Dictionnaire de théologie catholique/ESPÉRANCE IX. Valeur morale de l'espérance chrétienne et de son motif intéressé

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 5.1 : ENCHANTEMENT - EUCHARISTIEp. 336-350).

intéressé, au point de n’en pas reconnaître d’autre en nous à l’égard de Dieu. Après avoir rapporté ce que dit à ce sujet l’ancienne tradition des Pères, nous aborderons les développements de la théologie catholique, et nous noterons, en citant les documents ecclésiastiques, l’attitude de l’Église en face des erreurs qui ont attaqué l’espérance. L’histoire de cette grande et difficile question n’a pas encore été faite : nous voudrions l’esquisser à grands traits ; chemin faisant, nous ferons remarquer les réponses données à toutes les principales objections.

L’ancienne tradition.

1. En Orient.

Au ive siècle, nous y trouvons nettement affirmée la légitimité du motif intéressé et celle du motif désintéressé, avec leur inégale valeur. C’est une tradition recueillie par les grands docteurs cappadociens, et qu’on pourrait reprendre de plus haut, par exemple, chez Clément d’Alexandrie. Slrom., IV, c. xxii, P. G., t. VIII, col. 1346, 1347 ; cf. viii, col. 1270 ; VII, c. XII, xiii, P. G., t. IX, col. 507, 516 ; voir Freppel, Clément d’Alexandrie, xix" leçon, p. 457461. Cette ancienne tradition, les trois docteurs cappadociens la mettent vivement en lumière, en énumérant trois catégories d’élus, ou de chrétiens qui font leur salut.

|< Parmi ceux qui sont sauvés, dit saint Grégoire de Nazianze, je sais qu’il y a trois classes : les esclaves, les mercenaires et les enfants. Si tu es esclave, crains les coups ; si tu es mercenaire, regarde ce que tu recevras en récompense ; si tu es plus que tout cela, si tu es fils, respecte Dieu comme ton père ; fais le bien parce que c’est bien d’obéir à ton père, ne dût-il rien t’en revenir : ta récompense même, c’est de lui faire plaisir. » Or., xl, n. 13, P. G., t. xxxvi, col. 373.

Saint Basile voit aussi trois états d’âme, 5ta8£T£i. :, qui poussent à obéir à Dieu : « Ou bien par crainte du châtiment nous fuyons le mal, c’est l’état d’esprit servile, ou, cherchant le gain qui provient de la récompense, nous accomplissons les commandements en vue de notre propre utilité, et en cela nous ressemblons aux mercenaires ; ou bien nous obéissons en vue du bien lui-même, et par amour pour le législateur, joyeux de pouvoir servir un Dieu si glorieux et si bon, et nous sommes ainsi dans l’esprit filial. » Régulas fusius tractatæ, proœmium, P. G., t. xxxi, col. 896. « La plus parfaite manière de se sauver, dit enfin saint Grégoire de Nyssc, c’est par la charité. Quelquesuns se sauvent par la crainte, amenés par la menace de l’enfer à se séparer du mal. D’autres se rangent à Ja vertu par l’espérance de la récompense réservée aux justes ; ce n’est pas la charité, mais l’attente de la rémunération qui les fait s’attacher au bien. «  Homil., I, in Canlica, P. G., t. xuv, col. 765.

Cette manière de parler, pour accentuer le contraste et frapper les esprits, force évidemment la note. Tous ces élus ne sont-ils pas < des (ils » , puisque, d’après la doctrine même de ces Pères, on ne peut être sauvé sans être fils adoplif de Dieu ?.Mais parce que l’esprit filial apparaît parfaitement dans les troisièmes, on leur réserve par excellence le nom de « fils » . De même, on ne doit pas entendre la division en ce sens extrême, que les deux premières classes se sauvent sans faire pendant une longue vie aucun acte de charité, et que l’acte de charité soit réservé à une élite : ce serait contredire la doctrine de ces Pères sur le précepte universel de la charité. Ce n’est quaccidintellement qu’un adulte converti et régénéré par le sacrement <le baptême ou de pénitence avec la seule attrition, puis surpris parla mort, pourrait être sauvé sans l’acte <le charité. Concluons qu’il faut entendre cette triple division en un sens large, en ce sens que dans les premiers, plus fréquente est la crainte, dans les seconds, l’espérance, dans les troisièmes la charité ; les trois états d’esprit, dont on nous parle, sont des états prédominants, mais non pas exclusifs.

Au point de vue de la tradition catholique, ce qui augmente beaucoup la valeur de cette théorie large et compréhensive des docteurs cappadociens, c’est d’abord que nous ne voyons aucun autre Père qui la rejette, aucune controverse à ce sujet ; c’est ensuite que nous la retrouvons positivement adoptée par d’autres Pères après eux, en Orient et en Occident. Quelques exemples : Cassien met cette triple division dans la bouche de l’abbé Chérémon, Co//., XI, c.vi sq., P. L., t. XLix, col. 852 sq. ; S. Jean Climaque, Scala paradisi, 1°^ gradus, P. G., t. lxxxviii, col. 638 ; S. Maxime abbé, Mijsltigogia, c. xxiv, P. G., t. xci, col. 710 ; S. Bède, In Luc, c. xv, P. L., t. xcii, col. 524 ; Eadmer, Liber de S. Anselmi siniilitiidinibus, c. CLXix, P. L., t. CLix, col. 693.

2. En Occident.

C’est surtout saint Augustin, dont il faut étudier ici la doctrine, soit parce que les Latins l’ont beaucoup suivi, soit parce que sa théorie sur ce point n’est pas des plus claires, et la preuve en est qu’on l’a prise dans deux sens diamétralement opposés et également faux, comme l’observe le P. Poitalié. Voir Augustin, t. i, col. 2437.

Saint Augustin s’est attaché à relever et à inculquer l’amour d’espérance, par lequel nous cherchons en Dieu notre bonheur. Il l’a appelé un amour pur, chaste, un amour de Dieu pour lui-même, par opposition à l’amour qui n’aimerait Dieu que pour obtenir de lui les biens de cette vie, comme l’aimaient les Juifs « charnels » . Cette opposition est très fréquente chez lui, soit que ses diocésains d’Hippone eussent une dévotion trop semblable à celle de ces Juifs, soit l)our toute autre raison. Il leur dit, par exemple : « Le ca’ur est pur devant Dieu, quand il cherche Dieu, à cause de Dieu, £ » « ! /) ! propter Dcum.^’On a faussement cru qu’il parlait ici du motif absolument désintéressé de la charité, et qu’il donnait au Dcus umalus propter se le même sens que les théologiens modernes. Lisez ce qui suit : « Le cœur des fidèles lui parle ainsi : Je me rassasierai, non pas des viandes de l’Egypte, ni des melons et des oignons… qu’une génération perverse préférait même au pain descendu du ciel, ni même de la manne visible ; mais je me rassasierai, quand votre gloire me sera manifestée. Ps. xvi, 15. Voilà l’héritage du Nouveau Testament… Mais cette génération perverse, même lorsqu’elle semblait chercher Dieu, l’aimait par des paroles mensongères, et son cœur n’était pas droit devant Dieu, puisque son amour portait plutôt sur ces choses, en vue desquelles elle cherchait le secours dcDieu. » /i/irt/r. ( ; i /j.s. /..y.w/ ;, n. 21, /’. L., t. xxxvi, col. 996. Et ailleurs : " Aimons-le gratuitement. Qu’est-ce à dire ? Ainu)ns le pour lui-même, et non pour autre chose. Si tu sers Dieu, pour qu’il te donne quelque autrechosc, tu nel’aimes plus gratuitement. Tu rougirais si ta femme l’aimait à cause de tes richesses, > etc. In ps. i.iii, n. 10, col. 626. Cet amour’gratuit » (on dirait aujourd’hui désintéressé ) n’em])êche nullement de chercher Dieu comme utile pour nous : « N’attendons pas de lui autre chose que lui-même, qui est notre souveraine utilité et notre salut : c’est ainsi que nous l’aimons gratuitement, selon celle parole de l’Écriture : Il m’est bon de m’atlachcr à Dieu. > De Gencsi ad litt., I. VIII, c. XI, P. L., t. XXXIV, col. 382. Pour d’autres exemples, voir Augustin, t. i, col. 2436, 2437.

.Ainsi quand il parle d’amour pur, d’amour gratuit, d’anu)ur de Dieu pour Dieu, d’ordinaire il oppose au plus grossier intérêt un amour relativement désintéressé. En prêchant ce désintéressement initial et fondamental il relève déjà les âmes au-dessus des choses de la terre, il les oriente vers leur fin dernière Mais il ne faut is dire-, ; i(C liolKcni et qiu’k|ues iiutres, qu’Augusliii ne connail pas d’aiiUe désinléressement que celui-là ; que c’est là l’amour le plus sublime, celui qui caractérise la charité théologale ; que chez Augustin, l’expression propter Deiiin n’a jamais un sens plus élevé. Le sens plus élevé est du moins esquissé dans un livre fait pour tous les chrétiens, où il veut qu’en définitive l’amour que nous avffns pour nous-mêmes soit rapporté à Dieu, et que nous nous aimions proplcr Dciim : « Car l’homme est meilleur lorsqu’il est tout entier attaclié au Bien immuable et resserré en lui, que lorsqu’il desserre ce lien, même pour faire un retour sur soi… Il faut qu’il rapporte tout l’amour de soi et du prochain à cet amour de Dieu, qui ne souffre pas qu’on détourne rien de son cours. >. De docliina clirisliaiui, 1. I, c. xxii, P. L., t. xxxtv, col. 26, 27, Voir Charité, t. ii, col. 2221. De plus, saint Augustin s’est demandé si l’homme, en aimant Dieu, pouvait s’oublier lui-même. S’il ne le peut pas d’une manière permanente, il le peut du moins par moments, par éclairs ; et le saint docteur veut que nous y tendions dans la mesure du possible : Amandus est Deiis ila ut, si fleri potest, nos ipsos obliviscamur. Serin., cxi.ii, c. iii, P. L., t. xxxviii, col. 779. Décrivant « l’holocauste spirituel » , il s’écrie : « Que tout mon cœur soit brûlé de la flamme de votre amour : que rien en moi ne me soit laissé, pas même un regard sur moi. » /n ps.’A-V.yi//, n. 2, P. L., t. XXXVII. col. 1775. Des textes comme ceux-là montrent que saint Augustin a compris le désintéressement complet de l’acte de charité ; ils servent aussi à mettre au point les passages où il semble dire que l’homme ne peut faire aucun acte libre sans avoir sa propre béatitude comme motif, et à justifier les interprétations adoucies qu’en ont données les scolastiques. Voir É/iu/es du 20 mai 1911, p. 486-489.

Entre les Pères grecs et saint Augustin, il n’y a donc pas de différence essentielle, L’Occident, comme l’Orient, reconnaît deux formes légitimes de l’amour de Dieu : l’amour intéressé ou mercenaire (relevé pourtant par un remarquable commencement de désintéressement qui le purifie), qui caractérise l’espérance chrétienne ; l’amour pleinement désintéressé avec son esprit filial, qui caractérise la cliarité. Nous avouons toutefois que le style spécial de saint Augustin rend sa pensée difficile à saisir, qu’il a fourni à plusieurs de ses disciples, à travers les âges, une occasion de se tromper ; soit parce qu’il gratifie l’amour semidésintéressé, celui de l’espérance, des mêmes qualifications que l’usage a, plus tard, réservées à la charité et qu’elle mérite à plus juste titre, « amour gratuit, amour pur, amour de Dieu pour lui-même ; » soit à cause de sa célèbre antithèse friii et uti, où le mot fnii, à première vue, signifie spécifiquement un amour de convoitise, mais en réalité pour Augustin signifie d’une manière plus générale l’amour que l’on a pour la fin, pour Dieu, par opposition à l’amour que l’on a pour un pur moyen, uti, voir.igustix, t. i, col. 2433 ; soit parce qu’il étend souvent le sens du mot cavilus à toute affection suffisamment honnête, surtout si elle provient de la grâce. Ibid., col. 2435, 2436.

La théologie scolastique à partir de ses origines, jusqu’à la fin du XIIIe siècle.

Saint Anselme oppose nettement, dans les actes de la créature raisonnable, le motif intéressé et le motif désintéressé. L’ange, au moment de sa chute, dit-il, « n’a pu vouloir que l’une de ces deux choses, la justice ou l’intérêt propre, justitiam aul comnioduin, car c’est de nos intérêts qu’est composée la béatitude que désire toute nature raisonnable, > ex commodis constat beaiiludo. De casu diaboli, c. iv, P. L., t. clviii, col. 332. " La volonté, dit-il ailleurs, a deux aptitudes ou affections ; l’une à vouloir sa commodité, l’autre à vouloir la rectitude, » etc. De concordia præscientiie, etc., q. iii, c. xi, col. 536. Le saint docteur est j loin de regarder comme immoral tout acte libre dont le motif est intéressé : « Cette volonté, qui consiste à vouloir son intérêt (commodum), n’e^X. pas toujours mauvaise, mais seulement quand elle cède à la chair en révolte contre l’esprit ! « Loc. cit., col. 537.

Au XXIe siècle, Abélard, appuyé sur le Cariias non queerit quae sua sunt et d’autres textes, fait du complet désintéressement la caractéristique de l’acte de charité. Les auteurs de l’Histoire littéraire de la France, tout en reconnaissant que cette doctrine n’est pas de celles qui ont été condamnées dans ses écrits, la regardent comme singulière, t. xii, p. 86. Leur jugement est en général assez dur pour ce puissant esprit souvent dévoyé.’Voir Abélard, t. i, col. 41. Mais ici, c’est vraiment dépasser les bornes et craindre le quiétisme où il n’est pas à craindre. Voir Études du 20 mai 1911, p. 499. La doctrine d’Abélard continue en ce point la tradition des Pères grecs. « L’homme qui aime Dieu, dit-il, doit compter sur une magnifique récompense d’un tel amour. Toutefois ce n’est point par cette intention qu’il agit si son amour est parfait, autrement il se chercherait lui-même, et serait comme un mercenaire, bien que dans les choses spirituelles.

