Dictionnaire de théologie catholique/INFAILLIBILITÉ DU PAPE

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 7.2 : IMPANATION - IRVINGIENSp. 194-234).

2. INFAILLIBILITÉ DU PAPE.
I. Indications générales.
II. Enseignement scripturaire.
III. Enseignement traditionnel.
IV. Conclusions doctrinales relatives à la nature, à l’objet et au mode d’exercice se l’infaillibilité pontificale, principalement d’après le décret du concile du Vatican.
V. Réponse à quelques objections.
VI. Deux questions complémentaires : l’obligation d’adhérer à l’enseignement pontifical non infaillible, et le privilège de l’exemption de l’hérésie attribué, par quelques théologiens, au pape considéré même comme personne privée.

I. Indication générales.

1° L’infaillibilité doctrinale de l’Église ayant déjà été définie à l’art. Église, t. iv, col. 2175, nous n’avons plus à définir ici l’infaillibilité pontificale, qui, d’après l’enseignement du concile du Vatican, n’est autre que l’infaillibilité du magistère de l’Église considéré d’une manière générale : Docemus et divinitus revelatum dogma esse definimus, Romanum pontificem, cum ex cathedra loquitur… ea infallibilitate pollere qua divinus Redemptor Ecclesiam suam in definienda doctrina de fide vel moribus instructam esse volnit. Scss. IV, c. iv.

Rappelons seulement que l’infaillibilité pontificale, comme l’infaillibilité de l’Église, n’est pas pour le pape une simple absence d’erreur, mais une préservation contre la possibilité même de l’erreur ; et que cette préservation est due à une action particulière de Dieu assistant le pape dans son enseignement public, pour que cet enseignement soit à jamais exempt d’erreur. Voir Assistance du S. Esprit, 1. 1, col. 2123-2127.

2° Notre tâche principale sera double : démontrer, par l’enseignement néo-testamentaire et par l’enseignement traditionnel, la divine institution du magistère infaillible du pape, puis expliquer l’objet et les conditions d’exercice de ce divin magistère. Pour ce dernier point nous serons autorisés à appliquer tout ce qui a été précédemment affirmé de l’objet et des conditions d’exercice du magistère ecclésiastique considéré d’une manière générale.

3° Comme complément de notre travail, nous examinerons la question de l’obligation d’adhérer à l’enseignement pontifical même non infaillible, soit qu’il s’agisse des cas où il peut y avoir incertitude relativement à la réalisation des conditions requises pour un enseignement infaillible, soit qu’il s’agisse manifestement de cas où il ne peut être question d’enseignement infaillible.

4° Nous devrons enfin traiter incidemment la question de la possibilité d’une défaillance de la foi, pour le pape considéré même comme personne privée, à cause d’allusions assez fréquentes que nous rencontrerons, à ce sujet, dans l’étude de la tradition catholique. Nous donnerons un aperçu historique de la controverse sur ce point, et nous indiquerons les conclusions qui paraissent devoir être admises.

II. Enseignement scripturaire sur l’infaillibilité pontificale.

Cet enseignement est particulièrement contenu dans Matth., xvi, 18 sq., et Luc, xxii, 32.

Texte de saint Matthieu.

Tu es Petrus et super hane petram ædificabo Ecclesiam meam et portas injeri non prævalebunt adversus eam, xvi, 18. Bien que l’étude spéciale de ce texte appartienne de droit à l’article Pape, nous la placerons ici tout entière pour ne point laisser comme en suspens et pour ne point fractionner une démonstration scripturaire si importante. Notre étude comprendra donc ces trois points :
1. démonstration de l’authenticité de ce texte contre ses adversaires actuels ;
2. enseignement contenu dans ce texte relativement à la primauté pontificale considérée d’une manière générale ;
3. enseignement relatif à l’infaillibilité pontificale.

1. Démonstration de l’authenticité de ce texte.

Cette authenticité est niée par beaucoup de critiques non catholiques, qui attribuent à des chrétiens du iie siècle la rédaction de ces paroles ainsi que leur insertion dans le texte du premier Évangile. C’est notamment ce qu’affirme A. Sabatier, Les religions d’autorité et la religion de l’esprit, 3e édit., Paris, 1004, p. 209 sq. ; A. Resch, Aussercanonische Parallellexte zu den Evangelion, Leipzig, 1895, p. 185-196). A. Harnack soutenait la même idée, en cherchant à s’appuyer sur deux citations de saint Éphrem que nous rencontrerons bientôt, Der Spruch über Petrus als den Felsen der Kirche, dans les Sitzungsberichle de l’Académie des sciences de Prusse, 1918, p. 637-651. La même position est prise par A. Loisy, Les Évangiles synoptiques, Ceffonds, 1808, t. ii, p. 13 sq.

Pour réfuter ces assertions, en ce qu’elles ont de particulier pour le texte de saint Matthieu, il suffira de montrer que les arguments sur lesquels on cherche à s’appuyer, manquent de valeur.

a) On affirme que les paroles précitées n’ont pu être dites par Jésus, parce que son enseignement, restreint à la seule prédication du royaume de Dieu, ne contient rien du concept de l’Église, tel qu’il se rencontre dans la rédaction actuelle de saint Matthieu et dans la tradition catliolique.

Réponse. — a. Nous indiquerons bientôt, en donnant l’exégèse du texte, quel est le sens de l’expression regnum cælorum dans l’enseignement du Nouveau Testament et particulièrement dans notre texte. De ces indications nous conclurons qu’ici le royaume de Dieu n’est autre que l’Église, avec son concept traditionnel, telle que Jésus-Christ l’a établie.

b. La démonstration de l’institution divine de l’Église, telle qu’elle a été précédemment établie, voir Église, t. iv, col. 2115 sq., nous autorise à conclure que les affirmations critiques que nous combattons sont dénuées de tout fondement. D’après cette démonstration, nous pouvons affirmer que l’enseignement de Notre-Seigneur sur l’Église, tel qu’il nous est garanti par le témoignage constant et universel de la tradition catholique, est substantiellement identique à celui que l’Église catholique a toujours enseigné. On doit toutefois se rappeler qu’il y a eu, au cours des siècles chrétiens, progrès accidentel dans le développement du dogme de l’Église, au sens expliqué à l’article Dogme, t. iv, col. 1641 sq. Nous avons montré à l’article Église, en étudiant les diverses questions particulières, et nous aurons encore l’occasion de montrer à l’article Pape, en quoi ce progrès a consisté.

c. On doit enfin observer que l’affirmation critique que nous combattons est une conception a priori, ayant pour unique fondement l’acceptation d’un postulat qui rejette toute la révélation chrétienne et tout dogme chrétien, ainsi que la divinité de Jésus-Christ. Avec ces idées préconçues, la révélation chrétienne, au lieu d’être l’enseignement donné par Notre-Seigneur à toute l’humanité et auquel est dû le parfait assentiment de la foi, n’est plus que la conscience acquise par l’homme de son rapport avec Dieu, et la foi elle-même, la perception consciente de ce rapport. C’est d’après toutes ces idées préconçues que l’on restreint la prédication de Jésus-Christ dans les trois premiers Évangiles à un avertissement à se préparer au jugement universel qui va s’accomplir et au royaume qui va venir. A. Loisy, Autour d’un petit livre. 2e édit., 1903, p. 69, 131 ; Les Évangiles synoptiques, t. ii, p. 8 sq. Nous n’avons pas à réfuter ici de telles assertions, parce que cette réfutation appartient plutôt à l’apologétique de la révélation chrétienne, qui précède logiquement celle de l’Église et qui est l’objet d’autres articles.

b) On affirme également que les paroles du Tu es Petrus n’ont pas pu être dites par Notre-Seigneur, parce que tout ce qui concerne la primauté attribuée à Pierre doit être rejeté comme invraisemblable.

Réponse. — a. Nous devons tout d’abord affirmer que l’institution de l’Église, telle qu’elle a été démontrée, 161l

INFA.1LLIBILITÉ DU PAPE

1642

est une question de fait dépendant uniquement de la volonté libre de Notre-Seigneur, non des conceptions de la critique, quelles que soient les prétentions qu’il lui plaise d'émettre à ce sujet. Comme l’indique Léon XIII au début de son encyclique Satis cognitum sur l’unité de l'Église, du 29 juin 1896, la question est uniquement de savoir comment Notre-Seigneur a voulu son Église : Ecdesia : quidem non solum orlus sed tota constiluiio ad rerum vohmlaie libéra cjjectarum perlinel genus ; quocirca ad id qiwd rêvera gesliim est, judicatio est omnis revocanda, exqiiirendiimqiie non sane quo pacto una esse Ecclesia queal^scd qiio unain esse is voluil qui condidii. Dès que cette volonté est manifestement prouvée, tous ont le devoir strict d’y donner un parfait assentiment. — 6. Les invraisemblances que l’on oppose à la conception catholique ne méritent aucune considération, parce que ce sont des affirmations a priai i, ne reposant sur aucune preuve, comme le montre particulièrement Ûttiger, Theologia fiwdamenlalis, Fribourg-en-Brisgau, 1911, t. ii, p. 105 sq., pour les invraisemblances indiquées par Holtzman, Lchrbuch dcr neulestamentl. Théologie, Fribourg, Leipzig, 1897, t. i, p. 211, et par Grill, Dcr Primat des Pelriis, Tubingue, 1904.

En particulier, on a affirmé que les paroles de .Jésus-Christ à saint Pierre sont invraisemblables, parce que, si elles avaient été vraiment prononcées, la prééminence de Pierre aurait été indiscutable et saint Paul n’aurait pu lui résister publiquement comme il le fit en réalité, d’après ce qu’il rapporte lui-même, Gal., ii, 14. L’argument est manifestement défectueux. Car il ne s’agit point ici d’une résistance à l’autorité de Pierre s’exerçant par quelque acte doctrinal ou par quelque commandement. Il s’agit seulement d’une munition charitable faite à Pierre, parce que, par condescendance pour quelques judéochrétiens venus de Jérusalem et par crainte de leur causer quelque malédification, il avait cessé de fréquenter les repas des chrétiens convertis de la gentililité, vraisemblablement les repas des agapes.

Les inconvénients de cette condescendance de Pierre étant devenus manifestes par suite de ce fait, que d’autres judéo-chrétiens, notamment Barnabe, avaient suivi son exemple, saint Paul crut nécessaire d’agir auprès de Pierre. La véritable nature de sa démarche ressort du récit lui-même. In facieni ei rcsiili, xaxà irpôawTrov auTto àvTÉaxïjv, signifie une contradiction publique, sans que s’y ajoute nécessairement l’idée de véhémence dans les procédés ou de manque de respect. Quia reprehensibilis cral, ôxi xaTEYvwCTfxévoç ^jv, exprime le fait que Pierre était blâmé ou digne de blâme, à cause des inconvénients résultant de sa manière de faire, sans que l’idée de péché commis soit aucunement suggérée. La simulation reprochée à Pierre, auvuTrexpîOvjaav aÙTcJ), simulaverunt cum illo, ne supjiose pas non plus nécessairement un péché, mais seulement que les observances légales étaient suivies sans qu’elles fussent considérées comme oliligatoires. Quod non recle ambularent ad veritatem evangelii, ôti oùx ôpOorcoSouaiv Tirpèç Trjv àX/j6eiav Toù eùaYyeXîou, ne marque point nécessairement une déviation du droit chemin de la vérité évangélique. Il y eut seulement un manque de prudence pratique, d’où résultèrent des inconvénients, constatés non dès le début, mais seulement après un peu de temps, selon l’expression de saint Paul cum vidissem. Quant à la phrase quomodo gentes cogis judaizare ? il est évident qu’elle doit s’entendre uniquement de la grande inlluence que Pierre exerçait par son exemple.

Il est donc manifeste que saint Paul, en faisant à Pierre cette monition charitable pour le bien des fidèles, n’allait aucunement contre l’autorité de Pierre

qui en fait ne s'était point exercée, ni par un enseignement doctrinal ni par un acte de commandement. On doit donc conclure que ce passage ne peut fournir aucun prétexte, si léger fût il, de nier l’authenticité du texte de saint Matthieu.

c) On doit encore ajouter que l’omission de cette parole dans saint Marc et dans saint Luc peut s’expliquer d’une manière très vraisemblable. Car nous savons que saint Marc, qui, dans son Évangile, rapporte la prédication de Pierre, omettait habituellement, comme le notait déjà EusèLe de Césarée, Dcmonstr. evang., iii, 121, P. G., t. xxii, col. 216 sq., tout ce qui est à la louange de Pierre. Nous savons aussi que saint Luc omet facilement ce qui a quelque analogie avec des paroles ou des faits rapportés par lui dans quelque autre endroit de son Évangile. Il ne paraît donc pas surprenant que, parlant si explicitement au c. xxii, 30, de la primauté de Pierre exprimée par les paroles Confirma jratres iiios, il n’en parle point ici. Knabenbauer, Commentar. in Evangel. seciwdiim Lucam, 2e édit., Paris, 1905, p. 313.

d) On assure que notre texte est ignoré par saint Ircnée, qui cite la confession de Pierre et la louange de Notre-Seigneur sans rien dire de la primauté promise à Pierre. Cont. hær., I. III, c. xviii, 4, P. G., t. vii, col. 934. Omission qui resterait certainement incompiéhensible si la promesse avait été, à cette époque, insérée dans le texte de saint Matthieu. — Béponse. — a. Il est vrai que le saint docteur cite seulement du passage de saint Matthieu, la confession de la divinité de Jésus-Christ très explicitement faite par saint Pierre et la louange non moins explicite donnée à Pierre par Notre-Seigneur, et qu’après cette double indication Irénée mentionne immédiatement le blâme donné à Pierre par Notre-Seigneur au verset 23 du même c. xvi, blâme motivé par le jugement trop humain de Pierre, qui voulait s’opposer à l’accomplissenjent de la passion et de la mort de Notre-Seigneur. — b. De cette omission de la promesse faite à saint Pierre, on ne peut conclure que cette promesse était ignorée de saint Irénée, car il est manifeste, d’après le contexte, que les parties citées du texte évangélique conviennent bien à la thèse défendue dans ce chapitre par le saint docteur, tandis que les paroles de la promesse n’avaient aucune raison d’y trouver place. En eflet, dans ce chapitre, l'évcque de Lyon prouve contre les gnostiques, qui voulaient voir dans Notre-Seigneur deux personnages, Jésuset le Christ, voir DocÈTES, t. iv, col. 1493 sq., que l’on ne doit point diviser Notre-Seigneur, et que c’est la même personne du Verbe qui est vraiment Fils de Dieu et qui s’est faite homme. A l’appui de cette assertion, plusieurs textes scripturaires viennent attester, en l’unique personne de Jésus-Christ, la possession des deux natures. Parmi ces textes Irénée cite, comme venant à son but, la confession de Pierre, Matth., XVI, 16, avec la louange du divin Maître, 17, comme attestant la divinité de Jésus-Christ, et l’annonce de la passion et de la crucifixion de Jésus, Matth., XVI, 21, comme attestant son humanité. Avec ce lien logique qui cadre si Lien avec la thèse d' Irénée, comment pourrait-on ne pas trouer naturel le passage d’un texte à l’autre, sans mention aucune de ce qui est contenu dans les ersets intermédiaires, et qui ne venait pas à la thèse ? Il n’y a donc aucune raison d’afiirmer que la primauté promise â Pierre et mentionnée par saint Matthieu dans les versets intermédiaires, était ignorée d' Irénée.

e) On objecte encore que le texte actuel, Matth., XVI, 18, ne devait pas être en entier dans les manuscrits lus parEusèbe de Césarée et par saint Épiphane. Car, dans plusieurs textes de ces deux auteurs, la parole de Notre-Seigneur est ainsi rapportée : Sur

la pierre je bâtirai mon Église et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. On cite d’Eusèbe de Césarce, De laudibns Conslantini, xai, P. G., t. xx, col. 1433 ; Præpar. evangel., i, 3, P. G., i. xxi, col. 35 ; Comment, in ps. XVII, 15 sq. ; LIX, 11 ; LXVII, 34 sq., P. G., t. xxiii, col. 173, 572, 720 ; Comment, in Is., xxNin, 16 ; xxxiii, 20 ; xlix, 16, P. G., t. xxiv, col. 292, 329, 437. On cite également de saint Épipliane ces trois passages, Hær., y.KX, 24 ; lvi, 3 ; lxx, 11, P. G., t. xli, col. 445, 993 ; t. xlii, col. 773. — Réponse. — a. Il est certain que le texte, dans son intégrité, est cité par ces deux auteurs dans plusieurs passages où ils eurent à parler de saint Pierre lui-même, comme on peut le constater dans deux textes très explicites d’Eusèbe de Césarée, Deresvrrectione, ii, P. G., t. xxiv, col. 1111 ; Demonstr. evang., ni, 5, P. G., t. xxii, col. 216 sq. ; et dans deux passages non moins formels de saint Épiphane, J’/œr., Lix.7, P. G., t. xli, col. 1029 ; A/icorof/fs.ix, P. G., t. XLiii, col. 33. — b. Quant aux passages cités où une partie seulement du texte scripturaire est reproduite, on constatera facilement, en lisant le contexte, que la citation intégrale de la plirase scripturaire n’entrait point dans le plan de ces auteurs, qui oulaient parler seulement, d’une manière générale, de la perpétuité de l’Église, comme dans presque tous les textes cités d’Eusèbe et dans saint Épiphane, //a ?r., XXX, 24, P. G., t. xli, col. 445, ou delà perpétuité de la foi chrétienne ou de la doctrine prêchée par Jésus-Christ. Eusèbe de Césarée, Comment, in ps. LXVII, 34 sq., P. G., t. xxiii, col. 720 ; S. Épiphane, Har., Lvi, 3 ; lxx, 11, P. G., t. xli, col. 993 ; t. xlii, col. 773. On conçoit dès lors qu’avec ce but déterminé, et très manifeste d’après le contexte, ces auteurs aient reproduit, dans ces passages, seulement la partie du texte scripturaire concernant immédiatement la perpétuité de l’Église ou celle de la foi chrétienne, en omettant pour le moment ce qui concernait particu1 ièrement saint Pierre, dont ils ont parlé explicitement ailleurs, mais dont rien ne suggérait ici une mention directe.

f) On objecte enfin qu’une traduction arménienne qui nous reste du commentaire de saint Éphrem sur le Diatessaron de Tatien donne, comme réponse de Notre-Seigneur à saint Pierre, ces seules paroles : Beatus es Simon. El portée injeri te non Vincent. Evangelii coneordantis exposilio facla a S. Ephrem, Venise, 1876, p. 153. Ce texte reproduisant, il y a tout lieu de le croire, le texte même de Tatien, on est autorisé à conclure que l’ouvrage de Tatien contenait les mêmes omissions ; conséquemment que, vers 170, à l’époque où il fut composé, les paroles omises par saint Éplirem ne se lisaient pas encore dans le récit évangélique. — Réponse. — a. On doit tout d’abord noter que, dans d’autres ouvrages certainement authentiques où saint Éphrem a eu l’occasion de parler directement de saint Pierre, il y a des allusions très évidentes à Matth., xvi, 18, qui montrent qu’à cette époque l’auteur lisait le même texte scripturaire que nous lisons aujourd’hui. Nous citerons comme très explicites les quatre passages suivants : Serm., iv, in hebdomad. sanctam, 1, Hijmni et sermones, édit. Lamy, Malines, 1882-1902, t. i, col. 412 ; Comment, in Is., LXii, 2, t. ii, col. 186 ; Ilijmni dispcrsi, ii, 7, 12, t. iv, col. 686, 088. Or, il est certain que saint Éphrem n’a pas connu les Évangiles séparés et n’a jamais cité que le Diatessaron de Tatien. J. Schiifer, Evangeliencitalc in Ephnims des Syrers Kommentar zu den Paulinischen Scluiften, Fribourg-en-Brisgau, 1917. Si donc il a cité les parties du texte de saint Matthieu, xvi, 17-19, qui manquent dans son Exposilio, c’est qu’il les trouvait dans le Diatessaron de Tatien. Ainsi le texte complet de ce passage se lisait dans l’ouvrage de Tatien et par suite nous pouvons conclure à son existence au

ii<e siècle et à son authenticité. Cf. J. Sickenberger, Eine neueDeulungder Primatstelle ( M ait., x vi, 18), dans Theologisehe Revue, 1920, col. 2-4. — b. Quant au passage cité de’Exposilio, il contient, outre les phrases indiquées, deux allusions très manifestes aux paroles Tu es Pelrus et super liane petram ; vdifîcaho Ecclesiam meam. Dans la phrase qui suit presque immédiatement la citation Beatus es Simon. El porUv injeri te non vinrent, Éphrem parle de l’Église bâtie par Notre-Seigneur sur un fondement solide : Dominas cum Ecclesiam suam œdificaret, œdificavil turrim cujus fundamenla omnia qux erant supera^di ficanda portare posscnt. Et un peu plus loin il s’adresse à Pierre en ces termes : Tu es petra, illa petra quam erexit, ut Salanas in cam ofjendcret. Lac. cit. — c. On sait d’ailleurs que le but de saint Éphrem, dans cette Exposilio, n’est point de rapporter intégralement tous les textes scripluraircs, mais seulement de donner un bref commentaire de l’Évangile considéré dans son ensemble, en harmonisant les récits des quatre évangélistes selon l’ordre de Tatien. Op. cil., préface du traducteur, viii.

g) Conclusion. — Puisque les arguments critiques par lesquels on a voulu combattre l’authenticité de la promesse de Notre-Seigneur, Matth., xvi, 18, n’ont aucun fondement, et que d’ailleurs ce texte, ainsi que nous le montrerons bientôt, a toujours été reconnu par la tradition catholique comme contenant l’enseignement de Notre-Seigneur, on peut, en toute sécurité, conclure à sa parfaite authenticité.

2. Enseignement contenu dans ce texte relativement Cl la primauté perpétuelle de Pierre, considérée d’une memière générale. — Les critiques non catholiques qui admettent l’authenticité du Tu es Pelrus se sont toujours efforcés de combattre l’interprétation donnée par les théologiens catholiques. Au xvi » siècle, l’on soutenait habituellement que le super hanc petram devait s’entendre de Notre-Seigneur, fondement unique auquel il n’est point permis d’en substituer un autre ; ou de la foi chrétienne symbolisée par la confession de Pierre. Calvin, Inslilution de la religion chrétienne, t. IV, c. vi, 6, Genève, 1561, p. 373 ; voir aussi les citations de Luther et des centuriateurs de Magdebourg faites par Bellarmin, De romano pontifice, t. I, c. X.

Ces positions ayant été depuis lors à peu près universellement reconnues comme intenables, ceux qui veulent maintenir l’authenticité du texte, ont recours à une autre int< rprélation. C’est vraiment à Pierre que Notre-Seigneur a adressé ces paroles. Mais par là il a seulement voulu lui conférer un privilège personnel et temporaire, celui de symboliser en quelque sorte l’unité de l’Église, bien qu’en réalité il fût, en tout, égal aux autres apôtres. Pierre exerça notamment ce privilège en prêchant le premier la foi aux juifs et aux gentils et en admettant le premier les gentils dans l’Église. Voir particulièrement Gore, Roman catholic daims, Londres, 1909, p. 83 sq. ; Hall, Authorily ecclesiaslical and biblical, New York, 1908, p. 161 sq. ; Haslings Dictionarg o/ llie Bible, Edimbourg, 1900, t. iii, col. 759.

Contre ces interprétations si opposées au texte évangélique nous avons à montrer que renseignement contenu dans le texte comprend ces deux assertions : Pierre est le seul bénéficiaire immédiat de la promesse de Notre-Seigneur ; l^ierre en vertu de cette promesse doit avoir, sur toute l’Église, une véritable et perpétuelle primauté de juridiction comportant la plénitude du pauvoir.

a) Pierre est le seul bénéficiaire immédiat de la promesse de Notrr-Seigneur. — Car c’est lui qui est sl’uI désigné par toutes les expressions qui peuvent le mettre en évidence. Il est désigné sous le nom qu’il 1C45

INFAILLIBILITE DU PAPE

le^G

a porté jusqu’alors, Simon, fils de Jean, et sous le nom nouveau que Xotre-SeiLineur lui donne eL qui indique sa ehar^e nouvelle, Céphas, Pierre, lit dans les phrases suivantes le pronom la, iibi, est répété plusieurs fois iive^- insistance connue pour écarler loute possibilité d’erreur.

(".'est encore ce que signifie l’expression super lutnc inirani. qui ne peut s’entendre que de la personne de Pierre établi comme fondement de l'Église, dépenilamuient de Notre-Seigneur. Car le pronom hanc, bien qu’il puisse parfois se rapporter à un suiistantif plus éloigné quand celui-ci est le sujet principal du discours, doit manifestement se rapporter ici à Simon Pierre, qui est l’objet principal de la pensée de XolreSeigneur.

D’ailleurs, dans la langue aramécnne, dont les juifs se servaient alors habituellement et dont NotreSeigneur dut aussi se servir, le même mot Céphas, signifiant rocher ou pierre, désigne à la fois la personne de Pierre et le rocher. D’où nécessité rigoureuse d’identifier les deux, bien que, selon l’usage des grecs et des latins, il y ait deux mots pour les désigner.

Cette désignation résulte encore de tout le contexte. Car la parole de Notre-Seigneur est une réponse manifeste à celle de Pierre, et ego dieo iibi. Comme tu as confessé ma divinité, que mon Père t’a révélée, je l'établirai, en récompense, le fondement ou le chef de l'Église.

D’ailleurs, on ne peut reconnaître aucune valeur aux arguments cités en faveur d’une interprétation excluant Pierre comme seul bénéficiaire de la promesse de Notre-Seigneur.

a. On ne peut s’appuyer sur ce que lous les ap Jlres, d’après deux passages de saint Matthieu, xviii, 18 ; xxviii, 30, ont revu les mêmes pouvoirs. Car dans ces deux passages il s’agit des apjtres unis à Pierre. Les p-juvoirs qui leur sont promis ou conférés ne le sont donc point de manière à détruire la promesse faite auparavant à Pierre. En d’autres termes, ces pouvoirs ne sont pjint promis ou donnés indépendamment île Pierre. C’est ce qu’enseignait déjà Innocent III dans une lettre au patriarche de (Jonstantinople : Qiwd si omnibus etium apuslolis simul diclninessc reperids, non tamen nliis sine ipso, sed ipsi sine <iliis (dliibutuni esse cognosees lignndi et suluendi n Domino /aeulUttem, ul quod non idii sine ipso, ipse sine ediis posset ex pririlegio sibi collulo u Domino et concessu pleniludine potestdiis. Epist., ccKiy., P. L., t. ccxiv. col.7tiO. C’est aussi ce que soutenait au concile du Vatican, dans la discussion conciliaire, le rapporteur de la commission de la foi, Mgr d’Avanzo. Collectio Lcicensis, t. vii, col. 320 sq. Ht c’est l’enseignement formel de Léon XI 11, dans l’encyclique Salis cognilum du 29 juin 1890 : Sane claves legni eœlorum uni ciedilas Petro ilem tigandi solnendique potestnlem aposlolis suis eum Petro collrdam sacræ litleru : testaniur, al uero summum potestatem sine Petro et contra Petrum unde aposloli ac.ceperinl nunquam esse testatam.

h. On ne p.?ut non plus s’appuyer sur aucun texte des Pères p nir soutenir que super iuuie petr(uu doit être interprété seulement de Notre-Seigneur à l’exclusion de r^ierre. Car, comme on le montrera à l’article Pape, les textes que l’on cite ne sont point opposés à l’interprétation traditionnelle d’ailleurs expressément afliiinée dans d’autres passages par ces mêmes Pères. En attendant cette démonstration il sufiira, pour le moment, de montrer ici, par l’analyse des principaux Pères cités en cette matière, quelle est kur véritable pensée. Nous citerons particulièrement saint.mbroise, saint.Jérôme et saint Augustin.

Saint Ambroise, expliquant Luc, ix, 20, où est simplement rapportée la confession de la divinité de Jésus par saint Pierre, remarque incidemment <|ue

Jésus, ayant donné presque lous ses noms à ses apôtres, a donné aussi son nom de peira (Pctra uutem erat Christus, I Cor., x, 4) à son disciple, ut et ipse sit Pclrus, quod de petra habeat soliditalem constunliæ, fidei firniitalem. Expos. Evang. sec. Lucam, t. VI, n. 97, 1 L., t. XV, col. 1694. Il est manifeste qu’il n’y a ici qu’une allusion au texte super hanc pctram et que la pensée de saint Ambroise doit plutôt être recherchée dans deux passages où, visant expressément ce même texte, il affirme formellement que Pierre est la pierre sur laquelle, en vertu de la promesse de Jésus, l'Église repose. De fide, t. IV, c. v, n. 22, P. L., t. xvi, col. G28 ; In ps. XL, n. 30, P. L., t. xiv, col. 1082. On peut voir aussi, dans le même sens, une allusion assez évidente dans De virginilate, c. xvi, n. 105, P. L., t. xvi, col. 292. On constate d’ailleurs aisément qu’en s’en tenant strictement au texte cité, l’appellation pelru est implicitement attribuée à Pierre par le fait que, selon l’expression d’Ambroise, Jésus donne à son di.sciple son nom de petra.

Un peu iilus tard que saint.mbroise, et sans qu’on puisse établir aucune dépendance de l’im à l’autre, saint Jérôme, en commentant le texte Ta es Pelrus, atlirme que Pierre a cru in pelram Cliristum ; mais il ajoute expressément que Jésus a donné à Simon le nom de Pierre et que, selon cette métaphore, Jésus lui dit avec vérité : adi/ieabo Ecclesiam mcam super le. Comment, in Evang. Mattlui’i, P. L., t. xxvi, col. 117. Jérôme affirme encore ailleurs que l'Église est bâtie st/pcr illam pelram, c’est-à-dire sur l’autorité de Pierre et de ses successeurs. Epist., xv, n. 2, P. L., t. xxir, col. 355.

Presque au même moment saint Augustin affirme aussi que Jésus, confessé parCéphas, est la pierre sur laquelle l'Église est construite. //iJoH.iïyn/ijL, ! r.CXX IV, c. XXI, P. L., t. XXXV, col. 1974 ; Serm., lxxvi, n. 1. P. L., t. xxxviii, col. 419. Mais il ne veut aucunement exclure Pierre comme fondement, puisque celui-ci est proclamé ailleurs la pierre sur laquelle l'Église est construite. Enarr. in ps. XXX, n. 5 ; XLIX, n. 4, P.L., t. XXXVI, col. 242, 8()9. D’ailleurs, dans ses lielmcluliones, le saint docteur, après avoir cité ces deux interprétations, données précédemment par lui, n’en réprouve aucune : Hariim cniteni duarum sententiarum qux' sit probdbilior, cligat lector. L. I, c. xxi, P. L., t. xxxii, col. 018. On observera aussi que l’unique argument app)rté par Augustin en faveur de l’interprétation super hanc pelram Christnm, que Jésus n’a pas dit /(/ es petra sed lu es Pelrus, manque de valeur, puisciuc, dans le langage araméen parlé par Jésus, le mot est le même.

Quant aux textes palristiques où super hanc pctram reçoit une interprétation morale dont l’application est faite à toute âme chrétienne, Origène, Comment, in Matth., t. xii, n. 10, P. G., t. xiii, col. 997 ; S. Ambroise, Expos. Evang. sec. Lucam, t. VI, n. 98, P. L., t XV, col. 1094, il est évident cjuc.par une telle application morale, on ne veut porter aucune atteinte à l’interprétation première et véritable, qui est explicitement recoiunie dans d’autres circonstances. Origène, In Exod., honni, v. n. 4, P. G., t. xii, col. 329 ; S. Ambroise, De fide, t. IV, c. v, n. 22, P. L., t. xvi, col. 028 ; De virginitate, c. x^^, n. 105, ibid.. col. 292 : In ps. Ai, n. 30, P. L., t. xiv, col. 1082.

c. On ne peut non plus objecter les textes de queltiues Pères inteiprétanl super hanc pctram de la confession de Pierre, (kir, comme nous le constaterons en étudiant la tradition du i'- et du.v--e siècle, à l’article Pape, ces passages où la confession de Pierre est, par une sorte d’application accommodatice, indiquée comme étant la pierre solide sur laquelle l'Église est bâtie, n’infirment aucunement les textes très formels où ces mêmes Pères entendent super hanc pctram de Pierre fondement de l’lglise.

l’our le moment, quelques incUcations sulliioiil relativement aux textes plus souvent cités de saint Ililaire, de saint Épiphanc et de saint Jean Clii ysostome.

Saint Hilairc de Poitiers († 306) affirme, dans deux passades du De Triniialr. que l’Église a été bâtie sur la foi de Pierre, VI, 36 : II, 23, P. L., t. x, col. 186 sq. ; 66. Mais dans ces passages, où la préoccupation principale du saint docteur est de soutenir contre les ariens la consubstantialité du Verbe, son but est surtout de faire ressortir la foi de Pierre en cette divine consubstantialité, comme le montrent l’insistance avec laquelle il commente les paroles de Pierre, Tu es Christus Filius Dei vivi, col. 180, et l’éloge qu’il donne à sa confession, col. 187. C’est ainsi que par une sorte d’application accommodatice, il appelle la foi de Pierre le fondement de l’Église. Cette foi a les clefs du royaume céleste ; ce qu’elle lie ou délie sur la terre sera lié ou délié dans les cieux, col. 187 sq.

Mais cette application accommodatice faite par Hilaire dans ces cas particuliers ne diminue en rien la valeur doctrinale des autres textes, plus nombreux et très explicites, où le saint docteur interprète super hanc pelram de Pierre lui-même comme chef de l’Église. Pierre a reçu les clefs du royaume des cieux ; sur Pierre a été bâtie l’Église, contre laquelle les portes de l’enfer ne prévaudront jamais ; ce que Pierre lie ou délie sur la terre reste lié ou délié au ciel. In ps. CXXXi, 4, P. L., t. IX, col. 130 ; Comment, in Matlh., x

, 7, col. 101 ; JDe Trinitate, Y, 20, P. L., t. x, col. 172. Voir Hilaire, t. vi, col. 2454.

De même on cite de saint Épiphane († 403) cette phrase, que, sur la pierre de la foi solide de Pierre, Jésus-Christ a établi son Église. Hær., lix, 7, P. G., t. XLi, col. 1029. Mais, tout en faisant ressortir, par ces expressions, la foi de Pierre qui a excellemment confessé le Fils de Dieu, et le vrai Fils de Dieu, comme l’indique l’expression Filius Dei vivi, Épipliane, dans le même passage, donne à Pierre le nom de pierre solide sur laquelle, comme sur un fondement, notre foi s’appuie. Et dans le paragraphe suivant il appelle encore Pierre le fondement très ferme de la maison de Dieu, Heer., lix, 8, col. 1029 ; et il entend en ce sens les paroles de Notre-Seigneur, Pascc oves meas. Joa., XXI, 15. Ailleurs, Épiphane dit encore que Pierre a été choisi par Notre-Scigneur pour être le chef de ses disciples. Hier., li, 17, col. 921.

On cite aussi un passage, d’ailleurs très bref, de saint Jean Chrysostome où super hanc pelram est entendu de la foi de la confession de Pierre. In Matlh., homil. Liv, 2, P. G., t. lviii, col. 534. Mais, par cette parole bien incidente, le saint docteur ne veut pas rejeter le sens littéral de Pierre fondement de l’Église, puisque dans la même phrase il aflirme que par là Notre-Seigneur a établi Pierro comme pasteur, et que dans plusieurs des phrases su vantes cette même idée des pouvoirs éminents conférés à Pierre est plusieurs fois répétée. La phrase incidente où super hanc pelram est ainsi commenté ne peut donc être qu’une application morale du texte évangélique, ayant pour but de faire ressortir, contre les ariens particulièrement visés dans ce passage, l’excellence de la foi en la consubstantialité du Verbe. D’ailleurs, Jean (Chrysostome, en plusieurs endroits, entend de Pierre fondement de l’Église, le texte de saint Matthieu, xvi, 18 : In.loa., homil. xix, /*. G., t. LIX, col. 122, où il interjjrète Joa., xxi, 15, dans le sens du pouvoir concédé par Notre-Seigneur à Pierre sur toute l’Église ; De saceidotio, ii, 1, P. G., t. xLViii, col. 631, où il entend aussi de Pierre seul les paroles rapportées par saint Luc, xxii, 31. Cf. In Acta apostolorum, homil. iii, P. G., t. lx, col. 36 sq. Nombreux aussi sont les textes où le saint docteur loue les hautes prérogatives de Pierre avec des expressions contenant des allusions évidentes à Matth., xvi, 18,

comme quand il appelle Pierre, la pierre infrangible, le rocher immuable. De cleemosyma, homil. iii, 4, P. G., t. xlix, col. 208 ; la colonne de l’Église, l’appui de la foi, le fondement de la confession de la foi. Ilomilia de decem milliuni talenlorum debilore, 3, P. G., t. li, col. 20. Voir aussi Ilomilia in illud : Hoc scilole quod in novissimis diebus, 4, P. G., t. lvi, col. 275 ; homil. iv, J7 ! 17/ijrf : Vidi Dominum, P. G., t. lvi, col. 123.

d. Enfin on ne peut opposer les textes où saint Augustin dit que Pierre, quand il reçut les clefs, représentait l’Église. Car Augustin explique lui-même pour deux de ces passages, en quel sens il entend cette assertion. Pierre représentait l’Église parce qu’il figurait les justes qui sont membres de l’Église, tandis qu’en la personne de Judas étaient figurés les méchants. In Joa. Evang.. tr. L, c. xii, P. L., t. xxxv, col. 1703. De même, Pierre est indiqué comme figurant allégoriquement la vie présente de l’Église, avec son activité, ses épreuves et ses souffrances, tandis que Jean est le symbole de la vie contemplative du ciel. Ibid., tr. CXXIV, 5, col. 1973 sq. On est donc autorisé à admettre aussi une interprétation allégorique pour le troisième texte, Epist., lui, 2, P. L., t. XXXIII, col. 190, où l’assertion est d’ailleurs purement incidente. Or n’est-il pas évident que de telles interprétations allégoriques ne peuvent priver de leur valeur doctrinale les passages où saint Augustin affirnie expressément la primauté conférée à Pierre par Notre-Seigneur. Contra epislolam Manichœi, iv, P. L., t. XLH, col. 175 ; De baptismo contra donatistas, t. II, c. I, n. 2. P. L., t. XLin, col. 127.

b) Pierre, seul bénéficiaire de la promesse de Notre-Seigneur, doit, en vertu de cette promesse, avoir sur toute l’Église une véritable primauté de juridiction comportant la plénitude de tout pouvoir dans l’Église, et cette primauté doit être perpétuelle. C’est ce qu’expriment les trois comparaisons dont Notre-Seigneur se sert pour exprimer le rôle de Pierre dans la société nouvelle que Notre-Seigneur veut établir : Pierre en sera le fondement ; Pierre en aura les clefs ; Pierre y aura le pou oir de lier ei de délier.

