Dictionnaire de théologie catholique/MESSE I. La messe d'après la sainte Ecriture

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 10.1 : MARONITE - MESSEp. 405-439).

MESSE. — Comme nous l’avons annoncé à l’art. Eucharistie, nous revenons ici sur le sacrement d’eucharistie considéré comme le sacrifice des chrétiens. Des renvois fréquents au premier article sont inévitables, comme aussi diverses retouches, qui n’ont été faites qu’à bon escient. — On étudiera successivement le sacrifice de la messe :
I. Dans l’Écriture.
II. Dans la tradition anténicéenne.
III. Dans l’Église latine du ive siècle jusqu’à l’époque de la Réforme.
IV. A l’époque de la Réforme et du concile de Trente.
V. Dans la théologie latine à partir de la Réforme.
VI. Dans la tradition et la théologie grecque.
VII. Dans les liturgies.


I. LA MESSE D’APRÈS LA SAINTE ÉCRITURE.

— A l’article Malachie, t. ix, col. 1751 sq., est étudiée la promesse de Yoblalion pure en laquelle, dès la plus haute antiquité, nombre de penseurs chrétiens ont reconnu le sacrifice de l’eucharistie. Seuls, ici, seront examinés les témoignages du Nouveau Testament. Sur l’authenticité ou la critique des textes, sur l’accord et l’origine des récits de la cène, sur le don fait par le Christ aux Apôtres de son corps et de son sang, on consultera l’article Eucharistie d’après la SAINTE Écriture, t. v, col. 989 sq..


I. État de la question.
II. Le repas d’adieu du Christ apparaît-il comme un sacrifice (col. 804) ?
III. La cène chrétienne fut-elle tenue pour un sacrifice (col. 825) ?
IV. Comment se célébrait la cène à l’âge apostolique (col. 848/ ?

I. État de la question.

1° Histoire du problème. —

Dès le xvie siècle, les attaques très vives des réformateurs contre la messe firent étudier de près les témoignages de la Bible sur le sacrifice eucharistique. Voir Messe d’après le Concile de Trente.

Au nom de l’Écriture, Luther dénia le caractère d’oblation proprement dite et à la cène et à l’acte liturgique par lequel l’Église entend la commémorer. Il invoqua « les paroles et l’exemple du Christ ». Qu’a dit Jésus ? Il a déclaré qu’il laissait un testament et il a promis le pardon des péchés par sa mort. Qu’a-t-il fait ? Il n’était pas debout comme le prêtre à l’autel, mais assis à une table. A la cène, il n’a donc pas. au cours d’un sacrifice, offert à Dieu une oblation ; il a pendant un repas donné un aliment aux hommes. L’Épître aux Hébreux affirme que la seule immolation des temps nouveaux est celle de la croix, que cette unique offrande a pour jamais conduit à la perfection ceux qu’elle a sanctifiés. En dehors de cette immolation, il ne peut y avoir pour les chrétiens que des oblations spirituelles, par exemple celle de leur corps en hostie vivante, sainte et agréable à Dieu. Tous ont le droit de l’offrir et deviennent ainsi des prêtres. Tel est l’unique sacrifice que l’on trouve à la messe : on y présente à Dieu des prières, on y fait mémoire du récit de la passion, on y apporte des dons qui sont sanctifiés puis distribués aux pauvres. Luther, De captivilate babylonica, édit. de Weimar, t. vi, p. 523 ; De abroganda missa privata, t. viii, p. 439.

C’est aussi au nom des saintes Écritures que Calvin condamna non moins énergiquement la doctrine catholique. D’après la Bible, il n’y a qu’un sacrifice des temps nouveaux, c’est l’immolation sanglante de la croix. La cène le rappelle et le met sous nos yeux : nous annonçons la mort du Seigneur. Mais, puisque le sacrifice expiatoire s’opéra au Calvaire, la cérémonie chrétienne ne nous convie pas à un autel où s’offre une victime ; elle nous invile à une table où en un banquet nous recevons le fruit de la passion. A ce titre sans doute la cène est une faveur de Dieu qu’il faut accepter avec reconnaissance. Mais autant recevoir se distingue de donner, autant ce sacrement diffère-t-il d’un sacrifice. On ne peut lui accorder ce dernier nom qu’au sens large, si on appelle ainsi tout don qui est offert par nous à Dieu. Puisque nous y commémorons la mort de Jésus-Christ, nous rendons grâces pour ce bienfait. Ainsi par la cène nous offrons des prières, comme le prédisait Malachie, et nous présentons le sacrifice de louange dont parle l’Épître aux Hébreux, xiii, 15. C’est ce que fait tout chrétien, aussi est-il investi de ce sacerdoce royal que lui reconnaît la I Petr., ii, 9. Institution chrétienne, t. IV, c. xvin. Corpus reformatorum, t. xxx, col. 1055 sq. Voir mêmes affirmations dans Zwingle, Commentarium de vera et falsa religione, édit. Schuler et Schultheiss, t. iii, p. 240 sq.

De nos jours encore, on découvre, soit en tout, soit en partie, cet enseignement et ces objections dans beaucoup d’œuvres protestantes : catéchismes, formules de foi, serinons, ouvrages de controverse et traités de théologie ou études d’histoire.

Mais, au XVIe siècle déjà, l’Épître aux Hébreux entraîna les sociniens beaucoup plus loin que Luther. Us crurent y découvrir que Jésus ne fut pas prêtre sur la terre, viii, 4. Il le serait devenu seulement lorsque le Père lui dit : « Tu es mon Fils, je t’ai engen79^

    1. MESSE DANS L’ÉCRITURE##


MESSE DANS L’ÉCRITURE, ETAT DE LA QUESTION

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dré aujourd’hui. « v. 5. Or ces mots ont été adressés à Jésus le jour de sa résurrection, s’il faut en croire Ait., xiii, 33. Ainsi c’est au ciel seulement que le Christ est prêtre. Il ne s’est donc immolé comme victime ni à la cène, ni au calvaire, ni au cénacle Cf. Franzelin, Tractatus de Ycrbo incarnato. Home. 1881.

Ces thèses n’ont pas été totalement abandonnées. .Même dans les cinquante dernières années on retrouve des conceptions quelque peu semblables chez certains docteurs anglais. La vertu expiatoire de la mort du Christ est niée ou diminuée. Le sacrifice sanglant du Calvaire n’a fait que préparer celui du ciel, seul sacrifice proprement dit et complet. C’est par sa relation avec ce dernier que la cène chrétienne aurait le caractère d’une offrande rituelle ou d’un sacrifice. Sur ce sentiment que chaque auteur (Brightman, Milligan, Puller, peut-être Mason et Gore) expose avec des nuances propres et parfois assez subtiles, voir Morthner, The eucharistie sacrifice, p. 82 sq. ; 515 sq. ; Paterson, art. sacrifice, dans Dictionary of the Bible de Hastings, t. iv, p. 347 sq. ; Stone, A history of the doctrine of the holy Eucharisl, t. ii, Londres, 1909, p. 581 sq., 646 sq. ; Lamiroy, De essentia ss. missæ sacrificii, Louvain, 1919, p. 16 et 17, n. 2.

On le sait, au cours du dernier demi-siècle la critique indépendante s’est écartée davantage encore de la doctrine catholique sur la cène et sur la messe. Déjà en ce Dictionnaire, on a présenté les principales hypothèses émises entre 1891 et 1913 sur les origines de l’eucharistie. Art. Eucharistie, t. v, col. 1024-1031. Il suffit d’exposer brièvement ici les thèses proposées depuis cette date.

Les affirmations d’A. Loisy déjà relatées ont été complétées en deux ouvrages nouveaux, Les mystères païens et le mystère chrétien, Paris, 1919, et Essai historique sur le sacrifice, Paris, 1920. L’auteur applique à l’eucharistie sa théorie générale sur les origines du christianisme : Le message de Jésus est devenu un mystère. Il n’y a pas eu transposition d’une idée païenne à côté du judaïsme et de l’Évangile, si bien que le christianisme serait un agrégat de parties disparates ; il y a eu pénétration de l’élément primitif par un esprit nouveau. Peu à peu, par une action collective et inconsciente, mais sur laquelle certains docteurs. Paul, l’auteur du quatrième évangile, Apollos et des inconnus exercèrent une influence profonde, le judaïsme évangélique des origines fut conçu, transformé, présenté à la manière d’une religion à mystères. Par une doctrine et des initiations, par la vie et la mort d’un Dieu sauveur, par la communion à lui en des rites mystérieux, l’Évangile prétendit offrir aux hommes une économie de rédemption universelle, et une bienheureuse immortalité.

Le cas de l’eucharistie et du sacrifice n’est qu’un des phénomènes de l’opération générale. « Les premiers chrétiens n’ont pas institué la cène pour imiter un mystère quelconque, mais ils ont bientôt et de plus en plus compris la cène à la façon des rites païens de communion mystique » à un personnage divin et sauveur. La première communauté se réunissait en un’repas fraternel, animé par le souvenir du.Maître et par l’espérance de son prochain retour ». « Bientôt l’on trouva, et Paul pensa voir que par le pain rompu représentant mystiquement le Christ supplicié sur la croix et par le vin de la coupe représentant de même le sang de Jésus », le fidèle s’unit mystiquement au Christ qui est mort pour son salut et dont la résurrection est le gage de l’immortalité promise à ceux qui croient en lui. Ainsi le christianisme eut aussi son repas sacré, son festin de sacrifice, directement coordonné à l’immolation du Calvaire qui était comme renouvelée dans le symbole eucharistique… ». — « Le

cœur d’Osiris était dans tous les sacrifices. Le Christ meurt dans toutes les synaxes où l’on fait la commémoration de sa mort… » Il n’y a pas qu’ « un enseignement par images et en gestes rituels, mais comme une communion réelle au Christ esprit, au Christ immortel. On n’allait pas plus loin chez Dionysos ni chez Mitiira, si toutefois on allait jusque-là… Toutes les spéculations théologiques sur le mystère de l’eucharistie et le sacrifice de la messe ont leur point de départ dans les théories de Paul et du quatrième évangile. »

Peterson YVelter rattache aussi la cène chrétienne aux mystères, mais il croit pouvoir le faire surtout en s’aidant du témoignage des liturgies, et à ce prototype d’origine païenne il associe un antécédent juif, l’offrande des prémices. Altchristliche Liturgien : I. Das christliche Mysterium ; IL Das christliche Opfer, Gcettingue, 1921 et 1922.

A l’origine, comme le racontent les Actes, les premiers chrétiens se réunissaient pour prendre un repas en commun. Un ou plusieurs donateurs, puis la collectivité des fidèles apportaient les vivres à consommer. Par souci de bon ordre, de dévotion et de charité, on fit de ces contributions volontaires des cérémonies rituelles. Les offrandes furent apportées processionnellement, soumises à des actes de bénédiction. On les accompagna d’un mémento du donateur et d’autres personnes, de prières et d’intercessions de toute espèce. Ainsi se constitua le sacrifice chrétien d’origine judaïque.

Parallèlement s’infiltrèrent dans les assemblées chrétiennes la notion et les rites des mystères païens. Réunis pour célébrer le souvenir de la mort et de la résurrection de Jésus considéré comme un Dieu sauveur, les chrétiens crurent le voir apparaître au milieu des siens. Entouré des armées célestes, il visitait, ses fidèles. Saisis d’un enthousiame sacré, enrichis de charismes prophétiques, les assistants saluaient cette épiphanie de leurs louanges et de leurs actions de grâces. Anges et séraphins unissaient leurs hymnes aux acclamations de la foule. Le ciel et la terre commémoraient (anamnèse), ils célébraient avec allégresse et gratitude le personnage divin qui s’était fait homme, qui avait souffert, était descendu’aux enfers, puis ressuscité pour vaincre la mort et le démon. Ainsi les assistants étaient sanctifiés. Dans la suite, ces deux rites, mystère et sacrifice des offrandes, se compénétrèrent.

Au début, l’épiphanie et la parousie du Seigneur s’accomplissaient par l’opération du Saint-Esprit. Les paroles de la consécration ou bien n’étaient pas prononcées ou ne l’étaient que pour rappeler davantage la cène et la passion du Seigneur. Puis on fut tenté de rendre plus concret le mystère. On lia l’épiphanie du Seigneur au pain et au viii, on attribua aux paroles de la cène la vertu de transformer les éléments matériels en corps et en sang du Christ. Le pain et le vin attirèrent alors toute l’attention. L’ancienne offrande des prémices tendit à disparaître. Si elle ne fut pas supprimée, du moins on se contenta d’apporter le pain et le vin pour le mystère. En certains endroits, l’offrande antique fut détachée du repas eucharistique, devint un repas de charité distinct et sans connexion avec le mystère. Quant aux prières prononcées à l’origine pendant l’offrande des dons, un bon nombre d’entre elles furent conservées, mais prirent un sens nouveau ; elles devinrent partie intégrante de la célébration du mystère. C’est ainsi que prit naissance la messe. Non sans complaisance, Will, Le culte, Strasbourg, 1925, t. i, expose et adopte un bon nombre de ces conceptions.

("est encore les antiques liturgies que consulte de préférence Lietzmann pour retrouver l’origine de l’eucharistie. Messe und Ilcrrenmuhl, Bonn, 1926. Celles qui sont en usage au ive siècle et plus tard lui parais7 !) !)

MESSE DANS L'ÉCRITU RE, ET AT DE LA QUESTION

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sent dériver de deux antiques traditions, l’une représentée par l’anaphorc d’Hippolyte, l’autre par celle de Sérapion.

La première dérive d’une conception de l’eucharistie qui apparaît vers l’an 50 dans les lettres de saint Paul. La cène est rattachée au dernier repas de Jésus avec ses disciples, lequel n’eut rien d’un festin pascal. Elle est un mémorial de la mort du Christ. Au cours de la nuit qui précéda la passion, dans le pain que Jésus rompit au début du repas, dans le vin qu’il bénit à la fin, il montra comme un symbole de son corps qui devait être brisé par la mort et de son sang qui allait bientôt être répandu ; en même temps il signifia qu’en qualité de victime il allait mourir pour son peuple, et ainsi sceller la nouvelle alliance annoncée par les prophètes. Par l’imitation de cette cène, la communauté chrétienne commémora cette prophétie et son accomplissement, ainsi que' la résurrection du Seigneur et son avènement futur. Cette conception de Paul n’est pas primitive. Il avait reçu de l’antique tradition le récit primitif de la cène, tel qu’on le lit chez Marc. Mais, il le déclare lui-même : c’est à cause d’une révélation du Seigneur, c’est en extase que lui avait été découverte cette signification nouvelle.

Plus antique est la notion de la cène dont dérive l’anaphore de Sérapion. Elle est attestée par les Actes des Apôtres et par la Didachè. On la retrouve aussi dans certains écrits apocryphes d’après lesquels l’eucharistie ou bien s’opère par la seule fraction du pain ou bien se célèbre, non avec du viii, mais avec de l’eau (Actes de Pierre, de Jean, de Thomas, etc.).

En cette cène primitive, il n'était pas fait allusion à la mort du Christ ni à l’institution par lui de l’eucharistie. Croyant que le Christ était vivant, les premières communautés chrétiennes se réunissaient pour se mettre au cours d’un repas en communion avec lui, de même que les disciples mangeaient avec Jésus historique avant sa mort. Un membre de l’assemblée bénissait le. pain, le rompait, le distribuait. Les mets étaient simples. On buvait d’ordinaire de l’eau, rarement du vin. A la fin, une coupe de bénédiction pouvait circuler entre les convives. Tel était le repas du vivant du maître. Et, maintenant encore, on estimait que Jésus était présent au milieu des siens en esprit. Il l’avait promis : si deux ou trois disciples étaient réunis en son nom, lui-même se trouvait avec eux. Tout naturellement, le petit groupe fidèle se prenait à croire que bientôt, comme le Fils de l’homme de Daniel, le Christ reviendrait sur les nuées du ciel pour rétablir sur terre le royaume messianique. Aussi prenaiton part à ce repas avec allégresse : Le président de table prononçait le Maranatha, « Venez Seigneur Jésus », et les assistants répondaient par les acclamations de Y Hosanna.

Puis se glissèrent des idées nouvelles. Jésus avait dit que, pour offrir un sacrifice au temple, on devait avoir un cœur libre de toute haine. On exigea cette condition pour le repas de communauté. Ainsi, hors de Jérusalem, on fut entraîné à le concevoir comme un sacrifice. Cette idée admise, nombre de corollaires suivirent. A la cène fut attribuée une efficacité pareille à celle des sacrifices de l’ancienne Loi, une vertu expiatoire. Les mots furent tenus pour sacrés : en eux habitait le nom, la force du Seigneur et par la communion elle passait dans celui qui s’en approchait saintement : il recevait dans l’eucharistie, la vie éternelle.

Faut-il mentionner une explication toute différente des paroles de la cène, récemment proposée par Eister : Das letzle Abendmahl, dans Zeitschrijt fur die N. T. Wissenschaft, 1925, p. 161, 162 et 1926, p. 5-37? Le rituel juif de la Pàque aujourd’hui en usage ordonne de déposer, le soir de la fête, dans la célébration du repas liturgique, trois pains azymes : Kohen, Lévi,

Israël. Ils représentent le peuple de Dieu. Or, celui du milieu, Lévi, est rompu en deux morceaux. Le plus gros est appelé aphikomenon. On le met de côté et il réapparaît a la fin du repas. Eister estime que Vaphikomenon, c’est le pain à venir, le Messie fils de Lévi, d’abord caché, et qui ensuite se manifeste. Voilà ce que Jésus aurait béni à la cône en disant : « Ceci, Vaphikomenon, est mon corps. Je suis le Messie. » Il n’est peutêtre pas inutile de montrer à quelles extravagantes fantaisies aboutissent aujourd’hui même les savants qui cherchent hors des chemins battus les origines de la cène.

C’est sur un sol plus ferme que Vôlker appuie sa construction. Mysterium nnd Ayape, Gotha, 1927. Au cours de la dernière cène, repas d’adieu et festin pascal pris avec les Douze, Jésus sachant que sa fin était proche leur prédit par la distribution du pain et du vin qu’il subirait une mort violente. Elle est présentée par lui comme une condition requise pour que puissent se réaliser les espérances d’Israël. Ainsi s’estil soumis à sa passion pour ceux qui voyaient en lui le Messie. Jusqu'à son retour ils doivent demeurer unis entre eux, et c’est pour que cette unité se maintienne que Jésus leur enjoint de réitérer la cène, comme un repas de communion religieuse et fraternelle. Pour obéir à cet ordre, les premiers chrétiens célébrèrent la fraction du pain. Mais, quand ils se séparèrent des Juifs, ils furent amenés à découvrir dans l’eucharistie le symbole d’une alliance nouvelle : Le vin de la coupe représenta le sang du Christ dans lequel aurait été scellé entre Dieu et le peuple choisi qui remplaçait Israël un pacte substitué à celui du Sinaï. Ainsi prit-on l’habitude de faire de la cène un équivalent des sacrifices de l’Ancien Testament : sans être un banquet funèbre ni une agape, elle unit alors les premiers fidèles entre eux et avec le Christ glorifié : de même autrefois l’antique repas sacrificiel faisait entrer les Israélites en rapport avec Jahvé et formait d’eux une famille religieuse.

Survint Paul. Il essaya de faire disparaître tous les obstacles qui empêchaient paganoet judéo-chrétiens de s’asseoir à la même table. D’autre part, apôtre des Gentils, il dut combattre les sacrifices offerts aux idoles et montrer dans la cène chrétienne ce que les païens cherchaient en vain dans les rites idolâtriques. Il fut donc amené à concevoir la cène à la manière d’un sacrement : par la communion au pain et au vin les fidèles croient recevoir une nourriture et un breuvage spirituels, c’est-à-dire des forces qui font vivre selon l’esprit. Et parce que tous les chrétiens participent à un même pain, à une seule coupe, la cène les rapproche tous sans distinction de race ni d’origine en un seul corps, celui du Christ glorifié. Les communiants entrent en communion avec lui, comme les juifs participent à l’autel et les païens aux idoles, c’est-à-dire aux démons.

Le quatrième évangile présenta, lui aussi, dans la réception du pain et du vin de la cène, le rite religieux par lequel les chrétiens communient entre eux et avec le Christ. Les conceptions primitives et dérivées du judaïsme passèrent à l’arrière plan. Ce que les religions à mystères prétendaient assurer à leurs fidèles, l’union intime à la divinité et la vie éternelle, voilà ce qui fut au premier plan : Celui qui mange la chair du Christ vit en lui et il ne mourra pas. La cène devint le mystère des communautés chrétiennes, elle fut donc tenue pour l’acte suprême du culte divin.

A l'âge postapostolique, peu de changements dans le rite. Certaines sectes substituèrent au pain de l’eau, mais aucune ne se contenta de la fraction, du sacrement du pain. Quant aux croyances, elles continuèrent l'évolution attestée déjà par le quatrième évangile. L’idée juive de l’alliance tendit à disparaître. On

demanda de plus en plus a l’eucharistie ce que les paie s ' cherchaient dans les religions à mystères : la rédemption du péché, la délivrance de ses châtiments, la victoire sur les puissances malfaisantes, l’union mutuelle des participants, la vie des convives avec le Dieu sauveur présent au repas. Au pain et au vin furent attribués ces effets, non parce qu’une transsubstantiation aurait fait d’eux le corps et le sang du Christ, mais parce qu’ils sont les véhicules des vertus divines et des dons célestes. L’agape n’apparaît pas encore. On la découvre seulement à l'époque de Tertullien, de Clément d’Alexandrie, de la Tradition apostolique et des Canons de saint Hippolyte. Des abus survinrent, aussi disparut-elle bientôt ou ne fut-elle maintenue qu’aux banquets funèbres (Constitutions Hippolylines) ou aux repas offerts à des pauvres (Didascalie et Constitutions apostoliques).

Faire connaître ces hypothèses les plus récentes, n’est pas seulement nécessaire pour que le problème du sacrifice de la messe d’après l'Écriture et les premiers chrétiens puisse être posé comme il doit l'être aujourd’hui. Il suffit à un historien des origines auquel sont familiers les textes du Nouveau Testament, des Pères ou des liturgies primitives de confronter leurs dépositions avec ces essais, pour qu’aussitôt ; e découvre tout ce que ces constructions éphémères ont de discutable et de fragile, ce que certaines d’entre elles offrent d’audacieux et d’extravagant.

Le catholique relève non sans une véritable satisfaction dans les moins fantaisistes de ces systèmes, ceux d’un Lietzmann ou d’un Vœlker par exemple, et même dans ceux d’un Loisy ou d’un Wetter, de nombreuses affirmations qui se rapprochent des doctrines traditionnelles. Il le constate : ce n’est plus aux doctrines du Moyen Age, aux Pères de la grande époque ou à saint Cyprien qu’on fait remonter la transformation de la cène en un sacrifice : dans le quatrième évangile et dans saint Paul, c’est-à-dire au ie siècle et jusque vers l’an 50, on veut bien reconnaître une partie considérable des affirmations que les catholiques n’ont cessé d’y découvrir. On condamne donc avec eux des thèses qu’ils n’ont cessé de réfuter.

Sans doute, on estime que ces antiques témoins ont ajouté à la pensée de Jésus et ont fait du repas d’adieu un sacrifice, un sacrement, un mystère. Mais l’historien qui lit ces affirmations sait qu’on ne peut les appuyer sur aucun document de l'époque. Il s’en aperçoit : elles supposent la mutilation arbitraire de certains textes ou encore l’oubli d’une partie de leur contenu ; elles découlent de l’importance excessive accordée sans raison suffisante à un document aux dépens des autres, parfois même à des témoignages moins anciens, peu clairs et très suspects, par exemple à des apocryphes du iie siècle préférés aux Synoptiques et à saint Paul. Ou bien encore on croit pouvoir expliquer les institutions chrétiennes primitives soit par des liturgies de beaucoup postérieures, soit par des rites que les premiers fidèles avaient en abomination, les mystères païens, mais on est obligé d’ajouter que le rite chrétien n’en est pas un décalque, qu’il conserve une originalité singulière et s’est assimilé ce qu’il a emprunté. Bref, non seulement le catholique, mais tout savant sérieux, qui sait d’après quelles méthodes rigoureuses sont explorés les autres domaines de l’histoire, ne peut que sourire lorsqu’il voit certains critiques contemporains prétendre savoir mieux que Paul et les chrétiens de la première génération ce que pensait Jésus.

Définition du sacrifice d’après l’Ancien Testament.

Comment les témoins de l'événement comprirent les paroles et les gestes de Jésus, voilà ce qu’il

importe avant tout de savoir. Aussi semble-t-il oppor DICT. DE THÉO !.. CATH.

tun, sinon nécessaire, de chercher quelle conception ils avaient du sacrifice. Nos définitions modernes sont pour eux sans intérêt. Ils ont tenu la cène pour un sacrifice, si en elle leur ont apparu les signes auxquels ils reconnaissaient un tel rite.

Enfants d’Israël, ils avaient entendu parler des oblations présentées à Dieu par des personnages de l’Ancien Testament : nul doute, toutes ces offrandes leur semblaient être autant de tributs. En chacune l’homme se dépouillait d’un de ses biens et le présentait à Dieu comme à son maître, toujours afin de l’honorer ou de le remercier, parfois pour l’apaiser ou se concilier ses bonnes grâces. Ce dernier souci apparaissait surtout dans le sacrifice des victimes animales : là le sang était offert parce qu’en lui résidait la vie, Gen, ix, 4, c’est-à-dire le don par excellence, le plus apte aussi à représenter notre personne. Les contemporains du Christ savaient encore que par le sang des sacrifices s'étaient scellées des alliances. Abraham et Jahvé avaient conclu un pacte d’amitié en passant à travers deux moitiés de victime comme pour être unis par la même vie s'échappant de l’un et l’autre morceau. Gen., xv, 7-18. Cette manière de contracter alliance était signalée plus tard par Jérémie. xxxiv, 18-20. Au Sinaï, pour que s’opérât l’union d’Israël avec Jahvé, le sang des mêmes victimes avait été versé en partie sur l’autel et en partie sur le peuple. Ex., xxiv, 3-8.

Les contemporains de Jésus ne connaissent pas seulement par les traditions juives les sacrifices d'êtres vivants. Ils en offrent de diverses sortes. Dans tous les principaux, ceux des quadrupèdes, on trouve les cinq rites suivants : l’animal est présenté devant Dieu, Lev., i, 11 ; le donateur « met la main sur la tête » ; immédiatement la victime est égorgée à la face de Jahvé, tout son sang est aussitôt recueilli par les prêtres qui le répandent à l’autel ; enfin il y a une certaine combustion : tantôt le tout, tantôt une partie, toujours au moins la graisse est réservée à Dieu, donc livrée aux flammes.

Si, dans l’holocauste, tout fume sur l’autel en combustion d’agréable odeur, dans les selâmim ou sacrifices pacifiques, une partie des chairs est mangée par le prêtre, une autre' par les donateurs qui doivent être purs pour la consommer. Ils sont invités par Jahvé à s’asseoir à sa table, dans sa maison et à manger un morceau des viandes qu’ils ont offertes à leur Dieu. Us partagent ainsi le même mets, deviennent ses amis et ses familiers. Si dans les sacrifices expiatoires pour le péché (hallat) ou pour le délit Çâsâm) rien n’est consommé par les donateurs, jugés sans doute indignes de communier à des aliments sacrés, du moins une. partie des chairs est mangée par les prêtres qui doivent être purs et qui coopèrent à l'œuvre de la réconciliation. Ce qui dans ces sacrifices expiatoires est surtout à relever, c’est l’emploi du sang. Le prêtre ne se contente pas de le verser au pied de l’autel comme il fait dans l’holocauste et les pacifiques. Cette fois il l’emploie pour des aspersions plus ou moins nombreuses, plus ou moins solennelles, selonla gravité de la faute. Elles se font sur le voile du Saint des Saints, aux quatre coins de l’autel des parfums et au pied de celui des holocaustes.

Tels étaient les rites. Comment les comprenait-on ? A coup sûr, le sacrifice apparaissait d’abord comme un présent, un tribut. Tout est à Dieu. Le fidèle lui réserve, lui offre une partie de ses dons et peut alors jouir du reste. C’est ainsi que, par le sacrifice, il rend hommage à la toute-puissance divine et qu’il la remercie de ses bontés. Par lui encore il se concilie les faveurs de Jahvé qui daigne même lui offrir un festin à sa propre table. Enfin, si l’Israélite a offensé Dieu, il prouve par un présent son regret, sa soumission, et Dieu lui rend sa bienveillance : le sacrifice adore et

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rend grâces, il est impétratoire et a une vertu de propitiation : par lui on entre en communion avec la divinité.

Mais pourquoi l’usage du sang, pourquoi en tout sacrifice est-il entièrement réservé pour l’autel, pourquoi dans les rites expiatoires sert-il à de si nombreuses et solennelles aspersions ? La réponse est dans l'Écriture : « L'âme de la chair est dans son sang. » Lev., xvh, 11, 14. Voir aussi Gen., ix, 4 et Deut., xii, 23 : « Le sang, c’est la vie », don immédiat de Dieu qui seul a le pouvoir et le droit de le donner et de l'ôter. Elle est d’une manière indiscutable le plus précieux des biens. On comprend aussitôt pourquoi aucune autre offrande ne semblait plus apte à honorer Dieu et à exalter sa puissance, à le remercier et à concilier ses faveurs aux îhortels.

Mais le sang apparaît surtout doté d’une vertu expiatoire. C’est encore l'Écriture qui l’affirme. « L'âme de la chair est dans le sang et je vous l’ai donné pour l’autel », dit le Seigneur, « afin qu’il servît d’expiation pour vos âmes. » Lev. : xvii, 11. Le coupable par sa faute a mérité un châtiment. Repentant, il le reconnaît et, pour exprimer son regret, pour payer sa dette, pour satisfaire à la justice divine, il condamne un animal à la mort qu’il devrait lui-même subir ; le sang, c’est-à-dire la vie de cette victime, remplace auprès de Dieu le sang, la vie du pécheur. C’est ce que montre bien le rite de l’imposition des mains : l’homme transfère sur la victime sa faute, sa culpabilité, son obligation de subir la peine capitale. Ce geste montre qu’il y a solidarité entre l’offrant et le donateur, que la vie de l’animal est substituée à celle de l’homme. C’est ainsi que les contemporains de Jésus comprenaient la vertu expiatoire du sang. Médebielle, L’expiation dans l’Ancien et le Nouveau Testament, Rome, 1924, 1. 1, p. 125-158.

Pour eux donc aucun doute n'était possible. Il y avait sacrifice quand, pour honorer Jahvé, un Israélite renonçant à ses droits sur un animal déterminé par le rituel lévitique et se substituant cette victime par l’imposition des mains, la tuait pour répandre son sang à l’autel et offrir à son Dieu par la flamme la totalité ou une partie de ses chairs. Que le donateur fût ensuite invité à manger une portion de ce qui était mmolé, il entrait alors dans l’intimité de Jahvé, en communion avec lui. Le sang pouvait aussi, moyennant des aspersions déterminées du Saint des Saints et de l’autel, avoir une vertu expiatoire.

Oui, mais pour les contemporains de Jésus la victime ne devait-elle pas être un animal ? Le sacrifice humain était sévèrement condamné comme une abomination cananéenne. Deut., xii, 29-31.

Cependant tout Israélite le savait : un jour Dieu luimême avait exigé d’Abraham qu’il lui offrît en sacrifice son fils unique Isaac. Et parce qu’il n’avait pas hésité à le faire, Abraham avait été béni, avait obtenu une nombreuse postérité en laquelle devaient être bénies toutes les nations de la terre. Gen., xxii, 16-18. Sans doute, un bélier avait été substitué à Isaac. Mais, comme le fait observer la littérature rabbinique (voir Médebielle, op. cit., p. 261 sq.), le sacrifice avait été en fait admis par Dieu et Abraham avait bien offert le sang de son fils unique. L’exemple donné par le père des Juifs ne pouvait être oublié, il ne le fut jamais.

On pouvait même trouver dans les Écritures l’annonce d’un autre sacrifice humain. On lisait dans Isaïe le récit des souffrances et de la mort du serviteur de Jahvé. lui, 3-12. Pourquoi, victime « d’un jugement inique », est-il « humilié », « châtié », « maltraité », « transpercé », « broyé » ; pourquoi cet « homme de douleurs, familier de la souffrance » est-il « arraché de la terre des vivants et mis à mort » ; pourquoi

est-il « compté parmi les pécheurs » et « frappé de Dieu » ? Ce n’est pas à cause de ses fautes : « il n’y a pas d’injustice en ses œuvres, ni de mensonge en sa bouche », il est « innocent ». Le prophète le répète douze fois de suite : le serviteur de Dieu a souffert pour autrui. « Il a offert sa vie en sacrifice pour le péché », il « s’est chargé des iniquités des multitudes », « et il a intercédé pour les pécheurs ». Alors Jahvé a fait « retomber sur lui l’iniquité de tous ». C’est ainsi que ce juste « a pris sur lui nos souffrances », » s’est chargé de nos douleurs » et « s’est livré à la mort ». Voilà pourquoi il a été « transpercé pour nos péchés, broyé pour nos iniquités ». En réalité « le châtiment qui nous sauve, a pesé sur lui ».

On le sait, l’exégèse et la théologie juives n’ont pas accordé à cette prophétie l’attention que lui donnent les chrétiens. Elles n’y ont pas vu l’annonce de la mort rédemptrice du Messie. Voir Médebielle, op. cit., p. 283 sq. Cependant l’oracle d’Isaïe n'était pas inconnu de la première génération chrétienne. Les allusions et les citations des livres du Nouveau Testament suffiraient à le démontrer. Ce texte pouvait donc préparer les contemporains de Jésus à ne pas rejeter la pensée d’un sacrifice pour le péché, dont la victime aurait été un juste se substituant aux pécheurs.

Ce concept d’ailleurs était déjà certainement accueilli dans certains milieux juifs. Le second livre des Machabées relate cette prière du plus jeune des sept martyrs : « Quant à moi, ainsi que mes frères, je livre mon corps et ma vie pour les lois de mes pères, suppliant Dieu d'être bientôt propice envers son peuple : puisse en moi et en mes frères s’arrêter la colère du Tout-Puissant, justement déchaînée sur toute notre race. » vii, 37. Dans un ouvrage non canonique, mais qui nous relate les croyances des Juifs au ie siècle de notre ère, dans le IV » livre des Machabées, cette pensée se trouve exprimée en termes plus clairs encore. Éléazar adresse à Dieu la prière suivante : « Tu le sais : alors que j’aurais pu me sauver, je meurs pour la Loi, dans les tourments du feu. Sois propice à ton peuple, en te contentant du châtiment que nous souffrons pour eux. Fais de mon sang l’instrument de leur purification et prends ma vie en échange de la leur. » IV Mac, vi, 28-29. Aussi l’auteur du livre, pensant à ce martyr et à ses émules, les sept frères et leur mère, fait leur éloge en ces termes : « Par eux le tyran a été châtié et la patrie purifiée, car leur vie a été comme la rançon du péché du peuple, et par le sang de ces hommes précieux, par leur mort expiatoire, la divine Providence a sauvé Israël auparavant accablé de maux. » xvii, 21-22.

