Dictionnaire de théologie catholique/JUSTICE ORIGINELLE III. Problème dogmatique

La bibliothèque libre.
Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 8.2 : JOACHIM DE FLORE - LATRIEp. 307-311).

III. Problème dogmatique. —

L’enseignement dogmatique de l’Eglise, louchant l’élévation du pic mier homme à un état supérieur à sa condition naturelle, porte sur deux points :

1° Élévation de l’homme à l’ordre divin de la grâce et de la vie surnaturelle. —

Voir Adam, t. i, col. 372-374.

2° Rectification des défauts naturels par des dons préternaturels. —

1. L’immortalité. —

La mort est corrigée par le don d’immortalité, véritable exemption de la nécessité naturelle de mourir. — a) Cette vérité est révélée dans l’Écriture. Symbolisée peut-être dans l’arbre de la vie, Gen., ii, 9, iii, 24, elle est clairement exprimée dans les textes où la mort est représentée comme le châtiment du péché. Gen., ii, 16, 17 ; iii, 3, 19 et surtout Sap., i, 13 sq. ; ii, 23 sq., cf. Gen., ni, 1-6 ; Rom., v, 12 ; viii, 10 ; ICor., xv, 21. — b) La tradition, c’est-à-dire le magistère ordinaire de l’Église, l’a toujours considérée comme telle et les Pères ont présenté comme une vérité appartenant au fond de l’enseignement chrétien l’immortalité concédée à Adam. Ils marquent expressément que cette immortalité est simplement un pouvoir d’immortalité, conditionné par la fidélité du premier homme à observer le précepte porté par Dieu. Théophile d’Antioche enseigne que l’homme, dès le principe, devait être immortel ou mortel suivant qu’il obéirait ou désobéirait à Dieu. Ad Autolycum, t. III, n. 27, P. G., t. viii, col. 1093. Saint Irénée est très allirmatif sur le caractère absolument gratuit de l’immortalité concédée à l’homme. Cont. Hær., t. III, c. xix, P. G., t. vii, col. 939. Voir Irénée (saint), t. vii, col. 2457. Saint Justin, vingt ans avant saint Irénée, enseignait déjà que, depuis le péché d’Adam, la race humaine est tombée au pouvoir de la mort. Dial., c. Lxxxviii, P. G., t. vi, col. 688. Tatien est plus précis encore : L’homme créé immortel, écrit-il, a perdu par son péché, le privilège que Dieu lui avait accordé. Oralio adv. Grœcos, n. 11, P. G., t. vi, col. 829. L’affirmation que la mort est la suite du péché se retrouve chez Tertullien, De anima, c. lii, P. L., t. ii, col. 738 ; S. Cyprien, De bono patientiæ, n. 17, P. L., t. iv, col. 633 ; Méthodius d’Olympe, Convivium, or. III, c. vi, P. G., t. xviii, col. 69. Saint Athanase déclare que la peine de mort n’a été que la suite du mépris que nos premiers parents ont fait du précepte divin ; naturellement mortels, xaxà cpuaiv cpâapxoî, ils avaient été appelés à la vie par la grâce du Verbe, qui ne peut mourir. De incarnalione Verbi, n. 4, 5, P. G., t. xxv, col. 104. La doctrine des Cappadociens ne diffère pas, sur ce sujet, de celle d’Athanase. Voir S. Basile, Homil. quod Deus non est auctor malorum, n. 6, 7, P. G., t. xxxi, col. 344-345 ; S. Grégoire de Nazianze, Orat., xlv, n. 8, P. G., t. xxxvi, col. 632 ; S. Grégoire de Nysse, Oratio catechcUca, c. vi, P. G., t. xlv, col. 28. Saint Jean Chrysostome marque nettement d’une part l’immortalité primitive, Si’ôXov acp6a ?TOt. x-ci-s0évrsç xai àQâvaToi, In Gen., homil. xv, n. 4, P. G., t. lui, col. 123 ; d’autre part le lian de causalité qui existe entre le péché d’Adam et l’introduction de la mort dans l’humanité. In episl. ad Iîomanos, homil. x, n. 1, P. G., t. lx, col. 474. Saint Hilaire énonce très exactement le dogme de l’immortalité conditionnée par l’obéissance et perdue par la prévarication d’Adam. Traclatus super psalmos, In ps. I, n. 18, 13 ; UX, n. 4, P. L., t. ix, col. 258, 585. La doctrine catholique est couramment exprimée par saint Ambroise et l’Ambrosiaster, et quand saint Augustin dut prendre à partie l’hérésie pélagienne, la tradition lui avait déjà, sur le chapitre de l’immortalité primitive, tracé très fermement la voie.