Mais avant d’indiqué le sens exprimé par ces trois comparaisons, il import de déterminer celui qui doit être donné à Ecclesiam meam. — a. Le mot Ecclesia, dans l’Ancien Testament, soit dans le grec des Septante, soit dans le grec original, signifie le plus souvent le peuple Israélite, peuple choisi de Dieu, appelé par lui à une vocation spéciale et particulièrement dirigé ou gouverné par lui. Deut., xxiii, 1, 3, 8 ; Il Esd., xiii, 3 ; Lament., i, 10 ; Ps. Lxxxviii, 6 ; cxlix, 1. Notre-Seigneur se sert de cette même expression pour désigner son peuple ou la société nouvelle qu’il veut fonder. Mais en y ajoutant meam, il nous avertit, qu’il s’agit d’un peuple nouveau ou d’une société nouvelle sur laquelle il a, comme rédempteur, des droits spéciaux. D’ailleurs nous savons, par l’ensemble des prophéties annonçant la révélation chrétienne, que l’alliance avec le peuple choisi devait prendre fin à l’avènement du Messie et faire place à une nouvelle alliance, étendue désormais à toute l’humanité et définitivement établie jusqu’à la consommation des siècles. Nous sommes encore avertis par le mot u’dificabo ciu’il s’agit d’une société nouvelle, encore à établir et dont Notre-Seigneur va lui-même déterminer la constitution.

b. C’est de cette société nouvelle que Pierre, selon la promesse de Notre-Seigneur, doit être le fondement, puisque c’est sur lui qu’elle doit être bâtie. Et comme cette société est un édifice moral, pclra ne peut avoir ici qu’un sens métaphorique. Comme la pierre, servant de fondement à un édifice, lui donne la solidité et la stabilité, selon Matth., vii, 24, en même temps que la cohésion et l’unité, ainsi Céphas procurera à l’Église

(le Jésus-Cliiist une perpétuelle solidité en même temps qu’une constante unité, de telle sorte que les puissances de l’enfer ne pourront jamais prévaloir contre elle. Et comme dans une société, ce qui donne la solidité et l’unité, c’est l’autorité, Céphas, pour accomplir son rôle de fondement dans la société nouvelle, devra donc y posséder l’autorité. Cette autorité il devra l’exercer au nom de Jésus et dépendamment de lui, puisque l'É.sîlise reste sienne et que Jésus est le fondement principal sur lequel elle repose. Mais cette autorité devra être elïective sur tous les membres de cette Église, puisque pour appartenir à Jésus et lui rester unis ils doivent s’appuyer sur Pierre et dépendre de lui. Cette autorité devra être perpétuelle et durer jusqu'à la consonnnation des siècles, puisque la société nouvelle doit avoir cette durée comme l’indiquent la parole absolue non prsevalebuni aduersus eain et cette autre ccce ego uobiscuni suni usque ad consununationem Sêeciili, Malth., xxviii, 20, et que cette société ne peut subsister sans son fondement, contre lequel tous les elTorts de l’ennemi seront toujours impuissants.

I)'ailleurs, les autres sens que l’on a voulu donner aux expressions Pierre fondement de l'Église, sont en opposition avec le texte lui-même. C’est ce que l’on doit dire de cette interprétation que Pierre est fondement seulement au même titre que les autres apôtres, appelés fondements, Eph., ii, 20, parce qu’ils ont été les premiers propagateurs de la doctrine de NotreScigneur. Car le rôle des apôtres, comme celui des prophètes, fut seulement un rôle temporaire, tandis que le rôle assigné à Pierre, d’après la volonté formelle de Notre-Seigneur, doit être un rôle permanent jusqu'à la consommation des siècles. Car c’est par le fondement de Pierre qu’une invincible solidité est asiurée à l'Église jusqu'à la fin des temps. Pour la même raison, on ne peut non plus admettre que Pierre soit appelé fondement de l'Église seulement à titre personnel et temporaire, en ce sens qu’il devait le premier prêcher l'Évangile aux juifâ et aux gentils, et que le premier aussi il devait admettre les gentils dans l'Église.

c. La primauté de Pierre est exprimée aussi par les clefs dn royaume des deux que Notre-Seigneur promet de donner à Pierre. Le royaume des cieux a presque exclusivement, dans le Nouveau Testament, le sens général de règne du Messie, prédit par les prophètes, attendu par les juifs, annoncé iiar le précurseur, prêché par Jésus et par ses apôtres et établi sur la terre par Jésus jusqu'à la fin des siècles. A cette acception fondamentale se rattachent, suivant le contexte, plusieurs acceptions particulières : la prédication évangélique de ce royaume annoncé, proposé à l’acceptation de tous, Matth., v, 20 ; vii, 21 ; xix, 14 ; xxi, 31, 43 ; XXV, 34 ; Marc, x, 14 sq. ; xv, 43 ; Luc, iv, 43 ; ix, 2, 60 ; xii, 31 sq. ; xvii, 17 ; xxiii, 51 ; Act., xxviii, 23 ;

I Cor., VI, 9 ; Rom., XIV, 17 ; le glorieux avènement de Jésus venant à la fin des temps pour exercer sur tous les hommes son jugement souverain, Matth., xvi, 28 ; Luc, XXI, 31 ; la gloire céleste comme terme final auquel conduit le régne de Jésus commencé sur la terre, Matth., v, 3, 10 ; viii, 11 ; xxv, 34 ; Act., xiv, 22 ;

II Thés., I, 5. Il faut ajouter une dernière acception que suggère précisément Matth., xvi, 19 : le royaume des cieux est le royaume du Christ établi sur la terre, jusqu'à la fin des siècles. Caria méta})hore du verset 19 étant la continuation de celle du verset 1 8, legnum cœlonim ne peut être que l'Église nouvelle que Jésus venait d’annoncer et sur laquelle Pierre est établi comme fondement. Et c’est d’elle aussi que les clefs sont confiées à Pierre. C’est d’ailleurs en toute vérité que l'Église dont Jésus est le divin architecte, est désignée sous le nom de royaume des cieux, puisqu’elle est

ici-bas l'ébauche du règne céleste. Ce nom convenait aussi pour signifier, à l’encontre des idées charnelles des juifs sur la domination terrestre du Messie, le caractère et le but surnaturel de la société nouvelle. C’est de cette société nouvelle ou de ce royaume nouveau que Pierre recevra les clefs. Expression évidemment métaphorique que l’on doit entendre d’après l’usage suivi dans toutes les langues et dans tous les pays et d’ailleurs consacré par le Nouveau Testament, Apoc, I, 18 ; XXI, 1, et auparavant par l’Ancien, Is., XXII, 22. D’après cet usage la remise des clefs d’une maison, d’un édifice ou des portes d’une ville signifie la remise de la propriété et du droit d’administration de cette maison, de cet édifice, ou la remise du pouvoir de régir ou de gouverner. Et comme aucune restriction n’est formulée dans la promesse faite par Notre-Seigneur, c’est donc le plein pouvoir de régir ou de gouverner la société nouvelle ou l'Église nouvelle, qui est promis à Pierre.

d. La primauté de juridiction promise à Pierre sur la société nouvelle est encore exprimée par la promesse du pouvoir de lier et de délier. C’est un fait bien connu qu’au temps de Notre-Seigneur, d’après l’usage communément reçu, surtout parmi les rabbins, l’expression correspondant à ligarc était employée pour signifier le jugement que l’on portait sur l'étendue de l’obligation de la loi dans tel cas donné. De même solvere signifiait la déclaration que la loi n’obligeait point ou n’obligeait que dans une telle mesure. Notre-Seigneur fait allusion à cet usage quand il reproche aux scribes et aux Pharisiens d’imposer aux autres de lourds et intolérables fardeaux, tandis qu’ils ne veulent point eux-mêmes les remuer avec leur doigt : Alligant enim onera gravia et importahilia et imponunt in humeros hominum : digilo autem siio nolunt ea novere. Matth., XXIII, 4.

Le même sens fondamental doit être donné Ici à ligarc et à solvere, mais avec une extension plus grande, à cause du pouvoir illimité promis à Pierre d’après le verset 18 et le commencement du verset 19.

C’est, en effet, un pouvoir illimité qui est promis à Pierre, comme l’indiquent les expressions si absolues employées par Notre-Seigneur : Qiwdcumque ligaveris super terram, donc la plénitude du pouvoir législatif, judiciaire et coercitif, ainsi que du pouvoir administratif dans toute l'Église.

Quodcumque solveris super terram signifie également la ]>lenitude du pouvoir de remettre ou de faire cesser tout lien, toute obligation, sentence ou pénalité dans toute l'Église et pour tous ses membres, de telle sorte toutefois que l’on maintienne le droit divin ou l’institution divine.

e. Cette primauté de juridiction est promise à Pierre ù perpétuité : c’est-à-dire à Pierre et à ses successeurs jusqu'à la consommation des siècles. Car le fondement sur lequel l'Église doit être bâtie et qui doit lui assurer une invincible solidité contre toutes les attaques de SCS ennemis, doit durer autant que l'Église. Or, d’après le contexte, l'Église doit durer jusqu'à la consommation des siècles, puisque les puissances de l’enfer, ports" infcri. c’est-à-dire les démons avec tous ceux qui composent leur cité infernale, et qui exerceront leur puissance contre elle, surtout par l’Iiérésie, ne la vaincront pas, ne la subjugueront pas ; leurs agressions répétées contre elle resteront finalement sans succès. C’est le sens de où xaTiax^aouaiv qui suppose une lutte, une agression violente restant finalement sans succès.

Quelques interprètes entendent ici portée infcri de la demeure des morts, d’après quelques textes de l’Ancien Testament, ls., xxxviii, 10 ; Job., xxxviii, 17 ; Ps. IX, 15 ; cvii, 18. Voir Enfer, t. v, col. 28 sq. Et ils donnent cette interprétation : la mort à l’empire de laquelle tout est soumis, ne vaincra jamais l'Église

qui sera donc toujours ferme et ininiortellc. Schauz, Apologie des Cliristciitums, 3<" édit., Fribourg, 190(i, p. 494 ; Prosper Schepeus, L’aullicnticite de saint Matthieu, XVI, IS, dans les Reclwrclws de science religieuse, seplembre-uovenibrc, 1920, p. 271 sq. Lu perpétuité de l'Église et conséquemment la primauté de Pierre est ainsi maintenue. Mais le sens de où xaTio}(ùaouaiv supposant l’idée d’agression ou de lutte n’est point sauvegardé.

c) Toute cette interprétation est confirmée par la tradition catholique constante et par l’enseignement <le l'Église. Cette tradition sera exposée en détail à l’article Pape. Pour le moment nous nous bornerons à mentionner les Pères ou auteurs ecclésiastiques du ui « , du iv « et du commencement du ve siècle, qui citent ou au moins qui indiijuent cette interprétation du texte de saint ^Matthieu. Et nous y ajouterons à partir du milieu du ve siècle les princijjales déclarations doctrinales du saint-siège ou des conciles sur ce point.

Au ni<e siècle, TertuUicn, Pncscripl., xxii, P. L., t. ii, col. 34 ; Adversus guosticos scurpiace, x, col. 142 ; S. Cyprien, De catholica Ecclesiæ unilate, iv, édit. Hartel, Vienne, 1868, t. i, p. 212 ; Epist., lxix, 8 ; Lxxi, 3, P. L., t. IV, col. 406, 4.0 ; EpisL, lxxiii, ud Jubaianuni, 7, 11, P. L., t. iii, col. 1114, 1116 ; Origène. In Exod., liomil. v, 4, P. G., t. xii, col. 329 ; / ; i Joa., tom. V, 3, P. G., t. xiv, col. 188.

Au iv-e siècle, Aphraate de Syrie (f vers 356), Demonstr., vii, 15, dans Grallin, Pulrologia si/riaca, 1. 1, p. 335 ; Denionslr., xxii, 12, t. ii, p. 35 ; S. Éphrem, aux endroits cités précédemment, ainsi qu’Eusèbe de Césarée et S. Épiphane ; S. Hilaire (j 366), De Tiinitate, t. VI, c. xx, xxxvii, P. L., t. x, coJ. 172, 188 ; Comment, in Malth., c. xvi, 7, P. L., t. ix, col. 1011), In ps. CXXI, 4 ; CXUI, 8, col. 730, 836 ; S. Basile († 379) ; Adversus Eunomiam, t. II, 4, P. G., t. xxix, col. 580 ; S. Grégoire de N’azianze († 390), Oral., xxxii, 18, P. G., t. xxxvi, col. 193 ; S. Grégoire de Nysse, Oral., ii, de S. Stephano, P. G., t. xlvi, col. 734 ; S. Jean Clirysostome(t407), /n Matlh., liomil. liv, 2, P. G., t. lviii, col. 534 ; S. Astérius († 410), Homil. in SS. Petruni cl Paulum, P. G., t. xl, col. 268 ; Marins Victorinus(† 370), In Episl. PauUad Galutus, t. I, P. L., t. viii, col. 1155 ; S. Zenon de Vérone († 380), Tractatus, t. I, tr. XIII, 8 ; 1. H, tr. XIII, P. L., t. XI, col. 351, 430 ; S. Ambroise († 397), De fide, t. IV, 50, P. L., t. xvi, col. 628 ; Expos. Euang. sec. Lucam, t. IV, 10 ; t. VI, 97, col. 1633, 1694 ; In ps. XL, 30, /'. L., t. XIV, col. 1802 ; S. Gaudentius de Brescia († 410), Serm., xx, de Pelro et Paulo, P. L., t. XX, col. 995 ; S. Jérôme († 420), EpisL, xv, 2, P. L.. i. XXII, col. 355 ; Comment, in Euang. Matthxi, t. III, 16, P. L., t. XXVI, col. 424.

Dans la première moitié du ve siècle, S. Augustin .(† 430), Enarr. in ps. XXX, 5 ; J.xix, 4 ; ciii, 2, P. L., t. XXXVI, col. 242, 869 1359 ; S. Nil († 430), EpisL, i. II, epist. ccLxi, P. G., t. Lxxix, col. 333 ; S. Cyrille d’Alexandrie († 444), In Is., t. III, c. iii, P. G., t. lxx, col. 729 ; Comment, in Muttli., xvi, 18, P. G., t. i.xxii, col. 424 ; In Joa. Evung., t. ii, P. G., t. lxxiii, col. 220.

Aparlir de cette même époque cette interprétation de Matth., xvi, 18, est manifeste dans plusieurs affirmations doctrinales des souverains pontifes, notamment de S. Boniface I", EpisL, xiv, 1, P. L., t. xx, col. 777, de S. Zozime, EpisL, xii, ibid., col. 676, de S. Léon 1 Serm., iii, 3, P. L., t. liv, col. 146 sq., et de S. Simplice <t 483), EpisL, IV, P. L., t. lviii, col. 40. Cet enseignement est encore plus manifeste dans la profession do foi du pape saint Hormisdas imposée, après 517, à tous les évéques d’Orient désireux d'être en communion avec l'Église romaine. Denzinger-Bannwart, i, '/ic/Hr/(//on, n. 171. Voir col. 164. On sait que cet enseignement, arfiriné de nouveau par le IV" concile générai de

Constantinoide en 870. Denzinger-Bannwart, n. 341, et souvent répété dans les documents ecclésiastiques des siècles suivants, fut solennellement défini par le concile du Vatican : Huic tani manifestnsacnintm Scriplurnrumdoctrinie, ut ah Ecclrsia caflwlica semper intellccta est, aperte opponuntur pravæ eonim sententix qui conslilnlam a Christo Domino in sua Ecctesiit regiminis forjnam perverlentes, neganl sohini Pctvum prx céleris apostolis sive seorsum singiilis sipe omnibus simul vero praprioqne jnrisdirtionis primalu fuisse n Christo instructum, (ait qui affirmant eumdem primatum i ! on immédiate direclequc ipsi beato Pelro sed Ecctesiw et per hune illi ut ipsius Ecclesiie minislro delatum fuisse. Sess. IV, c. l.

3. Enseignement contenu dans ce texte relotivemenl à l’infaillibilité pontificale. — Il peut être ainsi formulé d’après tout ce qui précède. — a j Selon la promesse formelle de Jésus, Pierre sera, jusqu'à la consommation des siècles, le fondement sur lequel l'Église repose. Et par ce perpétuel fondement de Pierre, l'Église est divinement assurée de posséder, jusqu'à la fin des siècles, une solidité à toute épreuve contre toutes les attaques des puissances infernales, et partie inferi non prœvalebunt adversus cam : que ces attaques aient pour objet la divine constitution de l'Église, ou l’intégrité de la doctrine qui lui a été confiée par le divin Maître, lui d’autres termes, c’est l’autorité suprême de Pierre établi par Jésus perpétuel fondement de l'Église, qui assure à celle-ci son absolue indéfeetibilité dans la foi.

b) Pour que Pierre, divinement établi comme fondement de l'Église jusqu'à la fin des siècles, puisse ainsi assurer perpétuellement à l'Église cette universelle et absolue indéfeetibilité dans la foi, il est nécessaire que Pierre soit lui-même divinement préserve de toute erreur et même de toute possibilité d’erreur, dans l’enseignement qu’il impose à la croyance de tous les fidèles. Sinon la promesse de Jésus serait vaine et le moyen choisi par sa divine sagesse pour assurer à son Église une perpétuelle et absolue indéfeetibilité dans la foi, serait non seulement inefficace, mais même absolument contraire à la fin que.lésus s’est proposée.

La volonté de Jésus est donc manifeste. Pierre enseignant tous les fidèles, en vertu de son autorité suprême, doit pour assurer à l’Eglise une absolue et constante indéfeetibilité dans la foi, être lui-même, dans l’exercice de cette autorité, divinement préservé de toute possiijilité d’erreur dans la foi. Ce qui signifie en réalité que son magistère suprême à l'égard de l'Église universelle doit être nécessairement infaillible.

c) Cette interprétation du texte de saint Matthieu est confirmée par la traditiou catholique constante. Déjà indiquée à la fin du ive siècle par saint Ambroise, De fide, iv, 56, P. L., t. xvi, col. 628, et au ve siècle par le pape saint Léon le Grand († 461), Serm., Lxii, c. Il ; Lxxxiii, e. ii, P. L., t. liv, col. 350 sq., 430, et par le pape saint Simplice ( f 483), EpisL, iv, P. L., t. lviii, col. 40, elle fut encore plus explicitement affirmée au commencement du vi » siècle dans le formulaire de foi du pape saint Hormisdas († 523) : Prima salus est reelse fidci regulam custodire et a constitutis Pulrum nullatenus deviare. Et quia non potest Domini nostri Jesu Christi prætermitti sententia dicenlis : Tu es Petrus et super hanc pelrum œdificabo Ecclesiam meam, Matth., XVI, 18, hœc quiv dicta sunt rerum probantur efjectibus, quia in sede aposlolica citra maculam semper est catholica servata religio. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 171. Voir col. 164.

On sait d’ailleurs que cette profession de foi fut d’un usage constant chez les grecs, qu’elle fut formellement approuvée en 869 par le IV^ concile de Constantinople, P. L., t. cxxix, col. 35 sq. ; Mansi, Concil., t. xvi, col. 316, et qu’elle fut de nouveau solennellement 165c

INFAILLIBILITE DU PAPE

1654

confirnioe par le concile du Vatican, sess. IV, c. iv.

D’ailleurs, en étudiant bientôt l’enseignement traditionnel, nous aurons sou vent l’occasion de constater chez les auteurs ecclésiastiques et les théologiens l’enseignement explicite très fréquent de cette interprétation du texte Tu es Petriis.

Texte de saint Luc.

Ait autem Dominus : Simon, Simon, ecce Satanas expetivii vos ut cribrarct sicut Iriticum. Ego autem rogavi pro te ut non deficiat fuies tua : et tu aliquando conversus confirma fratres hios, xxii, 31. Ce texte se rapportant immédiatement et l)rincipalement au dogme de l’infaillilnlité pontificale, nous devons l’étudier ici d’une manière particulière, mais sans nous arrêter à prouver son authenticité, qui n’a jamais été l’objet d’aucune attaque ni d’aucune discussion, bien cju’il se rencontre uniquement chez saint Lue. D’ailleurs, après la démonstration de l’authenticité du texte de saint Matthieu, le texte de saint Luc, qui a avec celui de saint Matthieu un parallélisme si marqué, ne peut présenter aucune difficulté.

1. Exégèse du texte.

L’appellation répétée : Simon, Simon, du ꝟ. 31 et le quadruple emi> ! oi, dans la Vulgate comme dans le texte grec, des pronoms tu, te, tua, tuns, Trepl C70u, y) tcîcttlç aou, ai, touç àSeXçoûç aou, au ꝟ. 32, sont une preuve manifeste que Jésus, l)ien qu’il indique incidemment un péril commun, expetivit vos ut cribraret sicut triticum, adresse particulièrement à Pierre la promesse solennelle du ꝟ. 32. Il était impossible de prendre plus de précautions pour désigner nommément Pierre. Que l’on se rappelle d’ailleurs le texte manifestement parallèle Matth., XVI, 16, où Jésus se sert d’expressions, somt^lables pour désigner spécialement Pierre.

Ecce Satanas expetivii vos ut cribraret sicut Iriticum, indiquent un danger commun à Pierre et à ses frères. Selon la force de l’expression ut cribraret sicut triticum, Toù ai, vi.àcyoci wç tov oitov, il s’agit d’un danger très grand. Satan a désiré vous secouer, vous agiter comme on agite le grain dans un crible. Ces attaques violentes de Satan ont pour but de chasser, de l’âme de Pierre et de ses frères, la foi chrétienne, puisque le remède promis par Jésus, d’après le reste de son discours, est l’indéfectibilité dans la foi, assurée à tous, à Pierre immédiatement et à ses frères médiatement par la confirmation que Pierre leur donnera. Enfin l’inutilité de ces efforts de l’enfer est insinuée par le mot expetivii, sÇ-jrjxyjaaTO, qui signifie un simple souhait ou désir ; expression qui d’ailleurs concorde avec Matth., xvi, 19, et partie in/eri non prævalebunt adversus eam, exprimant l’insuccès final des attaques des puissances infernales contre l’Église.

Ego rogavi pro te. La prière de Jésus, toujours efficace, cg’O autem sciebam quia scmper me audis, Joa., XI, 42, est un gage assuré que la promesse qui va être faite à Pierre sera infailliblement accomplie.

Ut non deficiat fides tua, ïva [ir] ixXinꝟ. 7] nLaxiç aou. Toute destruction de la foi de Pierre, ou toute cessation, quelle qu’elle soit, est donc complètement écartée. Il est d’ailleurs manifeste que la foi dont il s’agit ici est la foi au sens théologique d’assentiment à la vérité révélée, selon l’usage le plus habituel du Nouveau Testament. Voir F’oi, t. vi, col. 57 sq. Il est non moins certain qu’il s’agit ici principalement de la foi de Pierre, parlant ou enseignant comme chef de l’Église pour confirmer ses frères, comme l’indique surtout la prière spéciale de Jésus pour la foi de Pierre seul, malgré le danger si menaçant pour la foi de tous, selon les paroles expetivii vos. La sauvegarde contre ce danger commun étant, d’après la parole formelle de Jésus, la seule indéfectibilité de Pierre dans la foi, il faut bien que ce soit l’indéfectibilité ou l’infaillibilité de Pierre parlant comme chef de l’Église.

Sed tu cdiquando conversus, xal où tlots ènicsxpit^ixç, est une phrase incidente diversement interprétée ; mais de quelque manière qu’on l’explique, le sens de la phrase principale ne peut être modifié. Aussi, laissant de côté l’exposé critique des diverses opinions émises, nous nous bornerons aux remarques suivantes : a) Aucun argument vraiment démonstratif ne s’oppose à ce que conversus, èTnCTxpéiJ^aç, s’entende de l’annonce de la conversion de Pierre après son reniement. La simple absence d’indication antérieure de la chute de Pierre étant un argument purement négatif, ne peut sufïL-e. Il est d’ailleurs manifeste, d’après les paroles antécédentes expetivii vos, que le danger est annoncé pour tous, conséquemment aussi pour Pierre. — b) Quant aux interprétations plus ou moins fondées donnant à Irnoxpé^ac, le sens adverbial, à ton tour ; ou le sens intransitif, se tourner vers quelqu’un pour l’aider et prendre soin de lui ; ou encore le sens intransilif, revenir au calme et à la tranquillité ; ou le sens actif, convertir en ramenant à Dieu ; on peut, sans les rejeter absolument comme inadmissibles, afFirmer qu’elles s’accordent difficilement avec le sens le plus haintuel d’ÈTncrpscpco dans le Nouveau Testament, qui est : revenir à Dieu en s’éloignant de l’infidélité ou du péché, soit que èTnarpéçtù soit accompagné de l’expression èicl tov Kùpiov, Act., IX, 35 ; XI, 21, ou de ènl t6v Geov, Act., xiv, 14 ; xv, 19 ; XXVI, 20, ou de Trpôç Kûptov, II Cor., iii, 16, ou d’une expression similaire, 1 Pet., ii, 25, soit que è7n.CTTpé9co soit employé seul, Matth., xiii, 15 ; Marc, IV, 12 ; Ad., iii, 19 ; xxviii, 27.

Confirma, oTTjpiaov, selon son sens habituel dans le Nouveau Testament, Rom., i, 11 ; xvi, 25 ; I Thés., 111, 2, 13 ; II Thés., II, 17 ; iii, 3 ; Jac, v, 8 ; I Pet., v, 10 ; Apoc, III, 2. signifie, au sens propre, soutenir, rendre stable, ferme, et, au sens figuré, affermir, fortifier. D’après le contexte, il s’agit de raffermissement de la foi que Pierre doit donner à ses frères pour les garantir contre le danger qui les menace tous. C’est à cette fin que, suivant la promesse divine, Pierre est rendu lui-même indéfectible dans la foi.

Quant à fratres tuas, on ne peut en restreindre ici le sens aux seuls apôtres, soit pendant le temps de la passion, où Pierre, d’après le récit évangélique, loin de confirmer ses frères, faiblit lui-même ; soit pendant le reste de la vie des apôtres, car, d’après tout le contexte, Jésus veut manifestement que l’affermissement procuré par Pierre s’étende, de droit, à tous ceux dont la foi est menacée par les efforts de Satan, conséquemment à tous les fidèles de tous les temps. C’est d’ailleurs ce que suggère la comparaison avec le texte manifestement parallèle de Matth., xvi, 18, prédisant l’insuccès final des efforts perpétuels de Satan contre l’Église jusqu’à la consommation des siècles.

2. L’enseignement contenu dans ce texte relativement à l’infaillibilité pontificale est donc certain. Pierre et ses successeurs jusqu’à la consommation des siècles, parlant ou enseignant comme chefs de l’Église, doivent confirmer dans la foi, jusqu’à la fin des temps, tous les fidèles considérés isolément ou collectiement, en les faisant participer à leur propre indefectibiUté. Mais pour que la promesse de Jésus ne soit point vaine, et que les fidèles ne soient pas entraînés dans l’erreur, il faut que cet enseignement de Pierre et de ses successeurs, parlant comme chefs de l’Église, soit, en droit et en vertu de la promesse divine, absolument et constamment garanti contre toute possibilité de défaillance dans la foi. Pierre et ses successeurs enseignant, comme chefs de l’Église, ce que les fidèles sont tenus de croire, doivent donc être infaillibles. Aucune difficulté ne peut être faite au sujet de la chute ou du reniement de Pierre, à supposer que ce soit la véritable

inlcrprélatioii du tcxle siiiptuiaiic. Car il est manifosle que rinfaillibilité de Pierre, allant de pair avec sa primauté, ne lui fut ellectivement conférée qu’après la résurrection de Jcsus-C.lirist. Joa., xxi, 16.

3. Cet enseii^nement est confirmé par Vinlerprélalion constante de la tradition catholique, comme nous le montrerons Ijientùt. Il suffira de noter présentement tpie, depuis la première indication faite par saint Ambroisc, De fuie, t. IV, n. 56, /'. L., t. xvi, col. 028, ce texte a été fréquemment cité par les écrivains ecclésiastiques en faveur de l’infaillibilité pontificale. Nous si<înalerons particulièrement S. Cyrille d'-Mexandrie, Comment, in Lucam, xxii, 32, P. G., t. Lxxii, col. 916 ; S. Léon le Grand, Serni., Lxxxin, 3, P. L., t. liv, col. 431 ; S. Gélase, Epist., v, P. L., t. lix, col. 30 ; Pelage II, Epist., ni, P. L., t. Lxxii, col. 707, Denzin.yer-Bannwart, Enchiridion, n. 246 ; le B. Urbain II, Epist., Lvnr, lx, cxlv, P. L., t. cli, col. 337, 341, 421 ; S.Pierre Damien, Sfrni.ïXxiii, P.L., t. cxi.iv, col. 636 ; Innocent II, EpisL, ccccxi.vn, P. L., t. clxxix, col. 517 ; Denzinger-Bannwart, n. 387 ; S. Bernard, Epist., cxc, P. L., t. CLXxxii, col. 1053 sq. ; S. Thomas, Contra errores græcorum, xxxii, Sum. theol.. IIa-IIæ*, q.i, a. 10.

On sait aussi que l’autorité de ce texte en faveur de rinfaillibilité pontificale a été confirmée par plusieurs documents ecclésiasticjucs, notamment par saint At ; athon, Epist., i, P. L., t. i.xxxvii, col. 1169, 1205, et saint Léon IX, iîptsL, c, n.7, 32, P. L., t. cxun, col. 748, 765 ; et qu’elle a été formellement approuvée par le concile du Vatican faisant cette solennelle déclaration : Quorum (c’est-à-dire des successeurs de Pierre) apostolicam doctrinam omies vencrabiles Patres amplexi et sandi doctores ortlwdoxi venerati atque secuti sunt ; plenissime scientes hanc sanrti Pétri scdem ab omni semper errore illibatam pcrmancre, secundum Domini Salvaioris nostri divinam pollicitationem discipulorum suorum principi factam : Ego rogavi pro te ut non dejlciat fuies tua ; et tu aliquando coni’crsus confirma fratres tuas. Sess. IV, c. iv.

III. Enseignement tkaditionnel.

/' « PÉRIODE, depuis les temps apostoliques jusque ers l’an 260, caractérisée principalement par la croyance à la constante et intéjiiale permanence de la doctrine apostolique chez tous les successeurs de Pierre. — Cette croyance est attestée par le témoignage de saint Irénée.

Ce témoignage concernant directement l’infaillibilité doctrinale doit être étudié ici plutôt qu'à l’article Pape, où nous n’aurons plus qu'à déduire les conclusions relatives à la primauté pontificale considérée d’une manière générale.

Le texte se lit, Cont. hær.. III, iii, 2 : Ad hanc enim Ecclesiam propter potentiorem (kçon rectifiée d’après les mss. ; le texte reçu est potiorem) principalitatem necesse cit omnem convenirc ecclesiam, hoc est eos qui sunt undiquc fidèles, in qua semper ab his qui sunt undique conservata est ea qiiR' est ab apostolis Iradilio.

A cause de la très grande importance c|ui a toujours été donnée à ce texte dans la démonstration catholique, il convient de mettre en pleine lumière l’enseigtiement qu’il contient. l- ; t, à cet ellet, il est nécessaire tout d’abord de bien déterminer, d’après l’exposition même d' Irénée, le but et en même temps toute la trame de son argumentation.

1. Le but d' Irénée est de mettre fin à toutes les échappatoires des gnostiques qui, sous divers prétextes, refusaient de se rendre à l’autorité de l'Écriture ou à celle de la tradition. Cont. Iiœr., t. III, c. ii, /'. G., t. vii, col. 846 sq. Il a dontrecours à l’argument ultérieurement appelé argument de prescription. Seules ces Églises possèdent la vérité qui remontent

aux apôtres par une suite ininterrompue d'évêques choisis par eux et gardant leur cnseiguement. Et comme il serait trop long d'énumérer toutes ces Églises, avec la succession de tous leurs évoques, l'évêque de Lyon fait appel à la tradition venant des apôtres, et à la foi annoncée aux hommes, telles qu’elles sont dans la plus considérable de toutes les Eglises, l'Église fondée et établie à Rome par les apôtres Pierre et Paul. Eglise connue de tous et dont l’enseignement est venu jusqu'à nous par la succession des évêques. Enseignement qui confond tous ceux qui, de quelque manière, soit en recherchant ce qui leur plaît, soit par vaine gloire ou par aveuglement, soit paiattachement au mal, amassent là où ils ne le doivent point, prirterquam oportct colligunt. C’est aec cette Église que toutes les autres doivent s’accorder, à cause de son éminenle autorité ; avec cette Église par l’intermédiaire de laquelle l’enseignement qui vient des apôtres est conservé par tous les fidèles, col. 849. Puis, après avoir cité la liste des évêques jusqu'à Éleuthère, qui était alors évcciue de Rome, Irénée conclut : c’est par cette succession que, dans l'Église, la tradition des apôtres et l’enseignement de la vérité sont parvenus jusqu'à nous, col. 851. C’est donc unicjuement à cette Eglise qui possède la tradition venant des apôtres que l’on doit demander la vérité, e. iv, col. 855 sq.

2. C’est d’après tout cet ensemble de l’argumentation d' Irénée que l’on doit, avec l’aide du contexte immédiat, déterminer le sens des expressions principales du célèbre texte. On ne perdra pas de vue néanmoins que le texte grec original de cette phrase manque, et que nous n’avons qu’une mauvaise version, dont le litléralisnie est précisément une cause d’obscurité. — a) C’est bien l'Église romaine qui est désignée par les mots ad liane enim Ecclesiam. Le pronom hanc désigne manifestement l'Église dont Irénée a parlé dans la phrase précédente. Or cette Église n’est autre que l'Église fondée et établie à Rome par les apôtres Pierre et Paul, l'Église qui a la tradition venant des apôtres et dont l’autorité doit confondre tous les hérétiques. Le fait qu’il s’agit de l'Église romaine est prouvé aussi par la connexion avec la phrase suivante, où il est dit que les bienheureux apôtres, fondant et étabUssant cette Église, en donnèrent l'épiscopat à Lin, col. 849.

bj C’est donc « avec cette Église romaine qu’il est nécessaire que toutes les Églises s’accordent, à cause de son autorité éminente et parce que, par elle, la tradition venant des apôtres a toujours été conservée. » Telle est du moins la traduction que nous proposons du passage essentiel. — a. L’accord avec l'Église romaine doit être un accord dans la foi. Ce sens est demandé par ce qui précède. Pour réfuter les hérétiques de son temps, en montrant cju’ils n’ont point la doctrine des apôtres, Irénée afiirme qu’il suffit de faire appel à l'Église romaine, qui, par la succession de ses évêques, tient des apôtres la foi annoncée aux hommes. Ainsi sont confondus tous ceux qui, de quelcque manière que ce soit, importent des nouveautés præterquam oportet colligunt. Par le fait que l’on ne s’accorde point avec Rome, on est donc confondu ou convaincu d’erreur. C’est donc vraiment un accord dans la foi que l’on doit avoir avec cette Église.

Ce sens est également demandé par tout le paragraphe suivant, où Irénée montre que c’est par l’enseignement de la succession ininterrompue des évêques de Rome, depuis la fondation de l'Église par saint Pierre et saint Paul jusqu’au pape Éleuthère, que la tradition venant des apôtres, ou la prédication de la vérité, est parvenue jusqu'à cette époque. D’où la même conclusion : il est nécessaire de s’accorder dans

la foi avec l'Église de Rome, qui a toujours conserve la vérité apostolique.

D’ailleurs l’interprétation différente que l’on voudrait donner à convenire n’est aucunement prouvée et reste en opposition avec tout le contexte. Convenire (id contenant une idée de mouvement doit, dit-on, l 'entendre de la rencontre à Rome des fidèles de toutes les parties du monde, d’autant plus que l’idée de mouvement est suggérée aussi par undique. Il est d’ailleurs aisé de comprendre que les fidèles aient été attirés de tous les pays vers Rome par des afïaires de iliverse nature. Et on ajoute que c’est par le contact habituel avec les fidèles du monde entier que l'Église de Rome est maintenue dans la foi apostolique, et <(u’elle est préservée des opinions étrangères à la doctrine des apôtres. Voir J. Turmel, Histoire du dogme de la papauté, des origines à la fin du iv siècle, 2'^ édit., Paris, 1908, p. 39, qui expose, avec beaucoup de complaisance, cette interprétation.

Ces raisons sont loin de prouver la conclusion que l’on voudrait en déduire. L’emploi de la préposition ad avec le verbe convenire ne suffit point pour donner à convenire le sens de se réunir ou de se rencontrer. La préposition ad a toutes chances d'être la traduction de Tcpàc, qui n’inclut pas forcément cette idée. De même les expressions eos qui sunt undique fidèles et ab his qui sunt undique ne suffisent point pour faire attribuer à convenire l’idée de rencontre et en exclure l’idée d’accord. Car le mot undique étant plusieurs fois employé dans le Contra hærcses dans le sens d’ubique, notamment t. III, c. xxxiv, 1, col. 966, rien ne s’oppose à ce qu’il en soit de même ici. Ou sait d’ailleurs que chez les auteurs grecs l’emploi d’une expression pour l’autre n’est point rare.

Quant à l’idée du maintien de la foi apostolique dans l'Église romaine par le contact perpétuel avec les fidèles du monde entier, ab liis qui sunt undique, elle est en opposition avec tout ce qui précède et avec tout ce qui suit, puisque tout ce contexte, selon l’exposition qui en a déjà été faite, exprime l’idée de la conservation de la foi des apôtres, accomplie par l'Église romaine elle-même.

b. La nécessité de cet accord dans la foi avec l'Église de Rome résulte de l’autorité supérieure qu’elle possède en ce qui concerne la foi. a) Cette autorité supérieure est signifiée par ob potentiorem principalitatem. On doit noter que principalitas est habituellement employé par le traducteur du Contra liœreses dans le sens d’autorité supérieure, et surtout d’autorité appartenant à Dieu. Voir particulièrement t. I, c. xxvi, 1 ; XXX, 8 ; xxxi, 1 ; t. II, c. xxx, 9 ; t. IV, c. xxxviii, 3, P G., t. vii, col. 680, 699, 701, 822, 1108.

Ce sens est d’ailleurs confirmé par tout le contexte immédiat. C’est, en effet, ce que suggère le fait énoncé dans la phrase antécédente, que toutes les hérésies doivent être tenues pour condamnées, dès lors qu’elles sont opposées à l’enseignement de l'Église de Rome, col. 849.

L’autorité éminente de l'Église de Rome apparaît aussi au paragraphe suivant, dans les deux passages louant cette Église d’avoir réparé la foi des Corinthiens en leur annonçant la tradition qu’elle avait récemment reçue des apôtres, col. 850 ; ou attribuant à la succession des évêques de Rome l’enseignement des apôtres tel qu’il est dans l'Église, et tel qu’il est parvenu jusqu'à ce moment, col. 851.

D’ailleurs les autres sens que l’on a voulu donner à principalitas ne peuvent s’accorder avec le contexte. Il ne peut être question du prestige politique de Rome comme capitale de l’empire. Car cette pensée ne se manifeste nulle part chez Irénée ; et elle est exclue ici par toute la suite de l’argumentation. C’est à tort que

J. Turmel, op. cit., p. 44, attribue aux circonstances politiques les deux appellations rnaximæ et omnibus cognitæ, col. 848, qui peuvent bien convenir à l’autorité ecclésiastique de Rome.

L'éminente supériorité de Rome n’est point due non plus à ce qu’elle est l'Église apostolique la plus ancienne. Rien ne prouve qu’elle était la plus ancienne. Le contraire est même certain, car plusieurs Églises d’Orient, notamment.lérusalem et.'X.ntioche la surpassaient sur ce point. Et d’ailleurs, l’ancienneté ne suffirait point pour que l’autorité de sa doctrine, suggérée par tout le contexte, dût s’imposer à toutes les autres Églises.

On peut encore moins affirmer qu' Irénée parlait seulement de l’Occident où parmi les Églises apostoliques, Rome était la plus ancienne. Cette supposition est exclue par ces deux raisons qu' Irénée écrivait principalement pour les Orientaux et qu’ici il veut parler de toutes les Églises.

