Dictionnaire de théologie catholique/MESSIANISME I. Etude analytique des prophéties relatives au Messie dans la littérature canonique 4. Les prophètes écrivains antéexiliens

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 66-86).

IV. Le messianisme au temps des prophètes écrivains JUSQU’A L’EXIL.

I. NOUVELLE ORIENTATION. —

Après David nous arrivons tout de suite aux prophètes-écrivains. A lire leurs discours, on constate immédiatement que ce que nous avons trouvé jusqu’ici en fait d’idées messianiques ne représente que des préliminaires, que des rudiments de l’espérance messianique qui apparaissent çà et là et pour ainsi dire fortuitement. Les prophètes, par contre, se sont occupés du messianisme d’une façon continue et systématique. Alors que leur tâche principale semblait être le perfectionnement moral des générations au milieu desquelles ils vivaient, ils travaillaient autant pour l’avenir que pour le présent. Ils voulaient procurer au peuple un état sous tous les rapports meilleur que l’état actuel. C’est pourquoi ils parlaient constamment de l’avenir. Ils l’avaient devant les yeux comme Moïse l’établissement des Israélites en Canaan. Ils reprenaient ses idées. Ils répétaient aussi les vieux oracles messianiques. Mais à cette antique espérance ils donnaient des formes nouvelles. Avec eux les aspirations messianiques prenaient une orientation tout autre.

Pour comprendre le développement imprimé au messianisme par l’activité des prophètes-écrivains, il faut tenir compte du fait que, depuis le règne de David et de Salomon, la situation d’Israël avait complètement changé. Après le gouvernement glorieux de ces deux rois, le schisme avait divisé le peuple. Les guerres fratricides avaient longtemps déchiré les deux royaumes séparés. Les ennemis extérieurs, voisins immédiats ou grandes puissances du Nil, de l’Euphrate et du Tigre, les serraient souvent de près. L’idolâtrie et l’immoralité s’introduisaient dans les mœurs. De là une décadence et un affaiblissement croissant jusqu’à la destruction finale de Samarie et de Jérusalem.

Dans ces conditions les Israélites pensaient d’autant plus aux anciennes promesses relatives à un avenir de gloire et de félicité. Le gros du peuple en attendait avec impatience la réalisation. On vivait dans la conviction que, contre le peuple élu par Jahvé et contre la cité sainte de Jérusalem au milieu de laquelle le Très-Haut était présent, aucune puissance ennemie, aucune adversité ne pouvait prévaloir définitivement. On s’attendait à une nouvelle intervention grandiose et solennelle de Dieu, semblable à celle de l’Exode et du Sinaï, par laquelle Israël serait débarrassé d’un seul coup de tous les ennemis et de tous les maux. On appelait cette manifestation divine ainsi que la période qui s’ouvrirait à sa suite a le jour de Jahvé ». Les Israélites, en se cramponnant de cette façon aux promesses d’autrefois, oubliaient trop que Moïse en avait lié la réalisation à l’observation de l’alliance conclue avec le Très-Haut et vivaient dans les illusions les plus néfastes.

Il s’était donc formé une sorte d’eschatologie populaire. Elle avait comme unique contenu l’attente d’une grande manifestation de Jahvé en faveur de son peuple. Elle était la conclusion tirée des promesses antiques ; mais elle oubliait que leur accomplissement dépendait de conditions nettement définies.

Certains exégètes parlent d’eschatologie populaire dans un sens tout autre. Depuis que Gunkel, Schôpfung und Chaos in Urzeit und Endzeit, 1895, et Gressmann, Der Ursprung der isrælitisch-jûdischen Eschatologie, 1905, allant à rencontre de l’école de Wellhausen, ont revendiqué pour le messianisme une origine ancienne, on y englobe non seulement la

plupart des oracles que nous venons d’étudier, mais aussi tout un ensemble d’idées qui se rapportent à la fin des temps. D’un côté, on en postule l’existence parce que, longtemps avant le messianisme israélite, il y aurait eu, dit-on, un messianisme oriental dont les espérances juives ne seraient qu’une transposition. D’autre part, on la déduit de certaines constatations que l’on croit faire chez les prophètes-écrivains. Ceuxci emploient, dit-on, une foule de termes techniques : jour de Jahvé, reste sauvé, rétablissement, refuge, etc. pour exprimer leurs idées eschatologiques sans jamais les expliquer ; et cela prouverait qu’ils supposent ces termes connus de leurs auditeurs.

Cette eschatologie populaire a été admise après Gunkel et Gressmann par Sellin, Der uitlestamentliche Prophetismus, 1912, p. 144 sq. ; H. Dittmann, Der Heilige Rest im Allen Testament, dans Theologische Studien und Kritiken, 1914, p. 602-618 ; N. Peters, Weltfriede und Propheten, 1917, p. 14 sq. ; Dùrr, Die Stellung des Propheten Ezechiel in der isrælitisch-jùdischen Apokalyptik, 1923, p. 67 sq. Ces deux derniers attribuent au courant populaire les oracles mêmes d’Isaïe, ii, 1-4, et de Michée, iv, 1-4, sur la gloire future de Si on.