Ce ne serait pas la charité, si nous aimions Dieu plutôt à cause de nous qu’à cause de lui, c’est-à-dire pour notre utilité, pour la félicité céleste que nous espérons, de lui, mettant en nous la fin de notre intention et non pas dans le Christ. » Expositio in Epist. ad Rom., vil, 13, P. L., t. CLxxviii, col. 891. Il reconnaît à l’espérance chrétienne ce désintéressement partiel qui la relève sans doute : « Vous me direz que Dieu se donne en récompense lui-même, et non pas des j biens étrangers, comme l’observe saint Augustin : qu’en le servant pour la béatitude, c’est donc vraiment pour lui-même que nous agissons, d’un amour pur et sincère. » Mais ce demi-désintéressement de l’espérance ne suffit pas à la charité, Abélard en fait la remarque : « Nous aimerons Dieu purement pour lui-même, si nous agissons seulement pour lui, non pour notre utilité ; si nous ne regardons pas ce qu’il nous donne, mais ce qu’il est en lui-même… Tel est le véritable amour d’un père pour son fils ou d’une chaste épouse pour son mari ; la personne qu’ils aiment lors même qu’elle leur est inutile, est aimée davantage que d’autres plus utiles ; et tout ce qu’elle leur fait souffrir ne diminue pas leur amour… Puissions-nous avoir pour Dieu une affection aussi pure, et l’aimer plutôt parce qu’il est bon en lui-même, que parce qu’il nous est utile ! » A propos de ce texte du psalmiste : « C’est à cause de la récompense que j’ai incliné mon cœur à observer vos lois, » Abélard ne blâme pas cet amour intéressé, mais il le montre comme une première étape aidant l’âme à monter plus haut ; David a « commencé par l’espérance et le désir de la récompense, » pour arriver à la charité. Loc. cit., col. 893. Nous ne lui reprocherons pas non plus de nous montrer dans le Christ, à notre égard, le modèle de l’amour désintéressé, col. 891. Même en regardant sa nature divine, on peut y trouver le désintéressement en ce sens que Dieu nous aime sans avoir besoin de nous. Mais ailleurs, dans ses théories sur la Trinité, Abélard est allé trop loin : il semble n’avoir admis en Dieu qu’un amour désintéressé pour sa créature ; il n’a pas compris la perfection infinie de l’amour que Dieu a pour lui-même ni comment, centre de toutes choses, il est juste et nécessaire qu’il fasse tout converger vers soi. Loc. cit., col. 1299. Cf. Pierre Rousselot, Pour l’histoire du problème de l’amour an moyen âge. Munster, 1908, dans les Beitràge zur Ocschichle der Philosophie des MiUelaUersvu docteur 15aeuniker, t. vi, p. 59 sq. Voilà donc une exagération il’Abélard en faveur de l’amour désintéressé.

Hugues de Saint-Victor, lui, a exagéré dans l’autre sens. Son point de départ n’est point blâmable : disciple de saint Augustin, il a voulu en suivre jusqu’à la terminologie. « C’est un amour gratuit, dit-il avec son maitre, que de vouloir posséder Dieu lui-même, et de ne chercher rien d’autre que lui… Si vous aimez quelque chose (quelque bien temporel) à sa place, vous êtes un mercenaire. > Même pour la béatitude céleste, Hugues signale avec perspicacité une façon illégitime de la rechercher dans notre intérêt : « Si vous vous représentez la vie éternelle comme un bien distinct de Dieu, et si vous servez Dieu seulement pour arriver à ce bien-là, ce n’est pas une manière pure de le servir, ni un amour gratuit. Les fils de Zcbédée, qui demandaient à être assis à sa droite et à sa gauche dans son royaume, concevaient quelque chose d’étranger à lui… Ils pensaient qu’il faut servir Dieu pour quelque chose qui n’est pas lui ; ils ne comprenaient pas qu’il est le bien seul aimable pour lui-même, et que tout ce qui est aimé en dehors de lui doit être aime à cause de lui. « De sacramentis, 1. ii, part. XIII, c. VIII, P.L.A. clxxvi, col. 534. Mais si Augustin insiste sur ce demi -désintéressement de l’amour d’espérance, il admet aussi, nous l’avons vii, un désintéressement plus complet, où, sans retour sur nous-mêmes, nous voulons à Dieu son bien et sa gloire ; s’il en parle moins souvent, il ne le combat jamais. Au contraire, et ici commence la déviation, Hugues de Saint-Victor attaque vivement, comme déraisonnable, cet acte de désintéressement total : « Quoi donc ! s’écrie-t-il, le précepte d’aimer Dieu veut-il dire, selon toi, que tu doives lui faire ou lui désirer du bien ? Ne veut-il pas dire, plutôt, que tu dois le désirer, lui qui est ton bien ? Tu ne l’aimes pas pour son bien à lui, mais pour ton bien àtoi… Carsi tu prétendsl’aimer po ir son bien, quel bien peux-tu lu. donner ? Tu dis : si je ne peux lui donner, du moins, je peux lui désirer du bien ; ma puissance est bornée, mais mon amour est riche ; ce que je ne puis pas faire, je puis le vouloir ; je lui donnerais si je pouvais, mais je f.iis ce qu’je pus. » TA Hugues de répondre : » Que peux-tu désirer à celui qui a tout ?… Ta piété est su pcrlluc ; aie plutôt pitié de toi-même. Lui, il a sufli samment. Celui qui est parfait, vcux-lu le rendre meilleur ? » Op. cit., c. vu. col. 533. Réponse dure et peu solide. Nous ne prétendons pas ajouter à Dieu une perfection intrinsèque, ce qui serait absurde : mais nous voulons lui offrir une gloire extrinsèque, un culte affectif, dont il n’a pas besoin, mais qu’il est juste de lui rendre, et qui est compris dans la plénitude d’amour qu’il a commandée : iJiligrs Dominum ex lolo corde. Et puis ces actes d’amour désintéressé ne consistent pas seulement, comme Hugues le suppose, à désirer à Dieu quelque chose qui n’existe pas encore, mais aussi à nous réjouir, à cause de lui, de ce qu’il est, de ce qu’il a, à dire amen à ses perfections infinies. — Hugues de SaintVictor conclut d’une manière bien étroite : " Qu’est ce qu’aimer, sinon convr )itcr, conciipiscere, et vouloir posséder et jouir ; si on n’a pas (ce qu’on aime), vouloir l’obtenir : si on l’a, vouloir le garder ? / A cela il semble réduire l’acte de charité théologale. Kt nf)ssuet. après avoir longuement cité ce passage, ajoute : f)n connaît la doctrine de saint Augustin à ce discoursd’un deses enfants, d’un de ses religieux, d’un de ses disciples. Inslniedon sur 1rs états d’oraison, additions ri rorrrelions, n. 8, èdlt. Lâchât, t. xviii, p. C70, f173. Il faudrait au moins distinguer ici ce qui est conforme à saint.uKuslin, et ce qui s’en écarte. M. l’iousselol a judicieusement rangé la solution de Hugues « parmi les théories unilatérales et partielles qui ne peuvent « rendre compte de tout le donné traditionnel. » Op. cit., p. 15.

Saint Bernard, vers la même époque, écrit sa lettre aux chartreux sur la charité (en 1125, d’après Mabillon), et son Liber de diligendo Deo (1126 ;, où d’ailleurs cette lettre est reproduite à la fin, à partir du c. XII. Bien qu’ami de Hugues de Saint-’ictor, il a une idée tout autre du désintéressement de la charité. Non seulement il reprend la traditionnelle énumération des trois classes de chrétiens : « Tel loue Dieu parce qu’il est puissant, tel autre parce qu’il est bon, sibi bonus, tel autre parce qu’il est absolument bon, simpliciler bonus. Le premier est un esclave et craint pour soi ; le second est un mercenaire et convoite pour soi ; le troisième, un fils et il honore son père. Ainsi celui qui craint et celui qui convoite agissent pour eux-mêmes : seule, la charité qui est dans les fils, ne cherche pas ses propres intérêts, quæ sua sunt (I Cor., XIII, 5, texte cité dans le même sens par Abélard). » Il semble même exagérer, quand il ajoute que la crainte et l’amour de convoitise « peuvent bien changer le visage ou l’action, mais non l’affection ; > que ces sentiments « ne convertissent pas l’àine. » De diligendo Deo, c. XII, P. L., t. cLxxxii, col. 995. L’ancienne tradition, au contraire, admettait la conversion et le salut dans ces deux premiers états, nous l’avons vu. Peut-être la différence vient-elle de ce que les anciens Pères appelaient esclave ou mercenaire de Dieu, sans attacher à ces noms un sens mauvais, le chrétien chez qui prédomine habituellement la recherche légitime de son intérêt, bien qu’il s’élève parfois à l’acte de charité ordonné à tous, tandis que saint Bernard considère sous ces mêmes noms une vie d’où l’acte de charité serait complètement banni Dans la première partie de son beau livre, c. i-xi, saint Bernard donne avant tout une idée d’ensemble de l’amour que nous devons avoir pour Dieu, et de nos motifs de l’aimer. C’est dire qu’il fait la synthèse de l’amour de charité et de l’amour d’espérance, et joint ensemble le motif désintéressé et le motif intéressé. Il exprime ces motifs dans la terminologie de saint

^Qme qusiiliam, aul commodum, voir col. 651). Il faut aimer Dieu, sive quia nihil jusiius, sire quia nil frurlnosius… Suo mcrilo…, nosiro conunodo. Bossiiet a bien vu ici sa pensée, et qu’il la tenait de saint Anselme. Préface sur l’inslruclion /x/.s’/o/a/c. etc., n. 3.’{, Œuvres, t. xi.x, p. 204. Quand saint Bernard ajoute que " Dieu seul est la cause d’aimer Dieu, qu’il faut aimer Dieu pour lui-même, » ilnc prend pas cette formule comme les théologiens qui plus tard l’ont restreinte à l’amour de charité : il suit le style de saint .ugustin, plus obscur pour nous, et voit le propler //).<((///i réalisé à sa manière dans l’amour d’espérance, donc réalisé dans chacun des deux amours : Ob duplieem causam Denm dixerim propler seipsum diligendum : sii’c quia nihil jusiius sii’e quia nil frurluosius diligi potest. Loe. cit., col. 975. Il déveloi)pe celle division : 1. Motif absolument désintéressé. Saint Bernard le montre d’abord dans l’amour du Christ jiour nous, afin de nous engager à imiter cette charité : Il s’est donné lui-même à nous qui ne le méritions pas…, bien digne de recevoir de nous amourpour amour… Il nous a aimés gratuitement, nous ses ennemis… Or, il n’est pas de plus grand amour que de donner sa ie pour ses ennemis, -i D’aucuns s’étonneront de le voir, dans les chapitres suivants, éiumièrer longuement les bienfaits de Dieu envers nous, jiour nous exciter à l’aimer : cette considération convient elle au motif désintéressé dont il s’agit présentement ? Ne fait elle pas appel à notre intérêt ? Distinguons entre le bien « [u’on peut nous faire et celui qu’on nous a fait. SI nous nous attachons à quelqu’un pour le bien que nous en espérons, c’est le motif intéressé ; mais si nous nous attachons à lui parce qu’il nous a fait du bien, c’est la reconnaissance, ou pour parler avec saint Anselme et saint Bernard « la justice » , vertu dont le motif est désintéresse et qui, quand elle s’adresse à Dieu, est bien voisine de la charité théologale. La reconnaissance nous fait rendre amour pour amour, délicatesse de sentiment pour délicatesse de sentiment. Et puis, le bienfaiteur, par ses bienfaits, nous révèle la générosité de son cœur : cette expérience personnelle et prenante nous amène aisément à l’aimer indépendamment de tout profit personnel. Les ascètes et nombre de théologiens s’accordent à voir dans la considération des bienfaits divins, un puissant stimulant de l’amour de charité, voir Charité, t. ii, col. 2223, dans les bienfaits de la rédemption surtout, sur lesquels insiste le saint docteur. Voir C. Pesch, Prælectioncs, t. viii, n. 563, 564. — 2. Motif de notre intérêt, c. VII, col. 984 sq. Saint Bernard ne manque pas, avec saint Augustin, de relever le demi-désintéressement de l’espérance chrétienne, voir col. 650, qui permet à cette vertu d’être un véritable amour de Dieu, quoique moins parfait.

Nous avouons que la pensée du saint docteur de Clairvaux est un peu obscure, à cause de sa forme orato.re, du style augustinien et de la liberté avec laquelle il passe, sans avertir le lecteur, d’un degré du désintéressement à l’autre, et de l’amour d’espérance à celui de charité ; choses qui d’ailleurs se complètent et ne se contredisent pas. Cette obscurité explique comment Bossuet et Fénelon l’ont chacun tiré à soi ; mats elle ne va pas jusqu’au manque de cohérence ni jusqu’à « l’illogisme » que M. Rousselot a cru voir dans la pensée de saint Bernard. Op. cit., p. 49, 52. Quant à la théorie de la genèse de l’amour divin ou de ses quatre degrés, déjà développée dans la lettre aux chartreux et reprise dans le livre De diligendo Deo, en affirmant de nouveau les deux formes de l’amour divin, elle montre comment la forme intéressée, première dans l’ordre du développement, est une étape nécessaire pour arriver à la forme complètement désintéressée et plus parfaite. Cette théorie fondée sur l’expérience reste donc dans les lignes traditionnelles, et a inspiré saint Thomas. Voir col. 622 sq. Cf. Études du 20 avril 1911, p. 187 sq.

Au x[ii"e siècle, Albert le Grand met vivement en lumière l’amour pleinement désintéressé comme caractéristique de la charité théologale. « La charité envers Dieu, dit-il, est vraie et parfaite quand l’âme se déverse en Dieu, ardemment et de toutes ses forces, ne cherchant en lui aucun intérêt passager ouclerncl…, car l’âme délicate a comme en abomination d’aimer Dieu par manière d’intérêt ou de récompense. Pareillement Dieu se déverse dans l’âme de l’homme sans en espérer aucune utilité. » Paradisus animæ, c. i. Opéra, Paris, 1898, t. xxxvii, p. 449. Bossuet lui-même admet cette définition de la charité. Œuvres, édit. Lâchât, t. xix, p. 270. Mais Albert ajoute aussitôt une critique injuste de l’amour intéressé et prend l’extrême opposé à Hugues de Saint-Victor : « Celui qui aime Dieu pour sa bonté relative (quia sibi bonus est), et principalement pour que Dieu lui communique sa béatitude, est convaincu d’avoir un amour naturel et imparfait… L’amour naturel ne mérite de Dieu aucune louange, car il se retourne toujours sur lui-même, et cherche son propre intérêt… (Dieu apprécie) seulement l’amour gratuit, qui a toujours pour objet une autre personne - Comme s’il n’y avait pas un surnaturel et louable amour d’espérance, avec retour sur soi et recherche de son intérêt ! Il est vrai qu’Albert semble ne mettre aucun amour dans l’espérance chrétienne, toc. cit., p. 478, en quoi il se montre précurseur du premier système critiqué plus haut. Voir col. 633 sq.