Enfin, il ne suffit point de dire avec Harnack que, parmi les Églises fondées par les apôtres, celle de Rome a la plus grande authenticité, parce qu’elle a été fondée par les apôtres les plus illustres ; et que, comme telle, elle doit servir de règle dans la foi. Lehrbuch der Dogmengeschichtc, 3e édit., t. i, p. 46. Car Irénée reconnaît à toutes les Églises fondées parles apôtres ce droit de servir de règle dans la foi. Et l’autorité attribuée ici à l'Église de Rome est une autorité qui n’appartient à aucune autre Église, ou qui dépasse manifestement celle de toutes les autres Églises.

P^ De cette autorité supérieure de l'Église de Rome l’incidente in qua nous offre encore une confirmation, si on la rattache, comme tout le contexte le suggère, à l'Église de Rome.

On doit tout d’abord reconnaître que rien ne s’oppose à ce que ce sens soit adopté. Car on sait qu’en grec il n’est pas rare qu’une incidente se rapporte à un substantif plus éloigné quand il est plus important. Le Contra hæreses en ofïre quelques exemples, notamment I. IV, c. XX, 5, col. 1034.

Ce sens, certainement possible, est suggéré dans tout le contexte par la triple répétition de cette môme idée déjà signalée, — que l'Église romaine possède la tradition des apôtres, venant jusqu'à nous par la succession de ses évêques, et qu’en indiquant cette tradition et cette foi, on confond tous ceux qui præterquam oportet colligunt, — que l'Église romaine, possédant ainsi la tradition des apôtres, a réparé la foi des Corinthiens, en leur annonçant la tradition qu’elle avait elle-même reçue, — que l’enseignement et la prédication de la vérité sont parvenus à tous les fidèles par la succession des évêques de Rome.

D’ailleurs, dans l’hypothèse rattachant l’mcidente in qua à onuicm ecclesiam, telle qu’elle est exposée par Harnack, op. cit., 1. 1, p. 446, et Turmel, op. cit., p. 41, le sens que l’on obtient n’est guère qu’une tautologie. D’après Harnack, le sens de la phrase est que toute Église, iiour autant qu’elle est fidèle à la tradition ou qu’elle a la vraie foi, s’accorde nécessairement avec l'Église romaine : nécessairenient ne signifiant point ici l’idée de commandement ou de devoir, mais seulement une sorte de nécessité logique, parce qu’il ne peut pas en être autrement.

Mais n’est-ce pas une sorte de tautologie de dire que les Églises de tous les pays, pour autant qu’elles sont fidèles à la tradition apostolique, s’accordent en fait et par une absolue nécessité, avec l'Église romaine, supposée elle-même fidèle à cette tradition ? On cherche à corriger cette tautologie en introduisant l’idée d’une obligation de s’accorder avec l'Église romaine..Mais alors que signifie l’incidente ('/( qua, qui laisserait supposer que l’obligation n’incombe pas à toutes les Églises, mais seulement à celles qui sont ainsi désignées ?

Enfin, dans celle nicme hypolhèse, bien que l’on puisse encore conserver à potentiorem principuUlatem le sens d’autoriU' supérieiiie exigé par le contexte, on le diminue beaucoup, tandis qu"en rattachant in qua à l'Église de Rome on donne beaucoup plus d'éclat à l’autorité de cette Église. Car c’est par l’exercice constant de cette autorité ou, selon l’expression d’Irénée à la fin du paragraphe suivant, c’est par la succession des évêques de Rome que la tradition qui est dans l'Église, venant des apôtres, et l’enseignement de la vérité sont parvenus jusqu’aux fidèles du temps présent.

On objecte, que in qua ne peut se rapporter à l'Église romaine, parce qu’il en résulterait que la tradition apostolique a été conservée dans l'Église romaine par les Églises autres que la romaine, d’après les mots ab his qui sunt undique.

Sans prendre parti pour les diverses solutions plus ou moins fondées, proposées ou approuvées par plusieurs critiques admettant une interpolation du texte primitif ou la substitution d’une préposition aune autre faite par le traducteur, on peut répondre qu'à prendre le texte ou plutôt la traduction comme nous l’avons, rien ne s’oppose à ce que in qua soit interprété dans le sens de par laquelle. On sait que ce sens se rencontre friquemment dans l'Écriture ; il n’est point rare non plus dans le Contra hxreses. Voir particulièrement t. III, c. xii. 4 ; xviii, 1 ; t. IV, c. xxi, 3 ; t. V, c. ii, 2, col. 896, 93'2, 1045, 1125. Et en particulier, dans ce passage, il est en parfaite harmonie avec le contexte, puisque, d’après ce qui précède et ce qui suit, l’autorité de l'Église se manifeste surtout par cette constante conservation de la tradition venant des apôtres.

f)De tout cel exposé il résulte donc que necesseesl doit s’entendre d’une véritable obligation morale de s’accorder dans la foi avec l'Église romaine à cause de son éminente autorité en ce qui concerne la foi. D’ailleurs, les critiques qui veulent entendre necesse est dans le sens d’une nécessité logique s’appuient principalement sur ce que l’incidente in qua doit se rapporter à omnem ecclesiain. Opinion dont on vient de constater le peu de fondement ainsi que les graves inconvénients.

3. Toute celle exégèse du texte de saint Irénée montre l’enseignement qui y est manifestement contenu relativement à l’autorité doctrinale de l'Église de Rome ou de l'évêque de Rome. Cette autorité doctrinale apparaît manifeste d’après ces deux assertions : que c’est par l'Église romaine c’est-à-dire par la prédicat ion ou l’enseignement des évêques qui ont régi cette Église depuis Pierre jusqu'à Éleuthère, que la tradition venant des apôtres a toujours été gardée par les fidèles de l’univers, et qu’il y a obligation pour toutes les Églises particulières ou pour tous les fidèles, de s’accorder avec l'Église romaine dans cette foi ainsi conservée.

On ne peut objecter qu' Irénée parle uniquement de l'Église romaine, non de l'évêque de Rome, car dans la phrase déjà citée plusieurs fois, col. 851, Irénée dit expressément que c’est par la succession des évêques de Rome, (|ii’il cite depuis Lin jusqu'à Éleuthère, que la tradition qui vient des apôtres et l’enseignement de la vérité sont parvenus jusqu'à son temps. Par cette phrase finale qui résume toute sa pensée sur ce point, il attribue donc aux évêques de Rome la conservation de la tradition des apôtres dont il avait parlé au paragraphe précédent, col. 849.

Les a.ssertioiis de saint Irénée autorisent aussi à admettre, chez les fidèles de cette époque, une croyance assez évidente à la suprême autorité doctrinale ou à l’infaillibilité doctrinale de l'évêque de Rome. C’est ce que suppose cette affirmation que le moyen le plus assuré de confondre tous les hérétiques est de faire

appel à la succession des évêques de l'Église romaine, qui possède la tradition des apôtres et la foi annoncée par eux, et avec laquelle tous les fidèles sont tenus de s’accorder dans la foi. Pour qu’un tel appel fût alors, au jugement d' Irénée, universellement considéré comme un moyen très assuré de confondre tous ceux qui sont en dehors de la vérité, il devait être bien manifeste aux fidèles de cette époque que les évêques de Rome enseignaient la vraie tradition des apôtres, (ie jugeiiieiil contient en réalité la croyance à l’infaillibilité de l'évêque de Rome.

Et comme cette doctrine n’apparaît point, d’après le langage d' Irénée, comme une chose nouvelle à cette époque, il y a lieu d’admettre qu’elle était crue depuis longtemps et qu’elle remontait à l'époque apostolique, d’autant plus que saint Irénée, d’après toute son argumentation contre les gnostiques dans ce passage, rejette toute doctrine qui n’a pas pour elle l’enseignement des apôtres tel qu’il est conservé dans l'Église romaine.

Il' PÉRI ODi :. depuis l’an 260 jusqu’au pontificat de saint Léon le Grand en 444, caractérisée par quelques interventions doctrinales des souverains pontifes, en même lemjis que par des témoignages explicites de plusieurs Pères et docteurs. — 1° Interventions doctrinales du pape saint Denys en 260 et du pape saint Félix en 269. — 1. Le pape saint Denj^s, vers l’an 260, adresse à Denys, évêque d’Alexandrie, et probablement aussi aux autres évêques d’Egypte et à ceux de Lybie, une lettre doctrinale déjà mentionnée précédemment, t. IV, col. 424 sq. Nous n’avons de cette lettre qu’un fragment qui nous a été conservé par saint Athanase. De decretis Nicwnse synodi, n. 26, P. G., t. xxv, col. 461 sq. Dans ce document, le pape saint Denys, parlant en son nom, bien qu’il ait consulté le presbylcrium romain, réprouve, comme opposés à la foi, non seulement les sabelliens déjà condamnés précédemment, mais aussi ceux qui actuellement parlaient de la génération du Verbe de manière à laisser supposer qu’elle est, de quelque manière, une production ou une création : ceux qui osent appeler création la divine et ineffable génération du Fils de Dieu sont, par le témoignage de l'Écriture, évidemment convaincus de fausseté, col. 465. On ne doit point séparer en trois divinités l’admirable et divine unité. On ne doit pas non plus, par le mot production, diminuer la souveraine dignité et grandeur de Notre-Seigneur. Mais on doit croire en Dieu le Père tout-puissant, en JésusCbrist son Fils et au Saint-Esprit. On doit croire parliculièrement que le Verbe est un avec le Père selon ces paroles de l'Écriture : Ego et Palcr unum sumus, Joa.. X, 30 ; Ego in Pâtre et Pater in me est, Joa., xiv, 1(i. Ainsi la divine Trinité et la sainte prédication de la divine monarchie seront intégralement maintenues, col. 465.

Ce que nous devons particulièrement observer ici. c’est que cet acte du pape saint Denys est considéré, par saint Athanase, comme un jugement souverain, frappant défmilivenient d’anathèmc, dès cetteépoque, ce qui fut plus tard l’hérésie arienne. Car Dens. évêque de Rome, ayant écrit aussi contre ceux qui disent que le Fils de Dieu est une créature, x-rîa[i.a xoil TcoÎT ; [i.a, il est manifeste que ce n’est pas seulement d’hier mais depuis longtemps que, pour tous, a été anathématiséc cette hérésie des ariens ennemis du Christ. De sententia Dionysii, 13, P. G., t. xxv, col. 500. Paroles qui, en même temps qu’elles expriment la femie conviction d’Alhanase, que ce jugement souverain du pape frappait définitivement d’anathème cette nouvelle erreur, autorisent aussi à admettre que, déjà à l'époque du pape saint Denys, le jugement pontifical était universellement considéré comme décidant souverainement une question doctri

nale, puisque ces deux actes sont manifestement signalés comme étroitement corrélatifs : jugement définitif du pape sur une erreur doctrinale, et anathème porté par tous contre cette même erreur.

2. Vers 209, le pape saint Félix envoie à l'évéque Maxime et au clergé d’Alexandrie une lettre doctrinale motivée par les erreurs de Paul de Samosate concernant le doi^me de l’incarnation. Jafl'é, Regesta. pontilicum romanorum, 2e édit., Leipzig, 1885, t. i, n. 140 ; Hefele, Histoire des conciles, trad. Lcclercq, Paris, 1007. t. I, p. 204. De cette lettre nous ne possédons qu’un court fragment cité par saint Cyrille d’Alexandrie au concile d'Éphèse : De Vcrbi autem incariuilione et fide credimus in Domimim nostrum JesLini Clirislum ex virgine Maria natiim, quod ipse est sempiterniis Dei Filins et Vcrbiim, non autem honio a Dco assumplus, ut alius sil ab illo. Ncqnc enim liominem assumpsit Dei Filius, ut alius ab ipso existât : sed cum pcrfeclus Dcus essct, fadas est simul et homo perfcctas, ex Virgine incarnatus. S. Cyrille d’Alexandrie, Apologetieus advrrsus orientales, P. G., t. lxxvi, col. 34.3 ; Epistolw S. Felicis papæ, P. L., t. v, col. 156 ; Mansi, Concil., t. i, col. 1114. L’autorité avec laquelle l'évcque de Rome parle, et le fait que cette affirmation doctrinale est citée au concile d'Éphèse comme une autorité irréfragable, montrent qu’il s’agit ici d’un acte doctrinal exigeant la soumission de tous.

2° Témoii/nages de plusieurs Pères et docteurs au IV vt dans la praniicre moitié du V siècle. — Saint Athanase (t.373) rend un homniage explicite à la suprême autorité doctrinale du pape dans le texte déjà cité, affirmant que, par la décision du pape saint Denys, l’hérésie arienne avait déjà été anathematisée depuis longtemps. De sententia Dionysii, 13, P. G., t. xxv, col. 500.

Saint Basile († 379), qui avait déjà écrit plusieurs fois à saint Athanase d’Alexandrie, au sujet des affaires d’Orient, lui adresse une nouvelle lettre en 371, où il lui manifeste son intention d'écrire à l'évéque de Rome sur ces mêmes aftaires. (^omme il serait difficile de prendre des décisions à ce sujet dans un concile, parce que ces mesures pourraient être facilement empêchées par les ennemis de la paix, Basile donnera à l'évcque de Rome le conseil d’exercer luimôme son autorité, kÙtôv aùÔevTÎjaai Tuspl tô Trpày|xa en envoyant des hommes capaldes de corriger les pervers de la région, capables aussi d’annuler tout ce qui s’est accompli par la force au concile de Rimini et depuis ce concile. Basile demandera (gaiement, en son nom et au nom d’autres personnes, que ces envoyés de l'évéque de Rome exterminent aussi l’hérésie de Marcel d’Ancyre comme pernicieuse et comme étrangère à la vraie foi. Episi., lxix, n. 1, P. G., t. xxxii, col. 432.

On remarquera que M. Turmel, qui, dans son Histoire du dogme de lu papauté, mentionne et interprète, un peu à son gré, plusieurs lettres antécédentes de Basile à saint Athanase, omet de signaler ce qu’il y a de plus caractéristique dans la lettre i.xix, c’est-àdire la demande que le pape exerce lui-même son autorité, et c|u’il envoie des hommes cai>al)Ies d’accomplir ce qui a été précédemment indiqué. J. Turmel, op. cit., p. 351. On doit aussi ohsei’ver que la lettre de saint Basile, mentionnant 'ctte demande d’intervention de l'évéque de Rome comme une affaire courante et ordinaire, autorise à conclure qu'à cette époque c'était non seulement la conviction personnelle de Basile, mais aussi la conviction de tous, même en Orient, que l'évéque de Rome possède le pouvoir de juger souverainement, par lui-même, les questions doctrinales.

Saint Épipjume († 403), dans son Ancoratus, écrit en 374, parlant de la primauté de Pierre, loue la soli dité de cette pierre sur laquelle l'Église est bâtie, et grâce à laquelle les piiissances de l’enfer, c’est-à-dire les hérésies et les hérésiarques, ne prévaudront jamais contre rÉ « lise. Car la foi a été parfaitement affermie en celui qui a reçu les clefs du ciel et qui délie sur la terre et lie dans les deux. En lui on trouve la réponse à toutes les questions sur la foi. Ancoratus, ix, P. G., t. XLin, col. 33.

Saint Jérôme († 420), consultant en 376 le pape saint Damase sur la question doctrinale d’une ou de trois hypostases en Dieu, fait ressortir la souveraine autorité doctrinale du pape par ces deux ffHrmations : a) C’est dans la seule chaire de Pierre que l’héritage de la foi se garde incorruptible : Ideo mihi cathedram Pétri et /idem apostolico ore laudatam censui consulei}dam… Apud vos solos incorrupta palrum servatur hærcditas. Epist., xv, 2, P. L., t. xxii, col. 355. b) Il est nécessaire, pour n'être pas séparé de Jésus-Christ, de garder la communion dans la foi avec la chaire de Pierre sur laquelle l'Église a été bâtie : Ego nullum primum nisi Christum sequens, beatiludini tuæ, id est catlicdræ Pétri, eommunione consocior. Super illam petram wdificutam Ecelesiam scio. Quicumquc extra hanc domum agnum comederit, profanus est…. Quieumque teruin non colligit, spargit : hoc est qui Christi non est, antichristi est, col. 355 scj.

Saint Ambroise († 397) reconnaît, comme on le verra bientôt, la souveraine autorité doctrinale du pape saint Sirice dans la condamnation portée par lui contre l’erreur de Jovinien. Epist., xLii, 14, P. L., t. XVI, col. 1128. Ailleurs, il interprète le texte : Rogavi pro te ut non deficiat fides tua, Luc, xxii, 32, dans ce sens que Jésus a affermi la foi de Pierre et qu’il a établi l’apôtre comme le soutien de son Église. De fide, t. IV, c. v, 5C, P. L., t. xvi, col. 628. Voir aussi Devirginitate, xvi, n. 105, col. 292 sq. ; De incarnationis dominira' sacramenio, iv, 32 ; v, 34, col. 826-827.

Saint Augustin († 430), au sujet de l’approbation donnée par le pape Innocent P aux décrets des deux conciles de Cartilage (416) et de Milève (417) condamnant les erreurs pélagiennes, formule ce jugement qui ne peut convenir qu'à un acte doctrinal considéré comme souverainement obligatoire pour tous et conséquemment infaillible : Jam enini de hac causa duo concilia missa sunt ad sedem apostolicam, indr etiam rescripta venerunt. Causa finita est, utinam aliquando fmiatur error. Serm., cxxxi, 10, P. L., t. xxxviii, col. 734. Cf. P. Batiffol, Le catliolicisme de saint Augustin, Paris, 1920, t. ii, p. 404-405.

Saint Cy rille d’Alexandrie († 444) affirme la suprême autorité doctrinale de l'évéque de Rome, quand il déclare dans une lettre au pape saint Célestin, peu de temps avant le concile d'Éphèse, que c’est la coutume ancienne des Églises d’avertir l'évéque de Rome quand la foi est en danger. Voir Éphèse (Concile rf’j, t. v, col. 158 ; Mansi, Concil., t. iv, col. 1012, 1016. Et c’est conformément à cette coutume qu’il soumet lui même au pape la question doctrinale soulevée par l’erreur de Nestorius. Epist., iii, parmi les lettres de saint Célestin, n. 1, P. L., t. l, col. 447.

A noter aussi chez saint Cyrille ce sens donné à confirma fratres luos : sois le soutien et le maître de ceux qui viennent à moi par la foi, Comment, in I.ucam, xxii, 32, P. G., t. Lxxii, col. 916 ; et cette interprétation de super hanc petram, Matth., xvi, 18 : il appelle pierre la foi inébranlable du disciple. In Isaiam, t. IV, orat. ii, P. G., t. Lxx, col. 940.

3° hderventions doctrinales du Saint-Siège au ly" et dans la première moitié du ve siècle. — Nous citerons particulièrement les papes saint Damase, saint Sirice, saint Innocent I" et saint Célestin.

Le pape saint Damase († 384), vers 370, envoie, aux évêques d’Illyrie, une lettre où il déclare privé

de toute valeur tout ce qui s’est passé au concile de Rimini, pour cette raison que l'évêque de Rome, dont l’avis devait être demandé avant tous les autres, cujiis anle omnes fuit cxpclenda sententia, n’y donna aucun consentement. Epist., i, P. L., t. xiii, col. 349 ; Sozomùne, II. E., t. VI, c. xxiii, P. G., t. i.xvii, col. 1.319 sq. ; Théodoret, II. E., t. II, c. xvii, P. G., t. Lxxxii, col. 1052 sq. Preuve bien manifeste que la suprême autorité doctrinale appartient au pape seul. Dans le fragment Ea gralia qui nous a été conservé, P. L., t. xiii, col. 350, voir Damask, t. iv, col. 1842, le pape Damase parle manifestement avec une sou veraine autorité doctrinale, quand il alfirme que sa communion, c’est-à-dire, d’après l’ensemble de ses lettres, la communion de l'Église catholique, est donnée à tous ceux qui suivent cette foi très explicite : iinius l’irliitis, unius majestatis, iinius divinilatis, iinius usiæ divinitatem, ita ut insepaiabilem potestatem très tamen asseramus cssc pcrsonas… Nec dissimilem opère Filium nec dissimilem potestate… sed Deum vcrum de Deo vero esse generatum… imaginem quoque Patris, ut eum qui viderit, vidcrit et Patrem. Eumdem redempiionis noslne gratia processisse de Virginc, ut perfectus homo pro perfccto qui peccaucnit hominc misccretur…. Spiritum quoque Sanctum increatum atque unius majestatis, unius usiæ, unius viitutis eum Dca Pâtre et Domino nostro Jesu Christo, col. 351 sq.

Même autorité doctrinale souveraine dans la Confessio fidci catholicæ envoyée, en 380, par le pape Damase à Paulin d’Antioche, contenant 24 anathèmes dirigés contre ceux qui nient la parfaite consubstantialité du Saint-Ksprit avec le Père et le Fils, contre l’erreur de Saijellius, contre les ariens, les eunoméens, les macédoniens, les photiniens, les apollinaristes, et se terminant par cette conclusion très formelle : Hœc crgo est salus christiunorum, ut credentes Trin itaii, id est Putri et Eilio et Spiiitui Sancio, in eam veram solamque unam divinitatem, ci potentiam ac majestatem et substantiam eamdeni sine dubio credamus, ut ivternam attingcrc mercamur ad vit’im, col. 358 sq.

Le pape saint Sirice († 398), vers l’an 388, dans une lettre adressée à l'Église de Milan, condamne l’erreur de Jovinien et de ses partisans : ut divina sententia et nostro judicio in pcrpetuum damnati extra Ecclesiam rcmanerent ; et, à l’encontre de cette erreur, il enseigne la véritable doctrine : Nos sane nuptiarum vota non (ispcrnantes accipimus quibus velamine intersumus, sed virgines quas nuptise créant, Deo devotas majore Iwnorificcntia muneramus. Epist., vii, n. 3 sq. P. L., t. xxiii, col. 1171. Cet acte pontifical doit être considéré comme un acte de suprême autorité doctrinale, selon le jugement de saint Ambroise et celui de tous les évêques réunis avec lui à Milan : quos Sanctitas tua damnavil, scias npud nos quoque seeundum judicium tuum cssc damnatos. S. Ambroise, Epist., xlii, n. 14, P. L. t. XVI col. 1128. D’ailleurs le même document épiscopal indique, d’une manière générale, l’obligation imposée à toutes les brebis du troupeau de JésusChrist d'écouter et de suivre l’enseignement du pontife romain auquel tout le troupeau a été confié : Rccognovimus litteris Sanctitatis tux boni pastoris iwcubias, qui fideliter commissam tibi januam serves, et pia sollicitudine CItristi ovile custodias, dignus quem oves Domini audiant et sequantur, n. 1, col. 1124. Sous le pape saint Innocent I* († 417), les Pères des deux conciles de Cartilage (410) et di Milève (417) soumettent leurs décisions contre les erreurs pélagiennes, à sa suprême approbation, suivant en cela l’antique tradition et sachant bien ce qui est dû au siège ai)Ostolique, ut tota hujus (sedis) auctoritnic jnsta quee fucrit pronuntiatio firmaretur, S. Innocent I, Epist., xxix, n. 1, P. L., t. xx, col. 583 ; suivant aussi la règle antique observée dans

tout l’univers, surtout quand une question de foi est en discussion, priescrlim quotics ftdei ratio ventilatur, arbitrer omnes fratrcs et eocpiscopos nostros nonnisi ad Peirum, id est sui numinis et Itonoris auctorcm refeirc debcre, vclut nunc rctulit dilcctio vestra, quod per tolum mundurn possit ecclesiis onmibus in commune prodesse. Epist., xxx. n. 2, col. 590.

Sur la demande formelle de ces deux conciles, le pape saint Innocent l'^ prononce sur toute cette question doctrinale un jugement qui est reconnu comme souverain et définitif, Epist., xxix. xxx, col. 582 sq., 589 S([., ainsi que l’indique le texte déjà cité de saint Augustin, Serrn., cxxxi, 10, P. L., t. xxxvin. col. 734.

Et ce qui atteste que cette coutume de considérer l'évêque de Rome comme possédant la suprême autorité doctrinale existait déjà depuis bien longtemps dans l'Église, c’est cette louange adressée par Innocent I'^ aux évêques d'.Mriciue. qu’en consultant l'évêque de Rome sur la question de la doctrine catholique à défendre contre les pélagiens, ils avaient agi selon la règle antique suivie dans tout l’univers : anliquæ scHicct régula ; formam secuti. quam loto scmper ab orbe mccum nostis esse scrvatam. Epist., xxx, 2, P. L.. t. XX, col. 590. Cette même louange est encore donnée par Innocent aux évêques d’Afrique dans une autre circonstance : antiquai traditionis exempta servantes et ceclesiasticæ memorcs disciplina'. Epist., XXIX, 1, col. 583.

I.c pape saint Célestin I'^'^ († 432). Vers le milieu de l’an 430, avant le concile d'Éphèse, sur la demande formelle de saint Cyrille d'.Mexandrie, qui avait soumis à saint Célestin l" la question doctrinale soulevée par l’erreur de Nestorius, selon l’ancienne coutume des Églises de communiquer toutes ces affaires au saint-siège, Epist., viii, parmi les lettres de S. Célestin h', n. 1, P. L., t. L, col. 447, le pape saint Célestin prononce, de lui-même, une sentence définitive de condamnation et d’excommunication contre Nestorius. Epist., XI, n. 4, col. 403. Sentence annoncée ensuite jiar Célestin lui-même aux autres évêques d’Orient, Epist., xii, n. 2. col. 467, à Nestorius en particulier, Epist., xui, col. 409 sq., au clergé et au peuple de Constantinople, Epist., xiv, col. 497, enfin au concile lui-même que le pape charge d’exécuter sa sentence. Epist., xviii, 5, col. 511.

D’ailleurs, la souveraine autorité doctrinale du pape, est expressément reconnue par le concile, voir t. v, col. 157 sq. ; P. L., t. l, col. 504 ; Mansi, Concit., t. iv, col. 1211, 1287 sq., comme le témoigne encore très explicitement la lettre dans laquelle les Pères du concile rendent compte au pape de tout ce qui s’est accompli dans leurs réunions. Epist..xî, n.2. 6, P. L., t. L, col. 516, 522.

Conclusion.

On constate pendant toute cette période, mais surtout dans la seconde moitié du iv siècle et dans la première moitié du ' un progrès notable relativement à l’exercice du droit d’intervention doctrinale des souverains pontifes et relativement à l’exposition des textes scripturaires alTumant l’autorité doctrinale de Pierre et de ses successeurs.

1. A l'époque précédente, nous n’avions rencontré aucune intervention doctrinale bien explicite et bien caractérisée. Dans cette deuxième période ces interventions sont assez nombrcuses, surtout dans la seconde moitié du ive siècle, avec les papes saint Damase et saint Sirice et dans la première moitié du ^, avec les papes saint Innocent l", saint Zozime et saint Célestin 1°.

Ce qui donne encore à ces interventions une signification plus grande, c’est cjue le droit d’intervention est assez clairement attesté surtout dans la première moitié du ve siècle par les souverains pontifes eux

mêmes et par les témoignaæs des principaux docteurs de cette époque quand ils affirment la coutume obligatoire pour tous, et reconnue comme telle dejjuis longtemps, de recourir à l'évêque de Borne, quand il s’agit de décider les questions de foi. C’est ce que nous avons particulièrement constaté dans plusieurs lettres de saint Innocent I" et de saint Zozime et dans une lettre de saint Cyrille d’Alexandrie.

En même temps que se produisent ces interventions des souverains pontifes, leur suprême autorité doctrinale est universellement affirmée, comme l’attestent particulièrement au ive siècle saint Athanase, saint Basile, saint Jean Chrysostome, saint Épiphane, saint Jérôme, saint Ambroise, et au ve siècle saint Augustin, et les Pères du concile d'Éphèse, qui reconnaissent comme obligatoire pour tous la décision doctrinale portée par le pape saint Célestin dans l’afïaire de Nestorius.

2. Il y a progrès aussi dans l’exposition scripturaire de cette vérité de l’autorité doctrinale de l'évêque de Rome. Plusieurs Pères mentionnent, d’une manière assez claire, la preuve scripturaire contenue dans le texte Tu es Petrus, comme le font saint Épiphane et saint Jérôme, ou dans le texte Ego rogavi pro te, selon saint Ambroise et saint Cyrille d’Alexandrie.

ni" PÉRIODE, depuis le milieu du ve siècle jusqu’au commencement du xve siècle, caractérisée principalement par des interventions doctrinales plus fréquentes des souverains pontifes, en même teinps que par des affirmations plus explicites de leur autorité provenant de déclarations doctrinales du magistère ecclésiastique, ou de témoignages des principaux auteurs ecclésiastiques ou théologiens. Ce sont ces interventions et ces affirmalions qui vont cire étudiées pour cliacun des siècles de cette période.

1° Dans la première moitié du i'e siècle et au IV siècle. — 1. Principales interventions ou afprmations doctrinales des souverains pontifes. — a) Le pape saint Léon le Grand, en 449, avant le concile de Chalcédoine, dans sa célèbre lettre à l'évêque Flavien de Constanlinople, Epist., xxviii, P. L., t. liv, col. 755 sq., expose, avec une souveraine autorité, la foi que tous doivent suivre relativement à l’incarnation, et commande que son jugement soit exécuté par ceux auxquels il en donne la commission. Le jugement doctrinal du pape est considéré par le concile lui-même comme définitif et comme strictement obligatoire pour tous, Episl., xcvni, parmi les lettres de saint LéonleGrand, ci, P. L., t.Liv, col. 952 ; Mansi, Concil., t. vi, col. 147 sq., 155 ; Denziuger-Bannwart, Encliiridion, n. 149. C’est, d’ailleurs, ce qui fut expressément allirmé par le pape saint Siniplice, Epist., IV, P. L., t. lviii, col. 39, par le pape saint Honnisdas dans son formulaire de foi, DenzingerBannwart, n. 171, et conséquemment par toute la tradition catholique fidèle à ce formulaire de foi. D’autre part, la souveraine autorité doctrinale du pape saint Léon s'était encore manifestée par la confirmation qu’il avait donnée sur la demande de Marcien, E’p ! 5L, cx, aux décisions du concile. S.Léon I'^ Epist., cxiv, P. L., t. Liv, col. 1029.

Non seulement saint Léon agit comme possédant l’autorité doctrinale, mais il l’affirme expressément. Instruisant ses fidèles de Rome, au jour anniversaire de son sacre, il déclare que Pierre a été établi fondement peqjétuel de l'Église, in accepta jortitudinc petruc persévérons, suscepla Ecelesiæ gubernaciila non reliquit, que son autorité vit toujours dans son siège, cujus in sede sua vivit potestas et exeellit auctoritas, et que sa foi a été divinement munie d’une telle solidité, i ; ^ eam ncque hærctica unquum corrumpere pravitas, nec pagana potuerit superare perfidia. Serm., iii, c. ni, P. L., t. LIV, col. 146 sq. Paroles qui expriment manifestement, non seulement le fait de la constante per DICT. DE THÉOL. CATHOL.

manence de la foi chrétienne intégrale chez tous les successeurs de Pierre, mais même une absolue impossibilité d’une erreur quelconque dans la foi, en vertu de l’institution divine, par conséquent une autorité doctrinale infaillible.

Dans une autre circonstance, saint Léon, instruisant ces mêmes fidèles de Rome, interprète ainsi le texte Simon, Simon ecce Satanas expostutavit ut vos cribraret sicut triticum. Luc.xxii, 31 sq. Le péril était commun à tous les apôtres et tous avaient également besoin du secours de la protection divine, puisque le démon voulait les secouer et les briser tous. Cependant NotreSeigneur prend de Pierre un soin tout spécial. Sa prière est, en réalité, pour la foi de Pierre : tanquam aliorum status certior sit fulurus, si mens principis victa non fuerit. In Petro ergo omnium jortitudo munitur, et divinæ gratiæ ita ordinatur auxilium, ut prmitas quai per Cliristum Petro tribuitur, per Petrum apostolis conferatur. Serm., lxxxiii, 3, col. 431. Si l’on rapproche ce texte du passage cité plus haut, il est évident qu’il s’agit également ici d’une prérogative perpétuelle de Pierre, toujours vivant dans ses successeurs. On doit d’ailleurs noter que cet usage théologicjue du texte Ego rogavi pro te, en faveur du privilège de l’infaillibilité pontificale, est le premier qu’enregistre l’histoire de ce dogme, en dehors de la très brève indication de saint Ambroise, que nous avons déjà signalée.

b) Le pape saint Simplice († 483), après avoir loué la lettre du pape saint Léon qui doit servir de règle de foi relativement à l’incarnation de Notre-Seigneur, ajoute que, dans les successeurs de Pierre, persiste toujours la foi de Pierre : Perslat enim in successoribus suis hœc et eadem apostolicæ norma doclrinæ, cui Dominus totius euram ovilis injunxit, cui se usque ad finem sœcuU minime dejuturum, cui portas inferi nanquam prœvaliluras esse promisit ; cujus sententia, quas ligarentur in terris solvi testaius est non passe nec in cœlo. Epist., IV, P. L., t. Lvin, col. 40.

c) Le canon scripturaire des livres de l’Ancien et du Nouveau Testament, attribué au pape saint Gélase († 496), rappelle que la primauté de l'Église romaine provient non de statuts synodaux, mais de l’institution de Jésus-Christ, d’après Matth., XVI, 18 sq. Puis il conclut : Est ergo prima Pétri apo-^ sloli scdes, romana Ecclesia, non habens maculam, neque rugam, nec aliquid hujusmodi. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 163 : P. L., t. lix, col. 159. Expressions qui, d’après tout le contexte de ce décret, où il s’agit uniquement de préserver toute l'Église de la contagion de l’erreur, pouvant provenir de livres non approuvés ou réprouvés par l’autorité ecclésiastique, signifient manifestement que l'Église romaine, en vertu de sa primauté divinement instituée, est, par le fait même, garantie contre toute possibilité d’erreur. Si ce décret n’est point du pape saint Gélase, il prouve au moins la croyance de l'Église à l’infaillibilité pontificale, à l'époque où il a été composé.

d) Le pape saint Horniisdas († 523), impose aux évêques d’Orient qui veulent être en communion avec l'Église romaine, un formulaire de foi contenant plusieurs affirmations qui expriment équivalemment l’infaillibilité pontificale. — a. Le formulaire déclare que, d’après la promesse de Jésus-Christ, Matth., xvi, 18, la religion catholique a toujours été sans tache dans le siège apostolique, et que dans le siège apostohque est toujours l’intègre, vraie et parfaite solidité de la religion chrétienne. — b. Est également affirmée l’obligation d’adhérer à l’enseignement du siège apostolique sous peine d'être privé de la communion de l'Église catholique. Denzinger-Bannwart, i ?nc/ ! //idîon, n. 171 sq.

On sait d’ailleurs que ce formulaire de foi, qui fut très longtemps en Orient la tessère de l’orthodoxie

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catholique et de l’union avec Rome, fut solennellement proclamé règle de foi par le VHP concile œcuménique en 869, Denzinger-Banmvart, n. 336, et par le concile du Vatican, sess. IV, c. iv, ibid., n. 1832 sq.

e) Le pape Boniface II († 532). Sur la demande de saint Césaire d’Arles, sollicitant l’approbation pontificale pour les décrets du concile d’Orange concernant la doctrine de la grâce, postiilans ut pro ambiguilale tollenda confessioncm vestram… aaclorilale scdis apostolicie ftrmaremiis, Boniface II, après avoir rappelé la doctrine catholique sur les points en litige, donne son approbation : Quapropter afjcclii congnio saliilanles, suprascriplam con/essionem veslram conscntancam catholicis Patnim regulis approbamus. Episl., i, P. L., t. Lxv, col. 31, 33. On doit observer que c’est à cause de cette approbation toute spéciale du pape que le concile d’Orange, quoique simplement régional, a toujours été considéré dans l'Église universelle comme jouissant d’une souveraine autorité doctrinale.

f) Le pape Pelage II († 590), dans une lettre aux évêques schismatiques d’Istrie en 585, interprète ainsi avec autorité les paroles de Notre-Seigneur, Luc, xxii, 32 ; Considerale, carissimi, quia verilns men(iri non poluil nec ftdes Pelri in œlernuni quassari poterit vel mutari : nam cum omnes discipulos diabolus ad ejcribrandum poposcerit, pro solo Petro se Dominus rogassc lestatur et ab eo voluit ceteros conftrmari. Episl., ra, P. L., t. Lxxii, col. 707 ; Denzinger-Bannwart, n. 246.

2. Témoignages explicites des principaux docteurs ou personnages ecclésiastiques. — a) Saint Pierre Chrysologue (t450). — En février 449, quelques mois avant la lettre de saint Léon à Flavien, Pierre Chrysologue répondant à Eutychès l’engage à adhérer avec une parfaite obéissance aux lettres de l'évêque de Rome : Quoniam beatus Pctrus, qui in propria sede et vivit cl prœsidct, præstatquærcntibus fidei veritatem. Et il ajoute aussitôt ; Nos enim pro studio pacis et fidei, extra consensum Romanæ ciuitalis episcopi, causas episcopi, causas fidei audire non possumus. Epist., lxv, parmi les lettres de saint Léon le Grand, P. L., t. liv, col. 743.

b) Théodorel, évcque de Cyr (t458). dans une lettre à Renatus, archidiacre de Rome, alhrme que le très .Saint-Siège de Rome a l’hégémonie sur toutes les Églises de l’univers à beaucoup de titres, et avant tout parce qu’il est resté exempt de toute corruption hérétique, et que personne partageant ces idées hérétiques ne s’est jamais assis sur ce siège. Epist., cxvi, P. G., t. Lxxxiii, col. 1324. Et, dans une lettre subséquente au même archidiacre, Théodoret exprime encore cette conviction que ceux qui adhèrent à la foi apostolique, c’est-à-dire à la foi de l'Église de Rome, y trouvent un port commode et sûr. Epist., cxviii, col. 1328.

Saint Fulgence de Ruspe († 533) et quinze autres évêques africains, écrivant vers 519 à ceux qui avaient été envoyés d’Orient à Rome pour la cause de la foi, parlent ainsi de l’autorité doctrinale de l'Église romaine : Quod… romana quæ mundi cacumen est, Icncl et docet Ecclesia, lotusque cum ea christianus orbis et ad justitium nihil hœsilans crcdil.et ad salutem non dubitat confiteri. Epist., xvii, n. 21, P. L., t. i.xv, col. 465.

c) Témoignage des évêques des Gaules au r « et au Vie siècle. — Vers 450, plusieurs évêques des Gaules, en remerciant le pape saint Léon de sa lettre à Flavien, rendent un hommage très explicite à sa souveraine autorité doctrinale : Magna præterea et inefjabili quadam nos peculiares lui gratulutione succrescimus, quod illa specialis doclrinx veslra pagina ila per omnium Ecclesiarum convenlicula cclebratur, ut vere consona omnium sententia dcclarctur mérita illic principalum scdis (iposlulicæ constilulum, unde adhuc

apostolici spiritus oracula resercntur. Episl., Lxvitr. parmi les lettres de saint Léon le Grand, c. i, P. L., t. LIV, col. 889.

Vers la fin de l’année 451, quarante-quatre évêques des Gaules réunis à Arles, écrivant, pour la même occasion, au pape saint Léon, s’expriment de la même manière : Quæ apostolatus vestri scripta ila ut symbolum fidei quisquis redemplionis sacramenta non negligit, tabulis cordis ascribit et tenaci, quo ad contundendos hxreticorum crrores paratior sit, memoriæ commendavit. Episl., xcix, parmi les lettres de saint Léon le Grand, c. ii, col. 967.