Si un contemporain des Apôtres et des premiers chrétiens a exprimé de telles pensées, il faut bien admettre qu’il n'était pas impossible aux disciples de Jésus de comprendre ou de recevoir pareille doctrine, d’admettre l’existence d’un sacrifice où le sang versé serait celui d’une victime humaine, d’un juste s’offrant à la mort pour le salut de ses frères.

Deux problèmes doivent être étudiés ici, à la lumière des textes bibliques pris en leur sens littéral et expliqués par eux-mêmes : Au cénacle la veille de sa mort, au cours d’un repas d’adieu pris avec ses disciples, Jésus institua-t-il un sacrifice ? — Trouvet-on dans les premières communautés chrétiennes un rite qui était tenu pour un sacrifice ?

IL Le repas d’adieu du Christ fut-il un sacrifice ? — Pour répondre à cette question, nous interrogerons tant les récits de la cène que d’autres passages du Nouveau Testament.

Les récits de la cène.

1. Saint Paul, I Cor., xi,

23 sq. (années 55-58). — 23. Pour moi, j’ai appris du Seigneur et je vous l’ai aussi enseigné. Le Seigneur

.Jésus, la nuit où il fut livré, prit du pain. 24, rt après avoir rendu grâces, il le rompit et il dit : « Ceci est mon corps, pour vous. Faites ceci en mémoire de moi. » 25. De même (il prit) aussi la coupe après le repas, disant : « Cette coupe (est) la nouvelle alliance en mon sang. Faites cela toutes les fois que vous boirez, en mémoire de moi. »

2. Saint Matthieu, xxvi, 20 sq. (avant 70). — Pendant qu’ils mangeaient. Jésus ayant pris du pain et ayant prononcé une bénédiction le rompit et, l’ayant donné aux disciples, il dit : « Prenez, mangez, ceci est mon corps. » 27. Puis, ayant pris une coupe et ayant rendu grâces, il la leur donna, disant : « Buvez en tous, car ceci est mon sang de la nouvelle alliance, répandu pour plusieurs en vue de la rémission des péchés. 29. Je vous le dis, je ne boirai plus désormais de ce fruit de la vigne, jusqu’au jour où j’en boirai avec vous du nouveau dans le royaume de mon Père. »

3. Saint Marc, xiv, 22 sq. (entre 40 et 70). -- 22. Et pendant qu’ils mangeaient, Jésus ayant pris du pain et prononcé une bénédiction, le rompit et le leur donna et il dit : « Prenez, ceci est mon corps. » 23. Et ayant pris une coupe, ayant rendu grâces, il la leur donna et ils en burent tous. 24. Et il leur dit : « Ceci est mon sang de l’alliance, répandu pour plusieurs. 25. En vérité, je vous le dis, je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’au jour où j’en boirai du nouveau dans le royaume de Dieu. »

4. Saint Luc, xxii, 15 sq. (entre 60 et 70). — 15. Et il leur dit : « J’ai désiré d’un vif désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir. 16. Car je vous dis que je ne la mangerai plus jusqu'à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. » 17. Et ayant pris une coupe, ayant rendu grâces, il dit : « Prenez ceci et partagez-le entre vous. 18. Car je vous dis que désormais je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu'à ce que le règne de Dieu soit venu. » 19. Et ayant pris du pain, ayant rendu grâces, il le rompit et le leur donna disant : « Ceci est mon corps donné pour vous, faites ceci en mémoire de moi. » 20. Et de même la coupe après le repas, disant : « Cette coupe (est) la nouvelle alliance dans mon sang répandu pour vous. »

Pour bien poser le problème, notons d’abord ce qui est hors de discussion. Il est clair que la cène est le dernier repas du Christ avec ses Apôtres. Elle a lieu la nuit où Jésus fut livré. II annonce qu’il va souffrir, donner son corps et verser son sang. Le contexte confirme ces données. Ainsi l’affirment les quatre témoins. Cette mort du Christ est même préfigurée. Sur le pain, Jésus dit : Ceci est mon corps, il présente la coupe comme le calice de son sang. Cette double formule, cette distinction si expressive de deux éléments qui ne peuvent être séparés l’un de l’autre sans que l’homme perde la vie, ces mots qui font penser tout naturellement à une mort violente, à une immolation, donnent à entendre que le Christ aura le sort d’une victime. De nouveau, Paul et les Synoptiques concordent.

Ils ne se contentent pas de nous montrer dans la cène un symbole de Jésus mourant. Les quatre auteurs affirment aussi que du pain et du vin de la cène le Christ a fait son corps et son sang, pour les ofirir en nourriture et en breuvage aux Apôtres. Voir Eucharistie, col. 1031 sq. Enfin, la cène complète l’immolation de Jésus. Sur ce point encore les divers récits se confirment mutuellement. Lorsqu’ils mangeaient le pain, buvaient le sang de l’eucharistie, les Apôtres recevaient le corps et le sang que le Christ devait offrir pour eux sur la croix, de même que les Israélites leurs contemporains participaient aux victimes de certains sacri lices.

En d’autres termes, la cène fut un repas d’adieu ; repas figuratif d’une immolation ; repas de communion

à une victime ; et partant repas complémentaire d’un sacrifice. Mais la question ici posée est tout autre. La cène elle-même fut-elle un sacrifice ?

a) Le Christ offre ù Dieu ce qu’il distribue aux Apôtres. - — D’après les quatre récits, Jésus affirme que son corps est pour les Apôtres (Paul), qu’il est donné pour eux (Luc). De même il déclare que son sang est répandu pour les Douze (Luc), pour plusieurs (Mathieu, Marc).

Ainsi le Christ fait savoir publiquement qu’il s’offre à Dieu. Car son langage ne signifie pas seulement : « Voici mon corps et mon sang que je vous distribue. » Jésus dit à la fois qu’il les donne aux Apôtres et qu’il les donne pour eux. La différence des deux concepts apparaît à merveille dans la formule de Luc : < Ayant pris du pain… Jésus… le donna aux Apôtres en disant : « Ceci est mon corps donné pour vous. » Ainsi le même verbe est employé mais en deux sens différents. Le troisième Évangile écrit : Jésus distribua aux Douze son corps, que pour eux il offrit ù Dieu. La parole que Paul et Luc font prononcer sur le pain : « Ceci est mon corps pour vous », et de même les mots : « répandu pour… », employés pour le vin par les trois Synoptiques, ne permettent aucune hésitation. Jésus proclame qu’il se donne à son Père au profit des siens. Si Yimmo lotion sanglante ne doit avoir lieu que plus tard, dès maintenant, à la cène, la victime s’offre à Dieu, non seulement par la pensée, le cœur ou un acte de volonté, mais par un geste et des paroles extérieures, solennelles et assez remarquées pour que le souvenir en ait été consigné dans l'Évangile et par saint Paul.

b) Le Christ s’offre à Dieu pour le salut des Apôtres et de beaucoup. — Aucun doute n’est possible sur le sens des mots : « Ceci est mon corps pour vous ». Jésus déclare que son corps et son sang sont donnés à la place (Ô7rèp) de la vie des Apôtres. Il va réaliser les paroles que rapportent Matthieu, Marc et Paul : « Le Fils de l’homme est venu… donner sa vie pour la rédemption de beaucoup », Matth., xx, 28, pour leur « rançon. » Marc, x, 45. Et « le Christ est mort pour tous » (uTrèp), II Cor., v, 15 ; Dieu l’a fait pour nous (ûïuèp) péché, c’est-à-dire sacrifice pour le péché (hatta’t).

Si donc Jésus déclare que son corps est pour les Douze, qu’il est donné pour eux, pour beaucoup, que son sang est répandu pour plusieurs, personne ne peut se méprendre sur le sens de cette affirmation. Des exégètes peu suspects de complaisance pour la tradition catholique le reconnaissent : Ces mots signifient que « le corps du Christ est livré à la mort pour le salut de ses disciples ». Loisy, Les Évangiles synoptiques, Paris, 1908, p. 532. « Jésus s’assimile à une victime immolée. » Goguel, L’eucharistie, des origines jusqu'à Justin martyr, Paris, 1916, p. 192. « Les mots : rompu pour vous, I Cor., xi, 24, répandu pour vous, Luc, xxii, 20, viennent s’ajouter à la formule d’institution de la cène et lui communiquent la note sacrificielle. » Will, Le culte, t. i, Strasbourg, 1925, p. 91. « …Au dernier repas, lorsque le Christ, par la comparaison du pain et du viii, prépare ses disciples à sa mort, il en exalte le caractère sacrificiel. » Vôlker, op. cit., p. 27.

A coup sur, le sang du Christ n’est pas séparé du corps au cénacle, il ne le sera que sur la croix. Mais déjà au cours de son dernier repas en compagnie de ses apôtres, Jésus par une déclaration publique entendue de Dieu et des hommes, livre son corps et son sang à la mort pour le salut de ses disciples, il se met en état de victime et commence ainsi sa passion. J. Brinktrine, Der Messopferbegriff in den ersten drei Jahrhunderten, Fribourg-en-B., 1918, p. 23 sq.

c) Le Clvist s’offre pour la rémission des péchés. — Le récit de saint Matthieu donne à cette affirmation

du Christ encore plus de précision et de force. D’après lui, aux mots : « Ceci est mon sang répandu pour plusieurs », Jésus ajoute « en vue de la rémission des péchés ».

Comme tous les Juifs, les Douze connaissaient fort bien les sacrifices expiatoires. Ils savaient que, si le sang remet les péchés, c’est quand il est offert en sacrifice. D’autre part, ils ne pouvaient hésiter à croire que, si Jésus leur annonçait pareille faveur, il la leur accordait. Ils l’avaient entendu dire à des malheureux : « Vos péchés vous sont remis. » Matth., ix, 2 ; Luc, v, 20 ; vii, 47. L’effet avait été produit à l’instant même. Donc les mots : « Ceci est mon sang répandu pour plusieurs en vue de la rémission des péchés » devaient suggérer aux apôtres la pensée que c'était chose faite. Sans doute, la victime n'était pas encore mise à mort ; mais elle se livrait au Père pour que son sang fût répandu en vue de la rémission des péchés. Si déjà cette faveur était obtenue, c’est qu’alors même déjà commençait le hattâ't, le sacrifice expiatoire qui devait être consommé au Calvaire.

d) Les participes « donné, immolé » prouvent-ils que le Christ se donne et s’immole à la cène elle-même ?

Un grand nombre de théologiens et d’exégètes soulignent l’emploi par Jésus non du futur mais du présent : est donné, est immolé, dans toutes les formules que nous ont transmises les divers récits. L’original grec porte en effet : « Ceci est mon corps donné, SiS^aevov, pour vous », et non pas « qui sera donné pour vous » (Luc) ; ' mon sang jwse’pour vous, sx/uvô^evov », et non pas o qui sera versé pour vous. » Donc, font-ils observer, c’est au moment même où Jésus parle que déjà il se livre en sacrifice. « Schanz remarque avec raison, dit Lagrange, Évangile selon saint Luc, Paris, 1921, p. 544, la force de ce participe présent. C’est dès maintenant que le corps est donné, évidemment pour être immolé ; et si l’immolation doit avoir le caractère d’un sacrifice, ce sacrifice est d’ores et déjà celui du Sauveur. » De même « le sang est répandu, au présent, représentant le futur quant à la réalité des faits… Mais, dès ce moment, cette effusion est envisagée comme un sacrifice, et c’est en qualité de sang versé que le sang de Jésus figure dans la coupe, le sang dont parle l’Exode à l’occasion de l’ancienne alliance étant le sang des victimes ». Lagrange, Évangile selon saint Marc, Paris, 1911, p. 355-356.

Cette interprétation est assez communément admise et il faut reconnaître qu’elle s’appuie sur la grammaire : le participe présent ne désigne pas le futur, surtout lorsqu’il est l’attribut d’un verbe qui est luimême au présent. Tel est le cas : « Ceci est, èstw, mon sang répandu, Ix/uvôfisvov »… « Ceci est, Icttw, mon corps…. donné, 8t, 86[jt, evov. » Lamiroy, De essentiel…, Louvain, 1919, le prouve longuement, p. 206208. Il fait appel aux grammaires du Nouveau Testament (Moulton, Robertson, Blass-Debrunner). Il montre que les textes de l'Écriture où on a cru observer que le participe présent était employé pour le futur, ont été allégués à tort. D’autre part, le cardinal Billot, Desacramentis, Rome, 1896, p. 597, fait observer à bon droit que, si la Vulgate a traduit le présent èxyuvojjievov, par le futur efjundetur, on n’est pas obligé de lui donner la préférence : Nous sommes tenus de croire que dans les passages dogmatiques, elle ne contient aucune erreur ; mais nous avons le droit de penser qu’elle ne rend pas toujours la force du texte original.

A cette preuve tirée de l’emploi de participes qui ne sont pas au futur, on a opposé certaines objections. La langue employée à la cène n'était pas le grec, les participes présents, S'.So^evov, èk/uvo^evov, traduisent-ils exactement les paroles de Jésus ? De plus, ia mort du Christ était proche, elle aura lieu quelques

heures plus tard. Le présent ne pouvait-il pas être employé pour désigner un acte qui allait presqu’aussitôt s’accomplir ? D’autre part, à l'époque où les Synoptiques écrivaient, l’eucharistie était célébrée : on y représentait la passion du Christ comme un fait accompli : sous l’influence des formules employées alors, les évangélistes n’ont-ils pas été portés à mettre au présent les paroles de Jésus ? Enfin, il est difficile d’expliquer comment à la cène le sang du Christ fut versé. Aussi le constat e-t-on sans surprise : des hommes qui certes savaient le grec, saint Jean Chrysostome par exemple, Hom. in Matth., P. G., t. lviii, col. 738, donnent ici au participe le sens d’un futur et font parler Jésus du sang qu’il devait verser sur la croix.

Après avoir présenté cette remarque, le P. Lebreton, art. Eucharistie, dans Dictionnaire apologétique, t. i, col. 1564, conclut que « cette discussion a peu de conséquence ; l’une et l’autre interprétation, ajoute-til, sauvegarde et le caractère sacrificiel de l’eucharistie et sa relation essentielle à la mort du Christ ».

Rien n’est plus vrai. Ou bien, on laisse au participe présent sa signification obvie, et alors force est d’admettre que Jésus présente son corps comme déjà immolé au cours même de la cène, son sang comme répandu en sacrifice non seulement sur la croix, mais au cours du repas d’adieu. Ou bien on attribue aux mots : « donné, répandu pour vous » le sens d’un futur. Le Christ annoncerait donc la mort expiatoire du Calvaire ; mais déjà, il ferait savoir à la cène qu'à l’instant même où il parle, il se livre à son Père afin d'être mis à mort pour ses disciples. Offrir ainsi son corps et son sang, c’est poser le premier acte de l’immolation qui se continuera au Golgotha.

e) Le Christ dit-il en termes exprès que le (ait de s’offrir en nourriture le constitue à l'état de victime ? — Jadis, pour le démontrer, Franzelin a proposé un argument ingénieux, mais qui pourtant n’est plus guère présenté aujourd’hui.

Ce théologien fait observer que, d’après certains manuscrits, la formule de Paul sur le pain est la suivante : « Ceci est mon corps rompu pour vous », ÙTtèp ù(jlcôv xvcà[j.Evov. Il croit donc pouvoir construire le raisonnement qui suit : D’après l’Apôtre, Jésus dit : « Ceci est mon corps mis à votre disposition en l'état de nourriture à la manière du pain que partage le père de famille pour le distribuer. » Or, la formule de Paul ne peut contredire celle de Luc, puisque toutes deux expriment une même pensée du Christ ; et cet évangéliste fait dire à Jésus « Ceci est mon corps donné pour vous, 8t.86ji.svov », c’est-à dire « livré pour vous en sacrifice ». Ainsi serait-il démontré que Jésus s’immola non seulement quand il mourut pour nous, mais encore quand il se mit à la disposition de ses disciples en l'état de nourriture. Il fut donc victime à la cène aussi bien qu'à la croix. Comme la passion, le repas d’adieu fut un sacrifice. Franzelin, Tract, de ss. eucharisties sacramento et sacrificio, Rome, 1899, p. 362.

A ce raisonnement, on pourrait faire plus d’une objection. Il suffit d’observer que sa base est peu solide : on s’accorde aujourd’hui à considérer les divers participes, xXœfievov, 8186(j.evov, ajoutés à la formule de Paul : « Ceci est mon corps pour vous », comme des gloses explicatives mal attestées par les manuscrits et qui ont été imaginées pour compléter une finale abrupte, expliquer un texte elliptique. Voir Eucharistie, t. v, col. 1053.

/) Le Christ offre à la cène le sacrifice qui scelle une nouvelle alliance. — C’est au contraire en faveur du caractère sacrificiel du repas d’adieu un argument de la plus haute valeur, qui se dégage du lien mis par le Christ entre l’effusion du sang et la conclusion d’une alliance. Les quatre témoins attestent cette pensée. Selon Matthieu et Marc, Jésus a dit : « Ceci est mon

sang de l’alliance. » Paul et Luc placent sur les lèvres du Christ cette phrase : « Cette coupe (est) la nouvelle alliance en mon sang. »

Or, les apôtres connaissaient par les Écritures et les usages liturgiques les sacrifices de l’alliance. Ils savaient que le sang d’animaux avait cimenté l’union d’Abraham et de Jahvé. Gen., xv, 18. Ils n’ignoraient pas qu’au Sinaï des holocaustes avaient scellé l’alliance d’Israël et de son Dieu. Ex., xxiv, 3 sq. Ce symbolisme apparaissait dans tous les sacrifices, surtout dans les rites d’expiation. Parce que les fautes faisaient perdre l’amitié du Seigneur, sans cesse des aspersions offraient à Jahvé, dans le sang de victimes bien choisies, la vie même du pécheur en réparation de ses offenses. « La liturgie solennelle du Kippour… donnait le ton aux rites les plus humbles mais semblables de chaque jour. En projetant sur les expiations particulières, images réduites de la grande expiation collective, l’idée de la substitution…, elle apprenait au pécheur, chaque fois qu’il offrait une hatlà't, que Dieu, à la vue du sang, voulait bien considérer les péchés comme transmis à la victime et punis par la mort ; qu’il daignait prêter l’oreille aux protestations d’amour et de dévouement que les aspersions faisaient retentir dans le sanctuaire. » Ainsi renouvelait-il sans cesse son alliance avec les membres de son peuple. Médebielle, op. cit., p. 288.

Si ces pensées étaient familières aux Douze, on devine comment ils comprirent les paroles du Christ : Ceci est mon sang de l’alliance. Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Il leur fut impossible de ne pas croire que Jésus s’offrait à Dieu en victime pour expier leurs fautes par sa mort, et que déjà, pour accomplir le rite traditionnel, il faisait à la face du Père l’aspersion de son sang contenu dans la coupe. Le Christ livrait à Dieu et à ses disciples la victime qui devait sceller la nouvelle alliance entre l’Israël évangélique et Jâhvé. J. Brinktrine, op. cit., p. 21-22, 25-26.

Afin même qu’il fût impossible aux apôtres de ne pas saisir le sens de l’acte dont ils étaient les témoins, Jésus voulut employer à la cène les paroles même dont Moïse s'était servi pour le pacte du Sinaï, et qui devaient être du nombre de celles que les pieux Israélites ne pouvaient oublier. Le législateur de l’antique alliance avait envoyé des jeunes gens offrira Jahvé des holocaustes et des sacrifices d’action de grâces. Puis, il avait répandu sur l’autel la moitié du sang des victimes. Après quoi il avait lu le livre de l’alliance en présence du peuple qui répondit : « Tout ce qu’a dit Jahvé, nous le ferons. » Alors Moïse avec l’autre moitié du sang avait aspergé Israël en prononçant ces mots : « C’est le sang de l’alliance que Jahvé a conclue avec vous sur toutes ces paroles. » Ex., xxiv, 8.

La même déclaration est prononcée à la cène : Ceci est mon sang de l’alliance. Tout concorde : Déjà Jésus avait promulgué son Évangile, la nouvelle loi de Dieu, et les Douze l’avaient acceptée ; force était bien de le croire : si les paroles étaient les mêmes, c’est que les rites étaient semblables. Comme autrefois sur le Sinaï, de même à ce moment au cénacle une alliance était scellée en un sacrifice.

Il est impossible de donner au mot 81a6v)XY] le sens d’amitié quelconque, de simple union fraternelle. Il n’est pas un synonyme de xoivcovia. Comme le fait observer Lietzmann, op. cit., p. 225, si des exégètes de langue allemande ont pu être tentés de confondre les deux termes, c’est parce que le mot Bund signifie à la fois alliance et union. Mais le terme employé par Jésus et ici traduit n’avait pas cette signification. L'Écriture ne l’emploie pas pour désigner la simple amitié, la fraternité, mais une convention, un pacte. Ici, l’allusion indéniable à la scène de l’Exode, xxiv, 8,

, rend toute hésitation impossible : « Dans le sang de Jésus-Christ est conclue une alliance. » Cette pensée se trouve aussi clairement exprimée par la formule de Marc (et Matthieu) que par celle de Paul (et de Luc). Puisque l’alliance est conclue quand le sang asperge l’autel et le peuple, Jésus dit donc ces mots : « Je suis la victime dont le sang est versé pour vous… afin de sceller une nouvelle alliance avec Dieu. » Lietzmann, op. cit., p. 221.

Sans doute, cette victime n’avait pas encore été mise à mort, quand elle parlait ainsi, mais parce qu’elle était le Christ lui-même, il fallait bien que Jésus fît de son vivant ce qui jadis avait pu suivre l’offrande des holocaustes. Comme celui des victimes du Sinaï, son sang devait couler à la lettre sur la croix pour être répandu sur le peuple nouveau. Mais puisque Jésus est le nouveau Moïse et fait lui-même l’aspersion, elle précéda l’effusion totale et mortelle du Calvaire. Aussi le Christ ne dit-il pas : Ceci est mon sang, celui de l’alliance à venir, mais Ceci est mon sang de l’alliance. Matthieu et Marc. De même on ne lit pas dans Paul et Luc : « Cette coupe (est) la future alliance dans mon sang », mais bien : « Cette coupe (est) la nouvelle alliance en mon sang. »

En écoutant ces mots, les convives de la cène durent se rappeler que le pacte antique avait été conclu au moment précis où Moïse avait tenu le même langage : Ceci est le sang de l’alliance. Puisqu’il était répandu sur eux comme un moyen de les unir à Dieu, le sang du Christ, à l’instant même où Jésus le présentait comme celui du nouveau pacte d’amitié, devait être déjà d’une certaine manière celui d’une victime expiatoire. Il fallait donc qu'à ce moment même Jésus se constituât en état d’immolation. Il devait alors, non seulement par le désir, mais par un acte extérieur et public, apparaître comme la victime des temps nouveaux. Il n’y a ni deux hosties, ni deux sacrifices : mais à la cène commence l’holocauste qui au Calvaire doit être consommé. De la Taille, Mysterium fldei, Paris, 1924, p. 53-54.

On a prétendu, il est vrai, que le mot 8ta0Y)xv) ne signifiait pas alliance mais testament. Luther avait déjà fait cette remarque : De caplivitate babylonica, édit. Weimar, t. vi, p. 523. Nombre d’exégètes protestants et de critiques non catholiques ont adopté cette opinion. Récemment, elle a été de nouveau défendue par Dibelins, Eine Untersuchung ùber die An/linge der christlichen Religion, Leipzig, 1911, p. 88. Pour démontrer cette thèse, on allègue des passages parallèles, dit-on, où le mot SiaGrjxï) a le sens de testament, ainsi Luc, xxii, 29, et Heb., ix, 15. On fait encore observer que les versions latines ont traduit dans les récits de la cène 81a6y)x ?] par testamentum, et que les inscriptions et les papyrus donnent toujours ce sens à ce mot.

Ces arguments démontrent-ils ce qu’on veut en conclure ? Le premier texte allégué, celui de Luc, semble ne rien prouver : l'évangéliste rapporte ces mots de Jésus : « Je vous prépare, Sta-dŒ^oa, un royaume, comme mon Père me l’a préparé, StiGe-ro. » Ces paroles ne donnent en réalité aucun renseignement sur le sens de la formule de la cène. Personne n’a jamais nié d’ailleurs que ! e mot Siaôrjxv) ne signifie parfois testament. Tel est le sens, à coup sûr, qu’il a, dans Hebr., ix, 16 : « Là où il y a un testament, 8ta0Y]XY), il est nécessaire que la mort du testateur intervienne. » Mais dans le même développement, quelques lignes plus haut et un peu plus bas, il semble bien nécessaire de traduire autrement ce même terme. L'épître parle « des transgressions commises sous la première 8ta61rjx7) >. ix, 15. Ce sont évidemment celles del’ancienne alliance. On retrouve la même expression au t. 18. Un peu plus loin encore aucun doute n’est possible. L’auteur

reproduit la phrase de l’Exode : « Voiei le sang de l’alliance (8ta0-/)xir ; < ;), que Dieu a conclue avec vous » v. 20, Il est diflicile de découvrir une preuve qui démontre mieux que le mot 81a6ï ; X7) signifie dans l'Écriture tantôt alliance et tantôt testament. On peut même se demander si parfois il n’exprime pas en même temps ces deux notions. Ainsi le contexte seul permet de fixer le sens. Cf. Lamiroy, op. cit., p. 184185.

Sans doute, le mot SiaOïjy.v ; flans les inscriptions et les papyrus ne signifie pas alliance. Mais il suffît qu’il ait ce sens dans l'Écriture. L’objection tirée du l’ait que la Vulgale a traduit ce mot par fœdus et non par testamentum n’est pas plus recevable. Jésus n’employait ni le latin ni le grec. Pour connaître sa pensée, il faut se rappeler quel est le sens du mot traduit dans les Septante par 81a8r ; x7 ;. Ce terme berît est bien connu. Pris au sens religieux, tantôt il signifie ordonnance, loi, règlement divin, tantôt il désigne, une alliance, l’union avec Dieu. Il est facile de voir comment les deux sens sont connexes : une alliance fait loi pour les deux contractants ; un ordre met en bonnes relations celui qui commande et celui qui obéit. Les Septante ont constamment rendu berît par 8ta67)xv), ordonnance, disposition, et non par auv0T)X7), acte, convention. On a donné de ce fait une explication fort plausible : l’alliance de Jahvé avec Israël n’est pas un contrat entre égaux. L’un est le maître, l’autre le serviteur. Alors même que, par pure bonté, Dieu s’engage à l'égard de son peuple, il fait l’offre, il impose des conditions, il commande l’obéissance, il punit les révoltes. On comprend donc à merveille que le mot Siaô^xT) ait été préféré pour la traduction de berît. Soucieuses de rendre littéralement la pensée biblique, les versions latines devaient naturellement être portées à traduire ce terme par testamentum. Encore ne l’ont-elles pas fait toujours. Précisément dans la parole de l’Exode par laquelle Moïse promulgue l’antique alliance, berît est rendu par fœdus. « Ecce sanguis jœderis : Voici le sang de l’alliance. » Ex., xxiv, 8.

La conclusion s’impose. Il est impossible d’affirmer que le mot SiaOïjxY) dans l'Écriture signifie exclusivement et toujours testament. Pour connaître sa signification exacte, il est nécessaire d’examiner le contexte, de tenir compte de toutes les circonstances et de suivre les bonnes règles d’interprétation du langage humain.

Or, dans les deux récits de la cène, ceux de Paul et de Luc, à côté du mot SLaO/jx ?), testamentum, se trouve le mot xoavv), novum. Il y a donc ici quelque chose qui se substitue, non à un testament, mais à l’antique contrat conclu entre Israël et Jahvé. Il faut traduire : « Cette coupe est la nouvelle alliance. » D’autre part, la ressemblance totale, l’identité absolue qu’on relève entre la phrase de Moïse et celle de Matthieu et Marc oblige à conclure que dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’une convention de Dieu avec son peuple. Donc il est impossible que dans la formule de la cène le mot 8ta6r)Xï) ne désigne rien qu’un testament. Ou bien on doit croire qu’il signifie alliance et pas autre chose ; ou mieux, puisque berît peut vouloir dire aussi bien disposition que pacte ; puisque l’Epître aux Hébreux, loc cit. (voir encore Gal., iii, 13-17), semble présenter les paroles de Jésus au repas d’adieu à la fois comme ayant conclu un nouvel accord entre Dieu et Israël et comme ayant trouvé leur accomplissement par la mort du Christ ou enfin, puisqu’on doit « tenir compte du sens normal » du terme SiccOtjxt), on est autorisé à voir dans le sang de Jésus celui d’une alliance nouvelle qui est son testament. Lagrange, Évangile selon saint Marc, p. 355. « Ce n’est d’ailleurs qu’une question de nuance. » On a

déjà fait observer avec raison « qu’il est facile de passer d’un sens à l’autre et que beaucoup d'écrivains catholiques (Bossuet par exemple) se sont plu à montrer dans l’Eucharistie le testament du Seigneur. Lebreton, Diction, apol., art. Eucharistie, col. 1565.

Vôlker reconnaît que ces mots doivent s’expliquer par le récit de l’Exode et il conclut, lui aussi, qu’est annoncée ici une alliance dans le sang, dans le sacrifice du Christ. Mais il ajoute : "Est-il vraisemblable que Jésus lui-même ait fait de sa mort un équivalent des sacrifices rituels juifs et de tous leurs elîets'.' Étant donnée la position prise par le Maître à l'égard du service du Temple, il apparaît comme souverainement invraisemblable qu’il ait attribué à son supplice cette conception à la fois judaïque et cultuelle. L’agonie de Gethsémani établit d’ailleurs le contraire. La déclaration : « Ceci est le sang de la nouvelle Alliance » ne peut pas émaner de Jésus, elle exprime la foi de la communauté primitive vingt ans après la cène, lorsqu’elle eut abandonné le culte du Temple. » Op. cit., p. 42.

On le voit, cette affirmation est une hypothèse gratuite. L’auteur ne démontre pas et il ne pourra jamais prouver qu'à sa mort Jésus dut prendre par rapport à l’ancienne alliance l’attitude qu’il avait adoptée pendant sa vie. Vôlker est même obligé, pour établir sa thèse, de nier l’authenticité des paroles du Christ et il ne le fait pas pour des motifs de critique textuelle. Son opinion se heurte à un fait historique indéniable : c’est à Jésus et non à ses disciples que toute l’antiquité chrétienne attribue la fondation du Nouveau Testament. Quant au récit de Gethsémani, il ne contredit en rien les mots : Ceci est mon sang de l’alliance. Jésus a fort bien pu prononcer cette phrase et demander ensuite à son Père que s'éloignât de lui le calice, surtout s’il faisait suivre cette prière de l’acceptation du bon plaisir divin.

Mais si Vôlker a tort de faire remonter l’origine de ces mots aux premières communautés chrétiennes et non à Jésus, il a raison d'écrire : « Dès que cette pensée fut admise, la cène, le repas du Seigneur, fut assimilée aux sacrifices du temple, et on lui attribua toutes les vertus qu’avaient les antiques offrandes : par elle on glorifiait Ditu et on lui rendait grâces, on l’apaisait et on se le rendait favorable. Par elle, on entrait en communion immédiate avec Jahvé. » Op. cit., p. 45-50.

Vôlker a aussi raison de le faire remarquer : Les mois : « Ceci est mon sang de l’alliance », supposent nécessairement qu'à l'époque où ils étaient prononcés, donc dès la première génération chrétienne, le sacrifice s’opérait sous les deux espèces et non pas seulement avec le pain, comme le croit Lietzmann. S’ils ont été prononcés par Jésus, on doit conclure qu’il avait institué l’eucharistie sous les deux espèces. Le sang était un élément essentiel pour la conclusion d’une alliance calquée sur celle de l’Ancienne Loi. Op. cit., p. 43, 44.

g) Le Christ ne dit-il pas, d’après saint Luc, que la coupe de l’alliance est répandue pour les Douze, donc que la cène est un sacrifice ! — Étudiant de>plus près la formule que le troisième évangile fait prononcer par le Christ sur le viii, certains auteurs ont cru y découvrir une nouvelle preuve de l’immolation du Christ à la cène. La phrase est la suivante : Toôto to KOTYjpiov T) xaivï) 810c0y]xt} èv tw a.ïJ.a.zi |i.ou, to ûrcèp û(xôiv èx/uvou, svov.

Aux premiers mots, ceci est la coupe, touto tô ttoty)piov, faut-il rattacher les derniers qui sont au même cas, tô ûrrsp ùu, ûv èxxuvô[i.svov, répandue pour vous ? Le sens serait alors : Cette coupe versée pour vous est la nouvelle cdliance dans mon sang. Un bon nombre d’interprètes — - et ce ne sont pas seulement des théologiens catholiques, mais encore des grammairiens ou des critiques indépendants — adoptent cette traduction.

Voir De la Taille, op. cit., p. 37. note 2 et Lamiroy, op. cil., p. 210-211. II est alors naturel de conclure : i Mon sang tel qu’il est dons la 'coupe, mon sang à la cène déjà el non pas seulement sur la croix est celui d’une victime, d’un sacrifice. Sans doute, il n’y a pas de différence entre celui qui est versé au Calvaire el celui qui l’est au repas d’adieu. Mais au Golgotha, ce n’est pas une coupe qui a été répandue pour les apôtres. Le Christ par les mots cités plus haut ferait donc allusion au sacrifice de la cène. C’est de cette oblation qu’il parlerait en disant : « cette coupe versée pour nuis est la nouvelle alliance dans mon sang. »

Cette traduction est contestée. Bien qu'étant au nominatif, le dernier membre de la phrase, -b u-èp ÛU.WV èxXuv6[i.svov, pourrait se rapporter au mot qui le précède immédiatement. oâjjiaTt ; car si ce dernier est au datif du moins est-il du même genre, il est neutre. La phrase signifierait donc : « Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang lequel est versé pour vous. » Telle est l’interprétation que propose le P. Lagrange, Évangile selon S. Luc, p. 545, et elle n’est pas seulement la sienne. L’argument ne peut plus alors être présenté.