Cependant cette prétendue eschatologie populaire est une pure chimère ; car, à l’exception d’Israël, aucun peuple de l’ancien Orient n’a connu d’eschatologie (voir col. 1552 sq.). Pour ce qui regarde les termes eschatologiques employés par les prophètes, sauf celui de « jour de Jahvé », tous les autres sont nouveaux. En particulier celui du « reste sauvé » a été introduit par les prophètes pourrectifier la fausse conception que les Israélites se faisaient du jour de Jahvé. C’est contre elle que se dressèrent les prophètes. Ils proclamaient hautement que, par suite de ses prévarications, Israël était devenu indigne des promesses reçues. Ils disaient à leurs compatriotes qu’en effet le jour de Jahvé viendrait. Seulement le but immédiat n’en serait pas de relever, mais de punir le peuple. Ils prenaient très souvent les invasions des ennemis, les grands fléaux de la nature pour les signes précurseurs du jour de Jahvé. Les Israélites auraient à passer par un jugement si dur que seul un petit reste survivrait. C’est uniquement ce reste qui verrait la réalisation des promesses.

Telle est la nouvelle conception de l’avenir d’Israël qui se rencontre à peu près chez tous les prophètes préexiliens. Tel est leur schéma du messianisme. Moïse avait proclamé que le bonheur dans la Terre promise dépendrait pour Israël de l’observation de la Loi : les prophètes, constatant que cette condition n’était pas réalisée, annoncent aux générations corrompues les pires malheurs. Tandis que les antiques voyants n’avaient prévu et prédit qu’une ère de salut, de prospérité et de gloire, les prophètes-écrivains présentent cette ère comme précédée d’un jugement sévère et purificateur.

D’ailleurs, tout en ayant beaucoup de traits communs, les formes sous lesquelles le messianisme apparaît chez les prophètes sont assez différentes et varient d’après la situation historique à l’époque de chacun. Pour les comprendre il faut donc replacer leurs idées messianiques non seulement dans le milieu historique, mais les faire ressortir sur le fond sombre des menaces ; elles se détachent alors d’autant plus lumineuses.

II. AMOS, — Déjà le premier des prophètes-écrivains, Amos, annonce à Israël que son avenir, au moins en tant qu’il s’agit des dix tribus, est très sombre. Son livre s’ouvre par l’annonce que Jahvé est tellement irrité contre le peuple élu qu’il rugi ! de Slon, i, 2 ; et tout le ministère du voyant n’est pour ainsi dire que l’écho de ce rugissement.

Au moment où sous Jéroboam II (783-743) le royaume du Nord était transitoirement dans un état florissant, Amos quitta sa patrie judéenne pour aller en Samarie et lui prédire une ruine imminente. Ce « royaume pécheur », ix, 8, est aussi mûr pour le jugement que les fruits d’automne le sont pour la cueillette, vin, 1-2. Il faut qu’il disparaisse de la surface de la terre, ix, 8. Jahvé ne veut plus pardonner à ses habitants, vii, 8 ; viii, 2. Au contraire, il jure par sa vie qu’ils seront ruinés, vi, 8-9 ; car bien qu’il les ait préférés à toutes les autres nations, ii, 9-11 ; iii, 1-2, et qu’il les ait avertis par des punitions successives, iv, 6-11, ils l’offensent à présent plus que jamais par l’idolâtrie, les vices et les crimes les plus affreux, ii, 6-8 ; iii, 8-10 ; v, 7-10 ; vi, 12. Le pis est qu’ils croient néanmoins plaire à Dieu à cause de l’alliance que celui-ci a conclue avec eux et à cause du culte extérieur qu’ils lui rendent. Us en sont tellement convaincus qu’ils désirent l’arrivée du jour de Jahvé, v, 18.

Amos leur fait savoir avec une impitoyable sévérité qu’ils ont perdu leur position privilégiée auprès de Dieu, ix, 7. Puisque tous les avertissements ont été vains, Israël doit se tenir prêt à paraître devant Jahvé pour recevoir son châtiment définitif, iv, 12. Le jour de Jahvé, après lequel ils aspirent tant — c’est chez Amos que nous constatons pour la première fois cette mentalité populaire — sera précisément lemoment où ils seront punis pour toujours : « ce jour ne sera point lumière mais ténèbres », v, 18-20. Certes Jahvé châtiera aussi les peuples des alentours, i, 3-n, 5, mais Samarie surtout sera punie. Les moyens employés pour cela seront la guerre, v, 3 ; vi, 15, l’exil, iv, 2-3 ; v, 27 ; vi, 7, la peste, v, 6 ; vi, 9 ; vii, 17, la faim et la soif, viii, 11-14 (ll b est une glose), les tremblements de terre, viii, 8. Le prophète voit surtout Jahvé renversant le sanctuaire de Béthel et exterminant tous les idolâtres, ix, 1-4. Cette ruine du peuple au jour de Jahvé sera accompagnée de phénomènes effrayants : la terre chancellera, viii, 8, (d’après Wellhausen, Marti, Nowack, Guthe, Sellin, ce verset aurait été ajouté après coup par un lecteur qui a cru qu’il s’agit du jugement du monde ; mais dans ce cas viii, 9, serait également une glose) et le soleil se couchera à midi de sorte qu’il fera nuit en plein jour, viii, 9.

