprimé par la féodalité. Les charges commu nales y ont introduit les habitants des villes comprimés par les seigneurs. Les États-Généraux de 17WI y ont introduit, en doublant sa représentation, le Tï< rÉtat « qui aurait dû être tout et qui n'était rien Henri de Tourville, cité par Ch. Van H.ieken. Le suffrage universel au parlement belge, dans La science sociale, 1902, t. xxxiii, p. 205, 206. Or « il y a dans la société, dit encore Henri de Tourville, loc. cit., une classe qui, au temps actuel, n’a pas bénéficié autant que les autres des avantages procurés peu à peu par les gouvernements ou avec le concours des gouvernements » : la classe ouvrière. Comme dans cette classe, qui est la majorité, et même en dehors d’elle, « tout le monde a le sentiment instinctif que si les classes bourgeoises conservent le pouvoir, elles ne résoudront pas la question de classe ouvrière dont elles n’ont pas l’impression vive et vraie, les esprits sont de plus en plus portés, sans bien savoir pourquoi, à penser qu’il n’y a de solution efficace qu'à laisser venir au pouvoir la classe qui a le plus de doléances à faire valoir. Et ceci est la loi de toute l’histoire dans l’attribution du pouvoir aux uns et aux autres. Le pouvoir n’est pas communément donné à celui qui, absolument parlant, y a le plus de droit ou est le plus capable, mais à celui qui fut le plus décisivement utile dans la questi"n a résoudre pour le moment. » « Quand certaines classes ont détenu le pouvoir et qu’un certain bien public en est résulté, si une classe sans pouvoir n’a pas assez bénéficié du fait accompli, elle se plaint ; et, si une satisfaction suffisante n’est donnée à ses plaintes au bout d’un certain temps (c’est le cas ordinaire des conquérants anciens du pouvoir, devenus conservateurs), elle réclame, non plus des améliorations qu’elle a vainement demandées, mais des garanties qui l’assurent de les obtenir : ces garanties consistent dans une participation plus ou moins large au pouvoir. Telle est l’histoire de tous les avènements de groupes sociaux au pouvoir. » Van Hæken, loc. cit., p. 210. Parfois, un groupe d’opposants parmi ceux qui se disputent le pouvoir favorise l’accession de nouveaux co-partageants. En 1848, l'établissement du suffrage universel en France et l’accès de la classe ouvrière aux droits politiques furent l'œuvre de l’opposition bourgeoise, devant le refus opiniâtre d’adjoindre des électeurs capacitaires au groupe des censitaires à 200 francs. Mais l’opposition n’aurait jamais pensé à cette transformation de l'électorat restreint, si déjà la classe ouvrière n’eût fait entendre ses doléances sociales et politiques. Le suffrage universel apparaissait aux ouvriers comme une arme puissante pour s’assurer des mandataires de leurs intérêts.

Défait, il substitua la multitude aux privilégiés pour la désignation des parlementaires qui font les lois et les ministres : de 240 000 inscrits environ, le corps électoral français fut porté à près de 80000000. c’est-àdire se multiplia de 1 à 33.

Cette multiplication des électeurs changea profondément l'état d’esprit des gouvernements et des législateurs et, par une suite naturelle, la qualité des lois. o Soit au repos et dans sa statique, soit en action et dans sa dynamique, l'État moderne aurait désormais, soit comme base, soit comme moteur, le nombre. L’introduction du nombre dans la mécanique de l'État concorde donc et peut se comparer absolument avec l’introduction de la vapeur dans la mécanique des métiers. De même que l’une avait prodigieusement accru, et sous tous les rapports, transformé le travail industriel, ainsi l’autre allait notablement accroître et transformer radicalement le travail d'État. Car, dans l'État, d’une part, tout doit se faire désormais par la loi, et, d’autre part, la loi ne peut se faire que par le nombre. La conséquence nécessaire est que, faite plus ou moins directement par le nombre, mais dans

tous les cas inspirée par lui, la loi sera plus ou moins franchement faite par le nombre, et l'État lui-même, tourné au profit du nombre. » Benoist, toc. cit., p. 8. « Voilà pourquoi, dans notre siècle, on ne saurait le nier, l’avènement politique de la démocratie a fait éclore chez les gouvernants, et en général chez ceux qui forment la classe dirigeante, avec le besoin et le désir de capter les suffrages populaires, la préoccupation de plaire à la multitude et d’améliorer son sort ; et l’on remarque partout un courant d’idées, de sentiments et d’entreprises diverses, ayant pour objet l’accroissement du bien-être des travailleurs. » Gayraud, Les démocrates chrétiens, p. 13.

A une législation faite par des bourgeois et pour des bourgeois succéda une législation faite par des bourgeois encore, le plus souvent, mais avec le souci volontaire ou forcé, intéressé ou non, des intérêts populaires, des revendications de la classe ouvrière. « Tandis qu’auparavant, on avait légiféré pour la propriété et presque uniquement pour elle, on allait légiférer uniquement pour le travail, ou, du moins, jamais à présent le travail ne serait oublié, et, toujours, dans toute législation, on se placerait de préférence au point de vue du travail. Le Code civil de 1801. pour des raisons qui se devinent et sur lesquelles il n’y a pas lieu d’appuyer : ignorance forcée ou volontaire de la grande industrie à peine naissante ; haine et terreur de la corporation, dégénérant en haine de la simple association ; nécessité de reconsolider la terre de France que la vente des biens nationaux avait brutalement mobilisée — pour toutes ces raisons, et parce que ses rédacteurs étaient des hommes du xviii » siècle plutôt que du XIX, des bourgeois et des gens du parlement, des légistes nourris de Polhier et des physiocrates imbus de Quesnay, le Code civil n'était guère que le Code de la propriété. Mais voici qu’allait désormais se constituer et que déjà s'ébauchait un (Unie du travail, dont les décrets de février et de mars 1848 sont comme les premiers articles. » Benoist, loc. cit., p. 8, 9. L’opposition est saisissante entre la législation de la

tituante, du Consulat, du Premier Empire sur le contrat de travail ou les coalitions, et les lois de la République en 1849, de l’Empire, '2."> mai 1864, <lr la République, "il mars l8Kî. sur les coalitions, les grèves, lei syndicats ouvriers. Paul Bureau, Le contrat de

<il, Paris, 1902, p. 199, 211, Siins doute, parmi

Mises directes de ces lois ouvrières, il faut compter au premier rang l’influence de groupements ouvriers, plus capables et mieux formés ! concurremment à celle d’hommes d'Étal et de Bociologues ; mais les désira et li i (Torts bien ouvrièri

pour l’amélioration de son sort agissaient aussi bien sur les élus di -"ii suffrage comme un fort stimulant. Ainsi tendait i r une situation « ans égale jus qn Ici dans l’histoire connue. Xi l’Orient ancien, avec

randi empire patriarcaux, despotiques et conquérants, ni l.i Grèce avec ses républiques boi el aristocratique i base d’i ou de colonat

quasi servile, m Rome, avec son syndicat de grands propriétain. ! Sénat de la ville, ses procon devenus les maîtres absolus des provinces, son empereur enfin, maître d’un monde, ni même les lions du ii. | odales et monarchiques, ne connu rent ectti acceuion universelle de* mullitudet auj i, i > et celle recherche universelle de »

de in vie populaire, imposée aux gouvernemenu par l’influence de la multitude.

I mOU VI de ni rMiniiiuii.il du ne, localisait

dam li communes i urali - urément, dan

un |" n plus « le vigueur el d < lai - mal di i ordre politique et social

le na ii m II. lient.m, , r féodal, au privi dynastique, et peu a peu, en Franc* la monarchie,

devenant absolue, établit les communes du royaume dans cette étroite dépendance envers les intendants et leurs subdélégués, dont Malesherbes, au nom de la Cour des Aides, disait à Louis XVI en 1775 : « On a pour ainsi dire interdit, la nation entière, et on lui a donné des tuteurs. » Mémoires pour servir à l’histoire du droit public de la France on matière d’impôts, Bruxelles, 1779, p. 654 ; de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 15e édit., Paris, 1858, t. i, 309, note K.

Mais, à rencontre de l’ancienne démocratie communale, contenue par les seigneurs et par les rois, et finalement annihilée par ces derniers, la démocratie actuelle est une puissance envahissante et dominatrice. L’Allemagne, l’Autriche-Ilongrie, l’Angleterre font une part croissante au suffrage universel et aux lois ou institutions ouvrières ; et cependant ces pays représentent la fidélité au culte dynastique, la tradition d’une aristocratie influente de pairs, de magnats, de seigneurs, en possession héréditaire des grandes fortunes et du pouvoir. Au lieu de représenter seulement, comme jadis, les votes et les idées de la bourgeoisie haute ou moyenne, la Chambre des Communes, le Reichstag, représentent de plus en plus la multitude ouvrière organisée par Trade-Unions ou syndicats dont les revendications agissent puissamment sur la législation. Ainsi, comme force politique et comme mouvement améliorateur des conditions où vit le peuple, la démocratie caractérise historiquement notre époque, d’une manière générale. On la reconnaît « comme un fait social, issu des faits antérieurs qui forment la trame de l’histoire. » Gayraud, Les démocrates chrétiens, Paris, 1899, p. 10, li. A ce point de vue, nos temps sont bien des tem}>s nouveaux. Ce mouvement est irrésistible, d’abord, parce qu’il procède de la révolution d’outillage qui a concentré la classe ouvrière en la rendant consciente de sa force et de ses souffrances, comme jamais ; ensuite, parce que rien ne sera jamais plus attrayant, plus ricin 1 d’espoirs et de promesses, pour des ouvriers aspirant à une vie plus heureuse et mieux garantie, que de se dire : « Nous sommes les maîtres de nous l’assurer, finalement, par notre bulletin de vote. » Ils se rendent compte, certes, que, souvent, leurs élus, des politiciens, trahissent ou escamotent largement leur mandat ; mais, décompte fail de ces abus de confiance, il y a encore moyen d’obtenir quelque chose par eux, et il n’y a pas d’autre moyen. C’est ainsi que des calculs et des sentiments se mélangent aux influences de l’atelier et de la concentration ouvrière pour donner au mouvement du peuple vers une vie plus heureuse et à son accession au pouvoir, une souveraine puissance devant laquelle, même en liussie. l’autocratie traditionnelle et l’oppressive bureaucratie chancellent ou reculent.

L’observation de ces faits suaire une altitude morale, ipie définit ainsi M. Gayraud : « Nous regardons la démocratie comme un fait imposé par l’histoire, contre lequel il est puéril et vain de s’emporter en paroles, et dont le devoir social nous oblige à tirer le meilleur parti possible pour le bien du pays et le progrès de la civilisation chrétienne (." cit., p. II. Observer le mouvement démocratique, l’esprit calme et ouvert, dans une pensée de bien commun et de fraternité chrétienne, tel est le devoir en même temps [ue ei religieux que ce mouvement nouveau du monde nous apporte.

Hais ce devoir se complique d’exigences pruden tielles et il., |_.||..- 1 1. " I I I 11.1 |ev limitant plus. 1

que tout d’abord, dans le c "s du six 1 siécli lea pu

mières manifestations de la poussée démocratique

furetii ii Itiieu.1. tordonnées. U< ils de Tocque

î 1 1 r-, en |s : i.">, i doutables diffi culté. I i Jamais les < hefi d «

l'État n’ont pensé à rien préparer d’avance pour la démocratie ; elle s’est faite malgré eux ou à leur insu. Les classes les plus puissantes, les plus intelligentes et les plus inorales de la nation n’ont point cherché à s’emparer d’elle alin de la diriger. La démocratie a donc été abandonnée à ses instincts sauvages ; elle a grandi comme ces enfants privés des soins paternels qui s'élèvent d’eux-mêmes dans les rues de nos villes et qui ne connaissent de la société que ses vices et ses misères. On semblait encore ignorer son existence quand elle s’est emparée à l’improviste du pouvoir. Chacun alors s’est soumis avec servilité à ses moindres désirs ; on l’a adorée comme l’image de la force… II en est résulté que la révolution démocratique s’est opérée dans le matériel de la société, sans qu’il se fît, dans les lois, les idées, les habitudes, les mœurs, le changement qui eut été nécessaire pour rendre cette révolution utile. Ainsi nous avons la démocratie, moins ce qui doit atténuer ses vices et faire ressortir ses avantages naturels ; et voyant déjà les maux qu’elle entraîne, nous ignorons encore les biens qu’elle peut donner. » De la démocratie en Amérique, Introduction, p. 9, 10. Cf. sir Th. May, Histoire de la démocratie en Europe, Paris, 1879.