Quelle est la bonne version ? Il est difficile de le savoir, car la phrase de Luc, étrange à première vue, s’explique par son origine. Le troisième évangéliste, comme le fait observer P. BatilTol, /, Vuc/ian’sri’e, 8e éd., Paris, 1920, p. 131, semble bien avoir ajouté à la formule de Paul : Cette coupe est la nouvelle alliance dans mon sang, la fin de la phrase de Marc : « répandu pour beaucoup ». ("Il a écrit pour vous comme il l’avait fait en parlant du pain et à l’imitation de l’apôtre.) Pourquoi a-t-il ainsi juxtaposé l’une et l’autre locution"? Est-ce pour affirmer que la coupe et non pas seulement le sang est répandue, en d’autres termes pour attester que la cène est déjà un sacrifice ? Est-ce pour un autre motif ? Aussi longtemps que cette question n’aura pas été résolue, il sera impossible de tirer de cette particularité du texte une preuve en faveur du caractère sacrificiel de la cène.

h) Le Christ s’offre pour être sur la croix l’agneau pascal de la délivrance. — La cène peut être rapprochée d’une autre institution, la Pàque juive, et cette comparaison permet de mieux comprendre ce que fut le repas d’adieu.

Inutile de vouloir résoudre ici des problèmes fort discutés : quel jour de nisan Jésus-Christ fit-il avec les Douze au cénacle le repas dont les Synoptiques nous ont conservé le souvenir ? A-t-il observé toutes les prescriptions du rituel juif ? Si oui, comment a-t-il soudé au festin pascal l’institution de l’eucharistie ? Il suffit de relever les paroles indiscutées que nous a conservées l'Écriture et les faits indéniables qu’elle nous rapporte. Si Matthieu et Marc, dans leur récit du dernier repas de Jésus avec ses disciples, ne signalent pas en termes exprès l’accomplissement du cérémonial de la fête juive, du moins tout aussi fortement que Luc, xxii, 8 et 13, ils nous font savoir que le banquet du cénacle fut célébré sur l’intention de Jésus désireux de « manger la Pâque avec ses disciples ». Marc, xiv, 12-16 ; Matth., xxvi, 17-19. Quant au troisième évangéliste, il a, dans sa relation de la cène, reproduit une parole du Christ manifestant de la manière la plus expresse cette volonté : « J’avais un grand désir de manger cette Pàque avec vous. » xxii, 15. Ainsi Jésus meurt dans la semaine où les Juifs célèbrent cette fête. Il est lui-même, dit Paul, notre agneau pascal immolé pour nous. I Cor., v, 7. On ne peut donc en douter : la cène ne fut pas sans aucun rapport avec la fête juive. Ou bien Jésus, respectueux de la Loi jusqu’au bout, a voulu, avant de célébrer l’eucharistie, accomplir une fois encore entièrement la Pâque légale : telle est l’opinion commune parmi les catho liques : ou bien il l’a « remplacée par l’institution d’une Pàque nouvelle qui ne pouvait se substituer à l’ancienne sans que celle-ci fût rappelée et comme célébrée dans celle qui lui succédait, l’agneau pascal étant inutile quand le Christ se donnait lui-même en nourriture. » Lagrange, Évangile selon S. Marc, p. 337. Pour prétendre qu’il n’y a aucun rapport entre le repas d’adieu de Jésus et la Pàque juive, Lietzmann, op. cit., p. 211-213, il faut supprimer les affirmations très claires des Synoptiques ou leur dénier sans aucune raison toute valeur : cette opinion n’est pas près de s’imposer. Voir Volker, op. cit., p. 17 sq.

Or, si à l’origine l’immolation de l’agneau pascal fut, d’après la Loi, le rite qui permit la préservation des premiers-nés d’Israël, si elle devint dans la suite un mémorial de délivrance, elle fut en même temps un sacrifice. L’Exode, xii, 27, le déclare formellement : « Quand vos enfants vous diront : Que signifie pour vous ce rite sacré? vous répondrez : c’est un sacrifice de Pàque en l’honneur de Jahvé qui a épargné la maison d’Israël lorsqu’il frappa l’Egypte. » On trouve une affirmation semblable dans Ex., xxxiv, 25. Les écrivains du Nouveau Testament, Marc, xiv, 12, Luc, xxii, 7 et Paul, I Cor., v, 7, parlent eux aussi de l’immolation de la Pâque, ils emploient pour la désigner le verbe qui dans les Septante traduit d’ordinaire le mot sacrifier, Ex., xii, 27. Voir Berning, Die Einsetzung der h. Eucharistie, Munster, 1901, p. 149 ; Touzard, La Pàque juive, dans Revue pratique d’apologétique, 1914, t. xvii, p. 32 sq. ; Lamiroy, op. cit., p. 62 ; Pirot, art. Agneau Pascal dans Suppl. au Dict. de la Bible, t. i, col. 157-158.

Donc, la mort de Jésus est un sacrifice, l’immolation d’un agneau pascal. Brinktrine, op. cit., p. 31-33. C’est bien ce qu’affirme saint Luc. Il nous rapporte ce que Jésus dit avant d’instituer l’eucharistie : « Je ne mangerai plus cette Pâque jusqu'à ce qu’elle soit accomplie dans le royaume de Dieu. Je ne boirai plus du fruit de la vigne jusqu’au moment où le règne de Dieu sera venu. » Y a-t-il allusion aux joies des élus dans l’autre monde ? On peut et on doit même le penser. Car Jésus avait, comparé le bonheurultraterrestre aux jouissances d’un banquet, Matth., viii, 11 ; puis, peu après l’institution de l’eucharistie, il devait faire aux apôtres cette promesse : « Je vous prépare un royaume comme mon Père me l’a préparé, afin que vous mangiez et buviez à t able dans mon royaume, et que vous soyez assis sur des trônes pour juger les tribus d’Israël. » Luc, xxii, 29-30.

Pourtant cette explication à elle seule ne permet pas de comprendre complètement la parole du Christ. Sans doute, « la pleine réalité se trouvera dans l'éternité bienheureuse après la résurrection ». Mais, si le royaume de Dieu ne se réalise complètement qu’au ciel, il commence déjà sur la terre. Jésus l’a dit maintes fois. Donc, en ce monde déjà, la figure de la Pâque doit disparaître devant une réalité plus parfaite. A la présentation de deux éléments juifs, l’agneau et la coupe de viii, le troisième évangéliste fait succéder immédiatement le don du corps et du sang du Christ. Le parallèle est indéniable. « Luc… n’a parlé de la Pâque juive que pour lui donner son congé et dans les termes qui en faisaient plus expressément la figure de la Pâque nouvelle, c’est-à-dire de l’eucharistie. » Elle est vraiment « la réalité divine qui dans le royaume de Dieu donne sa plénitude à la fête antique. Le règne du Très-Haut commence ici-bas pour s’achever au ciel. Les paroles de Jésus dans saint Luc embrassent les deux perspectives : mais la première, celle de la terre, a déjà une réalité qui accomplit la Pâque juive. » Lagrange, Évangile selon S. Luc, p. 542-543 ; Berning, op. cit., p. 119-151. Cette vérité se manifeste si bien que les critiques les plus indépen

dants s’accordent avec la théologie la plus orthodoxe pour le reconnaître. « L'évangéliste considère évidemment la dernière cène comme une fête pascale ; il voit dans l’eucharistie elle-même une Pàque dont la réalité apparaîtra lorsque le royaume de Dieu sera venu. Les paroles : « Je vous dis que je ne la mangerai plus jusqu'à ce qu’elle s’accomplisse dans le royaume de Dieu » ne sont pas à prendre pour une simple allusion aux joies du royaume éternel… » ou au salut des hommes dans le ciel. « Mais il s’agit surtout de cette Pàque, de celle que Jésus va célébrer en ce moment, c’est-à-dire de la Pàque eucharistique. C’est celle-là qui a son accomplissement dans le royaume de Dieu. » Loisy, Les Évangiles synoptiques, t. ii, Ceffonds, 1908, p. 526.

Ainsi, à l’agneau immolé sur la croix les Douze participent au cours de la cène. Il faut donc que le corps et le sang de l’eucharistie consommés par eux soient ceux d’une victime. On ne mangeait pas de viandes immolées à la divinité si auparavant l’animal auquel elles avaient appartenu n’avait pas en fait été offert en sacrifice. Or, à ce moment de la cène, le Christ n’a pas encore été mis à mort. Jésus n’a pas rendu son dernier soupir. C’est donc pour un autre motif que déjà son corps et son sang Consommés par les apôtres sont ceux de l’agneau pascal ; c’est parce qu'à cet instant ils ont été offerts à Dieu par le Christ pour l’immolation sanglante du Calvaire.

Ces pensées ne sont pas seulement celles de théologiens croyants. Personne ne les a peut-être exposées avec plus de force et de clarté que A. Loisy, op. cit., p. 523. « L’idée qui domine le récit de la cène dans les Synoptiques est que l’eucharistie devient la vraie Pàque des enfants de Dieu, le vrai sang de l’alliance ; et l’eucharistie est cela, parce qu’elle figure et qu’elle est, en quelque façon, le Sauveur immolé pour le salut des hommes, comme l’agneau pascal a été immolé jadis pour le salut d’Israël… Cette conception de l’eucharistie est déjà dans saint Paul. La notion de sacrifice y est aussi apparente que celle de la communion à Jésus. »

Le Christ est notre Pàque à la cène : donc là déjà il est l’agneau immolé pour notre délivrance. Or, puisqu’il ne l’est pas encore par l’effusion du sang, il l’est par le don de sa vie à son Père pour l’holocauste sur la croix. Rien de plus juste que le mot cité plus haut : l’eucharistie est la vraie Pàque des enfants de Dieu, parce qu’elle est en quelque sorte le Sauveur immolé pour le salut des hommes. Le sang ne coule pas encore ; mais déjà il est versé par le don du Christ et l’acceptation de Dieu.

i) L’acte de la cène est expressément présenté comme une partie intégrante du sacrifice de la passion. — Ne peut-on pas aller plus loin et montrer déjà dans le repas d’adieu un sacrifice, parce qu’il est donné comme le premier acte de la passion sanglante du Christ ?

A coup sûr, la mort de Jésus fut la partie essentielle de son immolation, l’acte qui, selon le mot prononcé par le Sauveur, lui-même, consomma l’holocauste. Joa., xix, 30. Est-ce à dire que le seul moment où le Christ exhala son dernier soupir fut celui où s’opéra son oblation sanglante ? Comme on l’a toujours cru, et ainsi que le prouve le mot traditionnel qui la désigne, comme le montrent à merveille tous les évangélistes, la passion se composa de toutes les souffrances physiques et morales qui amenèrent la mort de Jésus. Saint Thomas, par exemple, la fait commencer à la trahison de Judas. Sum. theol., III a, q. lxxxiii, a. 5, ad 3um.

Or, dans chacun des récits de la cène, la pensée de la passion est mise en un puissant relief. Matthieu et Marc ne font connaître que deux épisodes du repas

d’adieu : l’annonce de la trahison de Judas et l’institution de l’eucharistie. Ils consacrent un aussi long développement à la relation de l’un (Matth., xxvi, 2025 ; Marc, xiv, 18-21) et de l’autre fait (Matth., xxvi, 20-29 ; Marc, xiv, 22-25). Ils les introduisent tous deux par la même formule : Pendant qu’ils mangeaient, comme s’ils voulaient opposer la malice du traître à la bonté du Sauveur. Luc s'étend davantage sur les conversations tenues au cénacle. Mais en premier lieu et aussitôt après la présentation du pain et du vin eucharistiques, il fait annoncer par le Christ la trahison de Judas, xxii, 21-23. Paul ne parle de la cène que pour en rappeler l’origine et la sainteté afin de combattre les abus deCorinthe ; il n’avait donc pas à mentionner les circonstances étrangères à l’institution de l’eucharistie et qui ne confirment en rien sa thèse. Néanmoins, il ne put s’empêcher d'écrire lorsqu’il voulut indiquer la date de la cène : « Ce fut dans la nuit où Jésus fut livré, » I Cor., xi, 23, comme s’il était impossible de séparer le repas d’adieu de la trahison de Judas.

D’autre part, cet événement fit certainement souffrir Jésus. Les disciples eux-mêmes en furent profondément attristés. Le langage du Christ révèle ce qu’il endure : « La main de celui qui me livre est avec moi à cette table… Le Fils de l’homme s’en va, mais malheur à celui par lequel il est trahi, il vaudrait mieux pour cet homme n'être pas né. » Matth., xxvi, 24 ; Marc.xiv, 21 ; Luc, xxii, 21. Impossible d’ailleurs que Jésus soit insensible à cet événement. Rien de ce qui est humain, à l’exception du péché, ne lui est étranger. D’ailleurs aussitôt après la cène, alors qu’il n’a encore été soumis à aucun mauvais traitement, il éprouve de ï'angoisse et il déclare que son âme est triste jusqu'à la mort. Matth., xxvi, 37-3 ->. Pourtant il n'était alors soumis qu'à des souffrances morales, mais elles sont représentées comme très douloureuses. Si le mot passion a un sens, on doit soutenir qu’il peut leur être appliqué. Elles débilitèrent son corps, elles contribuèrent avec tous les supplices postérieurs à le faire mourir, elles furent un des coups qui l’ont tué. A Gethsémani déjà, « la sueur de Jésus, dit l'Évangile, devint comme des gouttes de sang qui coulaient jusqu'à terre. » Luc, xxii, -14.

Ainsi encadrée entre la trahison de Judas et l’agonie du Jardin des Oliviers, l’institution de l’eucharistie donnée par Jésus aux Douze, alors qu’il sait, qu’il déclare devoir être abandonné d’eux, Matth., xxvi, 31, renié par Pierre, Matth., xxvi, 34 ; Marc, xiv, 30 ; Luc, xxii, 34, et trahi par Judas, ne peut pas n’avoir pas été accompagnée d’une profonde tristesse. Non seulement Jésus annonça son immolation, s’offrit en holocauste, institua un mémorial de sa mort et fit participer ses disciples au nouvel agneau pascal ; mais déjà son cœur saigna, déjà ce fut la passion, déjà commença et se continua le sacrifice qui se consommera sur la croix.

C’est là, dit Bérulle aux protestants, « …le premier pas » de Jésus « pour aller à la mort, soit intérieurement en la pensée de son cœur, soit religieusement en la cérémonie qu’il institue, soit extérieurement en partant du cénacle pour aller au jardin où il devait verser son sang… et où l’ennemi avait son rendezvous pour le prendre et le conduire au Calvaire… Vu et considéré que le Fils de Dieu n’aura pas attendu de s’offrir à la mort le seul instant de sa souffrance, et que sa charité aura prévenu et désarmé la malice et la rage des Juifs, et que nous le voyons en ce dernier souper n’avoir autre propos en la bouche avec ses apôtres que de sa mort et de sa passion, et qu’il la voyait présente au cœur et au dessein de Judas qui était avec lui en la même table et qu’il faisait même lors un mémorial perpétuel de cette souffrance, et qu’il

donnait à cette Pâque nouvelle et chrétienne le même agneau qui devait mourir pour notre rédemption à la croix… faut-il donner la géhenne à vos esprits pour vous faire croire qu’il a plu à Notre-Seigneur en l’acte de son testament de se souvenir de sa mort, et en présenter à Dieu l’offrande et l’acceptation volontaire ? » Discours ii, Du sacrifice de la messe célébré en l'Église chrétienne, c. xii, Œuvres complètes, éd. Migne, Paris, 1856, p. 700-702.

/) Est-il démontré encore par l’agonie de Gethsémani que l’acte de la cène a constitué Jésus à l'état de victime pour le sacrifice sanglant ? — Le P. de la Taille, non content de mettre fort bien en valeur l’argument qui précède, op. cit., p. 85-88, croit pouvoir le compléter de la manière suivante.

Après la cène, à Gethsémani, Jésus dit ces mots : « Mon Père, s’il est possible, que ce calice s'éloigne de moi ; cependant qu’il ne soit pas fait comme je veux, mais comme vous voulez. » Matth., xxvi, 39 ; cf. Marc, xiv, 36 ; Luc, xxii, 42. Donc, à ce moment, le Christ voit qu’il lui faut boire une coupe dont il désirerait qu’elle s'éloignât. Or, au contraire, avant la cène, il paraissait pleinement libre et très désireux de se donner pour nous. Pourquoi ce changement ? Parce qu’au repas d’adieu, Jésus s’est livré en holocauste à son Père et que cette oblation a été acceptée. Il est donc obligé d’exécuter, quoi qu’il lui en coûte, ce qu’il a promis. Cette explication concilierait des textes en apparence contradictoires, les uns où il est affirmé que Jésus s’est offert librement à une mort que son Père ne lui avait pas imposée par un précepte proprement dit ; les autres qui louent son obéissance dans sa passion et sur la croix. De la Taille, op. cit., p. 89.

Ce raisonnement est ingénieux. Mais peut-on le présenter sans dépasser le témoignage des Synoptiques ? Ils nous affirment que, dans sa prière, Jésus fait appel à la toute-puissance de son Père, qu’il exprime le désir de ne pas boire la coupe de la passion, mais qu’en même temps il déclare soumettre sa volonté humaine à la volonté divine. C’est beaucoup assurément, mais c’est tout. Aussi d’innombrables commentateurs ont lu cette prière sans jamais soupçonner qu’elle affirme le caractère sacrificiel de la cène. Elle ne l’attesterait d’ailleurs que si, avant l’institution de l’eucharistie, Jésus ne s'était pas encore offert à son Père ; si, jusqu'à ce moment, il était libre de s’immoler sur la croix, s’il lui avait été impossible de faire auparavant la prière de Gethsémani. En était-il ainsi ? Les Synoptiques ne le disent pas, ils ne donnent aucune réponse à cette question. Il semble donc impossible de démontrer par la seule teneur de la supplication de Jésus à Gethsémani que la cène fut un sacrifice.

A-) Conclusion. — Force est de le constater : après avoir écouté le langage et vu le geste de Jésus, les Douze durent croire qu’il offrait un sacrifice. Le Christ renonçait, en l’honneur de Dieu auquel il s’offrait, à des biens qui lui appartenaient, à ceux qui étaient davantage sa propriété, à son corps, à son sang et à sa vie. La victime n'était pas une de celles que nommait la loi antique, mais elle avait plus de prix encore, elle était pure entre toutes, elle était celle qu’avait entrevue Isaïe. Comme jadis les animaux étaient officiellement amenés dans le temple, Jésus se présentait solennellement à la face de Jahvé. C'était bien comme toutes les victimes de l’ancienne Loi pour être substitué à autrui : Jésus se livrait pour les Douze, à leur place et à leur profit, il substituait sa vie à la leur. Aussitôt son supplice commençait : la souffrance n'était encore que morale mais déjà, comme toute douleur, elle portait atteinte aux forces physiques de la victime. Bien plus, si Jésus ne versait pas en fait immédiatement tout son sang, si son corps n'était pas aussitôt mis à mort, du moins l’immolation prochaine était annoncée, sym bolisée. Déjà elle était ratifiée par Dieu comme l’avait été le sacrifice d’Isaac avant d'être accompli. D’ailleurs, puisque déjà les Apôtres recevaient un morceau de la victime et buvaient son sang, c’est qu'à cet instant même, d’une certaine manière, l’immolation de Jésus était commencée. De même qu’autrefois sur le Sinaï le sang sacrifié avait aspergé l’autel et le peuple, de même une partie du sang de Jésus devait aller à Dieu et une partie être répandue sur les fidèles qui le buvaient : tel est bien le rite de l’alliance et de l’expiation. Ainsi encore comme en certains sacrifices, tandis que des membres de la victime étaient réservés au feu pour rester la part de Dieu et d’autres consommas soit par les prêtres, soit par eux et les donateurs, admis les uns et les autres à l’honneur d'être les convives de Jahvé et de participer à son festin, de même le corps du Christ était appelé à devenir par une mort volontaire et violente le bien propre du Très-Haut, et ce même corps était servi aux apôtres qui entraient ainsi dans la communion la plus intime qu’il est possible d’imaginer et avec Jésus et avec Jahvé. Les Douze qui furent témoins de la première cène assistaient certes à un a^te inouï, sans précédent. Pourtant ils y retrouvaient ce qu’ils étaient habitués à voir en tout sacrifice, et ils pouvaient comorendre qu'à ce moment même commençait l’immolation rituelle des temps nouveaux.

Autres textes néotestamentaires.

Trouve-t-on

dans d’autres récits d j Nouveau Testament des textes qui confirment ou qui nient le caractère sacrificiel attribué au repas d’adieu par Paul et les Synoptiques ? — 1. Le quatrième Évangile. — Il est certain que les formules de l’institution ressemblent fort à certaines paroles prononcées par Jésus dans le discours sur le pain de vie. Les phrases Mangez, ceci est mon corps. Buvez, ceci est mon sang, concordent avec les mots : Celui qui mange ma chair et celui qui boit mon sang… Joa., vi, 56. De même la promesse : Le pain que je donnerai, c’est mi chair pour la vie du monde, Joa., vi, 51 (52 dans la Vulgate), fait penser à la déclaration de Jésus présentant le pain aux Douze : Cîci est mon corps donné pour vous. Luc., xxii, 19.

Jésus déclare-t-il donc aussi dans le quatrième évangile que sa chair est à la cène offerte en sacrifice ? Les commentateurs et les théologiens qui l’affirment invoquent la promesse citée plus haut : « Le pain que je donnerai est ma chair pour la vie du monde. » vi, 51 (52). Cette leçon est celle qui est le mieux attestée, le plus communément admise (Von Soden, Nestlé, Vogels, Loisy, Lagrange). Il en est deux autres. L’une d’elles exprime un mot qui est sous-entendu dans la leçon précédente : « Le pain que je donnerai c’est ma chair que je donnerai pour la vie du monde. » Ce texte qu’on retrouve en certains manuscrits a été adopté par Maldonat et Tischendorf (7e édit.). Une autre leçon rend la pensée plus claire, mais n’est attestée que par le Sinaïticus et Tertullien : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde est ma chair. » Elle est proposée par Tischendorf (8e édit. de Gebhardt) et par Calmes. On est tenté « d’y voir un arrangement pour aboutir à plus de netteté ». Lagrange, Évangile selon S. Jean, Paris, 1925, p. 183.

Que l’on choisisse l’une ou l’autre lecture, il est certain qu’il est parlé en cette phrase de l’eucharistie et de la passion, Lagrange, loc. cit. ; les deux idées sont « étroitement associées ». Loisy, Le quatrième évangile, Paris, 1921, p. 212. Cette affirmation est démontrée dans l’art. Eucharistie, t. v, col. 997-998.

Une relation est établie entre trois termes : pain, chair, vie du monde. — Il en est deux, l’eucharistie et le corps du Christ qui sont donnés pour identiques : pain = chair. Los trois leçons s’accordent à le reconnaître. Mais à quoi doit être rapportée la vie du monde ? SIM

MESSE DANS L'ÉCRITURE, LE SACERDOCE DU CHRIST

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Est-ce immédiatement au pain ? On s’en souvient, c’est ce que prétend la 3e leçon citée plus haut : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair ». Si on l’accepte, on est tenté de soutenir qu'à la cène déjà Jésus s’est offert en sacrifice et qu’en présentant son corps sous les apparences du pain, il l’a livré pour le salut des hommes. Ainsi pense Calmes qui adopte cette lecture. Il conclut : « Dans cette phrase… se trouvent confondues les prédictions de la passion et la promesse du pain eucharistique, et cela sans qu’il y ait équivoque ; car l’eucharistie est, en même temps qu’un sacrement, un véritable sacrifice. un mémorial de la mort de Notre-Seigneur.JésusChrist. » Évangile selon S. Jean, Paris, 1904, p. 252253. Pourtant même sous cette forme : « Le pain que je donnerai pour la vie du monde, c’est ma chair », la phrase de Jésus ne pourrait-elle pas faire allusion non à l’oblation de la cène, mais à l’efficacité salutaire du pain eucharistique en chacun des communiants ? Jésus annoncerait alors le sacrement sans parler du sacrifice. On peut poser la question, et il est difficile, à la seule lumière du texte biblique, de la résoudre

Si au contraire on préfère l’une ou l’autre des deux premières leçons, c’est immédiatement à la chair que se rapporte la vie du monde. On lit alors : Le pain que je donnerai, c’est ma chair. Puis on sous-entend ou on ajoute les mots : que je donnerai, et enfin on termine ainsi la phrase : pour la vie du monde. Cette fois ce qui est offert pour le salut des hommes, c’est le corps : le sacrifice de la passion est directement annoncé. Faut-il conclure qu’il n’est pas parlé de l’eucharistie comme d’une oblation ? Ce serait peut-être aller un peu vite. Des exégètes détachés de toute confession religieuse sont d’accord avec les croyants pour reconnaître que dans le contexte domine la pensée du Christ donné en nourriture comme chair et sang dans un état de mort. Il faut en effet observer que dans les versets suivants, 53-56, Jésus insiste sur la séparation des deux éléments, images de son immolation : quatre fois il parle de l’eucharistie comme de l’acte par lequel on mange sa chair et on boit son sang. Pourquoi d’ailleurs associe-t-il dans la même phrase le pain au corps donné pour la vie du monde ? S’il avait voulu seulement affirmer l’identité de cette nourriture avec sa chair réelle, il aurait pu dire : le pain que je vous donnerai, c’est ma chair que vous voyez, ma chair née de Marie, etc. Puisqu’au contraire il assimile cet aliment au corps immolé pour le salut des hommes, c’est, semble-t-il, que l’eucharistie et la passion sont une même chose, donc un même sacrifice ; c’est qu'à la cène comme au Calvaire est offerte à Dieu la chair du Christ, ici sous l’apparence de pain, là sans voile et sous sa forme naturelle. La phrase elle-même semble l’exiger, ajoute-t-on : Qu’il soit sous-entendu (première leçon) ou exprimé (deuxième leçon), le verbe donner s’y trouve en réalité deux fois. Le pain que je donnerai, c’est ma chair que je donnerai (ces trois mots sont sinon expressément répétés du moins exigés par le sens) pour la vie du monde. Or le même verbe employé deux fois à si faible distance doit avoir le même sens dans l’un et l’autre cas. Conclusion : Puisque la chair donnée pour la vie du monde c’est celle qui est offerte à Dieu en sacrifice, donc le pain que Jésus donnera, c’est l’aliment eucharistique offert à Dieu en sacrifice. En d’autres termes, le corps du Seigneur distribué aux Douze est à la cène déjà présenté à Dieu comme la victime qui doit être immolée sur la croix. De la Taille, op. cit., p. 79-81.

Ces raisonnements sont ingénieux, mais un peu subtils. En les admirant, on est tenté de se demander si tout ce qui est ainsi découvert dans le texte de Jean s’y trouve réellement. Jésus insiste sur les deux éléments nourriture et breuvage : ne serait-ce pas tout

simplement parce qu’en fait le fidèle doit accomplir les deux actes : manger son corps et boire son sang ? De ce que le Christ, dans une même phrase, annonce l’eucharistie et la passion, faut-il conclure qu’il enseigne par ces mots l’identité de l’immolation de la croix et du sacrifice de la cène ? Ne peut-on pas expliquer autrement la juxtaposition des deux promesses ? Plus d’une hypothèse peut être imaginée. Le P. Lagrange propose la suivante : « Le pain donne la vie à chacun… L’immolation de la chair… donne la vie au monde. » Op. cit., p. 183. Rien de plus naturel que ce rapprochement dans les discours du c. vi qui décrit les divers moyens par lesquels Jésus nourrit les âmes. Quant à l’impossibilité d’attribuer dans la même phrase au verbe donner deux sens différents et de comprendre ainsi le texte : « le pain que je distribuerai aux Douze est la chair que j’offrirai à Dieu pour le salut du monde », elle existerait, peut-être, si Jean était un écrivain classique, soucieux d'éviter toute redite équivoque et toute obscurité. Veut-on avoir la preuve que les auteurs bibliques emploient à faible distance le même verbe donner pour lui faire signifier deux actes différents, une première fois distribuer aux hommes et une seconde offrir à Dieu, il suffit de se rappeler saint Luc : Jésus « ayant pris du pain, ayant rendu grâces, le rompit et le leur (aux disciples) donna (distribua) disant : Ceci est mon corps donné (offert à Dieu) pour vous. » Luc., xxii, 19.

En réalité, après avoir ainsi pesé le pour et le contre, force est de conclure : D’après saint Jean, pain = chair du Christ = vie du monde. Mais comment le pain est-il la vie du monde, c’est ce que l’auteur ne nous a pas dit en termes exprès.

Il est un grand nombre d’autres termes du quatrième évangile où des critiques, Loisy par exemple, ont cru découvrir des allusions à la cène. Déjà il a été dit quel cas il faut faire de ces rapprochements ingénieux, mais dont la plupart sont discutables. Voir art. Eucharistie, t. v, col. 1068-1069.

Un passage du quatrième évangile doit pourtant êL’e souligné, le c. xvii, qui contient la prière dite sacerdotale. Sans doute, Lagrange a pu écrire à bon droit : « Supposer avec Loisy » que cette supplication « peut être l’eucharistie particulière d’un prophète, c’est se moquer. » Évangile selon saint Jean, Paris, 1925, p. 384. Toutefois, on l’a fait observer : entre ce morceau et les pières eucharistiques de la Didachè (ix-xx) il reste « quelques analogies » et ce chapitre a pu être présenté comme un modèle des anaphores chrétiennes primitives. « Jésus y parle — déjà des Pères de l'Église l’avaient remarqué — comme grand prêtre, comme médiateur entre Dieu et les apôtres. Il expose à son Père qu’il a terminé son œuvre propre et il lui recommande de la continuer par ceux qu’il lui a donnés et qu’il a formés pour cela, dans l’unité de la doctrine qu’il leur a enseignée et dans l’amour que le Père a pour Lui. » Lagrange, op. cit., p. 435. Ce langage et cette attitude sacerdotale, ces paroles qui ont pu inspirer les improvisateurs ou les rédacteurs des antiques liturgies du sacrifice, ne donnent-ils pas à penser qu'à la cène Jésus a vraiment fait acte de prêtre, offert à Dieu pour les siens le corps et le sang (mil devait immoler sur la croix ?

LJne parole de cette prière sacerdotale encourage à le croire. Jésus dit, xvii, 19 : « Je me consacre moi-même pour eux (les Apôtres) afin qu’ils soient eux aussi consacrés en vérité. » Le verbe employé est àytâ^w, « rendre sacré », mot qui sert pour désigner la sanctification du pontife et celle des victimes. Aussi des anciens et des modernes s’accordent-ils à reconnaître que par cette phrase Jésus déclare s’offrir en sacrifice. Voir De la Taille, op. cit., p. 88, qui cite comme tenants de cette interprétation saint Jean Chryso

stome, saint Cyrille d’Alexandrie, Ftupert, saint Thomas. Cajétan, Ainsi pensait Bossuet. Parmi les contemporains on peut encore nommer Knabenbauer, Calmes, Durand, Loisy. Voir le commentaire de Lagrange. « Je me sanctifie pour eux afin qu’ils soient sanctifiés. > Le sens est le suivant : Prêtre et victime, je m’offre à Dieu comme une chose sainte pour les apôtres, afin qu’ils trouvent en moi la sainteté dont ils ont besoin pour être à leur tour prêtres et victimes. le sacrifice dont il est parlé ici est à coup sûr celui de la croix : ainsi le comprennent généralement les commentateurs de ce passage. Il faut bien noter toutefois que Jésus ne dit pas : Je me. consacrerai, mais je me consacre. Il est donc tout naturel et légitime de penser qu' « à ce moment même », Lagrange. op. cit., p. -148, le Christ se voue à Dieu pour être l’agneau pascal immolé sur la croix.

Ainsi d’après le quatrième évangile, le pain de vie est présenté comme donné pour le salut du monde ; et ce peut être, non seulement à cause de son action dans l'âme des communiants, mais aussi parce qu'à la cène déjà Jésus s’offre en sacrifice : sa prière sacerdotale et notamment la phrase où il se pose en prêtre et en victime semblent bien l’attester.

2. L'Épitre aux Hébreux. — Le concept du Christ pontife se retrouve dans VÉpître aux Hébreux.

Jésus y est déclaré grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech et partant supérieur à tous les ministres de l’ancienne loi. Chaque année, le souverain pontife d’Israël, en la fête de l’expiation, pénétrait dans le Saint des Saints pour y obtenir par l’aspersion d’un sang animal une purification de ses fautes et de celles du peuple, qui était toujours à recommencer. Le Christ, grand praire selon l’ordre de Melchisédech, est entré par sa mort dans le ciel et, en montrant son sang à son Père, il obtint une fois pour toutes la rémission de tous les péchés, scella une nouvelle et meilleure alliance de Dieu avec les hommes. Tel est le thème que développent six chapitres de cette lettre, v-x.

On voit aussitôt l’importance du titre de grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech. Aussi l’auteur ne se contente-t-il pas de l’attribuer à Jésus. Pour justifier le rapprochement, il montre comment se ressemblent ces deux pontifes. Ils ont mêmes fonctions, celles de prêtre du Très-Haut, de roi de justice (Melchisédech) et de paix (Salem), vii, 1-2. L’un apparaît, l’autre est sans origine ni fin. vu. 3. Aucun ne naît de la tribu sacerdotale, vii, 13-14. Tous deux sont supérieurs à Lévi et à l’ordre d’Aaron. vii, 4-10. Chacun est unique en sa série, il est sans successeur, vii, 22-24, et n’a offert qu’un sacrifice, vii, 27. Ni l’un ni l’autre n’est investi du sacerdoce par la loi de descendance charnelle, vii, 16 ; ils sont l’objet d’une vocation divine. Lu laveur du Christ, il y eut un serment de Dieu, comme jadis pour Abraham au temps de Melchisédech. vi, 13-20 ; vii, 20-21. C’est ce que l'épître expose longuement, v-vii. Aussi peut-elle dire que Jésus est grand prêtre à la ressemblance de Melchisédech, vu. 15, et réciproquement que ce dernier a été pareil m Fils de Dieu, vii, 3.

Il est donc naturel que l'Épître aux Hébreux, à plusieurs reprises, v, 6-10 ; vi, 20 ; vii, 11, 17, 21, applique au Christ le v. 4 du psaume cix(cxde l’hébreu) : « Le Seigneur l’a juré : il ne s’en repentira pas. Tu es prêtre pour toujours à la manière de Melchisédech ». Déjà nous le savons par les Synoptiques, Matth., xxii, 11-16 ; Marc, xii, 35-37 ; Luc, xx, 41-44, les scribes contemporains de Jésus tenaient ce poème pour messianique et les apôtres ont partagé ce sentiment. Act., h, 34 ; I Cor., xv, 25 ; Eph., i, 20-22 ; Hebr., loc. cit. et i. 3 : v, 6, viii, 1 ; x, 12-13 ; I Petr., iii, 22.