Saint lionavenlure, qui a suivi le même malheureux système sur l’espérance, ainsi que nous l’avons vii, ne s’est pas laissé entraîner par là à rejeter l’amour intéressé, base de l’espérance. Il s’en est tiré en attribuant à la seule charité les deux amours de Dieu, celui d’amitié et celui de convoitise. Voir Chariti’;, t. ii, col. 2222. Quels que soient les inconvénients de cette opinion pour la distinction de la charité et de l’espérance, le saint docteur, plus sage qu’Albert le Grand, est resté fidèle à la tradition sur la légitimité et la surnaturalité des deux amours.

Après les divers tâtonnements de la scolastique primitive, quelques-uns défendant trop exclusivement l’amour intéressé, comme Hugues de Saint-Victor, d’autres trop exclusivement l’amour désintéressé, comme.Vbélard et surtout Albert le Grand, nous arrivons à saint Thomas, dont la sagesse accoutumée a su éviter les excès contraires et maintenir avec le grand courant de la tradition les deux formes louables et surnaturelles de l’amour de Dieu, l’intéressée et la désintéressée, l’une appartenant à l’espérance, l’autre à la charité. La pénétration de son génie, aidée des fines observations d’Aristote, inconnues à saint Bernard et à son siècle, lui ont servi à confirmer les données de la jtradition et à leur ajouter une précision admirable. Mais la doctrine de saint Thomas a déjà été présentée ci-dessus, col. G21 sq.

Dans l’impossibilité de nous arrêter plus longtemps sur les célèbres docteurs du xiiie siècle, contentons-nous de rappeler que Scot s’accorde avec saint Thomas et la tradition sur la valeur des deux formes de l’amour de Dieu, et qu’il en a même tiré la différence de l’espérance et de la charité, ce qui caractérise son système. Voir col. 641.

Après le. XIIe siècle jusqu’au protestantisme.

A cette époque inférieure de la scolastique, nous voyons, sur la question qui nous occupe, apparaître des erreurs contre lesquelles réclameront soit les théologiens, soit l’Église elle-même. Un fait assez curieux n’a pas été noté, c’est que ces erreurs se produisent toutes dans un même sens : l’exagération du désintéressement. Est-ce influence de la chevalerie, alors si brillante, et de la littérature chevaleresque ? Est-ce raffinement du mysticisme alors en honneur ? Quoi qu’il en soit, désormais, l’apologétique catholique devra défendre la forme intéressée de l’amour de Dieu, et la vertu d’espérance ; et cela continuera plus tard, avec le protestantisme, le jansénisme et le quiétisme. Donnons quelques exemples, tous datés du xiV siècle.

C’est d’abord maître Eckart, ce scolastique doublé d’un mystique, dont l’influence a été grande en Allemagne. Voir EcKART, on y trouvera, t. iv, col. 2062, sa 8 « proposition condamnée comme hérétique, où il veut qu’on renonce à tout intérêt, même à celui de la récompense céleste. Denzinger, n. 508 (435).

En Espagne, nous voyons l’archevêque de Tarragone condamner cette assertion de Béranger de Montfaucon, autour duquel commençait à se faire un mouvement de fidèles : « Tout le bien doit être fait par pur amour de Dieu, » et non dans un autre but, ni dans l’espérance de la récompense éternelle. Dans Eymeric, Directorium inquisilorum, Rome. 1585, p. 223. Nous omettons comme douteux ce qu "Eymeric dit dans le même sens sur Raymond Lulle.

En France, c’est le subtil et aventureux Durand de Saint-Pourçain. Sans nier la légitimité de l’amour de soi et de son intérêt, sans enlever cet amour à la vertu d’espérance, il compromet du moins dans celle-ci son caractère de vertu théologale, voir col. 645, en lui assignant pour objet immédiat non pas Dieu, la « béatitude objective » , mais seulement l’acte par lequel nous posséderons au ciel et nous goûterons Dieu, ce que les théologiens appellent la béatitude lornielle » . Et la première raison qu’il en donne est celle-ci : « L’espérance appartient à l’amour de convoitise, par lequel nous voulons un bien pour nous. Mais Dieu lui-même ne peut pas être l’objet prochain et imni édiat de notre amour de convoitise, car Dieu doit être aimé pour lui-même et d’un amour d’amitié. Cet objet (immédiat de l’espérance) sera donc quelque autre chose, et ne peut être que notre future béatitude » (en tant que distincte de Dieu). In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, q.ii, Paris, 1550, fol. 224. Cette assertion, que Dieu lui-même. ne peut être l’objet direct d’un amour de convoitise, les docteurs des âges suivants la rejetteront d’un commun accord. Capréolus, ce « prince des thomistes » , répondra à Durand, au début du xve siècle : « Dieu peut être aimé d’un double amour, l’un imparfait, qu’on nomme amour de convoitise, l’autre parfait, qu’on nomme amour d’amitié. Aucun des deux n’est péché, mais au contraire acte bon et licite. » /n IV Sent., 1. III, dist. XXVI, q. i, a. 3, Opéra, Tours, 1904, t. v, p. 343. Un siècle plus tard, (^ajctan réfutera de même l’argument de Durand : « Dieu, pris en lui-même, doit être aimé surtout d’un amour d’amitié, mais non pas de ce seul amour : car il peut être aimé aussi d’un amour de concupiscence. » In //^ "//’, q. xvir, a. 5 ; dans la grande édition de saint Thomas, Rome, 1895, t. viii, p. 130. Ainsi nous retrouvons, toujours maintenue dans l’Église, la solide position de la tradition antique sur les deux formes de l’amour de Dieu. C’est à peine si Denys le Chartreux, au xv<e siècle, s’en écarte par des expressions un peu fortes en faveur du désintéressement absolu ; pour lui, au fond, l’espérance théologale reste intéressée, sinon principalement, du moins secondairement, /e/icf(7 (in Deum) non principalitcr infuitu cornmodi. In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, Opéra, Tournai, 1904, t. XXIII, p. 454.

Depuis la Réforme jusqu’à la fin du XVIIe siècle : protestantisme et jansénisme.

1. Protestantisme.

Il semble que le protestantisme naissant aurait dû se renfermer, à l’égard de Dieu, dans un amour intéressé. Luther n’a-t-il pas réduit la foi justifiante, c’est-à-dire, pour lui, l’essentiel de la religion, à une joyeuse confiance du pardon de ses péchés, laquelle enferme toute la religion dans un cercle d’intérêt personnel ? Voir Luther. Et pourtant, soit souvenir de maître Eckart ou d’autres mystiques, soit manie d’attaquer les doctrines de l’Église, Luther rejette illogiquement les motifs intéressés. Il faut que le concile de Trente prenne contre lui la défense de l’attrition qui considère dans le péché « sa laideur et sa honte, et comment il fait perdre l’éternel bonheur et encourir la damnation éternelle. » Sess. xiv, can. 5, Dcnzinger, n. 915 (793). Il faut qu’on défende contre lui l’espérance du bonheur céleste et le souci des bonnes œuvres pour l’obtenir.

Si quel<iu’un dit que le

juste pèche, lorsqu’il fait

une bonne œuvre en vue

de rétcrnclle récompense,

qu’il soit anathème.

Si quis dixorit justifica tum peccarc, dum intuitu

a : tprnse mercedis bene opc ratur, anatlipmasit. Sess. VF,

can. 31, Den/.inger, n..Sll

(723) ; cf. can. 2ti.

Toutefois l’idée fondamentale de Luther et de Calvin était moins le triomphe du désintéressement absolu, que la négation de nos mérites en vue de relever le seul mérite du Christ. Parce que mérite et récompense sont des termes qui se correspondent, l’horreur qu’ils avaient pour le souci des « cuvres méritoires retombait sur le souci de la récompense. Au reste, leur triste campagne contre les mérites et les bonnes œuvres n’appartient pas à notre sujet. Voir MC ; niTF, . Cf. litudes du 5 mai 1911, p. 35 1 355.

2. Jansénisme. Nous n’entrerons pas dans l’encmble de ses doctrines. Voir Jansémisme. Sur l’amour intéressé pour Dieu, Jansénius reprend l’idée de Durand après une définition assez exacte des deux amours : Amor concupisccntiæ quidqiiid appetierit id ultimo appclit proptcr se tanquam finem cui ultimo lolum cedat : amor benevolentiæ seu caritatis quidquid appetierit, aut speraueril, ant adeptus jucrit, id totum quasi oblitus sui in hoc ipsum velul finem cui retorquet, quem ista benci’olentiæ caritate dilexerit, il ne veut pas que le premier de ces amours puisse s’adresser à Dieu : Concupiscentia, respcctu Dci, amor vitiosus est. Ce serait nous aimer nous-mêmes et non pas Dieu ; ce serait nous faire nous-mêmes fin dernière. Augustinus, t. ni. De gratia Christi, I. V, c. ix, Rouen, 1643, p. 222, 223. Jansénius, en cela différent des protestants, permet que nous tendions à la béatitude céleste, même considérée comme récompense ; mais toujours par le motif désintéressé, en la considérant comme un moyen suprême de glorifierDieu. « La vision de Dieu… ne doit pas être aimée par un chrétien d’une autre espèce d’amour ; et dans tous les ouvrages d’Augustin comme dans les saintes Écritures, il n’y a pas trace de cette idée qu’on doive désirer son salut en vertu d’un amour différent de la charité véritable. » Lac. cit., c. X, p. 224. Et Jansénius d’accumuler les proptcr Deum et les gratis anutrr, familiers à Augustin, pour exiger au nom du maître un seul amour de Dieu, celui qui est absolument désintéressé. Pauvre exégèse : car Augustin, par ces formules, entendait le plus souvent, nous l’avons vii, le demi-désintéressement qui se trouve dans l’amour de concupiscence à l’égard de Dieu. Voir col. 650.

Ainsi le jansénisme permettait de tendre à la béatitude, mais à condition que le motif intéressé (qui se présente naturellement alors) fût librement repoussé, ou du moins qu’il ne restât jamais seul, et fût toujours accompagné et dominé par le motif de la charité parfaite. L’Église a condamné cette doctrine.

10. Intontio.qua quisdeL’intention par laquelle testatur malum et proseon déteste un mal ou l’on quitur bonum mère ut cæcherche un bien seulement lestemobtineatgloriam, non pourobtenirla gloirecéleste, est recta ncc Deo plaçons. n’est ni droite ni agréable à Dieu.

13. Quisquis ctiam aeterQuiconque sert Dieu en na ; mercedis intuitu Deo favue d’une récompenscniênic mulatur, caritate si caruc- éternelle, s’il n’y joint pas rit, vitionon caret, quotics (le motif de) la charité, fait intuitu beatitudinis opeun acte vicieux, toutes les ratur. Denzingcr, n. l.’iOO fois qu’il agit en vue decette (11(>7 » , 1303, béatitude. Propositions jansénistes, condamnées par Alexandre VIII.

Quand il exigeait de tout chrétien un acte de charité en quelque sorte perpétuel et mêlé â tout, le jansénisme n’avait pas le sens de la réalité. Avec une intelligence faible comme la nôtre dans les choses spirituelles et divines, qui ne peut sans cesse penser â Dieu, et qui, lorsqu’elle pense à lui, le considère tantôt à un point de vue, tantôt â un autre, n’est-ce pas une nécessité que le chrétien, â certains moments, voie Dieu comme son bien personnel (car il l’est véritablement), et l’aime alors d’un amour intéressé, plus à la portée du commun des fidèles ? Et quel mal peut-il y avoir là, si d’ailleurs, à un autre moment de sa vie, il tâche d’aimer Dieu d’un amour désintéressé et plus parfait, qui finalement comidétera tout, et rapportera tout l’homme à la gloire de Dieu, comme au dernier mot de toutes choses ? Et peut-on raisonnablement exiger davantage ?

Mais, disent les jansénistes, celui qui obéit à la loi de Dieu uniquement jiar le motif de la récompense, celui-là, par ime cimséquenee nécessaire, n’obéirait pas, s’il n’y avait pas de récompense, ce qui est immoral. — liéponsr. — La conséquence n’est nullement rigoureuse. « Il n’obéirait pas. " Qu’eu savez-vous ? Il lui arriverait peut-être d’obéir pour un autre motif, aidé de la grâce ; il lui arriverait peut-être aussi de ne pas obéir, mais, même en ce cas, vous ne pouvez pas lui imputer ce qu’il ferait dans d’autres circonstances qui ne se réaliseront jamais. Les mérites et les démérites conditionnels qui seraient et qui ne sont pas, n’ont aucune valeur réelle, et ne peuvent changer en rien la moralité de quelqu’un ; déjà saint Augustin le remarque contre les semi pélagiens. Si l’on disait : « Dans l’hypothèse impossible où Dieu ne récompenserait pas le bien, je voudrais faire le mal, > ce souhait positif du mal, cette disposition d’âme serait immoral.’; mais vous avez tort de la supposere : i celui qui agit en vue de la récompense, et dont la pensée ne va pas plus loin.. Quand par hasord cette (luestion se poserait devant lui : « Que voudrais-tu faire dans cette hypothèse impossible ? » il n’est nullement obligé d’y répondre ; il alj droit de négliger un cas chimérique et de passer simplement à une autre occupation d’esprit. Theologia Wirceburgensis, Paris, 1852, t. IV, n. 260, p. 221.

L’amour de soi, auquel le jansénisme faisait une guerre exagérée, peut donner lieu à l’égoïsme et à bien des abus : mais en soi, il est nécessaire et légitime. Si le renoncement et le désintéressement nous sont nécessaires, ce n’est pas que le moi soit essentiellement mauvais et haïssable, c’est pour combattre ces abus, pour enlever les obstacles, pour obtenir une plus intime union avec Dieu. Voir col. 624. — Sur la répro bation de tout amour-propre dans les écrits ascétiques et mystiques, voir Charité, t. ii, col. 2224.