Mais, si elle a manqué d'éducateurs à sa naissance, la démocratie, devenue grande et vigoureuse, ne les réclame-t-elle pas plus que jamais, surtout depuis qu’elle a fait l’expérience de ses erreurs et de ses fautes ? C’est ce que pensent d'équitables et chrétiens esprits, qui s’attachent à démêler quels véritables biens honnêtes les revendications politiques et sociales de la démocratie poursuivent. Sans donc absoudre ni les violences des révolutions ni les projets spoliateurs du collectivisme, des moralistes catholiques estiment que la démocratie poursuit une (in légitime et un réel progrès de la personnalité humaine, en admettant chaque citoyen à une part du gouvernement. Se gouverner soi-même est le propre de l’homme raisonnable : cette maîtrise de l’homme sur ses actes commence par le gouvernement de sa vie et de ses biens dans l’ordre privé ; mais elle demeure incomplète si l’on vit dans l’ordre public à la manière d’un sujet et non d’un citoyen, sous la tutelle du pouvoir, comme un simple mineur. Gayraud, Les démocrates chrétiens, ]). 17 ; Fonsegrive, La crise sociale, p. 443. Non moins légitime est l’accroissement de la sollicitude publique à l'égard de la classe ouvrière ; et les facilités d’association ou autres que de récentes lois lui ont procurées contribuent justement à une réelle amélioration de son mode d’existence. Gayraud, loc, cit., p. 20, 21.

En présence de ces avantages, réalisés ou poursuivis, la foi chrétienne au gouvernement divin des affaires humaines inspire l’idée d’une disposition providentielle. Alexis de Tocqueville exprimait cette vue dans une page saisissante où, résumant les caractères du mouvement démocratique, universel, durable, échappant chaque jour à la puissance humaine, utilisant à ses fins les événements et les hommes, il déclarait l'étudier « sous l’impression d’une sorte de terreur religieuse ». De la démocratie en Amérique, t. i, p. 7, 8. Mais puisque le bien et le mal s’enchevêtrent dans ce mouvement, 'ne devons-nous pas, en toute sérénité, considérer les justes revendications de la démocratie comme directement autorisées et voulues par la providence, et ses erreurs, ses fautes, ses déviations, comme des maux que la bonté providentielle permet encore, non sans le dessein d’en tirer du bien ? En appliquant tout simplement ici la notion catholique de la providence, telle que la résume saint Thomas, Sum. theol., I q. xxii, a. 2, l'âme s'élève, la pensée se rassérène, l'étude devient impartialement chrétienne et sympathique à tout bien, dans le spectacle si troublé et si troublant du mouvement démocratique.

C’est la meilleure préparation morale pour recueillir

à son sujet les enseignements des souverains pontifes.

VII. De Pie VII à Grégoire XVI : condamnation

    1. RÉITÉRÉE DES MENÉES RÉVOLUTIONNAIRES##


RÉITÉRÉE DES MENÉES RÉVOLUTIONNAIRES. — biv. i l

causes bien connues entraînèrent d’abord le mouvement démocratique dans certaines déviations révolutionnaires : une législation, sévèrement prohibitive des grèves, coalitions, associations, ententes quelconques entre ouvriers, poussait elle-même ces derniers à des réunions secrètes ou à des violences contre les personnes et les biens des patrons. Les exemples de ces désordres furent nombreux en France et en Angleterre, à mesure du développement industriel. Ilowell, Le passé et V avenir des Trade-Vnions. « Les bourgeois, l’aristocratie et les princes s’entendaient à l'établissement de lois et de coutumes en faveur du capital et contre le travail : le premier affirmant ses droits sans tenir compte de ses devoirs et de ses responsabilités, tandis que le second, obligé de subir tous les devoirs et toutes les responsabilités, voyait méconnaître ses droits légitimes, sans aucun moyen de les faire respecter. » Ilowell, p. 49. Cf. p. 40. Privés ainsi du bienveillant patronage qui les eût initiés à la revendication pacifique de leurs intérêts, les ouvriers devinrent aisément victimes de meneurs, soit fanatiques, soit exploiteurs, naturellement appelés par leur inexpérience à se conduire dans une situation toute neuve, et par leur exaspération. Le mouvement ouvrier, dépouillé de son autonomie, fut entraîné le plus souvent dans un courant tout révolutionnaire de conspirations secrètes, de violences matérielles pour renverser les bourgeois et les princes.

De rares esprits clairvoyants eurent seuls l’intuition de la cause juste qui se compromettait dans' cet entraînement. Ils virent aussi quelles ressources merveilleuses de doctrine morale et de fraternité l'Église possédait pour servir la cause des humbles. En 1825, le comte de Saint-Simon, dont une école fameuse a gardé le nom. s’adressait au pape dans son Nouveau christianisme. Il lui démontrait que, pour garder ou reconquérir la puissance morale de l'Église sur les peuples, il fallait diriger la grande réforme sociale qui se préparait dans le monde. « Vos devanciers ont suffisamment perfectionné la théorie du christianisme, ils l’ont suffisamment propagée, c’est de l’application de la doctrine qu’il faut vous occuper. Le véritable christianisme doit rendre les hommes heureux, non seulement dans le ciel, mais sur la terre. Votre tâche consiste à organiser l’espèce humaine d’après le principe fondamental de la morale divine. Il ne faut pas vous borner à prêcher aux fidèles que les pauvres sont les enfants chéris de Dieu, il faut que vous usiez, franchement et énergiquement, de tous les pouvoirs et de tous les moyens de l'Église militante, pour améliorer promptement l'état physique et moral de la classe la plus nombreuse. » Le nouveau christianisme, Paris, 1832, p. 138-149 ; Id., Le catéchisme des industriels, Paris, 1824.

A l'énoncé de ce dernier but, on reconnaît une intuition profondément juste du problème démocratique dans son aspect social. Saint-Simon n’aperçoit pas moins bien les ressources morales de l'Église pour la pleine solution de ce problème où la justice et la charité doivent primer l'économie politique. Malheureusement, disciple de l’Kncyclopédie. le réformateur n'était en religion qu’un déiste, incrédule aux dogmes de l'Évangile, bien que très admirateur de sa morale. Il n'était guère en situation de faire agréer ses conseils par le suprême gardien de l’orthodoxie intégrale.

De plus, le saint-siège concentrait alors son attention sur les carbonari et autres sociétés secrètes qui se livraient à des menées anticatholiques et révolutionnaires, parmi les ouvriers comme dans la bourgeoisie.

Dans sa bulle Ecclesiam a Jcsu Chris to, 13 septembre 1821, Pie Vil condamne ces sociétés pour leurs doctrines d’indifférence en matière de religion et pour leurs tentatives de renverser les rois et autres gouvernants, comme des tyrans. Le 13 mars 1826, Léon XII renouvelle ces condamnations dans les Lettres apostoliques Quo graviora, parce que, dès le début de son pontilicat, dit-il, l’état, le nombre, la force des sociétés secrètes ont retenu son examen. Absorbée par ces groupes révolutionnaires, l’attention du saint-siège demeure ainsi éloignée de considérer les aspirations du peuple vers une vie plus beureuse. Le problème posé par Saint-Simon ne surgit pas encore dans la conscience des pontifes : l’urgence de couper court à des menées redoutables les préoccupe avant tout.

Dans cet ordre de préoccupations, Léon XII exborte directement les princes de l’Europe catholique à une défense simultanée de la religion et de l’autorité royale. %Summoetiam studio, vestrum flagitamus præsidium. Le pape insiste sur le changement ou même la destruction du régime monarchique, poursuivis par les sociétés secrètes : o Ce n’est pas la haine seule de la religion qui les inspire, mais l’espoir que les peuples soumis à votre empire, en voyant renverser les bornes posées dans les choses saintes par Jésus-Christ et par son Église, seront finalement amenés par cet exemple «  changer ou à détruire l « ferme d « gouvernement. » Qu’ils poursuivissent l’établissement de la république ou des institutions libérales, les meneurs visés dans ce document compromettaient ainsi, au regard du saint-siège, des formes de pouvoir non condamnables en soi, mais qui le devenaient dans la circonstance, à cause des moyens adoptés pour les réaliser.

De Léon XII à (Irégoire XVI, Lamennais, son école et surtout les rédacteurs du journal L’avenir travaillèrent à propager dans les milieux catholiques le souci des intérêts et des libertés populaires. Lamennais, dans un article du 30 juin 1831, annonçait que, « à moins d’un changement total dans le régime industriel, un soulèvement général des pauvres contre les riches deviendrai ! inévitable ; > et le Saint-Siège* était exhorté à lire devant les rois le porte-parole des revendications ouvrières. Mais le programme de Lamennais ni en maximes absolues la liberté de conscience ii celle de la presse ; il allai) même jusqu’à regarder la révolution politique et sociale comme le préliminaire indispensable et providentiel d’un nouvel âge chrétien. L’encyclique de Grégoire XVI, Mirari vos, 15 aoûl 1832, condamna les erreurs tnennaisiennes sur la liberté, Elle rappela le principe de saint Paul : obéissance’i x pouvoirs établis. Elle montra l’application exemplaire de ce principe dansla fidélité des chrétiens antiques â des empereurs qui les persécutaient. Elle la <iiii certains libéraux ou libérateurs des servitude pour le peuple : tervitutem sul> Ubertatu tpecie populis illaturi, F.e pape enfin se tournait vers les princes, les adjuranl comme pères il tu de leur assurer la pai et la

prospérité en protégeant l’Église. Il continuai ! donc de en faveur des peuples, au lieu de

adret ei aux peuples sans les rois, el même contre ainsi que Lamennais I aurait voulu, dan on oppo Ition jfstématique, violente, injuste, aux royauté ! h obji i de on amour.

VIII Pli IS LA 80UVERAIMET1 DO NOMBRE ET DE LA i MATÉRIELLE, I ONDAUNÉE PAR II.Si/ ; i : i

tni i numei I et virium nalu a Syllabut du 8 décembre 1864, prop pi ope m tive déji’censurée en propres

termes dan l’allocution Vaxima guident, du’.' juin

mpielalu < m j reconnaît a m do<

Irine matériali li de i luloritc, la ramenant toute ! la foi ce brutale de t di m ijorité Le mati ria

Usine qui sévissait dans le milieu du xixe siècle passait aussi bien de la spéculation cosmologique à la morale et à la politique. Dieu et sa loi supprimés, que restait-il pour fonder le pouvoir, sinon la multitude omnipotente ou ceux qui parlaient en son nom, avec la force qui s’impose ? C’est ce que Pie IX a condamné.

Il ne censurait pas l’attribution démocratique du pouvoir à la multitude, mais la souveraineté du nombre et de la force à l’exclusion du droit ; c’est ce qui ressort du texte de l’allocution auquel le Syllabus réfère expressément la proposition 60 e. Pie IX signale, en effet, l’étroite connexion de celle-ci avec une philosophie toute matérialiste, et ses paroles s’appliquent tout droit aux disciples de Feuerbach, Bi’ichner et Moleschott : « Ils font dérision de l’autorité et du droit avec tant de témérité, qu’ils ont l’impudence de dire que l’autorité n’est rien, si ce n’est celle du nombre et de la force matérielle ; que le droit consiste dans le fait, que les devoirs des hommes sont un vain mot et que tous les faits humains ont force de droit. Ajoutant ensuite les mensonges aux mensonges, les délires aux délires, foulant aux pieds toute autorité légitime, tout droit légitime, toute obligation, tout devoir, ils n’hésitent pas à substituer en place du droit véritable et légitime, ce droit faux et menteur de la force, et à subordonner l’ordre moral à l’ordre matériel. Ils ne reconnaissent d’autre force que celle qui réside dans la matière. » Allocution Ma.rima quidem, § Ad vero et S Jawi porro commenta.

Mais si la forme démocratique du pouvoir n’est pas atteinte par ces censures, elles frappent du moins, par voie de conséquence, un certain abus de pouvoir qui est la tentation de la démocratie. Le nombre a son orgueil, ses courtisans qui l’exploitent, politiciens qui lui persuadent sa toute-puissance. Cette persuasion gagne les multitudes et leur devient un excitant à la tyrannie, dans la mesure où les citoyens manquent individuellement d’un sens ferme et profond de la justice et du droit. La foule se regarde alors comme souveraine maltresse de décréter le juste et l’injuste, ou plutôt de faire juste ce qui lui plaît. C’est la démagogie. Contre elle, l’ie IX rappelle la souveraineté de la justice et du droit naturel sur toute loi positive et toute volonté’de la multitude. V. Maumus L’Église et la France moderne, Paris, 1897, p. 286. Bien loin de présenter là quelque doctrine inacceptable à la démocratie, le pontife lui enseigne une vérité libératrice, qui est de tradition dans l’Eglise et d’opportunité au xixe siècle. Goyau, Autour du catholicisme, 2 « série, p. 313. 314.