D’après ce psaume que les Septante et le texte massorétique attribuent à David, le Messie doit être non

seulement un roi conquérant, mais encore un prêtre. La fin du ꝟ. 4 résout une difficulté. Puisque le Messie sera le fils de David, comment peut-il être investi du sacerdoce dont les fonctions sont réservées à la tribu de Lévi, à la famille d’Aaron ? La réponse est tirée de L'Écriture elle-même. Le livre de la Genèse ne parle-t-il pas d’un roi Melchisédech qui n’appartenait ni à la famille sacerdotale, ni même à la race d’Abraham et qui fut pourtant le prêtre du Très-Haut ? De même, dit le psaume, le Messie descendant de David sera souverain victorieux et investi du sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech.

Nous sommes ainsi ramenés au texte de Gen., xiv, 17-19. « Comme Abraham revenait vainqueur de Chodorlahomor et des rois qui étaient avec lui, le roi de Sodome alla à sa rencontre dans la vallée de Save, c’est la vallée du Roi. Melchisédech, roi de Salem, présenta du pain et du vin ; il était prêtre du Dieu Très Haut. Il bénit Abraham et dit : Béni soit Abraham par le Dieu Très Haut qui a créé le ciel et la terre ; béni soit le Dieu Très Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains. » Tel est le texte hébreu. Certains commentateurs ont pensé que Melchisédech se contenta de ravitailler Abraham et ses hommes. Toutefois la réflexion : // était prêtre du Dieu Très Haut ne se comprendrait guère et serait mal placée. Elle suit immédiatement les mots : // présenta du pain et du vin. Or, si ce renseignement sur le sacerdoce de Melchisédech n'était donné que pour mieux éclairer le lecteur sur cette étrange personnalité, ne semble-t-il pas qu’il devrait se trouver à un autre endroit de la phrase, à côté de la mention « roi de Salem » ? On ne peut pas dire d’autre part que cette affirmation : « il était prêtre » figure là où elle est pour justifier la bénédiction donnée par Melchisédech, cette qualité n'étant pas requise pour l’accomplissement de cet acte : un roi, un père peuvent bénir. Aussi des interprètes de ce passage ont conclu que la qualité de prêtre explique la présentation de pain et de viii, et atteste son caractère d’offrande religieuse faite au Dieu Très Haut. C’est la pensée de la Vulgate : Melchisédech, rex Salem proferens panem et vinum, erat enim sacerdos Dei altissimi, ꝟ. 18. Le texte hébreu insinue cette interprétation ou du moins ne la contredit pas. Voir Lesêtre, art. Melchisédech, Diction, de la Bible, t. iv, col. 939-9 K).

On devine quelle a été la conséquence. De nombreux écrivains chrétiens — le premier fut Clément d’Alexandrie — proposèrent cette conclusion : Le psaume cix (ex) et l'Épître aux Hébreux affirment que Jésus fut prêtre selon l’ordre de Melchiédech. Or, la Genèse nous apprend que le roi de Salem offrit au TrèsHaut un sacrifice de pain et de vin. Sacrifice est donc la cône, sacrifice est aussi la messe. Bellarmin, Petau, Thomassin ont relevé de très nombreux textes de Pères où sont émises soit ces deux conclusions, soit l’une d’entre elles. Voir aussi De la Taille, op. cit., p. 68 sq.

Aussitôt surgit une objection faite déjà par les Béformateurs du xvie siècle et maintes fois présentée. L'Épître aux Hébreux n’a nulle part proposé ce rapprochement. Or, l’auteur s’ingénie à relever les plus minuscules ressemblances qui peuvent exister entre Mclcliisédech et le Christ. Il les cherche à la loupe, il en découvre qui sont purement verbales, qui surprennent le lecteur moderne, à quoi celui-ci n’aurait jamais pensé. Si donc l’auteur de l'épître avait cru que le Sauveur offre en sacrifice le pain et le vin de la cène, comme Melchisédech a jadis fait une oblalion rituelle des mêmes mets, avec quel empressement il aurait souligné cette similitude qui aurait été, en faveur de sa thèse, le meilleur argument 1

Depuis longtemps (cf. S. Jérôme, Epist., i.xxiii, ad Evangelum, n. 2, P. L., t. xxii, 677) on a essayé d’ex

pliqucr ce silence étrange et qui, comme l’avoue, Franzelin, De ss. eucharisties sacramento et sacrificio, Rome, 1868, p. 338, constitue vraiment une difficulté. D’abord on a fait observer que l’auteur de l'épître lui-même semble ne pas vouloir dire tout ce qui sera possible sur cette ressemblance. En effet, aussitôt après une phrase où il affirme que Jésus « est déclare' par Dieu grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech », v, 10, il ajoute immédiatement : « Sur ce sujet nous aurions beaucoup à dire et des choses difficiles à exposer, étant donné que vos oreilles sont devenues dures. » v, 11. Un peu après, vi, 1, il dit qu’il laisse « l’enseignement élémentaire sur le Christ » pour aborder « ce qui est parfait », donc des doctrines plus hautes. La comparaison du pain et du vin de la cène avec le sacrifice de Melchisédech aurait-elle été omise, parce que trop difficile ù exposer, v, 11, aux destinataires de l'épître, ou au contraire parce que le récit du repas d’adieu décrit par les Synoptiques fait partie de l’enseignement « élémentaire » connu de tous les chrétiens ? Ce serait une des « bases » de la foi que l’auteur ne croirait pas devoir « poser à nouveau ». vi, 1. Il n’est pas interdit de faire ainsi appel à l'épître pour expliquer son silence, puisqu’elle suggère elle-même cette explication.

Il semble bien d’ailleurs que l’auteur ne pouvait « guère s’arrêter à cette signification typique sans compromettre sa thèse et énerver son raisonnement ». F. Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 531. Que veut manifestement l'épître adressée aux Hebrtei, c’est-à-dire à des disciples venus du judaïsme et qui peut-être n'étaient pas sans regretter le culte mosaïque ? Elle se propose de leur montrer qu’ils possédaient un sacerdoce supérieur à celui d’Aaron, un sacrifice plus saint que celui de la Loi : Jésus, prêtre selon l’ordre de Melchisédech, a offert son sang et il est entié avec lui dans le ciel pour y obtenir la rémission de tous les péchés. Les lecteurs étaient obligés de convenir que l’immolation d’un juste sur la croix l’emportait en valeur sur celle de vils animaux. Mais si la lettre avait parlé du pain et du vin de Melchisédech et du Christ, peut-être les destinataires auraientils été tentés de croire au contraire que le rite mosaïque avait plus d’importance que celui des chrétiens, et que le prêtre juif possédait une dignité supérieure à celle de Jésus. En effet, la Loi faisait offrir à Dieu des gâteaux de fleur de farine et des libations de viii, sang de la grappe. Mais ces oblations étaient considérées comme beaucoup moins importantes que les sacrificee d’animaux, et elles les accompagnaient comme un complément. Si donc l'épître avait rappelé que Melchisédech et le Christ présentaient tous deux au TrèsHaut du pain et du viii, quelques-uns des Hebrœi, des juifs de la veille, auxquels était destinée la lettre auraient pu conclure à la supériorité d’Aaron et de son rituel.

De même, puisque, d’après cette épître, le Sauveur par une oblation unique obtient pour toujours la perfection aux élus, x, 14 ; puisque, les fautes une fois expiées, il n’y a plus lieu de faire de nouveau des offrandes pour le péché, x, 18 ; puisque, la répétition des anciens rites s’expliquait uniquement par leur inefficacité, x, 1-4, il était difficile d’opposer aux cérémonies légales le geste de la cène qui se réitère dans les assemblées chrétiennes. L’auteur n’aurait pu le faire sans « s’obliger à expliquer comment le sacrifice eucharistique reproduit, commémore et ne multiplie pas le sacrifice sanglant du Calvaire ». Prat, op. cit., p. 531. On comprend qu’il ait hésité à engager dans cette voie des lecteurs « lents à comprendre », v, 11, des « enfants », v, 13, qui ont encore besoin « qu’on leur enseigne les premiers éléments des oracles de Dieu ». Il est une autre explication qui semble naturelle.

L'Épître aux Hébreux est un écrit bien composé et où se trouvent des divisions très apparentes. Or, dans les c. viii, ix, et x, 1-18, il est parlé du sacrifice de Jésus : aux victimes juives, aux rites de la fête de l’expiation, au cérémonial de la fondation de l’antique alliance est opposée la mort du Christ sur la croix, son entrée dans le Saint des Saints du ciel avec son sang, grâce auquel est conclu un nouveau pacte d’amitié entre Dieu et le véritable Israël. Tel est le sujet de toute cette partie de la lettre. Dans la précédente, au contraire, la question étudiée est celle du sacerdoce. L’auteur ne considère pas encore le sacrifice. Déjà il sait qu’il comparera bientôt et avec complaisance, l’immolation du Christ aux holocaustes du Sinaï et du Kippour. Il se garde donc bien de troubler à l’avance l’esprit du lecteur en lui présentant alors le rite de la cène et celui de Melchisédech. Plus loin, il comparera sacrifice à sacrifice. Ici, au contraire, il oppose sacerdoce d’Aaron à sacerdoce selon l’ordre de Melchisédech. La mention des offrandes du pain et du vin n’eût pas été à sa place et, d’autre part, nous avons dit pourquoi elle ne pouvait pas figurer dans le long développement où les victimes juives sont comparées au sang du Christ.

Enfin, il n’est peut-être pas nécessaire de chercher tant d’explications. Les destinataires de l'épître pouvaient fort bien, comme Josèphe, Antiq. jud., i, x, 2, croire que Melchisédech n’avait pas offert un sacrifice de pain et de viii, mais qu’il avait seulement donné à Abraham et à ses soldats la nourriture dont ils avaient besoin. L’auteur de l'épître aurait alors évité d’employer un argument qui aurait été sans valeur à leurs yeux.

On le voit : du silence de l'épître aux Hébreux sur une similitude possible entre la présentation du pain et du vin par Melchisédech et la bénédiction par Jésus de ces deux mêmes éléments à la cène, on ne saurait conclure que, d’après cette lettre, l’acte du Christ n'était pas un sacrifice.

Cet écrit d’ailleurs ne laisse-t-il pas entendre qu’un rapport existe entre le repas d’adieu et la mort du Sauveur ? A qui en douterait, il serait facile d’opposer les trois faits suivants :

Premièrement, il est affirmé quatre fois dans cette épître, et en termes exprès, que l’immolation du Calvaire fut un sacrifice, vii, 27 ; ix, 14 ; ix, 28 ; x, 14. Or, à deux de ces endroits, vii, 27 ; ix, 14, l’auteur note que le Christ s’est offert lui-même, éaurôv àvevévxaç ; èauxôv Trpoar)veyy.ev. Deuxième fait : pour désigner l’immolation du Christ, l'épître dit tantôt qu’il a offert son propre corps, x, 5-10, tantôt qu’il a présenté son sang, ix, 12, 14, etc. Ce sang est appelé celui de l’alliance, x, 29 ; xiii, 20 ; alliance nouvelle, viii, 13 ; ix, 15 ; xii, 24 ; alliance pour la rémission des péchés, x, 16-17. Enfin, la scène du Sinaï où fut scellé dans le sang l’antique pacte de Jahvé avec Israël est rappelée en termes exprès : l’auteur cite les paroles même de Moïse : Voici le sang de l’alliance. ix, 18-20.

Puisqu’il en est ainsi, n’est-on pas amené à tirer la conclusion suivante : S’il est un endroit où, d’après les évangélistes et saint Paul, le Christ s’est offert lui-même, c’est le cénacle. Sans doute, au Calvaire, il mourut parce qu’il le voulut ; pourtant on ne saurait, nier qu’il fut crucifié par autrui, tandis qu’au repas d’adieu aucun tiers n’intervint. C’est lui seul qui se donna. Quant à la distinction du corps et du sang, elle ne s’opéra pas seulement au Golgotha, mais encore à la cène. Les mots de l'épître : oblation du corps, sang, sang de l’alliance, sang de la nouvelle alliance, sang de la nouvelle alliance pour la rémission des péchés, rappellent de la manière la plus indiscutable le vocabulaire du repas d’adieu. La phrase de 825 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SA NATURE

826

Moïse citée par l'épître est celle-là même que Luc fait prononcer par Jésus : Ceci est le sang de l’alliance. Ces constatations n’obligent-clles pas à reconnaître que l’auteur ne peut parler de la croix sans penser en même temps à la cène et qu’en son esprit un concept appelle l’autre. Rien de plus légitime à ses yeux, puisqu’il affirme que le Christ s’est offert en victime dès son entrée dans le monde, x, 5-9, et que, dès cet instant il a été déclaré prêtre par Celui qui l’a engendré, v, 5-6. Il ne semble donc pas que nous dépassions les affirmations du texte si nous disons que, d’après l'Épître aux Hébreux, à la cène déjà, le Christ commençait l’offrande de son corps et. de son sang pour la consommer sur la croix et au ciel.

Un critique peu suspect de complaisance excessive à l'égard de l’exégèse catholique n’a pas été sans remarquer dans cet écrit la connexion qui relie les deux mystères. Après avoir relevé, comme nous l’avons fait plus haut, les phrases où il est parlé de Voblation du corps du Christ et du sang de l’alliance, Loisy ajoute : « Ces deux idées pauliniennes » « essentiellement liées à la cène eucharistique sont à la base de toutes les spéculations de l'Épître aux Hébreux sur le sacerdoce du Christ et sur son sacrifice unique. » La lettre « part en quelque sorte de l’eucharistie pour interpréter en sacrifice le crucifiement de Jésus, la distinction du corps et du sang étant en rapport avec le rituel de la cène. » Les mystères païens et le mystère chrétien, Paris, 1919, p. 351. Nous sommes loin de l’opinion des théologiens anticatholiques d’après lesquels l'épître ignore l’eucharistie. Si au contraire on soutient que, pour l’auteur, le Christ voulut au repas d’adieu offrir à son Père le corps et le sang qu’une fois pour toutes il immola sur la croix, toute difficulté disparaît, l’auteur pouvant le déclarer prêtre selon l’ordre de Melchisédech, sans avoir à parler du pain et du vin qui en eux-mêmes ne sont pas matière d’un sacrifice. Il n’avait pas à mentionner une oblation de la cène distincte de Voblation unique de la croix, puisque pour lui il n’existait qu’une seule offrande, commencée au cénacle et continuée au Golgatha.

III. La cène chrétienne était-elle tenue pour un sacrifice ? — Pour répondre à cette question, interrogeons successivement Jésus et les apôtres.

1° Le renouvellement du repas sacrificiel d’adieu est ordonné par Jésus. — Saint Paul rappelle aux Corinthiens qu’après avoir dit sur le pain : « Ceci est mon corps pour vous », Jésus ajouta : « Faites ceci en mémoire de moi. » De même après avoir prononcé sur la coupe les mots : « Ce calice est la nouvelle alliance dans mon sang », le Christ conclut : « Faites ceci, toutes les fois que vous boirez, en mémoire de moi. » I Cor., xi, 24-25.

Déjà il a été prouvé que le texte ne veut pas dire : « Faites ce pain en mémoire de moi », comme si l’eucharistie était un simple symbole commémoratif. Eucharistie, col. 1054. Il a été aussi démontré que l’Apôtre n’invite pas ici les Corinthiens à se souvenir du Seigneur toutes les fois qu’ils boivent, c’est-à-dire à chacun de leurs repas profanes. Il est visible qu’il leur demande, comme il le dit lui-même aussitôt après, I Cor., xi, 26, de rappeler la mort du Seigneur, quand ils, mangent de ce pain et boivent de ce vin. Ibid., col. 1055. Le sens des deux formules paraît bien clair : « Faites ce que je viens de faire et faites-le en mémoire de moi. » Berning, op. cit., p. 109-110. Jésus a pris du pain, puis ayant rendu grâces, il l’a rompu et a dit : a Ceci est mon corps pour vous. » Il a fait de même avec la coupe et il a prononcé sur elle une formule semblable. Ainsi le Chiist a offert son corps et son sang à Dieu et à ses disciples. Donc, à son exemple, les Douze doivent présenter la même coupe et le même sang à Dieu et aux disciples de Jésus.

Quelques historiens ont même cru découvrir dans le verbe tcoisïv un ordre exprès de sacrifier. Ils rappellent le texte d’Ex., xxix, 3.S. On lit dans les Septante : « Voici ce que tu sacrifieras, noïqas'.ç, sur l’autel : deux agneaux d’un an… A. coup sûr en cet endroit le mot faire veut dire présenter à Dieu en oblation. De même saint Justin, Dialogue avec Tryphon, 41, P. G., t. vi, col. 563, semble avoir donné ce sens à ce verbe ; « l’offrande du pain… était une figure du pain de l’eucharistie que… Jésus-Christ… nous a prescrit de faire, 7roisïv. » Ces deux exemples autorisent, dit-on, à traduire ainsi le texte de saint Paul : Offrez ce pain, cette coupe en sacrifice. Cf. Lamiroy, op. cit., p. 219, n. 1, qui nomme un certain nombre de partisans de cette interprétation.

Que 7ço !, eïv signifie sacrifier dans le passage de l’Exode, tout lecteur le constate. Quant au mot de saint Justin on peut se demander s’il n’est pas simplement une réminiscence des paroles de la cène : « Faites ceci en mémoire de moi. » Mais parce que le verbe faire, uoielv, ne reçoit le sens de sacrifier dans aucun passage du Nouveau Testament, parce que les Pères grecs ne paraissent pas le lui avoir donné, parce qu’enfin, si ce mot doit être ainsi compris dans l’Exode, ce peut être uniquemsnt à cause du contexte, cette interprétation, ne semble pas s’imposer rigoureusement. Lebreton, art. Eucharistie du Diction, apol.. t. i, col. 1565.

L’ordre de réitérer la cène n’est pas attesté seulement par la première Épître aux Corinthiens. D’après saint Luc, Jésus après avoir distribué le pain et dit : « Ceci est mon corps »…ajouta : Faites ceci en mémoire de moi. Seul le contexte court (D) ne rapporte pas cette recommandation. Mais contre cette omission militent tous les manuscrits majuscules en dehors du Codex Bezæ (D), la plupart des autres et toutes les versions. Sur l’authenticité du texte long, voir art. Eucharistie, col. 1073-1074. Luc ne fait pas prononcer de nouveau la formule après la distribution de la coupe du vin. Matthieu et Marc ne la mentionnent pas, du moins en termes exprès. Mais, comme on croit l’avoir montré, de ces faits, il est absolument impossible de conclure que Jésus-Christ n’a - pas donné l’ordre de réitérer la cène. Ibid., col. 1091-1094. Le silence de Matthieu et de Marc n’est pas une négation : il se justifie fort bien. Les deux premiers évangélistes laissent même entendre qu’ils considèrent l’ordre de réitérer la cène comme ayant été donné par Jésus. Sur le repas d’adieu, ils n’ont pas voulu tout dire, leur récit est très court. Puisqu'à l'époque où ils écrivaient, on réitérait la cène, puisque, ce faisant, on croyait obéir à un précepte du Christ, Matthieu et Marc ont à bon droit pu juger qu’il était inutile de reproduire la recommandation du Sauveur. De même Luc ne s’est pas cru obligé de relater tout ce qui s'était passé au repas d’adieu. Cette remarque suffirait à expliquer pourquoi il ne cite qu’une fois l’ordre de réitérer la cène. Des hypothèses vraisemblables et qu’il est superflu de discuter ici ont d’ailleurs pu être proposées pour rendre compte de la place où il met la recommandation : « Faites ceci en mémoire de moi. » Ibid., col. 1094.

Ainsi Jésus a prescrit aux Douze de renouveler le repas d’adieu dans lequel ils voyaient, nous l’avons constaté, un sacrifice de communion, d’alliance et d’expiation.

2° La réitération du repas d’adieu d’après le livre des Actes. — A dessein, ne sont pas mentionnés ici les textes où il n’est certainement pas ou peut-être pas parlé de la fraction eucharistique. Luc, xxiv, 13-35 (la scène d’Emmaus), art. Eucharistie, col. 10651066 ; Gal., ii, 12 (les repas d’Antioche), col. 1059 ; Act., xxvii, 35 (sur le bateau), col. 1060. 827 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SA NATURE

828

1. A Jérusalem (Act., ii, 42-46). — Après avoir raconté le premier discours de Pierre à Jérusalem, le livre des Actes ajoute : ii, 41 : « Ceux qui reçurent la parole… furent baptisés ; et ce jour-là le nombre des disciples s’augmenta de trois mille personnes environ. 42. Ils étaient assidus à entendre la prédication des Apôtres, à vivre en communauté, « participer ù la fraction du pain, t'Î) xXàaei toû &pTou, et aux prières.

Il a été démontré, Eucharistie, col. 1000-1068. que les mots fraction du pain désignent ici l’accomplissement du rite de la cène, l’eucharistie. « Cette opinion est celle de presque tous les exégètes catholiques et de quelques protestants. » Jacquier, Les Actes des Apôtres, Paris, 1920, p. 87. Voir aussi Thomas, art. Agape, dans Suppl. du Diction, de la Bible, t. i, col. 142-143.

Au même chapitre, quelques phrases plus loin, le livre des Actes, dans Une description de la vie des premiers chrétiens, insère ce trait, ii, 40 : « Chaque jour ils étaient assidus d’un même cœur au Temple et rompant le pain à la maison, xXwvxsç te xoct’oïxov ôcp-rov, ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, glorifiant Dieu et trouvant grâce devant le peuple. » De nouveau donc apparaît la locution employée quatre versets plus haut pour désigner l’eucharistie. Aussi un certain nombre de commentateurs croient que cette fois encore les mêmes mots ont le même sens. L’auteur déclarerait que d’une part les premiers fidèles allaient encore prier dans le Temple, et que d’autre part dans leurs maisons privées ils célébraient la cène chrétienne, la fraction eucharistique. Ou bien, on unit les mots rompant le pain à « ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur ». On conclut que la cène se célébrait au cours d’un repas collectif, marqué au coin d’une sainte joie et dépourvu de tout faste. Ou bien, on distingue les deux locutions : rompre le pain et prendre la nourriture. Le livre des Actes raconte alors que les premiers chrétiens prient au Temple, et que dans leurs maisons ils rompent le pain, c’est-à-dire célèbrent la cène. Puis l’auteur ajouterait que « ces deux devoirs accomplis, les fidèles recueillent le fruit de leur double fidélité. Le nouvel Israël mange son pain en liesse, glorifiant Dieu et uni à son peuple. » Rongy, La célébration de l’eucharistie au temps des apôtres, dans Cours et conférences des semaines liturgiques, 1920, p. 183, Louvain, 1927. D’après l’une et l’autre explication, la fraction du pain désignerait ici la cène. C’est l’interprétation proposée déjà dans ce Dictionnaire, Eucharistie, col. 1067, et à laquelle l’auteur reste fidèle. L’opinion contraire était signalée, op. cit., col. 1068, et il faut reconnaître qu’elle est celle d’un grand nombre d’exégètes. Le livre des Actes ferait seulement savoir ici que les premiers fidèles prenaient leur repas en commun dans plusieurs maisons avec joie et simplicité de cœur. Pourtant si Luc ne voulait ici parler que de la nourriture ordinaire, il eût été assez inutile de dire que les chrétiens ne mangeaient pas au Temple mais dans leur maison. Rongy, toc. cit. ; VOlker, op. cit., p. 31.

2. A Troas (Act., xx, 7-11). — Vers l’an 58, l’Apôtre est à Troas avec des compagnons de voyage. « 7. Or, le premier jour de la semaine, comme nous étions réunis, cuvT.yiiivcov, pour rompre le pain, xXâaou apxov, Paul, devant partir le lendemain, s’entretint avec ceux ci (les disciples) et il prolongea son discours jusqu'à minuit… 11. Paul rompit le pain et mangea, puis il parla longtemps encore jusqu’au jour ; après quoi il partit. » Sur ce texte, voir Eucharistie, col. 10591000. L’auteur le marque en termes exprès : on est réuni (c’est la synaxe) pour la fraction du pain, xx, 7. Sans doute, Paul parle pendant toute là nuit. Rien n’est plus naturel : les chrétiens de Troas sont heureux

de l’entendre le plus longuement possible, car il part le lendemain. Il s’entretient donc familièrement avec eux, SteXéysTO, d’abord jusqu'à minuit. Puis, après la chute et la résurrection d’Eutychus, de nouveau, la fraction du pain une fois faite, Paul converse, ôquXJj<mç, jusqu'à l’aurore avec les fidèles qu’il allait quitter. Mais quel qu’ait été Je prix et l’intérêt de cet entrelien pour les disciples de Troas, le livre des Actes dit formellement que la réunion eut lieu à cause de la fraction du pain. Cet acte mentionné deux fois est présenté comme l’essentiel. Des discours de Paul il est dit seulement qu’ils eurent lieu à cette occasion. Ce qui est au centre, c’est le rite eucharistique, la réitération de la cène.

Il faut observer que cette fraction n’est pas un acte extraordinaire, exceptionnel et qui s’accomplit uniquement à cause du passage de l’Apôtre. Le contraire est affirmé en termes exprès : « Le premier jour de la semaine, est-il écrit, comme nous étions réunis pour rompre le pain, » Ces mots ne permettent aucun doute : l’acte s’accomplit régulièrement une fois par semaine. C’est Paul qui le préside, il rompt le pain. Puisqu’il accomplit lui-même ce geste, à Troas, on voit que l’acte lui était familier, ne lui paraissait nullement étrange, mais tout naturel. Déjà par la lecture de ce seul texte on est amené à conclure que la fraction du pain s’opérait dans toutes les Églises où passait l’Apôtre.

Conclusion. — Assurément, le livre des Actes ne nous renseigne pas au gré de nos désirs sur ce qu'était la fraction du pain. Son témoignage est pourtant des plus précieux.

D’abord nous constatons que l’action est en usage aux tout premiers jours de l’existence de l'Église, alors qu’elle fréquente encore le Temple. Déjà les chrétiens ont un rite particulier. Ils l’accomplissent à Jérusalem dans les milieux judéo-chrétiens, et aussi dans les Églises fondées par Paul et où sont admis les païens. L’usage est donc universel. Or, l’auteur même des Actes nous apprend dans son Évangile ce que rapporte aussi la première épître aux Corinthiens, c’est que Jésus, après avoir rompu le pain à la dernière cène, avait ordonné à ses disciples de faire cet acte en mémoire de lui. Nul doute, la fraction des premiers chrétiens est la reproduction de celle du repas d’adieu. Si la première fut un acte sacrificiel lié à l’immolation du Calvaire, la seconde l’est donc aussi. Cette conclusion admise, on s’explique à merveille l’importance de ce rite, on comprend pourquoi avec « la prédication des apôtres et la vie en communauté », il donne son originalité au nouveau peuple de Dieu. Act., ii, 42 De même, l’antithèse entre les prières du Temple et la. fraction du pain se justifie à merveille : ici les sacrifices lévitiques, là ce qui les remplace, l’oblation nouvelle. « Chaque jour les chrétiens étaient assidus d’un même cœur au Temple et rompaient le pain dans leurs maisons… » Si vraiment ce geste est l'équivalent du sacrifice juif, on explique mieux que par toute autre hypothèse les heureux efïets que le livre des Actes attribue à ce rite : il glorifie Dieu, il ménage aux fidèles joie et simplicité de cœur. Act., ii, 40. Enfin, on comprend pourquoi cet acte se répète si souvent, « chaque jour », Act., ii, 40, ou du moins une fois par semaine, Act., xx, 7 : il tient la place des sacrifices qu’Israël répétait perpétuellement. Aussi, même si la communauté a la bonne fortune de recevoir un grand apôtre, elle ne supprime pas la fraction pour pouvoir consacrer tout le temps où elle demeure avec lui à recevoir ses enseignements. Ce rite s’accomplit comme d’ordinaire et c’est lui-même qui le préside.

Reprenant une opinion déjà soutenue (Brandt et Goguel), Lietzmann, op. cit., p. 239, conclut de l’emploi des seuls mots fraction du pain dans le Livre des

Actes que, d’après l’auteur et les fidèles dont il rapporte les usages, la cène se célébrait alors sans bénédiction de la coupe. On l’a fait observer, ce silence n’est pas négation. De tout temps on a, pour abréger, désigné un ensemble de rites par l’un d’entre eux, le premier, le principal ou même un autre. C’est ainsi que le mot messe des catholiques désigne en vertu de l’usage toutes les paroles et tous les rites du sacrifice eucharistique alors que, par son origine et au sens étymologique, il ne fait allusion qu'à, un seul acte. De même si on parle simplement de la manducation de l’agneau pascal, on ne nie pas que tous les autres rites prescrits aient été accomplis. Puisque le livre des Actes ne donne pas une description complète de toutes les opérations de la cène, il n’a pas à mentionner la coupe. L’explication de son silence n’est-elle pas des plus simples ? Les mots fraction du pain et cène avaient même signification. Vôlker, op. cit., p. 38.

Saint Paul et la cène chrétienne.

Saint Paul

nous apprend que les Corinthiens se réunissaient en assemblée, I Cor., xi, 18, 20, 33, 34 ; ils prenaient les uns à côté des autres de la nourriture, xi, 20-22, 33-34, et ils croyaient ainsi manger le repas du Seigneur, xi, 20. Si l’Apôtre leur reproche les fautes qu’ils commettent à cette occasion, il se garde bien de leur interdire cette assemblée. Il veut seulement qu’elle soit ce qu’elle doit être. Aussi leur rappelle-t-il le véritable sens de l’acte qu’ils accomplissent. Pour leur en montrer la sainteté, il leur enseigne qu’il a son origine dans le geste et les paroles de la cène. Après avoir distribué le pain, le Christ a dit : « Faites ceci en mémoire de moi. » La même recommandation a été donnée par lui après qu’il eut fait circuler la coupe de vin. C’est donc pour répéter les paroles, pour réitérer l’acte du Christ sur les deux éléments que l’assemblée a lieu, xi, 23-25, que les fidèles mangent ce pain et boivent ce vin. xi, 26-29.

S’il en est ainsi, le langage de Paul montre que, non seulement la communauté de Corinthe, mais toutes les Églises doivent réitérer le repas du Seigneur. L’Apôtre pour inviter ses correspondants à le faire, n’invoque pas des considérants qui vaudraient pour leur communauté seulement. On doit manger le pain et boire le vin sur lesquels sont prononcées les paroles du Sauveur, parce qu’il a lui-même ordonné de le faire. C’est donc une loi générale qui s’impose à tous les disciples, à toutes les Églises. Ainsi le texte de l'Épître aux Corinthiens nous oblige à conclure que saint Paul donnait à toutes les chrétientés fondées par lui l’ordre de réitérer le repas d’adieu.

Il nous enseigne aussi ce qu’on doit voir en cet acte. Amené à défendre aux chrétiens de prendre part aux banquets sacrés qui accompagnaient les sacrifices païens et où l’on mangeait des viandes consacrées aux idoles, Paul écrit, x, 14 : « C’est pourquoi, mes bien.aimés frères, fuyez l’idolâtrie. 15. Je vous parle comme à des hommes intelligents. Jugez vous-mêmes ce que je vous dis. 16. Le calice de bénédiction que nous bénissons n’est-il pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n’est-il pas communion au <jorps du Christ ? 17. Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes un seul corps, tout en étant plusieurs, car tous nous participons à ce pain unique. 18. Regardez l’Israël selon la chair : Ceux qui mangent les victimes ne sont-ils pas participants de l’autel ? 19. Que dis-je <lonc ? Que l’idole est quelque chose ou que la viande immolée aux idoles est quelque chose ? 20. (Non), mais que la victime immolée par les païens, ils l’immolent au démon et non à Dieu. Or, je ne veux pas que vous entriez en communion avec le démon. 21. Vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur et à la taLle du démon. 22. Ou bien, provoquerez-vous la

jalousie du Seigneur ? Sommes-nous plus forts que lui ? »

Déjà, une étude approfondie de ce morceau l’a prouvé, saint Paul affirme que les fidèles, en participant au pain et à la coupe de la cène, communient véritablement au corps et au sang du Seigneur. Eucharistie, col. 1044-1052. Reste à examiner si ce développement atteste le caractère sacrificiel de la cène chrétienne.

Un premier fait ne semble pas discutable : saint Paul oppose aux viandes mangées après certains sacrifices païens ou juifs le pain que les fidèles rompent à la table du Seigneur, x, 16, 22, et ce qu’ils boivent <luns la coupe du Seigneur, x, 16, 21. « Au repas sacriliciel des païens et des juifs correspond chez les chrétiens la cène. » Lietzmann, op. cit., p. 180, 227.

En conséquence, et ce fait admis, la conclusion ne paraît pouvoir être mise en doute par personne : les mets dont il s’agit, ceux de la réitération de la cène primitive, les aliments eucharistiques sont « quelque chose qu’on peut assimiler à une ôuaîoc ». Allô, La synthèse du dogme eucharistique chez saint Paul, Revue biblique, 1921, p. 323. « Dès là qu’il met la cène en parallèle avec le sacrifice de l’Ancien Testament, saint Paul donne en même temps à entendre que, d’une certaine manière, elle a pour les chrétiens pris sa place. » Vôlker, op. cit., p. 78.

Autre argument qui prouve la même vérité : le païen qui, dans les banquets des sacrifices, mange des viandes consacrées aux idoles, eîSmXoOutov, x, 19, entre en communion avec les démons, x, 20. L’Israélite qui consomme une partie d’un animal offert en sacrifice, Ouata, est en communion avec l’autel. Saint Paul emploie ce dernier mot soit à la place du nom de Jahvé que, par respect, les juifs d’alors évitaient le plus possible de prononcer, soit parce que la transcendance du Dieu d’Israël ne permet pas de penser qu’on communie avec lui directement, mais autorise seulement à penser qu’on reçoit un mets de sa table, soit enfin à cause de l'éminente sainteté de l’autel juif. Matth., xxiii, 18, 20. Qu’importe d’ailleurs le motif pour lequel ce mot a été employé ; ce qui est sûr, c’est que la manducation de la victime juive fait entrer en rapport non seulement avec une pierre sacrée, mais avec Jahvé luimême : le contexte le démontre et d’ailleurs cette conception était communément admise en Israël. Pourquoi les idolothytes mettent-elles en relation avec les démons, et les victimes juives avec Jahvé? L’Apôtre le dit : Parce que les premières ont été offertes en sacrifice aux démons, les secondes à Jahvé. Donc puisqu’il y a un troisième repas sacré, celui des chrétiens, et qu’il fait lui aussi, d’après saint Paul, entrer en rapport avec Dieu, c’est que les mets consommés ont été offerts en sacrifice à Dieu. Le pain que nous rompons est communion au corps du Christ, x, 16, la coupe de bénédiction est communion au sang du Christ, x, 16, parce que ces mets sont des Ouata, des aliments immolés à Dieu. La « double comparaison avec les sacrifices païens et judaïques montre bien que la participation du chrétien au corps et au sang de Jésus-Christ était une participation à un sacrifice réel, et que le pain rompu et mangé, le calice béni et bu avaient été offerts en sacrifice, aussi bien que les animaux immolés à Jéhovah par les juifs et aux idoles par les païens. » Mangenot, art. Autel, 1. 1, col. 2576.