c) Le dogme catholique trouve sa formule théologique avec saint Augustin, dont le texte célèbre du De Genesi ad litleram est classique : « Selon une double cause qu’on peut envisager, on doit dire que l’homme avant le péché était mortel et immortel : mortel, parce qu’il pouvait mourir ; immortel, parce qu’il pouvait ne pas mourir. Autre chose est ne pouvoir mourir (prérogative des natures que Dieu a faites immortelles), autre chose est pouvoir ne pas mourir. C’est de cette dernière façon que le premier homme a été créé immortel : l’immortalité ne lui venant pas de la constitution de sa nature, mais bien de l’arbre de la vie. Après son péché, il fut éloigné de cet arbre, afin qu’il put mourir, lui qui, s’il n’avait pas péché, aurait pu ne pas mourir. Il était donc mortel, eu égard à sa condition de corps animal, mais immortel par un bienfait de son créateur. » > L. VI, n. 36, P. L., t. xxxiv, col. 354. Cf. De correplione et gralia, c. xii, n. 34, P. L., t. xliv, col. 936 ; Opus imperf., t. VI, c. xxv, P. L., t. xlv, col. 1159. Cette immortalité conditionnelle entraînait avec elle l’exemption des maux, des maladies, de la vieillesse, ne corpus ejus vel infirmilale vel setale in détenus mutaretur aul in occasum cliam laberetur. De Genesi ad lillerum, t. VIII, n. Il ; cꝟ. t. IX, n. 6, ; De Gen. contra manichœos, t. II, n. 8, P. I.., I. xxxiv, col. 377, 395, 200.

Augustin mêlait déjà au dogme les explications théologiques que lui emprunteront les écrivains postérieurs. Mais déjà aussi les controverses avaient suffisamment précisé le dogme, pour que le magistère extraordinaire de l’Église pût le formuler authentiquement. Cette formule se résume en deux mots : immortalité conditionnelle. On la retrouve en trois conciles :

XVIe concile de Carthag Can. 1. Placuit omnibus episcopis… in sancta synodo Carthaginiensis Ecclesice constitutis : ut quicumque dixerit, Adam primum hominem mortalem factum, ita, ut, sive peccaret, sive non peccarct, moreretur in corpave, hoc est de corpore exiret non peccati merito, sed necessitate naturæ a. s. Denzinger-Bannwart, n. 101.

e, en 418 :

Il a plu aux évêques… réunis dans le saint concile de l’Église de Cartilage, d’établir ceci : Quiconque dit qu’Adam le premier homme a été fait mortel, de telle sorte que, soit qu’il péchât, soit qu’il ne péchât pas, il dût mourir corporellement… par nécessité de sa nature, et non en punition du péché, qu’il soit anathème.

IIe Concile d’Orange, en 529 :

Can. 2. — Si quis soli Adae preevaricationem suam, non et ejus propagini asserit nocuisse, aut certe mortem tantum corporis, quæ peena peccati est, non autem et peccatum, quod mors est anima ; , per unum hominem in omne genus humanum transiisse testatur, inj istitiam Deo dabit, contradicens Apostolo dicenti : per unum hominem peccatum intravit in mundum, et per peccatum mors, et ita in omnes ho mines mors pertransiit, in quo omnes peccaverimt (Rom. v, 12). DenLingcr-Bannwart, n. 17.").

Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam a nui à lui seul et non à sa postérité, ou déclare que seule la mort du corps, laquelle est la peine du péché, mais non le péché lui-même, a passé par un seul homme en tout le genre humain, celui-là fait injure à Dieu, en contredisant l’Apôtre qui dit : Par tut seul homme, le /léché est entré dans le monde, et, par le péché, la mort, et ainsi la mort a passé dans tous tes hommes, parce que tous ont péché.

Concile de Trente, en 1546, sess. v, can. 1

Si quelqu’un ne confesse pas que le premier homme Adam… a encouru, par s.i prévarication, la colère et l’indignation divines, et, par là, la mort dont Dieu l’avait auparavant menacé, … qu’il soit anathème.

Si quis non confttetur, primum hominem Adam… incurrisse per offensam prævaricationis hujusmodi iram et indignationem Dei atque ideo mortem, quam antea ï Il x comminatus fuerat Deus, a. s. Denzinger-Bannwai t, n. 788.

Le car », suivant reproduit à peu près le canon 2 du concile d’Orange. De plus le caractère préternaturel du don d’immortalité est enseigné par l’Église dans la condamnation de la proposition 78 de Baïus. Denzinger-Bannwart, n. 1078. Cf. Prop. 16 du synode dePistoie, condamné par Pie VI. Id., n. 1517.

2. L’intégrité. - —

La concupiscence, au sens propre du met, voir (. iii, col. 805, est corrigée par le don d’intégrité. Cf. Intégrité (État <P), t. vii, col. 2266. En ce sens précis, l’intégrité peut être définie : la rectitude des (if>pétits inférieurs, parfaitement soumis à la raison.

Sans appartenir à la foi, la doctrine de l’intégrité d’Adam avant sa chute, a des fondements si apparents dans l’Ecriture et a reçu du magistère des confirmations si explicites, qu’elle doit être tenue comme au moins théologiquement certaine : à ce titre elle appartient à l’enseignement officiel de l’Église.

a) Les fondements scripturaires de cette doctrine se trouvent dans Gen., ii, 25 et iii, 7. Avant le péché, Adam et Eve sont nus et ne rougissent pas ; après le péché, leurs yeux s’ouvrent et, ayant connu qu’ils étaient nus, ils tressent des feuilles de figuier pour s’en faire des ceintures. Dieu lai-même leur fait remarquer que, s’ils n’avaient pas péché, leur nudité ne leur eût point paru inconvenante. L’unique raison du changement d’attitude en nos premiers parents relativement à la nudité de leurs corps ne peut être que l’éveil soudain de la concupiscence en leur chair. D’ailleurs saint Paul considère la concupiscence comme un résultat du péché. Cette idée remplit les c. vi et vu de l’Épître aux Romains. Voir surtout vi, 12 ; vii, 19-20, 25. Paul parle manifestement de la concupiscence qui prévient la raison et résiste à la raison. Il désigne par métonymie cette concupiscence sous le nom de péché, parce que, comme l’explique le concile de Trente, sess. v, can. 5, « elle vient du péché et incline au péché. »

b) L’Église, par l’organe des Pères a sanctionné cette doctrine. Jusqu’au péché, un « manteau de justice » couvrait la nudité d’Adam. S. Ambroise, Apol. prophétie David, t. II, c. viii, n. 41 ; De N’oe et arca, c. xxx, n. 115 ; P. L., t. xiv, col. 903, 411 : S. Maxime de Turin, Itomilia : de diversis, lxxx, P. L., t. Lvn, col. 426. Ce manteau de justice est le don d’intégrité. Saint Jean Chrysostome tient la même doctrine. In Gen., homil. xiv, n. 4 ; xvi, n. 1, P. G., t. un. col. 123, 126, voir ci-dessus, col. 677. Même doctrine chez saint Jean Damascène, Homil. in ficum are/actam, n. 3, P. G., I. x( vi, col. 560 : ce 1 ère, attribuant à Adam innocent rdwtôBeiK, l’imp ssibilité, entend par là l’exemption de toute concupiscence, de toute passion troublante, de toute inquiétude, de tout souci. Voir ci-dessus, col. 726. C’est surtout saint Augustin qui a traité