D’après ces menaces qui forment presque l’unique contenu des neuf chapitres de son livre, on pourrait supposer qu’Amos a renoncé à tout espoir messianique. A en croire plusieurs exégètes, Smend, Volz, Duhm, Wellhausen, Marti, Cornill, Harper, Guthe dans E. Kautzsch, Die heilige Schrijt des Allen Testamentes, 4e édit., 1923, t. ii, p. 46, Nowack, Die kleinen Propheten, 3e édit., 1922, p. 170, tel serait en effet le cas ; car ils regardent comme incompatibles avec ce qui précède et donc ajouté pendant ou après l’exil les derniers versets du livre, ix, 11-15, où il est dit que la maison de Jacob ne sera pourtant pas entièrement exterminée et qu’elle connaîtra un relèvement brillant.

Avec raison d’autres, Kônig, Orelli, Stscrk, Gressmann, H. Schmitt, Kôhler, Sellin, Das Zwol/prophetenhueh, 1922, p. 223 sq., van Hoonacker, Les douze petits prophètes, 1908, p. 195, 282 sq., Tobac, £es prophètes, 1. 1, 1919, p. 185 sq., Touzard, Le livre d’Amos, 1909, p. li sq., maintiennent ce morceau ; car déjà dans quelques passages antérieurs Amos avait laissé entrevoir la possibilité du salut. Tel est le sens de son exhortation : « Cherchez Jahvé pour que vous viviez ». exhortation qu’il répète trois fois, v, 4, 6, 14, et à laquelle il ajoute la troisième fois : « Peut-être Jahvé aura pitié du reste de Joseph », v, 15. Il avait même prévu le salut effectif pour une partie du peuple : « Comme un berger sauve de la gueule du lion une

paire de jambes ou une oreille, ainsi seront sauvés les Israélites », iii, 12. Il avait expressément dit que seuls les pécheurs périraient, et que les justes seraient conservés au milieu des épreuves comme les grains de blé dans un crible, ix, 9-10. Il annonçait toujours la ruine du royaume et du peuple de Samarie comme telle, jamais l’extermination absolue de tous ses membres.

La prétendue contradiction entre ix, 11-15 et i, 1-ix, 10, n’existe donc pas. D’autre part, en considération des prophéties messianiques des temps anciens, il est naturel qu’Amos ait entrevu le salut par delà la ruine. C’est pourquoi il termine ses oracles par les promesses suivantes : « En ce jour », c’est-à-dire quand Samarie sera tombée, « Jahvé rétablira la hutte délabrée de David », ix, 11. Cette dernière expression signifie le royaume de Juda, bien affaibli et amoindri par rapport à l’époque de David. Grâce à la conquête des nations voisines, ix, 12, et surtout par le rétablissement des tribus du Nord, la reconstruction et le repeuplement de leurs villes dévastées, ix, 14, ce royaume aura de nouveau l’étendue qu’il avait au temps de ce roi glorieux. Il y aura alors une fertilité paradisiaque dans le pays : à peine aura-t-on semé qu’on moissonnera, ix, 13, promesse qui se trouve déjà dans Lev., xxvi, 5 ; toutes les montagnes suinteront de moût, _ix, 13. Les Israélites, au milieu de leurs vignes dont ils boiront le vin et de leur jardin dont ils mangeront les fruits, seront heureux à tout jamais, ix, 15.

Ainsi tout en étant très bref dans sa description de l’avenir messianique, Amos en précise déjà quelques éléments auxquels presque tous les prophètes reviendront : sanctification du peuple par l’extermination des pécheurs, restauration du royaume de David par la réconciliation des douze tribus et l’assujettissement des peuples des alentours. Grande félicité matérielle, causée par une fertilité exubérante, et finalement durée sans fin de ce bonheur.

Les commentaires des douze petits prophètes de P. Schegg, 1854 ; Trochon, 1883 ; J. Wellhausen, 1898 ; L. A. Smith, 1900 ; K. Marti, 1904 ; Driver 1906 ; A. van Hoonacker, 1908 ; C. von Orelli, 1908 ; Procksch, 1910, 1916 ; P. Riessler, 1911 ; Duhm, 1911 ; Nowack, 1922 ; Knabenhauer-Hagen, 1922 ; E. Sellin, 1922.

Les commentaires d’Amos seul de Driver, 1898 ; d’Œttli, 1901 ; de W. R. Harper, 1905 ; Stærk, 1908 ; Valette, 1908 ; Touzard, 1908 ; Guthe, dans Kauizsch, 1923.

Condamin, Les chants lyriques des prophètes ; strophes et chœurs, i, Amos, dans Revue biblique, 1901, p. 352 sq. ; E. Baumann, Der Aufbau der Amosreden, 1903 ; J. Bôhmer, Die Eigenart der prophetischen Heilspredigt des Amos, dans Sludien und Kritiken, 1902 ; F. Lockert, Le prophète Amos, 1909 ; W. Baumgartner, Kennen Amos und Hosea eine Heilseschatologie ?1913 ; Budde, Zur Geschichte des Bûches Amos, dans Wellhausenfestsclirift, 1914, p. 65-77 ; Caspari, Wer hat die Ausprùche des Prophelen Amos gesammell ? dans Neue kirchliche Zeitschrift, 1914, p. 704-715 ; L. Desnoyers, Le prophète Amos, dans Reu. bibl, 1917, p. 218 sq. ; P. Humbert. Un héraut de la justice, Amos, 1917 ; E. Balla, Die Drohund Schellworle des Amos, 1926 ; K. Refer, Amos, 1927.

