Dictionnaire de théologie catholique/DOGME III. Valeur objective et positive du dogme

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant et Eugène MangenotLetouzey et Ané (Tome 4.2 : DIEU - EMSERp. 156-164).

III. Valeur objective et positive du dogme.

I. CONCEPT CATHOLIQUE DE CETTE VALEUR OBJECTIVE.

— 1° A rencontre des divers systèmes subjectivistes, l’on doit admettre que le dogme révélé fournit une connaissance objective, si imparfaite qu’elle soit, des vérités divines. La réalité objective de cette connaissance résulte de la double notion de la révélation et de la foi, si manifeste dans les écrits du Nouveau Testament et dans la tradition chrélienne, où la révélation apparaît toujours comme un enseignement divin communiqué à l’homme par Dieu lui-même, et la foi comme une adhésion absolue à la parole infaillible de Dieu, qui nec falli nec fallcre potest. Double notion d’ailleurs confirmée par la définition du concile du Vatican, sess. III, c. iii, iv. Il est donc évident que l’on ne peut nier la réalité objective du dogme révélé, sans nier en même temps la révélation et la foi divine telles que le christianisme les enseigne.

2° Notre connaissance du dogme, tout objective qu’elle est, reste cependant 1res imparfaite. Cette imperfection provient de trois sources principales : les étroites limiles de notre intelligence toujours impuissante à saisir l’infini, l’emploi habituel d’analogies créées représentant incomplètement la vérité divine et l’inévitable défectuosité de loutes les formules humaines. De la première source nous n’avons pointa parler ici, car elle existe même dans la vision béatifique. S. Thomas, Sur », theol., I a, q. xii, a. 7, 8.

1. En cette vie les analogies créées sont pour l’intelligence humaine le principal moyen de connaître Dieu dans l’ordre naturel, soit qu’elle lui attribue d’une manière infiniment supérieure les perfections disséminées dans l’univers créé, soit qu’elle écarte de lui tous les défauts inhérents à l’être fini ; et ces analogies, quelles qu’elles soient, ne peuvent jamais fournir qu’une proportion très lointaine avec la plénitude de l’être divin. S. Thomas, Sum. theol., I a, q, ii, a. 2, ad 3um ; q. IV, a. 3 ; q. xiii, a. 2, 5 ; Cont. genl., l. I, c. xiv ; l. III, c. xi.ix. Voir Analogie, t. i, col. 1146 sq, Conclusions non moins vraies de la connaissance positive des mslères divins, telle que nous la possédons par la foi, car dans l’ordre surnaturel où Dieu nous régit aussi d’une

manière conforme à notre nature, c’est encore sous le voile de similitudes et d’analogies que Dieu nous communique ses ineffables mystères, comme l’attestent fréquemment le langage de l’Ecriture et celui de toute la tradition ecclésiastique, S. Thomas, Cont. genl., l. IV, c. i ; et ces analogies, aussi nécessairement que les analogies créées, fournissent sur les mystères divins, une connaissance toujours imparfaite. Ainsi le mystère de la trinité nous est manifesté sous les concepts analogiques de procession, de génération, de paternité, de filiation, de spiration active et passive, de personne, de verbe, évidemment empruntés aux créatures. Ce n’est qu’en écartant de ces concepts toute idée d’imperfection et en attribuant à Dieu, sans aucune restriction, toute la perfection qu’ils contiennent, que nous pouvons obtenir de l’adorable Trinité quelque connaissance nécessairement imparfaite, puisqu’elle ne porte point direefement sur sa nature intime. C’est cette méthode que suit saint Thomas dans l’étude des processions divines ef particulièrement de la génération du Verbe, comme nous l’avons noté à l’article précédent. Sum. theol., I a, q. xxvii, a. 1, 2 ; q. xi.i, a. 1 ; Cont. genl., l. IV, c. xi, - xiv ; Opusc., XIII, De differentia verbi divin i et humani. C’est encore par un rapprochement entre les analogies créées et les termes scripturaires, et par l’analyse attentive de ces mêmes analogies, qu’il établit la différence entre la génération du Verbe et la procession du Saint-Esprit. Sum. theol., I a, q. XXVII, a. 3, I ; q. xxxvi, a. 1 sq. ; Cont. gent., I. IV, c. xxiit. De même les analogies créées et surtout la comparaison avec l’union entre l’Ame et le corps aident à mieux connaître le myslère de l’incarnation, après qu’il a été’manifesté par la révélation. Sum. theol., III a, q. il, a. 1 ; Quæsl. disp., De unione Verbi incarnati, a. 1 ; Cont. gent., l. IV, c. XLI. C’est aussi le même procédé que l’on rencontre dans d’autres exemples cités à l’article précédent et encore présents au souvenir du lecteur.

Dans toutes ces occurrences le résultat théologique est le même. C’est en établissant nettement les similitudes et les dissimilitudes entre le terme de comparaison et l’enseignement révélé, en écartant positivement du concept révélé toutes les dissimilitudes évidemment nécessitées ou suggérées par l’enseignement divin et en affirmant effectivement foutes les similitudes dans la mesure strictement permise, que l’on obtient quelque connaissance de l’objet révélé ; connaissance qui, toute précieuse qu’elle est, reste nécessairement très imparfaite, puisqu’elle ne manifeste point l’intime nature de la réalité divine.

2. Une autre cause, qui contribue à l’imperfection de notre connaissance des dogmes révélés, est l’inévitable impuissance de toule formule humaine à exprimer les réalités divines, soit dans l’ordre naturel soit dans l’ordre surnaturel. Cette impuissance provient surtout de ce que les formules humaines, par lesquelles nous désignons les perfections divines, marquent seulement le concept imparfait que nous fournissent les créatures et que nous attribuons à Dieu d’une manière strréminente, après l’avoir dépouillé de la gangue des imperfections créées. Or il est évident qu’un tel concept ne petrt jamais représenter d’une manière positivement adéquate les infinies perfections divines. S. Thomas, Sum. theol., I », q. xiii, a. 2, 3.

3° Malgré cette double source d’imperfection, notre connaissance des dogmes révélés n’est ni fausse ni purement négative. — I. Cette connaissance n’est point fausse. C’est l’enseignement formel de saint Thomas, que nous tenons à rapporter ici sommairement, parce qu’il a été très inexactement exposé parquelques écrivains catholiques dans la récente controverse sur la notion du dogme.

A cette objection que les affirmations que l’on porte sur Dieu, n’exprimant point Dieu comme il est en

réalité, ne peuvent être vraies, selon l’axiome omnis intellectus, intelligens vem aliter quam sit, est falsus, le docteur angélique répond : l’axiome cité ne s’applique point au cas où aliter intelligens signifie seulement que le mode de représentation intellectuelle est autre que le mode objectif de l'être. Ainsi, bien que nous connaissions d’une manière immatérielle, notre connaissance est vraie quand elle atteint la réalité objective, du moins en ce que nous pouvons en percevoir. De même, relativement à Dieu, notre intelligence, en le connaissant par un ensemble de concepts fragmentaires bien qu’il soit en lui-même infiniment simple, n’est nullement entacbée de fausseté, car elle n’attribue à Dieu aucune composition, bien qu’elle le connaisse d’une manière composée. Et en cela notre intelligence n’est point fausse. Et similiter cum intellectus noster intelligit simplicia g use sunt supra se, intelligit ea secundum modum sinini, scilicet composite, non lamenita guod inleUigat eæsse composita. Et sic intellectus noster non est falsus for m ans compositionem de Deo. Sunt. iheol., I », q. xiii, a. 12, ad 3°"'. Dans le même ordre d’idées, le saint docteur affirme aussi la vérité de nos concepts sur la science possédée par Dieu. Cette science que nous affirmons de Dieu est, non moins que l’essence ou la vie, aliquidquod in Deo est. En réalité, la science, la vie et l’essence ne diffèrent point objectivement, car en Dieu il n’y a qu’une seule réalité infinie, cadem enim res penitus in Deo est essenlia, vita et quidquid hujusniodi de ipso dicitur ; mais notre intelligence se forme de cette essence, de celle vie et de cette science divers concepts fragmentaires, bien que la réalité divine soit une. De ces concepts, saint Thomas affirme expressément qu’ils ne sont point faux : ncc tamen ist ; v conceptiones sunt falsse. Ils sont vrais en ce qu’ils représentent per quamdam assimilalionem la réalité connue ; représentation cependant toujours imparfaite, parce qu’elle est toujours distante de l’infinie perfection divine. Qusest. di.sp., Deverit., q. il, a. 1. Parce que cette représentation est imparfaite, Dieu dépasse toutes nos conceptions et ne peut être renfermé dans aucune de nos définitions, hoc. cit., ad 9um. Mais aussi parce que cette représentation liabet aliquam modicam iniitationem essentise divinse, elle signifie vraiment une réalité en Dieu, ad 10um.