Enfin, l’objection la plus subtile est celle de Durand, reprise par Jansénius : aimer Dieu d’un amour intéressé pour nous-mêmes, est indigne de lui ; c’est le transformer en pur moyen et faire de nous-mêmes notre lin dernière. La réponse à cette objection avait été déjà donnée par Cajetan. L’espérance, par le fait qu’elle désire Dieu, non comme un bien quelconque, mais comme l’unique béatitude et le dernier terme de nos aspirations, le désire comme fin et non comme moyen. Je ne me constitue pas moi-même comme la fin de Dieu : je veux pour moi une fin vers laquelle il m’a lui-même orienté, et qui n’est autre que lui-même. Possum concupiscere mihi finem ullimum ubsquc derogalionc illius finis : quæ inlcrvenirel, si ipse finis ordinaretur in me… ut in finem. Aliud est ergo concupiscere hoc mihi : et aliud concupiscere hoc propler me. Loc. cit., p. 129. Saint François de Sales développe admirablement cette réponse, citons-en quelques lignes : « C’est chose bien diverse de dire : j’aime Dieu pour moi, et dire : j’aime Dieu pour l’amour de moi. Car quand je dis : j’aime Dieu pour moi, c’est comme si je disais : j’aime avoir Dieu, j’aime que Dieu soit à moi, qu’il soit mon souverain bien, qui est une sainte affection de l’Épouse céleste… Mais dire : j’aime Dieu pour l’amour de moi-même, c’est comme qui dirait : l’amour que je me porte est la fin pour laquelle j’aime Dieu, en sorte que l’amour de Dieu soit dépendant, subalterne et inférieur à l’amour-propre que nous avons envers nous-mêmes, qui est une impiété non pareille. » Et plus bas : « Nous nous aimons ensemblement avec Dieu par cet amour (d’espérance), mais non pas nous préférant ou égalant à lui en cet amour… Quand nous aimons Dieu comme notre souverain bien, nous l’aimons pour une qualité par laquelle nous ne le rapportons pas à nous, mais nous à lui…, il ne dépend pas de nous, mais nous de lui… Il exerce envers nous son aflluence de bonté, et nous pratiquons notre indigence et disette ; de sorte que, aimer Dieu en titre de souverain bien, c’est l’aimer en titre honorable et respectueux, par lequel nous l’avouons être notre perfection, notre repos et notre (in, en la jouissance de laquelle consiste notre bonheur. » Traité de l’amour de Dieu, I. II, c. xvii. Œuvres, Annecy, 1894, t. iv, p. 143. Et tandis que nous ne mettons pas en nous, mais en lui, la qualité de souverain bien ; tandis que nous avouons notre indigence, i_’vide de notre cœur et sa perfection infinie qui vient le combler, d’autre part nous ne l’exploitons pas, comme l’homme exploite l’homme, car il ne perd rien, il ne peut rien perdre en se communiquant à nous, au contraire cette communication lui est glorieuse. La gloire de Dieu résulte donc de l’amour intéressé lui-même, quoiqu’elle n’entre pas comme motif dans cet amour.

Une solution encore plus profonde de cette difficulté, et qui marque la dernière étape dans l’apologie de l’espérance, c’est celle que, peu après saint François de Sales, donnait un disciple de Lessius. Coninck, S. J. Vous objectez que, dans l’amour intéressé, je me prends moi même comme fin dernière. Mais non… Qu’est-ce que la fin dernière, au sens propre du mot ? C’est un bien dont on conçoit les qualités suréminentes, auquel on attribue la suprême excellence, pour s’y complaire comme dans le souverain bien ; vers lequel, en conséquence, on dirige tous les autres biens, comme choses inférieures et subordonnées. Pour que l’objection eût quelque valeur, il faudrait donc que le point de départ de mon amour intéressé fût la considération de la suprême excellence de ma personne, de mes qualités suréminentes, pour arriver à me complaire en moi comme en une sorte de divinité, et partant à m’apprécier plus que tout, plus que Dieu lui-même. Mais cette monstruosité n’a pas lieu dans l’espérance chrétienne ; et pour couper l’objection dans sa racine, il suffit de montrer que nous pouvons nous aimer, que nous avons coutume de nous aimer sans aucune considération de notre excellence et de nos qualités personnelles, et donc, a fortiori, sans les concevoir comme suréminentes ; et voici la preuve : » Nous aimons les autres, dit Coninck, et nous nous aimons nous-mêmes, mais d’une manière bien différente. Jamais nous n’aimons réellement les autres, sans avoir saisi en eux quelque qualité aimable, vraie ou apparente, qui nous les fait juger dignes d’être aimés. » Entre tant de milliers d’hommes, qui, vus dans l’abstrait, ont tous avec nous un même rapport, il faut bien une raison suffisante de l’amitié, scit pure, soit intéressée, que nous contractons avec quelques-uns : cette raison, ce sont certaines qualités perçues qui, dans cette immense indétermination, fixent notre choix. Et suivant que nous les jugeons, par leurs qualités, plus ou moins dignes d’amour, nous les aimons plus ou moins, l’expérience en fait foi. Mais quand il s’agit de nous-mêmes, nous sommes naturellement enclins à nous aimer ; aussi n’est-il pas besoin de constater en nous une qualité qui nous rende aimables à nous-mêmes : en dehors de toute semblable constatation, une impétuosité naturelle nous porte à nous aimer et à nous vouloir toute espèce de biens, par cela seul que c’est notre bien. » De moralitate, natura, etc., actnum supernaturalium, dist. XIX, n. 6 sq., Anvers, 1623, p. 365. Est-ce à dire que cette u impétuosité " est absolument aveugle, qu’aucune bonté perçue en nous, aucune ratio boni, ne meut alors notre volonté ? Ce serait contre la nature de cette faculté, qui n’est mue que par un bien. Coninck veut dire seulement que pour s’aimer on n’a pas besoin de saisir en soi des qualités particulières, une excellence spéciale : il suffit de concevoir vaguement cette bonté générale, par laquelle tout être est bon à lui-même, de même que tout être est lui-même et non pas un autre ; par là tombe l’objection de Théophile Raynaud contre cette théorie. Opéra Lyon, 1652, t. iii, p. 425. Et cette bonté générale se trouvera dans les êtres les plus disgraciés de la nature, les plus criminels, dans les damnés qui ne cessent pas de s’aimer. — De ces principes Coninck tire les conséquences suivantes. Quand, par un amour désintéressé, je souhaite un bien à un ami, le motif de mon acte, c"est la bonne qualité, la perfection que j’ai constatée en lui et qui est le fondement de cette amitié ; la preuve, c’est que je ne fais pas le même souhait pour d’autres, quoique je sache que ce bien leur serait tout aussi utile qu’à cet ami, ou même davantage ; et de même, le motif de mon amour désintéressé pour Dieu, ce sont les perfections divines, ce qu’on appelle la bonté absolue de Dieu. Quand je me désire un bien à moi-même, il n’y a pas d’autre perfection contemplée et aimée que celle de ce bien : c’est donc elle qui donne à l’acte son motif spécifique, et qui en détermine la valeur morale, suivant que ce bien est d’une bonté réelle ou apparente, qu’il est permis ou défendu, qu’il est suprême ou qu’il ne l’est pas ; quand je veux pour moi-même Dieu, souverain bien, il n’y a pas d’autre perfection contemplée et aimée que celle de Dieu, et le motif unique qui spécifie l’acte, c’est la bonté relative de Dieu, par laquelle il est ma béatitude et ma fin. Ainsi, pour des raisons différentes, la perfection divine se trouve être l’unique et immédiat motif des deux amours, de celui d’espérance comme de celui de charité, les deux vertus sont vraiment théologales ; et dans les deux nous nous subordonnons à la perfection divine, et nous l’apprécions par-dessus tout, quoique plus parfaitement dans la charité. Sur l’appréciation souveraine de Dieu dans les deux vertus, voir col. 624. Cette appréciation souveraine du finis qui n’a pas à souffrir de ce que, dans l’amour d’espérance, ma propre personne est l’unique finis ciii, ou de ce que cette sorte d’amour m’est plus facile que l’autre, plus fréquent, plus intense : ces avantages de l’amour intéressé ne tiennent pas à une haute idée que je me fais de mon excellence, mais à l’union plus étroite que j’ai avec moi-même. Unicuiqnc ad seipsum est iinitos, qitee est poiior unione ad aliiim, dit saint Thomas. Sum. theol., II » 11^, q. xxv, a. 4.

A peine cette belle théorie de Coninck eut-elle paru, qu’elle fut approuvée par Lugo et Ripalda, qui tous deux prétendirent l’avoir déjà enseignée. Lugo, De pœnitenlia, dist. III, n. 38 sq., Venise, 1718, p. 18 ; Ripalda, De virtutibus, dist. XXIII, sect. viii. Opéra, Paris, 1873, t. viii, p. 113. Elle fut suivie par Haunold, loc. cit., p. 426 ; Pallavicini, etc.

Fin du XVIIe siècle : le quiétisme de Molinos et le semiquiétisme de Fénelon.

Nous avons vu le jansénisme rejeter absolument l’amour de convoitise pour Dieu, propre à l’espérance, et exiger de tous les fidèles dans tous leurs actes l’amour désintéressé de la charité. Le quiétisme ne va pas si loin : c’est seulement aux âmes plus parfaites qu’il impose un continuel exercice du pur amour, c’est seulement chez elles qu’il regarde tout amour intéressé comme hors de saison. De ces âmes, Molinos élimine la pratique de l’espérance théologale, tout simplement ; Fénelon veut la garder, mais en " l’épurant » , position plus compliquée, qui l’amène à fausser la notion même de l’espérance chrétienne, et à attaquer ainsi malgré lui cette vertu, dont il voulait respecter l’usage chez les parfaits.

Nous n’entrerons pas dans l’histoire du quiétisme, ni dans la réfutation de celles de ses erreurs qui ne touchent pas directement à l’espérance, comme l’annihilation des facultés et la non-résistance aux tentations de la chair, dans Molinos ; une certaine direction des âmes éprouvées, dans Fénelon ; la méthode de contemplation dans l’un et dans l’autre. Voir QUiÉTisME, Molinos, Fénelon.

1. Molinos et l’espérance.

De ses 68 propositions. condamnées par Innocent XI en 1C87, deux se rapportent directement à notre sujet :

L’âme (dans la voie in térieure) ne doit penser ni

à la récompense, ni à la

punition, ni au paradis, ni

à l’enfer, ni à la mort, ni à

l’éternité.

Celui qui a donné à Dieu

son libre arbitre ne doit

avoir souci de rien, ni de

l’enfer ni du paradis ; il ne

dcit pas désirer sa propre

perfection, ni les ^ ertus, ni

sa propre sainteté, ni son

propre salut, dont il doit

purifier l’espérance (ou per dre l’espérance » . trad. de

Fénelon, t. ii, p. 233).

7. Non débet anima co gitare nec de prfemio, nec

de punitione, nec de para diso, nec de inferno, nec de

morte, nec de seternitate.

Denzinger, n. 1227 ll094).

12. Qui suuni liberum ar bitrium Deo donavit, de

nulla re débet ciiram ha bere, nec de interno nec de

paradiso ; nec débet deside rium habere proprise perfe ctionis nec virtutum nec

propriae sanctitati s nec pro pri » salutis, cujus spem

purgare débet. Denzinger,

n. 1232.

La 7* proposition a été appréciée ainsi par les théologiens qualificateurs : maie sonans, scandalosa et hæresint sapiens. « Les docteurs mêmes de la mystique, dit le cardinal Gennari, conseillent la méditation des fins dernières, même à ceux qui sont favorisés de dons surnaturels et qui sont parvenus à la plus haute contemplation : et cela pour qu’ils ne soient pas tentés d’orgueil, ou exposés au danger de tomber. «  Et il cite le chapitre xv de l’autobiographie de sainte Thérèse. Del falso mislicismo, 2e édit., Rome. 1907, p. 25. La 12 « proposition a été qualifiée ainsi : Hæresim sapiens, damnata in eoncilio Viennensi inler errores Begiiardonim, errore 6°, el in conc. Tridenlino, sess. VI, can. 26 el 31… Sur la proposition analogue des Béguards, prop. G, condamnée au concile de Vienne, voir Béguards, t. ii, col. 532. Quant aux canons du concile de Trente, sur l’erreur analogue des protestants, nous en avons parlé, col. 607-608.

On trouvera les raisons de rejeter la doctrine de Molinos dans la critique que nous ferons de celle de Fénelon.

2. Fénelon et l’espérance.

Plusieurs de ses 23 propositions, condamnées par Innocent XII, en 1699, se rapportent directement à notre sujet : nous les donnons dans le texte original français, Œnorcs de Fénelon, édit. Leroux Gaumc, t. iii, p. 106, ou Œuvres de Bossuct, édit. Lâchât, t. xx, p. 474. Pour le texte latin, voir Denzinger, n. 1327 (1193). Si l’on veut retrouver les propositions dans le livre même d’où elles sont extraites avec leur contexte, voir Explication des maximes des saints sur la vie intérieure, édition critique, par Albert Chérel, Paris, 1911 ; on trouvera, p. 87, 88, la liste des références.

1° proposition. Il y a un état habituel d’amour de Dieu, qui est une charité pure et sans aucun mélange du niotil de l’intérêt propre. Ni la crainte des cliâlinients, ni le désir des récompenses n’ont plus de part à cet amour… 2° prop. Dans l’état de la vie contemplative ou unitivc, on perd tout motif intéressé de crainte et d’espérance… 4^^ prop. Dans l’état de la sainte indifférence, l’âme n’a plus de désirs volontaires et délibérés pour son intérêt, excepté dans les occasions où clic ne coopère pas fidèlement à toute sa grâce (cꝟ. 5’prop.)… 6’prop. En cet état, on [ne veut plus le salut comme salut propre, comme délivrance éternelle, comme récompense de nos mérites, comme le plus grand de tous nos intérêts, mais on le veut, d’une volonté pleine, comme la gloire et le bon plaisir do Dieu, comme une chose qu’il veut, et qu’il veut que nous voulions pour lui… 11" prop. fin cet état (d’épreuve) une âme perd toute espérance pour son propre intérêt : mais elle ne perd jamais dans la partie supérieure, c’est-à-dire dans ses actes directs et intimes, l’espérance parfailequi est le désir désintéressé des promesses… 23* prop. Le pur amour fait lui seul toute la vie intérieure, et devient alors l’unique principe et l’unique motif de tous les actes délibérés et méritoires.

