Dictionnaire de théologie catholique/ESPRIT-SAINT. I. SA DIVINITÉ IV. D'après les théologiens

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 5.1 : ENCHANTEMENT - EUCHARISTIEp. 394-395).

IV. D’après les théologiens.

La preuve théologique de la divinité et de la personnalité du Saint-Esprit est intimement liée à la preuve théologique de la Trinité divine, et exige, au préalable, une étude sérieuse des processions et des relations divines. Nous ne pouvons donc que l’eflleurer, et nous nous bornons aux remarques suivantes :

La théologie naturelle ne donne aucune preuve, ni directe ni indirecte, ni immédiate ni médiate de la divinité et de la personnalité distincte du Saint-Esprit.

Les théologiens qui se sont flattés de déduire la subsistance du Saint-Esprit en Dieu par des raisons nécessaires (rationes necessariæ, probationes necessarise), cf. S. Anselme, Monologium, lxiv, P. L., t. CLViii, col. 213, n’ont abouti qu’à mettre en pleine lumière l’impuissance radicale de la raison à démontrer le mystère de la Trinité. L’assertion d’Abélard, que par le voj ; du monde Platon entendait le Saint-Esprit, est simplement fantaisiste. En effet, pour connaître la subsistance du Saint-Esprit en Dieu, nous devrions connaître les mystères de la vie intime de Dieu, nous devrions pénétrer l’essence divine, saisir l’infini dans sa réalité objective, mesurer l’immensité de Dieu avec notre intelligence créée. Cette hypothèse est absurde. La théologie naturelle enseigne que nous n’avons pas l’intuition immédiate de Dieu. Nous nous élevons à la connaissance naturelle de Dieu par les créatures. Mais les créatures révèlent Dieu en tant qu’il est le principe de l’ordre naturel ; elles révèlent les attributs qui appartiennent à l’essence divine ; elles révèlent Dieu en tant qu’il est créateur, immense, infini, tout-puissant, o Les hommes, dit saint Thomas, ne parviennent à la connaissance de Dieu que par la connaissance des créatures. Car les créatures conduisent à la connaissance de Dieu, comme l’effet conduit à la connaissance de la cause. Ce que la raison naturelle peut connaître de Dieu, c’est uniquement cequi lui appartient nécessairement, comme au principedes êtres, comme au créateur. Mais la puissance créatrice est commune à toute la Trinité. Elle appartient à l’unité de l’essence divine, et non à la pluralité des personnes. La raison naturelle peut donc seulement connaître en Dieu ce qui a rapport à l’unité de nature, et non ce qui a rapport à la distinction des personnes. » Sum. theoL, I", q. xxxii, a. 1. La raison ne nous montre donc pas Dieu comme principe de ses opérations ad intra. L’essence divine est impénétrable à nos regards. Ibid., 1% q. xii, a. 4 ; Franzelin, De Deo uno, Rome, 1876, p. 181-182. Si donc nous ne pouvons avoir la connaissance naturelle de la vie intime de Dieu, si le mystère de la Trinité touche aux profondeurs les plus intimes de l’être divin, nous devons affirmer que la théologie naturelle, laissée à ses propres forces, ne peut pas prouver la subsistance du Saint-Esprit en Dieu. « Personne ne connaît le Fils, si ce n’est le Père, et personne ne connaît le Père, si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils a voulu le révéler. » Matth., XI, 27. La connaissance des personnes divines ne nous est donnée que par la révélation. Voir Ruiz, Commentaria de Trinitate, disp. XLI, sect. ii, Lyon, 1625, p. 373. De myslerio Trinilatis, dit saint Jérôme, recta confessio est ignoratio scientiæ. In Is., xviii, P. L., t. XXIV, col. 627. Les anges et les hommes, déclare saint Cyrille, ignorent le mystère de la Trinité. Cal., VI, 6, P. G., t. XXXIII, col. 548. La compréhension de la Trinité, d’après saint Basile, dépasse la portée de toute nature intelligente créée. Adversus Eunomium, I, 14, P. G., t. XXIX, col. 544 ; Piccirelli, De Deo uno et trino, Naples, 1902, p. 1124-1139.

Après que la révélation a révélé le mystère de la Trinité, la raison peut expliquer en quelque manière comment la subsistance personnelle du Saint-Esprit en Dieu est nécessaire.

Elle peut l’expliquer uniquement par voie d’analogies et de comparaisons. « Le chrétien, dit saint Anselme, qui garde sans hésitation la foi, croyant ce qu’elle dit, l’aimant, la pratiquant, peut, avec humilité, chercher, la raison de ce qu’il croit. » De fide Trinilatis, 2, P. L., t. clviii, col. 263. « Pour construire une théorie de la Trinité, on est tenu de commencer par affirmer tout ce que l’Église enseigne. On doit, en outre, chercher dans la révélation même les données qui dirigent les concepts. Mais on reste libre de choisir parmi ces données ce qu’on veut admettre à la base de son œuvre, et d’adopter pour l’édifice telle forme de philosophie que l’on préférera. » De Régnon, op. cit., t. ii, p. 123.