Il en est de même de la connaissance que la révélalion surnaturelle nous donne des mystères divins qui surpassent notre raison. Cette connaissance, si minime qu’elle soit, donne à notre intelligence une très grande perfection, car c’est une très grande perfection de posséder même une imparfaite connaissance des réalités les plus nobles : Ex quitus omnibus apparet quod de rébus nobilissimis quanluincumque imperfecta cognitio maximam perfectionem animse confert. Et ideo quanivis ea qusc supra ralioneni sunt ratio humana plene capere non possit, tamen multum sibi perfectionis acquiritur, si sallem ea gualitercumgue teneat fuie. Cont. gent., I. I, c. v. Cette connaissance, si imparfaite qu’elle soit, est comme un épancbement en nous de la parfaite science que Dieu a de lui-même, Cont. gent., l. IV, c. i ; ce qui suppose manifestement une participation à la réalité objective de cette divine science.

2. Il est également certain que la connaissance des dogmes n’est pas purement négative, sinon la doctrine catholique sur la valeur objective des dogmes serait, comme nous l’avons montré précédemment, entièrement détruite. C’est en vain qu’on essaie d'étayer l’hypothèse contraire sur la forme habituellement défensive des définitions dirigées par l'Église au cours des siècles contre les diverses hérésies. Le fait que ces définitions sont principalement défensives n’empêche aucunement leur enseignement positif sur les points

particulièrement visés par l’hérésie, comme le témoignent les documents que nous citerons bientôt. En vain voudrait-on aussi s’appuyer sur ce que le dogme défini par l’Eglise dépasse tous les systèmes des écoles philosophiques ou théologiques sans s’identifier avec aucun, ou sur ce que son but principal doit être la direction pratique de la volonté. Car la transcendance du dogme relativement aux systèmes particuliers s’explique suffisamment par la constante volonté de l'Église de maintenir le dogme catholique en dehors de toute dispute d'école ; et le but de la direction pratique de la volonté, loin de s’opposer au caractère positif de l’enseignement dogmatique, l’exige impérieusement comme lumière directrice indiquant la fin surnaturelle à atteindre et les moyens à employer pour y parvenir.

4° Notons enfin qu’en soutenant la connaissance objective du dogme dans le sens que nous venons d’exposer, on doit en même temps réprouver absolument toute exagération anthropomorphique dans le concept que l’on se forme des réalités divines. C’est une conséquence nécessaire de l’incompréhensibilité de Dieu et de l’inaptitude radicale de toute conception humaine et de toute parole humaine à exprimer les perfections divines ou les mystères divins. D’ailleurs, toute conception vraiment anthropomorphique a toujours été combattue par les théologiens catholiques à la suite de saint Thomas, dont nous avons précédemment cité quelques témoignages.

Observons seulement qu’il serait souverainement abusif de condamner comme entaché d’anthropomorphisme l’usage même fréquent des expressions métaphoriques, comparaisons ou analogies humaines, auxquelles l’intelligence humaine en cette vie, particulièrement celle des gens peu cultivés ou peu instruits, doit nécessairement aoir recours pour se former quelque concept des attributs divins. S. Thomas, Sum. l/ieol., I a, q. i, a. 9. Tout ce que l’on est en droit d’exiger, c’est que l’incompréhensibilité et la transcendance de Dieu soient habituellement et nettement affirmées. Avec cette précaution, les expressions ou analogies humaines, d’ailleurs toujours maintenues dans les limites convenables, ne courent aucun risque d'être mal interprétées. En fait, ces précautions ontelles toujours été suffisamment observées dans l’enseignement catholique, notamment dans l’enseignement catholique populaire, nous n’avons point à l’examiner ici. D’ailleurs, quelques manques individuels de précaution théologique sur ce point, à supposer qu’ils fussent démontrés, ne prouveraient évidemment rien contre la doctrine que nous venons de rappeler.

II. SYSTÈMES OPPOSÉS A CETTE VALEUR OBJECTIVE

des dogmes. — 1° Systèmes subjectivistes protestants. — Le premier auteur protestant qui formule nettement le subjectivisme en religion est Schleiermacher (1768-1834). S’inspirant des données philosophiques de Kant et de Hegel, il déclare que toute la religion consiste dans le sentiment de dépendance absolue de l’homme vis-à-vis de Dieu ou dans le sens intime du contact avec Dieu. Dès lors, la révélation divine est en chaque homme un fait d’expérience intime. Les dogmes religieux, tels qu’ils sont formulés par chaque individu ou officiellement exprimés par la communauté chrétienne, ne sont que des images, des représentations ou des symboles traduisant approximativement les sentiments individuels ou exprimant, d’une manière moyenne, les impressions religieuses des individus formant la communauté. Ces symboles sont d’ailleurs nécessairement variables et sujets à diverses interprétations, ce qui explique les changements incessants dans les dogmes. G. Goyau, L’Allemagne religieuse, le protestantisme, Paris, 1898, p. 76 sq. ; Realencyklopâdie fur proies lanlische Théo

logie und Kirche, 'i' ('dit., Leipzig, 1906, t. xvii p. COI sq. Cette doctrine subjectiviste reproduite par Albert Ritschl (1822-1889), avec une accentuation encore plus marquée, G. Goyau, op. cit., p. 9(i sq. ; Healencyklopàdie, loc. cit., p. 28 sq., fut propagée parmi les protestants français par A. Sabalier (18391901), particulièrement dans son Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire, Paris, 1897, et les Religions d’autorité et la religion de l’esprit, Paris, 1903. Suivant Sabalier, la révélation est simplement l’action continue de la providence sur les âmes en contact avec le divin, action d’où résulte dans l'âme une impression ou expérience religieuse personnelle, éveillant à la vie de justice et d’amour. C’est en prenant conscience de cetteexpérience religieuse que l’on acquiert quelque idée de Dieu et des rapports obligatoires avec lui. Toutefois, quand des individus possédant une même conscience religieuse se constituent en société, il est nécessaire que l’autorité détermine officiellement les croyances collectives, d’une manière conforme à la conscience commune des membres de la communauté et à leur état de culture intellectuelle suivant leur époque et leur milieu. Les formules ou propositions doctrinales ainsi adoptées, avec une valeur purement disciplinaire et pédagogique, sont les seuls dogmes. Persévéramment identiques dans l’expérience religieuse qui est leur source première, ces dogmes sont incessamment et essentiellement variables dans les jugements intellectuels et dans les propositions doctrinales exprimant cette expérience intime. Variabilité d’ailleurs impérieusement exigée par la nécessité d’harmoniser les dogmes officiels avec la culture intellectuelle de l'époque et du milieu.

Le maintien de cette constante harmonie est assuré par la critique théologique à laquelle incombe principalement la laborieuse tâche de l’incessante épuration des dogmes. Op. cit., -passim.

Ces idées subjectivistes ont, surtout de nos jours, obtenu créance chez un grand nombre de protestants. .1. Lebreton, L’encyclir/ue et la théologie moderniste, Paris, 1908, p. 20 sq. On le constatera facilement en lisant les articles sur la dogmatique et le dogme dans Y Encyclopédie des sciences religieuses de Licbtenberger, Paris, 1878, t. iv, p. 1 sq., et dans la Realencyklopâdie fur protestantische Théologie und Kirche, 3e édit., Leipzig, 1898, t. iv, p. 733 sq. Voir aussi l’article de G. Lapeyre, La crise du luthéranisme, dans la Revue pratique d’apologétique du 15 janvier 1910, p.."J89 sq.