Quelle est cette oblation à laquelle l’eucharistie fait ainsi participer les fidèles ? A coup sûr, d’abord celle de la croix. D’après saint Paul, le Christ fut « la victime propitiatoire par son sang », Rom., iii, 25, et « l’agneau pascal immolé pour nous ». ICor., v, 7. Il s’est « livré à Dieu pour nous comme une oblation et un sacrifice d’agréable odeur ». Eph., v, 2. Aussi l’Apôtre le dit-il formellement aux fidèles : « Toutes les fois que

vous mangez ce pain et que vous buvez ce vin (de la cène chrétienne), vous annoncerez la mort du Seigneur. » I Cor., xi, 26.

Et comme d’autre pari il est bien établi que l’auteur aflirnie la participation réelle du chrétien au « pain unique » de tous les fidèles, au vrai corps et au vrai sang du Sauveur, déjà il faut admettre qu'à la cène les disciples de Jésus reçoivent la chair qui jadis s’offrit d’une manière sanglante sur le Calvaire.

Mais l’eucharistie n’est-elle un repas sacrificiel que par une commémoraison, un rappel, une représentation symbolique de la mort du Christ sur la croix ? Saint Paul ici veut-il dire seulement que le fidèle en réitérant la cène primitive mange le corps et boit le sang qui ont autrefois constitué l’oblation du Golgotha ? Non, à n’en pas douter. La comparaison de l’apôtre va plus loin. Ce que consomment les païens, c’est une viande qui, non seulement a été immolée, mais qui garde ce caractère au moment où on la mange, c’est l’idolothyte. De même, après les sacrifices dits pcciftques, les juifs participent aux chairs de la victime et ces chairs restent au moment même où on s’en nourrit, des viandes sacrées. Elles sont des hosties, 0uaia, elles r.e sont même mangées que pour ce motif, parce qu’elles ont ce caractère.

Si donc la comparaison de Paul a quelque valeur, voici ce qu’elle atteste : Le corps et le sang du Christ en communion desquels entre le fidèle à la cène, n’ont pas été seulement immolés jadis sur la croix. Mais, à la table et dans la coupe du Seigneur, ils sont encore à l'état de victime, Guaia. La présentation des deux éléments, l’un solide, l’autre liquide, l’emploi des deux formules, l’une où est mentionné le corps, l’autre qui parle du sang, aident les fidèles à mieux comprendre et avoir du moins en figure ce caractère de chair immolée, Ouata, que revêt le Christ à la cène. Et parce qu’il n’est pas comme le pauvre animal des rites païens et juifs un être sans âme, parce que dans le sacrifice comme dans tout acte de religion l'élément moral est le plus important, parce que le serviteur de Jahvé « offre sa vie pour le péché » et « intercède pour les coupables », Is., un, 12 ; parce que l'Évangile est le culte nouveau, celui par lequel le Très-Haut est adoré en esprit et en vérité, on est autorisé à tirer cette conclusion : en tout lieu où Jésus est à l'état d’hostie, que ce soit à la cène ou sur la croix, et que l'Écriture le dise en termes formels ou non, il fait à Dieu l’offrande de sa vie et de sa mort, de sa chair et de son sang.

Ainsi, d’après la première Épître aux Corinthiens, l’eucharistie, la réitération par les chrétiens de ce qu’a fait le Christ au repas d’adieu est un banquet sacrificiel, un festin où la victime de la croix, le corps et le sang du Sauveur apparaissent en l'état d’immolation, état que souligne la dualité des éléments représentatifs et des formules prononcées, état dans lequel Jésus ne peut être sans s’offrir intérieurement à son Père. Brir.ktrir.e, cp. cit., p. 34-38.

A l’appui de cet argument on trouve un confirmatur dans la locution table du Seigneur, Tpân : s£a xupîou, qui est employée ici, x, 21. En effet, d’après l’Ancien Testament, le mot table, s’il n’est pas pris dans un sens profane mais religieux, signifie autel. Les cas sont fort nombreux, par exemple : Ez., xli, 22 ; xliv, 16 ; Mal., i, 7, 12. A noter surtout l’Exode, où ce terme est employé seize fois pour désigner la table des pains de proposition, c’est-à-dire l’autel sur lequel on les déposait Aussi est-il tout naturel de penser que la table du Seigneur, c’est son autel et de conclure qu’il y a un sacrifice chrétien. De nombreux commentateurs ont fait cette remarque. Voir Lamiroy, op. cit., p. 194-195 ; Allô, op. cit., p. 324.

Il semble bien d’ailleurs que cette tablé du Seigneur s’oppose à l’autel juif, au OuoiaaTYjpiov. x, 18. Sur

la pierre sacrée du temple de Jérusalem étaient immolés à Jahvé des sacrifices : donc sur cette table du Seigneur que possèdent les chrétiens sont placées des victimes.

L’autre antithèse n’est pas moins suggestive. La table du Seigneur est aussi opposée à la table des démons, x, 21. Cette dernière est, d’après l'Écriture, l’autel païen où l’on opère des sacrifices. Isaïe menace les hommes qui « ont oublié la montagne sainte et dressé une table à la Fortune (d’après la Vulgate), ~C> Sat(jLovîcp TpàneÇav (d’après les Septante) pour offrir des libations ». lxv, 11. Le mot désigne donc bien ici l’objet sur lequel on sacrifie. Les auteurs profanes parlent eux aussi de tables qui sont employées comme autels dans le culte privé. Lamiroy, op. cit., p. 202, n. 2. Pour montrer que ce mot désigne un objet sur lequel sont placées simplement non des viandes à manger, mais des victimes à immoler, on peut encore faire l’observation suivante. Dans les papyrus qui invitent à des festins où sont servies des viandes consacrées aux idoles, les convives sont priés de se rendre non à la table, TpârcsÇa, mais sur le lit, xXeîvrj : « Charémon te prie, te convie pour dîner sur le lit, elç xXefcvnv, du seigneur Sérapis, dans le Sérapéion, etc. » Ou encore : « Antonios, fils de Ptolémaios, te prie de dîner sur le lit, eîç x>£tvY]v, du Seigneur sérapis, chez Clodios, fils de Sérapion, etc. » Grenfell et Hunt, The Oxyrrinchus Papyri, Londres, 1898-1904, 1. 1, n. 110 ; t. iii, n. 523.

On est donc amené à conclure que les mots table des démons désignent l’autel des païens où est immolée la victime, et non ce sur quoi elle est placée pour être mangée. S’il en est ainsi, ce qui dans la même phrase lui est expressément opposé, la table du Seigneur, doit être non pas l’objet sur lequel se trouvent le corps et. le sang du Christ, mais celui sur lequel ce corps et ce sang sont constitués à l'état de victime.

Il est impossible de ne voir dans cet autel que la croix sous prétexte que là seulement Jésus fut mis à mort. Car Paul, dans la même phrase où il parle de la table du Seigneur, a d’abord mentionné comme étant sur le même plan la coupe du Seigneur. Or, cette dernière se rapporte à la cène seule et non au Calvaire. Donc, " il faut aussi admettre que la table du Seigneur est ici l’objet sur lequel le corps et le sang du Sauveur sont constitués en l'état de victime pour être ensuite consommés par les fidèles.

Mais ce rapprochement ne crée-t-il pas à son tour une nouvelle difficulté? La table et la coupe du Seigneur sont juxtaposées dans une même phrase, x, 21. Le premier mot ne fait-il pas penser seulement au repas, puisque le second ne désigne qu’un breuvage ? Les idées d’autel, de victime et de sacrifice seraient ainsi exclues. Comme on l’a fort judicieusement observé, même « si le mot TpàrceÇa désigne directement le saint repas composé de la chair et du sang du Sauveur », ce terme fait image et il présente à l’esprit l’idée d’un objet, pareil à celui sur lequel est immolée la victime offerte aux idoles. Le calice d’ailleurs peut fort bien suggérer la pensée d’une coupe de libation comme la table appelle ici la notion du sacrifice.

Rien ne s’oppose donc à ce que ce terme Tp<x7re£a désigne, au moins d’une manière indirecte, « mais réellement et certainement l’autel chrétien », « une table sur laquelle le corps et le sang de Jésus-Christ ont été offerts en sacrifice et sur laquelle les chrétiens viennent recevoir cette divine nourriture. » Mangenot, loc. cit.

Que si enfin bn se refuse à tirer des seuls mots « table du Seigneur » cette conclusion, ou si, ma gré tous les arguments présentés, on ne veut voir en cet objet que ce sur quoi sont déposés le pain corps et la coupe sang de Jésus, on ne peut pas refuser d’admettre ce qui est affirmé non par deux mots, mais par tout le morceau ici étudié. Ce qui est déposé sur cette table est l'équi

valent des viandes immolées aux idoles par les païens ou à Jahvé par Israël, c’est donc le corps et le sang à l'état de victime, le corps et le sang offerts à la divinité.

Les commentaires dont saint Paul un peu plus loin dans la même épître encadré le récit du repas d’adieu, les recommandations qu’il adresse aux Corinthiens pour assurer sa digne et sainte réitération confirment cette conclusion. A trois reprises il rappelle que les disciples sont tenus de faire de nouveau ce qui a été accompli à la cène, xi, 24, 25, 20. Là, le Christ présent avait donné son corps pour les Douze et présenté à son Père te sanq qui sur la Croix devait sceller la nouvelle alliance. Donc Jésus, dans la cène chrétienne, se manifeste comme ayant été jadis mis à mort ; et pendant que paroles et rites rappellent et figurent extérieurement la séparation de son corps et de son sang, il offre encore une fois à son Père son immolation de la croix. On comprend alors le sens profond du mot de l’Apôtre : « Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous buvez ce viii, vous annoncez la mort du Seigneur ». xi, 26. La recommandation de s’approcher > dignement » de la cène, xi, 27, l’ordre de s'éprouver avant de recevoir les aliments sacrés, xi, 28, les menaces et les châtiments dirigés contre les indignes qui communient au corps du Christ sans le discerner, xi, 29, 30, tout' peut s’expliquer, se justifier par ce seul fait que l’eucharistie donne vraiment aux fidèles la chair et le sang de Jésus et que le profaner c’est « se rendre coupable contre le corps du Seigneur ». xi, 27..Mais il faut convenir que préceptes et sanctions se comprennent mieux encore si la cène est un repas sacrificiel, si la victime du Calvaire s’y retrouve pour de nouveau se donner aux hommes et s’oflrir à Dieu. Qu’on se rappelle les croyances juives et l’enseignement de l’Ancien Testament : « Quant à la chair du sacrifice pacifique, tout homme pur pourra en manger. Celui qui mangera la chair du sacrifice des pacifiques (selâmim) appartenant à Jahvé, en ayant une impureté, celui-là sera retranché de son peuple. Et celui qui touchera quelque chose d’impur, souillure d’homme ou animal impur, ou toute autre abomination impure et qui mangera de la chair de la victime pacifique appartenant à Jahvé sera retranché de son peuple. » Lev., vii, 19-21.

Des critiques croient devoir expliquer par des infiltrations du paganisme ce que dit saint Paul des châtiments inlligés par Dieu aux Corinthiens coupables d’avoir profané le repas du Seigneur : « C’est pourquoi il y a parmi vous tant de gens malades et qu’un bon nombre sont morts. » xi, 30. Il est bien plus naturel de se rappelir ce que raconte si souvent l’Ancien Testament des punitions qui frappaient les profanateurs des choses saintes. L’antique menace, bien connue de Paul et de tous les juifs, se réalise non plus en raison d’impuretés charnelles mais de fautes morales : Ils sont retranchés du peuple ceux qui mangent, sans avoir la sainteté requise, la chair immolée à Jahvé !

Conclusion. — D’après saint Paul, comme les juifs et les païens, les chrétiens ont leur banquet sacré, leur autel, un mets qui a été ofiert en sacrifice et par lequel ils entrent en communion avec Dieu. C’est le pain qu’ils rompent, la coupe qu’ils bénissent en mémoire de Jésus pour annoncer sa mort et pour faire ce qu’il a fait lui-même dans la nuit où il fut livré, i n acte sacrificiel. Le même que les païens par l’idolothyte entrent en rapport avec les idoles, c’est-à-dire avec le démon, de même que les Israélites par la manducation des victimes sacrées participent à l’autel, deviennent les hôtes, les c onvives de Jahvé, se nourrissent des mets de sa table, de même les fidèles s’unissent au Christ à leur repas sacré : le calice est communion à son sang, le pain communion à son corps. Ainsi, par leur cène, les chrétiens entrent dans la plus étroite intimité

DJCT. DE THÉOL. CATH.

avec Jésus et en lui se rapprochent étroitement les uns des autres ; l’eucharistie leur donne à tous même vie, celle du Seigneur, et fait d’eux un seul corps, celui du Christ. Que s’ils reçoivent cette chair sacrée sans avoir les dispositions requises, ils pèchent contre elle et s’exposent au châtiment qui atteignait en Israël les profanateurs des sacrifices lévitiques. Mais, si le pain est un corps immolé, si la coupe contient le sang d’une victime, les actes qui donnent à ce pain, à cette coupe un tel caractère, les rites qui font de ces éléments une hostie, la fraction et la bénédiction, constituent un un sacrifice.

Que tel soit l’enseignement de saint Paul et partant la croyance vers l’an 50 de toutes les Églises fondées par lui, on ne le nie plus guère, on le conteste de moins en moins. C’est ainsi que les deux dernières études publiées sur l’eucharistie, celles de Lietzmann, op. cit., p. 178 sq., 251 sq„ et de Volker, op. cit., p. 79, admettent bon nombre de ces conclusions. Mais, avec presque tous les critiques indépendants, ils prétendent que l’Apôtre a transformé le concept primitif de la cène. Comme ils n’apportent, pour le démontrer, aucun argument nouveau, il suffit de renvoyer le lecteur à l’examen qui a été fait de cette hypothèse. Eucharistie, t. v, col. 1083 sq.

4° L' Épître aux Hébreux. — Cette lettre contient-elle des affirmations qui empêchent ou qui permettent de voir dans la réitération de la cène un sacrifice ?

Nul doute ; des textes formels de cette lettre enseignent que le Christ, prêtre unique de la loi nouvelle, s’ofïre comme victime unique, par une oblation unique pour nous obtenir le pardon de nos péchés. Jésus est « le grand pontife parfait », iv, 14 ; il l’est « pour l'éternité selon l’ordre de Melchisédech ». vi, 20, vii, 21. Tandis que « les prêtres juifs étaient nombreux, parce que la mort ravissait à chacun d’eux sa dignité, le Christ demeurant à jamais, possède un sacerdoce qui ne passe pas ». vii, 23-24. Il « n’a donc pas besoin d’offrir chaque jour des sacrifices d’abord pour ses propres péchés, ensuite pour ceux du peuple ; car il l’a fait une fois pour toutes en s’ofïrant lui-même ». vii, 27. » Lorsqu’il se présenta en qualité de grand prêtre des temps à venir…, il entra une jois pour toutes avec son propre sang dans le sanctuaire, (nous) ayant acquis une rédemption éternelle… » Ce. « sang du Christ qui, par le moyen d’un esprit éternel, s’est offert lui-même sans tache à Dieu, purifiera nos consciences des œuvres mortes… » ix, 11-14. Jésus n’a pas du s’offrir lui-même à plusieurs reprises, de même que le grand prêtre entre chaque année dans le sanctuaire avec du sang qui n’est pas le sien, autrement il aurait été obligé de souffrir plusieurs fois depuis la création du monde. « Mais il s’est montré une (ois, dans les derniers âges pour abolir le péché par son sacrifice… Il s’est offert ainsi une seule fois pour faire disparaître les fautes de la multitude. » ix, 25-28. « Les sacrifices juifs étaient incapables de purifier parfaitement et d'ôter les péchés », x, 1, 2, 4, 11, « le Christ nous a sanctifiés une fois pour toutes par l’oblation de son corps ». x, 10. « Par une oblation unique, il a rendu parfaits pour toujours ceux qui sont sanctifiés. » x, 14.

Ce langage est des plus clairs. Il atteste d’abord que Jésus est le seul souverain pontife de la nouvelle loi. Les grands prêtres juifs se succédaient pour deux motifs : parce qu’ils étaient soumis à la mort, et parce qu’aucun des sacrifices offerts par eux pendant leur vie ne suffisait pour sanctifier à jamais Israël. Or Jésus, au contraire, a immolé une victime qui a obtenu « la rédemption éternelle », ix, 12, et il est « toujours vivant », vii, 25, il est le i célébrant du sanctuaire céleste », viii, 2 ; il y est « entré avec son sang », ix, 12, pour y demeurer < le médiateur d’une alliance nouvelle et meilleure ». viii, G ; ix, 15. « Présent à la face de

X. — 27 83 ;

MESSE DANS L'ÉCRITURE, L'ÉPITRE AUX HEUREUX

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Dieu pour nous », ix, 21, « assis à sa droite », x, 12, « il intercède sans cesse en notre faveur ». vii, 25.

Deuxième affirmation : Le Christ a offert une victime unique, son corps et son sang. Il n’y a pas et il ne saurait y avoir pour le chrétien d’autres hosties. Nombreux étaient les animaux qui, sous la loi juive, pouvaient être immolés au Seigneur et il y avait aussi des oblations non sanglantes. Mais « le sang des taureaux et des boucs était incapable de faire disparaître les péchés », x, -1 ; les sacrifices de la loi « ne pouvaient donner la perfection pour toujours », x, 1 ; Dieu « n’agréait pas ces holocaustes, ces offrandes pour le péché, ces oblations et ces victimes diverses ». viii, 5-7. « Le corps que le Créateur a formé au Christ », vni, '5-10, « le sang » qu’il lui a donné, ix, 12, 14, Jés.us « lui-même », telle est la seule victime de h' loi nouvelle.

Et enfin, à plusieurs reprises et dans les termes les plus formels, il est dit qu’une fois pour toutes cette seule hostie des temps nouveaux a été offerte par l’unique souverain pontife des chrétiens. En Israël, les mêmes sacrifices étaient toujours à répéter parce qu’ils étaient imparfaits. Ainsi le grand prêtre recommençait chaque année le rite de l’expiation dans le Saint des Saints. Mais puisque Jésus s’est offert lui-même sur la"croix, pour entrer ensuite avec son sang dans le ciel, il a donc présenté à Dieu une victime « sans tache », ix, 14 ; apte « à purifier les consciences » du premier coup, une bonne fois et pour toujours, ix, 14. Puisque « son sang » versé sur le Calvaire et introduit ainsi*.dans le tabernacle céleste a détruit le péché, ix, 25-28, on peut dire qu’il « a obtenu une rédemption éternelle ». ix, 12. Aussi l'Épître aux Hébreux déclaret-elle^en termes exprès et à neuf reprises différentes que le Christ n’a pas à « s’offrir plusieurs fois », que son oblation sur la croix est « unique ». iv, 14 ; vii, 27 ; ix, 12 ; ix, 25, 26, 28 ; x, 10, 12, 14.

Cet écrit enseigne-t-il que la réitération de la cène a le caractère d’un sacrifice ? C’est ce que nous rechercherons dans un instant. Mais s’il le dit ou le laisse entendre, déjà un point doit demeurer hors de toute contestation : cette oblation ne fait qu’un avec celle de la croix ; elle ne tend ni à la remplacer, ni à la compléter ; la victime doit être la même, la seule hostie qui ait de la valeur aux yeux des fidèles, le corps et le sang du Christ ; et enfin, les officiants de cet acte ne sauraient intervenir que pour être les porte-paroles, les représentants de l’unique pontife des chrétiens, Jésus, seul grand prêtre de la nouvelle Loi.

Ceci posé, reste à voir si l'Épître aux Hébreux attribue le caractère d’un sacrifice à la réitération de la cène, telle que la célébraient certainement les chrétiens à l'époque où cet écrit fut composé. La réponse à cette question dépend du sens qu’on attribue à la phrase : Nous avons un autel dont ceux-là n’ont pas le droit de manger qui font le service du tabernacle, xiii, 10. Or, il est impossible de discuter cette proposition en l’isolant de son contexte. Le voici : « xiii, 7. Souvenez-vous de vos guides qui vous ont annoncé la parole de Dieu et considérant quelle a été l’issue de leur vie, imitez leur foi. 8. Jésus-Christ est le même hier et aujourd’hui. Il le sera éternellement. 9. Ne vous laissez pas emporter par des opinions diverses et étrangères, car il est bon d’affermir son cœur par la grâce et non par des aliments qui n’ont servi de rien à ceux qui s’y attachent. 10. Nous avons un autel dont n’ont pas le droit de manger ceux qui font le service du tabernacle. 11. Car sont brûlés hors du camp les corps des animaux dont le sang offert en sacrifice pour le péché est porté dans le sanctuaire par le grand prêtre. 12. C’est pour cela que Jésus, lui aussi, devant sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert hors de la porte. 13. Sortons donc tous du camp pour aller à lui, en portant son opprobre. 14. Car nous n’avons

point ici de cité permanente, mais nous cherchons celle qui est à venir. 15. Par lui donc offrons sans cesse à Dieu un sacrifice de louanges, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui honorent son nom. 10. Et n’oubliez pas la bienfaisance et la libéralité, car par de tels sacrifices on se rend Dieu favorable. »

Un critique contemporain a donné de ce morceau une interprétation toute nouvelle. D’après O. Holtzmann, Der Hebrærbrief und dus Abendmnhl, dans Zeitschri/t fur die N. T. Wissensclvtfl, 1909, p. 251200, l'épître combattrait une doctrine et une tendance étrangères au christianisme, doctrine qui attribuerait à l’eucharistie, et non à la grâce, une force spirituelle, tendance à présenter la communion comme un repas de sacrifice où les fidèles mangeraient la chair du Christ offert en victime sur la croix. Au >-. 9 serait dénoncée l’erreur : les fidèles sont invités à ne pas se laisser entraîner vers des opinions contraires à la foi primitive, à ne pas croire que l’on affermit son cœur par certains mets, alors que seule la grâce peut fortifier notre âme. Or, fait observer Holtzmann, il ne peut être question ici ni des idolothytes, ni des aliments purs de la loi mosaïque, ni des viandes des sacrifices juifs, puisqu’on ne mangeait aucune de ces nourritures pour fortifier son cœur. Si plusieurs chrétiens croyaient pouvoir consommer de tels aliments, ce n'était pas pour y trouver une puissance spirituelle. Donc, le mets auquel on attribuait la puissance d’affermir l'âme, au lieu de réserver cet effet à la grâce, ne peut être que l’eucharistie. A cette erreur, la lettre, dans les versets qui suivent, oppose l’enseignement chrétien primitif. Comme l’a maintes fois ailleurs affirmé l'épître, le Christ est une victime expiatoire qui s’est offerte pour le péché, vii, 27 ; viii, 3 ; ix, 26, 28 ; x, 12. En cet endroit même est rappelée cette doctrine : Jésus a versé son sang pour sanctifier le peuple, xiii, 12. Or la loi défendait de manger les viandes des victimes offertes en sacrifice expiatoire, on les brûlait hors du camp, xiii, 11. Il n’y a pas eu d’exception pour la chair du Christ. // a été mis à mort, lui aussi, hors de la ville, xiii, 12. Donc on ne doit pas se nourrir de son corps. Les chrétiens ont un autel, 6uCTtaaxr]piov, il est vrai. Mais c’est le Christ en personne, puisqu’il est sacrificateur et victime, Ouaîa. Ceux qui font l’office du « tabernacle », en d’autres termes du « temple pneumatique du Nouveau Testament », c’est-à-dire les chrétiens, n’ont donc pas le droit de manger de cet autel, xiii, 10. Le faire, c’est abandonner la doctrine primitive. D’après elle les disciples de Jésus n’ont qu’un sacrifice, une victime, un autel, ceux de la croix, oblation unique et définitive, comme le répète maintes fois l'Épître aux Hébreux. Le culte des chrétiens se compose donc exclusivement de la louange et de la prière, xiii, 14, de l’aumône et de la charité, xiii, 10.

Sans aller aussi loin, sans découvrir dans cette lettre une attaque contre l’usage de la communion et contre la croyance au caractère sacrificiel de la cène chrétienne, plusieurs critiques entendent comme O. Holtzmann le ꝟ. 10 : « Nous avons un autel dont n’ont pas le droit de manger ceux qui font le service du tabernacle. » Pour eux aussi, les personnes ici désignées sont les chrétiens et non les prêtres ou lévites juifs. Ces derniers en effet n’avaient nul désir de participer à l’eucharistie. L’auteur n’avait pas à leur dénier ce droit ; il est par trop évident qu’ils ne le réclament ni ne le possèdent. Le sens est donc le suivant : Nous avons un autel dont les chrétiens n’ont pas le droit de manger. Sans doute, l'épître n’ignore pas l’eucharistie et ne se propose pas de la combattre, mais elle ne voit dans la cène ni un sacrifice, ni même un repas, au cours duquel les fidèles recueillent le bénéfice de la mort du Christ. « On ne mange pas de ce qu’il y a sur l’autel chrétien… puisque le seul sacrifice qui procure le

salut », c’est l’oblation du Christ victime par le Christ prêtre. Les fidèles n’ont qu'à chanter les louanges de Dieu et a pratiquer la charité : tels sont les sacrifices de leur culte. Réville. Les origines de l’eucharistie, Paris. 1908, p. 70, 71 ; Goguel, L’eucharistie des origines ù Justin martyr, Paris, 1910, p. 218.

La plupart néanmoins des interprètes anciens et modernes de toute école s’accordent au contraire pour affirmer qu’au v. 10 l'épître dénie, non aux disciples du Christ, mais aux prêtres et lévites juifs le droit de manger de l’autel chrétien. Mais beaucoup, parmi les exégète catholiques qui traduisent ainsi ce verset, ajoutent pourtant qu’il n’est pas parlé en ce passage d’un sacrifice eucharistique. L’autel dont le sacerdoce mosaïque est écarté, mais auquel peuvent participer les fidèles serait, d’après certains protestants du xvie siècle, les oblations qui étaient apportées à la cène, puis distribuées aux ministres et aux pauvres. Cette opinion semble abandonnée depuis longtemps. D’ordinaire, pour ceux qui ne croient pas découvrir ici une allusion à un sacrifice eucharistique, le sens est le suivant : les chrétiens ont un autel dont prêtres et lévites n’ont pas le droit de manger, c’est la croix à laquelle participent les fidèles lorsqu’ils reçoivent les fruits de la Passion ou sont incorporés à. Jésus. Cette opinion est celle de la plupart des protestants et même de plusieurs catholiques : S. Thomas, In Epistolam ad Hebrœos, xiii, 10, Opéra omnia, édit. Vives, t. xxi, p. 729 ; Estius, Commentarium in epistolas sancti Pauli et reliquorum apostolorum, Cologne, 1631, p. 1084 : et un certain nombre d’historiens, exégètes et théologiens modernes. Voir la liste dans P. Hænsler, Zu Hebr., XIII, 10, dans Biblische Zeitschrift, 1913, t. xi, p. 403-409. Parmi eux, il faut citer surtout Renz, Geschichle des Messopferbegriffs, Frisingue, 1902, t. i, p. 112 sq. : 'SYieland, Der vorirenàische Opferbegriff, Munich, 1909, p. 16 sq.

A l’appui de cette opinion, ces auteurs ont fait valoir avec certains des arguments déjà exprimés les considérations suivantes.

L'Épître aux Hébreux ne parle nulle part ailleurs de l’eucharistie et n’y fait même pas allusion. Il serait étrange que subitement elle entretînt ces lecteurs de la cène des fidèles, sujet qui semble sans rapport avec les thèmes généraux développés dans la lettre. Au contraire, l’auteur a étudié longuement le sacrifice de la croix. C’est donc encore à ce dernier que doit se rapporter ce qui est dit de l’autel chrétien.

On est d’autant plus porté à le croire que, dans ce morceau, certaines affirmations s’appliquent en fait à la mort de Jésus. Ainsi, au ꝟ. 12 il est écrit que le Christ versa son sang hors de la porte pour sanctifier le peuple, xiii, 12. Il semble donc impossible que le mot autel employé un peu auparavant et au cours d’un même développement, ne désigne pas la croix ou sa victime. Or, si ce terme doit être entendu au sens figuré, le verbe manger lui aussi qui se trouve dans la même phrase ne peut pas être pris à la lettre. Jésus, dit-on encore, est présenté comme crucifié hors de la ville, c’est-à-dire dans un endroit où il ne pouvait y avoir d’autel proprement dit. Le mot ne doit donc pas s’entendre ici au sens propre. Enfin, l'épître invite les fidèles à sortir hors du camp pour aller ù Jésus, xiii, 13. Celte fois de nouveau, les lecteurs sont mis en présence d’une figure, puisque le Christ n’est plus depuis longtemps attaché à la croix en dehors de la porte de la ville. C’est donc en un sens spirituel qu’il faut entendre tout le verset. Puisqu’en réalité, il n’y a pas d’autel proprement dit, en réalité aussi, il n’y a pas non plus manducation. Tout ici est figure.

Cette opinion et les divers arguments sur lesquels on l’appuie ne rallient pas tous les suffrages. Que J’Kpître aux Hébreux, dans ce passage, parle d’autel

chrétien, c’est-à-dire d’un sacrifice dans lequel le fidèle mange la victime de la croix, ou que du moins il soit fait a cette doctrine « une allusion indirecte », Batifïol, op. cit., p. 111, c’est ce qu’admettent « la plupart des catholiques ». Lamiroy, op. cit., p. 229, n. 3. Certains protestants même, bien qu’ils aient sur l’origine et la nature de la messe des conceptions très différentes des nôtres, croient pourtant qu’ici l'épître parle non seulement de la croix, mais aussi de la cène chrétienne. Drach, Épîlres de saint Paul, Paris, 1871, p. 797, citait comme ayant jadis adopté cette opinion les noncatholiques Bôhme, Bùlir, Ebrard, Riickert, Fausset. On peut encore nommer Westcott, The Epistle lo the Hebreii’s, Londres, 1906, p. 439 sq. ; Goetz, Die heilige Abendmahlsfrage in ihrer geschichllichen Entwicklung, Leipzig, 1907, p. 195 ; Hammond, Notes on the sacrifient aspect of the holij Eucharist, Oxford, 1913, p. 23 sq.

Il semble bien que cette interprétation soit la vraie. Pour le démontrer, pour résoudre toutes les difficultés, il est nécessaire de suivre pas à pas la marche de la pensée.

On ne saurait a priori déclarer ce travail inutile, en prétendant qu’il ne peut être parlé en ce morceau de l’eucharistie parce qu’il n’en est pas question ailleurs. Nous sommes dans la partie morale, vers la fin de la lettre. Là sont recommandées plusieurs vertus que l'épître n’a pas nommées antérieurement : la charité fraternelle, la pureté conjugale, le mépris des richesses, l’obéissance aux supérieurs spirituels. Il est donc impossible de soutenir sérieusement qu’en ce passage le sacrifice eucharistique ne doit pas être mentionné., sous prétexte qu’auparavant l’auteur l’a passé sous silence. Cette doctrine se relie même mieux que d’autres, dont pourtant il est ici parlé, aux thèmes généraux qu’a exposés la lettre : le Christ est médiateur, prêtre selon l’ordre de Melchisédech, victime dont le sang expie le péché. Il semble bien d’ailleurs que l'Épître aux Hébreux fasse en d’autres endroits allusion à l’eucharistie. Voir plus haut, col. 821 sq.

Que recommande ici l’auteur ? Après avoir invité les chrétiens à garder la foi de leurs chefs et de leurs apôtres, une foi toujours pareille à elle-même parce que le Christ est immuable, xiii, 8, il les met en garde contre les doctrines différentes de celles qu’ils ont reçues et qui sont étrangères au christianisme, contre ces enseignements erronés qui attribuent non à la grâce mais à certains aliments, Ppejjiaaw, le pouvoir de fortifier le cœur. Prétendre que l’eucharistie est le mets contre lequel l'épître tient en garde ses lecteurs, c’est supprimer de la phrase où cette nourriture est mentionnée toute une proposition très claire. Le t. 9 ne désapprouve pas des mets quelconques. On y lit cette déclaration : « Il est bon d’affermir son cœur par la grâce et non par des aliments qui n’ont servi de rien à ceux qui y ont eu recours. » Sur le sens de ces derniers mots aucun doute n’est possible. Pour l’auteur de l'Épître aux Hébreux, la nourriture qui n’a servi de rien à ceux qui y ont eu recours, ce sont des mets recommandés par la loi mosaïque, aliments purs ou viandes immolées en certains sacrifices. Or, « il est impossible de rapporter Ppa>u, a<rt.v (aliments) à un usage chrétien et le reste de la phrase à une pratique juive. » Goguel, op. cit., p. 219-220.

A l’objection de O. Holtzmann : les Israélites ne consommaient pas ces mets pour fortifier le cœur, il est déjà possible de répondre qu’en évitant une souillure légale et surtout en communiant aux viandes offertes à Jahvé, ils voulaient se donner de la confiance, ils affermissaient leur âme. ils fortifiaient leur cœur. C’est même exactement ce que raconte l'Évangile : On y voit des juifs mettre leur assurance dans les rites extérieurs et non dans la pureté morale, dans l’amitié de Dieu, dans les dispositions intimes de l'âme. Au

contraire, la communion eucharistique n’a jamais été. considérée par le chrétien comme supplantant la grâce, s’opposant à elle et la rendant inutile. Tout autre est la doctrine des fidèles. Par la communion eucharistique, on obtient la grâce et ainsi on fortifie son cœur. Le quatrième évangile enseigne qu’on « mange la chair du Fils de l’homme » pour demeurer dans le Clirist, pour avoir la vie, la vie par lui, la vie éternelle. Ce pain du ciel est le salut du monde. Joa., vi, 52-58. Il peut ainsi donner la force du cœur. Ce n’est donc pas la confiance en l’eucharistie que condamne l'épître, c’est la foi superstitieuse qui attribue une efficacité imaginaire à des aliments recommandés par la loi juive.

Alors tout naturellement suit le fameux verset : « Nous avons un autel dont ceux qui font le service du tabernacle n’ont pas le droit de manger. » Consolezvous, chrétiens, semble écrire la lettre, ces viandes recommandées parla loi et dont certains juifs font tant de cas, vous n’avez pas à les regretter, vous possédez mieux. Les deux pensées s’appellent et se complètent à merveille.