Au concile d’Orléans en 549 les évêques gaulois réprouvent ainsi les erreurs de Nestorius et d’Eutychès, selon les condamnations déjà portées par le saint-siège : Primo itaquc nefarium seclam quam auctor maie sibi conscius et a vivo sancta' fidei culbolicx (onle discedens, quondam condidit Eutychès, vel si qua a vencfico similiter impio sunt prolata Ncstorio, quas etiam seclas sedes apostolica sancta condemnat, similitcr et nos eadem cum suis auctoribns et srrtntoribus exécrantes, præsentis constitutionis uigorc, anathematizamus atque damnamus, rectum atque apostolicum in Christi nomine fidei ordinem prxdicanles. Can. 1, Mansi, ConciL, t. ix, col. 129.

2° Au vil et au viii'e siècle. — 1. Interventions on affirmations doctrinales des souverains pontifes. — a) Le pape saint Agathon († 681), dans sa lettre Ad augustos imperalores iiU' la question du monothélisme, indique avec une pleine autorité, avant la célébration du concile, la doctrine que tous doivent suivre, sous peine d'être en dehors de la foi orthodoxe. Epist., I, P. L., t. Lxxxvii, col. 1168 sq., 1205, 1208, 1212. Voir Agathon, 1. 1, col. 559 sq. Cette souveraine autorité doctrinale est pleinement reconnue par les Pères du VI « concile dans leur lettre au pape Agathon. iJpjsL, IV, parmi les lettres de saint Agathon, col. 1247 sq. Ils déclarent que l'évêque du premier siège de toute l'Église est pour eux un sage médecin donné par Dieu, chassant vigoureusement, par les remèdes de l’orthodoxie, la contagion de la peste hérétique, et donnant aux membres de l'Église la santé et la force. Les Pères abandonnent la décision de ce qui est à faire au pape, qui s’appuie sur la pierre inébranlable de la foi, sttI TY)V OTspeàv TTSTpav écTTcoTi, XTiç TTLOTSùiç. Ils reconnaissent la lettre d’Agathon Ira Ypâ[j(, [i, a-raj wç àr^o TÎjç xopucpaïaç twv ànoaTÔXuv à>tp6Tr)T0ç ÔsoXoyriQévTa, col. 1247. Ils affirment que, dans leur définition de la foi, ils ont été conduits par les enseigneaients du pape, Taïç ûii.£Tépai.< ; StâaaxaXîatç ôSr ; Yoù(i.evot, col. 1251 ; et ils le prient de confirmer par un rescrit la foi qu’ils viennent de définir, /jv xai aùQiç âià Ti[i.îco ; ûpLcôv àvTiYP^Çwv èTTiaçpxYLcrai t-Jjv û[i.côv èyiXiv : a.poZli.£v 7TaTpi>c/)v ÔLYi’jTqxot., col. 1251. Voir Honoruis l^', col. 117.

La lettre d’Agathon contient aussi un enseignement formel sur l’autorité doctrinale de l'Église romaine. Voir t. I, col. 560 sq. L'Église romaine ou Église apostolique n’a jamais dévié de la voie de la vérité pour embrasser quelque erreur que ce soit, et on ne pourra jamais prouver qu’elle ait ainsi erré. Elle a toujours gardé avec une foi sans tache ce qu’elle a reçu dès le commencement de la foi chrétienne, conformément à cette parole : Ego autem rogavi pro te ut non deficiat fides tua. Et tu aliquando conversus, confirma fratres tuos, Luc, xxii, 32, parole par laquelle Jésus o promis que la foi de Pierre ne pourrait défaillir et qu’il confirmerait ses frères. Epist., 1, P. L., i. lxxxvit, col. 1169, 1205.

b) Le pape saint Adrien I" († 795), en 785, avant le IP concile de Nicée, dans une lettre doctrinale à Constantin et à Irène, sur le culte des images, demande, au nom de l’auloiité principale qui lui appartient

en vertu de l’institution divine, que l’on suive, pour toute cette question, la foi orthodoxe de son Église romaine ; doctrine dont il donne un long exposé. EpisL, LVi, P. L., t. xcvi, col. 1218 sq., 1234. Ce n’est qu'à la condition d’adhérer pleinement à cette doctrine que l’on sera reçu à sa communion, col. 1234.

Vers la même époque, Adrien, écrivant à Tarasius de Constantinople, lui demande également, et pour les mêmes raisons, de suivre, relativement au culte des images, la doctrine du siège apostolique. EpisL, Lvn, col. 1240.

La souveraine autorité doctrinale du pape Adrien I" €st pleinement reconnue par le 11= concile de Nicée. A la question que posent les légats du pape, de l’approbation à donner par le concile aux deux lettres doctrinales du pape, tout le concile répond unanimement : Nous les suivons, nous les recevons, nous y adhérons. Mansi, Concil., t. xii, col. 1086.

2. Principales affirmations des auteurs ou personnages ecclésiastiques.

En 649, les évêques africains de Numidie, de Byzacène et de Mauritanie, écrivant au pape Martin 1°, reconnaissent, comme les évêques africains du ve siècle écrivant à Innocent l", que, d’après les règles anciennes, ce qui concerne la foi doit, même dans les provinces éloignées, être déféré à la connaissance du siège de Rome, ut hujus auctoritate jusia quæ fuisset pronunciatio firmaretur, indeque sumerent celerse Ecclesiæ velut de nalali suo fonte prædicationis exordium et per diversas totius mundi regiones purilalis incorruplie maneanl fidci sacramenta salutis. Mansi, Concil., t. x, col. 920.

Saint Maxime le Confesseur († 666), dans une de ses lettres, rend hommage à l’indéfectibilité perpétuelle de Pierre dans la confession de la foi ; contre cette foi, la méchante bouche des hérétiques, ouverte comme les portes de l’enfer, sera à.jamais impuissante. Epist., xiii, P. G., t. xci, col. 512.

3° Au IX" et au Ae siècle. — 1. Affirmations doctrinales du magistère ecclésiastique. — a) Le pape saint Nicolas l" († 867), en 860, dans une lettre à l’empereur Michel, alTirme explicitement que Pierre, par ses prières, ne cesse de soutenir l'Église, bâtie sur sa foi solide, et de la soutenir de telle manière que, par la règle de la vraie foi, il réforme promptement la folie de ceux qui tombent dans l’erreur, et que les portes de l’enfer, c’est-à-dire les suggestions des esprits malins et les attaques des hérétiques, ne puissent point briser l’unité de l'Église. Epist., iv, P. L, t. cxix, col. 773. Aussi Nicolas ! '- demande que l’on .suive, relativement au culte des images, la doctrine enseignée par ses vénérables et orthodoxes prédécesseurs, col. 777.

Dans une lettre à Photius, en 862, le même pape insiste de nouveau sur la primauté de l'Église romaine, Epist., XH, col. 785 s(j. ; et, parce que l’universalité des croyants demande la doctrine et l’intégrité de la foi à cette sainte Eglise romaine qui est la tête de toutes les Églises, il faut que le pontife romain, à qui tous les croyants ont été confiés, veille à la garde du troupeau de Jésus-Christ avec d’autant plus de soin que l’on est plus avide de déchirer ce troupeau, col. 786.

En 865, dans une nouvelle lettre à l’empereur Michel, Nicolas I*"^ affirme derechef la souveraine autorité doctrinale du saint-siège par cette formule déjà en usage depuis plusieurs siècles : patet profecio sedis apostolicie cujus auctoritate major non est, judicium a nemine fore retraclandum, ncque ruiquam de ejus liccat judicare judicio. Epist., lxxxvi, col. 954.

Dans une lettre au clergé de Constantinople en 81)6. le même pape déclare que ceux qui ont attaqué le culte des images qnumdiu de lus nobiscum non senserird, et ju.rta sanctorum pontificum romanorum décréta,

et aliorum catholicum patrum institula, non sapuerint, sancimus eos a Christo et ab Ecclesia catholica atque apostolica esse anathema. Epist., civ, n. 6, col. 1078.

b) Le IV « concile œcuménique de Constantinople (869-870) témoigne manifestement sa croyance, au moins implicite, au dogme de l’infaillibilité pontificale, en approuvant solennellement le formulaire de foi du pape saint Hormisdas, si explicite en faveur de l’infaillibilité pontificale. Voir t. iii, col. 655, 1295.

2. Principales affirmations des auteurs ecclésiastiques. — a) En Orient, saint Théodore Studite († 828), dans sa lettre cxxix, demande que, pour mettre fin à la controverse concernant le culte des images, on envoie une légation à Rome pour que de là on reçoive la certitude de la foi : KàxEÏÔsv SexÉoOw tô àacpaXèç TYJç TrtoTewç. Epist., t. II, epist. cxxix, P. G., t. xcix, col. 1420. Ce qui suppose manifestement dans le pontife romain, et le pouvoir suprême de déclarer, d’une manière obligatoire pour tous, ce que l’on doit croire, et le pouvoir de le déclarer d’une manière infaillible. Car la certitude de la foi qui doit résulter de l’enseignement du pontife romain, ne peut exister si cet enseignement n’est pas infaillible. Saint Théodore est d’ailleurs très explicite sur la primauté du pontife romain. Epist., t. II, epist. lxxxvi, col. 1332.

b) En Occident. — Saint Paschase Radbert († 860), expliquant le texte Tu es Petrus, Matth., xt, 16 sq., afflrme que c’est une même chose de dire que les attaques des pui.ssances infernales ne prévaudront jamais contre la foi de Pierre, ou qu’elles ne prévaudront jamais contre l'Église qui, par cette foi, est fondée sur Jésus-Christ. C’est tout un, parce que ni le fondement ne peut être dissous, ni une telle foi ne peut manquer de fermeté, ni l'Église ne peut être ébranlée par le choc des tempêtes. Expositio in Matth., t. VIII, c. XVI, P. L., t. cxx, col. 561. Affirmer que la foi de Pierre ne peut jamais manquer de fermeté jusqu'à la consommation des siècles, c’est manifestement affirmer que les successeurs de Pierre sont infaillibles quand ils se servent de leur autorité suprême pour diriger la foi des fidèles.

Saint Odon de Cluny († 942) reproduit l’interprétation de Luc, xxii, 32, précédemment donnée par saint Léon 1°, que, le danger étant commun à tous, Jésus prie particulièrement pour Pierre, pro fide Pétri proprie supplicatur, lanquam aliorum status certior sit futurus, si mens principis victa non fuerit. In Pelro ergo omnium forlitudo munitur, et diviria ; gratiae ita ordinatur auxUium, ut firmitas qux per Christum Pelro tribuitur, per Petrum apostolis conferatur. Serm.. i, /'. L., t. cxxxiii, col. 713.

Alton de Verceil († 961) conclut du texte Tu es Petrus, Matth., xvi, 16 sq., que la sainte Église a été bâtie sur la pierre dans la solidité de la foi apostolique, et que les puissances de l’enfer ne peuvent prévaloir contre elle. De pressuris ecclesiasticis, part. I, P. L., t. cxxxiv, col. 53. Ce qui est une affirmation assez évidente de l’infaillibilité de Pierre et de tous ses successeurs.

4° Au Xle siècle. — 1. Affirmations doctrinales des souverains pontifes. — a) Le pape saint Léon IX († 1054), dans une lettre à Michel Cérulaire, en 1053, après avoir rappelé les promesses infaillibles de JésustJirist : porlæ inferi non prævalebunt adversus eam, Matth., XVI, 18, et ego autem rogavi pro le ut non deficiat fides tua, et tu aliquando conversus confirma fratres liios, Luc, XXII, 32, appuie sur ces promesses cette déclaration : C’est par le siège du prince des apôtres, c’est-à-dire par l'Éghse romaine, tant par saint Pierre que par ses successeurs, qu’ont été réprouvées et repoussées toutes les opinions des hérétiques et que les cœurs de tous les frères ont été confirmés dans la foi de Pierre, qui jusqu’ici n’a jamais défailli et ne pourra

défaillir jusqu’à la fin des siècles. Epiai., c, n. 7, P. L., t. cxLiii, col. 748. Enseignement répété un peu plus loin dans cette même lettre et également appuyé sur Luc, xxii.32 : Quo dic.lo demonsirnvil fidem frairum vario defeclu pi’riclilandam, sed inconcussæiindeficienle fide Pétri, vclul firmæ anchoræ siibsidio ftgendani et in fundamento universalis Ecdesix conflrmandam. Quod nemo negat, nisi qui evidenter hœc ipsa verba verilatis impugnat, quia sicut cardine tolum regitur ostium, ita Petro et siiccessoribus ejus lotius Ecclesiii’disponilar emolumentum. Et sirut cardo immobilis permanens ducit et reducit oslium, sic Pelrus et sui successorcs liberum de omni Ecclesia habent judicium. cum nemo debeat eorum dimoverc slalum, quia summa sedes a nemine judicatur. Episl., c, n. 32, col. 765.

Cet enseignement est encore répété dans une lettre à Pierre d’Antioche, en 1054, et également appuyé sur Luc, xxii, 32 : Quæ vencrabilis et efficax oralio obtinuit quod haclenus ftdes Pétri non defccit, nec defectura creditur in throno Hlius usque in sœculum sœculi ; sed conftrmabii corda jratrum variis concutienda fidei periclitationibus, sicui usque nunc conftrmare non cessavil. Epist., CXI, col. 770.

b) Le B. Urbain II († 1099), dans plusieurs lettres, après avoir affirmé la plénitude du pouvoir concédé à Pierre, ajoute : Ipsi quoque et proprix firmilas et alienie fidei confirmatio, eodem Deo auctore, pnrstotur cum ad cum ail : Rogavi pro le, Petre, ut non deficiat fides tua, et tu aliquando conversus confirma fralrcs tuos. Epist., Lvni, Lx, cxLV, P. L., t. eu, col. 337, 341, 421.

2. Affirmations des principaux auteurs eccle’siastiques.

— Saint Pierre Damien († 1072), dans un de ses sermons, enseigne que l’Église romaine est la mère et la maîtresse de toutes les Églises et qu’il lui a été dit : Ego pro te rogavi, ut non deficiat fuies tua. Serm., xxiii, P. L., t. cxLiv, col. 636.

Saint Anselme de Lucques († 1080), dans son ouvrage contre l’antipape Guibert, déclare qu’à cause de la prière faite par Jésus-Christ pour que la foi de Pierre ne défaille point, la foi du seul patriarche romain, foi dans laquelle il doit confirmer ses frères, ne pourra jamais défaillir. Contra Guiberlum anlipapum, t. II, P. L., t. cxLix, col. 469.

5° Au XII’e siècle. — 1. Affirmations doctrinales des souucrains pontifes. — a) Signalons d’abord, chez plusieurs papes de cette époque, la reproduction de la formule précédemment employée par Urbain II ; notamment chez Pascal II, Epist, CLXXxviii, P. L., t. CLxiii, col. 194 ; Eugène III († 1153), Epist., cdix, J’. L., t. CLxxx, col. 1435 ; Anastase IV († 1154), Epist., XXIX, P. L., t. cLxxxvin, col. 1019 ; et Alexandre III, Epist., ccLx, Mcccxxii, P. L., t. ce, coi. 301 sq. 1148 sq.

b) Innocent II († 1143), répondant en 1140 aux archevêques et évêquesdu concile tenu à Sens, au sujet des erreurs d’Abélard, s’appuie sur l’autorité qui appartient au successeur de Pierre, d’après la parole (le Jésus-Christ, Et tu aliquando conversus confirma fratres tuos, pour condamner les faux dogmes de ce novateur, dont l’examen final lui était soumis. Epist., CDLvn, P. L., t. clxxix, col. 517 ; Denzinger-Bannwarl, n. 387. On doit d’ailleurs observer que les évêques de France, dans leur supplique au pape Innocent II, avaient expressément reconnu sa souveraine autorité doctrinale : Tuum est, de cetero, bealissime paler, providcrc ne in diebus luis aliqua iuercticæ pravitalis macula décor Ecclesiæ maculetur. Tibi commissa est sponsa Cliristi, amicc sponsi : tuum rst tandem uni vira virginem castum exhibere Cliristo. Epist., cxci, parmi les lettres de saint Bernard, J’. L., t. CLXxxii, col. 358.

cj Clicz le pape Alexandre III († 1181) se rencon trent, avec la formule déjà signalée chez Urbain II, deux déclarations caractéristiques. Tous ceux qui sont du bercail de Jésus-Christ sont soumis au magistère de Pierre, Pétri magislerio et doctrinw subjaceant, selon la parole de Jésus. Luc, xxii, 32. Toutes les fois qu’il y a un doute concernant quelque article de foi, on doit recourir avec confiance ad prsedictam romanam Ecclesiam tunquam ad matrem et magistram fidei cliristiamv, cujus est teneros in flde populos verbo Dei pasccre instruere et confirmare, sine qua flde videlicel, testante aposlolo, impossibile est placcre Dca. Epist., mdxlvii bis, P. L., t. ce, col. 1259.

2. Affirmations des principaux auteurs ecclésiostiques. — Yves de Chartres († 1117) insère dans sa collection canonique les autorités précédemment citées des papes Agathon et Léon IX. Decretum, part.’V, c. XLii, P. L., t. clxi. col. 337 sq.

Godefroi de Vendôme († 1132), dans une lettre au pape Pascal II, affirme que, maintenant encore, la foi de Pierre a toujours la même vigueur dans son siège, qui a coutume de ne jamais errer ; et que Jésus a choisi Pierre pour alïermir l’Église par la force de la foi de Pierre. Epist., vii, P. L., t. clvii, col. 42 sq.

Hildebert du Mans († 1133), dans un de ses sermons, après avoir cité le texte. Et tu aliquando conversus confirma fratres tuos, ajoute que Pierre est le fondement auquel l’Église est unie ; car c’est par la foi de Pierre que tous les membres adhèrent à l’Église. Serm., xcviii, P. L., t. clxxi, col. 795.

Saint Bernard († 1153), dans la lettre où il dénonce à Innocent II les erreurs d’Abélard, loue ainsi l’autorité doctrinale du pape ; Il faut que votre autorité apostolique soit instruite sur les dangers et les scandales qui éclatent dans l’Église, ceux surtout qui concernent la foi. Car j’estime qu’il est digne que les dommages portés à la foi soient réparés là surtout où la foi ne peut éprouver aucune défaillance. Dignum namque arbitror ibi potissimum resarciri damna fidei, iibi non possit fuies sentire defectum. Hsec quippe hujus prærogaliva scdis. Ce que le saint docteur prouve par le texte de saint Luc, xxii, 32. Cui enim altcri aliquando dictum est : Ego pro te rogavi ut non deficiat fides tua. Ergo quod sequitur a Pétri successorc exigitur : Et tu aliquando conversus confirma fratres tuos. Il demande donc au pape d’exercer son autorité : In eo plane Pétri impletis vicciii, cujus tenetis et sedrm, si vestra admonilionc corda in fuie fluctuantia conflrmatis, si vestra auctoritate conteriiis fidei corruptorrs. Epist., cxc, seu traclatus ad Innocentium II, P. L., t. CLXxxii, col. 1053 sq.

Anselme d’Havelberg († 1154), dans les conférences qu’il eut avec les grecs, pendant son séjour à Constantinople, y prouva particulièrement la primauté de l’Église et le magistère du pontife romain : Unde et Dominus sciens alias Ecclesius hærctica impulsione nimium vexandas, et Romanam Ecclesiam qiiam ipse supra petrum fundavcrat, nunqiiam in fide debilitandam, dixit Petro : Ego pro te rogavi ut non deficiat fides tua, et tu aliquando conversus confirma fratres tuos, ac si operte ei dicat : tu qui liane gratiam arcepisti, ut, atiis in fide naufragantibus, semper in fide immobilis et constans permaneas, alios vacillantes confirma et corrige, et tanquam omnium provisor, et doctor, et pater, et magister, omnium ciiram et sollicitudinem gère. Merito ita privilegium pra’lationis super omnes acccpit, qui in conservanda integritate fidei præ omnibus privilegium a Domino susccperat. Dialogi, t. III, c. v, P. L., t. CLXXXViii, col. 1213 sq. Un peu plus loin, .Anselme prouve que l’Église romaine possède, en vertu de l’institution divine, deux privilèges : videlicel præ omnibus incorruptum puritatem fidei, et super omnes potestatem judicandi, t. III, c. xii, col. 1223.

Bien que le Decretum de Gratien († 1158), considéré

dans son ensemble, ne donne aucun témoignage concluant en faveur de l’infaillibilité pontificale, nous le mentionnons ici, parce que, dans les siècles suivants, il a fourni des arguments aux adversaires aussi bien qu’aux défenseurs de l’infaillibilité pontificale.

Contre l’infaillibilité pontificale, on a invoqué l’attitude prise par Gratien à l’égard d’Anastase II. L’auteur du Décret rapporte d’abord la décrétale, d’ailleurs authentique, d’Anastase II reconnaissant la validité des sacrements conférés par Acacede Constanlinople depuis sa déposition, et établissant d’une façon générale la validité des sacrements conférés par des ministres indignes. Puis il ajoute : " Pour avoir agi de cette manière illicite et anti-canonique, à rencontre des décrets de ses prédécesseurs et de ses successeurs, Anastase est rejeté par l’Église romaine, et on sait par ailleurs qu’il fut frappé par Dieu, ideo ab Ecclesia romana repudiatur, et a Deo percussus leyiiur fuisse hoc modo. Suit la notice empruntée au Liber pontificalis, qui justifie l’assertion de Gratien. Décret., l, dist. XIX, c. 8 et 9, P. L., t. clxxxvii, col. 109 sq. ; édit. Friedberg, t. i, col. 63 sq. On remarquera seulement que l’appréciation sévère de Gratien ne tombe pas sur le décret dogmatique d’Anastase, mais seudement sur les collusions dont ce pape se serait rendu coupable avec des hérétiques déclarés. En ceci Gratien ne faisait que suivre toute son époque qui unanimement regardait Anastase comme un des papes tombés dans l’hérésie. Au xive siècle encore, Dante fait une place dans son En/er, t. XI, 9, à Anastase, « que Photin a entraîné hors du droit chemin. >- Voir J. Dôllinger, JDie Papstfabeln des Mittelallers, p. 124 sq.

En faveur de l’infaillibilité, on a pu citer le dictum de Gratien ainsi formulé : Jésus-Christ accordant à Pierre, præ omnibus et pro omnibus, les clefs du royaume des cieux, donne lui-même sa parole, qu’il a prié spécialement pour la foi de Pierre et qu’il lui a enjoint de confirmer ses frères par ces mots : Ego rogavi pro te ut non deftciat fides tua, et tu aliquando conversus confirma fratres tuos. Décret., part. I, dist. XXI, édit. Migne, col. 115 : Friedberg, col. 67.

Le Decretum contient encore plusieurs canons favorables à l’infaillibilité pontificale, presque tous d’origine pseudo-isidorienne. La sainte et apostolique Église romaine, mère de toutes les Églises, n’a jamais dévié de la vraie foi apostolique, et elle garde intacte, jusqu’à la consommation des siècles, la règle de la foi chrétienne qu’elle a reçue de ses fondateurs. Décret., part. II, causa XXIV, q. i, c. 9, canon pseudo-isidorien, édit. Migne, col. 1268 ; Friedberg, col. 969. La foi de l’Église romaine n’a jamais aidé aucune hérésie et elle les détruit toutes, c. 10, canon pseudo-isidorien, édit. Migne, col. 1268 ; Friedberg, col. 969. Dans le siège apostolique, la religion catholique a toujours été exempte de tache, c. 11, canon pseudo-isidorien, édit. Migne, col. 1268 ; Friedberg, col. 969. Toutes les fois que la question de la foi est agitée, il y a obligation pour tous, fidèles et évêques, d’en référer à Pierre, afin que celui-ci puisse, dans tout l’univers, être utile à toutes les Églises, selon la lettre du pape saint Innocent 1^’, en 417, aux évêques du concile de Milève, c. 12, édit. Migne, col. 1269 ; Friedberg, col. 970. C’est au pape qui tient la foi et le siège de Pierre, à corriger ce qui peut être dit minus periie aut parum caute relativement à la foi. La sainte Église romaine, qui est toujours restée immaculée, le restera toujours, dans l’avenir, avec le secours de la providence divine et celui du bienheureux apôtre Pierre ; et elle continuera, dans tous les temps, à être à l’abri de toutes les attaques de l’hérésie et inébranlableanent ferme, c. 14, canon pseudo-isidorien, édit. Migne, col. 1269 ; Friedberg, col. 970. Il n’est point permis

d’enseigner ou de penser autrement que l’on a été enseigné par le bienheureux Pierre et les autres apôtres, parce que saint Pierre est le chef de toute l’Église, auquel toutes les affaires majeures doivent être référées, c. 15, canon pseudo-isidorien, édit. Migne, col. 1270 ; Friedberg, col. 970.

Au XI W siècle.

1. Interventions doctrinales ou affirmations des souverains pontifes. — a) Chez le pape Innocent III († 1216), on rencontre, à peu près, les mêmes expressions que chez ses prédécesseurs du xiie siècle. Il afilirme, dans plusieurs circonstances, que Jésus a prié spécialement pour que la foi de Pierre ne défaille pas, Luc, xxii, 32 ; qu’en conséquence il appartient à Pierre et à ses successeurs de confirmer les autres, de telle sorte que la nécessité d’obéir leur soit imposée. Regesta, t. II, epist. ccix, P. L., t. ccxiv, col. 760 ; Registrum de negotio romani imperii, epist. Lxxxv, P. L., t. ccxvi, col. 1091.

On doit aussi mentionner l’appellation cunctorum fidelium mater et magistra donnée à l’Éghse romaine par le IV « concile de Latran en 1215. Denzinger-Bannwart, n.433, 436.

b) Le pape Clément IV, en 1267, détermine, par sa seule autorité, la profession de foi demandée à Michel Paléologue, empereur de Constantinople, en vue de l’union projetée avec l’Église romaine. Dans cette profession de foi, le pape, de lui-même, insère l’affirmation explicite de plusieurs dogmes qui, jusqu’à cette époque, n’avaient point encore été l’objet d’une telle affirmation, ni dans les professions de foi, ni dans les déclarations des conciles : notamment la croyance au Saint-Esprit procédant ex Pâtre Filioque, la croyance au purgatoire et à l’efficacité des suffrages offerts pour les âmes du purgatoire, et toute la doctrine sur les sacrements. Denzinger-Bannwart, n. 463 sq.

On doit aussi noter l’insistance avec laquelle la profession de foi propose la croyance de l’Église romaine, comme la règle de foi que doit suivre tout fidèle catholique, ainsi que l’affirmation très explicite de la souveraine autorité doctrinale du pape : Et sicut præ cœteris tenetur fidei veritalem defendere, sic et si quæ de fide subortæ fuerint questiones, suo debent fudicio definiri. Denzinger-Bannwart, n. 466. On sait d’ailleurs que cette profession de foi fut solennellement approuvée et acceptée par le Ifi^ concile œcuménique de Lyon en 1274.

c^ Il convient particulièrement d’observer que les condamnations portées, à cette époque, avec une souveraine autorité, par les pontifes romains, ont pour objet non seulement la réprobation de ce qui est directement et immédiatement opposé à la foi, comme la condamnation portée contre les cathares et autres hérétiques du même genre, Denzinger-Bannwart, n. 444, mais encore ce qui est contre la foi d’une manière plus indirecte et plus lointaine, comme l’abus théologique des expressions nouvelles empruntées à la philosophie ou des raisonnements purement naturels, n. 442 sq. Voir Église, t. iv, col. 2182.

2. Affirmations des principaux théologiens.

Nous citerons particuhèrement Innocent III dans son traité De si cro allaris mysterio composé avant son pontificat, saint Thomas et saint Bonaventure.

a) Innocent III († 1210) insiste sur l’impossibilité d’une erreur quelconque dans la foi du siège apostolique, d’après le texte Ego autem pro te rogavi : Ad Petrum igitiir tanquam ad magistrum pertinet cœteros confirmare, cujus fides in nulla leniatione defecit. Fides cnim apostoticæ sedis semper firmam petram stabili soliditate fundata, nullis unquam errorum sordibus potuil inquinari ; sed absque ruga manens et macula, pro necessitate temponim, a cseleris maculas detersit errorum. De sacro altaris mysterio, t. I, c. viii, P. L., t. ccxvii, col. 778. b) Chez saint Thomas († 1274), se manifeste un progrès très marqué dans l’expression du dogme de l’infaillibilité pontificale qui, sans être l’objet d’une étude spéciale, est néanmoins nettement indiqué. Dans sa réfutation des erreurs des grecs, le saint docteur montre particulièrement, par le texte de saint Luc, xxii, et par le témoignage de plusieurs Pères orientaux, qu’il appartient au pontife romain de déterminer qiise fidei sunt. Contra errorem græcorum, c. XXXIT.

Dans les Quæstiones quodlibetales, saint Thomas, examinant cette question : Utrum onincs sandi qui sunt pcr Ecclesiam canoniiali, sint in gloria, pose ce principe général : CeTtiim est quod judicium Écclesiæ iiniversalis errare in his quee ad fidem pertinent impossibile est. Puis, en vertu de l’identification qu’il établit entre l’autorité doctrinale de l'Église et celle du pape, il conclut que l’on doit s’en tenir à la décision du pape, déterminant ce qui appartient ù la foi. Qiiodiibet., IX, q. vii, a. 16. Nous n’examinerons point ici la réponse donnée par saint Thomas à la question particulière de la canonisation des saints. Voir t. iv, col. 2182 sq. Nous voulons seulement retenir sa conclusion sur la nature et l’objet de l’infaillibilité pontificale. Dans sa nature, elle doit être identifiée avec l’infaillibilité de l'Église. Dans son objet, elle s'étend à tout ce qui appartient à la foi, en y comprenant ce qui lui appartient indirectement d’après la doctrine de saint Thomas précédemment indiquée. Voir DÉPÔT DE LA FOI, t. IV, col. 528 sq.

Dans la Somme théologique, l’autorité doctrinale du souverain pontife est appuyée sur la parole de JésusChrist : Ego pro te rogavi. Luc, xxii, 32. Il appartient à cette autorité de déterminer ea qme sunt fidei ut ab omnibus inconcussa fide teneantur. II* Il^e, q. i, a. 10. Cette détermination doctrinale peut s'étendre à tout ce qui est nécessaire pour l’explication de la foi contra insurgentes errores, ad lum. Comme exemple de cette détermination faite par la souveraine autorité doctrinale du pape, saint Thomas indique le symbole attribué à saint Athanase, qui est devenu une règle de foi par l’approbation du souverain pontife : quia integram fidei verilatem ejus doctrina breviler continebat, auctoritate summi pontificis est recepta, ut quasi régula fidei habeatur, ad 3°™.

c) Chez saint Bonaventure, l’on ne rencontre guère que les formules déjà en usage avant lui. Dans les Quæstiones disputatæ de perfectione evangclica, traitant de l’obéissance due au souverain pontife, il en montre le fondement dogmatique dans la primauté établie par Jésus-Christ. Il alTirme particulièrement que toute la solidité de l'Église vient de Pierre, unde et iota firmilas ipsius Ecclesiæ principaliler manat a soliditate unius Peiræ et unius Pétri qui est vicarius Petræ ; ce qu’il prouve par Matth., xvi, 18, et par Luc, xxii, 32 ; il ajoute aussi un canon ]>seudo-isidorien inséré dans le Décret de Gratien sous le nom de saint Jérôme. De perfectione evangclica, q. iv, a. 3, Opéra, Quaracchi, 1891, t. V, p. 195.

Dans son commentaire sur saint Luc, le saint docteur déclare qu’il a été accordé à Pierre, ut de Ecclesia ejus nunquam deficiat vcra fides, selon Luc, xxii, 32. Comment, in Evangelium Lucæ, c. ix, n. 34, t. vii, p. 227. Un peu plus loin, le texte Ego autem rogavi pro te ut non deficiat ftdes tua, est explique soit de Pierre, qui est tombé, mais qui n’est point resté dans sa défaillance, soit de l'Église de Pierre, pour laquelle Jésus-Christ a prié et qui, bien qu’elle soit secouée, ne fait cependant point naufrage. Hoc enim posuit Deus in illa Ecclesia ad confirmidionem aliarum. Comment, in Evang. Lucæ, c xxii, n. 43, p. 552.

Dans Y Apologia paupcrum, saint Bonaventure fait observer que, si, au temps du sacerdoce préfiguratif,

ceux qui s’opposaient à la décision du grand-prêtre étaient punis de la peine de mort, à bien plus forte raison, sous la loi de vérité et de grâce, quand la plénitude du pouvoir a été manifestement donnée au vicaire de Jésus-Christ, malum esse constat nullatenus toleranduni in fide vel moribus ejus definitioni dogmatizare conlrarium, approbando quod ipse reprobat, reœdificando quod ipse drstruit, defendendo quod damnât. Apologia pauperum, c. t, t. viii, )). 235.

7° Au XI Ve siècle. — 1. Interventions doctrinales des souverains pontifes. — Ne pouvant signaler en détail toutes ces interventions, très nombreuses à cette époque, nous nous bornerons à indiquer leurs caractéristiques principales. — a) Parfois les papes, par leur seule autorité, définissent la doctrine à laquelle tous les fidèles sont strictement tenus d’adhérer, même pour des matières qui jusque-là n’avaient point été l’objet d’un enseignement très explicite. Telle fut particulièrement, en 1336, la déclaration de Benoît XII, relativement au moment auquel commence la vision béatiflque, pour les âmes suffisamment, purifiées en quittant cette vie terrestre. DenzingerBannwart, n. 530 sq. Voir t. ii, col. 657-658.,

b) Parfois aussi les papes, de leur seule autorité, , condamnent plusieurs erreurs comme étant des hérésies formelles, ou comme entachées d’hérésie. C’est ce qui se fit particulièrement pour les fratricelles, dont les assertions furent réprouvées comme hérétiques du moins en partie, Denzinger-Bannwart, n. 490 ; et pour les erreurs de Marsile de Padoue et de Jean de Jandun, rejetées comme contraires à l'Écriture et à la foi catholique et comme hérétiques, en ce qui concerne la constitution de l'Église. Ibid., n. 495 sq., 500.

c) En outre, les papes réprouvent, soit avec des articles hérétiques, soit en dehors de toute condamnation d’hérésie, des propositions fausses, dangereuses^ suspectes ou erronées, comme les propositions principalement philosophiques de Nicolas d' Outrecour condamnées sur l’ordre de Clément VI en 1348, ibid., n. 553 sq., et plusieurs assertions attribuées à Eckart, n. 501 sq.

d) Sans chercher à déterminer ici, pour chacun de ces divers cas, jusqu'à quel point chaque décision est tenue pour strictement infaillible, il nous suffit de constater que l’autorité doctrinale du pape s’exerce comme une autorité obligatoire pour tous en toul ce qui appartient à la foi, et qu’elle est, selon la doctrine de saint Thomas, pratiquement identifiée avec l’autorité doctrinale de l'Église.

2. Affirmations des auteurs ecclésiastiques.

A cette époque, quand les théologiens ou les canonistes parlent de l'Église et de la papauté, c’est surtout pour réfuter les prétentions césariennes des légistes du temps ou les erreurs de Marsile de Padoue et de Jean de Jandun relativement à la constitution de l'Église, ou les erreurs césariennes d’Occam et de ses partisans. Ce n’est qu’accidentiellement qu’ils parlent de l’infaillibilité pontificale. Leurs affirmations sont cependant assez explicites. Nous citerons particulièrement Gilles de Rome, Fasitelli et Triumphi.

a) Disciple de saint Thomas, Gilles de Rome ( 1 1316), reproduit et accentue sa doctrine. Ad summum pontificem et ad ejus plenitudinem potestatis spectat ordinare fidei symbolum et statuere quæ ad bonos mores speeture videntur, quia, sive de fuie sive de moribus quæstio oriretur ad ipsum speclaret definitivam dare sententiam, ac statuere nccnon et firmiter ordinare quid Christiani sentire deberent. Cette fonction lui vient de sa primauté qui lui confie la charge et lui donne le pouvoir de régler dans l'Église quæcumque sunt fidei et' eliam quæcumque sunt morum. Les autres docteurs procèdent per viam doctriniv ; seul le pape prononce d’autorité : quid sententialilrr sit tenendum… adsoliim

i, ummum pontificcm pertinebit. De ecclesiuslica potestnle, prologue, Florence, 1908, p. 7.

Ce caractère ' définitif « des actes pontificaux implique évidemment leur infaillibilité. La tradition encore un peu confuse de Gratien et des canonistes est ici nettement fixée dans le sens pontifical.

b) Alexandre Fasitclli († 1325), appelé aussi Alexandre de Saint-Elpidius, s’inspire notoirement de Gilles. Voulant prouver que le pouvoir de juridiction, dans le souverain pontife, vient immédiatement de Jésus-Christ, il donne, entre autres arguments, celui-ci qui est déduit de l’unité de foi qui doit exister dans l'Église catholique Des doutes pouvant s'élever et s'élevant sans cesse relativement à la foi, il est nécessaire que quelqu’un ait le pouvoir de juger et de donner une décision en ces matières, et qu’il ait immédiatement ce pouvoir ab illu qui fuit principaliter ordinalor et œdificaior Ecck’siæ et fidei. Car bien que, sur ces matières, d’autres docteurs puissent raisonner, une décision souveraine et finale peut et doit appartenir uniquement au vicaire universel de l'Église, qui doit diriger et gouverner toute l'Église : auctorilalive et delerminatiue hoc fi. e. de tatibus perlraclare et investiqare) soluin peilinere potest et débet ad universlæm vicarium Ecclesiæ, qui lotam Ecclesiam habit dirigcre et gubernare. Tractalus de potestate ecclesiuslica, tr. I, c. IV, Lyon, 1498, sans pagination. La même affirmation se rencontre chez Hervé de Nédellec († 1323), Tractatus de potestate papæ, dans Rocaberti, Bibliotheca maxima pontifua, Rome, 1698, t. vii, p. 703.

c) Augustin Triumphi, appelé aussi Augustin d'. cône († 1328), reproduit la doctrine de saint Thomas, dont il avait été le disciple. Examinant cette question : ulrum ad papam spectel determinare qux sunt fidei ? il répond que la foi de toute l'Église est une, selon le témoignage de l'Écriture. Eph., iv, 5. La détermination de ce qui est de foi appartient donc à celui qui est le chef de toute l'Église, c’est-à-dire au souverain pontife, successeur de Pierre et chef de cette Église pour laquelle le Sauveur a particulièrement prié. Luc, XXII, 32. Summa de ecclesiaslica potestate, q. x, a. 2, Cologne, 1475, sans pagination.

d) Pour ce qui concerne particulièrement l'Église de France à cette époque, nous citerons un décret de l'évêque de Paris en 1324 et une déclaration de l’université de Paris en 1387.

a. En 1324, l'évêque de Paris Etienne (Stephanus de Borreto) publie un décret annulant la condamnation portée en 1276 par Etienne Tempier, évêque de Paris, contre plusieurs articles de saint Thomas, in quantum tangunt vel tangcre asscruntur sanam doctrinam sancti Thomæ prædicli et doctoris cximii. Cette annulation est motivée par l’estime qu’a, pour ce docteur éminent, la sainte Église romaine, mère de tous les fidèles et magislra fidei et vcriledis, in firmissima Pelri, Christi vicarii, confessione fundala, ad quam (velul nnivcrsulcin regulam catholicæ verilalis) perlincl approbalio et rcprobatio doclrinarum, dcclaralio dubiorum, dctcrminatio Icnendorum et confutatio crronim. Duplessis d’Argentré, Collectio judiciorum de novis erroribus, Paris, 1728, t. i, p. 222 sq. ; Denille-Chatelain, Chartularium univcisitatis Parisicnsis, n. 838, Paris, 1891, t. ii, p. 280 sq.

b. En 1387, dans une lettre au pape d’Avignon qui avait pris le nom de Clément Vil, et que la France considérait comme le pape légitime, Pierre d’Ailly, chancelier de l’université de Paris, parlant au nom de l’université et exprimant sa doctrine relativement aux devoirs des fidèles envers le siège apostolique, affirme, au nom de l’université, que tous se soumettent au jugement du siège apostolique, en disant, avec saint Jérôme, que c’est la foi qu’ils ont apprise dans l’Eglise catholique et qu’ils désirent, en tout ce

qui peut être imprudemmeiit avancé, minus perite aut minus caute positam, être corrigés par celui qui lient et la foi et le siège de Pierre. Sfondrati, Gallia vindicata, diss. IV, p. ii, dans Rocaberti, t. vi, p. 884.