2° Système de M. Loisy. — Cet auteur incarnant, pour ainsi dire, en lui tout le modernisme, il nous suffira, pour donner une juste idée de celui-ci, d’indiquer au moins sommairement les idées du maître, soit d’après les écrits antérieurs à l’encyclique Pascendi, soit d’après quelques brochures publiées depuis cette époque. — I. Comme dans les systèmes précédents, la révélation n’a pu être que la conscience acquise par l’homme de son rapport avec Dieu, Autour d’un petit ilvre, 2e édit., Paris, 1903, p. 195 sq., l’idée commune de la révélation est un pur enfantillage ou une conception puérile. Quelques lettres sur des questions actuelles et sur tirs événements récents, Paris, 1908, p. 162 ; Simples ré/lexions sur le décret du SaintOffice et sur l’encyclique, Paris, 1908, p. 149. — 2. Les dogmes sont pour l’historien critique une simple interprétation de faits religieux, acquise par un laborieux effort de la pensée théologique. L' Evangile et l’Eglise, M édit., Paris, 1903, p. 200 sq. ; Autour d’un petit livre, 2e édit., Paris, 1903, p. 200. Aussi les dogmes, tels qu’ils sont ofliciellement formulés par l'Église, n’ont-ils qu’une valeur relative. L’Evangile et l’Eglise, p. 210 ; Autour d’un petit livre, p. 206.

D’ailleurs, l’auteur admet le relativisme philosophique en ce qui concerne toutes nos connaissances. Autour d’un petit livre, p. 190 sq. — 3. Apparemment l’auteur accorde quelque rôle à l’autorité enseignante de l'Église considérée comme divinement établie, Autour d’un petit livre, p. 206 ; mais en réalité celle-ci ne remonte point à l’institution primitive et ce n’est qu'à une époque assez éloignée des temps primitifs que le christianisme catholique prit une conscience plus claire de lui-même et se déclara d’institution divine en tant que société extérieure et visible, avec un seul chef possédant la plénitude de tous les pouvoirs. L’Evangile et l'Église, p. 131 sq., 135 sq., 199 ; Simples relierions, p. 187 sq. — 4. L’historien critique insiste plus que ses devanciers sur l’autonomie absolue de la critique biblique, qui le conduit à admettre une séparation absolue entre le domaine de l’histoire et celui des dogmes ou de la spéculation théologique. Autour d’un petit livre, p. 49 sq. D’où se déduisent logiquement des conclusions comme celles-ci : la divinité de Jésus-Christ, quand même Jésus-Christ l’aurait enseignée, n’est pas un fait d’histoire ; c’est une donnée religieuse et morale, dont la certitude s’obtient par la même voie que celle de l’existence de Dieu (c’est-àdire par l’effort de la conscience morale aidée de la connaissance et du raisonnement), non par la simple discussion du témoignage évangélique, Autour d’un petit livre, p. 215 ; l’institution de l'Église et des sacrements par le Christ est, comme la glorification de Jésus, un objet de foi, non de démonstration historique, p. 217 ; les récits de Jean ne sont pas une histoire, mais une contemplation mystique de l'Évangile ; ses discours sont des méditations théologiques sur le mystère du salut, p. 93. Après l’encyclique Pascendi, les affirmations du critique en toute cette matière sont encore bien plus audacieuses. Simples ré/lexions, p. 61, 80, 90, 150, 156 ; de négation en négation il est amené à douter même de l’existence de Dieu considéré comme être personnel et distinct. Quelques lettres, p. 45 sq., 68 sq. ; Simples réflexions, p. 150.

3° Systèmes modernistes admis au moins partiellement par quelques catholiques avant le décret Lamentabili et l’encyclique Pascendi. — 1. On admettait plus ou moins ouvertement l’expérience religieuse comme source première de la connaissance de Dieu et de toutes les vérités religieuses. On disait de la connaissance de Dieu qu’elle s’acquiert comme on acquiert la connaissance d’un ami en vivant de sa vie, en pénétrant dans son intimité, en devenant lui-même. Laberthonnière, Le dogmatisme moral, Paris, 1898, p. 52 ; Essais de philosophie religieuse, Paris, 1903, p. 120. La révélation chrétienne ou l’inspiration ne consiste point à introduire dans l’esprit humain une vérité qui serait extérieure et étrangère à la réalité vivante que nous sommes et dont chacun de nous expérimente à sa façon l'élan infini ; mais elle consiste à mettre en lumière ce qui se trouve dans cette réalité même, c’est-à-dire ce que Dieu fait en elle, avec elle et ce qu’il lui propose de faire avec lui. Laberthonnière, Réalisme chrétien et idéalisme grec, Paris, 1904, p. 104 sq. Ce n’est certes pas que la foi ne comporte point de connaissance, mais la connaissance qu’elle comporte relève essentiellement d’une expérience de vie et non d’une étude sur des faits et des documents, p. 149.

Un langage à peu près identique se rencontre en maints passages de l’ouvrage de M. Kdouard Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907, où l’auteur a reproduit tous ses divers articles de revues ou de journaux, sur cette grave question.

2. On attribuait au dogme un rôle principalement négatif et presque exclusivement pratique, en même temps qu’on rejetait toute conception intellectualiste

du dogme comme absolument opposée à la philosophie moderne, la seule, affirmait-on, qui compte désormais. — a) On assignait quatre motifs principaux à cette répulsion des intelligences modernes. — a. La philosophie moderne interdit strictement toute adhésion intellectuelle à une proposition qui se donne ellemême comme n'étant ni prouvée ni prouvable, ce qui est le cas de tout dogme appuyé uniquement sur une autorité tout extérieure. Edouard Le Roy, Dogme et critique, Paris, 1907, p. 6 sq. — b) Le dogme n’est pas même susceptible d’une démonstration indirecte. Car il faudrait avoir prouvé directement que Dieu existe, qu’il a parlé et qu’il a donné tel enseignement certainement et authentiquement possédé. En d’autres termes, il faudrait avoir résolu par une analyse directe le problème de Dieu, celui de la révélation, celui de l’inspiration biblique, celui de l’autorité de l'Église. Or ce sont là des questions de même genre que les questions purement dogmatiques, des questions à propos desquelles il est bien impossible de produire des raisonnements démonstratifs, p. 8 sq. — c. Le dogme est, pour beaucoup d’intelligences modernes, inintelligible et impensable, parce que ses énoncés, le plus souvent formulés en un langage philosophique inacceptable, ne leur disent rien ou plutôt leur paraissent indissolublement liés à un état d’esprit qu’ils n’ont plus et auquel ils estiment ne plus pouvoir revenir sans déchoir, p. Il sq. — d) Les dogmes, soit par leur contenu, soit par leur nature logique, n’appartiennent pas au même plan de connaissance que les autres propositions. Ils ne sauraient donc se composer avec celles-ci de manière à constituer un système cohérent, comme l’exige l’unité de l’esprit humain. Ils semblent ainsi sans usage, inutiles et inféconds. Reproche bien grave à une époque où l’on aperçoit de plus en plus nettement que la valeur d’une vérité se mesure avant tout aux services qu’elle rend, aux résultats nouveaux qu’elle suggère, aux conséquences dont elle est grosse, bref à l’inlluence vivifiante qu’elle exerce sur le corps entier du savoir, p. 12.

b) Toutes ces difficultés, ajoutait-on, ne sont cependant point inhérentes au dogme lui-même ; elles proviennent uniquement d’une conception qui lui est injustement surajoutée, la conception intellectualiste qui fait du dogme quelque chose comme l'énoncé d’un théorème, énoncé intangible d’un théorème indémontrable, mais énoncé ayant néanmoins un caractère spéculatif et théorique et se rapportant avant tout à la connaissance pure. Conception d’autant plus inadmissible qu’on veut à la fois définir le dogme comme jouant le rôle d’un énoncé théorique et lui attribuer cependant des caractères inverses de ceux qui font les énoncés corrects. Conception qui d’ailleurs pousse à deux exagérations très regrettables et malheureusement très fréquentes : l’une consistant à confondre les dogmes proprement dits avec certaines opinions ou certains systèmes théologiques, c’est-à-dire avec des représentations intellectuelles accessoires, l’autre consistant à ne point voir qu’un dogme ne saurait jamais posséder aucune signification scientifique et qu’il n’y a pas plus de dogmes concernant, par exemple, l'évolution biologique qu’il n’y en a concernant le mouvement des planètes ou la compressibilité des gaz. Le Roy, op. cit., p. 15 sq.