La tradition de l’Église, c’est que tout pouvoir est établi comme serviteur de Dieu POUR LE BIEN, Nom., XIII, 1.7 ; et, par suite, que provenant de la multitude ou provenant d’un seul, la loi est essentiellement une ordonnance de la raison i vue m bien [commun. Sum. theol., I’Il’. q, XC, a. I. L 2. Le bien commun, c’est la justice pour chacun et la justice entre tous, avec la paix qui en résulte. [" 11", q. <i. a. 3. Ce n’est pas

Beulement des apôtres, c’est encore des prophètes que

il glise hérita cette robuste conviction que le pouvoir e^t le serviteur de tous dans la justice, el que de cette mission découlent tous ses droits. Dépourvue de cette subordination au bien commun, toute loi, qu’elle

émane d’un prince l’un peuple assemblé, n’est plus

qu’un péché des législateurs, une violence tyrannique, privée de toute force morale et obligatoire.

Principe élémentaire, que lei monarques oublièrent au temps il, - leur toute-puissance, el que la démocratie, .Lu i pri mien ivre i du pout oir, oubliait de m< Dan -ou rappel, comme dans bien d’autres proposiii Syllabus, tant injurié, Pie l poursuivait donc l’opportune application il une vérité lilx rat rire. ipplique.iu^ i ti i in nreustmi ni nos

DÉMOCRATIE

304

qu’on nomme U' droit des majorités, soit dans les assemblées populaires de la démocratie directe, soit dans les assemblées élues de la démocratie représentative. Dans une collectivité délibérante où les avis se partagent, il faut bien en venir à compter les voix ; c’est un moyen pratique, et le seul, de terminer les débats par une solution incontestée de tous. Mais, pratiquement aussi, les décisions de la majorité ne demeurent acceptables, que si elle poursuit elle-même le bien commun, et non pas l’abaissement et le dommage de la minorité. On en revient ainsi à la nécessité de principes moraux dominant la foule et l’assemblée entière : ils disposent la majorité à écouter le plus possible les justes doléances de la minorité. Depuis que l’expérience de la démocratie parlementaire a largement instruitles publicistes, l’opinion de ceux-ci est faite. Herbert Spencer écrivait, Contemporary Rewiew, 1884 : « Le droit de la majorité est sans valeur au delà de certaines limites. C’est comme si, dans le comité de surveillance d’une bibliothèque, la majorité décidait d’employer les fonds à l’achat de cibles et de munitions. » Le professeur Seeley, de Cambridge, Introduction lopolitical science, Londres, 1902, p. 156, 157, écrit : « Le principe majoritaire se justifie par la difficulté d’en trouver un autre ; mais il compromet l’idéal de la volonté collective du peuple ou du gouvernement libre. » C’est une simple « invention pratique ». Bryce, La République américaine, Paris, 1901, t. iii, p. 499, écrit : « La tyrannie de la majorité n’est pas dans la forme de l’acte qui peut être parfaitement légale, mais dans l’esprit ou l’humeur qu’il révèle, et dans le sentiment d’injustice et d’oppression qu’il évoque dans la minorité. » Balfour redoute les abus tyranniques de la majorité contre les droits et libertés privées : « C’est une tyrannie non moins néfaste que celle des despotes. » Discours prononcé à Limerliouse, en Irlande, dans le Times, 12 juin 1903. Enfin, l’rins, De l’esprit du gouvernement démocratique, Bruxelles, 1902, p. 120, 121, écrit : « La minorité doit, au nom de l’ordre légal, s’incliner devant la majorité ; mais celle-ci doit, au nom de la justice, s’incliner devant l’intérêt de tous. » Savants ou hommes d’Etat, les politiques contemporains s’accordent donc à professer que la souveraineté du nombre et de la majorité relève de la suprématie qui appartient toujours au bien commun et au droit. Leur unanime conviction à cet égard donne un splendide commentaire à l’enseignement de Pie IX.

Mais celui-ci eut le mérite de rappeler ces vérités morales dans un temps où le souci de la popularité et l’envie du succès rapide orientait les politiques vers l’adulation du nombre et de la force. Pie IX avait goûté les enthousiasmes populaires aux premiers jours de son règne ; mais il connut bientôt la révolution à Borne et l’exil à Gaëte. Il discerna les poussées mauvaises du nombre et de la force, et il sacrifia courageusement la popularité de ses débuts à une douloureuse, mais nécessaire protestation. C’est la gloire de ce pontife, de n’avoir pas ilatté la démocratie et d’avoir appliqué l’antique morale chrétienne à contrebalancer la souveraineté du nombre. L’autorité et la loi ne peuvent pas être simplement « l’expression de la volonté générale », comme le porte la Déclaration des droits de l’homme ; il faut, de plus, que la volonté générale se subordonne au droit et au bien commun.

L’enseignement de Pie IX demeure encore très opportun, car, de nos jours, on va, redisant de tout vote majoritaire : « C’est la loi ! Il n’y a plus qu'à s’incliner ! » Et si la loi est injuste ? Un coup de majorité peut-il être la règle infaillible de la justice ? Non ! la loi n’est pas « l’expression de la volonté générale », mais de l’ordre raisonnable à établir en vue du bien, soit par la volonté du prince dans une monarchie pure, soit par la volonté du peuple ou de ses représentants,

dans une démocratie. V. Maumus, L'Église et la France moderne, p. 225, 226. IX. Léon Xlll : u démocratie politiqw

mi : PARMI LES FORMES Dl GOI FERMEMENT QBE l'ÉgLISI PEl T ACCEPTER. — 1° La question de principe. — Dans l’encyclique Diuturnum, du 29 juin 1881, sur l’origine du pouvoir civil, la démocratie est formellement l’objet de cette reconnaissance ; mais Léon XIII prend soin d’en purifier le concept de tout alliage avec la thèse de Bousseau sur la souveraineté première, absolue et inaliénable du peuple. D’après Bousseau. en effet, chaque citoyen fait abandon de toute sa personne et de tous ses droits à toute la multitude, qui, désormais souveraine, lui assurp toute protection : tel est l’objet du contrat social : la souveraineté de l’homme isolé sur soi-même se transforme en la souveraineté de tous ensemble sur chacun des associés. Désormais, c’est la volonté de tous, ou, à son début, la volonté- du plus grand nombre qui est la loi suprême ; les divers types de gouvernement, royauté, aristocratie, magistrats populaires, ne sont que les commis et les délégués de la souveraineté universelle. Aussi « quand on propose une loi dans l’assemblée du peuple, ce qu’on demande aux citoyens, ce n’est pas précisément s’ils approuvent la proposition ou s’ils la rejettent, mais si elle est conforme ou non à la volonté générale, qui est la leur : chacun, donnant son suffrage, dit son avis là-dessus, et du calcul des voix se tire la déclaration de la volonté générale. » Bousseau, Le contrat social, 1. IV. c. II. Cetle doctrine ressemble fort au matérialisme politique déjà condamné dans la proposition 60e du Syllabt(s et celle-ci n’en paraît elle-même que la transposition dans un style rajeuni. Mais la démocratie, grandissant privée de ses véritables éducateurs, trop souvent exploitée par des sophistes et des politiciens, continuait de se griser, en quelque sorte, par les doctrines et par l’esprit du Contrat social. C’est à quoi pare Léon XIII : « Bon nombre de contemporains, suivant les traces de ceux qui, au siècle dernier, s’intitulèrent les philosophes, prétendent que tout pouvoir vient du peuple : que, par suite, ses dépositaires dans la cité ne le détiennent pas comme leur appartenant, mais ainsi qu’un mandat populaire, et sous cette clause, que la volonté du peuple peut toujours révoquer son mandat. Mais, c’est ce que nient les catholiques : ils rattachent à Dieu le droit de commander, comme à son naturel et nécessaire principe. Toutefois, il importe ici même d’observer que les gouvernants peuvent en certains cas être choisis par la volonté et le jugement de la multitude, sans nulle opposition de l’enseignement catholique. Par ce moyen de l'élection, la personne du prince est désignée, mais les droits du pouvoir ne sont pas conférés : ce n’est pas l’autorité qui est déléguée, mais on décide par qui elle sera exercée. Les diverses formes de gouvernement ne sont pas ici non plus en cause : rien n’empêche l'Église d’approuver le gouvernement d’un seul ou de plusieurs, pourvu qu’il soit juste et qu’il recherche le bien commun. C’est pourquoi, réserve faite de la justice, les peuples ne reçoivent aucune interdiction de se choisir le genre de constitution qui s’adapte le mieux à leur génie propre, aux traditions de leur passé ou à leurs mœurs. «

Cet enseignement de Léon XIII continue bien l’enseignement des scolastiques sur les diverses formes de gouvernement ; toutefois, sous la plume de ce pontife si appliqué à reconnaître les signes des temps, la doctrine traditionnelle passe de l'état purement spéculatif et du milieu scolaire, à une application des plus pratiques dans la situation du monde moderne. Et c’est pourquoi aussi elle s’enrichit d’une antithèse vigoureuse entre la participation légitime du peuple au pouvoir et sa souveraineté, telle que Bousseau la supposait. On retrouve le mémo enseignement dans l’encyclique

Immorlale Dei, du 1 er novembre 1885, sur la constitution chrétienne des États, § Sed perniciosa illa et § Ejusmodi ne regenda civitate.

C’est donc une bienveillante neutralité de l’Eglise, que Léon XIII affirme entre les diverses formes du pouvoir civil : neutralité, parce que l'Église a reçu de .lésus-Clirist, par révélation, les principes de son propre gouvernement, mais non ceux des gouvernements civils : neutralité bienveillante, parce que l'Église reconnaît là des manifestations naturelles de la vie sociale, et donc des lois providentielles, dans l'établissement pouvoirs politiques.

2° A l’exposé des principes, s’ajoutent, chez Léon XIII, certaines visées d’application, puisque, aussi bien, c’est le mouvement démocratique moderne qui lui suggère en fait son enseignement explicite sur l’accession du peuple au pouvoir ou à son partage.

Dans l’encyclique Immorlale Dei, une brève remarque établit que, « dans certaines époques et sous certaines lois, la participation plus ou moins grande du peuple au pouvoir n’est pas seulement chose utile : elle devient un devoir. » S Hxc quidem sunt quæ de constiluendis. Un peu plus tard, le 10 janvier 1890, l’encyclique Sapientiae christiame définit les principaux devoirs civiques des chrétiens. Adressée à l’univers catholique, sans distinction de républiques ou de monarchies, elle atteste par son objet même que, partout, la valeur individuelle et morale de l’homme, l’action privée et publique du citoyen devient par ellemême un facteur de la prospérité et du bien commun. Tandis que Grégoire XVI s’adressait encore aux princes comme aux « pasteurs et tuteurs des peuples » (encyclique M/rari vos), Léon XIII s’adresse aux citoyens qui, dans les monarchies comme dans les républiques, représentent presque partout maintenant l’accession du peuple au pouvoir dans une mesure ou dans une autre. lie tels enseignements sont venus à leur heure, dans le temps où le suffrage universel s'établit ou se conquiert par degrés, et oi’i l’Eglise elle-même réclame l’action publique de ses fidèles pour la défense de ses droits qui sont les leurs. Des devoirs civiques plus grands, plus compliqués et plus généraux s’imposent, n l II. -t. dans toute société, que ne gouvernent plus île rares privilégiés, nobles de naissance, capacités légales ou censitaires.

in Mil eui enfin i résoudre, dans le concret, le nre national île la démocratie politique eu l i il le dit lui-même dans sa Lettre à

M Mathieu, archevêque de Toulouse (28 mais 1897), il voulut approprier les maximes traditionnelles des lu saint-siège, à l'étal de la France, 'n matière d’ol au* pouvoirs établis. L’ency clique -ni i lu 16 févi ier 1892, ensei gnait l.i reconnaissance du régime établi, la République,

c ie un devoir envers le bien commun, s (>r, cette

ociale, S l’n, conséquent. L’encyclique aux

cardinaux français, du 3 mai suivant, résumait cette

i me — on s’en souvient, sj controversée dans la

i lil Irice Lor que, dans une société,

H existe un pouvoir constitué el mis à l'œuvre, l’intérêt commun te trouve lié à ce pouvoir, et l’on doit, pour on, i accepter tel qu’il est. C’est pour <

qui noua avona dit aux catholiques (rançai ca pie a R< publiqui. > est > di

m ou ». respecti

, . /, lin I par le hit <h ion lablisserænl et de n misi une démocratie bénéficiai ! de la doctrine traditions Ile sur l’acceptation despouvo itui

pe rappelait que d’autn i temps.i lien) de mi mi profité di i elti doctrine H', en Fi pi i mpii

lendemain d’une effroyable et sanglante anarchie ; ainsi furent acceptés les autres pouvoirs, soit monarchiques, soit républicains, qui se succédèrent de nos jours. » On sait, d’ailleurs, avec quelle délicatesse Léon XIII reconnut la pleine liberté des préférences théoriques ou personnelles en matière politique ; avec quelle fermeté il indiqua les changements à obtenir dans la législation de la République en matière de questions religieuses ou de questions mixtes ; l’une et l’autre réserve dégagent d’autant mieux la reconnaissance du fait démocratique, là où il s’incarne dans un régime établi, et la validité des droits issus de cet établissement.