Conclusion.

En même temps que l’on constate, chez les souverains pontifes, des interventions doctrinales plus fréquentes qu'à l'époque précédente, on constate, pour la première fois au ve siècle, et dans les siècles suivants, des affirmations doctrinales des souverains pontifes déclarant, d’après l’enseignement de Notre-Seigneur, que la foi de Pierre et de ses successeurs ne peut jamais défaillir. Telles sont au ve siècle les affirmations de saint Léon 1° et celles des papes saint Agathon, saint Nicolas I" et saint Léon IX dans les siècles suivants.

On constate aussi dans l'Église universelle un progrès dans l’expression de la croyance très explicite à la souveraine autorité doctrinale des évêques de Rome. Cette croyance est particulièrement attestée par plusieurs conciles œcuméniques, surtout celui de Chalcédoine, le IIF et le IV « de Constantinople et le IF de Nicée, se soumettant pleinement aux décisions doctrinales antérieurement portées par le pape.

Très manifeste encore est l’expression de cette même croyance chez les auteurs ecclésiastiques de cette période, chez lesquels on constate une connaissance plus explicite du dogme de l’infaillibilité pontificale, comme on peut l’observer particulièrement chez saint Thomas au xiiie siècle. On constate aussi un emploi encore assez peu détaillé, mais plus explicite qu'à l'époque précédente, des deux textes scriptulaires, Matth., xxi, 18 et Luc, xxii, 32, et un usage fréquent de l’enseignement des souverains pontifes en cette matière, surtout depuis la formation des collections canoniques du moyen âge.

iv^ PÉRIODE, depula le commencement du xve siècle, jusqu’au commencement du xvT. Cette période est caractérisée par le vigoureux développement des doctrines qui réduisent le pouvoir administratif et doctrinal du pape et qui prennent bientôt le nom de gallicanisme. Les lamentables discussions du grand schisme où a été compromise l’autorité du souverain pontife expliquent d’une manière très suffisante le regain de faveur que trouvent alors les théories déjà avancées au siècle précédent par les théologiens de l’entourage de Louis de Bavière. Mais les défenseurs de la papauté ne restent pas sans réponse. En face du gallicanisme se précise et s’accentue la doctrine ultramontaine.

1° Les plus remarquables représentants du gallicanisme à cette époque sont Pierre d’Ailly, Gerson et Tudeschi.

Pierre d’Ailly († 1420), par ses erreurs sur l'Église et sur le pape, mentionnées, t. i, col. 647, fut amené à rejeter au moins théoriquement l’infaillibilité pontificale. Selon lui, le pape peut se tromper en ce qui est de foi, comme Pierre, auquel Paul dit avoir résisté, Gal., ii, 11, parce que Pierre était répréhensible, non rccte ambulans ad veritatem Evangelii. Tractatus de Ecclesiæ, concilii generalis, romani pontificis et cardinalium auctorilate, part. III, c. IV, dans les Opéra de Gerson, Anvers, 1706, t. ii, col. 958. Suivant une opinion citée ici et non blâmée par d’Ailly, l’exemption de toute erreur, assurée par la parole de Jésus-Christ, Matlh., xvi, 18, et Luc, XXII, 32, doit s’entendre uniquement de la foi de l'Église universelle, représentée dans un concile général, ou selon une opinion citée aussi sans aucun blâme, cela doit s’entendre simplement de la foi de l'Église universelle qui a le privilège spécial de l’inerrance dans la loi. Pourtant l’on peut croire pieusement à l’inerrance d’un concile général quand il s’appuie sur la.sainte Écriture ou sur une autorité

inspirée par le Saint-Esprit ; autrement il s’est, de fait, souvent trompé. Loc. cit. Toutefois tout ceci est affirmé avec quelque licsitation, non définitive determinando xed doctr inaliter suadendo. Et finalement l’auteur se soumet à la définition du concile : nam hujusrei definitioncm sacri concilii determinationi snbmitto. Loc. cil.

Gerson († 1429) admet qu’il est parfois permis de décliner le jugement du pape dans les causes de foi et d’en appeler à une autre autorité. Il fonde cette assertion sur un décret du concile de Constance dans la session du 6 avril 1415 ; décret non approuvé par Martin V et conséquemment sans autorité. Voir t. III, col. 1220 sq. Gerson s’appuie aussi sur le fait de la résistance de saint Paul à l’autorité de Pierre, auquel est attribuée, dans la circonstance, une défaillance dans la foi, parce qu’il ne marchait pas alors ad verilalem Euangelii. Gerson assure qu’il n’y a en ceci aucune contradiction avec la bulle de Martin V, du 10 mars 1418, interdisant tout appel de la sentence du pape à un concile futur. Car cette constitution, qui ne mérite aucun blâme théologique, est susceptible d’une interprétation très raisonnable et très vraie, à savoir qu’il n’est pas permis d’en appeler du jugement du pape ou de décliner son jugement dans les causes de foi, non indistinctement et dans tous les cas, mais quand le pape fait tout ce qui dépend de lui, quand il ne paraît pas dévier de la foi et qu’il marche droit selon la vérité de l'Évangile, sans aucune acception des personnes. Ce qui est véritablement le cas pour Martin V, selon son affirmation et selon la teneur de la constitution précitée. Quomodo et an liceat in cousis fidei a sununo pontifice appellare seii ejus judicium declinare, traité écrit en 1418, Gerson, Opéra, Anvers, 1706, t. ii, col. 303 sq., 308.

Nicolas Tudeschi, appelé aussi Nicolas de Sicile ou Panormitanus († 1445), admet quelque supériorité du concile sur le pape en ce qui concerne la foi. Il en conclut quod papa non potest disponere contra disposilum par concilium. Selon lui, si le pape était mu par des raisons et des autorités meilleures que celles sur lesquelles le concile s’appuie, on devrait s’en tenuà la décision du pape, parce que le concile peut errer, sicut alias erravit super malrimonio conlrahendo inter raplorem et raplam. Tudeschi ajoute même qu’en matière de foi diclum unius privait essel præferendum dicta papee, si ille moverctur melioribus rationibus et auctoritalibus Novi et Veteris Testamenti quam papa. Quant au texte Ego rogavi pro le ut non deficiat fides tua, on doit l’entendre de l'Église en tant qu’elle est la collection de tous les fidèles. Cette promesse de Jésus-Christ serait même suffisamment accomplie si la foi restait dans une seule âme, comme il advint, après la passion de Jésus, quand la foi demeura intacte dans la seule àme de Marie. Commentaria in Décrétai, t. I, tit. vi, c. iv, n. 3, Venise, 1617, 1. 1, p. 108.

Des assertions assez semblables à celles de Tudeschi se rencontrent aussi chez Angelo de Clavasio et Denys le Chartreux. Angelo Carleti de Clavasio († 1495), s’appuyant sur le Décret de Gratien, affirme que le pape peut errer dans la foi, mais non toute l’Eglise. Summa angclica, art. Papa, q. ix, Venise, 1525, fol. 618. Denys le Chartreux ou de Ryckel († 1471), comparant l’autorité du pape et celle du concile général, affirme qu’un concile général ne peut errer dans la foi, ni en ce qui concerne les bonnes mœurs, parce qu’il est, dans de telles déterminations, immédiatement régi par le Saint-Esprit. Aussi on doit, en ces matières, s’en tenir à la détermination de l'Église ou aux statuts du concile comme à la détermination et à la décision du Saint-Esprit. Et comme le pape peut errer dans la foi et en ce qui concerne les mœurs et les autres choses nécessaires au salut, il ne paraît pas

que l’on soit en cela, finalement et certainement, obligé de s’en tenir à son jugement, puisqu’il n’est pas une règle infaillible, ni un fondement incapable de dévier. De uuctoritate summi poniificis et generalis concilii, t. I, a. 29, Opéra omnia. Tournai, 1908, t. XXXVI, p. 570 sq. D’où Denys conclut que la décision dernière en matière de fol paraît appartenir à un concile général, parce qu’on ne peut donner son assentiment à la décision du pape qu’avec crainte, tandis que l’on peut adhérer avec certitude à la détermination faite par l'Église. Néaimioins il appartient à l’autorité du pape de faire un symbole de fol, quoique la personne à laquelle une si grande autorité est confiée, soit, comme les autres personnes, fragile et sujette au péché. En conséquence, vis-à-vis d’une décision provenant d’une telle personne, l’on n’est point aussi certainement tenu que pour les décisions de l'Église universelle infaillible, à laquelle il appartient de déclarer la juste convenance d’un symbole de foi rédigé par le pape. De même quand le concile n’est pas actuellement réuni, on doit recourir principalement au pape qui, en considération de sa faiblesse, n’a pas coutume de résoudre des choses difficiles sans l’approbation de l'Église ou sans la présence d’un concile. Loc. cit., p. 571 sq.

2° A rencontre de ces opinions se manifeste, à cette même époque, un premier développement Ihéologique du dogme de rinfalllibilité pontificale, particulièrement chez Thomas Nelter, saint Antonin de Florence et le cardinal Torqucmada.

1. Thomas Netter, appelé aussi Waldensis († 1445), prouve, par plusieurs témoignages des Pères, que le pape jjossède ab anliquo potestatem in/ringibilem ad determinandum fidei veritales et debellandum et cancellandum omnes falsilales hæreticas. Doctrinale antiquitalum fidei Ecclesiæ catholicæ, I. II, a. 3, c. 47, Venise, 1571, t. I, p. 284 sq. ; et que l'Église romaine est, par l’enseignement du pape, perpétuellement à l’abri de toute erreur dans la fol, t. II, c. 48, p. 287 sq. En faveur de cette Immunité d’erreur dans la foi, l’autorité de Luc, xxii, 32, et de Matth., xvi, 18, est citée, p. 287, 289 ; et de ces autorités scripturaires Netter conclut que Pierre, qui a été le premier confesseur de la divine génération, a reçu le premier, de JésusChrist, la prérogative de l’autorité, ut super fidem ejus præ aliis apostolis fundaretur Ecclesia, p. 288 ; et que celui auquel Jésus a dit Ego rogavi pro te ut non deficiat fides tua, est le maître unique par l’enseignement duquel la foi dans l'Église est une, p. 287.

On objecte ce passage de Netter : Posset forsan alicujus unius sapienlis fidelis esse suspicio, posset unius episcopi et apud pcriinacem aliquem est alicujus cleri sive universitatis, sive si/nodi episcopalis, sive etiam decreti comnuinis in Romana Ecclesia, imo forsan el generalis concilii patrum orbis, quia nulla harum est Ecclesia catlwlica sijmbolica, ncc vindicat sibi fidem dari sub pœna perfidiæ, sed qui sanctionibus sanctorum patrum Ecclesiæ cattiolicie et aposlolicse, id est per totiim mundum expansée et a sanctis apostolis conslitutæ et per successiones patrum iisque ad nostra tempora claruerunt, non stalim obedit, ipse filius prolerviæ sine omni scrupulo damnatur a singulis, 1. 11, c. xix, t. i, p. 196.

Mais il est manifeste qu’ici le but de Netter est uniquement de faire ressortir l'éclatante autorité du magistère ordinaire de l'Église universelle. Celte autorité est donnée comme tellement Indiscutable, aux yeux de tous, que quiconque ne lui obéit point aussitôt, est condamné par tous sans aucune hésitation comme un révolté ; tandis que pour les autres autorités, même pour un concile général et pour quelque décret de l'Église romaine, toute possibilité de soupçon contre leur vérité ou leur obligation n’est pas absolument

écartée, du moins dans quelque cas particulier et apiid perlinacem aliquem. L’autorité des décrets de l'Église romaine n’est donc aucunement niée ; elle est simplement jugée moins éclatante, au moins dans quelque cas particulier, que l’autorité du magistère ordinaire de l'Église universelle.

Quant à la phrase : nec vindicat sibi fidem dari sub pœna perfidiæ, appliquée aux décrets de l'Église romaine comme aux autres autorités indiquées, elle peut simplement signifier qu’il n’y a pas nécessairement obligation d’y adhérer sous peine de perdre la foi catholique ; ce qui, dans les siècles suivants, et en l’absence de définition formelle jusqu’au concile du Vatican, fut encore admis par beaucoup de théologiens.

Dans un autre passage, Netter affirme incidemment que la promesse de Jésus, Ego rogavi pro te, faite à Pierre, doit s’entendre de l'Église universelle dispersée par toute la terre, t. II, c. xix, n. 1, 1. 1, p. 193. Cette affirmation signifiant assez fréquemment chez les meilleurs défenseurs de l’infaillibilité pontificale, comme nous l’avons montré précédemment, que la promesse faite à Pierre est en réalité pour le profit de l'Église universelle, rien ne paraît s’opposer à ce que le même sens soit attribué à la phrase de Netter.

2. Saint Antonin de Florence († 1459) insiste particulièrement sur ce que l’infaillibilité doctrinale appartient au pape, non comme personne privée, car, sous ce rapport le pape est capable de pécheret d’errer, mais au pape nlens cancilio et rcquircns udjuloriam universalis Ecdesiæ. Siimma theologica, part. III, tit. XXII, c. iii, Vérone, 1740, t. iii, col. 1188. Expressions qui, au siècle suivant, donnèrent lieu à une controverse, mais qui ne paraissent point avoir été comprises par l’archevêque de Florence, dans le sens d’une condition absolument nécessaire pour l’exercice de l’infaillibilité pontificale dans un cas particulier.

Saint Antonin appuie l’infaillibilité pontificale sur l’institution divine, d’après la promesse formelle de Jésus à Pierre : Ego rogavi pro le ut non deficiat fides tua. Loc. cil. Aucun détail n’est donné sur la manière dont doit s’exercer le magistère pontifical, mais la manière très nette dont saint Antonin affirme le caractère souverain et plénier de la primauté pontificale, écarte, dans sa pensée, toute subordination ou dépendance du pape vis-à-vis d’un concile ou de quelque autre autorité, part. IIl, tit. xxiii, c. iii, col. 1273-1275. Quant à cette remarque, que, dans un concile général, ceux qui sont inférieurs au pape paraissent plutôt des conseillers, polius videntur consultores, col. 1279, elle doit, à cause du correctif employé, n'être point prise trop littéralement.

3. Le cardinal Jean de Torquémada († 1468) prouve, par plusieurs témoignages de la tradition et par l'Écriture, cette assertion : Quodsedis aposlolicæ judicium in his quac fidei sunt et ad Immanain salutem necessaria errare non possil. Sunima de Ecclesia, t. II, c. cix, Rome, 1489, sans pagination. La principale preuve scripturaire est le texte Ego rogavi pro le, Luc, xxii, 32, dont l’interprétation en faveur de l’infaillibilité pontificale est appuyée sur de nombreuses autorités, particulièrement sur l’enseignement des papes saint Léon le (jrand, saint Agalhon et saint Léon IX, et sur le témoignage de saint Bernard, que nous avons cités précédemment. Ue toutes ces preuves, Torquémada conclut que l’opinion adverse est téméraire et opposée à la doctrine de Jésus-Christ et des Pères, et que l’on commet une erreur très pernicieuse en rendant suspectes de fausseté les définitions du saint-siège, les déclarations de la foi, les condamnations des hérétiques et les canonisations des saints. La réponse aux diverses objections, t. II, c. cxui. fournit ensuite à TorquéJiiada l’occasion de préciser la doctrine de l’infaillibilité

pontificale. Le pape, comme homme privé, peut errer dans la foi, tenendo malam opinionem circa ea quee fidei sunt. Mais il ne peut errer sententiando in judicio de his quæ sunt fidei. Cette infaillibilité provient de la promesse divine et de l’assistance du Saint-Esprit. Elle s'étend à tout ce qui touche à la foi in hujusrnodi arduis malcriis quee fidem langunt. Il est affirmé que le pape, avant de donner une décision en ces matières, prend toujours conseil cum dominis cardinalibus et aliis doctis palribus, mais rien n’autorise à admettre que, dans la pensée de l’auteur, cette consultation est nécessaire pour l’exercice de l’infaillibilité pontificale.

Quant à cette objection que le pape, pouvant tomber dans l’hérésie, peut aussi porter une définition en faveur de l’hérésie à laquelle il aurait ainsi adhéré, Torquémada donne simplement cette réponse qu’il juge la meilleure. Si le pape devient hérétique, il cesse, par le fait même, d'être pape ; sa définition hérétique, s’il en portait une, n'étant plus une définition du siège apostolique n’aurait plus le privilège de l’infaillibilité. Il est manifeste que l’hypothèse ainsi envisagée est uniquement celle d’un pape tombant dans l’hérésie comme personne privée, et essayant vainement de porter une définition avec une autorité qu’il n’a plus.

4. Biel († 1495), appliquant au pape les paroles de Jésus à Pierre, Luc, xxii, 32, affirme que le successeur de Pierre doit confirmer ses frères per prædicationew. videlicet et doclrinam verse fidei et evangelii. Sacri canonis missee lucidissima expositio, lect. xxxiii, Brescia, 1576, p. 146. Parlant du décret de Sixte IV concernant l’immaculée conception de Marie, il déclare que toutes les questions de foi devant être référées au siège apostolique et tous les fidèles étant tenus de se soumettre à sa détermination, il est téméraire d’affirmer ou de penser contrairement à ce décret pontifical. InISenl., . III, dist. III, q. i, Brescia, 1574, p. 49. D’ailleurs, à plusieurs reprises, parlant des définitions de foi, il emploie comme synonymes les expressions delerminalio Ecdesiæ autsumrni pontificis. In IV Sent., t. IV, dist. XIII, q. II ; t. III, dist. III, q. i, p. 223, 49. Ce qui suppose chez le pape, en matière doctrinale, la plénitude de l’autorité donnée par Notre-Seigneur à son Église.

3° En même temps, plusieurs documents ecclésiastiques de cette époque, en écartant les erreurs opposées à l’infaillibilité pontificale, devaient servir au progrès de ce dogme. Ainsi la constitution de Martin V du 10 mars 1418 et la bulle Exsecrabilis de Pie II du 18 janvier 1459, en condamnant la proposition d’après laquelle il est permis d’en appeler de la décision du pape à celle d’un concile mettaient en évidence la souveraine indépendance du magistère du pape vis-àvis de toute autre autorité, quelle qu’elle fût. Voir Constance (C’onc/7erfc), t. iii, col. 1222, et DenzingerBaniTwart, n. 717.

Le même enseignement résultait aussi de la définition du concile de Florence affirmant que le pontife romain possède dans l'Église la plénitude de toute autorité. Donc aussi la plénitude de l’autorité doctrinale, et l’infaillibilité doctrinale que celle-ci comporte.

L’infaiUibilité pontificale résultait aussi avec évidence de la condamnation portée par Sixte IV, le 9 août 1479, contre cette proposition de Pierre d’Osina : Ecclesia urbis Romæ errare potest. Denzingcr-Bannwarl, n. 730.

4° Comme conclusion de cette période, on doit, à côté des quelques erreurs signalées, noter, du moins chez les théologiens ultramontains, un progrès très manifeste portant surtout sur l’exposition doctrinale et sur la démonstration théologique de l’infailhbilité pontificale. Dans l’exposition doctrinale le concept de l’indépendance du pape, vis-à-vis du concile ou de n’im.

porte quelle autre autorité, est formellement exprimé chez saint Antonin de Florence. On précise aussi, comme le fait TorquOniada, que l’infaillibilité pontificale s’étend seulement aux jugements que le souverain pontife porte en ce qui concerne la foi. Le progrès se manifeste aussi dans l’exposition de la preuve scripturaire et surtout patristique des deux textes évangéliques.Matth., xvi, 18, et Luc, xxii, 32, que l’on commence à développer avec un peu d’ampleur, contre les erreurs de cette époque.

F"= PÉRIODE, depuis le commencement du xvi<e siècle jusqu’à la définition dogmatique du concile du Vatican (1870), période caractérisée par un très notable développement dogmatique de l’infaillibilité pontificale. Nous nous bornerons à une indication sommaire du mouvement général des idées sur les principaux points concernant ce dogme

1 » Preuves scripturaires et palristiques du dogme de rin/aillibililé pontificale. — 1. Preuves scripturaires. - fl^ La principale preuve scripturaire invoquée par les défenseurs de l’infaillibilité ponli ficale à cette époque est le texte Ego rogavi pro te ut non dejlciat fides tua. Luc, XXII, 32. Le plus souvent on rapporte simplement le texte ou l’on y ajoute de courtes indications exégétiques ou patristiques, parmi lesquelles surtout l’autorité des souverains pontifes, tels que saint Léon le Grand, saint Agathon et saint Léon IX ; c’est ce que font notamment Pighi, Hiérarchise ecclesiasticæ asseriio, t. IV, c. viii, Cologne, 1538, fol. 130 ; Grégoire de Valence, Analysis ftdei catholicx, part. VII, Ingolstadt, 1585, p. 241 sq. ; Ferr, ’, Tractatus de virtutibus theologicis, t. i, q. xii, dans Rocaberti, Bibliotheca pontificia maxima, Rome, 1698, t. xx, p. 388.

Parfois cependant à l’appui de ce texte scripturaire on apporte quelques arguments exégéliques. Comme exemple, nous citerons surtout Bellarmin au xvif siècle et André Du val au xv ! i « .

Bellarmin, dans son argumentation scripturaire, combat deux fausses interprétations. Contre la première attribuant à Ego rogavi ce sens que Notre-Seigneur a seulement prié pour l’Église universelle pour que sa foi ne défaille point, Bellarmin montre que Pierre seul est désigné par Notre-Seigneur comme le bénéficiaire immédiat des promesses divines, par toutes les expressions marquant spécialement la personne de Pierre et par les paroles confirma fratrcs tuas, qui dans l’autre hypothèse n’auraient aucun sens. Quant à la deuxième interprétation entendant les paroles de Noire-Seigneur de la seule persévérance personnelle de Pierre, elle est en opposition formelle avec le contexte. Car.Jésus, pour écarter le danger commun ut cribrarct vos, a certainement demandé pour Pierre un privilège qui dût servir à l’utilité commune : ce qui ne convient aucunement à l’hypothèse indiquée. D’ailleurs tout dans le contexte indique que Jésus demande pour Pierre une chose spéciale, bien qu’elle soit pour l’utilité des autres. ()r la persévérance personnelle de Pierre dans la grâce ou dans l’amitié de Dieu n’est point une faveur spéciale, puisqu’une semblable faveur a été, peu après, demandée par Jésus pour tous les apôtres : Pater sancte, scrva eos in nomine tuo quos dedisti mihi. Joa., XVII, 11.

Bellarmin adopte donc cette troisième exposition qui est la vraie : Jésus a demandé pour Pierre et ses successeurs deux privilèges intimement connexes : rindéfectibilité dans la foi et le privilège de ne jamais rien enseigner contre la foi. Dans la pensée de Bellarmin, ces deux privilèges n’en font vraiment qu’un, car d’après tous les témoignages qu’il cite, l’indéfectibilité est promise au chef de l’Église pour qu’il alïermisse ou confirme lui-même tous ses frères dans la foi. JJe romano pontifice, t. IV, c. iir.

Au xvii’e siècle, André Duval complète la démonstration de Bellarmin en réfutant les arguments par lesquels Edmond Richer († 1C31) et Simon Vigor († 1624)’venaient d’attaquer l’interprétation traditionnelle dU’texte Ego rogavi pro te. De suprema romani pontificisin Ecclesiam potestate, part. II, q. i, Paris, 1877,. p. 107 sq.

Au xv !  !  !  ! ? siècle, Pierre Ballerini († 1769), insiste principalement sur les témoignages patristiques en faveurde cette même interprétation du texte de saint Luc. De vi ac ratione primatus romanoruni pontificum. Munster, 1845, p. 276 sq.

b)Lcs défenseurs de l’infaillibilité pontincale, à cette époque, citent fréquemment aussi le texte Tu es Pelrus et super hanc pctram œdificabo Ecclesiam meam el portée inferi non pruevalebunt ndversus eam, Matth., XVI, 18, le plus souvent sans ap]iorter aucune preuve ou en donnant seulement une courte démonstration exégétique et patristique. Nous citerons particulièrement Pighi, toc. cit. ; Bernardini de Lucques († 1585), Concordia ecclesiastica, t. IV, c ii, Florence, 1552, p. 191 sc[. ; Grégoire de Valence, op. cit., p. 219 ; Bellarmin, De romano pontifice, t. IV, c. m ; S. François de Sales, Controverses, part. II, c vi, a. 4, Œuvres, Annecy, 1892, t. i, ]). 246 ; Duval, De suprema romani pontificis in Ecclesiam potestatc, part. II, q. i, Paris, 1877, p. 107 ; Platel († 1681), Synopsis cursus theologici, part. III, c i, p. iv, 5e édit. Douai, 1704, t. iii, |). 79 ; Ferré, loc. cit. ; Dominique de la Sainte-Trinité († 1687), De sunmw pontifice romano, c. xvi, p. iv, dans Rocaberti, op. cit., t. x, p. 311.

Les théologiens qui insistent le plus sur les preuves patristiques en faveur de l’infaillibilité pontificale d’après Matth., xvi, 18, sont, au xvii*e siècle, Macédo, et au xviii<ï, Pierre Ballerini.

François Macédo († 1681), explique ainsi le langage des Pères qui, dans leur interprétation de ce texte, font surtout ressortir la foi de Pierre. Ce n’est point, dit-il, que les Pères aient nié que le texte doive s’entendre de la personne de Pierre, établi lui-même fondement de l’Église. Mais ils ont considéré, dans Pierre, laraison pour laquelle il a mérite de Jésus l’éloge que tous ses successeurs méritent également. Dans la pensée de ces Pères, notamment de saint Hilaire, saint Grégoire de Nysse, saint Jean Chrysostome, saint Jérôme et saint Augustin, le sens est véritalement : Christus super hanc fidclem petram œdificavit Ecclesiam. D’où Macédo conclut : Igitiir non potest unquum Petrus a fidedeficerc. De auctorilate pupæ, q. i, a. 1, dans Rocaberti, op. cit., t. xii, p. 165 sq. Macédo écartait ainsi la principale difficulté critique soulevée pai’Launoi au point de vue patristique.

Pierre Ballerini met la même remarque en tête de sa longue liste de témoignages patristiques, p. 269 sq.

c) Le texte Pasce oves meas, Joa., xxi, 17, très souvent mentionne dans la démonstration de l’infaillibilité pontificale, n’est l’objet durant cette période d’aucun développement exégétique ou patristique.

2. Autorité de la tradition. — Cette autorité est fréquemment citée, soit à l’appui des preuves scripturaires, comme chez Bellarmin et Macédo, soit à part, comme le fait Dominique de la Sainte-Trinité. Bibliollieca theologica, t. III, sect. iv, c. xvi, Rome, 1668, t. iii, p. 282 sq., ou dans Rocaberti, t. x, p. 312 sq. ; soit pour ces deux démonstrations. Ballerini, op. cit, p. 275 sq., 279 sq.

Cette démonstration patristique n’est pas exempte de défauts. On y a inséré quelques témoignages inauthentiques, comme ceux de saint Lucius I"’et de saint Félix h’, empruntés par Bellamiin, De romano pontifice, t. IV, c. iii, aux fausses Décrétâtes encore acceptées avec confiance. On rencontre aussi, dans cette démonstration, des réponses discutables ou même &

inexactes données à certaines difficultés liistoriqucs dont il sera question dans d’autres articles du Dictionnaire. Malgré ces quelques défauts, d’ordre plutôt secondaire, cette démonstration garde sa valeur substantielle et méritait d'être traitée plus équitablement par J. Turmel, qui, après avoir cité les critiques peu fondées dirigées par Launoi contre la démonstration patristique de Bellarmin, n’y oppose qu’une bien faible résistance. Histoire de la théologie positive du concile de Trente au concile du Vatican, Paris, 1906, p. 293 sq.

3. Certitude dogmatique de V injaillibilité pontificale. -- Cette question se pose comme conséquence de la démonstration scripturaire et patristique. Au xvi" et au xviie siècle, on affirme encore assez fréquemment que l’infaillibilité pontificale, bien qu’elle soit une vérité certaine, n’est cependant pas expressément de foi, soit parce que l'Église n’avait point encore porté de définition expresse sur ce point, soit à cause des assertions opposées de plusieurs théologiens ou canonistes jouissant de quelque considération. Stapleton (j- 1598), Controversia III cupitalis, De primario subjecto potestatis ecclesiasticæ, q. iv, dans Rocaberti, t. xx, p. 84 sq. ; Bannez, Commentaria in II^'-^ 11^, q. i, a. 10, dub. II, Venise, 1602, p. 113, 119 ; Bellarmin, De romano pontifice, t. IV, c. ii ; Tanner († 1632), In Summam S. Thomse, t. iii, disp. I, q. iv, dub. vi, dans Rocaberti, op. cit., t. i, p. 39 ; Duval, op. cit., p. 105 ; Platel, op. cit., t. iii, p. 80.

Cependant dès le xv ! » siècle, Pighi, op. cit., fol. 129 ; Cano, De locis theologicis, t. VI, c. vii, Opéra, Venise, 1759, p. 161, et Grégoire de Valence, op. cit., p. 309, 311, affirment explicitement que l’infaillibilité pontificale est une vérité de foi catholique. Au xvii<e siècle, cette même affirmation se rencontre plus fréquemment, notamment chez Suarez, De fide, tr. I, disp. V, sect. viii, n. 4 ; Nugno († 1614), Commentarii ac dispulationes in IIl^'" S. Thonia', q. xx, a. 3, dans Rocaberti, op. cit., t. viii, p. 257 ; Oregi († 1635), Summa theologica, tr. II, c. v, dans Rocaberti, t. iv, p. 633 ; Perez († 1637), Pentateuchum ftdei, t. V, dub. vi, c. i, dans Rocaberti, t.iv, p. 806 ; Gravina († 1643), Catholicæ præscriptiones adversus Iiœreticos, q. ii, a. 1, dans Rocaberti, t. viii, p. 425 ; Sylvius, Controversiæ, t. IV, q. II, a. 8, Opéra, Anvers, 1598, t. v, p. 313 ; Lao († 1663), Tractatus de summo pontifice, dub. iii, dans Rocaberti, t. iii, p. 604 sq. ; Chiroli, Lumina fidei divinæ, disp. III, diff. vi, dans Rocaberti, t. iii, p. 340 ; Macédo († 1681), De auctoritate papæ, q. v, a. 1, dans Rocaberti, t. xii, p. 213 ; Brancati de Lauria († 1693), In III Sent., De virtutibus theologicis, disp. V, a. 1, dans Rocaberti, t. xv, p. 25.

Au xviiie siècle, beaucoup de théologiens reproduisent encore la formule de Bannez et de Bellarmin. Nous citerons particulièrement : Viva († 1710), Damnaleet heses, quae>t. prodr., n. 7, Pavie, 1715, t. i, p. 3 ; Gotti († 1742), Theologia scholastico-dogmatica, tr. I, q. i, dub. VI, Venise, 1750, 1. 1, p. 60 ; Billuart († 1757), De fide, diss. IV, a. 5, p. i ; Pierre Ballerini (j 1769), De vi ac ratione primatus romanorum pontificum, c. XV, p. XI, Munster, 1845, p. 326 ; Kilbcr († 1783), De principiis theologicis, disp. I, c. ni, a. 4, dans la Theologia Wirceburgensis, Paris, 1852, 1. 1, p. 349, 380 ; S. Alphonse de Liguori, Theologia moralis, 1. 1, n. 110. Au xixe siècle, les positions théologiques restent à peu près les mêmes jusqu'à la définition portée par le concile du Vatican.

2° Négation pour le magistère pontifical de toute dépendance nécessaire soit d’un concile soit d’une approbation ultérieure donnée par l'Église universelle. —

1. Au xve siècle, quelques auteurs comme Tudeschi et Angelo de Clavasio sont encore dominés par les idées de Pierre d’Ailly et de Gerson, et soutiennent

en quelque manière la supcriorite du concile sur le pape en matière de foi.

Au commencement du xvii ? siècle, ces théories sont combattues par Cajétan dans deux opuscules publiés en 15Il et 1512. Cajétan montre, d’une manière générale, que le pape est super potestatem Ecclesiæ universalis et concilii generalis, ut disiinguitur contra papam, . d’après l’institution de Jésus-Christ. De comparatione auctoritalis papæ et concilii, c. vu. Opuscula omnia, Turin, 1582, p. 12 sq. Démonstration complétée dans le reste de cet opuscule, c. xi sq., p. 20 sq., et dans un deuxième opuscule publié en 1512, Apologia de compurala auctoritate papæ et concilii, p. 44-66. Le pouvoir de déterminer avec infaillibilité ce qui est de foi, , réside principalement dans le souverain pontife ; et même, selon saint Thomas, l’autorité de l'Église universelle, comme on l’appelle, n’est autre que celle du pape. De comparatione auctoritatis papæ et concilii, . c. IX, p. 17.

Quelques années plus tard, en 1510, Sylvestre de Priério († 1523) combat aussi les assertions de Tudeschi, mais sans se dégager entièrement de ce que celles-ci avaient de faux. Sylvestre admet, avec la tradition catholique, que le pape n’erre point tant qu’il parle comme chef de l'Église, c’est-à-dire quand il se sert du secours des membres de l'Église, per concilia et orationes et hujusmodi, ou quand il donne une décision comme chef de l'Église, au sujet de doutes pour lesquels il est consulté. Summa Sijlvestrina, art. Concilium, n. 3 ; art. Fides, n. 10 sq., Lyon, 1594, t. I, p. 151, 441. En même temps, la dépendance visà-vis du concile est admise, en ce que le pape est soumis au concile pour ce qui est manifestement defoi, et si le pape erre en cela avec obstination, il sedépose lui-même et n’est plus chef de l'Église, p. 151. Toutefois, en cas de dissentiment en matière de foi entre le pape et le concile, on est tenu de donner la préférence au pape, non point parce que ses raisons sont jugées meilleures, car un tel jugement ne peut être porté avec autorité, mais parce que le pape, comme chef de l'Église, a plein pouvoir pour résoudre les doutes en matière de foi, p. 151, 441.

Cette opinion attardée de Tudeschi est encore soutenue par Thomas Illyricus († 1528). Après avoir prouvé que toutes les causes majeures, dans l'Église, appartiennent au pape, Thomas excepte la cause de la foi, où le pape ne peut rien décider sans un concile : exception qu’il essaye d’appuyer sur le Décret de Gratien, Prima pars, dist. XIX, c. ix. Thomas ajoute que le pape peut errer dans la foi, mais non toute l'Église. Comme preuve de cette dernière assertion, l’auteur cite Gratien, Prima pars, dist. XL, c. vi, dont nous avons parlé précédemment. Une autre conclusion d' Illyricus est que les textes affirmant, comme la lettre de saint Jérôme au pape Damase, que l'Église romaine ne peut errer, doivent s’entendre de l'Église universelle, justement appelée l'Église romaine. Tractatus de summa potestate, Turin, 1523, sans pagination.

Une opinion assez semblable est défendue par Alphonse de Castro († 1558), dans un ouvrage pulslié en 1 534. Le jjape peut errer dans la foi, comme il advint, de fait, pour Libère et Anastase II. L'Église universelle est seule à l’abri de toute erreur, parce qu’elle est enseignée par le Saint-t-^sprit. Adversus hærcsesy t. I, c. IV, Cologne, 1543, fol. a. Le siège apostolique qui ne peut errer dans la foi n’est point le pape seul. Sed sedes apostolica quæ nunquam erravit, comprehendit iam collegium cujus concilio juvatur poniifex quam ipsum pontificcm, t. I, c. viii, fol. xv. Castra est cependant très exiilicite sur la primauté de Pierre et sur son privilège de confirmer ses frères, 1. XII> fol. CLXxiv sq.

Adrien d’Utrecht, qui plus tard devint pape sous le nom d’Adrien VI († 1523), émit incidemment cette assertion que, si par Église romaine on entend son chef, il est certain qu’elle peut errer, même en ce qui concerne la foi, en affirmant l’hérésie, hæresim per siiam dclcrmindlionem aiit decretalem asserendo ; car il y a eu, en fait, plusieurs pontifes romains hérétiques. Qnestiones in IV Senkntiarum. De sacramento confirmedionis, a. 3, Paris, 1516, fol. xvin.

2. A rencontre des opinions erronées que nous venons de citer, les théologiens ultramontains du xvi «  et du xviie siècle enseignent, comme une vérité très certaine, souvent même comme une vérité de foi, que le pape, dans l’exercice de son magistère infaillible, n’est point dépendant de l’autorité d’un concile. Ces théologiens étaient d’ailleurs aidés en cela par l’enseignement du V « concile de Latran affirmant l’autorité du pape sur le concile, Denzinger-Bannwart, n. 740, et par la condamnation portée par Léon X contre cette proposition 28 « de Luther : Si papa cum magna parte Ecclesiæ sic vel sic sentiret, nec etiam erraret ; adhuc non est peccaium aut hæresis conirariiim senlire, prieserlim in re non necessaria ad salulem, donec fiieril per conciliiim univcrsale allerum reprobatum, allerurn approbatum. Denzinger-Bannwart, n. 768.

Pighi (I 1534), après avoir démontré, par beaucoup de preuves de tradition, le privilège de l’infaillibilité pontificale, conclut que ce privilège est assuré non seulement au siège apostolique, mais à tous les successeurs de Pierre. Quare nobis constat non solum cathedræ, scd miilto magis Pétri et successorum ejus indefectibilis fidei priuilegium, ad confirmandos fraires in fide. Ce privilège est assuré à tous les successeurs de Pierre, de telle manière qu’ils sont seuls à le posséder et qu’aucun concile ne peut participer à cette infaillibilité qu'à la condition d'être uni au pape et de s’appuyer sur son autorité. Hiérarchise ecclesiaslicæ, t. IV, c. viii, Cologne, 1538, fol. cxxxvi sq.

Melchior Cano († 1560), rejette expressément l’opinion de quelques théologiens qu’il appelle non satis acuti, qui, mettant une distinction entre l'Église romaine et le pontife romain, afïirmaient que celui-ci peut errer dans la foi, tandis que celle-là n’est jamais capable d’errer. De locis theologicis, t. VI, c. vii, Venise, 1759, p. 163. Il rejette également la thèse de ceux qui faisaient dépendre l’autorité doctrinale du pape de celle d’un concile. Il montre contre eux que, si le jugement du Saint-Siège était faillible, et celui d’un concile toujours certain et véridique, il serait déraisonnable de rejeter un appel du jugement pontifical à celui d’un concile. Or un tel appel, dans les causes de foi, est contraire à la coutume constante et universelle dans l'Église. Nunquam enim admissa est appellatio in causis fidei a sede romana, t. VI, c. vii, p. 161. Stapleton († 1598), après avoir cité les principales preuves de tradition en faveur de l’infaillibilité du pape, conclut que, d’après tous ces témoignages, le pontife romain possède seul supremum et absolutissiinum fidei judicium. Principiorum fidei doctrinalium demonstratio melhodica, controv. II, t. VI, c. xvii, 2e édit., Paris, 1582, p. 240.