c) Toute conception intellectualiste étant ainsi écartée, le dogme ne peut avoir qu’un sens principalement négatif et une valeur exclusivement pratique. — a. Le dogme a un sens principalement négatif, en ce qu’il exclut et condamne certaines erreurs plutôt qu’il ne détermine positivement la vérité. Il ne tend pas à constituer par soi-même une théorie rationnelle, un système intelligible d’affirmations positives, mais il se borne à opposer des fins de non-recevoir à certaines

hypothèses et conjectures de l’esprit humain ; loin de limiter la connaissance ou d’en arrêter le progrès, il ne fait en somme que fermer de mauvaises voies, p. 19 sq. — 6. Le dogme a surtout une valeur exclusivement pratique, en ce sens qu’il énonce avant tout une prescription d’ordre pratique, p. 25 sq., 32 sq. Sans doute il contient, sous une forme ou sous une autre, une réalité suffisante pour justifier comme raisonnable et salutaire la conduite prescrite, p. 25, 33, 47. Mais ce que le dogme nous impose, c’est essentiellement et tout d’abord une attitude et une conduite ; la réalité sous-jacente est manifestée par lui sous les espèces de l’action qu’elle commande en nous ; le langage qu’il parle est un langage de connaissance pratique traduisant la vérité par la réaction vitale qu’elle provoque dans l'âme humaine. Une fois que le fait a été notifié, il peut et doit devenir matière de représentations abstraites et de théories spéculatives. L’intelligence de l’homme s’en empare et travaille sur lui. Mais les résultats qu’elle atteint ne sont pas en euxmêmes dogmatiques et ce n’est pas sur eux que porte jamais l’obligation d’adhérer par un acte de foi. L'élaboration philosophique du dogme reste libre, sous la seule réserve de ne pas altérer sa signitication pragmatique et morale, sa valeur vitale et salutaire Si donc il y a une obligation intellectuelle dérivée de l’obligation dogmatique, c’est une obligation de caractère négatif, celle de rejeter certaines représentations et certaines théories incompatibles avec la ngle pratique édictée paV le dogme, p. 51.

Toutes ces affirmations modernistes ou semi-modernistes sur la notion du dogme, certainement dérivées des systèmes protestants précédemment cités, ont été positivement réprouvées par l’encyclique Pascendi de Pie X du 8 septembre 1907 et par le décret du SaintOffice, Lamentabili sane exitu, du 3 juillet 1907, que Pie X a fait sien par son Motu proprio Præslantia du 18 novembre 1907. Nous citerons particulièrement les propositions 20, 2)5 et 61, condamnées par ce décret : 20. lîcvelatio nihil aliud esse potuit quam acquisita ab homine suse ad Deuni relation ! s conscientia. — 26. Dogmala fidei retinenda sunt tantummodo juxta sensum practicum, id est tanquam norma preeceptiva agendi, non vero tanquam norma credendi. — Ci. Progressas scientiarum postulat ut reformentur conceptus doctrines christianse de Deo, de creatione, de revelatione, de persona Verbi incarna ti, de redemplione.

C’est contre ces divers systèmes protestants ou modernistes que nous devons prouver la valeur objective et positive du dogme.

; II. PREUVES DE CETTE VALEUR OBJECTIVE DU DOGME.

— Ces preuves se déduisent des concepts de la révélation et de la foi, tels qu’ils sont manifestés dans le Nouveau Testament et dans l’enseignement constant de la tradition chrétienne. Rien que l’exposé de ces deux concepts ne soit pas du ressort immédiat du présent article, nous devons en donner ici un aperc-u sommaire, autant que l’exige la thèse que nous avons à démontrer.

Enseignement du Nouveau Testament.

1. Dans VKvangile, c’est surtout la nature de la foi qui est indiquée. Elle est dépeinte comme une pleine et absolue adhésion à l’enseignement divin annoncé par JésusChrist lui-même ou prêché en son nom et avec son autorité par les apôtres. C’est ce qui résulte particuliè rement de ces paroles de Jésus-Christ : Euntes in mundum universum, prædicate evangelium omni créatures. Qui credideril et baptizatus fuerit, saints erit ; qui vero non crediderit, condemnabitur. Marc, xvi, 15 sq. Et si l’on compare ces paroles avec le passage parallèle de saint Matthieu, xxviii, 18 sq., il est encore plus évident que la foi chrétienne est l’assentiment à l’enseignement de Jésus-Christ lui-même, per

pétuellement reproduit par les apôtres et par leurs successeurs.

D’ailleurs, l’expression credere in Christvmi, en même temps qu’elle signifie la croyance à la puissance miraculeuse et à la divinité de Jésus-Christ citant ses miracles comme preuve de sa divinité, implique aussi, comme conséquence nécessaire, la croyance intégrale à i son infaillible enseignement. De celle notion de la foi et de celle qu’elle suppose sur la divine révélation, nous sommes donc autorisés à conclure indirectement quiles vérités révélées auxquelles nous adhérons par la foi sont l’enseignement même de.lésus-Christ.

h) Saint Paul, notamment dans l'Épitre aux Hébreux, XI, 1 sq., exprime encore plus nettement ce même concept de la foi. Les expressions k')eyy.o ; oO p).enoyévù>v indiquent que cette foi doit élre une conviction ou ferme adhésion de l’intelligence et que les vérités auxquelles on adhère sont inaccessibles aux sens ou à la raison, c’est-à-dire qu’elles sont connues par la seule révélation divine. D’ailleurs, tous les exemples de foi loués par saint Paul en ce chapitre supposent une adhésion à la parole divine ou une entière adhésion au dogme de la divine providence, conduisant les hommes au salut éternel par les moyens que détermine son inlinie sagesse. Ce même concept de la foi avait déjà été exprimé par saint Paul dans l'Épitre aux Romains, IV, 20 sq., où la foi d’Abraham proposée à l’imitation de tous les fidèles est une entière et ferme adhésion à la parole de Dieu.

De ce concept de la foi et du concept qu’elle suppose de la révélation, nous sommes de nouveau autorisés à conclure finalement, que les vérités révélées auxquelles nous adhérons par la fui sont, à toules les époques de l’histoire de l’humanité, l’enseignement même de Dieu.

Enseignement de ht tradition chrétienne.


1. Du 1° au tv siècle, cet enseignement se manifeste surtout par l’insistance avec laquelle les Pères affirment l’obligation de croire intégralement à la doctrine confiée par Jésus-Christ aux apôtres et enseignée par eux en son nom. Obligation qui n’aurait aucun sens ni aucune raison d'être dans l’hypothèse de la non valeur objective des dogmes chrétiens, puisqu’il suffirait dès lors de garder un vague sentiment chrétien que l’on serait libre d’adapter à son choix aux divers besoins ou aspirations des générations successives.

Saint Ignace d’Antioche († 107) laisse clairement entendre que la doctrine, à laquelle on doit adhérer sous peine d'être traité comme hérétique, est la doctrine enseignée par Jésus-Christ et promulguée par les apôtres. Quiconque ne confesse pas cetle doctrine, est un anlechrist et un fils du diable. Toute doctrine contraire doit êlre rejetée pour faire place à la doctrine enseignée dès le commencement. Ad Phil., vii, Funk, Patres apostolici, 2 édit., Tubingue, i’JOl, p. 305. C’est encore dans le même. sens qu’Ignace recommande aux Magnésiens de se fortifiera'/ toc ; 6dY|xa<rcv toû xvpi’ou y.a : twv âmxrrd/cov. Ad Magn., XIII, op. cit., p. 240. A cetle doctrine on doit une foi ferme et immuable. Ad Philip., viii, op. cit., p. 307. Quiconque corrompt par sa doctrine perverse cette foi divine pour laquelle Jésus-Christ est mort, ira au feu inextinguible, et encore celui qui l'écoulé Ad Eph., xvi, op. cit., p. 227. Selon saint Irénée († 202), la foi que l’on est tenu de professer est celle qui a été reçue des apôtres, qui a été disséminée par eux jusqu’aux extrémités de la terre, et que l'Église garde toujours une et toujours identique. Cont. Itœr., l. I, c. x, /'. ( ! ., t. vii, col. 519 sq. Cette vraie et vivifiante foi les apôtres eux-mêmes l’ont reçue de Jésus-Christ qui leur a donné pouvoird’annoncersa doctrine, l. III, pra’f. etc. i, col. 843 sq. Ceux qui rejettent cette foi universellement et constamment enseignée par i i glise, se séparent de la vérité et de la lumière de

Dieu et méritent tous les anathèmes, I. III, c. XXIV.

col. ma sq.