La controverse de Fénelon avec Rossuct avait porté d’abord sur la direction des âmes contenipl : itiv es ou éprouvées, et les articles d’Issy, auxquels aboutit la première phase de la discussion, roulent presque uniquement là-dessus, voir ces articles, signés par les deux adversaires, dans les œuvres de Bossuet, t. XVIII, p. 362, ou de Fénelon, t. ii, p. 226. Mais bientôt, le nouvel archevêque de Cambrai s’eflorce de reléguer au second plan ces questions de voies extraordinaires el de direction ; il voudrait concentrer le débat sur la question dogmatique de la charité, dont Bossuet lui semble fausser la notion. Voir Éludes du 20 mai 1911, p. 484 sq. Au moment où son livre est déféré à Rome, il voudrait tout réduire à deux points, que nous appellerons ses deux thèses fondamentales : » Je ne veux que deux choses qui composent ma doctrine. La première, c’est que la charité est un amour de Dieu pour lui-même, indépendamment du motif de la béatitude qu’on trouve en lui. La seconde est que dans la vie des âmes les plus parfaites, c’est la charité qui prévient toutes les autres vertus, qui les anime et qui en commande les actes pour les rapporter à sa fm, en sor’e que le juste de cet état exerce alors d’ordinaire l’espérance et toutes les autres vertus avec tout le désintéressement de la charité même qui en commande l’exercice. » Lettres de M. l’archevêque de Cambrai à un de ses amis, lettre i’*', Œuvres, t. ii, p. 283.

Pour aider à l’interprétation exacte, soit de la pensée de Fénelon sur l’espérance, soit de celle de l’Église qui l’a condamné, nous examinerons les points suivants.

a) Qu’entendait Fénelon par le « pur amour » ?

Cette expression, que nous trouvons ci-dessus dans la 23" proposition, est expliquée dans la l" : « Une charité pure et sans aucun mélange de l’intérêt propre. 1’Mais le « pur amour » peut se considérer, soit comme un acte passager, soit comme un état habituel. Comme acte, c’est un amour de Dieu où l’on oublie momentanément son propre intérêt ; et nous avons montré par divers textes, de Pères et de scolastiques, qu’un tel amour est très admissible. C’est en ce premier sens que Fénelon appelle sa doctrine sur l’acte de charité comme « amour pur et sans intérêt propre… un sentiment qui est devenu le plus commun dans toutes les écoles, » t. i, p. 29. Comme état, le « pur amour » , c’est le règne de la charité dans les âmes plus parfaites, entendu sans mélange d’actes intéressés, du moins délibérés. C’est le sens qu’a le « pur amour » dans la 23<= proposition ; c’est la seconde thèse fondamentale de Fénelon.

b) En quel sens l’Église a-t-elle condamné le « pur amour y et les propositions que nous avons citées ?

Elle n’a pas condamné le pur amour comme acte, mais seulement comme état ; des deux thèses fondamentales de Fénelon, les condamnations ne se réfèrent pas à la première, mais à la seconde. Peu après la décision de Rome, de graves théologiens le notaient déjà. Massouhé, O. P., un des quahficateurs du Saint-OfTice qui avaient le plus sévèrement jugé le livre de Fénelon, admet d’ailleurs le pur amour comme acte : « Les actes, dit-il, ont bien moins d’étendue que les habitudes, et ils peuvent se porter à un objet particulier (auquel on ne pourrait se porter habituellement). Ainsi il arrive quelquefois qu’une âme, ou dans son oraison ou dans un transport d’amour, ne regardant et n’aimant que la bonté de Dieu en elle-même, ne songe en ce moment ni à son intérêt, ni à sa béatitude, ni à la possession du souverain bien comme possession propre et qui doit la rendre heureuse. » Traité de l’amour de Dieu, 1703, part. 11% c. xiii, Bruxelles, 1866, p. 296. Antoine Mayr, S. J. : « Quelqu’un a semblé dire que la première proposition (de Fénelon) aurait été condamnée parce qu’elle établissait un amour de pure charité sans aucun mélange du motif de l’intérêt propre, sans aucun retour sur l’intérêt de celui qui aime. Non ; jamais n’a été réprouvé l’acte de très pur amour envers Dieu, si familier aux âmes saintes ; ce qui a été condamné, c’est seulement qu’il y ait un étal habituel et permanent, dans lequel l’âme pieuse élimine tous les actes qui visent son bien propre et, par suite, tous les actes d’espérance. ( ; ela ressort de la teneur même de la proposition et du témoignage des consulteurs de la cause. « Theol. sclwl., t. i. De rarilate, a. 2, Ingolstadt, 1732, p. 210. Cf. Virgile Scdlmayr, O..S. B., Rejlexio critica (sur le livre d’Amort), Salzbourg, 1749, p. 1-8. Mais plus important encore est le témoignage de Benoit XIV. Il s’agissait d’une cause de béatification et de l’examen des écrits d’un saint personnage ; on y avait trouvé, dans toute leur force, les formules du pur amour. Benoit XIV, alors cardinal et consulté sur l’affaire, nous résume ainsi la décision finale de la S. C. : « Attendu que le point litigieux entre l’archevêque de Cambrai et l’évêque de Meaux, qui a’été décidé ici par le pape Innocent XII, ne concerne pas l’acte d’amour, mais l’état habituel d’amour, comme il résulte clairement des termes mêmes de la proposition. .. ; attendu que dans l’ouvrage que nous examinons, au contraire, il n’est pas question d’état habituel, mais seulement d’acte d’amour ; il a plu à la S. Congrégation de répondre que la doctrine du serviteur de Dieu n’a rien de commun avec la doctrine condamnée de l’archevêque de Cambrai ; d’autant plus que le serviteur de Dieu, si l’on se réfère à tout le contexte de ses écrits, exprime souvent son espérance et son grand désir de jouir de Dieu. » Benoît XIV, De beatif.et canonizalione, 1. ii, c. xxxi, n. 10, Opéra, Prato, 1839, t. ii, p. 291.

c) En quoi la condamnation des propositions ci-dessus nous instruit-elle sur l’espérance théologale ?

Des termes mêmes et des explications que nous venons de citer, il résulte que l’Église réprouve un état de perfection d’où serait volontairement et définitivement exclu tout acte d’espérance, comme la condamnation de Molinos l’avait déjà montré ; sous aucun prétexte les âmes devenues plus parfaites ne peuvent ensuite se dispenser du précepte de l’espérance donné à tous les chrétiens. — 2° « Espérance » et « motif intéressé » vont ensemble (prop. 2<=, 6 « ). Et quand Fénelon, en cela différent de Molinos, veut garder l’exercice même fréquent de l’espérance théologale et le concilier avec son état de pur amour, en disant que i( l’espérance parfaite est le désir désintéressé des promesses, » l’Église n’accepte pas une pareille notion de l’espérance (prop. 11") ; son jugement ruine pour jamais la conception d’une espérance désintéressée comme la charité elle-même, et éclaire la distinction des deux vertus.

d) Quelle idée se faisait Fénelon de la vertu d’espérance ?

Il a été amené à en changer plusieurs fois, parce que, voulant chez les parfaits deux choses inconciliables, l’état de pur amour et le plein exercice de l’espérance théologale, il a successivement essayé quatre systèmes de conciliation, dont la réfutation jette un grand jour sur la nature et la nécessité de l’espérance, c’est pourquoi nous la donnons ici, d’autant plus qu’on ne la trouverait pas ailleurs.

1er système de conciliation entre l’espérance et le désintéressement des parfaits : deux espérances surnaturelles, l’une intéressée, l’autre désintéressée. Cette première idée de Fénelon est consignée dans un opuscule de lui, conservé à Saint-Sulpice et jusqu’à présent inédit. C’est une Explication des articles d’Issij, qui est comme une première esquisse du livre des Maximes des saints. A propos du l" article d’Issy, il dit : « J’avoue qu’on a de la peine à accorder J’espèrance avec le pur amour, si on n’a point d’autres idées de l’espérance que celle qui nous est donnée par saint Thomas, et après lui par la plupart des scolastiques. Ils veulent que l’espérance soit un désir d’obtenir pour soi, de la bonté de Dieu, uu bien difficile et douteux à acquérir. Comme ils disent qu’espérer, c’est désirer pour soi, ils attachent l’espérance à l’amour intéressé qu’ils appellent amour de concupiscence, et ils l’excluent du parfait amour, qui est le désintéressé, et auquel ils donnent le nom de charité ou d’amour d’amitié… J’aimerais mieux changer la définition de l’espérance, que saint Thomas n’a peut-être fondée que sur les idées philosophiques d’Aristote. Ne peut-on pas supposer qu’il y a deux espérances comme deux amours, et que l’espérance intéressée répondant à l’amour de concupiscence, l’espérance désintéressée répond à l’amour d’amitié. On pourrait même définir l’espérance désintéressée un désir des biens éternles en tant que difiîciles et douteux à acquérir, mais un désir excité par le seul bon plaisir de Dieu et pour sa pure gloire… Par là, on peut concilier, ce me semble, la charité pure avec l’espérance. Je puis attendre et désirer le royaume de Dieu, c’est-à-dire l’espérer, avec autant de désintéressement pour moi que pour un autre. Je le désire en moi, mais non pas pour moi. » Passage cité par M. l’abbé Paquier, Qu’est-ce que le quiélisme ? Paris, 1910, p. 101.

Inconvénients du 1er système.
a) Il attaque saint Thomas et les scolastiques. —
b) Il établit deux espérances théologales, l’une intéressée, l’autre désintéressée. Elles doivent différer spécifiquement, puisque d’après l’École, et plus encore d’après Fénelon, le motif désintéressé change la valeur morale de l’acte et élève son rang dans la hiérarchie des vertus. IVIais comment ce dualisme pourra-t-il s’accorder avec rficriture et la tradition, qui n’ont jamais reconnu qu’une seule espérance surnaturelle, et trois vertus théologales seulement ? —
c) La seconde espérance, la désintéressée, est inutile, puisque son acte est déjà produit par la vertu de charité. La charité, en effet, l)eut non seulement aimer Dieu, mais aussi le désirer.’oir col. 627. Désirer Dieu à cause de « son seul lion plaisir et pour sa pure gloire » , c’est le motif même de la charité. On ne peut donc comprendre que Dieu ait inutilement donné à l’homme deux vertus infuses, espérance et charité, pour faire l’ouvrage d’une seule, acc le même motif. —
d) De même que Dieu demande de tous les chrétiens, quel que soit leur développement intellectuel et leur science, la même espèce de foi, la foi simple des enfants, de même il fallait qu’il ordonnât à tous, quel quc fût leur état de piété et de perfection, la même espérance, l’espérance naïve des multitudes, qui surnaturalisc la tendance à notre bonheur. Ainsi le précepte est le même pour tous ; ainsi il n’y a pas « leux castes, les brahmes de l’intelligence ou de la I)iétc, et les parias ; mais un peuple de frères, où tous communient aux mêmes vertus surnaturelles, comme aux mêmes sacrements. Kt quand on considère le danger et les ravages de l’orgueil, on voit qu’il fallait cette égalité devant la loi de foi, d’espérance et d’amour, pour retenir les intellectuels et les mystiques dans une salutaire humilité.

2°système. — L’espérance théologale reste simplement intéressée, mais comme elle est renfermée émincmment dans l’acte de charité, celui-ci peut satisfaire, chezies parfaits. non seulement au précepte de la charité, mais en même temps au précepte de l’espérance. — Ce système est seulement insinué en passant, flans le document déjà cité, par Fénelon qui sentait lui-même les inconvénients du premier : - Il n’est pas question de disputer des mots, et je laisse volontiers ri’xole décider sur les termes. Mais enfin, ce désir (désintéressé) est ou une espérance formelle on quelque chose de plus parfait qui la renferme éminemment, et qui satisfait encore plus parfaitement au précepte que l’espérance intéressée. » Lac. cit., p. 104. Ce « quelque chose de plus parfait » que l’espérance formelle ne peut être que l’acte de charité, et de fait, plusieurs théologiens semblent dire parfois, comme Fénelon, que cet acte « renferme éminemment » celui d’espérance, c’est-à-dire qu’il en a toute la perfection sous une forme supérieure. Pourquoi donc ne pourrait-il pas se substituer à l’acte qu’il renferme éminemment, et par cette substitution accomplir très suffisamment le précepte de l’espérance’.' La charité n’est-elle pas la reine des vertus ?

Inconvénients du 2° système.
a) De ce que la charité est plus parfaite, il ne s’ensuit pas qu’elle puisse remplacer l’espérance, qui atteint la fin dernière à un autre point de vue, en tant qu’elle est notre bonheur. Notre orientation vers la fin dernière doit être complète, et aux deux points de vue différents, suivant cette formule de Trente : « Les justes…, avec ce motif principal que Dieu soit glorifié regardent aussi la récompense éternelle. » Sess. vi, c. 11, Denzinger, n. 804 (687). D’ailleurs l’espérance, parce qu’intéressée, nous est utile et nécessaire, et la charité toute seule ne peut répondre à cette nécessité ; quelle que soit sa perfection, elle ne renfoi-me donc pas en elle tout ce qu’il y a de bon et d’utile dans l’espérance. Et cette nécessité de l’amour intéressé s’étend même aux plus parfaits. Ne nous exagérons pas la perfection de cette vie : c’est une perfection enfantine, en comparaison de la vie future, qui sera pour nous la perfection virile et complète ; cette antithèse de’l’enfant et de l’homme nous est donnée par saint Paul. I Cor., xiii, 11. Les plus grands saints, ici-bas, commettent des fautes vénielles, c’est un dogme de notre foi ; à lire leurs vies, ils ont parfois des « sécheresses » où le motif de la gloire de Dieu parle faiblement à leur cœur, des tentations violentes et prolongées, où il leur faut, pour ne pas succomber aux choses de la terre, faire appel au motif intéressé de l’autre vie : au milieu du silence ou du murmure affaibli du pur amour, voila une voix vibrante, un secours nouveau, approprié à l’e.xtrême péril ; car il faut alors quelque chose qui nous prenne par les entrailles, par cet amour de nous-mêmes, si fortement enraciné en nous et que Dieu n’a pas dédaigné d’élever à l’ordre surnaturel par la vertu infuse d’espérance. Actes d’espérance, actes même de crainte, le concile de Trente, avec saint Paul, les demande aux âmes plus parfaites. Sess. vi, c. 13, Denzinger, n. 806 (089). On voit pourquoi Dieu a rendu général le précepte de l’espérance. —
b) La charité est la reine des vertus, mais la gloire d’une reine n’est pas de vivre solitaire, ni de régner dans le désert ; une reine demande un cortège et Dieu a donné à la charité, pour l’accompagner, les autres vertus théologales et morales ; à la charité de les diriger vers sa fin suprême, mais sans leur enlever toute individualité et toute autonomie. Si la charité devait agir seule dans l’état des plus parfaits, pourquoi ces autres vertus surnaturelles, infuses au baptême, que Dieu a destinées surtout à ces âmes plus saintes, et qu’il conserve et augmente en elles’? Xobilissimus omnium virtutum comitatus, quiv in animam cum yratia divinitus in~ funduntur. Catéchisme du concile de Trente, part. II, c. II. —
c) Enfin, Fénelon ne pouvait s’arrêter à une solution aussi radicale, puisqu’il avait signé le premier article d’Issy : « Tout chrétien, en tout état, quoi<|uc non en tout moment, est obligé de conserver l’exercice de la foi, de l’espérance et de la charité, et d’en produire des actes comme de trois vertus distinguées (distinctes). Œuvres, t. ii, p. 226. Aussi dut-il chercher quelque autre système ; les deux précédents, nous en avons la preuve, ont passé dans son esprit, mais il n’a pas osé les lancer dans le iniblic.