/II. OSÉE. — Le ministère d’Amos a été de très courte durée. A cause de ses reproches et de ses menaces, il fut bientôt expulsé de Samarie, et retourna en Judée. Mais, quelques années après, entre 750 et 720, un autre prophète, Osée, tenait aux habitants du royaume du Nord le même langage sévère. Bien que celui-ci fût leur compatriote et qu’il les aimât tendrement, vi, 4 ; xi, 7sq., il fut obligé à son tour de les accuser et de leur prédire le châtiment. Ses incriminations sont encore plus détaillées, illustrées qu’elles sont par des descriptions de la corruption du temps présent, xiv, 1 sq. ; vii, 1-7, ainsi que par des aperçus rétrospectifs sur le passé, x, 9 sq. ; xi, 1-6 ; xii ; xiii, 1-6. Pour bien mettre sous les yeux de ses auditeurs leur infidélité, Osée épousa sur l’ordre de Dieu une « femme de fornication », i-m.

A ces accusations correspondent les plus sinistres menaces : Jahvé qui avait eu une prédilection pour Israël, ne peut dorénavant que le haïr, ix, 15 ; xiii, 14. Devenu son pire ennemi, le Très-Haut sévira contre lui comme un lion, une panthère et une ourse en furie, xiii, 7-8. Quand il mettra fin sous peu, i, 4, au royaume d’Israël, « les jours du châtiment et de la rétribution viendront », ix, 7 ; la tribulation sera si grande que les hommes diront aux montagnes : « Couvrez-nous », et aux collines : « tombez sur nous », x, 8. Dès maintenant la punition a commencé : par suite d’une sécheresse tout languit, la terre et ses habitants, même les oiseaux et les poissons, ix, 3. (Rien n’oblige de prendre ce verset avec Guthe, Nowack et en partie avec Sellin pour une glose). Des armées ennemies inonderont le pays, le dévasteront surtout aux endroits du faux culte, ix, 6 ; x, 8, tueront impitoyablement les habitants, x, 14-15, iv, 6 ; xiii, 15 ; xiv, 1, ou les chasseront de leur domicile, ix, 3-17 ; xi, 5. Pour exterminer les Israélites, Jahvé les frappera en outre de stérilité et ordonnera à l’enfer et à la mort d’envoyer la peste et toutes sortes de maladies contagieuses, xiii, 14. Parfois et incidemment Osée gourmande et menace également Juda, iv, 15 ; v, 5 ; v, 12-14 ; vi, 4, 11, viii, 14 ; xiii, 1 (par contre, dansxii, 3 et x, 11, Juda est à remplacer par Israël).

Tel est le contenu de la majeure partie des quatorze chapitres du livre. Il pourrait donc sembler qu’il n’y ait plus de place pour des prophéties de salut. Plusieurs fois cependant le prophète laisse percer, à travers ces sombres nuages, le soleil de la bonté divine et le fait même briller avec éclat. A cause du contraste qui existe entre les nombreuses menaces et ces rares promesses, ces dernières sont tenues pour inauthentiques par les mêmes auteurs, ou à peu près, qui enlèvent la conclusion rassurante du livre d’Amos. Mais ici leurs arguments sont plus faibles encore ; car, pour les mots comme pour les idées, il y a « une relation si intime entre une grande partie des oracles contestés et le reste du livre que tout proteste contre l’idée d’une interpolation ». Sellin, p. 18. D’autre part, il faut savoir que le livre actuel combine des fragments de discours qui n’ont aucune connexion entre eux, et que précisément la plupart des promesses ne se trouvent plus à leur place primitive, ce qui explique qu’elles jurent avec le contexte. Il nous semble assez probable qu’elles datent plutôt du temps qui suivit la ruine de Samarie (722), comme les oracles messianiques de Jérémie et d’Ézéchiel sont en leur majeure partie postérieurs à 586. A défaut de moyens sûrs pour en fixer la suite chronologique, il faut se contenter d’un exposé systématique.

Dans v, 8-vii, l a, passage où Osée s’adresse autant à Juda qu’à Israël, il fait dire à Jahvé qu’après avoir sévi contre les deux royaumes, il retournera au ciel dans la conviction que les Israélites, terrifiés par le châtiment, le rechercheront et lui demanderont de guérir leurs plaies, v, 8-vi, 3. Entendant leurs prières, Jahvé hésite un moment, mais finalement il se déclare prêt à rétablir Israël, en particulier Juda, vi, 11 ; vii, l a. (C’est, nous semble-t-il, la meilleure explication de ces versets difficiles ; dans tous les cas il n’est pas nécessaire de les sacrifier entièrement comme le font Guthe, Nowack, et en partie Sellin.)

La raison pour laquelle Jahvé épargnera au moins un reste des Israélites, c’est sa miséricorde qui triomphera de sa juste colère et l’amènera à pardonner à ce peuple, à ne pas se contredire au point de le perdre après l’avoir élu, xi, 8-9 : Quand les Israélites du Nord auront vécu longtemps « sans roi et sans sacrifice », iii, 4, à la fin des temps, iii, 5, c’est-à-dire à la fin du temps de pénitence, ils reviendront à Jahvé.