Grégoire de Valence († 1603), combat particulièrement ceux qui voulaient subordonner l’autorité doctrinale du pape à celle d’un concile. Une telle assertion est en opposition manifeste avec la foi catholique sur la primauté de Pierre et de ses successeurs. Celuilà seul a le pouvoir de déterminer, avec une autorité infaillible, les controverses de foi, qui possède, dans l'Église, le pouvoir spirituel suprême ; pouvoir qui certainement appartient au seul pontife romain, non à un concile en dehors du pape. Analysis fdei catholicw, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. 402. Aussi est-il « xpressément allirmé que les conciles généraux ont

une autorité infaillible seulement quand ils sont approuvés par le pontife romain, p. 400 sq.

Bannez († 1604), estime qu’il y a témérité scandaleuse à affirmer qu’un concile est supérieur au pape, valde temerariiim esse et scandalosum multarumque liieresum fomentum, asscrcre quod concilium sit supra papam. L’infaillibilité du pape enseignant seul in publico fidci judicio a été, au jugement de Bannez, définie par Léon X, par sa bulle du 15 juin 1520, condamnant la proposition 28<= de Luther, précédemment citée. Bannez conclut que c’est un enseignement apostolique, qui serait certainement considéré comme tel par tous les fidèles, si, depuis le concile de Constance, le démon n’avait pas, sur ce point, semé la zizanie dans l'Église. Cornmentaria in II » m jjx^ q. i^ a. 10, dub. II, Venise, 1602, col. 113, 119.

Bellarmin († 1621), réprouve, à diverses reprises, l’erreur de ceux qui voulaient, en matière de foi, soumettre le pape à l’autorité d’un concile général. De romano pontifice, t. IV, c. i ; De conciliis et Ecclesia, I. I, c. xvii.

Suarez († 1618), montre que l’autorité doctrinale n’a pas été donnée au pape dependenter a concilio, mais qu’elle a été donnée au concile dependenter a papa, et il estime que c’est une vérité de foi. De fidc, part. I, disp. V, sect. viii, n. 4, 0.

Sylvius († 1648), prouve que l’autorité des conciles n’est pas requise ut pontifex possit injalUbililer deflnire res fidei, parce que l’infaillibilité n’est pas dans un concile d'évêques, ni dans une réunion de conseillers, mais en celui à qui Jésus a dit : Ego rogavi pro te ut non deficiat /ides tua, c’est-à-dire dans Pierre et dans ses successeurs légitimes. Controv., t. IV, q. ii, a. 8, Opéra, Anvers, 1698, t. v, p. 134.

La même doctrine est soutenue en France, à cette époque, à l’encontre de l’erreur de Richer qui prétendait que l’autorité doctrinale infaillible est dans toute l'Église, ou dans un concile général qui la représente, et que le pape, chef ministériel de l'Église, ne peut obliger l'Église sans que celle-ci donne son consentement préalable, ou sans qu’elle ait été consultée. De ecclesiastica et politica potestate, n. 6, 8, Paris, 1611, p. 8, 13 sq. Nous citerons particulièrement, Mauctère († 1622), De monarchia divina, ecclesiastica et seculari christiana, part. II, t. IV, c. iv sq., Paris, 1622, col. 490 sq. ; Duval, op. cit., p. 105 ; Louis Abelly, († 1699), Déjense de la hiérarchie de l'Église, Paris, 1659, p. 110 sq.

A ces témoignages on doit joindre deux lettres des évêques de France reconnaissant alors pleinement l’obligation imposée par les décisions doctrinales du pape, avant qu’elles fussent sanctionnées par le consentement de l'Église universelle. En 1651 25 évêques de France, écrivant à Innocent X, au sujet des erreurs de Jansénius, témoignent que c’est la coutume constante de l'Église de référer au saint-siège, à cause de la foi indéfectible de Pierre, les causes concernant la foi. Pour mettre fin aux controverses, ils demandent au pape de porter, sur les propositions plus particulièrement dangereuses ou dont la discussion est plus ardente, une décision certaine qui dissipe toute obscurité, calme les esprits, termine tout différend et rende à l'Église la tranquillité. Duplessis d’Argentré, Colleclio judiciorum de novis erroribus, Paris, 1736, t. III, p. 260. Après la condamnation portée par Innocent X contre les cinq propositions extraites de VAugustinus, ces mêmes évêques, exprimant au pape leurs remerciements et leur parfaite soumission, reconnaissent que l’autorité du pape divinement établie est, selon la parole de Jésus-Christ et selon la tradition constante, une autorité souveraine dans toute l'Église, que tous les chrétiens sont tenus de lui donner mentis ubsequiiim, et que le pape Innocent X,

per Pelri solUlitalem, triomphera certaiiienient de la nouvelle hérésie. Comme les évêques du IV"^ concile acclamaient saint Léon le Grand, ainsi les évêques acclament aujourd’hui Innocent X, cujus ore Pclrus locutus est. Duplessis d’Argentré, loc. cit., p. 275.

3. A cause de l’erreur soutenue dans la 4 « proposition de la déclaration gallicane de 1682, voir Déclaration DE 1682, t. IV, col. 197 sq., l’exposition catholique, à la fin du xvii « ainsi qu’au xviiie siècle, p ; ésente un nouvel aspect. L’effort principal des théologiens ultramontains à rencontre des assertions gallicanes, est de prouver que les décisions doctrinales du pape, pour être infaillibles et irréformables, n’ont pas besoin d’être sanctionnées par le consentement subséquent de l’Église universelle. Cette revendication est principalement appuyée sur les paroles scripturaires conférant l’autorité suprême à Pierre seul et à ses.successeurs, et sur le témoignage constant de la tradition reconnaissant cette suprême autorité dans les seuls pontifes romains. Souvent aussi, par une argumentation ad hominem, on prouve contre les gallicans, en se plaçant sur leur propre terrain, que même en acceptant une telle condition, ce que l’on déclare toutefois inadmissible, on devrait nécessairement admettre le caractère souverain de l’infaillibilité pontificale, accepté de fait par l’Église universelle en dehors de la fraction gallicane. On a soin, d’ailleurs, de noter que le fait subséquent de la croyance de l’Église universelle peut être considéré comme un signe manifeste de l’enseignement obligatoire et infaillible donné antérieurement par le pape seul.

On doit enfin remarquer que les théologiens ultramontains furent aidés dans cette lutte par la condamnation portée par Alexandre V 1 II, le 7 décembre 1690, contre cette proposition : Fulilis et totks convulsa est assrrlio de pontificis romani supra concilium aciimenicum aiictoritale alqiie in fidei quæstiunibus decernendis infallibilitate. Denzinger-Bannwart, n. 1319. Voir t. I, col. 761-762.

Parmi les théologiens qui combattirent ainsi, à la fin du xvii"^ et au xviii’siècle, contre l’idée qu’une ratification de l’enseignement pontifical par le consentement de l’Église universelle était nécessaire, on doit particulièrement mentionner : d’Aguirre († 1699), Auctoritas infallibilis et sumnia cathedræ S. Pétri, disp. I, sect. I, Salamanque, 1683, p. 2 sq. ; Viva, Damnalæ llicses, Pavie, 1715, t. i, p. 3 sq. ; t. iii, p. 117 sq. ; Ciotti, Ttieologia scholastico-do(jmatica, tr. I, q. III, dub. VI, Venise, 1750, t. i, p. 61 sq. ; Billuart, De fide, diss. IV, a. 5, § 2 ; Orsi († 1761), De irreformabili romani pontificis in definiendis fidci controversiis judicio, 2e édit., Rome, 1772 ; Pierre Ballerini, op. cit., p. 222 sq., 255 sq. ; Kilber, op. cit., 1. 1, p. 349 sq. ; S. Alphonse de Liguori, Theologia morulis, t. I, n. 115.

Même en France, malgré la prédominance du gallicanisme théologique, tel qu’il a été exposé à l’art. Gallicanisme, t. vi, col. 1097 sq., les défenseurs de la vérité catholique ne firent pas entièrement défaut. Entre 1682 et 1689 parut, sans nom d’auteur, un ouvrage reproduisant d’autres écrits conlemporains sur la même matière et revendiquant pleinement la doctrine catholique, sous ce titre : Cathedræ apostolicæ œcumenicse auctoritas ex occasionc quatuor cleri gallicani propositionum anno 1682 in parisiensi ecclesia.stico conventu editurum. asserta et vindicata, ouvrage inséré dans la Bibliutheca ma.vima pontifieiu de Rocaberti, t. vu. L’auteur affirnu’que la foi du successeur de Pierre, enseignant l’É^glise, est ferme quoad se et quoad ipsam rci verit<dem, avant que le consentement de l’Église vienne s’y adjoindre, t. vii, p. 664. Mais ce même consentement, cpiand il s’est adjoint, nous donne une certilude plus grande, de telle sorte que l’on peut dire que, quoad nos, il est plus certain

quod papæ judicium ex petra et cathedra ipsius apostolica promanarit, p. 665. L’infaillibilité du pape indépendamment de la ratification de l’Église est prouvée par les textes scripturaircs. Luc, xxii, 32 ; Matth., xvi, ^ 18 ; Joa., xxi, 15 sq., p. 671 sq. Après avoir cité, en faveur de cette doctrine, les témoignages de la tradition chrétienne, l’auteur mentionne les témoignages concernant spécialement les Églises de France, soit aux époques anciennes soit à l’époque même où il écrivait, p. 692 sq.

Quelques années plus tard, dom Mathieu Petitdidier, abbé de Saint-Pierre de Senones, faisait publier à Luxembourg son Traité théologique sur l’autorité et r infaillibilité des papes, 1724. Il y prouve notamment que le jugement du pape, pour être infaillible, n’a pas besoin de la ratification subséquente de l’Église, p. 355 sq.

On doit également noter que les assemblées dii clergé de France, tenues à Paris en 1700, 1705, 1713^ 1714, rendirent pratiquement hommage à la souveraine infaillibilité du pape, en adhérant à la vérité déjà jugée par lui, notamment dans les deux constitution. s apostoliques Vineam Domini du 16 juillet 1705 et Unigenilus du 8 septembre 1713. Le 7 septembre 1705,. les évêques de France écrivent au pape Innocent XI, qu’ils ont reçu son enseignement comme les évêques des Gaules avaient autrefois reçu celui du pape saint Léon le Grand, et comme les Pères du IV^ concile avaient reçu l’enseignement du même saint Léon. Tous ont été d’avis qu’il faut veiller avec soin pour que, parmi les fidèles confiés à leur sollicilude, personne ne puisse impunément enseigner, écrire ou dire le contraire. Procès-verbal de l’assemblée générale du clergé de France tenue à Paris en 1705, Paris, 1706,. p. 262. Même déclaralion dans la lettre adressée au pape le 5 février 1714 relativement à la constitution Vnigenitus. Procès-verbal de l’assemblée des 112 cardinaux, archevêques et évêques, tenue à Paris en 1713 et 1714, Paris, 1714, p. 101 sq.

Notons, pour terminer cette courte esquisse, qu’au xixe siècle les opinions théologiques, sur le point qui nous occupe actuellement, restent à peu près les mêmes jusqu’à la définition du concile du Vatican.

3° Négation pour le pape de toute véritable nécessité d’employer les moyens naturels et surnaturels aidant Cl connaître la vérité « enseigner aux fidèles, ou du moins négation de toute nécessité pratique d’examiner si ces moyens ont été employés. — Au xve siècle, saint Antonin de Florence, pour désigner l’infaillibilité du pape, parlant, non comme personne privée, mais comme chef de l’Église, s’était servi de ces expressions : papa ulens concilia et requirens adjulorium universalis Ecclesia ;, Summa theologica, part. III, tit. xxii, c. III, Vérone, 1740, t. iii, col. 1188, sans déterminer si cette condition est nécessaire pour l’infaillibilité elle-même, ou seulement pour son légitime exercice.

Au xvie siècle, chez Sylvestre de Priério († 1523), ces expressions sont synonymes de papa quamdiu e.st caput Ecclesia ; et ut caput Ecclesiæ. Sunima sylves-Irina, art. Concilium. n. 3 ; art. Ecclesia, n. 3, Lyon, 1594, t. I, p. 151, 298. Sylvestre s’était déjà.servi du même langage dans un opuscule contre Luther, Enaia et argumenta Martini Lutlieri rccilata détecta repuisa et eopiosissime trila, Rome, 1520, opuscule inséré par Rocaberti dans sa Bibliothecu pontificia maxima, Rome, 1699, t. xix, p. 281.

Viguier († 1553), va plus loin. Il déclare expressément que le pape, pour procéder comme pape et être conséquemment infaillible, doit observer les rites accoutumés, c’est-à-dire qu’il doit convoquer un concile d’évêques, faire prier et invoquer le Saint-Esprit dont l’assistance a été promise à l’Église. Inslitutiones, Devirtutc jidei, 3, Venise, 1560, p. 103.

Pighi († 1534) paraît admettre quelque obligation morale, pour le pape, de consulter avant d’exercer son autorité infaillible, non une nécessité absolue pour l’exercice même de l’infaillibilité doctrinale. Après avoir solidement prouvé que le privilège de l’infaillibilité appartient, en vertu de la prière de Jésus-Christ, non seulement à Pierre, mais encore à tous -ses successeurs pour qu’ils confirment leurs frères dans la foi, Pighi conclut que ceux qui siègent sur la chaire de Pierre, doivent, dans les questions difficiles qui leur sont soumises, s’aider d’un concile sacerdotal, selon l’usage ecclésiastique observé depuis les commencements. Toutefois il est expressément affirmé que ce concile sacerdotal n’a ni par lui-même, ni par un privilège propre, aucune garantie d’orthodoxie, mais seulement, ex privilegio Pctri ccclesiasticse liicrarchiæ capilis, ciii uni impelravit Christiis ne fides ejus deficeret ad confirmandos fratres in fide. Hicrarchiæ ecclesinslicæ, t. iv, c. viii, Cologne, 1538, fol. 136. Cette remarque finale, développée avec quelque instance par Pighi, autorise à admettre que, dans sa pensée, il y a, pour le pape, dans le cas indiqué, une obligation morale de consulter, non une nécessité absolue pour l’exercice de l’infaillibilité doctrinale.

Selon Cano († 1560), Dieu, qui a promis à son Église la fermeté dans la foi, ne peut manquer de lui assurer ellectivement les secours par lesquels cette fermeté est conservée, liaque præstal semper pontifex quod in se est, præslalque concilium cum de fide pronunlianl : caduque causa si quis c nosiris aliter existimat Quand Jésus a dit à Pierre : J’ai prié pour toi pour que ta foi ne défaille point, nous comprenons manifestement que Jésus a obtenu de son Père, ut quæ ad rectum de ftdei quæslione judicium pertincrcnt, ea adessent Petro omnia, sive a Deo, sive ab liomine exspectarentur. D’où Cano conclut : Ita nunquam ego admittam aut pontificem aut concilium diligentiam aliquam necessariam quæstionibus fidei decernendis omisisse. De locis Iheologicis, t. V, c. v. Opéra, Venise, 1759, col. 133.

Grégoire de Valence († 1603) reproduit les affirmations de Cano, en ajoutant qu’il n’y a aucune raison solide quam ob rem existimare debcamus studii diligentiam pontifici necessariam esse non modo ut convenienter ac sine culpa cntctoritate sua injallibili utatur, verum etiam ut omnino illa utatur. Anahjsis fidei catholicæ, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. 325 sq.

Bellarmin († 1621) se borne à montrer la conciliation pratique entre les deux opinions. Ceux qui rejettent la stricte nécessité des recherches et soins diligents, veulent simplement affirmer que l’infaillibilité doctrinale n’est point dans un concile ou dans une réunion de conseillers, sed in solo pontifice. Ceux qui admettent cette même nécessité, l’entendent seulement d’une obligation morale de consulter, explicare volunt pontificem debere facere quod in se est, consu-Irndo viros dodos et peritos rci de qua agitur. De romimo pontifice, t. IV, c. ii.

Suivant Banncz († 1601), les recherches et soins diligents sont nécessaires pour l’infaillibilité elle-même, mais en fait ils ne feront jamais défaut. Commentaria in 7P™ W^tq- i, a. 10, dub. ii, Venise, 1602, col. 125. Désormais tous les théologiens s’accordent sur cette conclusion, qu’il n’y a pas lieu de s’enquérir pratiquement si le pape a attentivement considéré la question avant de porter son jugement ; soit qu’ils pensent, avec Bannez, que de la part du pape, des recherches diligentes sont nécessaires, mais qu’elles ne feront jamais défaut, soit qu’ils jugent, avec Grégoire de Valence, et c’est le plus grand nombre, que cette nécessité n’est point prouvée et qu’elle n’existe point.

Nous citerons parliculièreinent parmi les théologiens du xvii et du xviiie siècle : Nugno, Commentarii

ac disputuliones in I Il’ri^ partem S. Thomie, q.xx, a. 3, difꝟ. 3, dans Rocaberti, t. au, p. 259 ; Suarez, De fide, tr. I, disp. V, sect. viii, n. Il ; Tanner, In Summam S. Thomas, t. iii, disp. I, q. iv, dub. vi, dans Rocaberti, t. I, p. 40 ; Gravina, Catholicee prsescripliones adversus hæreticos, q. ii, a. 1 ; Pro sacro deposito fidei catholicsp. et apostolicæ fideliter a romanis pontifîcibus custodito apologeticus, xix, 22, dans Rocaberti, t. viii, p. 429, 489 sq., 1040 ; Duval, op. cit., p. 123 ; Sylvius, op. cit., p. 315 ; André Lao († 1663), Tractatus de summo pontifice, Rome, 1663, dans Rocaberti, t. iii, p. 605 ; Dominique de la Sainte-Trinité, op. cit., dans Rocaberti, t. X, p. 456 ; Brancati de Lauria, op. cit., dans Rocaberti, t. xv, p. 46 sq. ; Viva, op. cit., t. i, p. 2 ; Billuart, loc. cit. ; Ballerini, op. cit., p. 295 ; Kilber, op. cit., t. I, p. 348 sq. ; S. Alphonse de Liguori, Theologia morcdis, t. I, n. 110.

Dans toute cette période un seul auteur ultramontain fait exception, Hyacinthe Serry (t U38). Dans un ouvrage publié en 1732, Serry soutint que les pontifes romains, jugeant dans les causes de foi, sont infaillibles seulement quand ils se prononcent solennellement, c’est-à-dire quand ils ont préalablement consulté, selon l’usage actuel, les cardinaux qui constituent aujourd’hui le clergé romain, præhabita Ecclesix intra urbis ambitum constitutse consultatione, seu, ut præsens habet usas, adhibilis ad consultalionem cminentissimis cardinalibus qui romanum hodie clerum constituunl. De romano pontifice in ferendo de fide moribusque judicio falli et fallcre ncscio, Pavie, 1732. A l’appui de cette thèse, l’auteur publia une dissertation nouvelle, Infallibilitatis pontificia ; justis terminis circumscriptie explicatio atque defensio, dissertatio apologetica, Cologne, 1734. Mais l’ouvrage ayant été mis à l’Index par un décret du Saint-Office du 14 janvier 1733, l’opinion ne trouva plus aucun défenseur parmi les auteurs catholiques.

4° Conditions requises quant à la définition elle-même. — 1. Jusqu’à la fin du xviie siècle, les indications données par les théologiens s’appliquent explicitement aux seules définitions ex cathedra concernant les vérités de foi. Suivant Cano, le pape doit porter un jugement obligeant tous les fidèles à croire la vérité définie. De locis Iheologicis, t. V, c. viii, Venise, 1759, p. 165. Conséquemment ce qui, dans les décrets des papes, comme dans les décrets des conciles, est cité comme exemple ou comme répondant à une objection, ou indiqué obiler et in transcursu præler inslitutum prœcipuum de quo erat potissimum controversia, n’appartient point à la foi, ou n’est point catholicæ fidei judicium, t. V, c. v, p. 136.

Selon Grégoire de Valence († 1603), il y a définition infaillible quand le pape, ut persona publica, afHrme une vérité concernant la foi et oblige l’Église universelle à l’accepter, Analijsis fidei catholicee, p. 311, 313. Le pape veut ainsi obliger l’Église universelle seulement en ce qu’il détermine de propos délibéré, ex instituto. Ce que l’on peut déduire aut exerroribus conlrariis adversus quos pontifices aliquid definiunt aut ex asserendi modo atque forma ut si aliquid sub anathemate statuant, aul si ex fide certum esse affirment. Commentaria tlieologica. In 11^’^ II-^’, disp. 1, q. i, p. vii, q. vi, § 41, Lyon, 1603, t. iii, col. 259 sq.

Bannez, dans le but de déterminer à quels signes on peut reconnaître une définition pontificale infaillible, pose ce principe, que ces signes sont pratiquement les mêmes que ceux auxquels on reconnaît les définitions portées par les conciles. Il y a donc définition infaillible de foi dans les trois cas suivants : quand l’erreur opposée est condamnée comme hérétique, quand la vérité définie est expressément proposée comme devant être acceptée et crue par tous les fidèles, et quand il est dit expressément dans la définition.

lie consilio fratrum hoc vel illiid defiiiimiis. Si aucun de ces signes ne se rencontre, la définition pontificale n’est pas vraiment infaillible, non est omnibus modis ipsa pontificis deflnitio inlallibilis, etiamsi ponLifex aliquid abwlute proférât et in volumine juris suam pronunliationem insérât. Toutefois, il y aurait témérité, surtout en ce qui concerne la foi, à nier ce qui est défini dans les décrets d’un concile général ou provincial confirmé par le souverain pontife, même si, dans CCS décrets, l’on ne rencontre aucun des signes indiqués. Cominentaria in /P « m /P, q. r, a. 10, dub. ii, Venise, 1602, p. 127.

Cet enseignement de Baimez se rencontre habituellement chez les théologiens du xvii » siècle : Suarez, De flde, tr. I, disp. V, sect. viii, n. 4, 7 ; Nugno, Con^mentarii ac dispntationes in /// « m S. Thomee, q. xx, a. 3, dans Rocaberti, t. viii, p. 256 ; Duval, De suprema romani pontifiais in Ecclesiam potestate. Paris, 1877. p. 107, 149 sq., 151 ; Gravina, CathoUcæ præscripliones aduersas hæreticos, q. ii, a. 14, dans Rocaberti, t. vii, p. 495 sq. ; Sylvius, op. cit., p. 313 ; Platel, op. cit., t. ra, p. 91 ; Cardenas, Crisis theologica, Venise, 1710, t. I, p. 64 sq. ; t. iv, p. 9 sq.

2. Depuis la fin du xviie siècle, àla suite de la controverse relative aux faits dogmatiques, l’infaillibilité du pape, comme celle de l’Église, est habituellement affirmée, d’une manière très explicite, relativement aux faits dogmatiques. Voir Église, t. iv, col. 2188 sq. Incidemment aussi l’infaillibilité du pape, comme celle

-de l’Église, est affirmée pour les conclusions théologiques concernant les matières appartenant indirectement au dépôt de la foi, col. 2184 sq., et même pour les propositions condamnées par le pape comme erronées, téméraires ou scandaleuses. Cardenas, op. cit., t. r, p. 58 ; Viva, op. cit., 1. 1, p. 8 sq. Toutefois on doit noter qu’au xvin"’siècle quelques théologiens emploient encore des expressions qui paraissent restreindre l’infaillibilité du pape aux seules définitions de foi. Ballerini, op. cit., p. 292 sq., 316, 320 ; Kilber, op. cit., t. I, p. 348. Ces expressions ne doivent pas èlre prises trop littéralement. Ainsi Ballerini déclare lui-même que l’on doit ranger parmi les définitions de foi les décrets apostoliques qui ont pour objet la -condamnation de quelque erreur contraire au dogme, op. cit., p. 316, et que dans les dogmes de foi on doit comprendre morum naturalis ac diinni juris doctrina. Ibid.

3. On doit également noter que, depuis le xvie siècle, les théologiens admettent explicitement l’infaillibilité du pape en ce qui concerne les lois portées pour’l'Église universelle, la canonisation des saints et l’approbation des ordres religieux. Voir t. iv, vcol. 2185 sq.

Conclusion.

1. De tout ce qui précède on doit conclure qu’il y eut pendant cette période un progrès considérable dans le développement des preuves -scripturaires et patristiques du dogme de l’infaillibilité pontificale et dans l’exposition du concept théologique de cette même infaillilùlité.

I-e progrès dans le développement des preuves scripturaires et patristiques est très marqué chez quelques théologiens comme Bellarmin au xvie siècle, André Duval au xvii= et I^ierre Ballerini au xviii<’.

Le progrès accompli dans l’exposition du concept théologique de l’infaillibilité pontificale porte particulièrement sur les points suivants : a) A partir du XVI'e siècle, l’on rencontre chez presque tous les théologiens ultramontains un concept très explicite de l’indépendance du magistère pontilical vis-à-vis des conciles ; et depuis la fin du xvii'e siècle, cette même indépendance est explicitement proclamée vis-i’.-vis du consen-’tement de l’Église universelle. Cette doctrine l’on a soin de l’appuyer solidement sur l’Écriture et la tra dition catholique constante, b) Depuis la fin du xvie siècle, les théologiens s’accordent à affirmer explicitement qu’il n’y a aucune nécessité de vérifier si le pape a fait des recherches diligentes avant de prononcer un jugement suprême en matière de foi, soit parce que ces recherches ne sont point nécessaires pour l’infaillibilité, soit parce que la Providence veille constamment pour en procurer l’exécution.

c) Depuis la fin du xvi » siècle également, les théologiens s’accordent à appliquer, aux définitions du magistère pontifical, les principes précédemment admis et concernant les définitions du magistère de l’Église considéré d’une manière générale ; et ils en déduisent les conditions nécessaires pour qu’il y ait une définition infaillible du magistère pontifical.

d) Depuis la finduxviie siècle, l’infaillibifité du pape, comme celle de l’Église est, habituellement affirmée d’une manière très explicite, relativement aux faits dogmatiques, et en tout ce qui appartient indirectement au dépôt de la foi.

2. Un nouveau progrès dogmatique est accompli en 1870 par la définition du concile du Vatican qui proclame la complète indépendance du magistère pontifical vis-à-vis des conciles, ou vis-à-vis du consentement de l’Église universelle, et qui enseigne en même temps que le magistère infaillible du pape doit s’étendre à tout ce qui appartient à la foi et aux mœurs.

Le concile du Vatican devant être étudié à part, nous citerons seulement ici la définition portée par le concile sur l’infaillibilité pontificale.

Itaque nos tradition ! a C’est pourquoi nous attafidei christianse exordio parchant fidèlement à la tradiceptae fidelitcr inhærendo, tion reçue dés le comniencead Dei salvatoris nostri gloment de la foi chrétienne, riam, religionis catholica ; pour la gloire de Dieu notre exaltationem et christianoSauveur, pour l’exaltation rum populorum salutem, sade la religion catholique et le cro approbante concilie, salut des peuples chrétiens, docenius et divinitus révélaavec l’approbation du sacré tum dogma esse (lefmimus : concile, nous enseignons et romanuni pontificeni, cum nous définissons que c’est un ex cathedra loquitur, id est, ’dogme révélé que quand il cum omnium christianorum parle e.r catliedra, c’est-à-dire pastoris et doctoris muncre quantl, s’acquittant de sa fungens, pro suprema sua cliarge de pasteur et de docapostolica auctoritate, docteur de tous les chrétiens, en trinani de fide vel moribus vertu de sa suprême autorité ab universa Ecclesia tenenapostolique, le pontife rodani defuiit, per assistenmain définit une doctrine, tiain divinam ipsi in beato appartenant à la foi et aux Petro proinissam, ea intallimœurs, qui doit être tenue bilitate pollere, qua divinus par l’Église universelle, il redemptor Ecclesiam suam jouit, grâce à l’assistance diin definienda doctrina de vine qui lui a été promise fide vel moribus instructam dans le bienheureux Pierre, esse voluit ; ideoqueejusniodi de cette infaillibilité dont le romani pontificis définidivin rédempteur a voulu tiones ex sese, non auteni ex que son Église soit munie consensu Ecclesise, irrelordans la définition de la docmabiles esse. Si quis autem triiie appartenant à la foi et huic nostræ définition ! conaux mœurs. En conséquence tradicere, quod Deus avernous enseignons et nous détat, praîsumpserit, anathefinissons aussi que les défima sit. nitions du pontife romain

sont irréformables par elles mêmes, non en vertu du

consentement de l’Eglise.

Si quelqu’un a la piésonip tion de contredire notre

définition, ce qu’il plaise

à Dieu d’empêcher, qu’il

soit anathème.

C’est à la lumière de cette définition que nous allons étudier les conclusions doctrinales concernant la nature, l’objet et le mode d’exercice de l’infaillibilité pontificale. Auparavant, qu’il nous soit permis de noter ici, comme dernière conclusion de notre esquisse

historique, la souveraine influence de celle dénnilion sur la pensée théologieiue. En même temps que furent enliôrement dissipés les derniers restes du gallicanisme Ihéologique, voir t. vi, col. 1116, il y eut, comme nous le constaterons bientôt, une afiirmation plus explicite des conditions requises pour une définition pontilicale infaillible, et une précision plus grande du rôle appartenant au magistère ordinaire du pape. IV. Conclusions doctrinales concernant la

    1. NATURE##


NATURE, l’objet ET LE MODE d’eXERCICE DE L’INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE, PRINCIPALEMENT D' APRÈS LA DÉFINITION PORTÉE PAR LE CONCILE DU VATICAN.

Après l’exposé des preuves scripturaires et traditionnelles en faveur de l’infaillibilité pontificale, il sera utile d’indiquer ici, sous une forme synthétique, les principales conclusions doctrinales découlant de toute cette documentation, principalement d’après l’autorité du concile du Vatican.

1. CONCLUSIONS CONCERNANT LA NATURE DE L' INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE. — P « conclusion. — Le magistère infaillible du pape est, dans son exercice, absolument indépendant, soit de l’autorité d’un concile, soit d’une approbation ultérieure donnée par l'Église universelle. - 1. C’est ce qu’indique l’enseignement néo-testamentaire, particulièrement dansLuc., xxii, 32. Car, selon la parole de Jésus, comme nous l’avons démontré précédemment, Pierre seul et ses successeurs jusqu'à la fin des siècles, possèdent, d’une manière absolue et sans aucune restriction, le privilège de confirmer dans

a foi les fidèles de tous les temps, considérés isolément ou collectivement. Pierre et ses successeurs devant communiquer à tous la fermeté dans la foi, ne peuvent euxmêmes la recevoir de ceux qu’ils doivent confirmer.

2. C’est aussi ce qui résulte des preuves traditionnelles précédemment citées.

a) Même dans les quatre premiers siècles, l’autorité doctrinale du pontife romain était reconnue comme l’autorité doctrinale suprême, à laquelle tous devaient absolue soumission et avec laquelle il était nécessaire d'être en communion de foi, si l’on voulait appartenir à l'Église catholique. Et dans les siècles suivants cette pratique se maintint constante et universelle, b) Depuis le commencement du ve siècle, des documents très explicites attestent que les conciles œcuméniques eux-mêmes reconnaissaient le magistère suprême des pontifes romains et se soumettaient pleinement à leurs décisions, notamment à Éphèse, à Chalcédoine, au 111^ et au l^ concile de Constantinople et au II" concile de Nicée. Voir Conciles, t. iii, col. 653 sq.

3. L’erreur théologique alTirmant la supériorité du concile sur le pape en matière de foi, soutenue par quelques auteurs aux xv « et xvi<e siècles, mais combattue par presque tous les théologiens catholiques, fut souvent réprouvée par l'Église, en même temps que la thèse générale de la supériorité du concile sur le pape. Voir Pape.

4. Au xviie siècle, la même réprobation atteignit l’erreur théologiciue affirinant la nécessité d’une ratification ou approbatioii donnée au moins tacitement par l'Église aux décisions doctrinales du pape, pour qu’elles soient vraiment infaillibles. Cette erreur fut positivement condamnée par l'Église, à plusieurs reprises, dans le 4^ article de la Déclaration du clergé de France de 1682, notamment par Pie VI, dans la bulle Auctorem fidei. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1.598 sq. Voir t. iv, col. 204.

5. Enfin, le concile du Vatican a solerinellenient proclamé comme vérité de foi que les détinilions du l)ontife romain sont d’elles-mêmes irréformables, el qu’elles ne le sont point en vertu du consentement de l'Église : idcoque ejusmodi romani poniificis definiliones ex sese, non ctutem ex consensu Ecclesiæ irre/ormabiles esse. Sess. IV, c. iv.

On doit remarquer que les paroles non autem ex consensu Ecclesiæ furent ajoutées par le concile à la première rédaction, précisément pour écarter l’erreur d’après laquelle une ratification subséquente de l'Église était nécessaire pour que la définition pontificale fût infaillible. Acta et décréta concilii Vaticani, CoUcclio Lacensis, t. vii, col. 458.

6. Doit-on conclure de là que l’infaillibilité du pape est une infaillibilité absolue, personnelle et séparée ? a) Si, par l’expression infaillibilité absolue, on voulait seulement dire que l’infaillibilité pontificale n’est, , dans son exercice, aucunement subordonnée n l’autorité d’un concile général ou à une approbation ultérieure de l'Église universelle, rien ne s’opposerait à ce que l’expression pût être employée. Mais il est plus juste de dire, avec Mgr Casser, rapporteur de la Commision de la foi au concile du Vatican, que l’infaillibilité pontificale n’est, en aucun sens, absolue, parce que l’infaillibilité absolue appartient à Dieu seul. Toute autre infaillibilité a ses limites et ses conditions. L’infaillibilité pontificale est restreinte dans son sujet qui est le pape enseignant l'Église universelle en vertu de son pouvoir suprême : elle est restreinte dans son objet qui doit se rapporter à la foi et aux mœurs ; elle est restreinte aussi dans son exercice, puisqu’elle suppose une définition de ce que tous les fidèles sont obligés de croire ou de tenir ou de rejeter. CoUcclio Lacensis, t. vii, col. 401 sq.

b) Si, par infaillibilité personnelle, on veut exprimer l’infaillibilité qui appartient à la personne publique du pape, en tant cjue pasteur suprême enseignant toute l'Église, l’expression peut être employée. Cette expression est de fait approuvée dans ce sens par beaucoup de théologiens, à rencontre de la distinction gallicane entre le siège de Rome et l’occupant de ce siège : le premier toujours préservé de toute erreur ayant quelque durée, le second n'étant point à l’abri de quelque erreur momentanée n’atteignant pas le siège lui-même. Collectio Lacensis, t. vii, col. 398 sq. Mais l’infaillibilité pontificale, du moins pour ce qui' concerne le dogme défini par l'Église, ne peut être appelée personnelle en ce sens qu’elle appartiendrait au pape considéré comme personne privée.

c) Quant à l’expression infaillibilité séparée, rien ne s’opposerait à son usage, si l’on voulait seulement signifier que l’infaillibilité pontificale est, dans son exercice, absolument indépendante, soit de l’autorité d’un concile, soit d’une approbation ultérieure donnée par l'Église universelle. Mais l’expression devrait être rejetée si l’on voulait exclure dans les évêques, dispersés ou réunis en concile, toute autorité doctrinale même dépendante.

d) En résumé, ces expressions, bien que susceptibles d’un sens vrai, ne doivent pas être employées sans quelque explication, à cause de l’abus que l’on pourrait en faire ; abus qui a certainement existé dans la controverse anti-infaillibiliste, avant et pendant le concile du Vatican, surtout à l’occasion du volume de Mgr Maret, Du concile général et de la pair religieuse, Paris, 1869. Voir Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad. franc., Bruxelles, 1908, t. i. p. 294 sq.

2e conclusion. — L’infaillibilité pontificale, comme celle du magistère de l'Église considéré d’une manière générale, provient de l’assistance divine écartant perpétuellement tout danger d’erreur ; assistance spécialement promise à Pierre et à ses successeurs jusqu'à la consommation des siècles, d’après toutes les preuves précédemment exposées.

C’est l’enseignement formel du concile du Vatican dans la définition du dogme de l’infaillibilité pontificale : per assistentiam ipsi in beato Pctro promissam. Sess. IV, c. IV. Voir Assistance du Saint-Esprit, . t. I, col. 2126 sq.

3 « conclusion. — L’infaillibilité pontificale appartenant aux seuls actes dans lesquels le pape agit avec la plénitude de son pouvoir apostolique, se rencontre seulement dans les actes émanant efïectivement du pape et manifestés comme tels, et possédant d’ailleurs les conditions requises pour un enseignement infaillible.

1. C’est ce que montre l’enseignement traditionnel tel que nous l’avons exposé. Selon cet enseignement, l’infaillibilité doctrinale appartient au pape définissant, en vertu de sa suprême autorité apostolique et en tant que docteur et pasteur de l’Église universelle, la doctrine qui doit être tenue par tous les fidèles. C’est aussi l’enseignement formel du concile du Vatican dans la définition de foi. Sess. IV, c. iv.

2. D’où il suit, comme on l’a montré précédemment, que les décrets doctrinaux des Congrégations romaines, même munis de l’approbation commune du pape, tant qu’ils restent tels et sont publiés comme tels, ne jouissent point du privilège de l’infaillibilité. Voir Congrégations, t. III, col. 1108 sq. Il arrive parfois que le pape les fasse siens et les publie en son nom. C’est par exemple le cas du décret Lamenlabili, du Saint-Office, du 3 juillet 1907. Car Pie X l’a véritablement fait sien par le Molli proprio Præslanlia du 18 novembre 1907. Voir d’autres exemples plus anciens dans L. Choupin, S. J., Valeur des décisions dvclrinales et disciplinaires du saint-siè(/e, Paris, 1907, p. 52-56. Contre Bouix, l’auteur établit d’ailleurs que cette approbation in forma specifica ne transforme pas toujours et nécessairement la décision antérieure en une définition ex cathedra. Elle le ferait seulement « si le pape manifestait suffisamment son intention, sa volonté de porter une sentence définitive, absolue sur la question. » P. 55.

4<= conclusion. — Quand le magistère infaillible est exercé conjointement par le pape et les évêques, dispersés ou réunis en concile, on doit affirmer au moins comme une conclusion bien probable de l’enseignement scripturaire, de l’enseignement traditionnel, et de l’enseignement du concile du Vatican, que l’infaillibilité pontificale réside premièrement et principalement dans le pape, de telle sorte qu’elle est dans les évêques seulement par participation et d’une manière dépendante.

1. C’est ce que montre l’enseignement scripturaire de Mattb., xvi, 18, et de Luc, xxii, 32, affirmant que Pierre et ses successeurs possèdent seuls l’infaillibilité d’une manière immédiate et principale, tandis que les apôtres et leurs successeurs jusqu’à la consommation des siècles, confirmés eux-mêmes dans la foi par Pierre, ont l’indéfectibilité dans la foi ou rinfaillibilité seulement par l’intermédiaire de Pierre et sous sa dépendance.

Les paroles subséquentes adressées conjointement à Pierre et à ses collègues, Matth., xxviii, 20, ne pouvant modifier la promesse absolue précédemment faite à Pierre, Matth., xvi, 18 ; Luc, xxii, 32, doivent s’entendre de telle sorte que Pierre est toujours le fondement de l’Église et que, par lui, la foi des autres apôtres est affermie et rendue indéfectible.