X. Léon XIII : l'éducation morale de la démocratie ; problèmes connexes. — L’encyclique Longinqua Oceani, du 6 janvier 1895. aux évoques d’Amérique, rappelle fortement le besoin spécial qu’une démocratie a de citoyens honnêtes, et, par suite, la nécessité qu’elle éprouve d’une éducation morale pénétrée de religion. « S’il s’agit de l’ordre civil, c’est un fait acquis et reconnu, que, spécialement dans un État populaire comme le vôtre, il est d’une grande importance que les citoyens soient probes et de bonnes mœurs. Dans une nation libre, si la justice n’est pas universellement en honneur, si le peuple n’est pas souvent el soigneusement rappelé à l’observation des préceptes de l'Évangile, la liberté elle-même peut lui être funeste. Aussi, que tous les membres du clergé qui travaillent à l’instruction du peuple traitent avec netteté les devoirs des citoyens, de façon à persuader les esprits et à les pénétrer de cette vérité, qu’il faut, dans toutes les fonctions de la vie civile, loyauté, désintéressement, intégrité. En effet, ce qui n’est pas permis dans la vie privée ne l’est pas non plus dans la vie publique. 9 g De reruni génère civili.

Dans ces conseils, les allusions sont claires aux pratiques immorales des politiciens et des partis en Amérique. Lllesne le sont pas moins dans le Discours du 8 octobre 1898 aux pèlerins ouvriers français ; mais relie fois elles visent les périls moraux de la démocratie sous leur forme spécialement française : « Puisque vous venez de faire allusion à la démocratie, voici ce qu'à ce sujet nous devons vous inculquer… Si la démocratie veut être chrétienne, elle donnera à voire patrie un avenir de paix, de prospérité et de bonheur. Si. au contraire, elle s’abandonne à la révolution et au socialisme ; si, trompée par de folles illusions, elle se livre à des revendications destructives des lois fondamentales sur lesquelles repose tout ordre civil, l’effet immédiat sera, pour la classe ouvrière elle-même, la servitude, la misère, la ruine. »

(les enseignements pontificaux laissent apercevoir, en France comme en Amérique, une véritable crise morale de la démocratie dans l’ordre politique : doctrines subversives et personnel corrompu. C’est une

constatée par des observateurs de tout pays et de tout bord. Kii dehors des milieux catholiques elle inspire de nos jours une copieuse littérature - Barni, L" morale dans la démocratie, Paris, 1885 ; .Iules Payot, alion 'ic lu démocratie, Paris, 1897 ; Léon Bour/ éducation de la démoa itie, Discours, IS'.iT ; Solidai ité, 1898. Voir aussi.les ou ragei di jâ cités de i, i République américaine, el de Prins, Ds rnement démocratique. Di catholiques français poursuivent l'éducation

morale de la démocratie coi nécessaire à son i i

nisation politique et sociale, lis ont le vif sentiment

propn BU catholicisme pour celle

mu i. de vo- : l’irréligion propagée dans 1rs m l' m apparaît un crime contre le peuple et la destruction mémi luverner I on segrive, Catholicisme et démocratie, l « a^c sociale,

I ' pril 'ii mot ratique, 307

DÉMOCRATIE

.W

Paris, 1900 ; Qui fera la démocratie, I' ; iris, l’KXj ; La lutte pour la démocratie, Paris, 1908 ; Georges Renard, Sept conférences sur la démocratie, Paris, 1907 ; Louis Brouard, Petit catéchisme du démocrate, Paris, l ! iu.x. D’antres catholiques, il est vrai, combattent vivement 1rs méthodes, les tendances, les doctrines du Sillon. Emmanuel Barbier, Les idées du Sillon. A quoi répond Jean Desgranges, Les vraies idées du Sillon. Cf. Albert Schatz, L’individualisme économique et social, Paris, 1908. Le chapitre, intitulé : Libéralisme et christianisme, analyse les idées directrices de la démocratie chrétienne avec beaucoup d’impartialité.

Ces idées même se propagent dans les milieux qui ne sont point spécifiquement démocratiques : « En fait, l’Association catholique de la jeunesse française poursuit l’oeuvre sociale de M. de Mun et de M. de la Tour du Pin « en la démocratisant », comme l’a dit M. Georges Piot, son jeune et très compétent historien. « Aristocratique dans ses origines, l’A. C. J. F. est démocratique dans ses tendances. » T. Cheminât, dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, 1908, p. 72. Voilà un signe que le problème de l'éducation morale de la démocratie s’impose de nos jours universellement. Il aura eu sans doute ses pionniers, plus ardents que mesurés, auxquels M. Schatz reconnaît de l’instabilité et de la confusion dans les doctrines économiques, mais qui auront forcé l’attention et ouvert une voie où il est du devoir des esprits sages de s’avancer avec leur sagesse, courageusement, pour aider le peuple à connaître les devoirs que lui imposent ses droits et ses vieux.

Une situation est donc faite, où l’organisation du régime démocratique et le problème moral de l'éducation civique sont étroitement connexes. Le suffrage universel existe en France ; ailleurs, il se prépare ou se conquiert ; il se réalise ou se poursuit généralement en des conditions qui n’assurent aux électeurs, pris en masse, aucune garantie de sagesse et d'équité dans leurs choix, et qui les placent à la merci de politiciens, de comités, de dans exploiteurs, vivant de la chose publique comme d’un métier lucratif. Il y a là une question d’organisation légale et constitutionelle, relevant en soi, non pas de la théologie et de la morale, mais de la science sociale et politique. Néanmoins celleci constate l’imprescriptible nécessité du facteur moral et religieux dans la vie civique ; elle découvre aussi l’insuflisance des pures exhortations morales et religieuses, si une situation mal établie et corruptrice en combat les effets ou les énergies. C’est pourquoi il importe de considérer ici quelles sont les conditions normales des vertus civiques dans une démocratie, an point de vue des institutions. Ces notions de science pure deviennent d’un intérêt moral et religieux très manifeste, une fois dûment constaté que telles et telles institutions imposent aux citoyens des devoirs hors de toute proportion avec leur dose exigible de sagesse et de justice, et que d’autres proportionnent bien ces devoirs à leurs capacités ou même développent ces dernières. Si la justice distribulive, comme l’appellent les théologiens, consiste précisément à répartir les charges et avantages de la vie politique à proportion des capacités, le problème de l’organisation civique n’intéresse pas moins la morale que la science. Et c’est pour cette raison que, rapidement, nous indiquons ici ses principales données et la littérature à consulter pour le résoudre.

1° C’est un fait constaté que dans les affaires des communes rurales, l’assemblée universelle des citoyens domiciliés constitue le meilleur juge du bien commun, le plus intéressé au bon emploi des fonds, le plus incorruptible de sa nature. Voilà pourquoi la commune rurale n’est pas seulement le terrain naturel de la démocratie sous sa forme la plus directe, mais encore son

école primaire et son école d’application la meilleure. L'éducation civique, donnée par le pédagogue et par le

manuel, demeure verbale et ne forme pas le jugement, tandis que le sens pratique se développe, et, avec lui. 'équité, h' dévouement au bien commun, là, où, dès leur

enfance, les citoyens ont vu leurs pinet leurs grands frères activement gérer pour leur part les intérêts de la commune. Voir les ouvrages cités, col. 270.

2° Ce que la commune rurale est pour le paysan, le syndical professionnel le devient pour l’ouvrier industriel, dans la mesure où ce syndicat se dégage des bavardages révolutionnaires, des menées politicienn s’occupe sérieusement des intérêts du métier. C’est là que l’ouvrier se forme à la sagesse pratique el à l’arnour pratique du bien commun, à la prudence et à la justice, vertus maîtresses du citoyen dans la démocratie. C’est là qu’il s’habitue à une action intelligente et informée, disciplinée et personnelle, en vue de son bien et de ses droits ; là enfin que s'élèvent, par la gestion des charges corporatives et par l’ensemble d'études et de démarches qu’elles réclament, de véritables aristocrates naturels, élite inorale et sociale, qui représente au plus haut degré les aspirations et les capacités de la classe ouvrière. Les ouvrages déjà cités de Howell, Le passé et l’avenir des Trade-Unions, et de Paul Bureau, Le contrat de travail, le rôle des syndicats professionnels, exposent des faits probants sur cette valeur éducative du syndicat professionnel. On consultera aussi utilement Paul de Rousiers, Le Trade-Unionisme anglais, Une nouvelle enquête sur le Trade-Unionisme, dans La science sociale, 1896, t. xxi, p. 181 sq. ; Le congrès des Trade-Unions à Belfast, 1893, t. xvi, p. 239, 241. Voir Corporations, t. iii, col. 1877, 1878.

Les syndicats professionnels présentent ainsi le mode de groupement le plus favorable au développement de la prudence et de la justice dont les ouvriers ont besoin pour exercer leurs droits civiques dans la démocratie. Ce n’est pas que le syndicat n’ait ses dangers, ses tentations de violence ou de tyrannie ; mais la pratique des intérêts professionnels, leurs exigences de transaction et d’entente avec les patrons, la formation individuelle de la conscience morale et religieuse, constituent autant de forces supérieures dont les plus anciennes des Trade-Unions ont expérimenté les bienfaits. C’est par l’ensemble de ces ressources organiques que le mouvement syndical vraiment professionnel appelle de soi la sympathie de l'Église et le concours de son action inorale, par le moyen des ouvriers croyants. De même et par la réciproque, l'Église appelle l’action éducative du syndicat ; elle la désire à titre de condition sociale qui moralise le mieux la classe ouvrière, dans l’exercice de la démocratie. Voir Corporations, t. m. col. 1871.

3° Les vertus civiques de la démocratie réclament aussi le gouvernement local et autonome des communes urbaines, des circonscriptions de pays ou de province, parce que ce sont là des groupes naturels et particuliers, dans l’ensemble d’une grande nation, et que les intéressés directs sont mieux portés que qui que ce soit à la gestion honnête, appliquée et bien informée, de leurs propres affaires. Ici encore, nous nous retrouvons dans le domaine spécial de la sociologie ou de la science politique ; mais l’existence du gouvernement local intéresse la inorale par les services qu’il rend au bien commun, et par sa haute valeur éducative. Tandis que les parlements nationaux légifèrent de loin, de trop loin et uniformément, maladroitement, pour des populations trop nombreuses, trop disparates, trop dissemblables dans leurs besoins, Prins, De l’esprit du gouvernement démocratique, p. 239, "210, » il est dans la nature des choses, que le gouvernement parlementaire, pliant sous un fardeau trop lourd, et incapable de tout faire à lui seul, ait à ses cotés des rouages

auxiliaires pour le soulager et obtenir une meilleure répartition des tâches. Le mode de distribution le plus rationnel est celui qui accorde à des catégories de personnes le soin de s’administrer elles-mêmes pour des catégories d’intérêts gui leur sont propres en raison de l’homogénéité de leur vie, de leurs occupations, de leurs tendances ou de leurs qualités spéciales. » Prins, loc. cit., p. 240. — Alors, tandis que l'État ou le parlement décongestionne ses pouvoirs, on voit s'épanouir dans nos grandes nations à intérêts compliqués et de vie intense, « une floraison touffue d’associations variées, constituées en vue de l’utilité publique : universités, instituts scientifiques, cbaritables, religieux, artistiques ; sociétés pour la fourniture du gaz, de l'électricité, de la chaleur, de l’eau ; sociétés de transports, d'épargne, de crédit, d’assurances ; mutualités, ligues contre l’alcoolisme ou pour la protection des animaux, ou pour la moralité publique ou pour la poursuite de certains délits ; chambres libres de commerce, d’industrie, de travail, d’agriculture ; sociétés coopératives, etc. » Prins, loc. cit., p." 256. Gladstone disait en 1892 : « Plus les années s’accumulent sur moi, plus j’attache de prix aux institutions locales. C’est par elles que nous acquérons l’intelligence, le jugement, et que nous nous rendons aptes à la liberté. Sans elles, nous n’aurions pu conserver nos institutions centrales, » cité par Prins, p. 260, et par Ferrand, Les peuples libres, p. 97.