Celui-ci les acquerra pour toujours, ii, 21-22, conformément à la belle parole : « C’est la piété que je désire et non le sacrifice, la connaissance de Dieu et non les holocaustes », vi, 6, il y aura une union intime entre lui et son peuple, consistant dans l’amour et dans la parfaite connaissance du Très-Haut, ii, 18 sq., 21 sq. Il les ramènera des lieux où ils avaient été dispersés, xi, 11. Les douze tribus se réuniront de nouveau, sous un seul et même roi de. la dynastie davidique, I, 11 ; ni, 5. Osée, comme plus tard Jérémie et Ézéchiel, nomme ce roi idéal de l’avenir, David tout court. (C’est bien à tort que Harper, Nowack, Duhm, Sellin regardent cette mention du roi messianique comme ajoutée après coup). Les Israélites deviendront aussi nombreux que le sable de la mer et vivront dans une paix éternelle, sans être tourmentés ni par les animaux sauvages ni par les ennemis, n, 18. Ciel et terre s’entendront pour fournir aux Israélites du froment, du vin et de l’huile en abondance, ii, 22-23. Pour dépeindre le bonheur et la prospérité d’Israël, Osée dit que le peuple fleurira comme le lys et la vigne, xiv, 6.

Les idées messianiques d’Osée sont à peu près les mêmes que celles d’Amos. Pour lui aussi, la catastrophe est imminente, i, 4 ; d’autre part il relève que l'époque de la tribulation et de la pénitence durera longtemps.

Les commentaires des douze petits prophètes, voir col. 1429. — Les commentaires d’Osée seul de Nowack, 1880 ; Scholz, 1882 ; Cheyne, 1899 ; Œttli, 1901 ; Harper, 1905 ; Guthe, 1923. — Condamin, Interpolations et transpositions accidentelles, dans Revue biblique, 1902, p. 379-397, sur Osée, i, 1-3, 8-9, p. 386 sq. ; Bôhmer, Die Grundgedanken der Predigt Hoseas, dans Zeitschrift fur wissenschaftliche Théologie, 1902, p. 1 sq. ; E. Peiser, Hosea, dans Philologische Studien zum Allen Testament, 1914 ; F. Prætorius, Bemerkungen zum Bûche Hosea, 1918 ; A. Alt, Hosea, 5, 8-6, 6, dans Neue kirchliche Zeitschrift, 1919, p. 537 sq.

iv. isaiE. — Isaïe qui est à tout point de vue le plus grand des prophètes, l’est surtout par ses oracles messianiques ; il a été nommé l'évangéliste de l’Ancien Testament. Bien qu’il jouisse encore aujourd’hui d’un prestige unique, la critique moderne conçoit son œuvre en général, particulièrement son messianisme, tout autrement que l’exégèse ancienne. Non seulement les savants non catholiques lui contestent unanimement la seconde partie du livre qui porte son nom, xl-lxvi, ainsi que les chapitres xm-xiv, 23 ; xxi ; xxivxxvii ; xxxiv-xxxv, et les attribuent à des auteurs exiliens et post-exiliens, mais bon nombre d’entre eux lui enlèvent encore d’autres textes, parmi lesquels se trouvent justement quelques-unes de ses plus célèbres prédictions.

L'étude des idées messianiques d' Isaïe se meut donc sur un terrain fort discuté. La situation est d’autant plus embarrassante que, même pour les prophéties qu’ils reconnaissent comme authentiques, les auteurs sont loin d'être d’accord sur leur date d’origine. (La position prise par nous dans ces questions de critique littéraire se dégagera de la manière dont nous nous servirons des passages. Elle ne sera exposée et défendue qu’en tant que la négation de l’authenticité d’un texte résulte principalement de son contenu messianique.)

Comme les discours d’Isaïe appartiennent à des époques très différentes de sa longue carrière, la meilleure manière d’en saisir les idées messianiques est de les étudier dans leur suite chronologique. De cette façon on évite le schéma trop artificiel dans lequel on les place d’ordinaire, et il sera en même temps possible de suivre ces idées dans leur développement en tenant compte de la situation historique dans laquelle elles ont vu le jour.

1° Prophéties du commencement du ministère (vers 740). — - 1. La première prédiction sur l’avenir d’Israël se trouve dans la vision inaugurale, vi. Elle est excessivement pessimiste : le prophète est envoyé par le Seigneur uniquement pour aveugler et endurcir le peuple, ce qui veut dire qu’Israël, par l’opiniâtreté avec laquelle il persistera dans ses péchés malgré la prédication du prophète, deviendra mûr pour le jugement. A la question de savoir jusques à quand doit durer cet aveuglement, Isaïe reçoit cette réponse : « Jusqu'à ce que les villes soient dévastées et sans habitants et les maisons sans hommes, et que le pays soit ravagé et désert », vi, 11.