  • r professa du don gratuit d’intégrité dans le premier

homme. Sa controverse avec le.s pélagiens est remplie de ce sujet, que l’on retrouve maintes fois abordé dans le De nuptiis ri concupiscentia et dans les écrits contre Julien (l’Éclane. Voir en particulier : Contra Julianum, t. IV, c. xvi, n. 82 ; Contra duas episl. pelug., t. I, c. xvi, n. 32, P. L., t. xliv col. 781, 564. Et ailleurs : De civil. Dei, t. XIV, c. ix-xi, xvii-xviii, t. xi.i, col. 413418, 425 ; De Genesi ad litteram, . XI, c. i, n. l, t.xxxiv, col. 429. L’unanimité des théologiens vient corroborer le sentiment des Pères. Voir S. Thomas, Sum. thcol., [ », q. xr v, a. 2 ; I" ID, q. i.xxxii, a. 3 ; Suarez, De opère sex dicrum, t. III, c. xii, n. 4 sq.

On trouve une confirmation de cette doctrine dans le e< ncile de’I rente, sess. v, can 5. i Dans les baptisés, déclare le concile, la concupiscence ou foyer du péché, demeure, » biem que le Cbrisl nous ronde ce que uns premiers parents avaient perdus. Cela suppose que la concupiscence n’existait pas dans l’état d’innocence. Bien plus, en déclarant dans le même canon, « que la concupiscence vient du péché, le concile enseigne ouvertement qu’elle n’était pas avant le péché ; car si elle avàll existé auparavant, elle ne serait en aucune manière eflei « lu péché, b Suarez, op. cit., n. 6. Le caté chisme du concile de TVeirte commente cette doctrine

Dinars motus animi idi/ac appctiliants (l)eiis) ita in en

(Adamo) temperavlt ut ralionls imperto numptam non

parèrent. Et la Commission biblique parle explicitement de l’intégrité primitive. Réponse du 30 juin 1909, ad.’ « un. Denzinger-Bannwart, n. 2123.

Est-il besoin de le faire remarquer ? Les Pères et l’Église supposent toujours que ce don d’intégrité est préternaturel, c’est-à-dire gratuitement donné par Dieu et non dû à la nature humaine en vertu de ses éléments constitutifs. Voir les textes dans Casini, S. J.. Quid est homo, a. 4, en appendice aux œuvres de IV tau, édit. de Bar-le-Duc, 1868, t. iv, p. 604 sq. Nous avons d’ailleurs, sur ce point précis, une attestation explicite de l’enseignement de l’Eglise dans la condamnation des propositions 21 et 26 de Baïus ; voir ce mot, t. ii, col. G7-68. Et la raison elle-même démontre le caractère préternaturel du don d’intégrité, puisque la concupiscence est un défaut naturel de l’humanité. Voir Concupiscence, t. iii, col. 811-812.