2. C’est aussi le témoignage formel de la tradition catholique, du moins depuis le ve siècle. Cet enseignement se rencontre explicitement dans les paroles précédemment citées de saint Léon le Cirand, déclarant expressément que, selon la prière infaillible de Jésus, la fermeté dans la foi est accordée à Pierre par Jésus, pour que Pierre lui-même la confère aux apôtres, Serm., lxxxiii, c. iii, P. L., t. liv, col. 431 ; que tout dans l’Église repose sur la foi de Pierre et que cette foi a été munie, par Jésus-Christ, d’une telle solidité que la perversion hérétique et l’infidélité n’ont jamais pu la corrompre. Serm., iii, c. iii, col. 140 sq. Nous

DICT. DE THÉOL, CATHOL.

avons constaté, en étudiant les témoignages de la tradition, que cet enseignement de saint Léon, depuis le v » siècle jusqu’à notre époque, est très souvent reproduit, soit comme interprétation des textes scripturaires, soit en dehors de toute citation scripturaire, et que, surtout depuis le xvie siècle, cette doctrine s’est particulièrement affirmée à rencontre de l’erreur théologique subordonnant les décisions doctrinales du pape à la prétendue autorité supérieure d’un concile ou à l’approbation ou ratification finale de l’Église universelle.

3. Cet enseignement a d’ailleurs un fondement solide dans le dogme de la primauté pontificale, tel qu’il est enseigné par le concile du Vatican. Sess. IV, c. m. Puisque, la plénitude de toute autorité réside premièrement et principalement dans le pape, comme on est autorisé à le conclure de l’enseignement du concile, il est permis d’affirmer aussi que la plénitude de l’autorité doctrinale, c’est-à-dire l’infaillibilité doctrinale, réside dans le pape premièrement, principalement et immédiatement, voir CoUectio Lacensis, t. VII, col. 357 sq., de telle sorte que les évêques enseignant avec le pape possèdent cette infaillibilité seulement par participation et avec dépendance dans la mesure où leur enseignement est uni à celui du pape.

4. Quant à la fonction de juges de la foi qui, selon la tradition catholique, appartient certainement aux évêques enseignant conjointement avec le pape, elle peut s’exercer en toute vérité, soit avant soit après une définition pontificale, a) Ayan/ la définition pontificale, les évêques réunis en concile ou dispersés, peuvent, en s’appuyant sur les enseignements ou les documents connus jusque-là, porter un jugement doctrinal sur la matière qui leur est soumise. Dans la suite, ce jugement est connu comme participant à l’infaillibilité doctrinale par le fait qu’il est ratifié ou confirmé par le pape, avec l’autorité qu’il tient de Jésus-Christ, b) Apres la définition pontificale, les évêques dispersés ou réunis en concile peuvent, avant de s’unir à la décision du pape, examiner la question, en vertu de l’autorité qui leur appartient, pour porter, à la lumière des arguments scripturaires ou traditionnels qu’ils ont examinés, un jugement doctrinal conforme à celui du pape et participant conséquemment à son infaillibilité. Ce jugement doctrinal des évêques ne peut avoir pour but de consolider l’autorité doctrinale du pape, puisqu’elle est consolidée par Jésus-Christ lui-même, mais seulement de donner, à la décision doctrinale du pape, plus d’éclat extérieur par la cohésion très manifeste de tout l’épiscopat uni à l’enseignement du pape. Nous avons précédemment montré, dans l’étude de la tradition catholique, que, de fait, ce fut la pratique suivie aux conciles d’Éphèse et de Chalcédoine et au VP concile général (IIP de Constantinople), où les évêques, après avoir déclaré leur devoir et leur volonté formelle de se soumettre aux décisions doctrinales déjà portées par le pape, examinèrent cependant, en vertu de leur autorité épiscopale, à la lumière des enseignements de l’Écriture et de la tradition, la matière déjà définie et donnèrent leur pleine adhésion à la décision pontificale par un jugement doctrinal motivé. C’est en ce sens qu’ils apposèrent leurs signatures aux actes du concile avec cette formule, ego definiens subscripsi. C’est ce que les conciles eux-mêmes ont souvent fait relativement aux décisions infaillibles déjà portées par des conciles précédents. Voir CoUectio Lacensis, t. VII, col. 397 sq. ; Conciles, t. iii, col. 665. Il est d’ailleurs manifeste que la qualité de juges de la foi est attribuée aux évêques par le concile du Vatican : sedenlihus Nobiscum et judicaniibus universi orbis episcopis. Dcnzinger-Bannwart, n. 1781.

VIL — 54

II. CONCLUSIONS RELATIVES A L’OBJET DE L’INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE.

1° Puisque, selon l’enseignement du concile du Vatican, le pape possède cette infaillibilité dont Jésus-Christ a voulu munir son Église in definienda doclrina de. flde et moribus, sess. IV, c. IV, et que cette infaillibilité de l'Église s'étend non seulement à ce qui est révélé par JésusChrist, mais encore à toutes les vérités sans lesquelles le dépôt de la foi ne pourrait être défendu avec efficacité, ni proposé avec une suffisante autorité, c’est donc une vérité bien certaine que l’infaillibilité pontificale a la même extension.

2° Cette vérité est aussi bien manifeste d’après ces paroles de la définition vaticane, que le pape est infaillible, cum omnium christianorum pastoris et doc(oris munere jiingens, pro suprcma sua apostolica audoritale, doclrinam de fide vel moribus ab universa Ecclesia lenendam définit. Sess. IV, c. iv. L’expression tenendam ayant été ici substituée au mot credendam de la première rédaction, pour ne point restreindre les définitions ex cathedra aux seules vérités de foi, Acta concilii Vaiicani, Collectio Lacensis, t. vii, col. 1704 sq., il est donc bien certain que l’infaillibilité pontificale peut avoir pour objet toutes les vérités connexes à la foi.

3° Selon cet enseignement du concile du Vatican, notre conclusion a la même certitude théologique que l’infaillibilité même du magistère ecclésiastique relativement à l’objet indirect du dépôt de la foi. Voir Église, t. iv, col. 2196.

Le concile se réservant de traiter cette question dans un chapitre subséquent du schéma De Ecclesia, la laisse dans l'état où elle se trouvait alors et avec la certitude théologique qui lui appartient. Voir Collectio Lacensis, t. vii, col. 415 sq.

III. CONCLUSIONS RELATIVES AUX CONDITIONS REQUISES POUR UNE DÉFINITION PONTIFICALE INFAILLIBLE OU EX CATBEDRA AU SENS DO DÉCRET DU CONCILE DU VATICAN. Voir Ex CATHEDRA, t. V, col. 1731 sq. — 1'^ condition.

Le pape doit parler comme pasteur et docteur de tous les chrétiens, puisque, selon les textes scripturaires et les documents traditionnels précédemment indiqués, l’infaillibilité doctrinale est garantie à Pierre et à ses successeurs en tant qu’ils enseignent aux fidèles la doctrine que ceux-ci sont tenus de croire ou de tenir. Il ne suffit donc point que le pape parle comme personne privée ou comme auteur particulier. Il n’est cependant point requis que le pape s’adresse explicitement à l'Église entière ; il suffit qu’il le fasse implicitement ou équivalemment, en définissant une matière qu’il déclare obligatoire pour tous les fidèles, comme l’indiquent les paroles subséquentes du décret conciliaire, cum omnium christianorum pastoris et doctoris munere fungens pro suprema sua apostolica auctoritate doctrinam de fide vel moribus ab universa Ecclesia tenendam définit. Sess. IV, c. iv. Il est également certain que cet enseignement déclaré obligatoire pour tous les fidèles n’est nécessairement lié à aucune forme extérieure déterminée. Il suffit que l’enseignement soit rendu obligatoire pour tous. Aussi, au concile du Vatican, plusieurs amendements dont le but était de faire déterminer quelques conditions qui seraient toujours requises, comme une consultation des évêques réunis en concile ou dispersés, ou une étude diligente de l'Écriture ou de la tradition, voir amendements 22, 24, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, Collectio Lacensis, t. ^^I, col. 375 sq., furent rejetés par la presque unanimité des membres du concile, col. 421. Le rapporteur fit observer que dans tout le passé, où le saint-siège avait fréquemment porté des jugements dogmatiques, il n’avait jamais été question d’une règle canonique à observer, et que pour l’avenir aucune règle canonique ne pouvait être établie. Cette règle nouvelle par laquelle un concile voudrait contrôler l’exercice du magistère pontifical, supposerait de quelque manière ce principe erroné, tant de fois condamné, que le concile est supérieur au pape. Une telle règle serait d’ailleurs inutile puisque son observation ne pourrait pas être vérifiée par les évêques et les fidèles dispersés dans le monde catholique. Cette règle serait aussi très dangereuse, parce qu’elle donnerait lieu à beaucoup de difficultés et d’anxiétés. Le pape doit donc être libre d’employer la forme extérieure qu’il juge la meilleure ou la plus opportune pour manifester l’enseignement qu’il veut rendre obligatoire pour tous, col. 401 sq. Car, selon l’affirmation du rapporteur, quelles que soient les circonstances, l’assistance divine promise à Pierre et à ses successeurs est tellement efficace qu’elle empêcherait le jugement du pape s’il devait être erroné, tellement efficace qu’elle assurera toujours l’infaillibilité du jugement que le pape prononce comme définitif et obligatoire pour tous, col. 401.

2 « condition. — Il faut qu’il soit question d’une vérité ou d’une doctrine concernant la foi et les mœurs, que cette vérité soit en elle-même une vérité révélée, ou qu’elle soit seulement une vérité connexe à la révélation, au sens précédemment indiqué, doclrinam de flde vel moribus ab universa Ecclesia tenendam.

3<^ condition. — Il faut que le pape définisse, en vertu de sa suprême autorité apostolique, que la doctrine dont il s’agit doit être tenue par l'Église universelle. cum… doclrinam de fide vel moribus ab universa Ecclesia tenendam définit.- — 1. La définition dont il s’agit ici, est un jugement doctrinal explicite et final, porté par le pape relativement à la foi et aux mœurs, de telle manière que tous les fidèles puissent être certains que telle doctrine est jugée par le pape appartenir à la révélation, ou avoir avec elle une connexion certaine. a) Puisque, selon le décret conciliaire, il y a identité entre le magistère du pape et celui de l'Église considéré d’une manière générale, on doit prendre ici les mots définit tenendam dans le sens où ils étaient jusque-là habituellement pris par les théologiens, quand ils parlaient du magistère ecclésiastique considéré d’une manière générale. Or il est bien démontré que, dans le langage habituel des théologiens depuis le xvie siècle, d’après les témoignages précédemment cités, ces mêmes mots ou des mots équivalents signifiaient, particulièrement pour les décisions doctrinales portées par les conciles généraux, un jugement final sur la foi ou la doctrine que tous doivent croire ou admettre.

C’est en ce sens, que les théologiens disaient habituellement que cela seul tombe réellement sous la définition conciliaire que le concile veut réellement y comprendre ou veut réellement définir, d’après le but qu’il se propose, les expressions qu’il emploie et les erreurs qu’il veut formellement condamner. D’où l’on concluait habituellement qu’il ne faut comprendre dans la définition, ni les arguments ou raisons qui ne sont point expressément imposés à l’assentiment des fidèles, ni les motifs de la définition, ni les choses incidemment dites ou louées dans le concile, ni ce qui est dit incidemment dans un texte concihaire, sans que le concile veuille aucunement le comprendre dans la définition ou l’imposer à la croyance ou à l’assentiment formel des fidèles.

La conclusion est donc manifeste. Les mots définit tenendam de la définition vaticane doivent s’entendre, suivant le sens communément admis jusque-là, d’un jugement explicite et final sur ce que tous doivent croire ou tenir fermement

h) C’est d’ailleurs l’interprétation formulée dans le rapport de Mgr Casser, au nom de la Commission

de la foi. Le mot définit ne doit pas être pris dans son sens juridique, de mettre fin à une controverse portant sur une hérésie ou sur une doctrine de foi. Ce mot signifie un jugement direct et final porté par le pape relativement à la toi et aux mœurs, de telle manière que tous les fidèles puissent être certains de l’intention du souverain pontife, et qu’ils sachent que telle doctrine est jugée par lui hérétique, proche de l’hérésie, certaine ou erronée. Collectio Lacensis, t. vii, col. 474 sq.

c) On doit conclure avec le cardinal Billot, op. cit., p. 655, que la condition exigée par les mots définit lenendam peut faire défaut de deux manières : ou parce que les expressions dont le pape se sert ne contiennent point de jugement doctrinal, ou parce que ce jugement n’est point un jugement final, certainement manifesté comme exigeant l’assentiment de la foi ou une ferme adhésion, n. Il y a manifestement absence de jugement doctrinal, quand le pape se contente d’interdire de rien innover, comme le fit le pape saint Etienne I’"' dans la question des rebaptisants, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n.46, ou à plus forte raison quand le pape demande simplement que l’on s’abstienne de toute controverse sur une matière déterminée, jusqu’à ce que le saint-siège définisse ce que l’on doit croire ou admettre, comme le fit Pie II relativement à la discussion sur l’union de la personne du Verbe aux gouttes de sang répandues par Notre-Seigneur pendant la passion, Denzinger-Bannwart, n. 251. Il y a également absence de jugement doctrinal quand, toute question de doctrine étant d’ailleurs pleinement sauvegardée, il s’agit uniquement de l’opportunité ou de l’inopportunité d’un jugement à porter sur une simple question de fait, par exemple si telle personne ou tel ouvrage mérite condamnation à cause d’erreurs réelles, ou s’il est préférable de s’abstenir d’une condamnation formelle, à cause d’inconvénients graves pouvant résulter de cette condamnation et parce que le danger immédiat n’existe plus. On peut, comme exemple, citer le cas du pape Vigile dans l’affaire des Trois Chapitres. Voir CoNSTANTiNOPLE f/PconcHc de), t. III, col. 1231 sq. et ViGii/E.

Il y a aussi absence de jugement doctrinal quand il s’agit uniquement de l’inopportunité d’une expression considérée, à tort et d’après des récits faux et insuffisamment contrôlés, comme doimant lieu à des conséquences fâcheuses. Plusieurs auteurs appliquent ceci au cas du pape Honorius I’""’. Voir en sens contraire HoNonius l", col. 110-111.

Enfin il y a absence de jugement doctrinal explicite dans tous les cas où il s’agit d’un enseignement pontifical effectivement contenu dans les lois portées par le pape pour l’Église universelle, ou dans les décrets pontificaux concernant l’approbation du culte des saints ou l’approbation des ordres religieux. Cet enseignement pontifical est infaillible dans le sens et aux conditions précédemment expliqués pour le magistère de l’Église, t. iv, col. 2197 sq. Mais il n’y a point l’acte requis pour une définition au sens du décret conciliaire.

6. Il y a certainement absence de jugement final au sens indiqué, toutes les fois qu’il y a simple affirmation d’une doctrine proposée ou recommandée comme meilleure pour la défense de la vérité révélée, comme cela arrive fréquemment dans les actes du magistère ordinaire des souverains pontifes. Nous parlerons bientôt de cet enseignement pontifical non infaillible qui se rencontre souvent dans les encycliques de Léon XIII et de Pie X.

2. Puisque seul le jugement direct et final porté par le pape relativement à la foi et aux mœurs constitue la délniition infaillible au sens du décret conciliaire.

il est donc certain que l’autorité infaillible doit être strictement limitée à ce que le pape veut y définir, d’après le but qu’il se propose, d’après les expressions qu’il emploie ou les erreurs qu’il veut formellement condamner, a) On ne doit donc point comprendre dans une telle définition les raisons ou les arguments sur lesquels elle est appuyée, à moins que ces arguments ne soient en eux-mêmes expressément définis, comme les textes de Matth., xvi, 18 ; et de Luc, xx, 32, dont le sens a été défini par le concile du Vatican. Sess. IV,

c. I, IV.

Ainsi, dans la bulle Ineffabilis Deus de Pie IX du 8 décembre 1854 définissant le dogme de l’immaculée conception de Marie et unanimement acceptée comme acte ex cathedra, les preuves ou indications bibliques déduites par le document pontifical de Gen., iii, 15, ou des figures de la pureté parfaite de Marie dans l’Ancien Testament, selon l’interprétation des Pères, ne sont ni d’après la déclaration du pape, ni d’après le but qu’il se propose, l’objet d’un jugement doctrinal voulu comme positivement obligatoire pour tous les fidèles. Voir col. 1207.

La même affirmation doit, à plus forte raison, s’appliquer à des textes cités, dans les documents pontificaux, d’une manière simplement accommodatice, comme les deux textes. Eccc duo cjladii hic, Luc, xxii, 38 ; Converte gladium iuum in vaç/inant, Matth., xxvi, 52 ; Joa., xviii, 11, dans la bulle Unam sanctam de Boniface VIII.

b) On ne doit pas non plus comprendre dans la définition pontificale ce qui est affirmé incidemment, à l’occasion de la définition, sans que le pape veuille aucunement le définir ou l’imposer à la croj’ance ou à l’assentiment des fidèles. Ainsi, dans la bulle précitée Ineffabilis Deus, on ne considérera point comme comprises dans la définition, plusieurs assertions concernant la médiation universelle de la très sainte vierge Marie et la toute-puissance effective de son intercession ; assertions faites incidemment et sans qu’il y ait aucun indice que le pape les impose obligatoirement à l’adhésion des catholiques.

C’est encore ce que l’on doit penser de cette affirmation incidente, à la fin de la même bulle, que quiconque aura la présomption de penser, dans son cœur, secus ac a nobis definilum est, sache qu’il est condamné par son propre jugement, qu’il a fait naufrage en ce qui concerne la foi et qu’il s’est séparé de l’unité de l’Église. Il est manifeste que, par cette affirmation incidente, le pape n’a pas voulu dirimer la controverse théologique concernant les hérétiques occultes, rangés par plusieurs théologiens parmi les membres de l’Église visible, tant que leur hérésie n’est pas exprimée extérieurement, ou, selon d’autres théologiens, entièrement séparés de l’Église visible parce que leur foi purement extérieure ne peut constituer un lien réellement suffisant.

c) Pour la même raison, on ne doit pas non plus comprendre, dans la définition pontificale, les conclusions qui en sont légitimement déduites à l’aide du contexte. Car ces conclusions, bien qu’elles puissent être certaines et bien qu’elles ne puissent le plus souvent être niées sans mettre en péril la vérité révélée ou l’infaillibilité même du pape, ne sont cependant point directement proposées à la foi ou à l’acceptation des fidèles comme il est requis pour une définition proprement dite. C’est d’ailleurs ce qu’admettent tous les théologiens catholiques pour ce qui concerne les définitions portées par les conciles.

3. Quant aux signes auxquels on peut reconnaître les définitions pontificales infaillibles, on doit, d’après la remarque précédemment faite, appliquer les signes qui étaient communément donnes par les anciens théologiens pour reconnaître les définitions infaillibles du

magistère de l'Église considéré d’une manière générale. Il suffit que le pape manifeste formellement sa volonté de réprouver ou de condamner une erreur comme directement ou indirectement opposée à la foi, ou de déclarer une doctrine comme strictement obligatoire pour tous les fidèles, soit en l’imposant sous peine d’anatheme, soit en la proposant comme vérité de foi, ou comme ne pouvant être rejetée sans porter atteinte à la foi. Bien que, pour signifier cette volonté, aucune expression ne soit, en principe rigoureusement requise, il y a des expressions qui sont, d’après l’appréciation universelle, des signes certains d’une définition proprement dite. Nous citerons comme exemples les cas où une vérité est déclarée vérité de foi ou vérité révélée, surtout avec les expressions defmimus, auctoritate apostolica definimus, ou les cas dans lesquels une proposition est condamnée comme hérétique ou comme contraire à la foi, surtout avec les expressions définitive damnamus et rcprobamus, auctoritate Dei et beatnrum apostolorum Pétri et Pauli damnamus et reprobamus. Voir Collectio Laccnsis, t. vii, col. 285 ; cardinal Billot, op. cit., p. 657 sq.

Nous citerons, à titre d’exemples, quelques documents pontificaux qui, d’après les principes que nous venons de rappeler, sont habituellement, ou assez habituellement, considérés comme contenant une définition infaillible :

a) La lettre déjà mentionnée du pape saint Léon 1°=' à l'évêque Flavien de Constantinople, où est exposée, avec une souveraine autorité, la foi que tous doivent suivre relativement à l’incarnation, Epist., xxviii, P. L., t. Liv, col. 755 sq., et qui fut, comme nous l’avons précédemment montré, considérée par le concile de Chalcédoine comme un jugement doctrinal définitif et obligatoire pour tous, et mentionnée comme telle dans toute la tradition catholique, particulièrement dans le formulaire de foi du pape saint Hormisdas. Denzinger-Bannwart, n. 171.

b) La lettre dogmatique du pape saint Agathon relative à la question de deux volontés en Jésus-Christ, indiquant avec une pleine autorité, avant la célébration du concile, la doctrine que tous doivent suivre, sous peine d'être en dehors de la foi orthodoxe. EpisL, I, P. L., t. Lxxxvii, col. 1168 sq., 1205, 1208, 1212. Voir Agathon, t. i, col. 559 sq. Nous avons montré que la souveraine autorité doctrinale de ce document fut pleinement reconnue par les Pères du VI « concile dans leur lettre au pape Agathon. Epist., IV, parmi les lettres de saint Agathon, P. L., t. Lxxxvii, col. 1247 sq. Cf. col. 1608.

c) La bulle Unam sanctam de Boniface "VIII, du 18 novembre 1302, du moins pour sa déclaration finale, concernant la soumission nécessaire de toute créature humaine au pontife romain. Denzinger-Bannwart, n. 469. Voir Boniface VIII, t.ii, col. 1001.

dj La constitution Benedictus Deus de Benoît XII, du 29 janvier 1336, concernant la vision béatifique accordée, immédiatement après la mort corporelle, aux âmes complètement purifiées. Voir Benoit XII, t. ii, col. 657 sq. ; Denzinger-Bannwart, n. 530 sq.

e) La bulle Exsurge Domine de Léon X, du 15 juin 1520, condamnant 41 propositions de Luther comme hérétiques et erronées et exigeant de tous les fidèles une absolue réprobation. Denzinger-Bannwart, n. 741 s.

/^ La constitution apostolique C « m occasione d’Innocent X, du 31 mai 1053, condamnant cinq propositions extraites de VAui/uslinus de Jansénius et interdisant à tous les fidèles de les admettre, sous peine des censures portées contre les hérétiques et contre leurs fauteurs. Denzinger-Bannwart, n. 1092 sq.

g) La constitution apostolique Cwlestis pastor

d’Innocent XI, du 19 novembre 1687, réprouvant d’une manière définitive 68 propositions de Michel de Molinos en faveur du quiétisme. Denzinger-Bannwart, n. 1221 sq.

h) La constitution d’Innocent XI Cum alias, du 12 mars 1699, condamnant avec la plénitude du pouvoir apostolique 23 propositions du livre de Fénelon. Denzinger-Bannwart, n. 1237 sq. Voir t. v, col. 21552156.

i) La constitution Unigenitus de Clément XI, du 8 septembre 1713, condamnant 101 propositions de Quesnel comme hérétiques ou erronées et commandant à tous les fidèles de ne pas avoir en cette matière d’autre sentiment que celui qui est exprimé dans cette constitution, Denzinger-Bannwart, n. 793 sq.

/ ; La constitution Auctorem fidei de Pie VI, du 28 août 1794, condamnant les propositions hérétiques ou erronées du conciliabule de Pistoie et enjoignant expressément à tous les fidèles de conformer leur sentiment à la doctrine enseignée dans cette constitution. Denzinger-Bannwart, n. 1501 sq.

k) La bulle Inefjabilis Deus de Pie IX, du 8 décembre 1854, pour la partie qui contient la définition du dogme de l’immaculée conception. Voir plus haut, col. 845 sq.

l) « Beaucoup de théologiens et de cahonistes y ajouteraient volontiers la célèbre encyclique Quanta cura de Pie IX. » Choupin, Valeur des décisions doctrinales et disciplinaires du saint-siège, p. 23. L’infaillibilité du Syllabus qui eut ses partisans est aujourd’hui à peu près abandonnée. Ibid., p. 105-124.

m) L’encyclique Pascendi du 7 septembre 1907 et le décret Lamentabili du 3 juillet 1907 furent dès le temps de leur apparition l’objet de jugements contradictoires. Plusieurs théologiens y virent des actes du magistère infaillible, dans celle-là à cause de son importance doctrinale, dans celui-ci à raison du Motu proprio Priestaniia du 18 novembre 1907, où Pie X fait sien )e décret et l’accompagne de censures. D’autres furent d’un avis différent. Pour le P. Choupin, l’encyclique est seulement « le plus haut acte du magistère pontifical après la définition ex cathedra. » Quant au décret qui n'était primitivement qu’un acte du Saint-Office, le même auteur estime que le Motu proprio ne lui ajoute pas « ce qui lui manquait pour être une décision strictement et formellement papale. » Voir Choupin. dans Éludes du 5 janvier 1908, t. cxiv, p. 119-123 ; Revue du clergé français, 15 janvier 1908, t. lui, p. 247248 ; Vermeersch, S. J., dans Revue pratique d’apologétique, 15 juillet 1908, p. 622-623. Ces scrupules des spécialistes, en présence des actes pontificaux les plus graves, montrent quel souci de précision et de rigueur il faut apporter dans l’application des principes posés par le texte du concile du Vatican.

n) Aucune encyclique de Léon XIII n’est mentionnée comme contenant une définition ex cathedra au sens précédemment indiqué, bien qu’il puisse y avoir, comme nous le montrerons bientôt, plusieurs enseignements infaillibles concernant des vérités précédemment définies, ou toujours enseignées par le magîstère ordinaire, et qui sont rappelées par le pape et proposées comme vérités certaines.

4. De tout ce qui précède il résulte qu’il peut y avoir parfois quelque incertitude pratique relativement au jugement particulier à porter sur un document pontifical. Dans ces cas on devra tenir compte des observations suivantes :

a) La difficulté n’est pas plus grande que dans le cas d’incertitude du même genre relativement aux définitions portées par les conciles généraux. Les observations habituellement faites par les théologiens relativement à ce cas doivent trouver encore ici leur application. Collectio Laccnsis, t. vii, col. 285. — b) En

l’absence de preuve certaine en faveur d’une définition strictement obligatoire, on peut toujours prudemment s’en tenir au principe non est imponenda obligalio de qua cerio non consted, pour ne point imposer l’obligation provenant d’une définition stricte, bien qu’il puisse j' avoir, dans la circonstance, d’autres obligations. — c) Bien qu’une obligation stricte provenant d’une définition certaine fasse alors défaut, il y a, le plus souvent, dans cette occurrence, une obligation, en elle-même grave, résultant, comme nous le montrerons bientôt, d’un enseignement même non infaillible du magistère ordinaire du pape.

IV. CONCLUSIONS CONCERNANT LES CONDITIONS REQUISES POUR QU’IL Y AIT ENSEIGNEMENT PONTIFICAL INFAILLIBLE PROVENANT DU MAGISTÈRE ORDINAIRE DU PAPE.

1. Puisque, selon le décret du concile du Vatican, le pape possède l’infaillibilité donnée par Jésus à son Église et que, pour l'Église, cette infaillibilité peut s'étendre aux actes du magistère ordinaire, dans la mesure et aux conditions précédemment indiquées, voir Église, t. iv, col. 2193 sq., on doit affirmer que le pape enseignant seul, en vertu de son magistère ordinaire, est infaillible dans la même mesure et aux mêmes conditions. Pour qu’il y ait infaillibilité, il est donc requis que la vérité enseignée soit proposée comme ayant été définie précédemment, ou comme aj’ant toujours été crue ou admise dans l'Église, ou comme étant attestée, par le consentement unanime et constant des théologiens, comme vérité catholique.

2. Comme exemples d’enseignement infaillible du magistère ordinaire du pape nous indiquerons particulièrement, dans les encycliques de Léon XIII, les enseignements suivants : a) Dans l’encyclique Arcanum, du 10 février 1880, sur le mariage chrétien, la divine institution du sacrement de mariage, l’indissolubilité du mariage et le pouvoir exclusif et intégral de l'Église sur le mariage chrétien. — b) Dans l’encychque Diuturnum, du 29 juin 1881, l’origine divine du pouvoir résidant dans la société civile, vérité enseignée comme évidemment attestée dans la sainte Écriture et dans les monuments de l’antiquité chrétienne. — c) Dans l’encyclique Immorlale Dei, du l*^' novembre 1885, la souveraine indépendance de l'Église qui possède, en vertu de son institution divine, pleine et absolue autorité en toutes les matières qui sont siennes. — d) Dans l’encyclique Prouidenlissimus Deus, du 18 novembre 1893, particulièrement ces deux enseignements concernant les Livres saints : la notion catholique de leur inspiration et l’absence de toute erreur dans le texte sacré fidèlement conservé. — e) Dans l’encyclique Salis cogniluni, du 29 juin 1896, toute la doctrine catholique sur la primauté pontificale qui y est proposée comme doctrine définie et universellement reconnue dans l'Église.

On observera d’ailleurs que, dans tous ces cas, selon les explications données précédemment, l’infaillibilité s'étend seulement à ce qui est directement proposé comme vérité déjà définie ou toujours crue ou admise dans l'Église, et qu’elle ne s'étend point aux raisons ou aux explications ajoutées à cet enseignement.

On doit aussi noter que, bien qu’un tel enseignement infaillible du pape, puisse, de droit, selon l’enseignement du concile du Vatican, sess. III, c. ra, suffire pour que la vérité enseignée soit vérité de foi catholique, il ne paraît pas suffire pour cela, en fait et d’après la conduite habituelle de l'Église. En efi’et, dans plusieurs cas particuliers, l'Église a jugé nécessaire d’intervenir, par une définition solennelle, pour proclamer telle vérité ainsi enseignée comme vérité de foi catholique, ou du moins pour déterminer le sens précis dans lequel elle appartient à la foi cathoHque. A. Vacant, Études ttiéotogiqnes sur les constitutions du concile du Vatican, t. ii, p. 117 sq.

V. CONCLUSIONS CONCERNANT L' ENSEIQNEMBNT PONTIFICAL INFAILLIBLE RÉSULTANT DES LOIS PORTÉES PAR LE PAPE POUR L' ÉGLISE ENTIÈRE.

On a montré à l’art. Église, t. iv, col. 2197 sq., que le magistère infaillible de l'Église doit s'étendre à tout enseignement dogmatique ou moral pratiquement inclus dans l’observation des lois portées pour l'Église universelle, ainsi qu'à l’enseignement inclus dans l’approbation donnée aux ordres religieux et à la canonisation des saints. Le pape possédant toute l’infaillibilité donnée par Jésus-Christ à son Église, on doit donc conclure, dans la même mesure et aux mêmes conditions, à l’infaillibilité de l’enseignement dogmatique ou moral pratiquement inclus dans les lois ou décrets portés par le pape pour l'Église universelle.

Ainsi le dogme de l’immaculée conception de la très sainte Vierge, plusieurs siècles avant sa définition solennelle, devait être considéré comme enseigné par le magistère ordinaire du pape, à cause des prescriptions des souverains pontifes enjoignant la célébration de cette fête et précisant le sens dans lequel cet insigne privilège devait y être honoré. Voir Immaculée CONCEPTION, col. 1120.

Parmi les autres applications du principe général, nous citerons particulièrement les suivantes :

1° L’infaillibilité pontificale elle-même longtemps avant la définition du concile du Vatican, puisqu’elle était enseignée par le magistère ordinaire du pape, comme le montrent notamment diverses professions de foi imposées par le saint-siège et que nous avons précédemment indiquées, particulièrement le formulaire de foi du pape saint Hormisdas, DenzingerBannwart, Enchiridion, n. 171 sq., et la profession de foi approuvée en 1267 par Clément IV pour l’usage des grecs, n. 466.

2° L’autorité dogmatique du symbole de saint Athanase, Denzinger-Bannwart, n. 39 sq. ; voir t.i, col. 21862187, provenant de l’approbation du magistère ordinaire des papes qui ont autorisé l’usage de ce formulaire, dans l'Église universelle.

3° Sont (gaiement enseignées par le magistère ordinaire du pape : 1. Les vérités dogmatiques affirmées dans les professions de foi approuvées ou proposées par le saint-siège, telles que le formulaire de foi du pape saint Hormisdas, la profession de foi approuvée pour l’usage des grecs en 1267, la profession de foi de Pie IV, Denzinger-Bannwart, n. 994 sq., et la formule du serment prescrit par Pie X contre les erreurs modernistes, Ibid., n. 2145, 2146. Comme exemples de vérités dogmatiques ainsi affirmées, même avant toute définition solennelle, nous citerons particulièrement dans la profession de foi de 1267 : a) l’entrée immédiate au ciel pour les âmes entièrement purifiées au moment de leur séparation d’avec le corps, vérité qui fut un peu plus tard explicitement définie par Benoit XII ; b) l’existence du purgatoire et l’utilité des suffrages et des aumônes des vivants ainsi que du sacrifice de la messe pour le soulagement des âmes souffrant en purgatoire, Denzinger-Bannwart, n. 464, vérité expressément définie un peu plus tard par les conciles de Florence et de Trente.

2. Toutes les vérités dogmatiques et morales effectivement contenues dans la liturgie approuvée par le saint-siège pour l'Église universelle, notamment les vérités dogmatiques concernant les sacrements, le sacrifice de la messe et la sainte eucharistie, longtemps avant les définitions solennelles portées par le magistère infaillible.

3. Toutes les vérités dogmatiques et morales réellement contenues dans l’approbation donnée par le saint-siège, pour l'Église universelle, aux ordres religieux et à leurs règles, notamment l’excellence des conseils évangéliques et l’utilité surnaturelle

des moyens de perfection recommandés par ces règles.

V. RÉPONSE A QUELQUES OBJECTIONS. 1° objCC lion. — On ne peut admettre comme un dogme révélé une proposition dont le concept théologique explicite ne se rencontre pas avant le xv<e siècle, et qui, depuis cette époque, a été, même dans l’Église catholique, l’objet de nombreuses et persévérantes attaques. — Réponse. — 1° Pour qu’une vérité puisse être explicitement définie comme vérité de foi ou comme vérité révélée, à une époque quelconque de l’histoire de l’Église, il suffit qu’elle ait été implicitement révélée au sens précédemment expliqué, voir Dogme, t. iv, col. 1642, et que, dans la tradition catholique, elle ait toujours été crue comme implicitement révélée, soit que cette croj’ance doive être considérée comme contenue dans la croyance à une vérité connexe où elle était manifestement comprise, soit que cette croyance ait pu seule dicter une pratique constante et universelle dans l’Église.

Or, selon les explications données au cours de cet article, il est manifeste, au moins après le progrès dogmatique accompli, en cette matière, au cours des siècles chrétiens, que l’infaillibilité pontificale, n’étant autre que la plénitude de l’autorité doctrinale dans l’Église, est manifestement comprise dans la plénitude de toute autorité conférée à Pierre et à ses successeurs dans l’Église ; plénitude qui est certainement une vérité révélée d’après Matth., xvi, 18, et Joa., xxi, 16 sq., et d’après l’enseignement constant de la tradition catholique.

Il est également certain que, selon la démonstration faite au commencement de cet article, l’infaillibilité pontificale, même dans les quatre premiers siècles, était efïectivement contenue, d’une manière assez évidente, dans la croyance formelle à la souveraine autorité doctrinale du pape, et dans la constante et universelle pratique de recourir à l’Église ou au siège de Rome et de s’en tenir à son enseignement ou à sa décision quand la foi était en danger. Cette croyance a d’aifieurs reçu, dans les siècles suivants, un développement considérable, que nous avons analysé en détail, jusqu’au moment où s’est manifesté, au xv siècle, le concept explicite du dogme de l’infaillibilité pontificale, à l’occasion des négations ouvertement formulées pour la première fois à cette époque par les partisans de la supériorité du concile sur le pape.

2° Les négations anti-infaifiibilistes, telles qu’elles se sont manifestées depuis le xve siècle jusqu’au concile du Vatican, n’ont pas, très particulièrement pour la France, l’importance efïective qu’on leur attribue.

Elles portaient principalement, non sur l’existence, mais plutôt sur la nature de l’infaillibilité pontificale et sur son mode d’exercice, comme le montre l’article 4 « de la Déclaration du clergé de France de 1682, voir t. IV, col. 197 sq., exigeant l’approbation ou la ratification subséquente, au moins tacite, de l’Église, pour que les définitions pontificales dussent être considérées comme vraiment infaillibles. Ainsi la controverse portait principalement sur ce point : la ratification ou approbation subséquente de l’Église est-elle nécessaire et dans quelle mesure l’est-elle ? Voir Gallicanisme, t. VI, col. 1103 sq.

C’est d’ailleurs un fait bien constaté que, ces doctrines gafiicanes étaient souvent assez mitigées chez beaucoup d’individus ; on était habituellement assez soumis de fait aux enseignements du souverain pontife, dans les milieux simplement gallicans, en dehors du parti janséniste ou de ceux qui se laissaient guider par lui. Le plus souvent on se soumettait pratiquement, même avant que la ratification ou approbation de l’Église universelle eût pu devenir manifeste. Nous en avons vu plusieurs preuves assez évidentes.

On peut donc conclure qu’en face d’une erreur ainsi restreinte dans sa durée, dans son objet et dans ses applications pratiques, le témoignage de la tradition’catholique constante, tel qu’il a été exposé, garde toute sa force.

2’^ objection. — On ne peut admettre qu’à une époque tardive de l’histoire de l’Église, une définition de foi soit portée en faveur d’une nouvelle prérogative pontificale, produisant à l’intérieur de l’Église de profonds changements organiques, et rendant, à l’extérieur, , toute entente efïective avec les pouvoirs civils, sinon impossible, du moins très difficile. — Réponse. —

1° D’après toute notre démonstration, il n’est point vrai que l’on ait défini une nouvelle prérogative pontificale produisant à l’intérieur de l’Église, des changements profonds. Il y eut simplement manifestation plus explicite d’une croyance constamment admise antérieurement, sous les formes multiples indiquées dans l’étude des preuves traditionnelles.

2° Toutefois on doit reconnaître que, surtout dans certains milieux où régnait auparavant un gallicanisme plus ou moins nuancé, il se produisit, par suite de l’abandon des vieilles opinions et du rayonnement nouveau de l’autorité pontificale, un changement qui, sans être pratiquement très profond, put donner, à certains esprits peu réfléchis ou mal informés, l’illusion, plus ou moins volontaire d’un profond changement dans la doctrine et dans la constitution de l’ÉgUse. C’est ce que faisait observer Newman, en 1874, relativement s la fausse attitude prise par les cvêques anglais et irlandais sur la question de l’infaillibilité et de l’autorité du pape, en 1826, au moment du projet de loi sur l’émancipation des catholiques. Ce fait put donner quelque occasion, après 1870, à la méprise et aux attaques passionnées d’hommes politiques comme Gladstone, ainsi que le faisait remarquer Newman dans dans sa réponse à Pusey, A leller to the diike o/ Norfolk, 1874, dans Certain ditjîcultics fcll bij anglicans in catholic teaching considered, Londres, réimpression, 1910, p. 187, sq.

Cette remarque peut également s’appliquer à la lettre du 30 juillet 1870, dans laquelle le chancelier autrichien Beust affirmait que les doctrines promulguées par le concile plaçaient les relations de l’État avec l’Église sur une base toute nouvelle, puisque celleci étendait le cercle de sa compétence, et concentrait en même temps dans la personne du pape tous les pouvoirs qu’elle prétend exercer. Collectio Lacensis, t. vii, col. 1722 ; Granderath, Histoire du concile du Vatican, trad. Conrad Kirch, Bruxelles, 1913, t. iii, pars ii, p. 341 sq.