Le récit primitif du c. vi semble se terminer sur cette phrase (Marti, Duhm, Guthe) ; car d’abord le t. 12 n’est qu’une faible répétition, une glose du verset précédent : Jahvé n’y parle plus comme auparavant à la première personne, mais à la troisième. Ensuite le ꝟ. 13 : « Et si une dixième partie en reste, elle sera également détruite, comme chez un chêne ou un térébinthe dont il reste un tronc quand on les coupe » introduirait l’idée que même le moindre reste qui survivrait au premier châtiment serait détruit à son tour. En effet, la comparaison veut dire que, de même qu’on enlève encore après coup le tronc d’un chêne abattu, ainsi on fera disparaître les survivants des Israélites, et elle ne signifie pas, comme Feldmann le prétendait encore dans son commentaire récent, Das Buch Isaias, i, 1925, que du dixième sauvé survivra un reste comme un tronc du chêne abattu. Or une telle idée n’est guère concevable. Elle est, d’une part, contredite par bien des oracles d’Isaïe. Pour cette raison sans doute on a jugé nécessaire de gloser cette glose du ꝟ. 13 par la phrase : « Leur tronc sera une semence sainte », phrase qui ne se trouve pas en grec et qui est rejetée commî inauthentique même par les exégètes qui maintiennent 12 et 13 : Houbigant, Condamin, Hackmann, Meinhold, Cheyne. D’autre part, l’appel de Dieu aurait condamné Isaïe à une œuvre tout à fait inefficace. Si, par contre, le t. Il contient la dernière parole de Dieu, celle-ci par son sens général serait encore compatible avec l’idée d’un petit reste qui serait sauvé, ou du moins elle ne l’exclurait pas formellement comme le fait le ꝟ. 13 a. Marti et Duhm exagèrent beaucoup, quand ils trouvent sublime le contenu du c. vi, précisément à cause de l’idée que Jahvé veut se passer d’Israël pour la réalisation du vrai culte dans le monde entier. Aucun prophète n’a eu et n’a pu avoir une conception aussi désintéressée de la manière dont la religion pure et absolue serait établie.

Le fait que, dans sa vision inaugurale, Isaïe n’entrevoit pas explicitement le salut, même pour un petit groupe, mais uniquement le châtiment, prouve que l’irréligion et le désordre moral et social régnaient aussi en Judée et à Jérusalem. Nous ne devons pas nous étonner de trouver chez Isaïe presque autant de reproches et de menaces que chez Amos et Osée. Les discours qu’il adresse aux habitants du royaume du Sud ont pour but principal de démontrer qu’ils sont devenus, à leur tour, indignes de Jahvé. On n’y trouve que quelques passages brefs et clairsemés où il promet un avenir glorieux à un petit reste. Ces promesses suivent parfois les menaces sans liaison étroite et forment avec elles un certain contraste. Pour cette raison quelques critiques veulent en retrancher le plus grand nombre et les séparer des discours primitifs du prophète. Mais, comme parmi ces passages quelquesuns du moins sont reconnus comme authentiques par tous, et que s’y exprime l’idée d’un reste sauvé et d’un bonheur magnifique dont ce reste jouira après le châtiment, on est en droit de revendiquer tous ces passages pour Isaïe. Comme dans le livre d’Osée, le

contraste des promesses avec le contexte ne prouve pas contre leur authenticité ; car la composition des livres prophétiques, moins encore que celle des écrits législatifs et historiques de l’Ancien Testament, ne saurait être comparée à la rédaction des ouvrages modernes. Ni le point de vue logique ni le point de vue chronologique n’y président d’une manière absolue. Souvent, d’ailleurs, ce ne sont pas les prophètes eux-mêmes qui ont fixé par écrit et collectionné leurs oracles.

2. Déjà les premiers discours d’Isaïe, ii, 6-v, 24, révèlent la tendance comminatoire. Ils sont pleins d’accusations contre Juda à cause de l’idolâtrie, des mœurs païennes, de l’orgueil que la situation opulente du pays inspire à ses habitants. Isaïe y fait retentir des cris de malheur et prédit à plusieurs reprises un jugement sévère. A l’exemple d’Amos, il nomme l’intervention de Dieu, le jour de Jahvé des armées, ii, 12. Quand le Très-Haut se lèvera, l’éclat de sa majesté terrifiera la terre, ii, 19. Les idoles disparaîtront avec tout ce qui rend pour le moment les Judéens si fiers, ii, 12 sq. Jérusalem et Juda tomberont, iii, 8, la vigne de Jahvé deviendra un désert, v, 6.

Ce jour ne sera pourtant pas uniquement un jour de ruine et de ravage. Déjà, au milieu des menaces, Isaïe laisse entrevoir, iii, 12-15, qu’à côté des coupables" il existe encore des justes et que Dieu rendra justice à son peuple (LXX) opprimé et égaré parles chefs et les princes. A la fin du discours qui contient cette allusion au salut, il en donne une description explicite, iv, 2-6. Ce salut sera réservé à ceux qui auront échappé aux terreurs du jugement, savoir aux justes qui étaient inscrits pour la vie à Jérusalem, c’est-à-dire à ceux qui étaient prédestinés à survivre. Le salut consistera dans un triple avantage. D’abord les réchappes seront heureux : une grande fertilité du pays leur procurera un tel bien-être et une si grande richesse, qu’il en résultera pour eux une gloire devant le monde entier, iv, 2. C’est le seul sens^possible de ce verset. Bien que le terme « germe » qui s’y trouve employé soit plus tard dans Jérémie, xxiii, 5, et dans Zacharie, ni, 8 ; vi, 12, une désignation du Messie, il ne peut avoir ici, à cause du parallélisme avec « fruit de la terre », que le sens de produits du sol, sens qui se rencontre aussi dans d’autres passages, par exemple, Gen., xix, 25. Tout au plus peut-il signifier que le sol, outre sa production naturelle, donnera par suite d’une bénédiction spéciale de Dieu, des récoltes tout à fait extraordinaires. Puis les élus seront saints : Jahvé aura lavé la souillure des filles de Sion et effacé à Jérusalem les taches de sang. Enfin ils jouiront d’une présence particulière de Jahvé qui viendra (LXX) sur Sion et sur ses assemblées d’une manière visible sous la forme d’une colonne de fumée et de feu comme lors de l’Exode. (Duhm, Marti, Cheyne, Guthe rejettent cette prophétie ; d’après Duhm et Guthe elle aurait été composée seulement au ine siècle. Le style et le contenu seraient en désaccord avec les textes authentiques d’Isaïe. Skinner, Gondamin et Feldmann relèvent avec raison que les idées principales de ce passage, salut d’un reste et purification par le jugement, se trouvent aussi ailleurs chez Isaïe.)