Bellarmin ajoute à la doctrine traditionnelle une précision nouvelle, tout au moins dans sa formule. « On ne saurait nier, .écrit-il, que, depuis la chute, il existe même dans la partie supérieure de l’âme un défaut semblable (à la concupiscence). Car cette partie supérieure de l’âme est aussi inclinée à convoiter les honneurs, la vaine gloire et autres vanités : et qii’irjue nous ne le voulions pas, ces désirs se produisent en nous. Aussi saint Paul, après avoir dit (Gai. v, 17) : La chair convoite contre l’esprit, énumérant aussitôt les œuvres de la chair, ne nomme pas seulement : la fornication, l’ivrognerie, et autres péchés de ce genre, mais aussi Yidolâtrie, les hérésies, les inimitiés, etc. Saint Augustin a soigneusement remarqué cela au 1. XIV de la Cité de Dieu, c. ii, iii, iv, où il démontre que parfois la chair signifie tout l’homme tel qu’il est sans la grâce de Dieu après le péché d’Adam ; et que celui-là est dit charnel qui vit selon lui-même, et non selon Dieu. C’est pourquoi le vice de la concupiscence, bien que résidant principalement dans l’appétit sensitif, a aussi son siège dans la volonté. Et si saint Augustin, dans ses livres contre les pélagiens. parle surtout du vice de la sensualité, ce n’est pas qu’il ignorât que ces tendances déréglées ont Heu aussi dans la volonté, mais c’est parce qu’elles se manifestent davantage dans l’appétit sensitif. <> De amissione graliæ, t. V, c. xv. Les théologiens contemporains, reprenant cette précision doctrinale de Bellarmin, parlent de concupiscence spirituelle. Van Noort, De Deo créante, n. 199.

3. La science. —

L’ignorance, défaut naturel à l’homme, était corrigée en Adam, créé par Dieu à l’état adulte, par le don de science. Le sentiment universel des Pèreset le commun enseignement des theo logiens donne à l’existence du don de science en Adam une valeur doctrinale certaine. Cette doctrine, théologiquement certaine, a son fondement dans l’Ecriture. Le Genèse nous montre Adam appelé par Dieu lui-même à donner des noms aux êtres vivants, n. 18-20 ; ce qui suppose, au dire de saint Augustin, une science excellente en Adam. Opus imperf., t. V, c. i. P. /… t xlv, col. 1432. L’Ecclésiastique Célèbre aussi la science de nos premiers parents. Eccli.. xvii. 5-11. Mais la nature de cette science, son étendue, sou objet sont difficiles à déterminer. Les témoignages srriplui aires sont peu explicites ; les Pères, tout en affirmant l’existence d’une sagesse Communiquée par Dieu au premier homme (voir, en particulier, S. Jean Qhryaostonie. In Gcnesim, boni I. xv, n. 3 ; cf. xtv. n. 5. P. f ;.. I. i iii, col. 122. 116 ; S. Cyrille d’Alexandrie. In Joan., t. I, c. ix, P. G., t. i.xxiu, col. 127), ne précisent pas grand chose sur la nature et l’objet de cette sagesse. C’est par voie de déduction que les théologiens sont arrivés a affirmer la science infuse per accidens en Adam, voir Adam, I. 1. col. 371. et s’il semble qu’on ne puisse rejeter sans témérité l’existence d’une telle science en Adam, il reste encore à en délimiter l’objet et l’étendue. Nous pouvons, sur ces points, accepter le principe a priori posé par les théologiens du Moyen Age, à savoir qu’Adam, créé par Dieu à l’état d’homme adulte, a dû recevoir de Dieu les connaissances nécessaires à sa vie personnelle et à son rôle de chef de l’humanité. Mais on peut rejeter les applications exagérées de ce principe indiscutable. Sans revenir sur les conclusions déjà formulées à Adam, col. 371, nous Considérons avec les meilleurs théologiens contemporains que le don de science communiqué à Adam comporte Vraisemblablement trois prérogatives, qui s’harmonisent sans trop de p’ine avec les exigences de la préhistoire et de l’ethnologie. Tout d’abord il faut admettre une révélation surnaturelle d’ordre religieux et moral (sur le contenu de cette révélation, voir Idolâtrie, t. vii, col. 607). Cette révélation non seulement comporte en Adam l’infusion de la -grâce sanctifiante et de son cortège de vertus, notamment la vertu de foi, mais encore implique une véritable perfection de l’intelligence. La préhistoire et l’ethnologie ne sauraient contredire ces affirmations. On peut reconnaître aussi en Adam une sorte de génie, puissance extraordinaire d’intelligence, lui permettant d’acquérir rapidement la science qui lui était nécessaire pour avoir une vie