Les avantages éprouvés du gouvernement local consistent à initier les citoyens qui en sont chargés à l'étude expérimentale et au soin concret des intérêts locaux : services publics, comme la justice, la police, les écoles, la bienfaisance, l’hygiène ; services techniques accessoires, comme roules, ponts, bâtiments, égouts, voirie ; on procède par commissions d'étude et d’inspection, visites personnelles d’enquête, préparation de rapports et de projets, toujours dans la sphère des besoins communs et immédiats à un groupe dont on est membre sur place. Aussi, à l'éloquence grandiloquente et théâtrale des politiciens, se substituent le travail utile et de sobres discours. Les sujets à traiter sont familiers et donnent fréquemment l’occasion de pratiquer la bienveillance, le dévouement, la pitié. C’est pourquoi des écrivains autorisés comme Prins. Grey, Von Mohl. Bryce, considèrent unanimement le gouvernement local comme développant l’amour intelligent du bien public chez ses agents, C’est donc une institution de haute valeur morale. Elle favorise d’ailleurs beaucoup moins le mauvais esprit de clocher et la fatuité

i ands hoi - de petits irons que le régime de la

tutelle administrative eî de la centralisation absolue. à subalternes irresponsables et

initiative, el à favoritisme, que brillent le plus les beaux parleurs humanitaires, vaniteux de la faveur officielle dont ils jouissent. Au contraire, c’est d’abord sur le modeste champ des affaires municipales, cantonales, provinciales..1 di issociations de bien public, que ie façonnent, s'éprouvent, se distinguent peu à peu

bs futurs hoi s d’Etat. Si la commune rurale et le

syndical ouvrier peuvent se considérer comme l< j écoles primaires naturelles de la capacité et de la vertu civiques dans la démocratie, les institutions diversi gouvernement local en réalisent pour ainsi diri

supérieure*. Avec leurs fonctions électives el h titutions te' consacrent pas de privi II faveur des riches, pur.- qu’elles n’offrent pas complications d’affaires, qui, dans le gou i ne ment central, 'vi^.ni d< ipécialistes absorbés par la

fonction. I ernement local ne prend que il.

heures intermittentes pour des mandait temporaires, l 'ri n. » cit., p. 273, 271 ; Levasseur, Quettion

'- - i /- / i "./ i // oi$u me

blique, Paris, 1907 l> tilli m. one mi nce, sus

Mil iiu à doter certaine charges du gouvernement

local d’une indemnité journalière, équivalente au salaire moyen d’un bon ouvrier, de manière à ce que ceux-ci ne se trouvent point, en fait, évincés de ces charges. Goodnow, Comparative administrative Law, t. I, p. 232.

A côté de ses agents, le gouvernement local assagit et moralise aussi les masses, dont il protège et sert les intérêts par des mesures pratiques, avantageuses pour tous. Au lieu de griser la classe populaire avec des mots capiteux, de l’associer à des haines de clan, comme le font les politiciens — les représentants des libertés locales donnent satisfaction à de justes désirs, intéressent l’opinion à des questions positives et pratiques d’intérêt et de droit, portées à la connaissance de tous par des débals publics, des articles et informations de presse. Celle-ci prend là un ton sérieux et rassis. A ce point de vue, Guizot et Gneist attachent le plus grand prix aux organes et aux fonctions du gouvernement local. Guizot, Histoire des origines du gouvernement représentatif, Bruxelles, 1851, 1. 1, p. 180 sq. ; Gneist, Die Prcussische Kreisordnung, Berlin, 1870, p. 23 sq. Par ces dispositions qu’il réalise dans les masses, comme par les services qu’il réclame, le gouvernement local élimine le politicien et sa « politique alimentaire », pour installer à leur place des notabilités communales, cantonales, provinciales, qui ne se classent pas en partis, mais qui se groupent selon les cas et les affaires. Macy, Dur government, Boston, 1902, p. 231 ; Shaw, Municipal government in Greal Britannia, dans Polilical science Quarlerly, t. x, p. 200 sq. ; Fox, Counly Counc.il as il worlis, dans Yale Review, 1895, 1896, p. 87 ; Prins, loc. cit., p. 262, 263 ; Maurice Vauthier, /^ gouvernement local de l’Angleterre, Paris, 1895 ; BlackeOdgers, Local government, Londres, 1901.

4° L'éducation morale du peuple ne s’achèvera pas, dans l’ordre politique, sans une réforme et une organisation du suffrage universel. Ici encore, nous énonçons une proposition de science sociale et non de théologie ; mais cette proposition nous fournit des données nécessaires pour l’efficacité de renseignement moral et chrétien du devoir civique à notre époque. Et c’est pourquoi, l’on ne saurait trop encourager les théologiens à étudier un problème que non seulement les savants purs ou les hommes politiques approfondissent, mais sur lequel les travaux des catholiques sociaux en France, et de la revue L’association catholique ont accumulé de précieuses études depuis trente ans.

Une nation n’est pas la poussière d’individus que Bousseau imaginait formant l'État, à l’exclusion de tout groupe intermédiaire, en transportant peut-être une vue superficielle et faussée des Landsgetneinden, dans une théorie pire encore de la société politique en général. Cette théorie fut appliquée par la Révolution, en haine des corps privilégiés de l’ancien régime, et au grand dommage de l'éducation civique des Français. Une grande nation surtout est un ensemble complexe île groupes naturels. Les uns se fondent sur le travail, le domicile, le voisinage commun d’un certain nombre de familles, et ce sont les communes rurales, dépositaires des intérêts agricoles dans toute la nation. D’antrès groupes si> fondent sur la communauté de travail en des endroits pourtant divers et même distinct

onl les ouvriers des mines, des transporte, de l’industrie, avec leurs syndicats ouvriers, et les patrons, syndiqués aussi ; le commerce, les professions libérales,

orpa universitaires constituent également d’il' 'ii tincl pat n iiui' i, ' i dont le bon Font lionnemenl itile i toute ii nation. La propi l< té aui > bien constitue pour sa part une cla d’intérêt oaux, lorsque le sol d’un pa] et méthodes agricole. i ientiflqu di mandent 1 1 produi enl

le type du grand propriétaire C’est a Pintérieui di toui

n. h [du rivent  : ni

DÉMOCRATIE

312

quotidiennement ; c’est des fonctions complémentaires, exercées par chacun de ces groupes, harmonisées entre elles avec justice pour tous et entre tous, que résulte la paix, que ressort le hien commun. Aussi, la nation appelée à se gouverner par ses représentants, selon le système démocratique, ne sera représentée que par les représentants de ces groupes et intérêts divers. Et où, et par qui seront-ils mieux choisis, avec une meilleure connaissance des personnes et des choses, que par les membres de la profession ? Nos circonscriptions d’arrondissement confondent des électeurs de toute catégorie dans le choix de personnes inconnues d’eux, et sur des énoncés de programmes où 99 citoyens sur 100 sont incompétents, car il ne s’agit de rien moins que d’un programme total de gouvernement pour toute la nation ! Aussi peut-on appliquer au suffrage universel, tel que nous l’avons et qu’il existe en d’autres pays, ce qu’on a dit des élections présidentielles aux États-Unis : « Les organisateurs ne consultent pas l’opinion publique ; ils la créent. Ils la manipulent, la pétrissent, la séduisent, la corrompent, la dominent, la suggestionnent de mille manières. La désignation en est faite, non parce que la foule est là, mais quoiqu’elle soit là, non par sa décision, mais parce que des comités d’une dévorante activité ont décidé pour elle. » Ostrogorski, La démocratie et l’organisation des partis politiques, Paris, 1903 ; Macy, Dur govemment, Boston, 1902, p. 244. Aussi, une démocratie parlementaire, qui repose sur le suffrage universel brut et amorphe, n’est qu’une démocratie de façade, menée etfectivement par des minorités politiciennes. Ch. Benoist, La crise de l'État moderne, Paris, 1897, p. 26, 27 ; Sophismes politiques de ce temps, Paris, 1895 ; Em. Lahovary, Histoire d’une fiction, le gouvernement des partis, Bucarest, 1897 ; sir Henry Summer Maine, Essais sur le gouvernement populaire, trad. franc., p. 145, 157 ; Georges Goyau, Autour du catholicisme social, 2e série, 1901, p. 46, 54. Bégime d’incompétence chez l'électeur et de corruption chez les faiseurs d'élection, tel est le bilan moral, désormais acquis, à la charge du suffrage inorganique. Et comme, d’autre part, tout le monde s’entend à reconnaître l’impossibilité pratique de revenir au suffrage restreint — par exemple, Benoist, De l’organisation du suffrage universel, p. 28, 30 ; de Lamarzelle, Démocratie politique, p. 7, 8, n. 1 — la conclusion est qu’il faut organiser le suffrage universel. Le problème de l'éducation civique et morale nécessaire à la démocratie engage donc ce dernier problème, que M. Charles Benoist a magistralement traité dans son ouvrage sur L’organisation du suffrage universel. Il y examine : 1° les expédients et palliatifs compatibles avec la forme actuelle : éducation des électeurs, vote obligatoire ; 2° les changements de forme accidentels : scrutin de liste ou d’arrondissement ; vote secret ou public ; limitations des dépenses électorales ; 3° les changements minimes en substance : l'âge, le domicile, le minimum de capacité ; 4° les combinaisons : suffrage à plusieurs degrés et vote plural ; 5° la représentation proportionnelle des opinions ; 6° la représentation réelle du pays. Belativement à celle-ci, M. Benoist étudie : 1° les fondements théoriques et philosophiques de la représentation professionnelle ; 2° ses fondements historiques ; 3° ses éléments dans les législations existantes : survivances ou formes anciennes ; formes mixtes ou renouvelées ; formes nouvelles ou progressives. L’ouvrage se termine par un essai d’application à la France. Il est à lire et à méditer par tous les moralistes, qui, sans sortir de leur compétence, voudront sortir néanmoins des généralités et des lieux communs, sur la réforme du suffrage universel et de ses mœurs. De même que, au traité de la justice et des contrats, le théologien doit connaître un bon nombre de lois civiles et de théories juridiques, de même, au traité des Dc rnirs civiques, encore à faire, le théologien devra connaître les institutions qui assureraient le mieux sa compétence et sa probité au suffrage populaire, et, par suite, les ('tndes techniques de science sociale et de science politique nous sont, de par nos devoirs, aussi indispensables que celle de l’anthropologie ou de toute autre science auxiliaire. Nous y gagnerons une précision et une sérénité d’esprit strictement nécessaires à la valeur de nos jugements moraux sur le régime politique nommé démocratie. XL L’encyclique De conditions opificum et la

    1. DÉMOCRATIE COMME MOUVEMENT SOCIAL##


DÉMOCRATIE COMME MOUVEMENT SOCIAL. — On peut appeler ce document la charte pontificale de la démocratie, en prenant ce terme dans le sens dérivé de mouvement social pour l’amélioration de la vie chez les ouvriers. Dans l’exorde, Léon XIII résume vigoureusement les causes du redoutable conflit que le xiv siècle vit naître dans la société : 1° progrès nouveaux de l’industrie et méthodes nouvelles des arts mécaniques ; 2° altération des rapports entre patrons et ouvriers ; 3° concentration des richesses entre les mains du petit nombre et indigence de la multitude ; 4° opinion plus grande que les ouvriers ont conçue d’eux-mêmes et leur union plus compacte ; 5° corruption morale. Cette énumération place fort exactement la révolution technique et industrielle opérée par le machinisme au premier rang des facteurs qui ont produit l’antagonisme actuel des classes ; viennent ensuite les faits déconcentration ouvrière, de concentration patronale et de démoralisation dont les économistes et les politiques ont, comme Léon XIII, reconnu l’enchaînement. Mais le pontifie annonce de suite le haut point de vue de justice qui domine son intervention : « préciser avec justesse les droits et les devoirs qui doivent à la fois commander la richesse et le prolétariat, le capital ri le travail. Le problème n’est pas sans danger, parce que trop souvent des hommes turbulents et astucieux cherchent à en dénaturer le sens et en profitent pour exciter les multitudes et fomenter des troubles. Quoi qu’il en soit, nous sommes persuadé, et tout le monde en convient, qu’il faut, par des mesures promptes et efficaces, venir en aide aux hommes des classes inférieures, attendu qu’ils sont pour la plupart dans une situation d’infortune et de misère imméritées. » Ces dernières paroles sont absolument neuves : si. d’un côté, Léon XIII ne reste pas moins sévère aux violences et aux excitations révolutionnaires que Grégoire XVI ou Léon XII, d’autre part, il bénéficie de soixante années où le conflit social, se prolongeant, fut observé, étudié, apprécié par de nombreux esprits, notamment par ces économistes ou ces hommes d’action catholiques, si justement appelés les précurseurs du mouvement social catholique ou ses premiers initiateurs. Victor de Clercq, Les doctrines sociales catholiques en France, depuis la Révohdion jusqu’il nos fours, Paris. 1905, 2 brochures. Voir Corporations, t. iii, col. 1870, 1871. Depuis les écrivains contre-révolutionnaires, comme Joseph de Maistre et Bonald, en passant par Chateaubriand. Ballanche, Lamennais, Lacordaire, Montalembert, le comte de Coux, Yilleneuve-Bargemont, Louis Veuillot, Ozanam, jusqu'à Gratry, Charles Périn, Bené de la Tour du Pin, le comte de Mun, Ketteler, Vogelsang, Decurtins, etc., l’application des principes évangéliques à l’amélioration physique, sociale et morale de la vie ouvrière devint de plus en plus un sujet d'études et un principe d’action. Par l’organe d’une élite de croyants et de penseurs, l'Église enseignée sollicitait implicitement l’autorité pontificale à se prononcer sur cette cause majeure. Des gens même du dehors, comme Bûchez et son école, d’anciens saint-simoniens, comme le banquier israélite [saac Pereire, sollicitaient expressément une action nouvelle de la papauté. « Jamais œuvre plus digne d’elle. plus conforme à l’enseignement de son divin maître ne

s’est offerte à la sollicitude de l'Église. N’est-elle pas, par son principe même, la mère de tous les petits, la protectrice des opprimés ? Après avoir détruit l’esclavage antique et le servage féodal, l'Église doit encore améliorer le sort de l’ouvrier moderne. » Isaac Pereire, La question religieuse, Paris, 1878, cité par LeroyBeaulieu, La papauté, le socialisme et la démocratie, p. 8, 9. Aussi, quand Léon XIII eut répondu à ces aspirations par l’encyclique De condilione opificum, un observateur, étranger à la foi, mais clairvoyant, reconnut là un contact délibéré avec le monde nouveau du travail et de l’industrie, un contact nouveau lui-même, bien que conforme aux traditions constantes de l'Église. Spuller, L'évolution politique et sociale de l’Eglise, Paris, 1893, p. 10't, 119, 159, 162, 164, 170. Conformément à la justice et à la cbarité cbréliennes, le pontife blâmait l’individualisme de la Révolution, qui « avait détruit, sans rien leur substituer, les corporations anciennes », et, de la sorte, « livré à la merci de maîtres inhumainet à la cupidité d’une concurrence effrénée, les ouvriers isolés et sans défense. »