Tertullien († 213) enseigne aussi que la doctrine que nous devons croire est celle qui a été reçue des apôtres et de Jésus-Christ et qui a été conservée intacte. De prxscriplionibus, C. xxi, xxv, xxviii, xxxi, xxxvii, P. L., t. ii, col. 33, 37, 40, 44, 50. Qui ne la suit pas est hérétique et n’est plus chrétien ; c’est un étranger et un ennemi des apôtres, c. XXXVIII, col. 51.

Clément d’Alexandrie († 215) se sert de mots encore plus expressifs pour signifier que toute la doctrine à laquelle nous adhérons par la foi et toute la connaissance de ces vérités proviennent de l’enseignement de Jésus-Christ. "Fyoïj.sv yàp tv àpyr, v tr.ç 6'-5a<7xa).ia : tbv xvptov, S'.à tî tfijv itpoç/)T6)v, 8tà tî toO EuaYYE).tou, xa ôcà t<3v [).a*Lapt<i)v ània-ôXuv, TtoVjTpifatcoç xaï itoÀupiepûç, i àp/r, : £Î ; t-).o : v, -o’Jjj.ïvo'/ tt, : yvoWcio ; . Strom., VII, P. a., t. ix, col. 532. Quiconque se révolte contre son enseignement tel qu’il est proposé par l'Église, est comparé aux hommes qui, sous l’inlluence des poisons de Circé, sont métamorphosés en bêtes ; il cesse également d'être l’homme de Dieu et le fidèle de Dieu. Loc. cit.

Même enseignement chez Origène († 251). Après avoir rappelé que l’enseignement de Jésus-Christ est la règle de notre foi, il ajoute que nous devons adhérer à la proposition qui nous en est faite par la prédication ecclésiastique transmise depuis les apôtres et conservée toujours intacte. De princip., l. I, pr ; ef., n. 1 sq.. P. ('., t. xi, col. 115 sq.

Selon tous ces témoignages des premiers siècles, c’est donc vraiment l’enseignement de Jésus-Christ, fidèlement transmis depuis la prédication des apôtres, que l’on doit croire intégralement.

Cette conclusion est encore confirmée, dans les trois premiers siècles, par la pratique constante de rejeter de l'Église quiconque persiste dans le refus de croire à la doctrine intégrale de Jésus-Christ, telle qu’elle est enseignée par l'Église, pratique attestée par les témoignages précités et assurément inexplicable dans l’hypothèse que nous combattons.

2. Du ive au vii siècle. — Outre les preuves déjà indiquées pour la période précédente l’on peut citer particulièrement : a) Les nombreuses définitions positives alors portées par l'Église contre diverses hérésies. Définitions où l’autorité ecclésiastique se bornait habituellement à la défense des vérités attaquées par l’hérésie actuelle, mais qui cependant proclamaient toujours quelque enseignement positif, comme le montre, au cours de cet ouvrage, l'étude particulière de chacune des vérités proposées. Il nous suffira donc d’esquisser ici cette démonstration pour quelques-unes de ces définitions.

Ainsi c’est bien un sens positif que les Pères de Xicée voulurent donner au mot ojj.oo-Juio ; dans leur définition conciliaire. Car c’est à dessein qu’ils choisirent ce terme si lumineux pour écarter tous les subterfuges des ariens qui s’ellorçaient d’interpréter, dans leur sens hérétique, toutes les autres expressions déjà proposées en concile. Les Pères attachèrent nettement à ce mot le sens très déterminé de consubstanliel. signifiant à la fois pour le Verbe, divinité, unité de génération et filiation, et ils imposèrent sous peine d’anathème l’entière adhésion à cette formule dogmatique, non comme règle de conduite, mais comme règle de croyance. Voir Consiiîstaktiki., t. iii, col. 1606 sq. ; Ilefele, Histoire des conciles, trad. Leclercq, Paris, 1907, t. i, p. i : il sq

De même, le concile de Constantinople en 381, en définissant contre les macédoniens la divinité du' Saint-Esprit, sa procession du Père et sa parfaite égalité avec le Père et le Fils, définit en réalité sa consubstantialilé avec le Père et le Fils, au sens précédemment t’wr

par le concile de Nicée pour le Verbe. Ilefele, op. cit., t. il, p. 13 sq.

Une valeur positive non moins certaine doit être attachée aux définitions portées au Ve siècle par les conciles d’Kphèse et de Clialcédoine contre Nestorius et Eutychès. Le terme Bsotôxo ; est adopté par le concile d'Ëphèse dans le sens précis de mère de Dieu, selon la nature humaine hypostatiquement unie à la personne du Verbe, et imposé' dans ce sens à l’adhésion de tous les fidèles sous peine d’anathème. C’est ce qu’indiquent les actes conciliaires. Ilefele, op. cit., t. il, p. 302 sq. La définition du concile de Clialcédoine sur la distinction des deux natures dans le Verbe incarné avait aussi un sens très précis et très posilif exprimé surtout par les paroles êv 8->j çvktectiv qui sont la formule vraiment authentique. Voir Ciialekdoine, t. H, col. 207. Par ces paroles qui écartaient radicalement la conception eutychéenne de l’unité de nature après l’union, les Pères du concile affirmaient positivement, après l’union hypostatique, la permanence des deux natures distinctes, comme le prouve la discussion conciliaire. Loc. cit., col. 2195 sq. Et c’est ce sens positif que le concile imposa à tous les fidèles par l’anathème final porté contre ceux qui auraient la témérité même de penser autrement.

b) Dans les catéchèses alors définitivement organisées, on prenait soin de donner à tous les catéchumènes, même les moins favorisés au point de vue intellectuel ou les moins cultivés, une instruction positive sur la nature intime des mystères, instruction supposant nécessairement la croyance à la valeur objective et positive des dogmes, ainsi que l’obligation pour tous les fidèles d’adhérer aux dogmes ainsi compris. Nous citerons comme exemples les catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem et de saint Augustin sur le mystère de la sainte Trinité et sur l’incarnation du Verbe divin.

Selon saint Cyrille, bien que nous ne puissions avoir de Dieu une connaissance parfaite et que ce soit une grande science de confesser notre ignorance en ce qui le concerne, il est cependant vrai que nous savons quelque chose de lui et que nous pouvons avantageusement l’exprimer. Cat., VI, n. 2 sq., P. G., t. XXXIII i col. 540 sq., 545sq. Après avoir expliqué les attributs de Dieu, particulièrement sa très sage providence qui s'étend à toutes choses en ce monde et sa paternité surnaturelle dans l’ordre de la grâce, le catéchète de Jérusalem insiste sur la filiation divine de Jésus-Christ, filiation non par adoption mais par nature, filiation procédant d’une génération véritable, dont on doit cependant écarter toutes les imperfections inhérentes aux générations des créatures. Cal., xi, col. 692 sq. De cette filiation on doit particulièrement écarter toute idée de génération corporelle et de succession de temps, ainsi que les défauts inhérents à notre verbe humain qui, à la profonde différence du Verbe divin, n’est point subsistant, col. G97 sq. Cyrille donne aussi une explication très nette de la double nature en Jésus-Christ, Cat., xii, col. 725 sq., et de la divinité du Saint-Esprit, consubstantiel au Père et au Eils, un avec le Père et le Fils dans la trinité des personnes. Cat., XVI, col. 919 sq.