3. Cette magnifique prédiction du salut messianique suit immédiatement les reproches si connus que le prophète a faits aux femmes de Jérusalem. Un autre texte tout à fait analogue appartient très probablement à la même époque : xxxii, 9-20. Isaïe y accuse une seconde fois d’une façon particulière les femmes de la capitale qui sont si insouciantes et si peu attentives à ses exhortations. Il leur annonce que dans l’avenir elles deviendront anxieuses. Toute joie cessera. Les vergers et les vignes seront ravagés et les maisons détruites. Cette désolation durera jusqu’au moment où sera répandu * l’esprit d’en haut », qui transformera

toute la nature déserte et les cœurs pervertis. Justice, paix et bonheur régneront alors partout.

Presque unanimement on attribue cet Oracle à l’époque qui précéda l’invasion de Sennachérib (701) parce qu’on interprète l’indication de temps qui se trouve au t. 10 : « en des jours à l’année » (iamim al sana) dans le sens de « après plus d’un an ». Mais cette expression peut aussi bien signifier « après des jours et des années », et la perspective du prochain avenir est ici tout autre que dans les discours de cette époque tardive. Pour ces raisons nous suivons Duhm qui place cet oracle au commencement de l’activité d’Isaïe.

2° Prophéties du temps de la guerre syro-éphraïmite (vers 735). — La paix et la prospérité dans lesquelles Juda s’était trouvé durant les premières années du ministère d’Isaïe furent subitement troublées par deux dangers. L’un provenait de l’Assyrie, qui se relevait d’une léthargie transitoire, l’autre de la Samarie et de la Syrie qui déclaraient la guerre à Achab, parce qu’il ne voulait pas entrer dans une coalition contre Ninive. Dans son manque de confiance et son imprévoyance, le roi, pour parer au danger le plus imminent, l’attaque de Pékah et de Rezin, s’adressa à Teglathphalasar III pour qu’il vînt à son secours, et par cette démarche rendit le premier danger plus menaçant qu’il ne l’était.

Cette situation compliquée appela Isaïe à une activité intense dont nous avons des documents très importants dans les discours contenus en vii, l-ix, 7, et en ix, 8-x, 4 + v, 25-30. Ces discours sont pour le messianisme d’une portée exceptionnelle. Au moment du danger suprême, Isaïe prévit et annonça non seulement le salut messianique, mais aussi le Messie sauveur. C’est donc à lui que revient le mérite d’avoir introduit pour la première fois dans la littérature strictement prophétique l’idée du Messie personnel.

1. Lorsque les rois de Damas et de Samarie s’approchèrent de la ville sainte, le prophète alla trouver Achaz, pendant que celui-ci inspectait les fortifications et la conduite d’eau, pour annoncer au roi, sur l’ordre de Dieu, l’échec certain de ses deux ennemis Pour confirmer sa promesse, il lui offrit un signe, c’est-à-dire un grand miracle, dont le choix restait réservé au roi. Celui-ci, par suite de son scepticisme, s’y refusa. Plein d’indignation, le prophète lui reprocha son attitude honteuse envers Jahvé, ajoutant que Dieu lui donnerait néanmoins un signe : « Voici la vierge est enceinte et enfante un fils qu’elle appellera Emmanuel (Dieu avec nous) », vii, 14.

Comme cette phrase suit immédiatement l’annonce du signe et que Jahvé avait promis comme signe un fait miraculeux, on a, jusqu’au xixe siècle, unanimement interprété le ꝟ. 14 dans ce sens qu’il indique le signe promis, que ce signe est un miracle, et que ce miracle est la naissance virginale d’Emmanuel. Mais l’exégèse moderne, tant protestante que catholique, abandonne de plus en plus cette explication. Les protestants le font parce qu’ils ne reconnaissent plus la portée messianique de cette prédiction ; pour eux le signe ne consiste que dans le nom symbolique d’Emmanuel, donné d’avance comme garantie du salut promis et prochain. Les exégètes catholiques, tout en maintenant la naissance virginale d’Emmanuel, contestent qu’elle représente le signe et croient de cette façon pouvoir mieux défendre le sens messianique du texte.