Le principe dont il faut procéder par voie d’analogie pour démontrer qu’il y a, au point de vue naturel, des raisons de convenance qui portent à admettre en Dieu le Saint-Esprit comme troisième terme consubstantiel de la Trinité, est le principe de la fécondité de la vie divine. —

La théologie naturelle prouve que Dieu est vivant. Celui qui donne la vie aux êtres créés ne peut manquer d’une perfection qui découle de lui comme de sa source. Dieu n’est pas seulement vivant. Il est la vie même. S’il est la vie, cette vie doit être féconde, agissante. Cette fécondité divine se révèle dans les êtres créés, dans l’univers visible. Mais ces témoignages visibles de la vie divine ne suffisent pas à la perfection infinie de Dieu. Nous ne pouvons concevoir la vie divine comme bornée aux seules opérations ad extra, de même que nous ne saurions concevoir notre vie humaine réduite à l’exercice, au mouvement de nos membres. Il y a dans l’homme, qui est l’image de Dieu, une vie intérieure, la vie de l’intelligence et de la volonté, et des opérations immanentes qui découlent de ces deux puissances.

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Or, pourrions-nous ne pas admettre en Dieu cette vie intérieure qu’il a donnée à l’tiomme, ne pas admettre que l’essence divine est à la fois intelligence et volonté ? Et si Dieu est intelligence et volonté, ne sommes-nous pas forces d’admettre que cette intelaigence et cette volonté, qui s’identifient avec l’unique « essence divine, sont toujours en acte, c’est-à-dire ne passent jamais de la puissance à l’acte ?

Si Dieu est intelligence, cette intelligence divine connaît non seulement ce qui est hors de la vie intime <ie Dieu, mais aussi ce qui est en Dieu de toute éternité, c’est-à-dire Dieu se connaît lui-même. Si Dieu est volonté, cette volonté n’aime pas seulement les créatures où brille un rayon de la bonté infinie, mais aussi la bonté infinie de l’être divin, c’est-à-dire Dieu s’aime lui-même. Nous sommes donc amenés à penser que l’essence divine, sous des relations différentes, est à la fois le principe de l’intellection divine et le terme de cette intcllection ; de même, elle est le principe de Ja volition divine et le terme de cette volition ; nous pouvons donc conclure que toute l’évolution de la vie <livine repose sur ces deux actes : connaître et aimer.

Les deux termes de l’intellection et de la volition <livine ne diffèrent pas de l’essence divine. S’ils en difïcraicnt. Dieu ne serait plus l’être d’une simplicité absolue. Pour les produire. Dieu passerait de la puissance à l’acte, c’est-à-dire il ne serait plus l’acte très pur. « Aimer et comprendre en Dieu, dit saint Thomas, c’est Dieu lui-même. Dieu ne s’aime pas lui-même par quelque chose qui survient à son essence, mais selon son essence. Puisque donc il s’aime lui-même parce qu’il est en lui-même comme l’objet aimé <ians cchii qui aime. Dieu aimé n’est pas en Dieu aimant d’une manière accidentelle, comme les choses aimées sont en nous qui les aimons..Mais Dieu est en lui-même comme l’être aimé dans l’être aimant substantiellement. Le Saint-Esprit n’est donc pas un accident dans la nature divine : il subsiste dans l’essence divine comme le Père et le Fils. » Compendium iheologise, xlviii.

Mais la volonté ne peut rien aimer c(ui n’ait été auparavant conçu et connu par l’intelligence. Il s’ensuit que l’acte de l’intelligence a une priorité logique en Dieu sur l’acte de la volonté ; c’est-à-dire le terme de l’intelligence divine, que l’Écriture appelle le ^’erbe de Dieu, a une priorité logique surle terme de la volonté divine, que la même Écriture nomme le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est donc réellement le troisième dans l’ordre des relations divines. Et, puisqu’il y a une distinction entre les actes de vouloir et de connaître, parce qu’on ne peut dire que Dieu veut par son intelligence, ni qu’il connaît par sa volonté, les termes <le l’intelligence et de la volonté divine ne peuvent pas se confondre, le Saint-Esprit se distingue du Verbe ; l’Esprit et le Verbe à la fois se distinguent du principe de rintelleclion et de la volition divine. De Hégnon, op. cil., t. ii, j). 196-197. Cette théorie rallonnclle de la Trinité a été développée par saint.uguslin, saint Anselme et saint Thomas d’.Xquin. ICIle nous aide, sans doute, comme dit saint.ugustin. à voir par l’intelligence ce ((ue nous croyons : Dcsidcravi inlclieciu videre qiiod credidi. De Trinilulc, xv, 28,.51, P. L., t. XLii, col. 1098, mais elle n’ouvre pas le mystère à notre raison, ni ne montre pourquoi les termes des opérations ad inlra de la Trinité doivent être personnels. Si clone la révélation n’était pas venue dissiper la nuit (le notre intelligence, nous n’aurions jamais su que le Saint-Ivsprit subsiste en Dieu comme troisième personne divine.

Schcoben, In dogmatique, t. ii, p. r)2l-r>r>S ; Id., Die Mi%lerirn des Clirislentiimx, FribourK, 181)S, p. l’I-lIH ; Heinrirh, Duqmntisrhe Théologie, t. iv, p. 4.")4-.">.")8 ; l-’ranzclin. De Deo Irino, p. 235-411 ; de Hégnon, Éludes de tliéologie positive sur lasainte Trinité, 2° série (consacrée exclusivement à l’étude des théories scolastiques de la sainte Trinité) ; Piccirelli, De Deo uno et trino, p. 1120-1142, 12571262.