Saint Augustin, particulièrement dans les catéchèses où il explique aux catéchumènes le symbole et la double cérémonie de la traditio et redditio symboli, insiste également sur l’obligation de croire, relativement aux mystères de la trinité et de l’incarnation, la doctrine positive qu’il enseigne. De symbolo ad catechumenos, P. L., t. XL, col. 627 sq. ; Sernu, ccxii-ccxvi, P. L., t. xxxviii, col. 1058 sq. ; De fide et symbolo, P. L., t. xl, col. 181 sq. Attitude qui n’aurait aucune raison d'être, surtout vis-à-vis des intelligences les moins cultivées, si quelque croyance positive au contenu des dogmes n'était point effectivement nécessaire à tous.

En même temps ces enseignements catéchétiques de saint Cyrille et de saint Augustin, par lesquels d’ailleurs nous pouvons juger l’enseignement catéchétique de toute cette époque, nous donnent la parfaite intelligence de la double cérémonie de la traditio et redditio symboli. Voir Gatéchuménat, t. ii, col. 1981 sq.

En portant à la connaissance des catéchumènes dans la traditio symboli, peu de temps avant le baptême, la formule du symbole qu’ils devaient apprendre de mémoire pour en faire la règle de leur foi, et en leur demandant dans la redditio symboli, immédiatement avant ou quelques jours après le baptême, un témoignage précis de leur connaissance des vérités du symbole, on voulait fortement pénétrer les catéchumènes et les néophytes de la stricte obligation d’adhérer absolument et intégralement à la doctrine positive enseignée par Jésus-Christ et proposée en son nom par l’Eglise.

3. Depuis le VIe siècle jusqu'à l'époque actuelle, la croyance universelle à la valeur objective et positive des dogmes continue à être manifestée par la constante et universelle pratique de l’Eglise d'écarter de son sein tous ceux qui n’adhèrent pas intégralement aux vérités qu’elle propose comme enseignées par Jésus-Christ, et par l’enseignement catéchétique donné à tous les fidèles sur la nature intime des dogmes, dans la mesure où ceux-ci sont accessibles aux plus simples intelligences. C’est ce que démontre l’histoire des conciles de toute cette époque. C’est aussi ce qu’attestent les catéchèses ou instructions adressées aux fidèles et les catéchismes employés pour les instruire.

Depuis le xii c siècle, il est vrai, le concept des dogmes prend, chez les théologiens, une forme plus scientifique, mais il ne subit aucune modification substantielle. Les théologiens scolastiques, toujours préoccupés de construire un puissant édifice intellectuel où toutes les connaissances humaines fussent convenablement harmonisées avec le dogme, insistent particulièrement sur cet accord entre la raison et le dogme et sur toutes les conclusions que la raison guidée par la foi peut logiquement déduire des vérités révélées. Toutes ces conclusions méthodiquement groupées et coordonnées en un ensemble harmonieux constituent la science Ihéologique, juxtaposée mais non substituée au dogme, dérivant de lui toute sa valeur mais ne le modifiant aucunement dans sa nature intime. D’ailleurs, l’on ne doit pas oublier qu'à ces conclusions fermes se joignent, comme dans toutes les sciences, des hypothèses ou opinions dont la connexion avec le dogme est plus ou moins fondée ou simplement vraisemblable ; hypothèses ou opinions sur lesquelles l’Eglise ne s’est aucunement prononcée et qui sont laissées à la libre appréciation des théologiens. Ranger parmi les dogmes ces hypothèses ou opinions théologiques ou même les déductions certaines, c’est donc travestir sciemment le dogme et en même temps calomnier la théologie scolastique considérée dans son ensemble. Et quand même une critique impartiale prouverait que des auteurs scolastiques ont parfois excédé en cette délicate matière et porté trop loin leurs affirmations dogmatiques, il n’en résulterait aucune fâcheuse conséquence pour la thèse que nous défendons. Car une doctrine ne peut être rendue responsable de quelques erreurs ou imprudences individuelles.

Au xvie siècle, en face du protestantisme et de toutes les erreurs auxquelles il a donné naissance, le concept du dogme reste le même chez les théologiens catholiques. C’est ce concept que le concile de Trente oppose aux erreurs protestantes : Disponuntur autem ad ipsatu justifiant, dum excilali divina gratia et adjuli, fidem exauditu concipientes libère moventur in Deum, credentés vera esse quæ divinitus revelata et promissa sunt, atque illud in primis a Deo justificari impium

pergratiam ejas per redemptionem guse est in Cluisto Jean. Sess. VI, c. vi. Ainsi le dogme auquel on adhère par la foi est l’enseignement révélé par Dieu lui-même, selon la doctrine de saint Paul, Hcb., XI, 6, rappelée ici par le concile.

Ce concept catholique du dogme, intégralement maintenu par les théologiens catholiques aux XVIIe et xviiie siècles en face des nouveaux systèmes de philosophie et des premiers développement s du rationalisme critique, fui plusieurs fois défini par Grégoire XVI et Pie IX contre les erreurs d’Hermès et de Giinther, DenzingerBannwart, Knchiridion, n. 1618 sq., 1634 sq., 1655 sq., llilifj sq., et plus solennellement encore par le concile du Vatican. Sess. III, c. iii, IV. La définition conciliaire exprime évidemment la valeur objective et positive des dogmes chrétiens, en les donnant comme l’enseignement positif de Dieu auquel nous devons absolument et pleinement adhérer propter auctorilalem i].sius Dei revelu h lis qui nec falli nec fallere potest, c. ta. Cette valeur objective s’applique même aux mystères cachés en Dieu et que Dieu nous manifeste par la révélation, c. iv. Cette même valeur objective ressort aussi de la manière dont le concile explique l’impossibilité de tout conllil entre la science et la foi. Les deux ordres de vérités naturelles et surnaturelles relevant respectivement de la science et de la foi existent objectivement, et Dieu est, dans l’un et l’autre ordre, la source première et la mesure essentielle de toute vérité. Dès lors il ne peut y avoir contradiction entre l’une et l’autre vérité, cum idem Deus qui mysleria révélai cl ftdem inftmdit, animo humano rationis lumen indidenl, Deus autem negare seipsum non potest, nec verum vem unquam contradicere, c. iv. Il ne peut y avoir qu’une contradiction apparente, provenant d’une mésintelligence ou d’une mésinterprétation des dogmes ou d’une fausse appréciation des données de la raison. Loc. cit. Tout cet enseignement conciliaire suppose évidemment la valeur objective des dogmes.

En même temps le concile indique nettement que la connaissance des dogmes reste toujours imparfaite en cette vie ; car les mystères divins surpassent tellement l’intelligence créée que, même après la révélation déjà faite et la foi reçue, ils restent toujours en cette vie mortelle recouverts du voile de la foi et enveloppés de quelque obscurité. La raison éclairée par la foi et s’exerçant avec soin, avec piété et sobriété, ne peut jamais obtenir de ces myslères qu’une connaissance restreinte, soit qu’elle recoure aux analogies créées, soit qu’elle compare les mystères entre eux et avec notre fin dernière. Sess. III, c. iv.

IV. RÉPONSE AUX OBJECTIONS PRINCIPALES.

1™ objection. — Si la conception intellectualiste du dogme était admise conjointement avec la nécessité de la foi au dogme ainsi compris, il en résulterait, pour certaines intelligences moins favorisées, une incapacité réelle de parvenir au salut. Ce qui ne s’harmoniserait pas avec la divine volonté de sauver tous les hommes. — Réponse. — 1. La connaissance intellectuelle, strictetement nécessaire, est peu considérable et peut facilement être atteinte même par les intelligences les moins favorisées ou les moins cultivées. Car les vérités dont la foi est indispensablernent nécessaire sont peu nombreuses, et quant au contenu de ces vérités il suffit, selon tous les théologiens catholiques, de saisir le sens des termes qui les expriment et d’adhérer à ce sens à cause de l’autorité de Dieu révélant, quand même on serait incapable de satisfaire aux interrogations qui seraient posées sur cette croyance. Lehmkuhl, Theologia mordis, t. i, n. 279 ; Génicot, Theologim moralis instilutiones, t. I, n. 191 ; Herardi, Praxis confessariorum, 3e édit., l’aenLa, 1898, t. I, n. 66.