En regard de cette « misère imméritée », Léon XIII considère la puissance des spéculateurs qui accaparent les affaires, la concentration des entreprises et des marchés aux mains d’un petit nombre de riches et d’opulents, « qui imposent un joug presque servile à l’infinie multitude des prolétaires. »

L'état de la question ainsi posé, l’encyclique se divise en quatre parties : 1° l’action des socialistes ; 2° l’action de l'Église, § Confidente)' ad argumentum aggredimus ; 'à" l’action de l'État, § Jam vero quota pars rem eilu. l « l’action des patrons et des ouvriers, § Postrcmo domini ipsique opifices.

I" L’action des socialistes vise toute à organiser la propriété collective du sol et des moyens de travail. Elle a n’aurait d’autre effet que de rendre la situation des ouvriers plus précaire, en leur retirant la libre disposition de leur salaire et en leur enlevant par le fait même tout espoir d’améliorer leur situation. » Donc, solution nuisible. De plus, injuste : l’individu serait lésé dans son droit naturel de posséder par lui-même les moyens qu’il prévoit nécessaires à sa vie, et les fruits du travail qu’il entreprend à ses lins, t Et qu’on n’en appelle pas à la providence de l'État, car l'État est postérieur à l’homme, et avant qu’il put se former, l’homme déjà avait reçu de la nature le droit de vivre el de protéger son existence, i A ce propos, réfutation occasionnelle de la nalionalisation du sol. De ce que Dieu donna la l are humain, il ne s’ensuit pas qu’il la livra à celui-ci comme à l’unique propre collectif, mais simplement qu’il laissa la délimitation des divers lypes de propriété à l’industrie humaine et aux institutions des peuples Déplus, le travail de défrichement, de culture et d amélioration incorpore à la terre uni fécondité el une plus-value telle ni Inhérentes à elle qu’on ne -aurait en jouir sans poc la terre elle-même. Injuste encore pour la famille, la doctrine socialiste, rar elle ôte à son chef le moyen d'éli ver Bes lilet de leur constituer un patrimoine. Léon Mil. a ce propos, revendique fortement l’autonomie de la famille dans il lat, el la supériorité d< droits dans la iphère de sa On propre et immédiate, pour le choix et l usage de toul ce que veulent sa conn indépi ndance. g Quod igitur démonêtravimut Injuste enfin pour la iliste ami ni rail m le us. et insupportable

itude poui tout us. priverait le travail

et le talent du -ti lanl i dri de la propi ii

] i galité tant n rée, 1 1 dan li di nûment dan no t la nu-' re

D’où Léon lil conclut que le premier fondement A i />/ ! 1 euleni euple, <', % ! l’inviolabilité de

Toute la critique du socialisme par l’encyclique tend à l'établissement de ce principe, qui est la contradictoire du principe socialiste, malgré les atténuations de prudence et de politique apportées à ce dernier par les maîtres du socialisme. Voir Communisme, t. iii, col. 592, 593.

2° L’action de l’Eglise, continue Léon XIII, enseigne d’abord le respect des inégalités de condition qui sont le résultat naturel des différences de talent, d’habileté, de force, et qui tournent au bien de tous, en diversifiant les fonctions à mesure des aptitudes. C’est la réprobation par l'Église des abus de la tendance égalitairc. En dehors même des catholiques, cette réprobation se rencontre également vigoureuse. Prins fait consister « l’utopie égalitaire » dans la « tendance à l'égalité des conditions. » De l’esprit du gouvernement démocratique, p. 7. Bougie observe qu’on ne saurait considérer l'égalité naturelle des hommes sans tenir compte de la valeur individuelle des personnes, si différentes de qualités et de mérites. Les idées égalitaires, Paris, 1901, p. 22, 27. Bryce décrit le respect des notoriétés et des valeurs individuelles qui s’allie toujours chez les Américains au sentiment très vif de l'égalité naturelle, civile et politique. La République américaine, t. iv, p. 522, 539. C’est donc un fait de nature et un principe de juste différenciation, que Léon XIII maintient dans l’ordre social, contre les excès de l'égalitarisme.

Il prémunit aussi le peuple contre l’espérance fallacieuse de posséder un paradis terrestre sans douleur ni travail et contre le principe antisocial de la lutte des classes., -* Illud ilaque slatuatur primo loco ; $ Est illud in caussa, de qua dicimus. Cf. Léon Poinsard, La guerre des classes peut-elle être évitée ?

L'Église, au contraire de ce faux principe, rapproche les classes en leur prêchant à chacune la justice dans son élat : à l’ouvrier, de fournir intégralement et fidèlement tout le travail auquel il s’est engagé par contrat libre et juste ; de ne point léser son patron dans ses biens et dans sa personne ; de ne point soutenir ses revendications avec violence et par l'émeute ; de fuir les discoureurs artificieux qui le corrompent avec des espérances exagérées et des promesses irréalisables. Aux patrons, de respecter la dignité de l’homme et du chrétien dans l’ouvrier, d’honorer le travail comme un noble moyen de sustenter sa vie ; de payer le salaire intégralement et fidèlement, et un juste salaire ; de respecter et de favoriser l'épargne du pauvre.

L'Église veut mémo rapprocher les classes jusqu'à une certaine amitié. § Sed Ecclesia tamen. La base chrétienne de cet intime rapprochement consiste danle sens vrai de la vie, qui montre le danger de la richesse pour la vie éternelle, et l’essentielle nécessite de bien se préparer à celle-ci par le bon usage, soit de la pausoit de la richesse. Avec ce sens chrétien de la ie, les riches distinguent aisément entre leur droit de -ion, qui est personnel, et leur droit d’usage, qui se limite personnellement au nécessaire et au convenable. Ils doivent leur superflu aux pauvres, à litre de charité' fraternelle. Léon Mil cite à ce propos saint Thomas, Sum. theol., II" II". q. xxxii, a. 1 ; q. i.wi, a. -. Le s. iichrétien de la vie montre également à tous

qu ils Sont Comptai. le- <|e leurtalents emeis |e bien

public, s. Grégoire le Grand, Homil., i. in / n. 7. /'. L., t. i. x m. coi. 1108 u pauvres finalement, il en tune d’un étal OÙ a is-t Ihrist > i

pour lequel il gai di di ' ndres prédilection

i Êglisi en lin tourne l’amitié des classes en uni fraternité, I fuoi tamen si i hrietianit, pai li de la création et de l’adoption divine, de la Bn derne i., de 1 1 rédemption roua i gali ment ère. —, adopti

Il le même DieU, les riches et II s

pauvres sont une même famille de fn rea, dont Ii Christ i » pn mil i 31 !

DÉMOCRATIE

: nc>

El tiéon XIII termine celle.seconde partie de l’encyclique par l’exposé des mœurs et des institutions historiquement issues de ces croyances et de ces doclrines.

: S" Action de l'État. — S Jam rem quota par » reniedix, Léon Mil déclare parler dans l’hypothèse de l'État

chrétien, constitué selon les préceptes de la raison naturelle et de l'Évangile.

L'État agira d’abord par l'économie générale des lois el des institutions, sans excepter les ouvriers de son action : c’est son office de servir l’intérêt commun par des mesures générales. Il agira ensuite directement pour le bien propre des ouvriers, qui sont des citoyens aussi bien que les riebes, et qui ont droit à la protection de leur travail comme les riches à celle de leur propriété. C’est l’exigence de la justice distributive. Les ouvriers y possèdent un titre spécial comme facteurs de la richesse nationale : les gouvernants ont le devoir d’intervenir dans les questions ouvrières, dès que la paix publique est menacée par les grèves, que la religion des ouvriers est violentée, que les ateliers mélangent les sexes ; que les conditions du travail sont iniques ; « dans tous ces cas, il faut absolument appliquer dans de certaines limites la force et l’autorité des lois ; les limites seront déterminées par la fin même qui appelle le secours des lois ; c’est-à-dire que celles-ci ne doivent pas s’avancer ni rien entreprendre au delà de ce qui est nécessaire pour réprimer les abus et écarter les dangers. » C’est donc au nom de l'égalité civique et de la justice distributive, que Léon XIII approuve l’intervention des gouvernements dans la question ouvrière ; toutefois, dans la protection des droits privés, l'État doit se préoccuper d’une manière spéciale des faibles et des indigents. « La classe riche se fait comme un rempart de ses richesses et a moins besoin de la tutelle publique [minus egel lutela publicà], La classe indigente, au contraire, sans richesses pour la mettre à couvert des injustices, compte surtout sur la protection de l'État. Que l'État se fasse donc, à un titre tout particulier, la providence des travailleurs, qui appartiennent à la classe pauvre en général. Quocirca mercenarios, cum in mullitudine egena numerantur, débet cura providentiaque singulari complecti respublica. »

Les expressions « tutelle publique » et « providence des travailleurs » semblent ici forcer le sens des expressions latines. Tulela publica veut dire protection de l'État et non tutelle ; cura providentiaque, c’est le soin et la prévoyance. Leroy-Beaulieu, La papauté, le socialisme et la démocratie, p. 121. La traduction officielle demande ici à être contrôlée par le texte. Il n’en demeure pas moins certain que Léon XIII regarde les gouvernements comme tenus en justice à une protection spéciale des droits de l’ouvrier, et à une prévoyance non moins spéciale des mesures à prendre en leur faveur, partout où ils se trouvent menacés ou lésés.

Suit une énuméralion des cas sujets à cette intervention : l°au bénélice des intérêts généraux : proléger la propriété contre les attaques violentes, empêcher les grèves d’entraver les affaires et la jiai.r ; 2° au bénéfice des ouvriers directement : sauvegarder les intérêts de leur vie éternelle, car, en cela, ils sont les égaux des riches et des princes, et par suite leur assurer le repos dominical ; veiller à la durée dit travail et aux intervalles de repos, selon la nature des industries, les saisons, l'âge, le sexe des ouvriers ; n’admettre pas de trop jeunes enfants dans les ateliers ; interdire aux femmes tout engagement contraire à leurs devoirs maternels ; veiller à la justice du salaire.

Le salaire n’est juste que s’il procure à l’ouvrier les moyens d’existence qu’il attend de son travail. « Que le patron et l’ouvrier fassent donc tant et de telles conventions qu’il leur plaira, qu’ils tombent d’accord notam ment sur le chiffre du salaire ; au-dessus de leur libre volonté, il est une loi de justice naturelle plus i I et plus ancienne, à savoir que le salaire ne doit pas être insuffisant à foire subsister l’ouvrier sobre et honnête. Que si, contraint par la nécessité ou poussé par la crainte d’un mal plus grand, il accepte des conditions dures que d’ailleurs il ne lui était pas loisible de refuser, parce qu’elles lui sont imposées par le patron OU par celui qui fait l’offre du travail, c’est là subir une violence contre laquelle la justice proleste, i Cependant, « de peur que dans ces cas et d’autres analogues, comme dans ce qui concerne la journée de travail et les soins de la santé des ouvriers dans les mines, les pouvoirs publics n’interviennent importunément, vu surtout la variété des circonstances, des temps et des lieux, il sera préférable qu’en principe la solution en soit réservée aux corporations ou syndicats dont nous parlerons plus loin, ou que l’on recoure à quelque autre moyen de sauvegarder les intérêts des ouvriers, même, si la cause le réclamait, avec le secours et l’appui de l'État. »

Après le salaire, l'épargne, que l'État doit favoriser par des lois favorables elles-mêmes à la propriété, dans les masses populaires, par des impôts modérés. On y gagnerait une plus juste répartition de la richesse, le rapprochement des classes, l’exploitation meilleure du sol et l’arrêt de l'émigration pauvre.