Car c’est bien ainsi qu’il faut entendre le verset cité plus haut. Le traduire par les mots : Nous avons

autel dont les chrétiens n’ont pas le droit de manger, serait commettre un « contresens ». Batifïol, op. cit., p. 114. La véritable signification des termes employés par l'épître apparaît immédiatement : Ceux qui font le service du tabernacle n’ont jamais été les disciples de Jésus, mais bien les membres du sacerdoce juif. Plus encore que nous, les destinataires de l'épître, venus d’Israël au christianisme, le savaient, et ils étaient incapables de comprendre autrement ces mots. A huit autres endroits, le mot tabernacle est employé dans l'épître : il désigne ou les tentes sacrées dont la loi de Moïse avait prescrit l'érection, viii, 5 ; ix, 2, 3, (3, 8, 21, ou le sanctuaire véritable, plus grand et plus parfait, construit non par la main d’un homme, mais par Dieu, celui du ciel, viii, 2 et ix, 11, où le Christ apparaît comme prêtre à jamais. Nulle part, ni dans cette lettre, ni dans d’autres écrits du Nouveau Testament, les fidèles ne sont appelés « ministres du tabernacle » oî. T7J axTjvT) XocTpeûovTeç. Au contraire, pour désigner les prêtres juifs, l'épître les appelle « ceux qui font le service d’une image, d’une ombre des choses célestes », o’it'.vsç imoSzlyiiot.xoi xal csxià. XaxpEu juctlv tcôv È7toupa<îcov, viii, 5, c’est-à-dire exactement, puisque d’après l'épître, la loi est l’ombre des biens à venir, x, 1, ceux qui font le service du tabernacle de la terre, image de celui du ciel.

O. HoUzmann fait sourire quand, pour justifier sa traduction, il écrit : « Le tabernacle, c’est ici le temple pneumatique du Nouveau Testament. » Il ne suffit pas de le prétendre, il faut le démontrer. Réville et Goguel, il est vrai, croient le prouver en faisant observer que cette proposition les prêtres juifs n’ont pas le droit de manger de l’autel clirétien, serait dépourvue de sens et inexplicable, puisque tout le monde le sait ; et puisque d’ailleurs nul Israélite ne réclame cette faculté. L'épître parlerait donc pour ne rien dire et pour repousser une requête qui n’a jamais été présentée.

Au contraire, il est très facile de découvrir à la phrase ainsi entendue un sens fort plausible et qui s’harmonise à merveille avec l’idée générale de l'épître et le contexte immédiat. La lettre aux Hébreux, on le sait, a été rédigée pour consoler, pour encourager à la persévérance des chrétiens d’origine juive qui pouvaient être tentés de regretter le culte mosaïque et auxquels il fallait montrer la supériorité de la nouvelle alliance, du nouveau sacerdoce, du nouveau sacrifice. Rien de plus naturel, rien de plus adroit donc que cette affirmation. Nous aussi, chrétiens, nous avons un autel, un autel que les juifs ne possèdent pas, un autel auquel prêtres et lévites ne peuvent

participer. Nous n’avons rien à leur envier. Ils pourraient au contraire nous jalouser. A eux, il est interdit par la Loi, Lev., xvi, 27, de consommer les viandes offertes en sacrifice pour le péché. Ils sont tenus de les brûler hors du camp. Et nous, au contraire, bien que notre victime soit elle aussi expiatoire, bien qu’elle ait à ce titre versé son sang pour sanctifier le peuple hors de la porte de Jérusalem, xiii, 12, nous avons le droit de munger de notre autel. Voilà bien ce que donne clairement à entendre l'épître. L’auteur n'écrit pas pour apprendre aux juifs qu’ils ne peuvent participer à l’autel chrétien. Il n’a pas l’intention de leur dénier un droit qu’ils ne réclament pas. Il exalte la supériorité de l'économie nouvelle, selon laquelle les plus humbles fidèles sont mieux traités que ne l'étaient sous la loi mosaïque les juifs les plus pieux, les prêtres et le grand pontife lui-même.

Dans le verset ici étudié, tout mot doit être souligné. Le verbe manger ne peut être pris au figuré, puisque dans la phrase précédente, il est parlé d’aliments réels, ꝟ. 9, et véritablement consommés, puisque dans la proposition suivante il s’agit de victimes proprement dites, celles dont le prêtre juif n’a pas le droit de se nourrir et qu’il faut brûler. Donc, dans la phrase qui se trouve entre ces deux affirmations, le verbe manger doit s’entendre à la lettre.

Le sens du mot autel n’est pas moins facile à déterminer. L'Épître aux Hébreux l’emploie une autrefois, vu, 13. Elle donne à ce terme le sens qu’il a dans tous les passages du Nouveau Testament, et ils sont nombreux, où il désigne l’autel de la terre, ce sur quoi on dépose les offrandes et on immole les victimes ; c’est aussi ce à quoi en certains sacrifices Israël est autorisé à participer. Le mot ne peut désigner les oblations présentées à l’autel par les fidèles en faveur des ministres sacrés. Ce fut tâche aisée pour les anciens exégètes d'établir cette vérité contre les protestants du xvie siècle, tels que Bèze. Il s’agit ici d’une nourriture qui fortifie le cœur, que le sacerdoce juif ne peut consommer, qui n’est déposée ni dans le trésor, ya’Coç'jXâxiov, ni dans les mains du prêtre, ni dans un autre réceptacle, mais sur l’autel, et à laquelle tous les chrétiens ont le droit de participer. Voir Corneille de la Pierre, In Epist. ad Hebrœos, xiii, 10, dans les Commentaria in Scripturam sacram, Paris, 1876, t. xix, p. 519. Puisque l’unique victime expiatoire de la nouvelle loi est le Christ, les fidèles ont pour autel ' sa croix et ce sur quoi ils trouvent la chair du Christ offerte pour les nourrir et affermir leur âme.

Que si on rapproche les deux mots en une seule locution manger de l’autel, la même conclusion s’impose. Autant pour les chrétiens venus de la synagogue cette expression est claire, bien choisie, adéquate à la pensée, si elle veut dire que les fidèles communient vraiment à une victime, autant elle eût été pour eux non seulement étrange, inattendue, trop subtile, en un mot difficile à comprendre, si l’auteur s’en était servi pour enseigner que le chrétien participe aux fruits de la passion ou qu’il doit s’incorporer à Jésus crucifié.

Enfin, on n’a pas le droit de l’oublier, ces mots sont les expressions techniques dont usent les premières Églises pour désigner le repas sacrificiel de la cène. Le verbe manger est celui qu’emploient Paul, Matthieu et Jean pour décrire la communion eucharistique. Et n’y a-t-il pas synonymie entre la locution de l'Épître aux Hébreux, manger de l’autel, et celle de la I r " Épître aux Corinthiens, participer à l’autel ? On l’a justement remarqué : « Les mots Guar'.aaxripiov z, où cpxysïv oùx s/ouaiv ne doivent pas être entendus abstraction faite du vocabulaire eucharistique du quatrième évangile et de la I" Epître aux Corinthiens, ou tout autant de saint Ignace d’Antioche ; ils impliquent une allu

sion indirecte à l’eucharistie. » Batiffol, op. cit., p. 112.

Il n’y a pas jusqu’au présent : nous avons, habemus, èyoafj, qui ne puisse être souligné. Quand l'Épître aux Hébreux et les autres livres du Nouveau Testament parlent de la mort du Christ sur la croix, ils sont bien obligés de mettre au passé le verbe qu’ils emploient, puisque le fait a eu lieu depuis longtemps. I.es exemples se trouvent partout, citons seulement la lettre ici étudiée : « Le Christ entra une fois pour toutes par son propre sang dans le sanctuaire », ix, 12 ; « Il s’offrit lui-même sans tache à Dieu », ix, 14 ; « par une seule oblation il amena pour toujours à la perfection ceux qu’il a sanctifiés », x, 14 ; « ayant été offert une seule fois pour abolir le péché de beaucoup, il apparaîtra une seconde fois ». ix, 28. Or, ici l'épître écrit : « Nous avons un autel. » Donc, elle ne parle pas seulement de la croix érigée jadis et abattue depuis longtemps, où Jésus s’offrit en sacrifice. Mais ici est désigné soit l’endroit où la victime du Calvaire se livre aujourd’hui aux communiants, soit le sacrifice sanglant du Golgotha continué, renouvelé par le Christ afin que les fidèles puissent s’en nourrir. On peut donc soutenir que chaque mot de ce verset oriente la pensée du lecteur vers l’eucharistie et la présente comme un sacrifice.

Mais alors pourquoi donc dans les deux phrases suivantes l’auteur rappelle-t-il la défense faite à Israël de consommer les chairs offertes pour le péché, l’obligation de les brûler hors du camp, xiii, 11 ; et pourquoi ajoute-t-il aussitôt que le Christ lui aussi fut une victime expiatoire et que, comme tel, il versa son sang hors de la porte de Jérusalem ? Pourquoi, sinon pour imposer aux chrétiens la défense de manger de leur autel ?

La véritable explication est tout autre. L'épître a déclaré que le prêtre juif n’a pas le droit de communier à l’autel chrétien. Elle le prouve. Et un peu plus loin, elle invite ses lecteurs à « sortir hors du camp pour aller à Jésus ». Elle doit faire savoir pourquoi cet exode s’impose. C’est parce que le Christ fut crucifié hors de la ville.

Sans doute, la loi du Lévitique, xvi, 27, est formelle : « On emportera hors du camp le taureau et le bouc immolés pour le péché dont le sang aura été porté dans le sanctuaire pour l’expiation, et on consumera par le feu, la peau, la chair et les excréments. » Or, Jésus s’est offert pour les fautes de son peuple afin d’introduire son sang dans le ciel. Mais, toute l'Épître aux Hébreux le prouve, elle a été composée pour l'établir : ces prescriptions mosaïques n’obligent pas l’Israël nouveau, elles n’existent pas pour les bénéficiaires de l’alliance nouvelle et supérieure. « En raison de ce qu’elle avait d’inefficace et d’inutile, la loi jadis existante se trouve abolie. Elle n’a pas en effet conduit les choses à leur perfection et une espérance meilleure apparaît par laquelle nous nous approchons de Dieu. » vn, 18-19. La prescription qui ordonnait de brûler le corps de certaines victimes n'était-elle pas précisément un de ces rites qui, se contentant de détruire, était inefficace et inutile ? Au contraire le droit reconnu aux chrétiens de manger de leur autel, c’est-àdire de communier au Christ, ne les approche-t-il pas de Dieu ? L'épître dit encore : « Puisque le sacerdoce est changé, il y a aussi nécessairement transformation de la Loi. » vii, 12. Il est donc tout naturel que la défense faite aux prêtres et lévites juifs ne soit plus en vigueur pour les chrétiens.

Comment admettre d’ailleurs que l'Épître aux Hébreux ait voulu imposer aux fidèles cette interdiction 9 Qu’on place à n’importe quel point du temps et de l’espace la rédaction de cet écrit, un fait est certain : à l'époque où il est composé, où il apparaît, où il circule de main en main, la cène est réitérée dans les

Églises chrétiennes. La pratique de la communion est bien connue. On en fait remonter l’origine à Jésus lui-même. Peut-on admettre qu’un écrit vénéré des fidèles condamne cet usage, et cela au nom d’un précepte lévitique ? Comprend-on que personne dans l’antiquité ne le lui ait reproché? Réville et Goguel sentent bien que cette hypothèse est irrecevable. Ils l’avouent : on ne peut supposer qu’une pratique « universellement attestée par tous les autres documents primitifs de provenances les plus diverses, ait été inconnue à Rome, à Alexandrie et dans l’entourage de l'écrivain alexandrin à qui nous devons l'Épître aux Hébreux. » Mais la communion n’avait pas à ses yeux l’importance qu’on lui a donnée plus tard. Elle « n'était pas au centre de ses préoccupations et il ne la conçoit pas comme un sacrifice ». Goguel, op. cit., p. 218 ; Réville, op. cit., p. 71. Ces explications embarrassées pèchent contre la logique. Si l'épître défend aux chrétiens de manger de leur autel, elle combat l’usage universellement reçu et ce fait est plus qu’invraisemblable, il est impossible.

La lettre n’enseigne pas d’ailleurs qu’il y ait similitude complète entre les offrandes pour le péché en usage chez les juifs et l’immolation du Christ sur la croix. Elle, reconnaît même que le contraire est vrai. Ainsi les victimes juives étaient égorgées dans le tabernacle où s’opérait le sacrifice et brûlées hors du camp, loin de l’autel. Jésus, au contraire, non seulement versa son sang hors de la porte, mais là encore il offrit son sacrifice : car si l'épître déclare que, dès son entrée en ce monde, le Christ voulut se présenter à Dieu, x, 5, elle montre le rite expiatoire du péché dans l’offrande de sa mort et l’effusion de son sang, ix, 14-15, 22, 20-28. Que conclure ? sinon que tout n’est pas identique dans les sacrifices mosaïques et dans celui du Christ ? La prudence nous invite à ne pas chercher de ressemblances en dehors des deux similitudes que l'épître nous signale : le sang de Jésus comme celui des victimes pour le péché fut offert pour la purification du peuple ; et de même que les animaux immolés dans le tabernacle étaient brûlés hors du camp, ainsi le Christ fut crucifié hors de Jérusalem. L'Épître aux Hébreux ne pousse pas plus loin la comparaison : imitons sa réserve.

La lettre ajoute : « Puisque le Christ mourut hors de la porte, sortons du camp pour aller à lui. » xiii, 13. Cette fois encore, l’auteur passe avec art d’une phrase à l’autre. Nous sommes en face d’une idée nouvelle : les lecteurs sont invités à quitter le judaïsme, mais cette pensée se dégage de la précédente : Jésus fut crucifié hors de la porte. De ce qu’ici le langage est à prendre au sens figuré, il n’y a pas lieu de conclure que les mots autel et manger ne doivent pas être interprétés à la lettre. Les destinataires de l'épître n’ignoraient pas que le peuple juif n’habitait plus sous la tente. Si l'épître aux Hébreux parle souvent de tabernade et de camp, c’est parce qu’elle cite des prescriptions légales contenues dans le Pentateuque et où se trouvent sans cesse ces deux mots. Mais nul lecteur ne pouvait s’y tromper. Chacun savait que le tabernacle était devenu le temple et que le camp avait fait place à la ville. D’autre part, puisqu’il n'était pas défendu à des chrétiens d’habiter à Jérusalem, on ne pouvait se méprendre sur le sens de l’appel donné par l'épître : sortir du camp, aller à Jésus. On était invité à quitter la religion juive pour le christianisme. Au contraire, nous croyons l’avoir prouvé, les mots manger de l’autel chrétien ne pouvaient être compris des lecteurs de la lettre comme signifiant : recueillir les fruits de la passion Dans un cas, il y a une figure qu’expliquent les faits dans le second, il y aurait énigme peu intelligible.

Pourquoi faut-il sortir du camp, quitter le judaïsme et aller au Christ en portant son opprobre ? xiii, 13.

Parce que nous n’avons pas ici de cite permanente. Les épreuves ne durent qu’un temps, et il n’y a pas lieu de s’attarder en une Jérusalem dont nous devrons un jour sortir. Au contraire, nous aspirons à la cité qui doit venir, au ciel où est Jésus, xui, 14. Par lui donc, SC aÙTO’j ouv, offrons à Dieu un sacrifice de louange en tout temps, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui rendent twmmage à son nom. xiii, 15. Ne négligez pas la bienfaisance et la mutuelle charité. Car c’est à ces sacrifices que Dieu prend plaisir, xiii, lfi.

A coup sur, non seulement pour quiconque nie le caractère sacrificiel de l’eucharistie, mais pour les exégètes qui se refusent à le voir attesté en ce passage, la tentation est toute naturelle d’exploiter ces déclarations et de dire : l’unique hostie du chrétien, ou' du moins la seule’dont parle l'Épît re aux Hébreux, la seule qui soit agréable -à. Dieu, c’est celle de leur âme : prière et charité.

Mais pour trouver cette affirmation dans le texte, il faut l’y mettre. L'épître parle en effet du sacrifice de louange. Elle donne le même nom à la bienfaisance et à la communion ou amour mutuel, et elle déclare qu’en ces oblations se complaît le Seigneur. Mais nulle part il n’est dit que nos prières et no ? actes de charité sont les seuls sacrifices des chrétiens.

Pour bien saisir la pensée, il importe de ne rien ajouter, de ne rien retrancher. L'épître a donné ce conseil : quittons le camp, le judaïsme, afin d’aller à Jésus victime expiatoire et de nous diriger ainsi vers la cité future où il habite et à laquelle nous aspirons. La lettre ajoute : Par lui donc offrons à Dieu un sacrifice de louange en tout temps. Ainsi la prière recommandée n’est pas celle du fidèle laissé à lui-même. Il est invité à faire passer sa louange par Jésus, médiateur du Nouveau Testament, grand prêtre des chrétiens, pontife éternel, toujours vivant, afin d’intercéder en faveur de ceux qui par lui vont à Dieu, vii, 25. On le voit, la pensée s’harmonise pleinement avec les thèmes généraux développés dans la lettre.

On peut sans doute admettre que le sacrifice de louange, mentionné ici, est toute prière du chrétien présentée à Dieu par le Christ. Elle est en un certain sens un sacrifice, puisqu’elle constitue une offrande faite au Très-Haut. Déjà un psaume faisait dire à Jahvé ces mots : « Est-ce que je bois le sang des boucs ? Offre en sacrifite l’action de grâces… Celui qui offre en sacrifice l’action de grâces m’honore. » Ps. xlix (Vulg.), 14, 23. Ainsi encore d’après les Septante, Osée invitait Israël à offrir le fruit de ses lèvres, xiv, 3. Ce langage est à la lettre celui qu’on retrouve dans l'Épître aux Hébreux : « … Offrons à Dieu un sacrifice de louange, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui rendent gloire à son nom. » xiii, 15. Plus qu’aucune autre, la prière du chrétien peut être appelée une ablation. Pour parvenir à Dieu, ne passe-t-elle pas par le pontife de la nouvelle Loi, n’est-elle pas ainsi unie à l’offrande qu’il fait de son sang ?

De même, la charité par laquelle l’homme se dépouille et se prive de ses biens en faveur de ses semblables pour plaire au Très-Haut mérite d’une certaine manière le nom de sacrifice. Plus d’une fois déjà, les livres de l’Ancien Testament l’avaient reconnu en des termes qui ressemblent à ceux de l'épître. Citons seulement ce passage : « Rendre grâces, c’est une ablation de fleur de farine et pratiquer la miséricorde, c’est offrir un sacrifice de louange. Ce qui plaît au Seigneur, c’est qu’on s'éloigne du mal. » Eccli., xxxv, 3-5.

L'Épître aux Hébreux demanderait donc aux fidèles sortis du judaïsme « de ne pas oublier, xiii, 16, les plus beaux conseils de l’Ancien Testament, les plus voisins de l'Évangile, mais elle ajouterait que, devenus chrétiens, les Israélites de la veille doivent faire passer par Jésus ces hymnes de louange, ces sacrifices du

cœur. Il n’y a dans cette recommandation ainsi entendue rien qui soit incompatible avec l’existence d’un aul l dont les fidèles ont le droit de manger. De nos jours encore, les prêtres catholiques ne croient pas se contredire et en fait ne s’infligent aucun démenti quand, après avoir conseillé aux fidèles d’assister au sacrifice eucharistique et d’y communier, ils les exhortent à la piété et à l’affection mutuelle. Plus d’une fois il leur arrive d’employer les expressions même de l'épître et de presser les chrétiens d’offrir à Dieu leurs louanges par le Christ, de présenter au Très-Haut le sacrifice d’un cœur contrit et humilié, ou encore de consacrer, d’immoler à leurs frères leur temps et leur travail, leur fortune et leur cœur.

Cette interprétation n’est pas irrecevable. Mais on peut aussi, sans forcer le sens du texte, soutenir que le sacrifice de louange recommandé ici est l’eucharistie. Plusieurs commentateurs anciens et modernes l’ont pensé. Voir De la Taille, op. cit., p. 198 sq., qui nomme Van Galen, Salmeron, L. Tena, Corneille de la Pierre, le commentaire inséré dans le Cursus Scriptural sacras de Migne. Tel paraît bien être aussi le sentiment de Drach, op. cit., p. 798. Des non-catholiques mêmes tiennent cette opinion pour soutenable, comme l’a remarqué Goetz, Die heutige Abendmahlsfrage in ihrer geschichllichen Enlwicklung, Leipzig, 1907, p. 195197.

La supposition n’est pas gratuite. La lettre affirme dans une phrase précédente que les chrétiens ont un autel, elle parle ici de leur sacrifice. Comment ne pas rapprocher ces mots, le OuataoTT/piov et la 8uaia ? D’autre part, deux des thèses les plus importantes de l'épître, thèses non seulement énoncées plus d’une fois mais longuement établies, affirment que le Christ est l’unique pontife de la nouvelle Loi, l’unique victime agréable au Très-Haut. La phrase offrons à Dieu par lui un sacrifice de louange peut très bien signifier : Présentons au Très-Haut par l’unique grand prêtre l’unique victime, son corps et son sang. Le mot donc, oùv, qui accompagne l’invitation « par lui donc offrons », s’explique alors bien mieux. Il vient d'être observé que les chrétiens ont un autel : donc qu’ils s’en servent. Il a été rappelé que Jésus a versé son sang pour purifier son peuple ; donc présentons ce sang par lui à Dieu. On le voit, cette exégèse a le mérite de relier davantage entre elles les propositions voisines et qu’on n’a pas le droit de dissocier les unes des autres. Elle s’accorde fort bien avec les doctrines caractéristiques de l'épître. Elle donne aux mots une minutieuse justesse et une véritable plénitude de sens.

Le mot sans cesse, Sià TCavToç, ne fait pas obstacle à cette interprétation. Sans doute il est recommandé d’offrir en tout temps le sacrifice dont il est ici parlé. Or l’eucharistie peut être célébrée non seulement une fois comme la Pâque juive, mais elle l'était alors chaque dimanche au moins, ou peut-être même plus souvent, toutes les fois qu’une occasion favorable se présentait. Le mot « en tout temps » ne signifie évidemment pas que le sacrifice de louange par le Christ doit être offert sans interruption. D’ailleurs, même si on entend cette locution non de l’eucharistie, mais de l’aumône et de la prière individuelle du chrétien, on convient que la lettre n’ordonne pas de les faire à tout instant du jour et de la nuit.

La phrase qui suit ne s’oppose pas davantage à cette manière d’entendre le texte, peut-être même la recommande-t-elle. « Offrons, est-il dit, un sacrifice de louange à Dieu, c’est-à-dire le fruit des lèvres qui rendent hommage à son nom. » Les interprètes rapprochent volontiers ces mots de la parole du prophète Osée déjà reproduite, et qui se lit ainsi dans les Septante : « Dites au Seigneur votre Dieu… nous vous donnerons en retour le fruit, de ncs lèvres. » xiv, 3. Or,

la cène chrétienne était instituée en mémoire de Jésus pour attester la nouvelle alliance et la rémission des péchés. Matth., xxvi. 2C>-28 : Marc, xiv, 24 ; Lue., xxii. 19^20. A aucun autre moment, nulle part ailleurs, les lèvres des fidèles ne louent davantage et avec plus de piété le Très-Haut. C*est par cet acte qu’on célèbre le mieux ses bienfaits. Aussi, de très bonne heure, l’eucharistie fut appelée l’action de grâces, le sacrifice de louange. Et c’est en la célébrant que les fidèles s’unissent pour glorifier Dieu. On comprend donc que, pour la recommander, l’Apôtre ait écrit ces mots : Par le Christ offrons à Dieu le corps et le sang de Jésus, sacrifice de louange, c’est-à-dire fruit de nos lèvres qui rendent hommage au Très-Haut. Certains commentateurs ont même fait observer que, l’eucharistie s’opérant par la répétition des mots du Christ à la cène, elle est bien le produit, l'œuvre des paroles prononcées au milieu des prières qui glorifient Dieu. Si donc l'épître parle d’elle ici, on s’explique fort bien qu’après l’avoir nommée sacrifice de louange, elle l’appelle le fruit des lèvres qui rendent hommage au nom du Seigneur. Il n’est pas jusqu'à la recommandation faite aussitôt après de pratiquer la bienfaisance et la charité mutuelle qui ne semble plus opportune. Déjà l'épître a loué cette vertu ; il semble bien qu’elle ait tout dit en posant cette règle : « Persévérez dans l’amour fraternel. » xiii. 1. Elle a même signalé plusieurs applications touchantes de ce principe : « N’oubliez pas l’hospitalité. Quelques-uns, en la pratiquant ont, à leur insu, logé des anges. Souvenez-vous des prisonniers comme si vous-mêmes étiez prisonniers et de ceux qui sont maltraités, puisque vous êtes vousmême dans la chair. » xiii, 2-3.

Pourquoi donc la lettre parle-t-elle de nouveau de la charité? Pourquoi le fait-elle en une simple phrase qui se place sans aucune transition après un conseil de piété? Pourquoi appelle-t-elle cette vertu un sacrifice, une Ouata, lorsqu’elle a enseigné qu’il n’y a pour les fidèles qu’une seule victime ? Autant il est difficile de répondre à ces questions, si on croit que la prière ici recommandée est la supplication individuelle du chrétien par Jésus, autant il est aisé de tout expliquer, si on admet qu’en cet endroit l'épître parle de la cène chrétienne, du sacrifice eucharistique. Car les documents les plus anciens nous apprennent qu’on y faisait une collecte, des offrandes et qu’en certains milieux, à Corinthe par exemple, le repas du Seigneur était lié à un banquet fraternel. On comprend alors que l'épître en parlant de l’eucharistie ait donné au lecteur un conseil : quand vous prenez part à ce grand acte, « n’oubliez pas la bienfaisance et la charité mutuelle ». Soyez généreux à la collecte. Par cette aumône, et peut-être aussi par le repas fraternel, mettez en commun, xowwvtoc, vos biens et vos vies. Cette conclusion est alors des plus naturelles. Sans doute l’aumône a été appelée un sacrifice déjà dans l’Ancien Testament, voir plus haut ; mais elle l’est surtout lorsque par elle le fidèle unit son offrande à l’oblation eucharistique, lorsqu’il présente à Dieu son aumône avec le sang de l’unique victime. A la lettre, elle est alors un sacrifice agréable à Dieu.

Rapprochées les unes des autres, toutes ces remarques donnent une réelle valeur à l’opinion qui voit dans cette partie de l'épître une mention du sacrifice eucharistique, et c’est avec raison, semble-t-il, qu’un auteur non catholique écrivait : « Il pourrait bien y avoir ici, comme Spitta l’a remarqué, une allusion à la cène considérée comme sacrifice, car la notion de sacrifice fut à la cène, de bonne heure déjà, étroitement unie avec ce dont il est parlé ici, la confession du nom de Jésus, la louange et l’action de grâces, la bienfaisance et la charité mutuelle. » Goetz, op. cit., p. 196-197.

Que fait le Christ au moment où s’opère l’eucharistie ? L'Épître aux Hébreux répond à cette question en des termes qui ne laissent place à aucune équivoque.

Elle l’enseigne et le démontre : il n’y a pas, il ne peut pas y avoir de sacrifice au ciel. Parce que l’oblation de Jésus fut unique, elle doit le rester. La thèse contraire des sociniens se heurte non pas à un mot, à une phrase isolée, mais à une doctrine fondamentale qui est au cœur même de la lettre, et qui dans le système théologique de l’auteur apparaît comme la pièce maîtresse.

Longuement, avec complaisance, sans craindre de descendre jusqu’aux menus détails, l'épître compare la mort du Christ au grand rite de l’expiation annuelle du Yom Kippour. « Une fois l’an, le grand prêtre juif entre dans la deuxième tente, dans la seconde partie du tabernacle », ix, 7, dans le Saint des Saints où au milieu de son peuple trône la majesté divine. S’il peut y pénétrer, c’est « parce qu’il porte du sang offert par lui pour ses propres péchés ainsi que pour ceux du peuple ». ix, 7. Il en asperge le propitiatoire d’or où entre les chérubins Jahvé a fixé en Israël le trône de sa majesté. Mais, parce que le sang des animaux ne peut que « procurer la pureté de la chair », ix, 13, parce qu’il est « incapable d’enlever les péchés », x, 4, il est nécessaire de renouveler ce rite chaque année, x, 1-4. Aussi grands prêtres et victimes se succèdent sans cesse pour le renouvellement périodique d’une expiation qui est toujours à recommencer.

Au contraire, les chrétiens ont pour pontife suprême Jésus « qui ne meurt pas », vii, 24 et qui « parfait, n’a pas besoin de sacrifier d’abord pour ses fautes personnelles ». vii, 27. Il a offert l’unique victime agréée de Dieu, son propre corps, x, 1-10. Puisque cette oblation fut elle-même excellente, puisque le Christ ne peut être mis à mort plusieurs fois, puisque son sacrifice a du premier coup « donné le pardon », x, 18, « purifié les consciences », ix, 14, « aboli le péché », ix, 28, « réalisé l’alliance », x, 15-16, « obtenu la rédemption éternelle. » ix, 12, « rendu parfaits ceux qu’il a sanctifiés », x, 14, l’oblation ne peut, ne doit pas être réitérée. C’est la conclusion à laquelle aboutissent tous les raisonnements et l'épître ne se lasse pas de la répéter, vii, 27 ; ix, 12-15, 25-28 ; x, 1-3, 10, 12, 14.

Par sa mort, une fois pour toutes Jésus est entré dans le véritable sanctuaire dont le Saint des Saints d’Israël n'était que l’ombre et la figure. Avec son sang il a pénétré dans le ciel, il ne s’y trouve pas pour un instant comme jadis le grand prêtre passait dans la seconde tente. A jamais le Christ demeure près de Dieu et ainsi tout est consommé, parce que tout est parfait : prêtre et victime, oblation et efficacité.

Dire avec les sociniens que Jésus n’a pas été prêtre ici-bas et qu’il s’est offert à Dieu seulement au ciel, est « manifestement contraire à la doctrine » de la lettre aux Hébreux. D’autre part, imaginer, sans nier la valeur du sacrifice de la croix, un second sacrifice distinct et différent du premier par le mode d’oblation, rêver d’un sacrifice céleste proprement dit, c’est une thèse « qui n’a pas dans notre épître le moindre fondement ». Prat, La théologie de saint Paul, Paris, 1908, t. i, p. 537 ; Lamiroy, op. cit., p. 221-227 ; De la Taille, op. cit., p. 178-179 ; D’Alès, dans Recherches de science religieuse, avril 1927, p. 178. Aussi les meilleurs parmi les théologiens qui emploient ce mot de sacrifice céleste, n’hésitent pas à le reconnaître. Non seulement il n’y a pas au ciel « une oblation réellement distincte de celle de la croix et de la vie terrestre », non seulement l’intercession de Jésus après sa mort n’appartient pas essentiellement au sacrifice rédempteur, mais elle n’en est même pas « partie intégrante ». Il faut tenir ce langage si on veut que l’unité de l’oblation reste sauve et que » l’immolation

de la croix garde son efficacité propre ». Lepin, L’idée du sacrifice de la messe, Paris, 1926, p. 70.'i.

Est-ce à dire que le Christ entré dans le Saint d’outre-tombe n’y joue aucun rôle ? Nullement, car il y a un « sacerdoce céleste » et l'Épître aux Hébreux le décrit. Jésus est toujours vivant, il demeure « à jamais grand prêtre selon l’ordre de Melcliisédecb », 1'épître ne se lasse pas de l’affirmer, vi, 19 ; vii, 16-17, 21, 24 ; x, 12, etc. « Assis à la droite du trône de la majesté », vui, 1, « à la droite » même « de Dieu », x, 12, « couronné de gloire et d’honneur », ii, 2, il est « le ministre du sanctuaire véritable », viii, 9, « le médiateur de l’alliance éternelle conclue dans son sang », ix, 15 ; xii, 24 ; xiii, 20, « le grand pasteur des brebis », xiii, .20 ; « notre avant-coureur », vi, 19, grâce auquel « les appelés reçoivent l’héritage éternel promis » au peuple de Dieu, ix, 15.

Ces titres ne sont pas de vains mots. Le Christ possède pour exercer pareille fonction des droits et des aptitudes réelles indiscutables. « Parce qu’il a souffert, il est capable de venir en aide à ceux qui sont dans l'épreuve. » ii, 18. « Rendu parfait, il devient, pour tous ceux qui lui obéissent », « pour tous ceux qui vont à Dieu par lui », « cause de salut éternel ». v, 9 ; vii, 25. Il est exalté « pour avoir souffert la mort, afin que, par la grâce de Dieu, ce soit au bénéfice de tous qu’il l’ait goûtée ». ii, 9.

Comment remplit-il cet office ? L'épître répond à cette question en des termes dont la clarté ne laisse rien à désirer. Jésus « dans le temps présent paraît devant la face de Dieu pour nous ». ix, 24. « Il intercède en faveur de ceux qui vont à Dieu par lui. » vu, 23. « Son sang, celui de la purification, parle mieux que celui d’Abel. » xii, 24. Les fidèles sont donc invités à se tourner vers « ce grand prêtre capable de compatir à toutes nos faiblesses ». « Approchez-vous avec confiance pour obtenir miséricorde et pour trouver grâce en vue du secours opportun », iv, 15-16, et pour obtenir « l’héritage éternel ». ix, 15.

Voici donc, d’après l'Épître aux Hébreux, ce qui se passe dans le ciel, à chaque moment où sur la terre se célèbre cette cène chrétienne que l’auteur ne peut pas ignorer — tout le monde en convient aujourd’hui — et qu'à coup sûr il se garde bien de désapprouver et de combattre ; cette eucharistie à laquelle il fait sans doute allusion quand il parle de l’autel dont mangent les fidèles et qui est peut-être pour lui « le sacrifice de louange » offert à Dieu par le Christ et qui s’accompagne des prières et des aumônes des assistants. Il n’y a pas alors nouvelle oblation du Christ, il n’y a ni sur terre, ni au ciel un second sacrifice distinct du premier. Mais à ce moment même Jésus « paraît devant la face de Dieu pour nous », ix, 24, et il se présente en qualité de « prêtre et de médiateur », puisqu’il le demeure à jamais. Parce que ses disciples « vont alors à Dieu par le Christ », « il intercède en leur faveur », vu, 25. Parce qu’ils « présentent au Très-Haut son sang », « celui de l’alliance », « celui du grand pasteur des brebis », « ce sang parle mieux que celui d’Abel ». xii, 24 ; xiii, 20. Ils sont « dans l'épreuve, sa compassion leur vient en aide ». ii, 18. Ils « s’approchent avec confiance du trône de sa bonté », donc ils obtiennent miséricorde et « trouvent grâce en vue du secours opportun ». iv, 15-16. Ils « font alors acte de soumission au Christ », puisque, s’ils renouvellent les gestes de la première cène, c’est sur un ordre dont le souvenir nous est conservé par saint Paul et les Synoptiques, et ainsi se vérifient les promesses de l'Épître aux Hébreux : « Jésus devient pour ceux qui lui obéissent cause de salut éternel », v, 9, de ce salut qu’il peut accorder sans fin à ceux qui « par lui vont à Dieu ». vu, 25.