3° système. — La charité, chez les âmes plus parfaites commande l’acte d’espérance, et, par là même, le rend désintéressé, d’intéressé qu’il était en soi. — Ce système, plus modéré, au lieu d’attatiuer saint Thomas « t l’École, reconnaît avec eux que l’espérance est par elle-même intéressée et cherche à utiliser la théorie scolastique de Vimperium carilatis, comme aussi t s’autoriser du 13 « article d’Issy, où il était dit : « Dans la vie et dans l’oraison la plus parfaite, tous ces actes (des différentes vertus) sont unis dans la seule charité, en tant qu’elle anime toutes les vertus, et en commande l’exercice, selon ce que dit saint Paul. La charité soufïre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle soutient tout. I Cor., xiii, 7. » Cet article avait été ajouté au projet primitif sur la demande de Fénelon. Œuvres, t. ii, p. 226. Fénelon arbore ce système dans ses deux Lettres à un de ses amis, manifestes lancés au moment où son livre est déféré à Rome. Nous avons cité la première, voir col. 663. Dans la seconde, il donne comme point essentiel de sa doctrine « l’état habituel où toutes les vertus sont désintéressées, étant unies dans la seule charité qui les anime et les commande, » t. II, p. 285. Ce système est également introduit comme explication et correctif dans la seconde édition du livre des Maximes, préparée par Fénelon, mais restée inédite, et que vient de publier M. Chérel, Paris, 1911, p. 33, 126, 306.

Inconvénients du 3° système.
a) Comment l’acte d’espérance, qu’on reconnaît comme intéressé en soi, peut-il perdre cette propriété essentielle par le simple fait accidentel qu’un acte de charité l’a précédé et commandé ? De même que la charité ne perd pas son désintéressement essentiel, du seul fait qu’elle est commandée par l’espérance, par exemple, si un chrétien à l’article de la mort, sans prêtre, se commande à lui-même, par un désir intéressé de son salut, un acte de charité parfaite comme moyen de se réconcilier avec Dieu et se sauver, de même l’espérance ne perd pas de son caractère intéressé, du fait qu’elle est précédée et commandée par un acte de pur amour ; chacun des deux actes, gardant son motif djstinct, garde sa physionomie propre, d’autant plus qu’ils se complètent et ne se détruisent pas. —
b) Si vous supposez que, sous l’influence de la charité, l’acte devient désintéressé, ce n’est plus un acte d’espérance » comme vertu distincte » , et le l' article d’Issy n’est plus observé. Ce qui a trompé Fénelon, c’est que la charité avec son motif peut intervenir de deux façons très différentes dans le domaine d’une autre vertu, au témoignage de l’expérience. Dans le premier cas, elle ne conserve de l’autre vertu que l’objet matériel, et substitue son motif au motif propre de cette autre vertu : ainsi on peut payer ses dettes, non pour le motif propre de la justice auquel on ne pense même pas, mais uniquement pour faire plaisir à Dieu (motif de la charité) ; on peut désirer le ciel non pour le motif intéressé de l’espérance, mais uniquement pour ne plus ofïenser Dieu et lui rendre là-haut une plus grande gloire. Alors il ne reste plus qu’un acte de charité, car l’autre vertu ne peut réellement agir où n’intervient pas son motif spécifique et son motif ne peut intervenir où il n’est pas perçu : un motif ne peut nous mouvoir qu’à travers la connaissance que nous en avons. Dans le second cas, qui est Vimperium caritatis tel que le considèrent les scolastiques, il y a deux actes successifs et distincts, le premier de charité (actus imperans), le second d’espérance (actus imperatus), chacun avec son motif propre, donc le premier désintéressé, le second intéressé. On peut dire, il est vrai, dans les deux cas, que « la charité spécifie » l’acte de désirer, d’espérer ; dans le premier cas, c’estclair, iln’yaqu’un motif, qui est celui de la charité, et qui rend l’acte désintéressé ; dans le second cas, on peut dire encore que I la charité spécifie > en ce sens que l’acte d’espérance lui-même, outre son motif essentiel, est dirigé vers la gloire de Dieu par l’acte de charité qui le commande. C’est pour lui une nouvelle fin surajoutée, une fin extrinsèque, élément qui en morale contribue à la spécification de l’acte, tellement qu’un acte bon peut devenir mauvais par une fin surajoutée, ou, au contraire, acquérir une nouvelle et spéciale bonté. Il y a alors deux fins subordonnées, deux formes subordonnées si l’on compare les fins à des formes ; d’où l’on peut dire, avec saint Thomas, que l’acte est formellement un acte de charité, que la charité est la forme de toutes les vertus auxquelles elle donne la dernière fin. Sum. theoL, I^ IP-, q. xiii, a. 1 ; II’IP’, q. xxiii, a. 8. D’autre part, cette fin surajoutée à l’acte par la charité, n’est relativement à lui qu’une fin extrinsèque et accidentelle (finis ope rantis), sur laquelle la fin intrinsèque, le motif essentiel de l’acte, doit prévaloir comme spécification ; aussi l’acte reste-t-il avant tout un acte d’espérance, un acte intéressé ; commandé par la charité, il n’est pas transformé par elle en acte désintéressé, il n’est pas épuré » par elle ; Fénelon s’efforce en vain de conclure cela de ces textes, sous prétexte que, d’après saint Thomas, la charité donne à l’acte qu’elle commande, sa forme, son espèce, t. ii, p. 349. Mais la question est très complexe ; il n’est donc pas étonnant que Fénelon, confondant deux cas psychologiques qui ont une certaine analogie, ait pris du premier, le désintéressement absolu de l’acte, et du second, la conservation de l’acte d’espérance comme vertu distincte avec son motif propre, et qu’il ait voulu réunir en un seul et même cas deux propriétés qu’un acte ne peut posséder à la fois. En réalité, c’est dans le premier cas que Fénelon se place pratiquement, il ne laisse donc plus à l’acte le motif propre et intéressé de l’espérance. Mais il prétend le lui laisser, sous prétexte que c’est notre salut, notre bien que nous voulons alors, pour la seule gloire de Dieu. Ce sont, dit-il, « des actes de vraie espérance… Ils ont l’objet formel, qui est le bonum mihi : par là ils ont un motif qu’on peut en un sens nommer intéressé… C’est un vrai motif, et c’est dans un sens un motif d’intérêt propre, et même du plus grand de tous les intérêts, » t. II, p. 258. Il ne voit pas que notre salut, notre béatitude, n’est pas un motif, mais un objet matériel que nous pouvons désirer pour des motifs bien différents, et que lui-même ne désire plus que pour le motif désintéressé de la charité. L’évêque de Chartres lui en fait très bien la remarque : « Quoique le bonum mihi demeure comme objet, il n’y demeure pas comme motif, c’est-à-dire raison qui meut ; parce que, comme il est dit après, p. 45 (du livre des Maximes), on le veut par pure conformité à la volonté de Dieu, c’est-à-dire que la conformité à sa volonté est la seule raison qui meuve : « Je ne le veux pas par ce motif précis qu’il « est mon bien ; mais je le veux par pure conformité à la volonté de Dieu. » Loc. cit., p. 268. Voir Éludes du 20 juin 1911, p. 745-753.

4° système, dernière évolution des idées de Fénelon sur l’espérance : l’espérance intéressée, apanage du commun des fidèles, se compose en réalité d’un mélange de surnaturel et de naturel ; le naturel, c’est la tendance à « l’intérêt propre » ; purifiez l’espérance surnaturelle de cet élément étranger, vous l’aurez telle qu’elle est en elle-même, c’est-à-dire absolument désintéressée, ainsi chez les parfaits. On voit que cette nouvelle conception est opposée à la précédente, qui reconnaissait l’espérance surnaturelle comme intéressée en soi, avec l’École.

Une première ébauche du système, empruntée à une phrase de saint Bernard, donne à cet élément naturel le nom de cupidité soumise. « N’est il pas vrai, dit Fénelon, qu’on n’a jamais eu d’autre idée de l’intérêt propre, que celle d’une cupidité ou amour particulier de nous-mêmes, par lequel nous nous désirons le bien autrement qu’à notre prochain, en sorte que cet amour ne vient point du pur zèle pour la gloire de Dieu, mais qu’il est tout au plus soumis à l’ordre ? C’est ce que saint Bernard nomme cupidité soumise, ciipiditas qiiie a snpervenienle carilale ordinatur. «  Vingt questions proposées à M. de Mcaiix, n. 3, t. ii, p. 275 ; cf. n. 15-19. Cette « cupidité soumise » fournit aussi des corrections et additions à la seconde édition du livre des Maximes. Voir Chérel, op. cit., p. 35.

Mais bientôt, le système reçoit son plein développement dans l’Instruction pastorale de l’archevêque de Cambrai sur le livre intitulé : Explication des maximes des saints. Aussi, Bossuet l’appelle-t-il « le nouveau système de l’Instruction pastorale. » Le mot de « cupidité soumise » y est remplacé par l’expression plus claire d’« amour naturel de soi » . On entend par là un acte « délibéré » , tendant à 1’« intérêt propre , imparfait, quoique « innocent » et licite, « affection mercenaire > et « espérance naturelle » , mélangée aux actes surnaturels d’espérance, sans les altérer en eux-mêmes, mais non sans diminuer la perfection de la volonté. " Cet amour naturel dont je parle, est bon quand il est réglé par la droite raison et conforme à l’ordre. Il est néanmoins une imperfection dans les chrétiens, quoiqu’il soit réglé par l’ordre, ou pour mieux dire, c’est une moindre perfection, parce qu’elle demeure dans l’ordre naturel et inférieur au surnaturel. > Inslr. pastorale, n. 3, t. ii, p. 289. « Cette affection mercenaire, sans entrer ni influer positivement dans ces actes surnaturels, diminue la perfection de la volonté, " n. G. « Les justes mercenaires, dont parlent les Pères, ont deux espérances : la surnaturelle, sans laquelle ils ne seraient pas justes ; et la naturelle, qui les rend encore mercenaires, lorsqu’elle agit fréquemment en eux, au lieu qu’elle n’agit plus d’ordinaire dans les justes parfaits, que les Pères nomment les enfants, » n. 30, p. 304. Fénelon pensait ainsi tout concilier : d’une part, laisser au commun des fidèles le motif intéressé, puisqu’il est légitime et nécessaire pour les soutenir ; de l’autre, éliminer de chez les parfaits la tendance intéressée, élimination plus acceptable dès lors qu’il s’agit d’un acte libre, sur lequel la volonté a prise, et d’un acte naturel qui ne tombe pas sous le précepte divin de l’espérance surnaturelle.

Inconvénients du 4° système.
a) Par le fait qu’il enlève à l’espérance surnaturelle toute recherche de l’intérêt propre, même réglée et légitime, il attaque la notion commune de l’espérance théologale, telle que l’ont donnée saint Anselme, saint Bernard, saint Thomas, saint François de Sales et les théologiens, comme le montre, au long, Bossuet dans sa Préface sur l’instruction pastorale donnée à Cambrai, Œuvres, t. XIX. —
b) Par ce nouveau système, Fénelon se prive d’une explication et d’une atténuation qui lui avait souvent servi de réponse aux critiques. Je ne dispense pas les parfaits, disait-il, de tout acte d’espérance intéressée, je parle d’un état de pur amour qui soit « habituel, mais non variable » , qui admette des exceptions au désintéressement absolu, surtout dans certaines tentations où il est bon de recourir au motif intéressé de l’espérance et de la crainte. Fort bien, mais maintenant que l’acte intéressé est devenu purement naturel, qu’il n’accomplit pas le précepte de l’espérance et reste en dehors de tout mérite, pourquoi les parfaits s’y croiraient ils obligés, pourquoi ne chcrchcraicnt-ils pas à l’éliminer absolument, et à se fixer dans un état invariable de pur amour ?
c) Ce quatrième système ressemble au premier en ce qu’il admet deux espérances. Voir col. 665..Mais s’il évite certains inconvénients du premier, c’est pour tomber dans un pire, dans un rigorisme d’autant plus fâcheux qu’il atteint non seulement les parfaits, mais encore tous les fidèles. Tandis que le premier système admettait deux espérances surnaturelles et conduisant au salut, l’une désintéressée à l’usage des parfaits, l’autre intéressée à l’usage du commun des fidèles, qui pouvaient ainsi plus facilement accomplir le précepte divin et produire l’acte surnaturel d’espérance, nécessaire à la justification et au salut, le quatrième relègue l’espérance intéressée parmi les actes purement naturels, qui ne peuvent servir ni de mérite pour le juste, ni de disposition à la justification pour le pécheur. Il faudra donc que tous les pécheurs, au tribunal de la pénitence, quand ils voudront joindre à l’atlrition cette spes venise que demande le concile de Trente, passent par une espérance désintéressée qui leur est bien plus difficile et qui leur enlève ainsi le bénéfice de l’attrition. Voir Attritiox. Quant aux justes ordinaires, qui espèrent la béatitude dans leur propre intérêt et non pour la gloire de Dieu, comme il arrive parmi les chrétiens, ils n’auront, par un tel acte, aucun mérite pour le ciel. C’est restreindre beaucoup la possibilité du mérite et même du salut, pour le commun des fidèles. Un théologien a-t-il le droit de faire de telles restrictions en vertu de sa propre autorité ?