On remarquera la doctrine très nette de Léon XIII sur l'égalité. 1° Dans le S sur l’action de l'Église, il rappelle les origines naturelles, la légitimité morale, les bienfaits sociaux des inégalités de condition dues aux différences personnelles d’intelligence, de talent, d’habileté, de santé, de force. 2° Égalité universelle des chrétiens, comme enfants de Dieu, cohéritiers de JésusChrist ; par suite, fraternité des classes. 3° A propos de l’action demandée à l'État, Léon XIII rappelle l'égalité des pauvres et des riches comme citoyens, devant les lois, et le droit de tous à la protection que réclament leurs besoins : « Parmi les graves et nombreux devoirs des gouvernants, celui qui domine tous les autres consiste à prendre un égal soin de toutes les classes de citoyens en observant les lois de la justice distributive. i L'égalité n’est plus ici dans l’uniformité des mesures de protection, mais dans leur adaptation entière et adéquate aux besoins de chaque classe, de chaque âge, de chaque sexe. Voir Fonsegrive, La crise sociale, p. 456, 471.

L’action des patrons et des ouvriers.

1. Les associations privées : mutualités, caisses pour les veuves, les orphelins, les accidents, les chômages. Institutions de patronage.

a) Leur caractère : associations d’initiative privée, fondées sur le droit naturel qu’ont tous les citoyens de s’entraider pour certaines fins particulières, plus vastes que celles de la famille, moins vastes que celles de l'État. § Firiuwi suarum explorata exiguitas. — b) Leurs droits en face de l'État : de droit naturel et par elles-mêmes elles existent, sans que l'État puisse leur dénier l’existence. — c) Il a simplement le droit d’interdire ou de dissoudre les sociétés qui poursuivent des fins malhonnêtes, injustes ou contraires à la sécurité publique. « -Mais encore faut-il qu’en tout cela les pouvoirs publics n’agissent qu’avec une très grande circonspection, pour éviter d’empiéter sur les droits des citoyens et de statuer, sous couleur d’utilité publique, quelque chose qui serait désavoué par la raison. » — Suit une digression sur les confréries, congrégations et ordres religieux, dont la situation et les droits civils sont analogues à ceux des syndicats ou corporations.

2. Les sodalttta artificum, syndicats ou corporations. Ce sont les œuvres par excellence.

o) Opportunité présente des syndicats et coïpora : 317

DEMOCRATIE

318

tions. — En regard des sociétés révolutionnaires, anlichrétiennes, menées par des chefs occultes, il faut des associations d’ouvriers chrétiens, autonomes. Proportionnellement, zèle louahle des catholiques qui se vouent à l'élude et à la solution pratique des questions ouvrières ; qui tiennent des congrès sociaux ; qui fondent ou subventionnent des associations.

b) L’organisation corporative. — « Si, comme il est certain, les citoyens sont lihres de s’associer, ils doivent l'être également de se donner les statuts et règlements qui leur paraissent les plus appropriés au but qu’ils poursuivent. » Léon XIII ne croit pas » qu’on puisse donner des règles certaines et précises pour en déterminer le détail » ; cela dépend des industries, des alfaires, des pays et d’une foule de circonstances. « Que l'État protège ces sociétés fondées selon le droit ; que toutefois il ne s’immisce point dans leur gouvernement intérieur et ne touche point aux ressorts inliines qui leur donnent la vie ; car le mouvement vital procède essentiellement d’un principe intérieur el s'éteint très facilement sous l’action d’une cause externe. »

c) Enfin, que les corporations soient avant tout morales et chrétiennes : ainsi le veut la hiérarchie des tins dans la vie humaine. Voir Corporations, t. III, col. 1871 sq.

En résumé, ce sont les principes du droit naturel et de la justice que Léon XIII applique à résoudre le problème ouvrier ; et ces principes lui commandent un souci tout particulier de la protection des travailleurs, soit par eux-mêmes, au moyen de l’association professionnelle, soit par l'État, comme gardien et comme restaurateur de leurs droits. Sans prononcer une seule fois le mot démocratie, l’encyclique De conditione opificum est un programme complet de démocratie, dans le sens où ce terme dit l’amélioration morale et physique de la vie populaire, par l’action convergente du peuple, des patrons, des Étals et de la religion. V. Maumus, L'Église et la démocratie, Paris, 1808.

Dans le même ordre de préoccupations, Léon XIII se

pron a en faveur d’une législation internationale

itn travail. Lettre à M. Gaspard Decurtins, % août 1893. Dès 1892, M. Leroy-Beaulieu prévoyait les sympathies du Baint-siège envers celle nouvelle législation, mais il y redoutai ! les inconvénients et les dangers de complications étrangères, si cette législation devait - impos< i "Mforme de n glemi nts internationaux. / «  papauté, ! < socialisme et la démocratie, p. ! ""> I7(i. Ne pourrait-elle pa s'établir plus Bpontanément par I initie in < il i.. inhe. liions ouvrières et du mouvement syndical, deux fore'- internationales, s’il en est ? observi M. Decurtins, le droit commercial est devenu > mainl égard un droil international. Les

ne lie règll, Dl l’aies font loi dans le monde entier

en matii ie di i hi i - di foi. paquebot. lettri di

change, sociétés anonyme pour I exploitation industrielle ou minièn. il semble juste et pot ible d'étendre le béni Bce de mesures analogues la classe ouvrit ne. Decurtins, Rapport au Congrès international povu la action ouvrière à I. » ii, /, , Zurich, 1897 ; Max Turmann /.< développement du catholicisme social del’encyclique Rerum iiovarum, Pari. 1900 p. 2081' faits et document cil< par M. Turmann mon lr « nl bien qui la législation Internationale du travail

il m 1 00, iiiml

ta né ment, la légitime influence de la classe ou rien

< i ">i la i sdera

pai tout s.ii i mu., i civilisi di

n que dans chaque nation partit ulii n le < ode au

travail se rédi i ai lion du peupli l i an i bien i i in di Ii moi ratie, pn i oui

On Mil, le. ! - ni i il t. i i il

lui-même, à rendre le peuple capable de « délimiter ses droits et ses devoirs, de se diriger lui-même, de travailler comme il convient à son propre salut » ? Lettre au ministre général des frères mineurs, 25 novembre 1898.

Cette législation internationale du travail commence même à s'élaborer, comme l’observe M. Léon Poinsard, Le droit international au XXe siècle, ses progrès, ses tendances, Paris, 1907. 1° D’une part, les diplomates, aidés de conseillers techniques, s’y occupent, dans une nouvelle extension de leurs pouvoirs spéciaux : ainsi treize États, Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Espagne, Erance, Grande-Bretagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse, ont signé le 26 septembre 1906 un acte interdisant aux femmes le travail de nuit sauf exceptions très limitées ; il devra être mis en vigueur par des lois spéciales dans un délai minimum de dix années. Poinsard, loc. cil., p. 56. 2° Des associations internationales privées activent le mouvement de l’opinion elle zèle des gouvernements : Société de législation comparée, à Paris ; Institut de droit international, Comité maritime international, Association, maritime internationale, à Paris ; Fédération internationale des typographes, au secrétariat central à Berne ; Association internationale pour la protection de la propriété industrielle, à Berlin ; Union internationale pour la protection légale des travailleurs, fondée à Paris en 1900, avec office international à Bàle. Poinsard, loc, cit., p. 114, 115.

XII. L’encyclique Graves de communi et la démocratie chrétienne. — Le 18 janvier 1901, ce document s’adresse aux évêques du monde entier, pour préciser le terme de démocratie chrétienne, lequel « blesse beaucoup d’honnêtes gens, qui lui trouvent un sens équivoque et dangereux » . En Allemagne, il rappelle de trop près < démocratie sociale » , qui est l'étiquette reçue du socialisme matérialiste et irréligieux. En France, en Belgique, en Italie, on lui reproche de confondre le dévouement aux intérêts ouvriers avec rattachement à la forme républicaine, et alors il devient un sujet de discordes politiques entre catholiques poursuivant le même bien social. On lui reproche aussi de restreindre en apparence l’action sociale du christianisme aux intérêts populaires, en négligeant les autres classes. Cf. § Sic igitur Ecolesiæ auspiciis, Georges Goyau, Autour du catholicisme social, 2 « série. Taris. 1901, p. 20, 16. Pour dissiper ces malentendus. Léon Mil déclare qu' « il serait condamnable de détourner à un sens politique le terme de démocratie chrétienne. Sans doute, la démocratie, d’apn s i étymologiedu terme et l’usage des philosophes, indique le régime populaire ; mais dans les circonstances actuelles) il faut ne l’employer qu’en lui ôtant

tout sens politique ele lui attachant aucune autre

signification que celle d’une bienfaisante action chrétienne parmi le peuple, o En toul régime de gouvernement, les catholiques doivent poursuivre l’amélioration

morale et phvsii|iie de la vie ouvre re. car celle lin

démocratique ne dépend en soi d’aucune fur le

constitution. Léon Mil sanctionne là une doctrine qu’il avaii fui d’abord élaborer par le proies eur Toii ii il o, de l’ise. Ri vis la internationale di scien : < : sociali, juillet 1897, traduit en foancal tout le titre /" notion chrétienne de la démocratie. Cf. du même, Ia mouvement catholique populaire et le prolétariat.

Sous les es| t un pie di Unilion di i

|j qui ' de communi approuve dans toute

h 1 1 1.. 1 1 m. 1 1 1 soi ial, jui idique, 1 1 onomique,

orienté vei Ii bien du peuple, m i dans

le lie n i oui mu n de Ii té entii re La di moi ratie

chrétii me apparaît la coi uni organi ition d

hou populain, subi eptible di font tionnei iou Ii

les n r i i et di i inéi < I*

iiiiiu nai mi., i ali al.i l applii ation i ITei livi di doi 'MO

DKMOCI'.ATIK

320

trines sociales évangéliques. » Goyau, toc. cit., p. 26.

A propos de celle démocratie, Léon XIIl rappelle le côté principalement moral et religieux des questions sociales. S ; De of/iciis virtutum et religionis. Si des bouleversements de ['outillage et de l’atelier fuient l’origine de ces questions, leur bonne solution réclame des principes de justice et de religion chez les ouvriers : la hausse des salaires n’apportera que tentations à l’ouvrier dépravé ; elle requiert la tempérance, la prévoyance, la patience, pour une sage organisation de ses moyens et de son mode d’existence. Les catholiques doivent ainsi joindre un souci prépondérant de la moralité populaire et de la religion, à une compréhension bien avertie des intérêts économiques et matériels. La science de la charité fraternelle et de la justice sociale réclame cette subordination de la fin temporelle à une lin plus haute et non moins nécessaire.

Certains actes de Pie X commentent sous forme d’instructions pratiques les enseignements démocratiques de l’encyclique Graves de communi et de l’encyclique sur ta condition des ouvriers. Ce sont le Molu proprio sur l’action populaire chrétienne, du 18 décembre 1903, la Lettre au cardinal Svampa sur les démocrates chrétiens autonomes d’Italie, 1 er mars 1905 ; l’encyclique Il fermo proposito sur l’action catholique, Il juin 1905 ; l’encyclique Pieni l’animo aux évêques d’Italie sur l’action catholique, 28 juillet 190(5.