  • vraiment humaine : et ce génie, qui s’allie fort bien

avec les premiers tâtonnements de l’inexpérience, est très admissible chez le premier homme, sans qu’il lui ait pour cela conféré du premier coup la science très parfaite à laquelle il pouvait, en mettant en œuvre cette puissance intellectuelle, parvenir dans la suite. « Avoir du génie n’est pas la même chose que savoir beaucoup de choses et être matériellement prêt sur tout. Il n’était pas besoin qu’Adam fût initié à tout le détail de la science. Mais il devait posséder un esprit ouvert pour’tout ce qu’exigeait sa situation. Il lui fallait le tact et l’habileté requises pour faire droit à toutes les exigences de cette situation. Il devait faire les premiers pas dans la bonne voie. Mais il appartiendrait à ses descendants de s’engager plus avant. Il ne pouvait entrer dans le plan de Dieu de marquer les débuts de l’humanité par une communication surnaturelle de science et de puissance telle qu’elle eût rendu superflu tout effort vers un perfectionnement ultérieur. » Ch. Pesch, Gotl und Gôlter, Fribourg-en-Br., 1890, p.’62. Cf. Prætectiones dogmalicæ, t. iii, n. 212. Enfin, il ne faut pas pour autant exclure du premier homme, sorti des mains de Dieu, une certaine communication d’idées toutes faites, et qui lui auraient été infusées, pour ainsi dire, d’un seul coup et en bloc, par Dieu lui-même. Privé de l’éducation des parents, créé à l’état d’homme fait, Adam du recevoir de Dieu immédiatement et toute faite l’éducation nécessaire à un homme de son âge et de sa condition ; et Dieu a dû la communiquer d’autant plus largement que le premier couple humain avait à remplir dans la suite, pour la première fois et dans des conditions propres à servir d’exemple, 1e rôle nécessaire d’éducateur à l’égard des hommes <mi naîtraient de lui. Cf. SchmidL op. cit., p. 203. Ces principes permettent de réduire à ses justes proportions la solution théologique de l’origine du langage. Voir Langage (Origine du). Sur l’inerrance du premier homme, voir Adam, t., col. 371.

4. Bonheur. —

Les théologiens considèrent que l’ensemble de ces dons préternaturels constituait pour Adam l’état de félicité relative du paradis terrestre. Gen., ii, 8. Bien plus, grâce à la science par laquelle Adam pouvait connaître sans difficulté tout ce qui, dans l’ordre temporel comme dans l’ordre spirituel, lui était nuisible, utile ou nécessaire, grâce à l’intégrité qui facilitait l’usage complet de cette science, sans obstacle du côté des appétits inférieurs, grâce à l’immortalité qui excluait tout principe intérieur ou extérieur de corruption et, il faut l’ajouter, grâce à la providence spéciale de l’état d’innocence, nos premiers parents pouvaient éviter les peines, les maladies et les épreuves spirituelles et corporelles. Saint Thomas n’hésite pas à considérer comme un enseignement catholique la doctrine de cette félicité relative de nos premiers parents : Habet enim hoc traditio fidei, quad nullum nocumentum creatura rationalis potuissel incurrere, neque quantum ad animam, neque quantum ad corpus, neque quantum ad aliqua exleriora, nisi peccalo prœcedente. De malo, q. i, a. 4.

5. Caractère héréditaire de ces dons. —

Un dernier point appartient encore à l’enseignement officiel de l’Eglise, et constitue une conclusion théologiquement certaine du dogme de la transmission du péché originel et des peines de ce péché. C’est que les dons préternaturels qui, avec la grâce sanctifiante, constituaient les éléments de la justice originelle, devaient passer aux descendants d’Adam, si l’obstacle du péché ne s’opposait pas à leur transmission.