Ainsi l’auteur de l'Épître aux Hébreux n’ignore cer tainement pas que de son temps on réitère à la cène chrétienne le repas d’adieu. Il ne combat pas cet usage, au contraire. Sans doute, à ses yeux, il n’y a sous la nouvelle Loi qu’un grand prêtre, Jésus, et lui seul est la victime de l’unique sacrifice des chrétiens, celui de la croix..Mais le rite de la cène et l’action du Christ au ciel sont inséparablement unis à l’immolation du Calvaire. Au repas sacré des chrétiens, les fidèles mangent la victime qui a été immolée sur la croix. Et au ciel, Jésus offre pour nous avec ses prières le sang qu’il a versé au Golgotha. Il n’y a pas trois sacrifices distincts, celui de l’assemblée chrétienne, celui de la croix, celui du ciel, il n’y en a qu’un dont la victime et le prêtre sont Jésus. Cette doctrine s’explique à merveille par les croyances des apôtres et des chrétiens venus du judaïsme : pour Israël, la mise à mort d’une victime, l’aspersion de son sang sur l’autel et la manducation d’une partie de ses chairs par les donateurs ou les officiants ne constituent qu’une seule et même offrande rituelle.

-Mais, puisque le pain de la cène chrétienne n’est par lui-même qu’un pain vulgaire, l’acte qui fait de lui la chair immolée à la croix est une opération sacrificielle. L’auteur ne l’a pas dit ; il n’avait pas à exprimer cette vérité, elle aurait même pu paraître contredire sa thèse. Mais il n’aurait pas pu la nier, car les croyances et les usages juifs obligent à nommer sacrifice ce qui fait une victime. Avec indignation, il se serait révolté contre quiconque aurait voulu introduire dans le christianisme un rite nouveau par lequel un prêtre distinct du Christ aurait offert à Dieu une victime autre que le Sauveur. Mais, pour être d’accord avec lui-même, force lui était de penser que l’acte qui fait du pain de la cène le corps de Jésus immolé sur la croix, l’acte qui transforme ce pain en la victime du Calvaire est un sacrifice, non nouveau, certes, et distinct de l’oblation du Calvaire, mais qui la fait revivre un instant ici-bas pendant qu’elle s’achève dans le ciel où elle ne cesse jamais.

5. Conclusion.

- Si on additionne les données des divers livres du Nouveau Testament, on est amené à cette conclusion :

Pour les premiers chrétiens, il y a sacrifice à la cène du Christ et dans le repas eucharistique, parce que le rite accompli fait du pain de la fraction et du vin de la coupe de bénédiction le corps et le sang d’une victime, le corps et le sang offerts sur la croix par Jésus, et dont il rappelle sans cesse au ciel l’ob’ation. En effet, soit par lui-même à la veille de sa mort, soit dans les repas sacrés des chrétiens par celui qui rompt le pain, le Christ se dépouille d’un bien qui est à lui, sa vie, pour la substituer à la nôtre et l’offrir en même temps à Dieu et aux hommes : il veut ainsi à la fois honorer le Très-Haut et le rendre favorable à ses disciples. Parce que ce corps est à la fois par la mort voué à Dieu, par la communion donné aux apôtres et aux fidèles, parce que ce sang est en même temps présenté dans le céleste Saint des Saints et répandu sur les chrétiens, il y a un sacrifice unique de communion, d’alliance et d’expiation, sacrifice qui commença au repas d’adieu pour se consommer au Calvaire, puis au ciel, sacrifice qui se perpétue à la fraction du pain, à la bénédiction de la coupe des communautés chrétiennes. En un mot, ces deux rites sont des sacrifices parce qu’ils font du pain et du vin la victime immolée sur la croix, le corps et le sang du Christ qui s’offre à Dieu pour les hommes.

IV. Comment se célébrait d’après les livres du Nouveau Testament la fraction eucharistique ? — 1° Était-elle partie d’un repas plus ample ? — Jésus avait institué l’eucharistie au cours d’un repas d’adieu. Or les communautés primitives avaient reçu l’ordre de réitérer ce qui s'était fait au cénacle. SÏ9 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SES RITES

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Se crurent-elles obligées d’encadrer dans un repas la fraction du pain ?

On se rappelle la description des premiers jours du christianisme que nous a laissée le livre des Actes, ii, 42. « Les fidèles persévéraient dans la doctrine des apôtres et la vie commune, dans la jraction du pain et les prières, 43… Tous les croyants étaient ensemble et avaient tout en commun ! 45. Et ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et ils en partageaient le produit entre tous, selon que chacun en avait besoin. 46. Tous les jours ils étaient assidus d’un même cœur au Temple et rompant le pain à la maison, ils prenaient leur nourriture avec joie et simplicité de cœur, louant Dieu et trouvant grâce auprès de tout le peuple. »

Comme il a été observé plus haut (col. 827), la première fois certainement et peut-être aussi la seconde, la fraction du pain désigne la célébration de l’eucharistie. D’autre part, le livre des Actes souligne fortement le fait que les premiers chrétiens vivaient en commun. Ils avaient donc des repas collectifs. Le Tait n’a d’ailleurs rien d'étrange. On sait que les juifs en pèlerinage à Jérusalem se réunissaient volontiers pour prendre leurs repas, le fait est attesté par Josèphe. Cf. Schiirer, Geschichte des jûdischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, 4e édit., Leipzig, 1909, p. 143 sq. Les apôtres sont des Galiléens et parmi les convertis de la première heure on compte des étrangers. Leurs frères de Jérusalem habitués à recevoir les pèlerins ont donc dû les inviter à leurs tables. Enfin, le livre des Actes insiste sur l’esprit de charité qui anime les premiers disciples ; puisqu’ils mettent leurs biens en commun, il est tout naturel qu’ils se soient réunis pour prendre leurs repas.

La fraction du pain eucharistique s’y plaçait-elle comme au cénacle, où elle avait été partie du banquet d’adieu ? Le texte ne le dit pas formellement. Mais on l’admet d’ordinaire et avec raison ce semble. A côté en effet de la fraction du pain, le livre des Actes signale la vie en commun, ii, 42, et les repas des fidèles, ii, 46. On est au lendemain même de la première cène et dans la ville où elle a eu lieu. Le souvenir en est bien vivant, et on a dû être tenté d’imiter aussi parfaitement que possible ce que Jésus avait ordonné de réitérer. Les fidèles prient au Temple et dans leurs maisons. Ils n’ont pas d'églises où ils pourraient célébrer les rites de l’Israël nouveau. On est donc plus naturellement porté à unir la fraction du pain à un repas. II est encore assez facile de le faire, parce que le nombre des chrétiens n’est pas considérable. Aussi les adversaires même de l’existence d’une agape à l'âge apostolique consentent-ils à reconnaître qu'à Jérusalem, dans les tout premiers jours, la cène chrétienne a pu être célébrée au cours d’un repas. La fraction eucharistique du pain et la bénédiction de la coupe qui l’accompagnait, se distinguaient alors du reste de la cène, comme au cénacle les mêmes rites accomplis par Jésus s'étaient différenciés des autres services du banquet d’adieu. Batiffol, op. cit, p. 117-118.

Mais on ajoute, et déjà des raisons d’ordre pratique suffisent à établir le bien fondé de cette observation : quand à Jérusalem le nombre des chrétiens augmenta, il devint difficile sinon impossible de maintenir la vie en commun, les repas collectifs de tous les membres de l'Église locale. Aucun autre texte ne les signale. « Nous pouvons conclure, écrit Thomas, art. Agape. Supplément au Dictionnaire de la Bible, t. i, col. 144, que le repas communautaire que l’on a voulu appeler l’agape primitive, à Jérusalem même, n’a jamais eu qu’un caractère provisoire, fortuit qui s’explique tout naturellement par les circonstances de la première communauté chrétienne… » Il semble certain que le cas de Jérusalem ne peut pas être allégué pour établir l’existence d’une coutume générale de toutes les commu nautés. Enfin, comme le remarque Vôlker, op. cit., p. 34-35, il n’est pas démontré qu'à ces repas eucharis tiques des tout premiers chrétiens avaient lieu les distributions de nourriture aux veuves dont le livre des Actes parle au chapitre vi, 1-0. Les deux institutions pouvaient ne pas se confondre.

La fraction du pain réapparaît à Troas. Act., xx, 7. On ne voit pas si le rite avait lieu au cours d’un repas fraternel des fidèles. Les partisans même de l’existence d’une agape apostolique l’avouent : « Ce texte ne parle que de la fraction du pain sans faire aucune allusion au souper. Avait-il lieu néanmoins ? Nul n’est en mesure de le dire. » Lcolercq, art. Agapes, Dict. d’archéologie, Paris, 1907, t. i a, col. 784.

La longue durée de la réunion commencée le soir et terminée le lendemain à l’aurore s’explique, sans qu’il soit nécessaire de la considérer comme consacrée à un festin. Les fidèles de Troas ne pouvaient pas se lasser d’entendre l’Apôtre. L’accident causé par la chute, la mort et la résurrection d’Eutychus n’a pas été sans imposer une interruption notable. Sans doute pour faire savoir que l’Apôtre a mangé le pain de la fraction, le livre des Actes dit qu’il l’a goûté, ys-jaipievo ;. Or il emploie ce mot en un autre passage pour désigner un repas ordinaire. Mais ici ce verbe est si intimement rapproché du terme fraction que le sens n’est pas douteux. La phrase : « Paul ayant rompu le pain et l’ayant goûté », xx, 11, ne peut que signifier : l’Apôtre mangea lui-même ce qu’il venait de distribuer aux assistants. Rien donc ici ne prouve que la cène eucharistique s’insère dans un repas proprement dit.

Certaines circonstances semblent insinuer le contraire. « Nous étions réunis pour rompre le pain », est-il écrit, xx, 7, donc seulement pour cet acte. Paul « s’entretient avec les disciples et prolonge son discours jusqu'à minuit ». xx, 7. Dans un repas ordinaire, il y a d’habitude une conversation plus générale. Eutychus est assis sur la fenêtre, « il est accablé de sommeil », xx, 9 : ces circonstances s’expliquent mieux s’il écoute un discours que s’il mange. C’est après minuit seulement qu’a lieu la fraction du pain, xx, 11. Il est difficile de l’associer à un repas du soir, à moins d’admettre que le repas du Seigneur présidé par Paul ait été un plantureux et interminable banquet. L’apôtre aurait-il toléré en sa présence et approuvé par sa participation un tel abus ? Les graves avis qu’il donne à la communauté de Corinthe permettent d’en douter.

Là, un repas proprement dit était uni à la fraction du pain. Le fait est certain, puisqu’il motive les observations de saint Paul, I Cor., xi, 17 : « Je ne vous fais pas compliment de ce que vos réunions ne tournent pas à votre profit, mais à votre dommage. 18. Premièrement, quand vous tenez votre assemblée, j’apprends qu’il se forme parmi vous des groupes séparés… 20. Lors donc que vous vous réunissez ensemble, ce n’est pas le repas du Seigneur que vous mangez. 21. En effet, chacun en se mettant à table, commence par prendre son propre repas et l’un a faim tandis que l’autre s’enivre. 22. N’avez-vous pas vos maisons pour manger et boire ? Ou méprisez-vous l'église de Dieu et voulez-vous faire honte à ceux qui n’ont rien ? 23. Que vous dirai-je ? Vais-je vous louer ? En cela, non, je ne vous loue certes pas. Suit la description du repas du Seigneur. Puis l’Apôtre ordonne aux fidèles de la réitérer de telle manière qu’ils annoncent la mort de Jésus. Il veut donc qu’ils s'éprouvent avant de manger le pain de la fraction et avant de boire la coupe du Seigneur, afin qu’ils ne les reçoivent pas indignement et pour leur condamnation, ꝟ. 21-32. Saint Paul conclut, 33 : « Ainsi donc, mes frères, lorsque vous vous assemblez pour le repas, attendez-vous les uns les autres. 34. Si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison. » 851 MESSK DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRETIEN NE : SES RITES 852

Tous les interprèles de ce morceau s’accordent à le reconnaître : l’habitude d’unir la cène eucharistique à un repas profane avait à Corinthe provoqué de graves abus. Les fidèles formaient des groupes distincts. Us ne s’attendaient pas les uns les autres. Chacun consommait ses propres provisions. Les uns étaient trop bien pourvus et les autres avaient faim. Certains ne rougissaient pas de s’enivrer. Cf. Prat, op. cil., t. i, p. 167.

Mais, sur l’attitude que prend saint Paul en face de ces désordres, l’accord est loin d'être complet. Les historiens qui croient à l’existence d’une agape primitive, ou du moins d’un repas profane dans lequel se plaçait la fraction eucharistique, soutiennent que saint Paul se contente Lci de condamner les abus sans exiger qu’on cesse d’unir la cène à un banquet fraternel. L’Apôtre ordonne aux fidèles de s’attendre pour commencer le repas, xi, 33 ; de ne pas former des groupes qui s’isolent les uns des auties, xi, 18 ; de mettre en commun leurs provisions, xi, 21 ; d'éviter tout excès, xi, 21-22. Plutôt que de commettre pareils abus, on doit manger et boire dans sa maison avant de se rendre à l’assemblée chrétienne, xi, 22, 34. En un mot, l’Apôtre veut que le banquet fraternel ne soit pas en opposition flagrante et grossière avec le repas du Seigneur qui doit suivre. Il réglemente l’agape, donc il ne la réprouve pas. S’il agit ainsi, ne peut-on pas supposer qu’elle est en usage non seulement à Corinthe, mais dans les autres chrétientés fondées par Paul ? C’est une « des institutions du siècle apostolique ». Prat, op. cit., p. 106. Il y a là une « pratique très répandue, celle d’un repas semi-liturgique pris en commun et dont la loi fondamentale est l'égalité de traitement entre les convives et la frugalité des mets qu’on y prend ». Leclercq, op. cit., col. 785. Sans doute, les fidèles ont voulu reproduire plus parfaitement le repas d’adieu du cénacle ; ou encore des coutumes chères au monde antique se sont introduites dans l'Église : l’agape serait une imitation chrétienne soit de repas juifs, par exemple du Kiddusch, soit des festins de collèges, de corporations, soit même des usages religieux qui accompagnaient la manducation des viandes sacrifiées aux idoles.

Au contraire, P. Batiffol, op. cit., p. 100, Ladeuze, Pas d’agape dans la première épîlre aux Corinthiens, dans Revue biblique, 1904, p. 78-81 ; Thomas, loc. cit., soutiennent que saint Paul « interdit absolument » l’usage d’unir la cène à un repas collectif de la communauté chrétienne. L’Apôtre commence par déclarer que les réunions de Corinthe ne sont plus le repas du Seigneur, xi, 20. Aussi oppose-t-il à ce qu’il condamne, au festin fantaisiste et déformé, la cène normale et prescrite, celle du Christ, c’est-à-dire uniquement la communion au pain rompu et au vin béni, xi, 23-25. Voilà, est-il affirmé à deux reprises, ce qu’il faut faire, en mémoire de Jésus, xi, 24, 25 ; c’est l’acte qui annonce la mort du Seigneur, le reste est tout à fait déplacé. Saint Paul n’examine pas si les intentions des Corinthiens ont été bonnes, s’ils ont voulu reproduire plus complètement la cène primitive. Il sait seulement qu’ils ont tort, et déclare ne pouvoir les louer pour leur initiative si malheureuse et dont les conséquences ont été déplorables, xi, 22. Si l’Apôtre avait condamné seulement les abus, aurait-il dit : « N’avez-vous pas vos maisons pour manger et pour boire ? Avez-vous l’intention de mépriser l'église de Dieu ? » xi, 22, cꝟ. 34. Ces mots censurent-ils seulement l’ivresse et la gloutonnerie, les scissions et la vanité? Ne condamnent-ils pas aussi l’usage d’unir à la fraction eucharistique un repas profane collectif ?

Les conseils que donne l’Apôtre pour remédier à la situation ne semblent pas moins clairs. Paul demande aux fidèles de s’attendre les uns les autres, xi, 33. Si elle

s’applique à un repas proprement dit, cette recommandation ne supprime pas, dit-on, les inconvénients provenant de l’inégalité des commensaux et des apports qu’ils pouvaient faire au repas commun, elle les accentue et les souligne. Thomas, op. cit., col. 150. C’est donc pour commencer le repas du Seigneur, la fraction eucharistique du pain, que les fidèles doivent s’attendre. L’observation qui suit serait, elle aussi, très significative : « Si quelqu’un a faim, qu’il mange à la maison. » xi, 34. En d’autres termes, le repas du Seigneur n’est pas fait pour nourrir, rassasier les convives, mais uniquement pour rappeler sa mémoire, annoncer sa mort, faire participer les fidèles à son corps et à son sang, xi, 24-26. Aussi doit-on dire que l’usage d’unir la cène du Christ à un repas profane n’est pas une coutume introduite par saint Paul dans toutes les chrétientés fondées par lui : c’est une pratique locale et non universelle, abusive et non légitime, suggérée peut-être par « le mauvais exemple des associations religieuses païennes », Batiffol, loc. cit., et non par un commandement du Christ ou des apôtres. Il doit disparaître.

A coup sûr, les remarques faites par les adversaires de l’agape apostolique universelle ne sont pas négligeables. Toutefois, quand on lit les recommandations de l’Apôtre, un doute surgit : Si Paul avait voulu interdire absolument toute association d’un repas ordinaire à la cène eucharistique, n’aurait-il pas fait connaître sa volonté en termes moins ambigus et plus impératifs ? La solution ne serait-elle pas la suivante : saint Paul rappelle ici que l’essentiel, ce qui seul importe, c’est le repas du Seigneur, la fraction du pain et la bénédiction de la coupe eucharistique, les gestes qui reproduisent ceux de la cène primitive. Le reste, le repas proprement dit, n’est qu’accessoire, n’a pas de valeur et peut devenir dangereux ; en fait il a engendréde déplorables abus. L’Apôtre les condamne sévèrement et veut qu’ils disparaissent. Il ne croit pas encore pouvoir interdire absolument le repas proprement dit. Mais le principe qu’il a posé entraîne sa disparition. Puisque seul le repas du Seigneur a de l’utilité, de la valeur, une raison d'être, le reste est condamné à disparaître. Vôlker, op. cit., p. 77. Cette hypothèse admise, le cas de Corinthe apparaît comme un fait isolé et purement local. Ce qui est certain, c’est qu’on ne trouve ici aucune trace de l’agape proprement dite, telle qu’on la rencontre beaucoup plus tard, c’est-à-dire un repas de charité offert par la communauté chrétienne à ses pauvres ou à une catégorie de malheureux. L’Apôtre ne dit pas un mot d’une telle institution ni pour la louer ni pour la combattre.

Peut-être est-il encore question d’agapes dans Jud., v, 12 et dans II Petr., ii, 13. Encore n’est-il pas absolument démontréque le texte porte, àYctroxiç, agapes et non àroàTaiç, voluptés. Si on préfère la première leçon, reste à déterminer quel est le sens du mot en cet endroit. S’applique-t-il à la charité ou aux repas fraternels ? Cette seconde signification étant admise, on n’est paà plus avancé, puisque le contexte ne dit pas si ces agapes étaient unies ou non à la fraction eucharistique du pain.

2° Quand et où se célèbre la fraction eucharistique des chrétiens ? — C’est le soir venu, dans la nuit, I Cor., xi, 23, qu’eut lieu le dernier repas du Christ avec les Douze, avant sa mort. Un seul texte nous renseigne en termes exprès sur le moment où se célèbre la cène chrétienne, celui qui raconte la fraction à Troas. Elle eut lieu pendant la nuit. Act., xx, 7, sq. Il en était sans doute de même à Corinthe. Pour ce motif probablement l’Apôtre rappelle que la cène primitive fut célébrée la nuit, non certes dans une nuit d’amusement et d’ivresse, mais dans une nuit tragique entre toutes, celle où le Christ fut livré, xi, 23. Enfin, à 853 MESSE DANS L’ECRITURE, LA CENE CHRETIENNE : SES RITES 854

Jérusalem dans les tout premiers temps, puisque la cène chrétienne était unie à un repas, il est probable aussi qu’elle se célébrait le soir : on allait au Temple pendant le jour.

En cette ville, à l’origine, on peut croire que la fraction se célébrait quotidiennement xaO'-r]tj.spatv Act., ii. 46. Toutefois le fait n’est pas absolument sûr. Ces mots se lisent dans le verset où un bon nombre de commentateurs ne veulent pas voir l’eucharistie. Même si on entend de la fraction du pain et non des repas ordinaires la phrase où se trouve la locution « chaque jour », peut-être ne se rapporte-t-elle qu'à la fréquentation du Temple : « Quotidiennement ils persévéraient d’un seul cœur dans la fréquentation du Temple et, rompant le pain à la maison, ils prenaient leur nourriture avec allégresse et simplicité de cœur. » A Troas, les fidèles se réunissaient le premier jour de la semaine, le dimanche, pour la fraction du pain, xx, 7. On peut croire qu’il en était, ainsi dans les chrétientés qu’avait fondées saint Paul : c’est ce jour-là en effet qu’on devait mettre à part l’argent pour la collecte. I Cor., xvi, 2.

Où se tient l’assemblée ? Le livre des Actes, ii, 46, relate que les chrétiens se réunissent chez des particuliers, dans des maisons privées. Il nomme une de celles où s’assemblent les fidèles : c’est la demeure de Marie, mère de Jean Marc. Act., xii, 12. A Troas, les chrétiens sont réunis en un troisième étage, dans une chambre assez vaste pour qu’il y ait beaucoup de lampes. Act., xx, 7-9. La communauté de Corinthe s’assemble en une « église ». I Cor., xi, 18. Saint Paul oppose ce lieu aux maisons privées où les fidèles mangent et boivent. Toutefois, pour qu’il puisse parler ainsi, pas n’est besoin de supposer que les fidèles possèdent soit un édifice soit une chambre exclusivement réservée au culte, ce que nous appelons aujourd’hui une église. Il suffit que ce mot désigne une assemblée officielle, même si elle se tient dans une maison privée qui sert à d’autres usages.

3* Comment à la cène chrétienne faisait-on, en mémoire du Christ, ce qu’il avait fait à la cène ? — De même que Jésus avait présidé le repas d’adieu, ainsi Paul à Troas dirige l’acte qui le renouvelle, il « rompt le pain t, Act., xx, 11.

Du pain et du vin étaient préparés. Nous avons dit ce qu’il fallait penser de l’audacieuse conception d’après laquelle l’eucharistie primitive ne se composait que de pain. Lietzmann, op. cit., p. 239-249. Les trois Synoptiques et Paul dans le récit de l’institution signalent les deux éléments. Si les Actes ne mentionnent que la fraction, leur silence s’explique aisément et ne peut être tenu pour une négation. Au reste, saint Luc dans son récit de l’institution a parlé de la coupe. La mention de l’alliance qui se trouve dans les autres récits de la cène établit qu’il y a dans l’eucharistie un équivalent du sang versé pour sceller l’alliance mosaïque. Yolker, op. vit :, p. 43, 44. Le quatrième évangile répète à quatre reprises ce que le fidèle doit manger et boire : la chair, le sang du Christ. Joa., vi, 53-56. Le fait paraît plus surprenant encore si on veut bien observer que tout le chapitre traite du pain de vie. Les arguments présentés par l’auteur garderaient leur valeur essentielle même s’il parlait seulement de la chair du Christ. Si donc il nomme le sang, ce ne peut être que pour faire allusion aux deux éléments dont se compose l’eucharistie.

Pour soutenir que l’eucharistie primitive s’est composée exclusivement du pain, il faut préférer à tous ces témoignages si anciens et si importants des textes apocryphes postérieurs, hérétiques ou suspects, Homélies clémentines. Actes de Pierre, de Jean, de Thomas. Présenter une pareille thèse, c’est la discréditer.

En vain, pour l’appuyer, Lietzmann, loc.~ cit., ajoute que primitivement le contenu de la coupe lorsqu’elle s’introduisit était de l’eau, ou du moins pouvait ne pas être du vin. Cette indifférence à l'égard du choix de la seconde matière prouverait qu’elle était tenue pour moins importante et que son emploi ne remonterait pas aux origines. Ce n’est pas le lieu d'étudier les témoignages non bibliques sur l’emploi de l’eau à la cène. Les écrits du Nouveau Testament sont formels. Dans le récit de Matth., xxvi, 29 ; Marc, xiv, 25 ; Luc, xxii. 18, il est parlé du fruit de la vigne. Les synoptiques affirment que le repas d’adieu fut d’une certaine manière un repas pascal ; or, dans ce festin figurait du vin. Paul, il est vrai, ne nomme que la coupe de bénédiction sans préciser quel est son contenu. Au contraire, il présente comme une figure du breuvage spirituel l’eau que Moïse dans le désert fit jaillir du rocher. I Cor., x, 4. Mais aucun doute n’est possible sur l'élément qui d’après lui devait être employé à la cène. La tradition qu’il rapporte est identique à celle que consignent les Synoptiques. Plus encore que les trois évangélistes l’apôtre met le second élément de l’eucharistie en rapport avec le sang, du Seigneur et de l’alliance, avec la mort du Sauveur. Mieux que l’eau, le vin est apte à exprimer cette relation. Enfin, on n’a pas oublié que, reprochant aux Corinthiens leurs abus, il flétrit l’excès du viii, l’ivresse. I Cor., xi, 21-22. Le quatrième évangile parle de l’eau, de l’eau de la vie, de l’eau qui apaise la soif de l'âme, iv, Il sq. ; vii, 38, mais en des endroits qui n’ont aucun rapport avec la cène. On pourrait d’ailleurs faire observer qu’il a aussi nommé le viii, et qu’il l’a fait à l’occasion d’un repas, celui de Cana, iv, 46, où des Pères de l'Église et nombre de critiques indépendants voient un symbole de l’eucharistie. Ce qui est sûr, c’est que dans les discours du dernier entretien de Jésus avec les disciples, ceux qui prennent place après le repas d’adieu relaté par les Synoptiques, le quatrième évangile fait dire à trois reprises par le Christ qu’il est la vigne, xv, 1, 4, 5.

Puisque ces éléments étaient apportés pour que les fidèles fissent en mémoire de Jésus ce qui s'était passé à la cène, il est facile de reproduire le rite.. Le président rendait grâces, ou, en d’autres termes, il bénissait Dieu. Les deux mots eulogie et eucharistie sont synonymes. On les trouve dans les Synoptiques et dans saint Paul. Luc, xxii, 19 ; I Cor., x, 16 ; xi, 24.

Le pain était rompu comme il l’avait été par Jésus, Matth., xxvi, 26 ; Marc, xiv, 22 ; Luc, xxii, 19 ; I Cor., x, 16 ; xi, 24 ; Act., ii, 42, 46 ; xxi, 11, pendant qu'étaient répétées les paroles du Christ sur l’identité de cet aliment et de son corps. Suivait, comme jadis au cénacle, la distribution aux assistants de cette eucharistie. Il n’est pas dit que Jésus l’ait consommée. Nous savons au contraire qu'à Troas le président de la fraction goûte ce qu’il rompt pour le présenter à ses frères.

Sur la coupe de vin était prononcée la parole du Seigneur attestant qu’elle était son sang, le sang de l’alliance, le sang répandu pour beaucoup. Matth., xxvi, 27-28 ; Marc, xiv, 23-24 ; Luc, xxii, 20 ; I Cor., xi, 25. On comprend que l’Apôtre ait appelé la coupe le calice de bénédiction que nous bénissons. I Cor., x, 16. Elle devait alors être donnée aux assistants comme l’avait été à la cène primitive celle dont on reproduisait la distribution.

Pour le même motif encore, afin de faire aussi complètement que possible ce qui avait été accompli au repas du Seigneur, on rappelait la mort du Christ et l’ordre donné par lui de réitérer cet acte pour commémorer son souvenir, jusqu'à ce qu’il vînt. Luc, xxii, 19 ; I Cor., xi, 24-26. 855 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE C HRÉTIENNE : SES RITES 856

4° Le repas du Seigneur s’encadrait-il entre des rites et des prières complémentaires ? — Dans une’même phrase, le livre des Actes juxtapose immédiatement à la fraction du pain, des prières comme si elles suivaient le rite. Il ne détermine d’ailleurs ni leur place ni leur contenu. A Troas, Paul a parlé avant et après la célébration de l’eucharistie. Act., xx, 7, 11.

Ces renseignements sont des plus précieux. Pourtant on désirerait pouvoir les compléter. Il est des hypothèses qui ne manquent pas de vraisemblance. Le Christ a enseigné une prière à ses disciples, le Pater ; l’oraison dominicale se sera placée tout naturellement sur les lèvres des premiers chrétiens lorsqu’ils participaient au repas du Seigneur. Ne contient-elle pas cette demande : « Donnez-nous aujourd’hui le pain nécessaire à notre subsistance. » Matth., vi, 11.

De même, puisque la communauté chrétienne réitérait le repas d’adieu, elle a pu être naturellement portée à rappeler quelques-unes des paroles prononcées par Jésus à la dernière cène. Une tradition qui s’est fixée dans le quatrième évangile en conservait un assez grand nombre. Sans doute, cet écrit parut à une date tardive, quand déjà depuis longtemps les chrétiens célébraient la fraction du pain. Mais les souvenirs qu’il enregistre étaient connus dans beaucoup de milieux avant d'être consignés par écrit. Comment donc ne pas supposer que les membres des toutes premières communautés ne s’en soient pas inspirés, alors que les liturgies beaucoup moins anciennes, celles qui sont encore en vigueur (par exemple le missel romain actuel : Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix) ont puisé à cette source ? En fait, dans les plus anciens textes liturgiques, ceux de la Didachè, on relève des allusions aux paroles contenues dans les discours du quatrième évangile. Il sera facile de le démontrer. Les prières proposées par la Didachè pour l’action de grâces ont des « airs de famille » avec l'évangile de saint Jean, Batiffol, op. cit., p. 75, spécialement avec les paroles sur le pain de vie, vi, avec le dernier discours que le Christ adressa aux Douze, xm-xvii, plus encore avec la prière qui le termine, xvii. On sait qu'à cause de son contenu, beaucoup de critiques, même détachés de toute confession religieuse, ont voulu voir en ce dernier morceau une oraison sacerdotale, celle qui accompagnait le sacrifice du grand prêtre de la Nouvelle Loi.

Certes, il est impossible de soutenir, comme l’a fait Loisy, que cette prière a pu être Vanaphore, l’eucharistie d’un prophète. L’hypothèse est démentie par le ton très solennel d’une prière qui ne peut être placée sur les lèvres d’un homme ordinaire. Du moins, il semble certain que cette oraison et le dernier discours de Jésus à la cène ont dû suggérer maintes locutions aux présidents qui improvisaient la prière eucharistique dans les premières chrétientés. C’est ce qu’affirment beaucoup d’historiens de la liturgie.

L’un d’eux, le P. Salaville, l’a fait observer avec une ingénieuse sagacité : « Le fait de voir unie dans ce discours d’adieu la pensée de la parousie, de la résurrection, de l’ascension et de la pentecôle ; l’insistance de Jésus à parler de l’activité future du Saint-Esprit, le tout en relation directe avec l’eucharistie qui vient d'être instituée et avec la prière que le Sauveur recommande de faire en son nom, c’est-à-dire la divine liturgie, tout cela est bien de nature à porter à croire que le canon de la messe s’est inspiré de ce discours. » Art. Épiclèse, t. v, col. 223.

C’est dans ces chapitres de saint Jean que le même auteur trouve « le fondement scripturaire de l'épiclèse ». Loc. cit., col. 224. A plusieurs reprises en effet, il est parlé du Paraclet dans le discours de la cène. Peut-être est-ce la raison pour laquelle les chrétiens ont introduit dans l’euchologe de la fraction du pain

la prière qui sollicite du Père l’envoi de l’Esprit-Saint afin qu’il rende témoignage à Jésus, Joa., xv, 26, et qu’il le glorifie, xvi, 14. Ainsi l’eucharistie devient la théophanie des trois personnes si intimement unies dans les derniers entretiens du Seigneur avec ses Apôtres. Joa., xm-xvi. A la cène chrétienne se rattachent les grandes promesses faites par Jésus en son discours d’adieu : il reviendra, il enverra le Saint-Esprit, les prières faites en son nom seront exaucées. N’y aurait-il pas là un des motifs tirés de la sainte Écriture pour lesquels les liturgies ont fait place à une épiclèse dans la série des prières eucharistiques ? Salaville, loc. cit., et Les fondements scripluraires de V épiclèse, dans Échos d’Orient, 1909, p. 8-9.

Quelque vraisemblables que soient ces hypothèses, elles ne s’imposent pourtant pas rigoureusement. Au contraire nous connaissons avec certitude par de nombreux témoignages épars dans les livres du Nouveau Testament certains usages religieux des premiers chrétiens. v

De nombreuses attestations des écrits ap./stoliques mentionnent les assemblées chrétiennes où se rencontrent pauvres et riches, Jac, ii, 2, et que déjà certains désertent. Hebr., x, 25. Les hommes se présentent tête nue, les femmes la tête voilée. I Cor., xi, 6-7. On prie debout, à la manière juive, en levant vers le ciel des mains pures. I Tim., ii, 8. On fait des lectures : « Toute Écriture est divinement inspirée, elle est utile pour enseigner, convaincre, corriger, former à la justice. » II Tim., iii, '16. Aussi les livres de l’Ancien Testament que les chrétiens nomment avec vénération et que parfois ils expliquent dans les synagogues, Act., xiii, 15, ne sont pas exclus des réunions chrétiennes. Mais on y lit aussi les lettres de saint Paul, I Thess., v, 27, et des chefs de l'Église Act., xv, 31.

La prédication tient une place importante, sous diverses formes : on enseigne, on exhorte, on commente les Livres saints ; nombreux sont les témoignages surtout ceux du livre des Actes et des Épîtres pastorales qui l’attestent. Mais les femmes n’ont pas mission de parler dans les assemblées chrétiennes : il leur est interdit de le faire. I Cor., xiv, 34. Pour l'édification de la communauté on entend aussi des prophètes, des glossolales, et ceux qui interprètent leur langage lorsqu’ils ne le font pas eux-mêmes. I Cor., xii, 10, 28, 30 ; xiv, 2-39.