Ici, Fénelon tâche de renforcer son autorité par celle des Pères. Ce n’est pas qu’il puisse trouver expressément chez l’un d’eux son » amour naturel » ; mais il tâche de montrer qu’ils ont dû avoir cette idée. Le point de départ de son raisonnement, c’est la doctrine des grands docteurs cappadociens, suivie par d’autres Pères, il sur les esclaves, les mercenaires et les fils > Voir col. 649. Fénelon cherche à prouver que ces Pères ont voulu, comme lui, éliminer de la catégorie la plus parfaite (les « fils » ) cet « amour naturel » dont, par suite, ils admettent ailleurs l’existence. Et la preuve, c’est qu’ils n’ont pu vouloir éliminer autre chose. Citons un ou deux exemples de ce raisonnement vingt fois répété : ce qui est exclu par les Pères « comme une imperfection, ne peut venir de la grâce et du Saint-Esprit : donc il est naturel. » Inslruct. pastorcdc, n. 41, t. II. p. 313. C’est supposer faussement qu’il ne peut y avoir d’acte surnaturel imparfait, que la g race mpeut rien faire d’imparfait ; ce que Bossuet réfute ainsi : ’Si ce qui vient de la grâce n’a rien d’imparfait, donc la crainte de la peine n’est pas imparfaite, ou la grâce ne la fait pas. Si l’atlacliement qu’on exclut à litre d’imperfection n’est pas du Saint-Esprit, donc cette crainte, que l’on bannit quand on est parfait, I Joa., IV, 18, ne vient pas de son impulsion, contre la définition expresse du concile de Trente (voir col. 608) ; donc la grâce ne fait pas les commencements à cause qu’ils sont imparfaits, et il n’est plus de la foi qu’elle fait tout jusqu’à la première pensée… ; donc, tout ce qui se dissipe comme imparfait dans la perfection de la vie future, I Cor., xiii, 10, n’est pas de Dieu (surnaturellement) : la foi n’en est pas, non plus que l’espérance. On oublie jusqu’aux premiers principes de la théologie. » Préface sur /’(/ix/n/clion pastorale, n. 74, t. xix, p. 239. — Fénelon disait encore : En quoi consiste cette affection imparfaite et retranchée (par les Pères) ? Encore une fois, ce ne peut être l’espérance surnaturelle… Ce ne peut point aussi être la fréquence des actes d’espérance ; car le fréquent exercice d’une vertu théologale ne peut jamais être une imperfection… Ce qui est retranché ne peut donc être qu’un désir naturel, humain et délibéré de la béatitude, qu’une affection mercenaire ou intéressée, qui loin d’entrer dans l’acte d’espérance surnaturelle, et de lui être essentielle, ne fait au contraire qu’en diminuer la perfection dans une âme. » Iiislr. pastor., n. 23, t. ii, p. 301. Bossuet répond : « Le jréqiient exercice d’une vertu théologale, <[ui, de sa nature, est imparfaite, peut bien être une imperfection, en ce qu’elle occupe la place de la plus parfaite vertu, qui est la charité… Nous pourrions dire sans crainte que c’est une perfection d’exercer plutôt et plus souvent la charité que l’espérance, et que c’est une imperfection d’exercer plutôt et plus souvent l’espérance seule que la charité. » Loc. cit., n. 84, p. 248. Et c’est bien ainsi, par la prédominance de tel ou tel acte surnaturel dans la vie, que les Pères ont dû distinguer les « mercenaires » des « vrais fils » . Voir col. 650. La vertu infuse d’espérance étant plus imparfaite, on peut sans faire injure aux dons de Dieu restreindre son activité pour laisser dominer la charité, en attendant qu’au ciel la première disparaisse tout à fait devant la seconde. Ainsi, à l’image de la vie naturelle, la vie surnaturelle a son développement et sa variété dans les divers sujets, et une fonction d’ordre inférieur est relativement sacrifice parfois à une fonction d’ordre supérieur. — Fénelon objectera que la charité est une amitié avec Dieu, et que, d’après saint Thomas, l’amitié augmente plutôt l’espérance, de amicis maxime speramus. Sum. tlieot., 11^ II^’, q. xvir, a. 8 ; cf. Instruct. pastor., n. 3, p. 288. Mais saint Thomas ne peut vouloir dire que l’amitié, essentiellement désintéressée d’après lui (voir col. 623), multiplie entre amis les actes intéressés, parmi lesquels il range l’espérance dans cet article même que l’on objecte. Il veut dire seulement que, lorsqu’il nous arrive d’espérer d’un ami un service utile pour nous, nous l’espérons avec une bien plus grande confiance de lui que d’un autre, un ami ne refusant rien à son ami. C’est en ce sens que notre amitié envers Dieu, au dire du saint docteur, rend notre espérance en lui plus parfaite ; ce n’est pas qu’elle en rende nécessairement les actes plus fréquents.

Par cette analyse, on voit aussi que Fénelon, du moins sur la question de l’espérance, n’a pu arriver, malgré ses recherches théologiques en tout sens et son génie si fertile et si souple, à justifier son livre, ce qui est pour la condamnation romaine une éclatante justification.

XVIII siècle.

Si cette controverse célèbre, grâce au jugement qui l’a suivie, a mis en lumière, entre autres choses, la nature et la nécessité de l’espérance, elle a donné occasion, chez certains théologiens et pour un temps, à une réaction exagérée contre le quiétisme, ce qui les a amenés à sacrifier la charité à l’espérance, l’amour désintéressé à l’amour intéressé, conformément d’ailleurs à certaines idées philosophiques en vogue au xviiis siècle. Quelques-uns ont pris à tort la condamnation de Fénelon comme si elle impliquait la canonisation des idées de Bossuet sur la tendance perpétuelle au bonheur, et sur la recherche de son propre intérêt, fournissant à tout acte de charité un motif secondaire. Ainsi, en Allemagne, Eusèbe Amort conclut avec Bossuet : In omni vero actu caritatis includitur etiam amor concupiscentiæ. Dans Theologia eclectica, tr. De caritate, q. ii ; et dans Idea divini amoris, Batisbonne, 1739, p. 5. En France, le P. de Caussade, S. J., se croit obligé, par le goût du temps, à partir de la « doctrine de M. de Meaux » , et pour défendre l’amour désintéressé, passe par le système de Bossuet sur l’acte de charité. Instructions spirituelles en forme de dialogue sur les divers états d’oraison suivant la doctrine de M. de Meaux, Perpignan, 1741, p. 133-138. Cf. Brémond, Apologie pour Fénelon, p. 437-441, 450, 451.

D’autres vont plus loin que Bossuet, et réduisent simplement la charité à cet amour de convoitise qui caractérise l’espérance ; c’est détruire la distinction que nous avons mise avec saint Thomas entre les deux vertus, col. 624 sq. Ainsi, en Belgique, Henri de Saint-Ignace, dans un livre d’ailleurs mis à l’index : « Certainsmystiques, dit-il, et avec eux les quiétistesetbcaucoup de scolastiques, appellent amour d’espérance, l’amour de Dieu, considéré comme notre souverain bien, amour moins parfait (pensent-ils) que l’amour de Dieu, considéré en lui-même comme souverainement bon et parfait, et seul ce second amour est appelé par eux amour de charité. Ils mettent donc la perfection de l’amour en ce que Dieu soit aimé comme parfait en soi, sans retour sur nous-mêmes. Mais l’amour de Dieu comme notre bien, est un vrai amour de charité… Et il faut l’admettre, si l’on veut détruire radicalement le quiétisme et le semi-quiétisme. » Ethica amoris, Liège, 1709, t. ii, p. 216. Dans ce qui suit, il attaque saint François de Sales.

En Italie, Bolgeni, S. J., après la suppression de son ordre, reprend la même idée, sous l’influence de préoccupations anti-jansénistes ; il attaque la possibilité d’un acte désintéressé dans l’homme, et fait de la charité « un amour de concupiscence » . Delta carità, Rome, 1788, t. i, p. 3. Voir Charité, t. ii, col. 2220. En France, au même temps, le P. Grou, ancien jésuite, signale des interprétations exagérées de la condamnation de Fénelon. « Comme ce sujet, le plus relevé de toute la vie intérieure, a fait beaucoup de bruit vers le commencement de ce siècle, et que d’une condamnation très juste, beaucoup de gens ont pris occasion de se prévenir contre des choses entendues de peu de personnes, j’ai cru devoir m’en expliquer en peu de mots. » Maximes spirituelles, 23<^ maxime, Paris, 1789, p. 382. Cf. Études du 20 mai 1911, p. 489492.

Il serait curieux, d’autre part, de suivre le quiétisme se survivant au xviiiie siècle, dans des milieux qui échappent plus ou moins à l’influence de l’Église. M. Jules Lemaître le signale dans M"* de Warens et dans J.-J. Rousseau. Fénelon, 9 « conférence, 121e édit., p. 270. On le retrouverait alors dans certaines sectes méthodistes, où les livres de M"^ Guyon sont encore en honneur aujourd’hui.

XIXe siècle ; attaques du rationalisme et du kantisme contre l’espérance chrétienne et son caractère intéressé.

A la suite de Port-Royal et surtout de Kant, le rationalisme moderne a d’ordinaire proclamé, en morale, un désintéressement exagéré ; en France, ces idées ont été vulgarisées par l’enseignement universitaire. Un exemple : « La loi morale, dit Paul Janet, a ce caractère de demander à être accomplie par respect pour elle-même, et c’est là ce que l’on appelle le devoir. Toute autre raison d’accomphr la loi, hors celle-là, est une manière de violer la loi… On dira que sans récompenses et peines, la loi sera inefficace. Je réponds : elle sera ce qu’elle sera : mais si, pour la rendre efficace, vous en détruisez l’essence, vous la rendez bien plus inefficace car vous la rendez nulle. » Éléments de morale, rédigés conformément aux programmes officiels de 1882, Paris, 1882, p. 147. Depuis lors nous avons fait du chemin, l’impératif catégorique de Kant ne satisfait plus les esprits, on en est à chercher une morale pour les écoles, et on la cherchera longtemps. Mais l’objection reste : la morale chrétienne a pour but le plaisir et l’intérêt ; c’est une forme raffinée de l’épicurisme, c’est une morale d’usurier, c’est un marché avec Dieu, où l’on échange les actes de vertu contre bonne récompense. Dans cette objection, il y a, d’abord, ignorance de ce qu’enseigne réellement la doctrine catholique, ensuite, ignorance de la nature humaine.

1. On prête à la doctrine catholique ce qu’elle ne dit pas. —

a) La doctrine catholique ne soutient pas la morale du plaisir.

Au contraire, elle proclame l’immoralité d’un homme qui ferait du plaisir en général l’unique fin de son existence, lors même que parmi les plaisirs il choisirait le plus pur, celui qui naît de la possession de Dieu, d’autant plus que ce serait faire de Dieu un pur moyen. « L’âme qui n’aimerait Dieu que pour l’amour d’elle-même, élablissani la fin de l’amour qu’elle porte à Dieu en sa propre commodité, hélas ! elle commettrait un extrême sacrilège. » S. François de Sales, loc. cit. Si le bonheur (béatitude) est par les théologiens souvent appelé fin dernière, cela ne fait pas que le plaisir soit la fin dernière de l’homme, car le plaisir n’est pas toute la béatitude, ni son élément principal. La béatitude, que désire l’espérance chrétienne, se compose indivisiblement de Dieu lui-même ( « béatitude objective » ), et de la possession de Dieu ( « béatitude formelle » ) ou subjective. Et cette béatitude subjective elle-même ne peut se réduire au plaisir ; c’est avant tout le suprême développement de l’homme dans sa nature spirituelle, par la vision intuitive de Dieu, par la perfection de l’amour de Dieu, par l’heureuse impuissance de pécher désormais ; c’est, par manière de complément secondaire, le plaisir qui résulte de cet état et de ces opérations si parfaites ; car tout plaisir n’est pas mauvais ; d’un objet honnête résulte’in plaisir honnête. Alais le plaisir, même honnête, ii est pas ce que l’espérance chrétienne désiro., ar-dessus tout : de même que dans l’ordre naturel des choses le plaisir n’est qu’une conséquence de la perfection de l’action et de la perfection de l’agent, de même, dans notre désir de la l)éatitude formelle, nous désirons principalement la perfection surnaturelle de notre être et de ses opérations, et par voie de conséquence le plaisir qui en suivra. Nous désirons le plaisir avec le reste, mais nous ne faisons pas du plaisir le motif calculé de désirer le reste. Cf. S. Thomas, Sum. theol., P IP-, q. ii, a. 6 ; q. iv, a. 1, 2. Quant au sentiment de plaisir qui souvent accompagne et facilite nos actes, s’il n’entre pas dans un calcul, il n’altère pas le motif de l’acte libre.

b) La doctrine catholique ne soutient donc pas la morale de l’intérêt ou morale utilitaire, qui remplaçant la recherche plus spontanée du plaisir par un savant calcul des plaisirs et des peines, au fond ne diffère pas de la morale du plaisir, puisqu’elle le conserve comme fin dernière et ne fait que mieux calculer les moyens. Le but suprême de la vie poursuivi par l’utilitarisme, suivant la formule de Bentham, son chef, c’est « le maximum de plaisir avec le minimum de douleur ; » pour y arriver la vertu est recommandée, mais prise comme un pur moyen, et subordonnée ; ’» une fin indigne d’elle, d’autant plus que le plaisir cherché par les utilitaires n’est pas celui du ciel, mais celui de la terre. La théologie catholique, au contraire, sans compter qu’elle n’admet pas un plaisir quelconquc, ne fait pas de la vertu un pur moyen d’arriver au ciel et reconnaît qu’on peut l’aimer pour elle-même ; suivant le style des anciens, elle n’en fait pas seule ment un bien utile, mais un bien honnête. Quædam, dit saintThoinas eu parlant des vertus, appctuntur ci prnpter se, in quantum habent in scipsis nlir/uam rationem honitntis, eliamsi nihil alitid boni per ca nobis accidcret ; et tamen sunt appriihilia proptcr aliud in quantum srilicct perducunt nos in aliquod bonum perfectius… Et Itoc suffîrit ad rationem honcsti. Sum. theol., II’II’, q. cxLV, a. 1, ad l’"". Ainsi pour nous, autant quc pour les rationalistes et les kantlstes, le bien est bien indépendamment de toutes ses conséquences agréables ou désagréables. Une action n’est pas bonne uniquement parce qu’elle est récompensée, mais récompensée parce ciu’elle est bonne, c’est-à-dire honnête et vertueuse.

c) La doctrine catholique n’oblige pas à faire toutes ses actions en vue de la récompense céleste.