Aucun doute n’est possible pour la grâce elle-même. Car le Christ est venu, nous rendre la grâce, Joa., i, 12, 16 ; Rom., v, 5, 9 ; viii, 14-17, nous rétablir en l’état primitif. Cette idée est implicitement contenue dans les concepts de réconciliation, Rom., v, 10, de rachatde l’esclavage du démon, Rom., viii, 23 ; cf. Joa., viii, 36 ; plus explicitement dans ceux de rénovation ou nouvelle création, II Cor., v, 17 ; de récapitulation, de restauration du genre humain dans le Christ Jésus ; voir surtout les textes si expressifs, Eph., iv, 23-24 ; i, 10 ; Col. i, 20. De là la comparaison paulinienne du « premier Adam », principe de la vie naturelle et du « nou /el Adam », principe de la vie surnaturelle. I Cor., xv, 45 sq. ; Rom., v, 15 sq. Or, on ne peut réparer, restituer, donner à nouveau, récapituler, restaurer que ce qui existait ou aurait dû précédemment exister. 11 est bien évident que la mort, dont Adam avait été menacé par Dieu s’il péchait, Gen.. ii, 15, 17 ; iii, 17, n’est entré dans le monde que par le péché, Rom., v, 12, dont elle est la rançon, vi, 23 ; cf. Sap., i, 13 ; ii, 23. Il faut en dire autant de la concupiscence qui est représentée comme la suite du péché, Gen., ni, 7, 11, au point que saint Paul l’appelle péché. Rom., vi-vii. Quant à l’ignorance, l’Écriture semble l’attribuer à l’homme par suite du péché, Sap., ix, 14-16 ; Eccli., vu, 30, et les Pères n’hésitent pas à en faire, comme ils le font pour la concupiscence et la mort, la suite du péché originel. Voir, en particulier, S. Augustin, Opus imperjectum, t. V, c. i, P. L., t. xlv, col. 1432, et, tout aussi explicite, S. Jean Chrysostome, dans un texte trop souvent négligé. In Joannem. homil. xxwi, n. 2, P. G., t. lix, col. 205. Toutefois, le don de science, en partie communiqué à Adam pour suppléer à l’absence d’éducation, Adam ayant été créé à l’état d’homme fait, ne paraît pas susceptible d’une transmission intégrale, puisque les enfants, nés de la race d’Adam, eussent reçu de leurs parents cette bienfaisante et nécessaire éducation : mais ces enfants, dépourvus de la science infuse, eussent cependant hérité d’Adam la facilité d’acquérir la science et d’utiliser, au temps marqué par la nature, la lumière des principes intellectuels qu’ils auraient reçue plus abondante que dans l’état présent. Cf. S. Thomas, Sum. theol., i, q. ci, a. 1, et ad 3’"Q.

L’enseignement officiel de l’Église corrobore indirectement toutes ces assertions. D’après les conciles, en effet, c’est Adam qui nous a transmis, à tons, par sa faute initiale, non seulement le péché et la mort. mais encore la concupiscence, un véritable amoindris sèment des forces de l’âme et du corps, la corruption du corps, la captivité sous le joug du démon, les peine-, corporelles : signe évident de la vérité de la proposition inverse : Adam ne péchant pas nous aurait transmis son état de félicité relative, c’est-à-dire la justice originelle tout entière. Cf. le XVIe concile dé Carthage. cun. 1 ; Denzinger-Bannwart, n. 101 ; le IIe concile d’Orange, tan. 1, 2 ; id., n. 174, 175 ; le concile de Trente, sess. v. can. 1, 2, 5 ; sess. vi, c. i, id., n. 788, 789, 793. Voir également le concile de Quierzy, c. ii, id., n. 317 ; et l’allocution Singulari quadam de Pie IX. id., n. 1043.

On est en droit de conclure que, dans l’état de justice originelle, les dons préternaturels, dépendaient en quelque façon de la grâce sanctifiante et devaient être transmis avec elle par Adam à la nature humaine en ses descendants. Comment concevoir le rapport mutuel de ces différents éléments et leur relation avec la nature humaine, tel est enfin le problème théologique de la justice originelle.