Y a-t-il des offrandes ? On apporte certainement le pain et le vin nécessaire pour le repas du Seigneur. Mais nous ignorons par qui et comment ils sont offerts. A Jérusalem, dans les premiers jours, les fidèles mettaient leur bien en commun. Nous savons aussi qu’un service d’assistance est organisé, Act., vi, 1, qu’on pourvoit à la subsistance des veuves, Act., vi, 1, qu’on distribue les aumônes recueillies dans les autres chrétientés. I Cor., xvi, 3 ; Gal., ii, 10. Met-on à profit pour recueillir ces dons ou distribuer ces secours l’assemblée où se célèbre la fraction eucharistique ? C’est possible : toutefois le texte ne l’affirme pas. Act., xx. A Troas n’est mentionnée que la fraction du pain. A Corinthe les fidèles apportent des provisions ; mais ce n’est ni pour les mettre" en commun ni pour les donner aux pauvres ; des riches laissent même des frères manquer du nécessaire à leur côté et connaître la faim. Saint Paul flétrit cet abus. Mais que demandet-il ? La suppression du repas profane ou le partage entre tous des provisions de chacun ? On a vu que la question est controversée. L’Apôtre, il est vrai, adresse aux Corinthiens dans la même lettre la recommandation suivante : « Quant à la collecte en faveur des saints, suivez, vous aussi, les prescriptions que j’ai données aux Églises de la Galatie. Le premier jour de la semaine, que chacun de vous mette à part chez lui et amasse ce £57 MESSE DANS L'ÉCRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SES RITES 858

qu’il peut épargner, afin qu’on n’attende pas mon arrivée pour faire la collecte. » I Cor., xvi, 1-2 ; cf. Rom., xv, 26. L’acte de charité qui est ici conseillé doit avoir lieu le jour du Seigneur. Mais il n’est pas dit que l’aumône était portée à l'église chaque dimanche. C’est à la maison que chacun met de côté la part des pauvres. Saint Paul demande seulement qu’on n’attende pas son arrivée pour remettre les sommes ainsi accumulées.

En dehors donc de l’apport du pain et du viii, l’existence d’autres oblations rituelles n’est pas démontrée. L’hypothèse de Wetter sur les offrandes alimentaires ne peut s’appuyer sur les livres du Nouveau Testament. C’est en vain qu’on invoquerait ici le précepte de Jésus sur la charité fraternelle : « Si tu présentes ton offrande à l’autel et si tu te souviens là que ton frère a quelque chose contre toi, laisse là ton offrande et va d’abord te réconcilier avec ton frère. Alors tu viendras te présenter. » Matth., v, 23-24. Notre-Seigneur enseigne ici, aux juifs, de son vivant, le précepte de la charité. Il fait allusion aux usages alors reçus en Israël, et n’affirme nullement que ses disciples, à la fraction eucharistique du pain, devront apporter une offrande. Les déclarations de Paul sur le droit qu’a tout apôtre de vivre de l'évangile, I Cor., ix, 1-14, ne prouvent pas davantage que les offrandes des fidèles pour ceux qui annoncent la parole, étaient présentées dans l’assemblée chrétienne, à l’occasion de la fraction du pain. Le procédé n’est pas condamné ; il peut être commode, mais nous ignorons s’il était en usage. Sans doute, en deux endroits l’aumône est nommée « un parfum de bonne odeur, une hostie que Dieu accepte et qui lui est agréable », Phil., iv, 18, « un sacrifice ». Hebr., xiii, 16. Si on peut (nous penchons vers cette opinion, mais force nous est de reconnaître qu’elle est loin d'être générale) voir dans le second passage une allusion à des actes de charité accomplis pendant le sacrifice, dans le premier, il semble bien que l’aumône est appelée une hostie au sens figuré. Paul parle des dons que lui ont envoyés par Épaphrodite les chrétiens de Philippes. — Concluons : il est fort probable que les premiers chrétiens ont saisi l’occasion de la fraction pour accomplir des actes de charité. Il en a été ainsi dans la suite. Mais rien ne montre que cet acte était à leurs yeux un sacrifice. Coppens, L’offrande des fidèles dans la liturgie eucharistique ancienne, dans Cours et conférences des semaines liturgiques, Louvain, 1927, t. v, p. 107-108.

Le texte de saint Matthieu cité plus haut explique par contre fort bien l’usage du baiser de paix. Jésus avait exigé qu’avant de présenter son offrande à l’autel, on se réconciliât avec ses frères. Le repas du Seigneur ayant pris la place des antiques sacrifices, avant d’y participer, les fidèles devaient se réconcilier les uns avec les autres, s’accorder un témoignage d’affection. En quatre passages de saint Paul, Rom., xvi, 16 ; I Cor., xvi, 20 ; II Cor., xiii, 12 ; I Thess., v, 26 et dans I Petr., v, 14, les chrétiens sont invités à se donner mutuellement le baiser de paix. La formule est presque la même dans les divers cas : Saluez les frères (Saluez-vous les uns les autres) par un saint baiser (par un baiser de charité). Cette fréquence, cette uniformité, le fait que l’invitation se retrouve presque semblable en certaines liturgies antiques, tout donne à penser que le rite était en usage dans les réunions chrétiennes et probablement à la principale d’entre elles, à la fraction du pain.

Tous ces gestes sont accompagnés d’oraisons. Chez les premiers chrétiens la prière publique est en honneur. On le constate dès l’origine, sans cesse et partout. Les fidèles invoquent Dieu pour leurs frères et pour l'Église. Ils doivent faire des demandes, des requêtes, des supplications, des actions de grâces pour

tous les hommes y compris les rois et ceux qui sont investis de dignités. I Tim., ii, 1-2. Le livre des Actes a conservé quelques prières collectives. I, 24 ; iv, 24-30. Si quelqu’un fait l’action de grâces le peuple doit répondre : Amen. I Cor., xiv, 16.

Ce mot d’assentiment termine d’ailleurs souvent la prière. Plusieurs autres formules conservées dans le Nouveau Testament paraissent bien avoir été employées au cours de la supplication publique : Deo gratias, Grâces soient rendues à Dieu, I Cor., xv, 57 ; II Cor., ix, 15 ; dans les siècles des siècles, Rom., xvi, 27 ; Gal., i, 5 ; Hebr., xiii, 21 ; I Petr., iv, 11 ; Apoc, i, 6 ; par Jésus-Christ Notre-Seigneur, Rom., v, 1, 11, 21 ; vu, 25 ; xv, 30, etc. ; au nom de Notre-Seigneur JésusChrist, I Cor., v, 4 ; Eph., v, 20 ; Que la grâce ou encore que la grâce et la paix soient avec vous (textes très nombreux avec ou sans variantes) ; Je rends ou Nous rendons grâces à Dieu, formule très souvent employée ; Dieu béni à jamais, Rom., i, 25 ; îx, 5 ; II Cor., xi, 31 ; Béni soit Dieu, le Père de Notre-Seigneur JésusChrist. II Cor., i, 3 ; Eph., i, 3 ; I Petr., i, 3.

On peut aussi se demander si les doxologies qu’on trouve maintes fois dans les lettres des apôtres ne sont pas des formules empruntées à la prière liturgique, par exemple : Que la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’amour de Dieu, la communication du Saint-Esprit soient avec vous tous, II Cor., xiii, 13 ; ou encore : De lui, par lui et pour lui sont toutes choses ; à lui la gloire dans tous les siècles des siècles. Amen, Rom., xi, 36.

On croit même découvrir des prières d’un caractère liturgique très accusé, qui semblent n’avoir pas été ou avoir été fort peu modifiées pour être glissées dans une lettre, et qu’aujourd’hui encore on pourrait assimiler aux oraisons liturgiques du meilleur style : Que le Dieu de la patience et de la consolation vous donne d’avoir les uns envers les autres les mêmes sentiments selon Jésus-Christ, afin que tous d’un même cœur et d’une même bouche vous glorifiiez Dieu le Père de NotreSeigneur Jésus-Christ. Rom., xv, 5-6. Peut-être découvre-t-on même des traces de dialogues. Je viens bientôt. — Amen. — Venez, Seigneur Jésusi — Que la grâce du Seigneur Jésus soit avec vous ! — Amen. Apoc, xxii, 20.

Nous avons le droit de penser que ces formules et d’autres semblables furent employées dans la célébration de l’eucharistie. Il n’y avait pas alors de missel fixe. Le président impTovisait l’action de grâces. Tout naturellement donc, lorsqu’il s’appelait Paul, venaient sur ses lèvres les acclamations, les vœux, les doxologies, les oraisons qui se retrouvent da’is ses épîtres. Il est impossible qu’il n’en ait pas été ainsi.

Peut-être même possédons-nous dans l’Apocalypse de véritables anaphores, les actions de grâces d’un prophète authentique. Le voyant assiste à la liturgie du ciel. Il aperçoit le trône de Dieu dans le temple céleste. Et il entend les quatre animaux chanter jour et nuit : Saint, Saint, Saint est le Seigneur Dieu, le ToutPuissant, celui qui a nom : « Il était, i) est, il vient ». iv, 8. Alors les vingt-quatre vieillards se prosternent et s'écrient : « Tu es digne, Notre-Seigneur et Notre Dieu, de te réserver la gloire et l’honneur et la puissance, car c’est toi qui as créé toutes choses : c’est par ta volonté qu’elles existent et furent Urées du néant. » iv, 11. Voilà bien Vanaphore, l’action de grâces pour la création.

Vient l’agneau, et ce mot qui apparaît si souvent dans l’Apocalypse doit être souligné. Il est debout comme égorgé. Les vingt-quatre vieillards tombent devant sa face, ayant chacun une cithare et des coupes en or, remplies de parfums qui sont les prières des saints. Et ils chantent un cantique nouveau : « Tu es digne de prendre le livre et d’en ouvrir 859 MESS ! - ; DANS I/ECRIT U HE, L A CÈNE CHRETTEN.NE : SES RITES 860

les sceaux, car tu as été égorgé et tu as pour Dieu acheté par ton sang des hommes de toute tribu, langue et nation. Tu as fait pour notre Dieu une royauté et des prêtres et ils régneront sur là terre. » v, 9-10. Des myriades et des myriades d’anges disent alors d’une grande voix : « Digne est l’agneau qui a été égorgé de prendre pour lui la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l’honneur, la gloire et la bénédiction. » v, 12. Et toute créature s'écrie : « A celui qui est assis sur le trône et à l’Agneau la bénédiction, l’honneur, la gloire et la domination dans les siècles des siècles. » Et les quatre animaux disent : Amen, v, 13-14. Cette fois, on relève une action de grâces, une anaphore pour la grâce de la rédemption.

Une troisième apparaît : Quand le septième ange eut sonné de la trompette, les « vingt-quatre vieillards qui sont assis devant Dieu sur leurs trônes se prosternèrent sur leurs faces et adorèrent Dieu, en disant : Nous te rendons grâces, Seigneur, Dieu Tout-Puissant, qui es, , qui étais [qui viendras], de ce que tu t’es revêtu de ta grande puissance et que tu règnes. Les nations s'étaient irritées et ta colère est venue ainsi que le moment de juger les morts, de donner la récompense à tes serviteurs, aux prophètes et aux saints et à ceux qui craignent ton nom, petits et grands, et de perdre ceux qui perdent la terre. » xi, 17, 18. On le voit : l’anaphore, l’action de grâces, célèbre cette fois le second avènement, le règne et le jugement de Dieu.

A relever encore les alléluias qui scandent le plus joyeux cantique en l’honneur de la gloire de Dieu et des noces de l’Agneau, xix, 1, 3, 4, 6. Un autre chant grave et puissant retentit : celui de Moïse et de l’Agneau : « Grandes et adorables sont tes œuvres, Seigneur, Dieu Tout-Puissant I Justes et véritables sont tes voies, ô Roi des siècles ! Qui ne craindrait et ne glorifierait ton nom, car toi seul es saint ! Et toutes les nations viendront se prosterner devant toi, parce que tes jugements ont éclaté. » xv, 3, 4. Voilà bien le psaume des temps nouveaux, aussi majestueux qu’enthousiaste et vraiment fait pour la chrétienté naissante, pour les Églises de Paul qui s’ouvraient au large afin de recevoir les païens.

Plus on examine ces morceaux, plus on se convainc que les premières anaphores, les actions de grâces les plus anciennes, les cantiques les plus primitifs et en particulier ceux des prophètes devaient leur ressembler.

Car on chantait dans la réunion chrétienne. « Lorsque vous êtes réunis en Assemblée, écrit saint Paul, tel d’entre vous a un cantique… » I Cor., xiv, 26. « Entretenez-vous les uns les autres, recommande-t-il aux Éphésiens, de psaumes, d’hymnes et de cantiques spirituels, chantant et psalmodiant du fond du cœur pour honorer le Seigneur. » Eph., v, 19. Voir aussi Col., ui, 16. Ainsi on n’abandonne pas les cantiques, les psaumes et les autres chants de l’Ancien Testament. Mais il semble bien que les chrétiens ont aussi leurs cantiques propres ; on a même proposé de voir dans certains morceaux de prose rythmée des fragments d’hymnes chrétiens, par exemple, I Tim., iii, -16 : « C’est un grand mystère de la piété, celui qui a été manifesté en chair, justifié en Esprit, contemplé par les Anges, prêché parmi les nations, cru dans le monde, exalté dans la gloire. » Voir encore Pliil., ii, 5-11. « Bien que le Christ Jésus fût dans la condition de Dieu, il n’a pas retenu avidement son égalité avec Dieu ; mais il s’est anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave, se rendant semblable aux hommes et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui ; il s’est abîmé lui-même se faisant obéissant jusqu'à la mort et à la mort de la croix. C’est pourquoi aussi Dieu l’a souverainement élevé, il lui a donné un nom qui est au dessus de tout nom, afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre ainsi que dans les enfers, et que toute langue confesse, à la gloire de Dieu le l'ère, que Jésus-Christ est son Seigneur. : C’est encore un autre fragment d’hymne que l’on trouverait dans le morceau suivant de I Petr., iii, 18 sq. » " Ainsi le Christ a souflert une fois la mort pour les péchés, lui le juste pour des injustes, afin de nous ramener à Dieu, ayant été mis à mort selon la chair, mais rendu à la vie selon l’esprit, etc. » N’ombre d’historiens n’hésitent pas à voir dans ces morceaux des hymnes au Christ ou des ébauches de la future anaphore, des fragments d’antiques actions de grâces. Voir Lietzmann, op. cit., p 178.

Ces différents actes pouvaient s’accomplir et ces prières se réciter dans des réunions où ne se célébrait pas la cène. Mais ils trouvaient aussi leur place toute naturelle dans les assemblées eucharistiques. Les livres du Nouveau Testament ne nous font pas connaître l’ordre suivant lequel se succédaient les diverses opérations. Mais il n’est pas sans intérêt de les grouper d’après la plus ancienne description de la messe, celle de saint Justin. Tout ce que relate l’apologiste se retrouve dans les livres du Nouveau Testament et ainsi on peut présumer, non sans raison, que l’ordre indiqué par lui est primitif.

Saint Justin.

1. On se réunit le jour du soleil. Apot., i, 67.

2. On lit les mémoires des Apôtres et les écrits des prophètes. Ibid.

3. Discours de celui qui préside pour exhorter à imiter ce qui a été lu. Ibid.

4. Ensuite nous nous levons et tous ensemble nous adressons des prières à Dieu pour tous les hommes, les diverses classes. Apol., i, 67, 65,

5. Baiser de paix. Apol., i, 65.

6. Le pain, du vin et de l’eau sont apportés au président. Apol., i, 65, 67.

7. Celui.qui préside lait monter vers Dieu des prières et des actions de grâces. Apol., i, 67 et 65.

8. Au cours de cette action de grâces, le pain et le vin sont eucharisties par un discours de prière qui vient de.Jésus. Apol., i, 66.

9. Le peuple répond Amen. Apol., i, 65, 67.

10. Distribution aux assistants des mets eucharisties. Apol., i, 65, 67.

11. Aumônes recueillies et distribuées. Apol., i, 67.

Nouveau Testament.

1. On se réunit pour la traction le dimanche. Act., xx, 7 ; I Cor., xvi, 1-2.

2. Lectures des lettres des chefs de l'Église. I Thess., v, 27 ; Col., iv, 16.

3. Parole de Dieu, prédication. 1 Cor., xiv, 26 ; Act., xx, 7.

4. Prières pour tous les hommes. I lim., ii, 1-2.

5. Baiser de paix. Rom., xvi, 16 ; I Cor., xvi, 20.

6. Le président fait ce qu’a fait le Christ, donc prend du pain et du vin. I Cor., xi, 23-25 ; Matth., xxvi, 21, 26, 27 ; Marc., xiv, 22-23 ; Luc., xxii, 19 et 20.

7. Le président fait ce qu’a fait le Christ, donc bénit et rend grâces. I Cor., xi, 24 ; Matth., xxvi, 26-27 ; Marc., xiv, 22-23 ; Luc., xxii, 19.

8. Le président fait ce que le Christ a fait, donc il dit ce que Jésus a dit. I Cor., xi, 23-25 ; Matth., xx vi, 26-27 ; Marc, xiv, 22-23 ; Luc, xxii, 19.

9. Les fidèles répondent à l’action de grâces Amen. I Cor., xiv, 16.

10. Communion sous les deux espèces pour faire ce qui a été fait à la cène. (Mêmes endroits que 8 et) I Cor., x, 16-22 ; XI, 26-29.

11. Le dimanche est mis à part l’argent pour la collecte. I Cor., xvi, 1-2.

La comparaison de ces deux tableaux prouve au moins que les divers actes relatés par saint Justin sont déjà mentionnés sous une forme identique ou équivalente dans les écrits du Nouveau Testament. Que toutes ces opérations se soient dès l’origine succédé 861 MESS]-. DANS L’ECRITURE, LA CÈNE CHRÉTIENNE : SES RITES 862

dans l’ordre où elles se suivaient au temps de 1 apologiste, on peut le croire raisonnablement pour le motif suivant :

A l’origine, un très grand nombre de fidèles, ceux qui venaient du judaïsme, avaient antérieurement à leur conversion fréquenté la synagogue. Dans les premières années, plusieurs s’y rendaient encore, après être devenus disciples de Jésus. Certains d’entre eux y prenaient même la parole et y prêchaient le Christ. Ainsi faisait Paul à Damas, dans l'île de Chypre, à Antioche de Pisidie, Iconium, Thessalonique, Bérée, Corinthe, Éphèse. Act., ix, 20 ; xiii, 5, 14, 43 ; xiv, 1 ; xvii, 1, 10, 17 ; xviii, 4, 19, 26. Rien de plus naturel ni de plus habile, rien aussi de plus légitime. Jésus avait lui-même donné l’exemple, Luc, iv, 16. Les exercices religieux qui s’accomplissaient à la synagogue n’avaient rien de répréhensible, au contraire.

Mais, parce que les premiers fidèles durent se grouper entre eux pour les lectures et prédications, prières et rites spécifiquement chrétiens, parce que l'Église locale admit tôt ou tard dans son sein des néophytes venus du paganisme, parce qu’enfin la Synagogue un jour ou l’autre blasphéma Jésus, puis excommunia ses disciples, les convertis abandonnèrent peu à peu les offices religieux d’Israël pour ne plus se réunir qu’avec leurs coreligionnaires. Les juifs de la veille furent tout naturellement portés à introduire dans leurs assemblées tout ce qu’ils pouvaient garder de la synagogue. A coup sûr, des changements s’imposèrent ; à la Bible juive se joignirent bientôt sur le pupitre du lecteur, les écrits du NouveauTestament, entre lesquels un relief spécial fut donné à l'évangile ». Les croyances nouvelles influèrent sur le texte des prières et des homélies, le choix des leçons bibliques et des cantiques sacrés. Tandis que la célébration du sacrifice juif ne pouvait s’accomplir qu’au Temple, les -chrétiens furent obligés par l’ordre du fondateur de leur religion de réitérer en leurs assemblée l’offrande eucharistique. Ainsi, en ajoutant quelques éléments nouveaux, « l'Église accepta en bloc tout le service religieux des synagogues ». Duchesne, Origines du culte chrétien, Paris, 1889, p. 48.

Ceci étant, que l’on examine de nouveau l’ordre des cérémonies de l’assemblée chrétienne, tel que le décrit saint Justin. Si on excepte l’acte final, les collectes, tout ce qui se passe depuis le moment où on donne le baiser de paix (n. 6, 7, 8, 9, 10) est spécifiquement chrétien, et l’ordre dans lequel se déroulent tous les actes de cette secondepartie est commandi par les circonstances : il ne peut pas être différent.

Restent les premières opérations : or, on l’a remarqué, elles étaient en usage dans le service du samedi matin. Voir Schùrer, op. cit., p. 450-463 ; Elbogen, Der jùdische Gottesdienst in seiner geschichtlichen Entwicklung, Leipzig, 1913. On y trouve :

Réunion le sabbat ;

Lecture de la loi et des prophètes ;

Homélie ;

Bénédictions et prières pour toutes les classes de

personnes ; Prière pour la paix.

Certaines similitudes apparaissent. On a donc conclu qu'à l'âge apostolique, au moment où l'Église se détachait du monde juif, elle a dû lui emprunter pour la première moitié du service religieux l’ordre des opérations du service de la synagogue, celui qui était encore suivi au temps de saint Justin.

Aux opérations qui étaient communes aux juifs et à eux, les chrétiens n’ont eu besoin que d’ajouter la cène eucharistique proprement dite. Donc, si on énumère d’abord, selon l’ordre adopté par l’apologiste, la série des actes religieux attestés par le Nouveau Testament pour les faire suivre de la prière eucharistique telle que

la prescrivent les autres récits de la cène, on obtient les grandes lignes de la messe avec les deux services qui, dès l’origine et jusqu'à nos jours, se succèdent dans toutes les liturgies. Il y a d’abord la préparation appelée aussi messe des catéchumènes, simple forme christianisée de l’ancien service de la synagogue. Vient ensuite la synaxe eucharistique dite messe des fidèles. Les détails, prières, attitudes, gestes, varient avec les siècles et pays. Des arrangements multiples, de nombreuses variantes ont produit les diverses liturgies : toutes remontent à ce même type primitif. Fortescue, La messe, études sur la liturgie romaine, trad. Boudinhon, Paris, 1921, p. 10-11 ; Cabrol et Leclercq, Monumenta Ecclesix liturgica, Paris, 1900, t. i, p. xix-xxxii ; Cabrol, Origines liturgiques, Paris, 1906, p. 330-333 ; Baumstark, Die Messe im Morgent and, Munich, 1906, p. 24-26 ; Vom geschichtlichen Werden der Liturgie, Fribourg, 1923, p. 13 sq.

Peut -on pousser plus loin les comparaisons, rapprocher les prières et usages chrétiens primitifs de formules et de rites juifs de l'époque, par exemple de ceux de la Pàque ou du Kiddousch, c’est-à-dire du repas de la veille au soir du sabbat ?

Déjà on a démontré l’originalité absolue et irréductible de ce qui caractérise la cène chrétienne : l’emploi des mots Ceci est mon corps, ceci est mon sang, prononcés sur le pain et la coupe eucharistique : on ne trouve rien d'équivalent ni dans la Pâque ni dans le Kiddousch. Cf. Eucharistie, col. 1110-1112 ; E. Mangenot, Un soi-disant antécédent juif de l’eucharistie, dans Revue du clergé français, 1905, t. Lvn, p. 385 sq., reproduit dans Les évangiles synoptiques, Paris, 1911, p. 435 sq.

Quant à la liturgie qui encadre les deux formules prononcées sur le pain et la coupe, les auteurs mêmes qui ont voulu la comparer avec les cérémonies du rituel pascal (Probst, Bickell, Thibaut) ou avec celles du Kiddousch (Von der Golz, Drews, Rauschen), justifient leur sentiment, non par un examen de textes bibliques, mais par l'étude d’autres documents (par exemple la Didachè ou les Constitutions apostoliques).

Si on ne considère que les écrits du Nouveau Testament, il est, pour plusieurs raisons, impossible de prouver que les prières et usages non essentiels de la cène apostolique se rattachent à ceux des juifs. D’abord, il n’est pas démontré qu'à cette époque, chez les premiers disciples, des formules et des rites officiels soient uniformément répétés dans toutes les églises ou dans plusieurs, ou dans l’une d’elles. Déplus, s’il y en a, les écrits bibliques ne nous les font pas connaître avec précision : on peut tout au plus affirmer (voir plus haut) que certains passages du Nouveau Testament nous donnent une idée de ce qu'était la prière de l'époque. D’autre part, sur l'âge, la teneur primitive, l'étendue de l’emploi de certaines prières juives, on est loin d’avoir des renseignements indiscutables. Enfin, comme le fait observer Fortescue, op. cit., p. 100, « il est dangereux de pousser la comparaison avec un groupe quelconque de prières juives, et de conclure que ce groupe de prières est le prototype de la liturgie chrétienne… parce que des formules identiques » ou assez semblables les unes aux autres « reviennent sans cesse dans tous les services religieux des juifs ».

A coup sûr, on peut, sans avoir besoin d’appuyer cette affirmation sur aucun témoignage primitif, être certain que les premiers chrétiens venus du judaïsme ont été tout naturellement portés à employer dans la liturgie de la cène les formules dont ils avaient jusqu’alors fait usage, les formules qu’ils savaient par cœur, les formules qui ne contredisaient en rien les doctrines nouvelles et avaient même pu être prononcées par le Christ. « Mais quels services ont exercé le plus d’influence et quels sont les points de dépendance, on ne saurait le dire, » surtout si on ne consulte que les écrits du Nouveau Testament. Fortescue, loc. cit.

Nous ne croyons pas devoir nommer ici, quelles que soient leur importance et leur valeur, tous les ouvrages généraux : commentaires sur la sainte Écriture, encyclopédies, traités et manuels de théologie dogmatique ou biblique, d’histoire ou de liturgie. Nous ne citons guère que des monographies sur le sacrifice ou du moins sur l’eucharistie d’après le Nouveau Testament, et particulièrement ceux auxquels nous nous somme » référé au cours même de l’article.

I.Travaux catholiques. — — Citons comme les plus utiles et les plus récents : E.-B. Allô, La synthèse du dogme eucharistique dfins saint Paul, dans Revue biblique, 1921, p. 321 sq. ; P. Batifiol, Études d’histoire et de théologie positive. Deuxième série. L’eucharistie, la présence réelle et la transsubstantiation, 8° édit., Paris, 1920 ; J. Bellord, The notion of sacrifice, dans Ecclesiastical Review, Philadelphie, 1905, t. xxxiij. p. 1 sq., et The sacrifice of the New Law, ibid., p. 258 sq. ; J. E. Belser, Der Opfercharakter der Eucharistie, dans Theolog. Quartalschrift, 1913, t. xcv, p. 1 sq. ; W. Berning, Die Einsetzung der heiligen Eucharistie in ihrer ursprùnglichen Torm nach den Berichten des N. T. kritisrh untersucht. Munster, 1922 ; Coppens, L’offrande des fidèles dans la liturgie eucharistique ancienne, dans Cours et Conférences des Semaines liturgiques, Louvain, 1927, t. v, p. 99 sq. ; E. Dorscli, Altar und Opfer, dans Zeitschrift fur kalholische Tl eologie. 1908, t. xxxii, p. 307 sq. ; du même, Der Opfercharahler der Eucharistie cinst und jelzt, Inspruck, 1909 ; du même, Aphorismen und Eruàgungen zur Beleuchlung des vorirenàischen Opferbegriffs, dans Zeitsehrifl fur kalholische Théologie, 1910, t. xxxiv, p. 71 sq. ; P. Hænsler, Zu llebr., XIII, 10, dans Biblische Zeitschrift, t. vut, p. 52 sq. ; W. Koch, Das Abendmahl im Kcuen Testament, dans Biblische Zeitfragen, 1911, t. iv, fasc. 10 ; H. Lamiroy, De essentia ss. M issir sacrifwii, Louvain, 1919 ; J. Lebreton, art. Eucharistie, dans le Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1910, t. I, col. 1548 sq. ; E. Mangenot, L’eucharistie dans saint Paul, dans Revue pratique d’apologétique, 1911, t. xiii, p. 33 sq., 203 sq., 253 sq. ; G. Bausclien, L’eucharistie et la pénitence durant les six premiers siècles de l’Église, trad. franc., de M. Decker et E. Bicard, Paris, 1910 ; F. Renz, Die Geschichle des Messopferbegriffs oder der aile Glaube und die ncuen Theorien iiber das Wesen des unblutigen Opfers, l’risingue, 1901, t. i ; Rongy, La célébration de l’eucharistie au temps des Apôtres, dans Cours et Conférences des Semaines liturgiques, 1927, t. v, p. 177 sq. ; Th. Schermann, Das Brotbrechen imUrchristentum, dans Biblische Zeitschrift, 1910, t. TOI, p. 52 sq. ; M. de la’1 aille, Mysterium fidci. De auguslissimo rorporis et sanguinis Christi sacrificio alquc sacramento elucidationes quinquaginta in très libros distinrtic, Paris, 1924 ; F. Wieland, Mensa et con/essio, Stndien iiber den Allar der altchristlichen Liturgie, I. Der Allar der vorkonstantinischen Kirche, dans Vero/fenllichungen uns dern kirchenhislorischen Seminar, II. Reihe, n. 11, Munich, 1906 ; Der vorirenàische Oiiferbegriff, ibid., III. B., n. 6, Munich, 1909 (sur les tendances de cet ouvrage et la polémique qu’elles ont provoquée, voir le début de l’art, suivant.)

II.Travaux non catholiques. — Voir les ouvrages non catholiques où est étudiée la cène en général et sous ses divers aspects. L ne liste assez complète se trouve à la fin de l’article Eucharistie d’après la sainte Écriture, t. v, col. 1120-1121. Quelques ouvrages importants ont paru depuis : A. Loisy, Les mystères païens et le mystère chrétien, Paris, 1919 et Essai historique sur le sacrifice, Paris, 1920 ; Peterson Wetter, Altchristliche Littirgien, I. Das chrisiliche Mystcrium, II. Das christliche Opfer, Gœttingue, 1921 et 1922 ; B. Will, Le culte. Étude d’histoire et de philosophie religieuses, Strasbourg, 1925, t. i ; H. l.iet/mann, Messe und Ilerrenmahl, Bonn, 1920 ; K. Vôlker, Mystcrium und Agape, Gotha, 1927.

Sur certaines opinions professées par des non catholiques de langue anglaise, sur le sacrifice de la cène, et celui du ciel, on consultera utilement, G. Mortimer, 771e eucharistie sacrifice, an historical and theological investigation of the Iloly Eucharist in the Christian Church, Londres, 1901, et W. P. Peterson, art. Sacrifice, dans le Dictionary of the Bible (Hastings), 1904, t. IV, p. 347 sq.

‡ C. RUCH,


II. LA MESSE D’APRÈS LES PÈRES, JUSQU’A SAINT CYPRIEN.


I. État de la question.
II. Des origines au milieu du iie siècle (col. 865).
III. La seconde moitié du IIe siècle (col. 895).
IV. L’Orient jusqu’au milieu du nie siècle (col. 918).
V. L’Occident jusqu’à saint Cyprien (col. 927).
VI. Les sectes (col. 947).
VII. Conclusions (col. 956).

I. État de la question.

Nombre de critiques non catholiques, jusqu’au milieu du XIXe siècle, avançaient que « le premier, saint Cyprien aurait parlé du sang du Christ comme de la matière de l’oblation eucharistique et déclaré que le Christ s’était offert en sacrifice à Dieu le Père dès l’institution de la cène ». Hôfling, Die Lehre der àllesten Kirche vom Opfer, Erlangen, 1851, p. v. C’est chez lui qu’on trouverait « en germe la théorie du sacrifice de la messe destinée à se développer plus tard ». Théodore Harnack, Der christliche Gemeindegollesdienst im apost. Zeitalter, Erlangen, 1854, p. 411.

Cette affirmation est aujourd’hui abandonnée. Déjà dans son Histoire des Dogmes, 3’édit., t. i, p. 428 sq., Fribourg et Leipzig, 1905, Adolphe Harnack reconnaît que, très vraisemblablement, Cyprien a découvert chez ses prédécesseurs la conception qui transporte la représentation du sacrifice sur les éléments eucharistiques. Kattenbusch, art. Messe, dans la Protest. Realencyclopùdie, t.xii, 1903, p. 672, 676-677, est encore plus afiirmatif. Il reste vrai que l’évêque de Carthage est « l’un des Pères qui ont le plus insisté » sur cette vérité. Tixeront, Histoire des dogmes, Paris, 1909, t. i, p. 389. Auparavant jamais elle n’a été aussi fortement établie tt il n’y a pas à vouloir en découvrir l’origine après lui.

Un savant catholique, F. Wieland, a cru pouvoir attribuer à saint Cyprien un rôle encore plus important. Mensa et confessio. Der Altar der vorkonstantinischen Kirche, Munich, 1906 ; Der vorirenàische Opferbegrif], Munich, 1909 ; Altar und Altargrab der christlichen Kirchen imlV. Jahrhundcrl, Leipzig, 1912. D’après lui, dans l’Église primitive, il n’y a pas d’offrande par laquelle l’homme présente à Dieu un objet dont il peut disposer. Sans doute, dès l’origine, on tient la cène pour" un sacrifice, mais c’est un sacrifice purement spirituel, un sacrifice de louanges, de prière et d’action de grâces. C’est le seul qui, avec la charité, l’innocence de la vie, était alors connu. On mangeait le corps et on buvait le sang du Seigneur, mais on ne les offrait pas. L’assemblée se réunissait pour un banquet dans des maisons particulières. Il y avait non des autels, mais des tables, où prenaient place les fidèles. Devant le président on apportait du pain et du vin. Pour obéir à l’ordre du Seigneur, en mémoire de sa mort et de sa résurrection, le chef de l’assemblée prononçait sur ces mets les paroles d’action de grâce (eucharistie) qui produisaient le corps et le sang du Seigneur autrefois crucifié, maintenant glorieux dans le ciel. Le pain était divisé : la fraction était alors l’acte principal. Puis les diacres en distribuaient aux assistants des parcelles et présentaient la coupe de vin. Ainsi les éléments sacrés’n’étaient pas offerts à Dieu ; au contraire, les fidèles les recevaient de Dieu avec reconnaissance : c’était la prière d’action de grâces. Seule, elle était présentée au Très-Haut. Seule, elle constituait le sacrifice commémoratif de la cène et partant du Calvaire et de la rédemption.

Dans la seconde moitié du n » siècle seulement, sous l’influence du paganisme qui avait des autels et des oblations proprement dites, plus encore parce que l’Ancien Testament prescrivait à Israël de faire à Dieu des offrandes rituelles, on vit des notions étrangères au christianisme primitif se glisser dans les croyances des fidèles. Le pain et le vin furent tenus pour des dons qui pouvaient être offerts à Dieu.