XIII. Pie X : l’encyclique Pascekdi et la démocratie dans l'Église. — Au paragraphe du « théologien moderniste » , l’encyclique du 8 septembre 1907 repousse l’introduction du principe démocratique dans le gouvernement de l’Eglise. Elle en résume la théorie dans les termes suivants : « Nous sommes à une époque où le sentiment de la liberté est en plein épanouissement : dans l’ordre civil, la conscience publique a créé le régime populaire. Or, il n’y a pas deux consciences dans l’homme, non plus que deux vies. Si l’autorité ecclésiastique ne veut pas, au plus intime des consciences, provoquer et fomenter un conflit, à elle de se plier aux formes démocratiques, s Le magistère doctrinal doit lui-même se soumettre à cette évolution : « Comme ce magistère a sa première origine dans les consciences individuelles, et qu’il remplit un service public pour leur plus grande utilité, il est de toute évidence qu’il doit s’y subordonner, par là même se plier aux formes populaires. » Consôquemment, le « réformateur » moderniste inscrira dans son programme de réformes : « Que le gouvernement ecclésiastique soit réformé dans toutes ses branches, surtout la disciplinaire et la dogmatique. Que son esprit, que ses procédés extérieurs soient mis en harmonie avec la conscience, qui tourne à la démocratie ; qu’une part soit donc faite dans le gouvernement au clergé inférieur et même aux laïques ; que l’autorité soit décentralisée. »

Le tort de ce programme et de la théorie qui lui sert de base est de méconnaître les immuables principes de la constitution donnée à l’Eglise par Jésus-Christ. L’autorité ecclésiastique diffère précisément de l’autorité civile en ce que ses droits lui sont conférés par Jésus-Christ, c’est-à-dire par Dieu même directement, et non par le suffrage de la multitude. C’est Jésus-Christ encore ou ses envoyés, les apôtres, les papes, qui délimitent, définissent, organisent les pouvoirs concédés à l'Église. Il n’y appartient donc à aucun inférieur, à aucun groupe de laïcs ou de clercs, d’y modifier les maximes ou les procédés de l’autorité supérieure. L'Église catholique tout entière obéit au pape comme à un véritable monarque de droit divin dans l’ordre religieux ; monarque unique au monde, seul en son genre, dépositaire d’une tradition de foi et de morale qu’il ne peut altérer et qu’il commente, développe et applique dans le sens toujours maintenu de sa révélation par Jésus-Christ. Matter, L'Église

catholique, sa constitution, son administration, Paris, 1906.

Mais, comme la sphère d’action de l’Eglise se distingue essentiellement de celle où agit le pouvoir civil, et que

celui-ci, co te l'Église, est autonome, souverain dans

les limites de sa compétence, une même conscience humaine peut et doit pratiquer la démocratie dans l’ordre temporel et politique, ne pas l’introduire dans l’ordre religieux et se conformer dans l'Église à la constitution toute différente posée par Jésus-Christ et développée par ses mandataires ou représentant dualisme de la conscience est voulu par la nature des choses : il se fonde en dernier lieu sur la distinction de la nature et du surnaturel, de la raison et de la foi : la vie de celle-ci trouve sa règle dans la révélation, le témoignage, l’autorité ; la vie de la raison et de la nature se développe au contraire, par voie de découverte, de preuve scientifique, de libre initiative. Il n’y a pas deux consciences dans l’homme, mais il y a des procédés vitaux et des devoirs sociaux qui se diversifient, selon qu’il s’agit de la vie sociale naturelle ou de la vie sociale surnaturelle. Voir col. 291.

Néanmoins, si la constitution essentielle de l'Église doit rester intangible à toute altération démocratique ou autre, le mouvement actuel de la démocratie agit directement sur les individus et sur les peuples qui sont les éléments humains de l'Église. L'éducation, l’ambiance universelle des idées et des choses répandent une mentalité et des façons d’agir qui ne sont plus, tant s’en faut, celles des temps féodaux ou de l’ancien régime.

1° Dans l’une comme dans l’autre de ces époques passées, les évêques partageaient communément un mode d’existence aristocratique, seigneurial, princier même. Cela tenait et aux grandes propriétés, aux fiefs, dont le revenu constituait le temporel des évêchés, et aux privilèges dont jouissaient les prélats dans l’ordre politique. Taine, L’ancien régime, ÎG' édit., Paris, 1891. p. 16-21 ; cardinal Mathieu, L’ancien régime dans la province de Lorraine et Barrois, Paris, 1878. p. 110. 125-127 ; Sicard, L’ancien clergé de France, t. I, Les évoques avant la Révolution, Paris, 1893.

Des survivances de cet état ancien apparaissent encore en Autriche-Hongrie. Dans les pays démocratiques. États-Unis par exemple, tout privilège de grande propriété et de situation politique est inconnu dans l'épiscopat ; l'évêque vit simplement comme les autres citoyens, sans distinctions officielles, mais jouissant d’un respect proportionné à la double estime de sa mission religieuse et de sa valeur morale personnelle. Félix Klein, Aupaijsde la vie intense, Paris, 1904, p. 96 sq.. 155 sq., 218 sq., 331 sq.

2° Cette simple vie dans le droit commun modifie aussi bien le recrutement des dignitaires ecclésiastiques. Aux temps de la féodalité et de l’ancien régime, les bénéfices ecclésiastiques constituaient des situations enviées à proportion de leur richesse et île leurs privilèges politiques. Ils se distribuaient en majeure partie à des ecclésiastiques gentilshommes, dont la famille trouvait là un bon établissement de ses cadets. Elle se l’assurait même d’oncle en neveu, tel bénéfice devenant comme l’apanage de telle maison. C’est un fait reconnu, que la disparition de ces privilèges détermina un recrutement de l'épiscopat moins exclusif, plus largement populaire.

3° Les relations des évêques avec leurs prêtres s’en ressentirent : l'évêque, grand seigneur de naissance et de situation, tendait, par la force des choses, à maintenir les distances entre lui et son « bas clergé » roturier, malgré les édifiants et les humbles prélats qui donnèrent maintes fois de beaux exemples contraires. Mais de nos jours les évêques d’Amérique, sortis du peuple et vivant au milieu de lui, sans distinctions aristocratiques, sont plus naturellement, plus simplement en communication avec leurs prêtres ; d’autant plus, que la grande République d’Outre-Mer ne connaît guère les formes bureaucratiques et protocolaires, lesquelles, ailleurs, se dressent encore, ainsi qu’une survivance d’ancien régime, entre les chefs et les subordonnés.

4° Le contact avec les laïcs se modifie encore profondément pour le clergé tout entier, partout où le mouvement social démocratique a provoqué, obtenu, accepté le concours du prêtre aux associations populaires. Tandis que le clergé allemand, dans la première moitié du XIXe siècle, vivait ou végétait sous la tutelle bureaucratique, étranger aux questions nouvelles de justice que soulevaient les temps nouveaux de l’industrie, depuis Ketteler, le clergé d’Outre-Rhin s’est fait le conseiller, l’initiateur, l’auxiliaire du paysan et de l’ouvrier à la pratique opportune bienfaisante, universelle de l’association économique ou professionnelle sous les formes les plus diverses. Georges Goyau, Kelteler, Paris, 1907. Aristocrate de naissance, Ketteler avait compris les exigences nouvelles des temps. « Mon àme tout entière, écrivait-il, est attachée aux formes nouvelles, que les vieilles vérités chrétiennes créeront dans l’avenir pour les rapports humains. » Kannengieser, Ketteler et l’organisation sociale en Allemagne, Paris, 1893. Voir Allemagne, Les œuvres sociales et charitables des catholiques allemands, t. i, col. 817 sq., Goyau, L’Allemagne religieuse : le catholicisme, 2 vol., Paris, 1905.

5° A mesure, enfin, que la pratique normale de la démocratie s’organise dans un peuple, par le moyen de l’autonomie communale, syndicale et professionnelle, locale et provinciale, les œuvres religieuses y recrutent des hommes mieux préparés à entourer le clergé d’un concours actif, intelligent, pratique et ordonné. Sous ce rapport, les traditions bureaucratiques, centralisatrices à l’excès de l’État français, ont malheureusement desservi l’Église de France depuis longtemps ; car, sous ce régime d’État, les citoyens ne connaissent guère d’autre alternative que celle de la passivité résignée ou de la critique frondeuse. L’antithèse s’établit, violente, entre l’autorité et sujets, car ceux-ci la rendent largement responsable de tout ce qui les mécontente, par sa faute ou non. Dans les milieux où, au contraire, les citoyens savent eux-mêmes s’unir, se discipliner et agir pour des fins communes, le concours des laïcs aux œuvres sociales et religieuses sera de meilleure qualité.

Alors, sans altérer le moins du monde les intangibles principes de la hiérarchie catholique, la formation démocratique de l’homme et du citoyen ne s’achèvera pas sans apporter son contingent de forces morales aux œuvres collectives du chrétien et du catholique. Si, de nos jours, la providence permet l’accession croissante d’une multitudes au pouvoir, avec l’universelle préoccupation de lois et d’institutions qui améliore ni la vie populaire, ce n’est pas sans prédestiner ces deux fins de la démocratie, déjà honnêtes en soi, à promouvoir des fins morales et religieuses plus hautes encore. Comme croyants, nous sommes portés à le croire, comme théologiens, nous le concluons des principes certains de notre foi en la providence. Si du chaos social et politique des invasions barbares, des aristocraties, des bourgeoisies sont issues, avec les ressources d’âme que le Christ a utilisées pour son Église et surélevées pour leur plus grand bien, nous ne devons pas moins espérer du chaos où se dégagent progressivement, parmi nous, les aspirations et les groupements de la démocratie. Cf. H. Delassus, L’encyclique Pascendi et la démocratie, Lille, 1908.

B. Schwalm.

DÉMON, ce nom, qui désigne dans le language ecclésiastique un ange déchu, est la transcription française des termes grecs δαίμων et δαιμώνιον. Δαίμων, dont l’étymologie est incertaine, est, en grec, un terme très complexe, étant données la multiplicité et la variété des acceptions dans lesquelles il a été employé et dont les nuances sont parfois difficiles à saisir. Ainsi Homère a désigné par ce mot la divinité en tant qu’elle exerce une influence bienfaisante ou funeste. Tandis que, pour lui, θεός ; est la personnalité divine elle-même, δαίμων représente une puissance secrète, indéfinissable, à laquelle tous les dieux participent et par laquelle ils font sentir à l’homme leur supériorité. Quand l’influence exercée est favorable, le δαίμων remplit en quelque sorte le rôle de la providence ; mais le plus souvent, cette action est funeste et Homère appelle δαιμόνιος ; un homme frappé par une puissance surnaturelle. En beaucoup de passages, δαίμων est simplement synonyme de θεός. Par conséquent, pour lui, les δαιμόνες sont les puissances divines s’occupant des destinées des mortels. Mais, pour Hésiode, ce sont des êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes, chargés de fonctions qu’Homère attribuait aux dieux. Tels étaient les héros de l’âge d’or, devenus les gardiens souterrains des mortels, ou des personnifications soit des vertus et qualités morales, soit des forces cosmiques, mêlées très intimement à la vie des hommes. Δαίμων, a désigné aussi la destinée, τυχή. Le démon a encore joué le rôle de protecteur personnel ou d’esprit malfaisant, attaché à un homme qu’il accompagne pendant la vie, dont il dirige les pensées, les désirs et les inclinations. On connaît assez le démon de Socrate. Lélut, Du démon de Socrate, in-8°, Paris, 1856. Plutarque a reconnu aussi dans les démons des êtres intermédiaires entre les dieux et les hommes et participant à la fois à la nature divine et â la nature humaine. Ils sont les serviteurs des dieux, accomplissent des actions que la sublimité de ceux-ci leur interdisait de faire et répandent sur les hommes les bénédictions et les châtiments des dieux. Il y a de bons démons et de mauvais démons. Ces derniers, véritablement malfaisants, produisent ce qu’on a attribué aux dieux de méchant et d’indigne. De defectu oraculorum, c. XII ; De Isid. et Osir., c. xxvi. Cf. Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, v° Dæmon, Paris, 1892, t. ii, p. 9-19 ; Chantepie de la Saussaye, Manuel d’histoire des religions, trad. franc., Paris, 1904, p. 509, 514, 536, 656. Les deux mots grecs δαίμων et δαιμώνιον n’ont désigné des anges déchus que dans la version des Septante, dans le Nouveau Testament et dans la langue ecclésiastique. En passant dans le grec hellénistique des Juifs et des chrétiens, ils ont donc pris une acception nouvelle, étrangère à leur signification primitive, quoique présentant avec elle une certaine analogie. C’est dans l’acception juive et chrétienne d’anges déchus qu’il sera parlé ici des démons. Nous étudierons successivement les démons :
1°dans la Bible et la théologie juive ;
2° d’après les Pères ;
3° d’après les scolastiques et les théologiens postérieurs ;
4° d’après les décisions officielles de l’Église.


I. DÉMON DANS LA BIBLE ET LA THÉOLOGIE JUIVE
I. Dans l’Ancien Testament.
II. Dans le monde juif postérieur.
III. Dans le Nouveau Testament.

I. Dans l’Ancien Testament.

Comme on a prétendu que la doctrine juive sur les démons avait subi, après la fin de la captivité de Babylone, l’influence perse, il importa de distinguer ce que les Israélites pensaient des esprits mauvais jusqu’à l’exil et à partir de l’exil.

Avant l’exil.

Dans les plus anciens livres bibliques, il n’est pas explicitement question des anges déchus. Cependant, il y est fait mention de puissances malfaisantes et d’esprits mauvais. Dans le récit de la chute de nos premier parents, intervient un serpent.