D’ailleurs, en dehors des quelques vérités dont la foi explicite est nécessaire de nécessité de salut ou de

nécessité de précepte, la foi implicite aux autres vérités révélées est suffisante, S. Thomas, Sum. Iheol., II a lI », q. ii, a. 5 ; Quxst. disp., De verit., q. XLV, a. 11, du moins pour ceux qui ne sont point, en vertu de leur charge ou par charité, tenus à posséder une connaissance plus complète de l’enseignement révélé. S. Thomas, Sum. iheol., IL 1 II', q. ii, a. 6. — 2. Le minimum de connaissance intellectuelle strictement requis est bien facilité dans l’Eglise catholique par la constante vigilance et direction de la hiérarchie catholique toujours attentive au bien spirituel des fidèles, particulièrement des plus humbles et des plus nécessiteux. — 3. D’ailleurs, toute àme chrétienne, surtout quand elle est humble et reste habituellement unie à Dieu, est puissamment aidée par les dons d’intelligence, de sagesse et de conseil, qui donnent des lumières spéciales sur les vérités surnaturelles, ou tracent la voie pratique à suivre. S.Thomas, Sum. Iheol., IIa-IIæ, q. viii, IX, LUI. Secours qui sont plus particulièrement abondants quand les moyens extérieurs font défaut, car la providence divine ne manque jamais de pourvoir à ce qui est indispensablernent nécessaire au salut. S. Thomas, Qusest. disp., De verit., q. xiv, a. 11, ad l llm.

2e objection. — La conception intellectualiste du dogme, placée à la base de tout ce qui est nécessaire pour le salut, détruit l’ordre divinement établi, suivant lequel la charité, du moins en cette vie, surpasse en dignité toute connaissance que nous pouvons avoir de Dieu en cette vie. — Réponse. — Il est vrai, qu’en cette vie du inoins où nous connaissons Dieu seulement par les créatures ou par le témoignage de la foi, la charité qui nous unit à Dieu l’emporte en dignité sur la connaissance que nous en avons. Car noire connaissance en cette vie ne perçoit que des manifestations naturelles ou surnaturelles des attributs divins, tandis que notre charité a pour terme immédiat Dieu considéré, non dans quelque manifestation de luimême, mais dans sa vie intime comme bien souverainement parfait. S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. LXVI, a. 6 ; II a II', q. xxui, a. 6 ; q. xxviii, a. 4, ad 2 ur ". Or il est incontestable que le premier rang de dignité appartient à ce qui unit plus immédiatement à Dieu considéré dans sa nature intime. I a IIe, q. LXVI, a. 3. Mais cette dignité suprême de la charité en cette vie n’est nullement compromise par la conception intellectualiste du dogme, placée à la base de tout ce qui est nécessaire au salut. Car l’amour ne pouvant exister sans quelque connaissance, voir CHARITÉ, t. ii, col. 2235, il est évident que cette charité prééminente doit être précédée de la connaissance du bien infini et des moyens que nous devons employer pour arriver à son éternelle possession. S. Thomas, Sum. theol., II » II, q. II, a. 3. Cette charité suppose donc nécessairement une connaissance surnaturelle antécédente qui est la connaissance intellectuelle du dogme.

3e objection. — En fait, la conception intellectualiste du dogme a conduit à beaucoup d’exagérations parmi lesquelles on doit surtout menlionner la prépondérance attribuée à la philosophie scolastique dans l'étude théologique des dogmes ; prépondérance particulièrement funeste, car c’est d’elle qu’est provenue l’extrême difficulté d’harmoniser avec fout autre système philosophique le dogme ainsi compris. — Réponse. — 1. Quand même plusieurs théologiens scolastiques auraient outré la conception intellectualiste du dogme, ce qui n’est aucunement démontré, il n’y aurait point lieu de condamner la notion catholique du dogme telle que nous l’avons exposée. Car c’est un principe partout indiscutable que des abus individuels et accidentels ne peuvent jamais compromettre [une doctrine en ellemême vraie et juste. —2. Les théologiens scolastiques, considérant toujours la science théologique comme exclusivement appuyée sur l’autorité de la révélation, n’ont jamais assigné à la raison une valeur positive dans la détermination et la démonstration des dogmes. Selon eux, tout ce que la raison peut légitimement est de montrer la convenance d’une vérité déjà connue comme révélée et l’insuffisance des raisons invoquées contre elle. S. Thomas, Sum. theol., I a, q. I, a. 8 ; q. xxxiii, a. 1 ; Cont. gent., l. I, c. vii, îx.

Selon eux aussi, l’emploi de la raison dans les déductions dogmatiques ne conduit jamais i la manifestation d’une vérité révélée, mais seulement à l’affirmation d’une nécessaire connexion entre telle proposition et telle vérité révélée. Cette conclusion est d’ailleurs rarement certaine en dehors d’une approbation au moins tacite de l’Eglise garantissant sa vérité. Même en ce cas, ces conclusions simplement garanties ou définies par l'Église et gardant leur nature intime ne peuvent jamais être transformées en vérités révélées, faute de révélation explicite ou même implicite. Quelques théologiens, il est vrai, se sont exprimés diversement, notamment Suarez, De fi.de, disp. III, sect. xi. n. 11, et le cardinal de Lugo, De /ide divina, disp. I. a. 272 sq., mais leur opinion insuffisamment motivée est communément rejetée. Vacant, Etudes théologiques sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, p. 292 ; Billot, De virtutibus infusis, Rome, 1901, p. 256 sq. — 3. Le recours fréquent aux arguments rationnels, appuyant les déductions théologiques ou écartant les nombreuses objections de raison, doit être considéré comme approuvé par l'Église, dans la mesure où il constitue au moins partiellement la méthode scolastique souvent recommandée et soutenue par l'Église. Nous l’avons suffisamment démontré à l’article précédent. — 4. Notons enfin que la principale difficulté d’harmoniser les dogmes avec la philosophie non scolastique, provient non d’une prétendue identification de la philosophie scolastique avec le dogme, mais de ce que la philosophie qu’on lui oppose contient beaucoup d’aflirmations non prouvées, desquelles on ne veut point se départir, bien qu’elles soient formellement en désaccord avec l’enseignement révélé.

4e objection. — Chez les théologiens scolastiques et chez leurs disciples, la conception intellectualiste du dogme, en développant excessivement son aspect spéculatif, a virtuellement supprimé son rôle pratique qu’ils ne mentionnent jamais et auquel ils n’accordent aucune influence effective. —Réponse. — 1. Il est vrai que les théologiens scolastiques attribuent au dogme un rôle premièrement et principalement spéculatif, parce que l’objet premier et principal des dogmes consiste dans les attributs et les mystères divins, dont notre connaissance est tout d’abord spéculative. C’est la conclusion du raisonnement par lequel saint Thomas prouve que la science théologique est plus spéculative que pratique : Magis tamen est speculativa quant practica : quia principalius agit de rébus divinis quani de actibus humanis : de quibus agit secundum quod per eos ordinatur homo adperfectam Dei cognitionem inqua œterna beatiludo consista. Sum. tlteol., I a, q. i, a. 4. Puisqu’il y a nécessairement analogie entre les conclusions d’une science et ses principes, ce que saint Thomas affirme de la science théologique est également vrai de ses principes qui sont les vérités dogmatiques. Ces vérités sont donc principalement spéculatives. — 2. Cependant, selon ces mêmes théologiens, le dogme a un rôle pratique très important, bien que secondaire et dépendant de la connaissance spéculative antécédente. Car a) les connaissances spéculatives provenant du dogme et se rapportant toutes à notre fin surnaturelle ou aux moyens qui y conduisent, S. Thomas, Sum. theol., H a IIe, q. ii, a. 3 sq., peuvent être facilement utilisées pour aider la volonté dans la pratique des devoirs chrétiens. Cette utilité pratique n’a

pas besoin d'être déterminée en détail pour chaque dogme, surtout pour la vie commune des fidèles. Il suffit de montrer les avantages communs qui résultent de l’ensemble des mystères révélés, l’humilité, la foi, la gratitude et l’amour : l’humilité produite par l’infinie grandeur des mystères divins, la foi appuyée uniquement sur l’infaillible parole de Dieu, la gratitude et l’amour excités par la merveilleuse condescendance de l’incompréhensible majesté divine vis-à-vis de notre petitesse et de nos misères. S. Thomas, Sum. theol., II a II ', q. ii, a. 3, 5, 7, 8 ; Cont. gent., l. I, c. v. D’ailleurs, toute contemplation des mystères divins, surtout pour les âmes éclairées et unies à Dieu, est capable d’entretenir ou d’augmenter en nous l’amour divin qui est l'âme de toute vie spirituelle ; et cette contemplation est toujours puissamment aidée par la connaissance du dogme, dès lors que cette connaissance est accompagnée d’une vraie humilité. S. Thomas, Suni. theol., II « II », q. lxxxii, a. 3, ad 3°">.