Nous l’avons déjà constaté pour l’acte de charité théologale où l’on s’oublie pour Dieu. Quant aux vertus morales, puisqu’elles sont aimables pour elles-mêmes, comme vient de nous le dire saint Thomas, la théologie catholique admet qu’on puisse agir souvent par amour de la vertu, du bien moral, sans porter plus loin son regard, sans songer à la récompense, que d’ailleurs on mérite très bien sans y penser. Je paie mes dettes par honnêteté, par probité, par respect des droite d’autrui, sans autre motif présent à ma pensée : c’est un acte de justice, qui est certainement bon devant Dieu, et peut même être le fruit d’une vertu surnaturelle. La doctrine catholique ne dit pas que dans tous nos actes libres nous devions considérer comme fin notre bonheur. Voir Éludes du 20 mai 1911, p. 486sq. Par là encore, l’eudémonisme, tel que l’entend l’Église, en laissant une place au désintéressement, diffère de la morale du plaisir et de l’intérêt.

2. On méconnaît la nature humaine.

La tendance au bonheur, bien qu’elle n’apparaisse pas dans tous nos actes, est pour l’humanité un ressort puissant, naturel et nécessaire : de là, l’inanité de tous les systèmes de morale qui ne font pas au bonheur sa part. Le kantisme, par exemple, nous impose l’impératif du devoir, tombé on ne sait d’où, peut-être simple préjugé subjectif, et commande des vertus pénibles, sans concilier ces sacrifices avec la tendance au bonheur que l’homme pourtant constate en lui et dont il aperçoit la légitimité. Sans cette conciliation, le devoir ne restera-t-il pas un pur problème ? Et les passions, qui ont hâte de s’en affranchir, ne s’autoriseront-elles pas de cette antinomie troublante du devoir et du bonheur ? L’impératif catégorique, demandant un impossible, un illégitime abandon du bonheur a-t-il vraiment force de loi ? Et ne devrait-on pas consulter les possibilités et les tendances de le nature humaine, quand on veut lui fabriquer une morale ? C’est ce qu’avoue Paul Janet lui-même, que nous citions tout à l’heure : < Il s’agit, en morale, de l’homme réel et non d’un lionune fictif et imaginaire. On ne peut inqioscr à un être une loi qui ne serait pas conforme à sa nature : ce qui doit cira doit avoir ime certaine proportion avec ce qui peut être. L’homme n’est ni ange ni bête, a dit Pascal ; et souvent qui veut faire l’ange fait la bêle. » Loc. cit., p. 7. Les anges de Kant ne volent que d’une aile ; lui-même en gémit, et va jusqu’à dire qu’il n’a peut-être pas existé une seule bonne action depuis le commencement du monde, bonne suivant la formule de son système.

Remarquons, en finissant, que ce système de Kant suppose nécessairement la réfutation de la morale du bonheur, de l’eudémonisme péripatéticien, et qu’il ne l’a pas réfutée au jugement d’un historien de la philosophie tel qu’lTebcrweg. (icschivhie, ", )’édit., p. 319. Voir Aug. Valensin et les auteurs qu’il cite, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, art. Criticisme kantien, col. 7."), 5.

L’Église catholique, elle, a proclamé au concile de Trente et dans la condamnation de Jansénius, ce grand principe : ’Dieu n’ordonne pas l’impossible. » Denzinger, n. 804 (686), 1002 (966). Et pour que la loi morale soit possible et pratique, elle tient compte de la tendance au bonheur, et rattache la béatitude future à l’observation de la loi. Si l’homme peut agir parfois par pur amour de la vertu sans motif ultérieur, il faut aussi qu’il pratique les vertus en vue de la récompense céleste. i ; t il n’y a rien en cela qui dégrade les actes de vertu. Qu’est-ce que la’vertu, ! a pratique du rlevoir ? C’est la réalisation bien imparfaite, bien passagère, de l’ordre moral en moi. Si j’aime vraiment cet ordre, je ne puis m’arrèler toujours à son ébauch.", je dois aspirer à sa réalisation plus parfaite. Or, la béatitude, telle que la pr()pose la doctrine catholique, c’est avant tout, ceninie nous le disions, la perfection morale de l’homme réalisée d’une manière suréminente, continue, éternelle ; c’est ce règne de la justice, dont parlait Kant lui-même. Subordonner les actes de vertu à la béatitude, c’est donc subordonner le moins au plus, la perfection commencée à la perfection accomplie, ce qui est dans l’ordre. Les partisans de l’immanence ne peuvent se plaindre de l’eudémonisme ainsi entendu : quoi de plus immanent, de moins étranger à l’homme, que le suprême développement de son être ? Les rationalistes qui fondent la vie morale de l’homme sur le respect de sa propre personne ne peuvent se plaindre d’une doctrine qui prend pour but de la vie la dignité de la personne humaine portée un jour au plus haut degré de son évolution. Ainsi la doctrine catholique contient en elle cette vérité dont quelques rayons brillent à travers les systèmes.


X. Nécessité de l’espérance.

Nécessité de moyen.

L’acte d’espérance est une disposition absolument nécessaire à la justification de l’adulte. Le concile de Trente exige l’« espérance du pardon » pour que le sacrement avec l’attrition puisse purifier le pécheur. Voir col. 608. La charité parfaite, qui peut justifier en dehors du sacrement, présuppose l’espérance comme disposition. Voir eol. C08.

Nécessité de précepte.

Le précepte divin de l’espérance ne nous oblige évidemment pas à faire à chaque instant des actes de cette vertu ; les préceptes positifs n’obligent pas pro seinper. La difficulté est donc de préciser cette obligation autant qu’on le peut.

1. Y a-t-il certains moments déterminés de la vie où l’obligation soit urgente ? Pour les trois vertus théologales ensemble, la théologie morale examine deux moments déterminés : début de la vie morale, article de la mort. Cette question ayant été déjà traitée à propos de la charité avec d’abondantes références, nous n’y reviendrons pas. Voir Charité, t. II, col. 2253 sq.

2. En dehors de ces deux époques extrêmes de la vie morale, le précepte divin de l’espérance oblige-t-il directement au moins quelquefois pendant la vie, et peut-on fixer un minimum ? La réponse est à peu près la même que pour l’acte de charité. Voir Charité, t. ii, col. 2255.

Toutefois, quand il s’agit de l’espérance, en la disant obligatoire on ne veut pas dire qu’il faille absolument en faire un acte explicite et formel. Il y a un acte parfait d’espérance théologale contenu au moins implicitement dans toute prière par laquelle nous demandons à Dieu avec confiance, pour nous et dans notre intérêt, la vie éternelle et le secours de la grâce pour y arriver ; et l’on sait que la prière, dont la confiance est une condition essentielle, est regardée elle-même par la doctrine catholique comme nécessaire et non moins obligatoire que l’espérance. Voir Prière. Il suffira donc d’accomplir le précepte de la prière pour satisfaire en même temps à celui de l’espérance.

I. L’espérance d’après la bible. — Voir P. Renard, art. Espérance, dans le Diclionnaire de la Bible de M. Vigoureux, t. ii, col. 1965 ; Kaulen, art. Iloffnim ! /, dans le Kirchenlexikon de Wetzer et Weltc, 2e édit., t. vi, p. 148 sq. — Ailleurs prolestanls : I. S. Banks, art. Ilope, dans le Diclionary of Ihe Bible de Hastings, t. ii, p. 413 ; C. Grierson, Bit. Hope, dans le Diclionanj of Christ and Ihe Gospels de Hastings, t. i, p. 747 ; Buchrucker, art. Hoffnung, dans la Realencyklopàdie fiXr protestantische Théologie de Herzog-Hauck, t. viH, p. 23.S ; Jean Monod, art. Espérance, dans l’Encyclopédie des sciences religieuses de Lichtenberger, t. IV, p. 537 sq.

II. Pères de l’Église. — Cités col. 607-608, 649-651. C.î. Suicer, Thésauruse Palribtis griecis…, ^’édit., Utrecht, 1746, art.’Et. ;  ;, t. i, col. 1094.

III. Théologiens.

Hugues de Saint-Victor ou un di->cipfe d’Ab^’-lard (voir Abélard, t. i, col. 53)..Suninia Sententiarum, tr. I, c. ii, P. L., t. CLXXVi, col. 43-14 Csoiirce du Lomhnrd) ; Pierre Lombard, .S’en/., 1. III, dist. XXVI, P. J.., t. cxcii, col. 811-812 ; S. Tliomas, Siim. theol., I" II’, q. XL ; II" II’, q. xvii-xxii ; Qusest. disp.. De viriutibus, q. IV, De spe ; S. Bonaventure, In IV Sent., 1. III, dist. XXVI, Quaracchi, 1887, t. iii, p. 553 sq. — Les autres commentateurs du Lombard sur le même endroit des Sentences, surtout Scot, Paris, 1894, t. xv, p. 320 sq. ; Durand de Saint-Pourçain, Capréolus, Uenys le Chartreux, col. 656-657. — Les commentateurs de la Somme de S. Thomas, surtout In II"- II’, q. xvii sq., particulièrement : chez les dominicains Cajctan, dans leur édition de saint Thomasen cours de publication, Rome, 1895, t. viii, p. 125 sq. ; Banez, In II’" II’, Douai, 1615, p. 307 sq. ;.Jean de Saint-Thomas, Billuart, voir col. 634. Chez les carmes : les Salmanticenses, Paris, 1879, t. xi, p. 440. Chez les docteurs dw Sorbonne : Ysambert, Grandin, voir col. 641. Chez les jésuites : Suarez, In II— II’, tr. De spe, Paris, 1858, t. xii, p. 597 sq. ; Tanner, Theol. scholast., Ingolstadt, 1627, t. liu p. 537 ; Goninck, Arriaga, Oviedo, voir col. 641 ; Ripalda, Pallavicini.Haunold, Platel, Viva et autres, voir col. 639 sq.

— Les commentateurs franciscains de Scot, surtout Lychetus et Poncius dans la nouvelle édit. de Scot, lac. cit., et plus tard Mastrius, Frassen, voir col. 641. — Théologiens plus récents : Perrone, De viriutibus fidei, spei et carilalis, part. II, Turin, 1867, p. 155 sq. ; Mazzella, De viriutibus infiisis, Rome, 1879, p. 6Il sq. ; Jules Didiot, Morale surnaturelle spéciale. Vertus théologales, c. ii, Paris et Lille, 1897, p. 279 sq. ; Lahousse, De virt. theologicis, disp. III. Bruges, 1900, p. 337 sq. ; Billot, L » e pir(. in/usis, Rome.. 1901, p. 345 sq. ; Schiffini, De virl. infusis, Fribourg-en-Brisgau, 1904, p. 349 sq. ; C. Pesch, Prælecliones dogmaiicæ, 3e édit., t. vjii, tr. III, Fribourg-en-Brisgau, 1910. p. 220 sq. Les auteurs de théologie morale, à la suite de S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, 1. II, tr. II, Rome, 1905, t. i, p. 313-314.

IV. Auteurs mystiques ou ascétiques.

S. François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, 1. II, c. xv-xvii. Œuvres. Annecy, 1894, t. iv, p. 136 sq. ; Philippe de la Sainte-Trinité, carme, Summa theologiee mysticse, part. I, tr. IL disc.III, a. 8-10 ; part. III, tr. II, dise. I, a. 2, Lyon, 1656. p. 101 sq., 372, 373 ; Massoulié, O. P., Traité de l’amour de Dieu (apologie de l’amour intéressé et de l’espérance contre le quiétisme et le semi-quiétisme, Bruxelles, 1886, surtout p. 91-176 ; Vincent Calatayud, de l’Oratoire de S.Philippe. Divus Thomas… tenebras, mysticam theologiam obscurare molientes, angelice dissipans, Valence, 1732, t. iv, surtout p. 78-92, 644-672 ; t. v, p. 163-174, 314-317 ; le cardinal Gennari, I>c/ falso /nis/icisnio (Molinos et Fénelon), 2e édit., Rome, 1907.

S. Harent.


ESPRIT-SAINT. Nous étudierons successivement :
1° sa divinité ;
2° sa procession du Père et du Fils.

I. ESPRIT-SAINT. SA DIVINITÉ.


I. D’après l’Écriture.
II. D’après les Pères.
III. D’après les conciles.
IV. D’après les théologiens.

I. D’après l’Ecriture.

Divers sens du mot « esprit » .

Le mot esprit, spiritus, pneuma, ruha, offre plusieurs sens que nous trouvons énumérés dans le Liber de definitionibus, classé parmi les œuvres apocryphes de saint Athanase, et dans le De fide orthodoxa de saint Jean Damascène. D’après le premier écrit, le mot pneuma peut s’entendre de l’âme, des anges, du vent, et aussi de l’intelligence humaine. P. G., t.xxviii, col. 536. D’après saint Jean Damascène, pneuma désigne d’abord le Saint-Esprit ; il indique aussi les puissances du Saint-Esprit, le bon ange, le démon, l’âme, l’intelligence, le vent, Vair. De fide orthodoxa, 1. I, c. XIII, P. G., t. xciv, col. 857-859.

L’auteur du Liber de definitionibus fait dériver le mot grec pneuma de pan neuma, toute sorte de mouvement, tout ce qui s’agite et se meut, P. G., t. xxviii, col. 536, et puisque la troisième personne de la sainte Trinité pousse la volonté de l’homme, sonde ses secrètes pensées, est la source des mouvements de la vie