3° Il n’est point vrai que la définition de l’infaillibifité pontificale, en augmentant considérablement les droits de l’Église, ait rendu désormais toute entente efïective avec les pouvoirs civils, sinon impossible, du moins très difficile. — 1. A ceux qui voudraient raisonner au point de vue catholique, nous avons le droit de répondre, d’après tout ce qui précède, que la définition vaticane n’a fait que donner une forme plus complète à ce qui avait toujours été cru jusque-là au moins pratiquement, soit relativement à l’infaillibilité pontificale, soit relativement à la nature de la primauté pontificale. Les relations de l’Église avec les pouvoirs civils, surtout quand ceux-ci reconnaissent et observent leurs devoirs envers l’Église, ne peuvent donc être aucunement modifiées. Elles restent telles que Léon XIII les a déclarées dans son encyclique Immortale Dei, telles que la tradition catholique les avait affirmées dans les siècles précédents.

2. Quant aux hommes politiques qui ne se soumettent point à l’enseignement catholique et qui professent vouloir laisser à l’Église la liberté en ce qui concerne son organisation purement interne, on a le droit

de leur répondre, qu’il s’agit précisément ici d’une question purement dogmatique ou d’ordre purement interne, qui doit donc dépasser toutes les revendications des pouvoirs civils.

3. Il est d’ailleurs bien évident que la définition vaticane ne s’oppose aucunement à ce que, pour assurer des relations convenables entre les souverains pontifes et les chefs d'État, des accords ou concordats soient conclus qui garantissent, avec la concorde, la paix et la liberté. C’est ce qu’indique notamment ce passage de l’encyclique Immorlale Dei de Léon XIII du ! <=' novembre 1885 : Incidunt autem quandoque tempora cum alius quoqiie concordiæ modus ad Iranquillam libertatem valet, nimirum si qui principes rerum publicarum et ponlifex romanus de re aliqna separata in idem placilum consenserint. Quitus Ecclesia temporibus maternse pieiatis cximia documenta præbet, cum lacililutis indulgentiœque tantum adhibere soleat, quantum maxime potest.

J « objection. — Le désaccord des théologiens catholiques, même après la définition vaticane, relativement aux conditions requises pour une définition ou pour un enseignement vraiment infaillible, rend la doctrine catholique sur toute cette question, à peu près inelTective et inapplicable. — Réponse. — 1° Au point de vue doctrinal, les divergences encore subsistantes, suivant ce qui a été noté précédemment, portent uniquement sur l’interprétation des mots définit tenendam du décret du concile du Vatican. Sess. IV, c. iv. Et encore peut-on dire, sans exagération, -que la controverse existe à peine, puisque, selon l’enseignement commun et autorisé, ces mots signifient une définition proprement dite, c’est-à-dire, selon le sens habituellement admis pour les définitions conciliaires, un jugement doctrinal explicite et final sur la foi ou sur la doctrine que tous doivent croire ou tenir fermement. — 2° Au point de vue du jugement concret sur les divers cas particuliers, on doit observer que les divergences d’appréciation ne dépassent point, en nombre et en importance, les divergences qui se rencontrent pour plusieiirs définitions conciliaires, et quelles n’empêchent pas un jugement certain sur un bon nombre de définitions pontificales communément admises par tous.

Quant aux nombreuses objections historiques souvent citées contre l’infaillibilité pontificale, elles seront ou ont déjà été traitées aux articles particuliers avec tous les détails qu’elles comportent, particulièrement pour les papes Libère, Vigile et Honorius l".

VI. Deux questions complémentaires : l’obligation d’adhérer a l’enseignement pontifical non infaillible et le privilège de l’exemption de l’hérésie attribué, par quelques théologiens, au pape considéré même comme personne privée. — Nous devons, comme couronnement de notre travail, formuler quelques conclusions relatives à ces deux questions qui se sont souvent rencontrées sur notre route au cours de cette étude.

I.CONCLUSIONSCONCERNANT L’OBLIGATION d’adhérer A V ENSEIGNEMENT PONTIFICAL NON INFAILLIBLE. — P" conclusion concernant l’existence de cette obligation. — 1. Cette obhgation est une conséquence rigoureuse des principes précédemment établis. On a prouvé que l'Église possède l’autorité d’enseigner non seulement les vérités appartenantà la révélation, mais aussi toutes celles sans lesquelles le dépôt de la révélation ne pourrait être défendu avec efficacité, ni proposé avec une suffisante autorité ; et que ce pouvoir s'étend non seulement à ce qui est strictement défini et imposé à tous les fidèles, mais encore à ce qui est désapprouvé comme constituant quelque danger plus ou moins immédiat pour la foi, ou à ce qui est reconnu comme meilleur pour la défense ou pour la sécurité de la foi. Voir Dépôt de la foi, t. iv, col. 528 ;

Église, t. iv, col. '2199 sq. ; Congrégations romaines, t. Ta, col. 1110. Cette autorité doctrinale appartenant incontestablement au magistère de l'Église, appartient aussi au magistère pontifical qui, d’après toutes nos démonstrations précédentes, possède la plénitude du pouvoir conféré à l'Église.

2. Il est manifeste, d’après les nombreux documents précédemment cités, que l’obligation d’adhérer à un enseignement pontifical non infaillible a toujours été admise dans l'Église au moins implicitement, par le fait que le devoir de se soumettre au pape a toujours été reconnu, et que cette obligation n’a jamais été restreinte exclusivement aux seuls enseignements infaillibles. Cette loi apparaît plus manifeste à partir du xiiie siècle, à cause des interventions fréquentes des papes en matière doctrinale, même en dehors de toute définition infaillible ; et ces interventions d’ailleurs, furent toujours acceptées avec soumission, même quand l’enseignement pontifical n’avait point de titre certain à être considéré comme infaillible. Nous citerons particulièrement la condamnation de plusieurs propositions de Guillaume de Saint-Amour par Alexandre IV en 1256, Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 449 sq., quelques articles réprouvés dans Eckhart par Jean XXII en 1329, comme maie sonantes, temerarios et suspectas de heeresi, avec d’autres condamnés absolument comme hérétiques, n. 529 ; ainsi que les décrets pontificaux de Sixte IV en 1476 et en 1483, louant la dévotion envers l’immaculée conception de la très sainte Vierge et réprouvant ceux qui la condamnaient, n. 734 sq.

Au xvie siècle, le cardinal Jean de Torquémada affirme comme une vérité constante, que les décrétâtes des papes qui ne sont pas renfermées dans les canons des conciles, et où il est manifeste que l’enseignement infaillible est généralement absent, doivent être acceptées avec soumission par tous les fidèles. Summa de Ecclesia, t. II, c. cviii.

Au xvie siècle, Bellarmin reconnaît comme admis par tous les catholiques que le pape décidant seul, ou avec son concile particulier, aliquid in re dubia, qu’il puisse errer ou non, doit être écouté avec obéissance par tous les fidèles. De romano pontifice, t. IV, c. ii.

De même Bannez, relativement aux décrets des conciles généraux ou des conciles provinciaux confirmés par le pape, fait observer qu’il est téméraire de nier ces décrets surtout en ce qui concerne la doctrine de foi, même quand les signes attestant une définition infaillible ne s’y rencontrent aucunement. Commentaria in Il-^m // », q. j, a. 10, dub. ii, Venise, 1602, p. 127.

Il est vrai qu’au xvie siècle et dans les siècles suivants beaucoup de théologiens laissent fréquemment entendre que le pape parle ut doctor privatus, quand il n’enseigne pas infallibiliter ut pontifex ; ain.si Bellarmin, De romano pontifice, t. IV, c. xxii ; Bannez, loc. cit. Mais si l’on examine attentivement toutes ces assertions, d’ailleurs souvent contredites par des assertions tout opposées, il est facile de constater que ce sont seulement des réponses données, en passant, à quelques objections historiques, sans que l’on ait voulu établir par là une doctrine s’appliquant généralement à tous les cas où l’infaillibilité pontificale n’existe point.

3. Cette autorité doctrinale non infaillible fut particulièrement affirmée dans la seconde moitié du xixe siècle. — a) Pie IX, dans sa lettre à l’archevêque de Munich du 21 décembre 1863, déclare que les catholiques qui se livrent à l'étude des sciences doivent, outre la soumission aux dogmes définis par l'Église, pratiquer aussi la soumission aux décisions doctrinales des Congrégations romaines. Denzinger-Bannwart, Enchiridion, n. 1684. Soumission qui, d’après l’ensemble de tout ce texte, est considérée comme obliga

toire en conscience, sans qu’il soit cependant question d’un enseignement infaillible. D’où l’on doit conclure que la même soumission est due, à plus forte raison, aux enseignements similaires donnés parle pape lui-même en dehors d’une définition proprement dite. b) La même conclusion doit être déduite de l’encyclique Quanta cura du 8 décembre 1864, réprouvant l’audace de ceux qui, impatients du joug de la saine doctrine, prétendent que l’on peut, sans péché et sans atteinte à la profession de la foi catholique, refuser l’assentiment et l’obéissance aux jugements et décrets du saint-siège concernant le bien général, les droits et la discipUne de l'Église et n’appartenant point aux dogmes de foi. Ibid., n. 1698.

c) On doit également citer quelques formules de souscription imposées par le saint-siège en plusieurs circonstances où il ne s’agissait point d’un enseignement pontifical infaillible. En 1866, des professeurs de l’université de Louvain dont l’enseignement avait été déféré à Rome, durent adhérer à cette formule : Decisionibus sanctæ scdis apostolicæ die 2 marlii et 30 augusd hujus arini plene perfecte absoluleque me subjicio, et ex animo acquiesça. Ideoque ex corde reprobo et rejicio quamcumque doclrinam opposilam. Franzelin, Traclatus de divina (raditione et Scriptura, 2e édit., Rome, 1875, p. 135. De semblables souscriptions avaient été précédemment exigées de l’abbé Bautain en 1840 et de Bonettj^ en 1855, p. 136. Voir ces noms.

d) De même le concile du Vatican, en 1870, rappela l’obligation qui incombe à tous non seulement de fuir l’hérésie, mais aussi d’observer les constitutions et décrets du saint-siège, proscrivant et prohibant les opinions perverses qui ne sont point mentionnées expressément par le concile, et qui sont plus ou moins proches de l’hérésie. Denzinger-Bannwart, n. 1820. Paroles qui, outre les décrets doctrinaux des Congrégations romaines, visent certainement aussi des constitutions et décrets pontificaux, même non infaillibles. Vacant, Éludes théoloqinues sur les constitutions du concile du Vatican, Paris, 1895, t. ii, p. 334 sq. Il est d’ailleurs manifeste que ce grave avertissement, appuyé sur la nécessité de fuir toute contagion plus ou moins prochaine de l’hérésie, indique qu’il s’agit ici d’une adhésion de l’intelligence.

e) Un peu plus tard Léon XIII, dans l’encyclique Imniortale Dei du l'^ novembre 1885, déclarait qu’en matière d’opinions quæcumque pontificcs romani tradiderint vel tradiluri sint, singula nccesse est et tenere judicio stabili comprehensa et palam, quoties res postulaveril, proftteri. Ce qui est particulièrement requis en ce qui concerne les libertés modernes, pour lesquelles oportct apostolicse sedis stare judicio, et quod ipsa sanscrit idem senlire singulos. Déclarations qui exigent certainement une adhésion de l’intelligence, môme pour des décisions qui ne sont pas nécessairement infaillibles.

4. On a pu observer que les documents qui viennent d'être cités, exigent une adhésion de l’intelligence à l’enseignement proposé, bien que celui-ci ne soit pas infaillible. Pour concilier cette obligation avec la non-infaillibilité de l’enseignement, on doit tenir compte des remarques suivantes : a) Il ne s’agit point ici d’un assentiment ferme comme celui de la foi, qui tire son absolue certitude de l’infaillible véracité de Dieu sur laquelle il s’appuie. Car il n’y a pas enseignement révélé. L’assentiment exigé est simplement un assentiment prudent, appuyé sur la certitude morale de la vérité proposée ou recommandée. — b) Cette certitude morale repose principalement sur les motifs suivants : la prudente maturité avec laquelle l'Église procède à l’examen doctrinal, les preuves traditionnelles ordinairement citées, et la sagesse éprouvée des papes en toutes ces occurencas,

sagesse telle que, dans les nombreuses interventions doctrinales provenant immédiatement du pape luimême, on ne peut en citer une seule où l’erreur ait été enseignée ou favorisée. — c) La certitude morale de l’enseignement proposé ou recommande suffit pour que l’autorité enseignante ait le droit de commander un assentiment prudent. En principe, il doit en être ainsi ; autrement l'Église ou le pape ne pourrait pas prémunir sufïisamment les fidèles contre tous les dangers qui menacent leur foi. Car il faut que l'Église ou le pape puisse pourvoir à la défense intégrale non seulement des vérités révélées, mais encore de tout ce qui a une connexion intime avec ces vérités. Il faut que le pape puisse écarter non seulement les dangers de perversion immédiate de la foi, mais encore, selon le concile du Vatican, précédemment cité, ce qui est plus ou moins proche de la perversion hérétique. Pour cela il ne suffit pas que le pape puisse, avec une autorité infaillible, définir ce qui est de foi ou ce qui a avec la foi une connexion intime. Il est nécessaire qu’il puisse aussi, avec autorité, interdire ce qui, à son jugement, est dangereux pour la foi, même d’une manière moins immédiate, et doit pour cette raison être rigoureusement évité ; qu’il puisse aussi avec autorité prescrire ce qui, à son jugement, est très utile ou très efficace pour la défense intégrale des vérités appartenant indirectement au dépôt de la foi.

En fait, l'Église et les papes ont toujours procédé ainsi et leur pouvoir a toujours été universellement reconnu par les fidèles.

d) Contre la certitude morale avec laquelle l’enseignement pontifical se présente à l’intelligence, il ne peut y avoir normalement que des doutes ou soupçons non fondés ou imprudents, que l’on doit écarter soit à l’aide des motifs d’ordre intellectuel sur lesquels s’appuie la certitude morale de l’enseignement, soit par l’influence de la volonté qui doit, par déférence pour l’autorité, incliner l’intelligence vers une adhésion jugée pratiquement très prudente.

Si, dans un cas particulier, des doutes qui paraissent bien fondes arrêtent l’intelligence et empêchent son adhésion à l’enseignement proposé, on doit, pour mettre un terme à cette situation d’esprit, soumettre ses doutes à des guides capables d'éclairer l’intelligence, ou les soumettre à l’autorité elle-même.

5. On doit pratiquement insister beaucoup sur l’accomplissement intégral de l’obligation d’adhérer à renseignement pontifical même non infaillible, parce que c’est la meilleure garantie pour la parfaite intégrité de la foi qui par là sera toujours défendue contre tous les périls. C’est en même temps la meilleure garantie d’une entière soumission aux enseignements infaillibles du saint-siège.

Ce devoir doit être plus particulièrement accompli par ceux qui exercent dans l'Église quelque autorité ou qui peuvent, de quelque manière, collaborer, avec charité et soumission, à l'œuvre du ministère ecclésiastique, surtout à notre époque où, suivant les instantes recommandations si souvent répétées par Léon XIII et Pie X, il importe souverainement que toute l’action catholique de tous les lidèles, dans toute leur vie publique, se fasse avec unité de vues, et avec la concorde des intelligences et des volontés. Conditions manifestement nécessaires pour le plein succès désiré, mais conditions qui ne pourront jamais être suffisamment réalisées sans une constante soumission de l’intelligence aux enseignements du souverain pontife, même en dehors des définitions infaillibles au sens du décret du concile du Vatican.

6. Comme exemples de cet enseignement pontifical obligatoire bien que non infaillible, nous indiquerons d’une manière très générale : a) Beaucoup de décrets doctrinaux des souverains pontifes, insérés dans le

Corpus juris, et cités assez fréquemment, en théologie dogmatique ou en théologie morale, eu faveur d’une assertion doctrinale ou d’une obligation morale. — b) Beaucoup d’assertions doctrinales, dans les encycliques de Léon XIII et de Pie X, où un enseignement est loué, recommandé ou simplement affirmé, sans aucune indication de son appartenance à la révélation ou à la tradition catholique constante et universelle et sans aucune indication d’obligation stricte imposée par la foi ou par la soumission due à la souveraine autorité du pontife romain. Nous ne croyons point nécessaire de rapporter ici aucun exemple particulier. Nous ferons seulement observer que dans ces cas, comme pour les définitions infaillibles dont nous avons parlé précédemment, les arguments ou motifs sur lesquels l’enseignement doctrinal est appuyé dans le document pontifical, ne sont point l’objet direct et immédiat du jugement doctrinal. Ils ne tombent point dès lors sous l’obligation directe qu’il impose, bien qu’il puisse habituellement y avoir témérité à rejeter ces arguments ou motifs, surtout si l’adhésion au jugement doctrinal devait par là être mise en péril. Ainsi dans l’encyclique Rerum noimrum de Léon XIII. du 16 mai 1891, on devra distinguer entre les arguments multiples et très développés, et des affirmations doctrinales, portant principalement sur la légitimité du droit de propriété privée, comme découlant du droit naturel, sur la réprobation du socialisme, sur la légitimité de l’intervention législative de l'État dans les cas et selon la mesure indiquée, et sur les droits appartenant aux corporations selon le droit naturel.

7. On doit distinguer des décrets doctrinaux non infaillibles, les décrets principalement disciplinaires, dont l’objet premier et principal est l’accomplissement de quelque injonction positive, accompagnée, il est vrai, de considérants et d’arguments d’ordre intellectuel, mais sans que ceux-ci tombent, du moins par eux-mêmes, directement et nécessairement, sous l’obligation imposée. Toutefois, notons encore ici, qu’il y aurait facilement témérité et danger à rejeter ces arguments, même en dehors de toute obligation d’adhésion qui peut exister en vertu d’autres enseignements de la révélation chrétienne ou du saint-siège.

A la catégorie des décrets principalement disciplinaires, on peut rattacher tous les documents positifs concernant le principal civil du pontife romain. Nous croyons inutile d’insister encore sur la téméi’ité qu’il y aurait à rejeter, contrairement au jugement du pape, les arguments sur lesquels, dans tous les documents pontificaux, le maintien des droits du saint-siège est appuyé.

A la catégorie des décrets inincipalement disciplinaires, paraissent également appartenir les nombreux documents de Léon XIII et de Pie X, prescrivant l’emploi de la philosophie scolastique de saint Thomas, particulièrement pour les séminaires et les instituts religieux. Les très graves arguments sur lesquels cette mesure disciplinaire est appuyée, surtout dans l’encyclique JEterni Palris du 4 août 1879, ne sont point l’objet d’un jugement doctrinal, que le saint-siège veuille rendre, de soi, strictement obligatoire, en dehors de ce qui est imposé à l’obéissance. Mais il y aurait très grande témérité et danger manifeste à les rejeter ou à ne pas en tenir compte, surtout si l’observation des prescriptions pontificales, devait, pour cela, être mise en péril, comme il y a tout lieu de le craindre.

La même remarque doit encore être appliquée aux arguments et aux considérants sur lesquels sont appuyées les prescriptions tracées par Pie X, dans plusieurs documents principalement disciplinaires concernant l’action catholique et la question sociale, comme le Motn proprio sur l’action populaire chrétienne du

18 décembre 1903, les encycliques II ferma proposito du Il juin 1905 et Pieni l’animo du 28 juillet 1906, aux évêques d’Italie, et la lettre encyclique Singulari quadam du 15 novembre 1912 aux évêques d’Allemagne. On observera d’ailleurs que, parmi les arguments ou considérants employés dans ces documents, plusieurs, bien qu’ils ne soient point l’objet d’un jugement doctrinal, doivent cependant, d’après d’autres enseignements pontificaux, être tenus pour certainement vrais. Telle est, par exemple, dans la lettre encyclique Singulari quadam, cette assertion que la question sociale et les controverses qui s’y rapportent, relativement au contrat et à la durée du travail, au salaire et aux grèves, ne sont point des questions purement économiques, pouvant se résoudre en dehors de l’autorité de l'Église, puisqu’il est au contraire très vrai, selon l’enseignement de Léon XIII dans l’encyclique Graves de commuai du 18 janvier 1901, que la question sociale est tout d’abord une question morale et religieuse, et que, pour cette raison, elle doit être résolue principalement d’après la loi morale et le critère de la religion.

2° conclusion concernant la gravité de l’obligation imposée et la malice spécifique de la faute commise dans le cas d’insoumission à un tel enseignement pontifical. — 1. La gravité de l’obligation imposée, dans un cas donné, par tel enseignement pontifical doit se mesurer d’après les principes suivants : a) On doit tenir compte des principes exposés en théologie morale relativement à l’obligation des lois ecclésiastiques relativement aussi aux dangers plus ou moins prochains et plus ou moins graves auxquels la foi peut être exposée, b) On doit également tenir compte de la connaissance et de l’advertance du sujet, ainsi que de la circonstance de scandale, plus ou moins grave, qui peut se présenter, parfois aussi de la virconstance du mépris de l’autorité ecclésiastique, si elle existait réellement, ce qui est assez rare.

2. La malice spécifique de la faute commise dans le cas d’insoumission à un tel enseignement pontifical doit s’apprécier selon les principes suivants : a) Il y a toujours en soi violation d’une loi de l'Église obligeant gravement en une matière relevant immédiatement de son autorité. — 6 j II y a souvent, per accidens, faute contre la vertu de foi dans la mesure où, en désobéissant au magistère pontifical, on s’expose à quelque danger plus ou moins grave concernant la foi. — c) Il peut facilement aussi y avoir faute contre la charité, par le scandale donné ou par le dommage spirituel que l’on peut causer autour de soi par sa désobéissance, suivant la position que l’on occupe et l’influence que l’on peut exercer.

II. CONTROVERSE THÉOLOOIQUE CONCERNANT LE PRIVILÈGE DE L’EXEMPTION DE L' HÉRÉSIE, ATTRIBUÉ, PAR QUELQUES THÉOLOGIENS, AU PAPE CONSIDÉRÉ MÊME COMME PERSONNE PRIVÉE.

Aperçu historique.

1. On rencontre dans le Decretum de Gratien cette assertion attribuée à saint Boniface, archevêque de Mayence, et déjà citée sous son nom par le cardinal Deusdedit († 1087), ainsi que par Yves de Chartres, Decretum, v, 2.'5, que le pape peut défaillir dans la foi : Hujus (i. e. papœ) culpas istic redarguere præsumit morlaliuin nullus, quia cunctos ipsejudicaturus a nemine est judicandus, nisi depreliendatur a ftde dcvius. Decretum, part. I, dist. XL, c. 6.

Dans la suite cette même doctrine se retrouve jusque chez les partisans les plus convaincus du privilège pontifical. Innocent III s’y réfère dans un de ses sermons : In tantum fuies mihi nccessaria est ut cum de ceteris peccatis solum Deum judicem habcam, propter solum peccatum quod in flde committitur possem ab Ecclesia iudicari. P. L., t. ccxvii, col. 656. Les grands théologiens scolastiques ont généralement négligé d’envi

sagcr cette hypothèse ; mais les canonistes dos xii" el xine siècles, connaissent et commentent le texte de Gratien. Tous admettent sans difficulté que le pape peut tomber dans l’hérésie comme dans toute autre faute grave ; ils se préoccupent seulement de rechercher pourquoi et dans quelles conditions il peut, dans ce cas être jugé par l’Église. C’est pour quelques-uns la seule exception à l’inviolabilité pontificale. Non potest accusari nisi de haresi, est-il dans la Summa Lipsi’ensLs (avant 11 90). D’autres équiparent à l’hérésie le schisme, la simonie, l’inconduitc, mais le péché contre la foi demeure toujours le cas type qui leur sert à régler la procédure. Il doit être question d’une affaire intéressant toute l’Église. Rufm (vers 11641170) résume ainsi les opinions de son temps : In ea (causa) quæ tolam Ecclesiam contingil judicari potest, sed in ea quæ unani personam vel plures non. Le même auteur précise qu’il faut entendre cette règle de l’hérésie obstinée. Prima sedes non judicabitur a quoquam nisi in fldei articulis pertinaciter erraverit. Ce qui suppose, pour Jean de Faènza que le pape coupable a été secundo et tertio commonitus. Il n’y a plus lieu dans ce cas d’invoquer la primauté : pour Huguccio († 1210) le pape est alors minor quolibet catholico.

A partir du xiii"e siècle, les Décrétalistes ont tendance à s’en tenir à la lettre de Gratien, que les Décrétistes étendaient volontiers à des cas similaires. Les premiers réservent donc le Jugement du pape pour le seul cas d’hérésie. Nisi in crimine h.rresis, dit Bernard de Pavie(† 1213), Excipitur unum solum crimen super quo Papa accusari possit, prononce le célèbre Hostiensis (Henri de Ségusio 1 1271). Mais l’éventualité de ce dernier cas est toujours prévue sans la moindre hésitation. Restreinte ou élargie la pensée de Gratien a dominé tout le droit canonique du moyen âge.

Fr. Schulte, Die Stcllung der Concilien, Papste und Bischôfe, Prague, 1871, p. 188-205 et Appendice 253-268 a dressé, à l’appui du « vieux catholicisme » un dossier très complet de ces textes pour la plupart inédits ou difiicilement accessibles.

2. Au xve siècle la même doctrine persiste encore chez de nombreux auteurs, qui, comme leurs devanciers, ajoutent que le pape est, en ce cas. immédiatement déchu de la dignité pontificale ou déposé par le fait même, Torquémada, Summa de Ecclesia, t. II, c. cxii, Rome, 1469, sans pagination. Selon d’autres théologiens, le pape peut, en ce cas, être jugé par un concile. Nicolas Tudeschi, ou Panormitanus († 1445). Commentaria in Décrétai., 1. 1, tit. iv, c. 4, n. 3, Venise, 1617, 1. 1, p. 108 ; Thomas Netter ou Waldensis ( 1 1430) Doctrinale aniiquitalum fidei Eccksiæ catliolicæ, t. ii, a. 3, c. 80, Venise, 1571, 1. 1, p. 397.

3. Au commencement du xiite siècle, l’opinion du cardinal Torquémada est reijroduite par Cajétan, De romani pontiftcis institutione et auctoritate, c. xiii, Opuseula omnia. t. i, tr. II l, Turin, 1582, p. 93 sq., et par Sylvestre de Priério, Summa si/lucstrina, art. Papa, n. 4, Lyon, 1594, t. ii, p. 276. A rencontre de cette assertion, Pighi affirme que, selon la promesse de Jésus-Christ, prise dans toute son étendue, Matth., XV !, 18, il est impossible que le pape soit hérétique, parce que, le fondement de l’Église faisant alors défaut ou cessant d’être uni à Jésus-Christ, il serait vrai de dire que les puissances de l’enfer ont prévalu contre l’Église. Pighi confirme sa conclusion par ce fait providentiel, certainement démontré, dit-iJ, qu’il n’y a eu jusque-là aucun pape hérétique, ce qui autorise à conclure qu’il n’y en aura point jusqu’à la fin des siècles. Hiérarchise ecclesiasticæ assertio, t. IV, c. viii, Cologne ; 1538, fol. cxxxi sq. Cette affirmation de Pighi fut aussitôt combattue par Melchior Cano, qui, après avoir rejeté la plupart des explications données par Pighi pour justifier plusieurs papes au

sujet de la foi, conclut que l’on ne peut nier que le souverain pontife puisse être hérétique, puisqu’en fait il y a un exemple ou peut-être deux. De lacis theologicis, t. VIII, c. vin. Opéra, Venise, 1759, p. 170. Cano fut suivi par Dominique Soto, In IV Sent, dist. XXII, q. ii, a. 2, Venise, 1575, t. i, p. 1040 ; Grégoire de Valence, Analysis fidci cathoUcæ, part. VIII, Ingolstadt, 1585, p. 310 ; Bannez, Commc/îta/ ; a in 11^^ II^, q.i, a. 10, dub. ii, Venise, 1602, col. 115 sq.

Pif ; hi eut cependant quelques défenseurs. Bellarmin soutint comme probable cette proposition extraite de Pighi : il est probable et l’on peut croire pieusement que le souverain pontife, considéré comme personne privée, ne peut être hérétique en adhérant avec opiniâtreté à une erreur contraire à la foi. Cette proposition est montrée conforme à l’ordre providentiel et appuj’ée par les faits. Il est plus conforme à l’ordre providentiel que celui qui doit, selon l’ordre établi par Dieu, confirmer tous les autres dans la foi, soit lui-même toujours à l’abri de toute défaillance privée. Sans doute. Dieu peut d’un cœur hérétique tirer la confession de la vraie foi, comme il mit autrefois des paroles vraies, dans la bouche de l’ânesse de Balaam. Mais ce serait violent et non selon l’ordre habituel de la divine Providence disposant toutes choses avec suavité. L’assertion est d’ailleurs corroborée par les faits. Toutes les objections historiques tirées des prétendues erreurs dans la foi enseignées par plusieurs papes sont discutées une à une, de manière à prouver la conclusion proposée par le savant controversiste. Ue romano pontipce, t. IV, c. vi sq.

4. Au xviie siècle, l’opinion de Pighi et de Bellarmin fut défendue comme probable par plusieurs théologiens, notamment par Suarez. De fidc, tr. I, disp. X, sect. VI, n. 12 ; Gravina († 1643), Catholicæ præscripiiones adversus hæreticos, q. ii, a. 5, dans Rocaberti, t. viii, p. 462 sq. ; Dominique de la Sainte-Trinité, De summo pontifice romano, sect. iv, c. xvi, dans Rocaberti, t. X, p. 458 ; d’Aguirre, Auctoritas infallibilis et summa cathedra ; sancti Pétri, tr. H, disp. XXV, sect. i, n. 2, Salamanque, 1683, p. 362.

Cette opinion fut aussi considérée comme probable par quelques théologiens dont la préférence était pour le sentiment de Cano, particulièrement par Nugno († 1614), Commentarii ac disputaliones in III^^S. Thomæ, q. xx, a. 3, dans Rocaberti, t. viii, p. 256 ; Tanner, In Summam S. Thomæ, t. iii, disp, I, q. iv, dub. ^^, dans Rocaberti.t. i, p. 37 ; Duval († 1638), De suprema romani pontificis in Ecclesia potestate, part. II, q. i, Paris, 1877, p. 100 sq. ; Théophile Raynaud († 1663), Corona aurea super mitram romani pontificis, Epilegomena, u, 7, Opéra, t. x, p. 146 sq. ; Vincent Ferré († 1682), Tractatus de virtutibus theologicis, t. i, q. xii, dans Rocaberti, t. xx, p. 395 sq. ; Brancati de Lauria († 1693), In III Sent., De virt. theoL, disp. VIII, a. 5, dans Rocaberti, t. vi, p. 1Il sq. ; et les théologiens de Salamanque, Cursus théologiens. De fidc, disp. IV, dub. I, n. 7 sq.

Nous arrêtons nos indications à la fin du xviie siècle, parce que, depuis cette époque, la controverse théologique présente peu d’intérêt, les positions restant les mêmes, el la question n’ayant le plus souvent, chez les théologiens, qu’une brève mention.

Conclusion théologique.

Bien qu’on ne puisse démontrer que, pour le pape considéré comme personne privée, le privilège de l’exemption de toute hérésie soit contenu dans le dogme de l’infaillibilité pontificale, on ne peut non plus démontrer que ce privilège soit inadmissible. On peut même estimer avec quelque probabilité, qu’étant donné le dogme de l’infaillibilité pontificale, l’existence de ce privilège, paraît plus conforme à l’ordre providentiel tel qu’il se manifeste habituellement à nous.

1. Aucune des preuves invoquées en faveur de l’infaillibilité pontificale ne démontre le privilège en question. Les deux textes scripturaires, Matth., xvi, 18, et Luc, XXII, 22, selon l’argumentation précédemment établie et selon l’interprétation constante des théologiens, prouvent seulement l’infaillibilité du pape enseignant, comme pasteur et docteur de l'Église entière, ce que les fidèles sont tenus de croire ou d’admettre. C’est également tout ce que prouve, d’après toute notre exposition, le témoignage de la tradition catholique.

2. On ne peut non plus démontrer que le privilège en question est inadmissible. Il ne se heurte à aucun principe certain de la théologie ; et d’autre part les défaillances imputées à certains papes ou ne sont pas absolument certaines au regard de, l’histoire, ou n’intéressent pas la foi. Voir Arianisme, 1. 1, col. 1825 sq., et Libère.

3. On peut même penser, avec quelque probabilité, qu'étant donné le dogme de l’infaillibilité pontificale, l’existence du susdit privilège semble plus conforme à l’ordre providentiel tel qu’il se manifeste habituellement à nous. Voir Collectio I.accnsis, t. vii, col. 357. Car, selon l’ordre providentiel tel qu’il nous est manifesté par le témoignage constant de la tradition, l’infaillibilité pontificale nous est garantie, non par une inspiration divine ou par quelque acte analogue, mais par une simple assistance du Saint-Esprit, écartant tout danger ou toute possibilité d’erreur dans le jugement doctrinal porté par le pape et rendu par lui obligatoire pour tous les fidèles. Or, dans l’hypothèse indiquée, cette simple assistance ne suffirait point, puisque l’intelligence de celui qui devrait enseigner la vérité divine pourrait être à quelque moment opposée h cette vérité. On devrait admettre une inspiration divine toute spéciale et une motion exceptionnelle dans le genre de celle qui, selon l’expression de Bellarmin, mit des paroles dans la bouche de l'ânesse de Balaam ; procédés sans doute possibles à la toutepuissance divine, mais qni ne s’harmonisent guère avec la conduite habituelle de la Providence. Cette opinion vaut ce que valent les raisons qui l’appuient ; mais elle n’est à aucun titre garantie par l'Église, ni adoptée par l’ensemble des théologiens.

Outre les nombreux ouvrages cités au cours de cet article, on peut consulter les traités Ueiïccfesia qui s’occupent tous de l’infaillibilité pontificale, le Kirchenlexikon, 2e édit., Fribourg-en-Brisgau, 1901, t. xii, col. 348 sq., la Catliolic Encydopedia, New York, 1910, t. vii, p. 790 sq. et le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. III, col. 1333-1371 et 1422-1534.

Spécialement pour les textes néo-testamentaires qui traitent des prérogatives de saint Pierre, voir J. Corluy, Spicilegium dogmalico-biblicum. Gand, 1884, t. i, p. 32-71 ; C. A. Kellncr, Ueber die « iirspriinyliche » Formdes Matth. XVI, lS-19, Zeitschrift fiir katholische Théologie, Inspruck, 1920, p. 147-169 ; Kessel, Der Spruch iiber Peints als Felsen der Kirche, dans Paslor bonus, 1920, p. 193-207,.326-333, 393-413, 471-487 ; J. Sickenberger, Eine neue Deutung der Primatstelle, Mt.XVl, 16, dans Theologische Revue, l'^M, col, 1-7 ; L. Fonck, Tu es Pelrus, dans Biblica, Rome, 1920. 1. 1, p. 240-264 ; Prosper Schepens, L’authenticité de saint Matthieu, XVI, 18, dans les Recherches de science religieuse, septembre-novembre 1920, p. 271-302 ; H. Dicckmann, Mt., XVI, 18, dans Biblica, P^ome, 1921, p. 6.'5-69. Les principaux documents ecclésiastiques sur l’infaillibilité du pape se trouvent dans Cavallera, Thésaurus doclrinæ catholicx, Paris, 1920, n. 168, 188, 193, 325, 332, 378, 541.

E. DUBLANCHY.

INFANTICIDE. — D’après l'étymologie (mjaniem, aedere), l’infanticide est le meurtre d’un enfant. Dans le langage juridique, le sens est plus précis : c’est le meurtre d’un enfant nouveau-né. Ainsi le Code pénal, art. 300, s’exprime de la manière suivante : « Est qualifié infanticide, le meurtre d’un

enfant nouveau-né. « Il se distingue donc de l’avortement qui tue l’enfant dans le sein de la mère. Voir 1. 1, col. 2644 sq. Le langage courant ajoute une détermination de plus : il réserve d’ordinaire le mot d’infanticide au meurtre du nouveau-né par son père ou sa mère. C’est dans ce sens que nous allons étudier l’infanticide en exposant : I. Ce qu’il a été de fait dans les principales sociétés civilisées. IL Quelle fut l’attitude de l'Église en face de l’infanticide. III. Ce qu’il faut en penser au point de vue moral.

L L’infanticide dans les PRiNapALEs sociétés. — Nous trouvons deux principales manières dont ce crime fut commis et l’est encore. Dans certains cas, le père ou la mère commettent positivement l’acte criminel : ils tuent, étouffent ou noient leur enfant (infanticide positil). Beaucoup plus souvent, ils se contentent de le laisser sans aucun des soins nécessaires pour soutenir la vie du nouveau-né ; ils l’abandonnent, l’exposent, soit dans un endroit écarté où, inévitablement, il doit périr, soit dans un 'endroit public où peut-être il sera recueilli dans un but de charité ou de lucre, mais où il peut aussi être délaissé et mourir (infanticide négatif).

En Grèce.

Signalons d’abord une sorte d’infanticide légal. A Sparte, les enfants, d’après Lycurgue, appartiennent à l'État plus qu'à leurs parents. Quand un enfant est né, il est porte devant les anciens, qui ne permettent de garder et de nourrir que les enfants de robuste apparence. L’enfant est-il chétif ou mal conformé, il est porté sur le mont Taygète ; et là (les textes ne sont pas parfaitement clairs et les auteurs modernes les interprètent de l’une ou de l’autre façon) on le précipite dans le gouffre des Apothètes, ou peut-être on l’abandonne simplement, de sorte qu’il ne puisse être élevé avec les enfants des citoyens. Plutarque, Lycurgiie, § 16.

Dans les autres cités grecques, à Athènes surtout, l’enfant appartient complètement au père ; c’est lui qui prononce souverainement sur le sort du nouveauné. Dans les dix jours qui suivent la naissance, si le père a décidé de l’accepter dans la famille et de l'élever, il le prend et le porte autour du foyer pour l’associer au culte des ancêtres. Sinon, il a le droit de l’abandonner, de le vendre ou de le faire mourir. Tel sera surtout le sort des infirmes, des chétif s ou des petites filles ; car élever une fille, c’est un luxe coûteux, un sacrifice sans compensations. Cf. Glotz, art. Expositio, dans le Diction, des antiquités grecques et romaines, t. ii, p. 930-939 ; et Léon Lallemand, Histoire des enfants abandonnés et délaissés, Paris, 1885, p. 36.

Le mode d’exposition était double. Tantôt le père portait l’enfant dans un endroit où il devait mourir : c'était ràTr66sai.ç. D’autres fois, il le plaçait en un lieu où il pouvait être recueilli, et il arrivait que l’on mît à côté de lui des objets qui permissent de le reconnaître plus tard : c'était VixQzaiç, . Quel que soit le mode choisi, le père ne peut être inquiété : il use de son droit souverain en se débarrassant d’un enfant qui le gêne ; ni les lois ne le lui nient, ni les philosophes ne le lui contestent. Aristote, Politique, vii, 16 ; Platon, République, v.

A Rome.

Nous trouvons les mêmes principes et les mêmes mœurs, mais avec une abondance de documents incomparablement plus grande.

La loi des XII Tables ne permet pas de garder les nouveau-nés monstrueux. Cicéron, De legibus, III, 8. Comme de pareilles naissances annonçaient quelque malheur public, ces petits êtres mal conformés étaient brûlés, Lucain, Pharsale, i, vers 589 sq., ou placés dans un coffre que l’on jetait à la mer, ou simplement noyés. Tite-Live, Hist., xxvii, 37 ; xxxi, 12 ; cf. Léon Lallemand, Histoire de la charité, Paris, 1902, t. u p. 104.