L’on doit aussi reconnaître que l’utilité' individuelle n’est point seule à considérer. Il y a encore l’utilité commune qui résulte pour la société chrétienne tout entière d’une plus profonde connaissance du dogme, possédée par ceux qui doivent par état ou par charité conduire ou aider les autres. De cette connaissance dépend en très grande partie le bien qu’ils peuvent produire pour la défense et le maintien de la foi dans les âmes chrétiennes et pour la diffusion de la vérité parmi ceux qui ne la connaissent point. Plus nécessaire dans les milieux troublés par l’erreur ou l’infidélité, cette connaissance a été particulièrement recommandée pour notre époque par Léon XIII dans l’encyclique Sapient’ue christianse du 10 janvier 1890, et par Pie X dans l’encyclique Acerbo nimis du 1.") avril 1905.

Traitant uniquement du dogme, nous n’avons point à parler ici des avantages pratiques provenant de la révélation accidentelle des vérités naturelles que l’homme doit nécessairement connaître pour atteindre sa fin. Nous nous bornerons à rappeler l’enseignement du concile du Vatican sur la nécessité morale de cette révélation et sur les avantages qu’elle procure à l’humanité. Concile du Vatican, sess. III, c. n.

(Iràce à c^tte révélation accidentellement annexée à celle des dogmes surnaturels, la religion chrétienne possède, pour la direction morale des consciences, une supériorité effective sur les religions non chrétiennes et sur les divers systèmes philosophiques. En réalité, c’est d’elle principalement que rayonnent, même en dehors de l'Église catholique, les connaissances morales encore existantes.

b) A côté des dogmes principalement spéculatifs qui peuvent avoir une puissante influence pratique sur la direction de notre vie chrétienne, l’on doit aussi mentionner les dogmes immédiatement pratiques qui expriment les obligations à accomplir pour obtenir la vie éternelle. En renfermant dans la puissante synthèse de la Somme théologique de saint Thomas la théologie dogmatique et morale, les enseignements pratiques avec les doctrines spéculatives, les théologiens scolastiques exprimaient, plus fortement que nous, toute l’importance du rôle effectif des dogmes tant pratiques que spéculatifs. Les démembrements) effectués depuis cette époque dans cette organisation méthodique de la théologie, ne doivent point nous faire oublier sa synthèse effective.

c) D’ailleurs, les théologiens scolastiques, tout en assignant au dogme un rôle principalement spéculatif, n’ont aucunement méconnu le rùle affectif de la volonté dans l'étude ou l’enseignement des dogmes, ni l’utilité pratique que l’on doit s’efforcer d’en retirer. — a. Le rôle affectif de la volonté se déduit rigoureusement de cet enseignement de saint Thomas que la science théologique, science entièrement une, à la fois spéculative

et pratique, doit être dirigée vers la béatitude éternelle qui consiste dans la connaissance de Dieu accompagnée de son amour. Sum. theol., I", q. i, a. 4-7. C’est à cette science surtout que convient ce que saint Thomas demande pour toute étude, qu’elle soit rapportée à sa fin légitime, c’est-à-dire à la connaissance de Dieu, Sum. theol., 11° 11", q. CLXVII, a. 1 ; et qu’elle soit accompagnée de l’amour divin qui unit étroitement la volonté à cette fin dernière. A renseignement de cette science convient aussi très particulièrement ce que saint Thomas dit de tout enseignement, qu’il.est un acte de la vie contemplative, dans la mesure où il suppose une vérité nettement conçue dans la considération et l’amouide laquelle on se délecte, hien que ce soit un acte de' la vie active quand on manifeste extérieurement cette vérité aux auditeurs. Sum. theol., II » II' —, q.CLXXXI, a. 3. D’ailleurs, saint Thomas observe que cette élude, laite selon les conditions convenables, II » II' 1 ', q. clxvii. a. 1, aide puissamment à la contemplation, soit en fournissant abondamment à l’intelligence les matières sur lesquelles doit s’exercer la conleinplation, q. clxxx, a. 4, soit en écartant les dangers d’erreur dans lesquels on pourrait imprudemment tomber sans une connaissance suffisante des choses divines, q. clxxxviii, a. 5.

h. Quant à l’utilité que la connaissance du dogme peut procurer pour le ministère des âmes, surtout quand elle est approfondie, elle occupait certainement la pensée des théologiens scolastiques. Car saint Thomas exige que ceux auxquels il appartient d’instruire les autres, possèdent une foi plus explicite et une plus ample connaissance des vérités de foi. Sum. theol., IlII', q. ii, a. 6 ; Quæsl. disp., De verit., q. xiv, a. 11. De même l'étude est particulièrement nécessaire aux ordres religieux qui doivent s’adonner à la prédication ou à d’autres œuvres de zèle. II » IL, q. clxxxviii, a. 5.

c. Ces considérations, il est vrai, sont habituellement absentes des ouvrages de théologie, mais uniquement parce que l’on suppose qu'élèves, lecteurs et maîtres n’oublieront point de se conformera l’impérieuse obligation morale de diriger vers la fin surnaturelle toutes les connaissances acquises. S. Thomas, Sum. theol., 11° II', q. clxvii, a. 1. Est-il nécessaire de rappeler que cette obligation a toujours été fidèlement remplie par les grands maîtres de la théologie scolastique, qui ont en même temps excellé dans la connaissance de la théologie mystique'.' C’est un exemple constamment proposé à notre généreuse imitation.

5e objection. — La conception intellectualiste du dogme n’accorde pas à la volonté individuelle dans l’acceptation personnelle du dogme un rôle suffisant. Elle fait de la vérité un système dont on peut s’emparer rien qu’en raisonnant, tandis que la vérité est une vie et qu’elle ne peut entrer en nous sans correspondre en quelque façon à un besoin d’expansion. —Réponse. — 1. Rien n’autorise à affirmer que le rôle légitime de la volonté dans la formation du jugement préalable de crédibilité et dans la production de l’acte de foi a été ignoré ou diminué par les partisans de ce que l’on appelle la conception intellectualiste du dogme. Les théologiens scolastiques ont pu, selon le but qu’ils se proposaient et à cause des préoccupations de leur époque, accorder peu de place aux questions psychologiques qui excitent actuellement un si vif intérêt. Mais quelque restreinte que soit la place assignée à l'étude du rôle de la volonté vis-à-vis de la croyance surnaturelle, ce rôle est nettement indiqué'. Il suffit de rappeler ici l’enseignement de saint Thomas sur ce point, Sum. theol., Il" 11 1, q. ii, a. I ; Qusest. disp., De verit., q. XIV, a. I, en renvoyant Ions les développements aux articles CrÉDIBI] ITÉ il Foi.

i. D’ailleurs, rien ne s’oppose à ce qu'à notre époque, en face de besoins nouveaux et de préoccupations bien

différentes, on accorde plus d’attention au rôle de la volonté' et que l’on en tienne plus de compte dans l’application de la méthode apologétique et dans le maniement des âmes. On peut en retirer des avantages considérables. Mais l’on doit se garder d’amplifier le rôle de la volonté en sacrifiant la vérité objective et le rôle absolument nécessaire de l’intelligence pour la direction de la volonté. Double écueil que l’on ne peut éviter dans la nouvelle conceplion du dogme.

3. En réalité, la conception nouvelle, loin de favoriser le rôle de la volonté, le supprime ou le rend inexplicable. La règle pratique imposée à la volonté n’ayant aucun fondement objectif suffisant ne pourrait reposer que sur un lidéisme subjectiviste qui ne rendrait jamais raison de l’attitude spéciale commandée à la volonté. Webrlé, Revue biblique, juillet 1905, p. 347.