Or il pourrait bien y avoir erreur des deux côtés. Pour comprendre le ꝟ. 14, passage discuté aujourd’hui plus que jamais, il faut tout <f"abord tenir compte du fait que Jahvé, vii, 4-9, vient de promettre le salut qu’obtiendra Jérusalem dans le danger actuel en 1435 MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : ISA1E

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des expressions si absolues que l’indignité même du roi n’y changera rien. Sans doute le refus du roi mérite une punition. Aussi est-elle longuement décrite dans les ꝟ. 17-25 : le roi assyrien, en lequel Achaz a tant de confiance qu’il croit pouvoir se passer de l’aide du ciel, ravagera la Judée. Mais la guerre syro-éphraïmite elle-même aura une issue favorable pour Achaz. Il s’ensuit que le signe que Jahvé veut donner lui-même aura le même but et le même caractère que celui que le roi aurait dû demander, c’est-à-dire qu’il sera un miracle par lequel le Très-Haut révélera d’une façon éclatante sa toute-puissante protection contre les rois Pékah et Rezin.

Ce signe ne peut être contenu que dans la phrase : Ecce virgo concipiet, etc. ; car cette phrase est introduite solennellement par ecce et rattachée étroitement par la même particule à l’affirmation que Jahvé donnera lui-même un signe ; elle précède en outre l’assurance réitérée que les deux ennemis ne prévaudront pas, vii, 16, échec que le signe doit précisément garantir d’avance. Or cette proposition annonce deux choses : la naissance et la dénomination d’un enfant. La seconde, savoir que l’enfant s’appellera Emmanuel, est un indice préalable de l’aide de Dieu dans le danger actuel, mais elle n’est pas le signe, quoi qu’en disent aujourd’hui presque tous les exégètes protestants, car le contexte exige comme signe un miracle. Le signe ne peut donc consister que dans le premier fait : ecce virgo concipiet et pariet filium. Or, parmi les mots qui l’annoncent il n’y en a qu’un seul qui soit apte à exprimer un miracle, c’est celui de virgo, ce qui veut dire que le signe est la conception virginale de l’enfant. Si dans le texte hébreu betoula correspondait à virgo, terme qui ne signifie que vierge, on n’en aurait jamais douté. Mais nous y lisons aima, mot qui signifie seulement « jeune fille » non mariée, Gen., xxiv, 43 ; Ex., xi, 8 ; Cant., i, 3 ; vi, 8 ; Prov., xxx, 19. Cependant aima est ici équivalent à betoula ; car une jeune fille non mariée doit être supposée vierge jusqu’à preuve du contraire, comme l’a très bien dit Tobac, article Isaïe, t. viii, col. 36, et le prophète n’aurait pas employé ce terme, mais celui de iSSa « femme », s’il n’avait pas voulu exprimer un privilège unique qui distingue cette mère de toutes les autres, et qui consiste en ce qu’elle ne conçoit pas d’une façon ordinaire, c’est-à-dire en contractant un mariage.

Il faut conclure que le signe consiste dans la naissance virginale. Dans cette prédiction, il ne s’agit donc pas en premier lieu de l’enfant qui va naître, mais de sa naissance miraculeuse. C’est si vrai que cet oracle à lui seul ne suffit pas à déterminer l’enfant. Pour cette raison, les protestants qui rejettent l’idée qu’il est ici question de naissance virginale se croient en droit de prétendre qu’il ne s’agit pas d’un enfant déterminé, mais de tous les enfants qui naîtront dans l’intervalle d’un an et auxquels leurs mères pourraient donner le nom d’Emmanuel, opinion dénuée de tout fondement, ne fût-ce qu’à cause du mot aima.

C’est seulement dans ses prophéties ultérieures qu’Isaïe a explicitement fait connaître que l’enfant annoncé est le Messie. Il en résulte que le nom d’Emmanuel avait été donné d’avance à l’enfant non seulement parce qu’il présage le salut de Juda, mais aussi parce qu’il est conforme à la nature surhumaine de l’enfant. Mais à l’époque où Isaïe parlait devant le roi, les auditeurs ne pouvaient pas encore saisir le sens total du nom d’Emmanuel ni le rôle messianique de celui qui le porterait. On ne lient pas d’ordinaire suffisamment compte de ce fait.

La naissance miraculeuse d’Emmanuel apparaît nécessairement comme prochaine ; car elle doit être le signe apte à consolider la foi d’Achaz. En effet,

Isaïe annonce, au > 16, qu’avant que l’enfant sache rejeter le mal et choisir le bien, le pays des deux ennemis sera dévasté. Comme Emmanuel est le Messie, celui-ci semble être attendu pour bientôt. De tout temps on a vu là une difficulté. Pour la résoudre on a, surtout autrefois — aujourd’hui Feldmann l’essaie encore — recouru à l’anticipation prophétique, c’est-à-dire à la supposition que sa vision montrait au prophète le Messie tout près ; dans les temps modernes on a invoqué soit le prétendu sens hypothétique de la particule hinne (= ecce) : Si la Vierge enfantait maintenant, etc., soit l’idée que le signe n’est pas du tout la naissance virginale, mais la dévastation de la Palestine par le roi assyrien. Toutes ces explications sont contredites par le sens obvie du texte, par la grammaire, et reposent en outre sur des changements arbitraires du ꝟ. 16. Voir L. Dennefeld, Le « signe » dans la prophétie d’Emmanuel, dans Bévue des sciences religieuses, 1927, p. 69-86.

Aussi bien n’a-t-on aucunement besoin de recourir à ces moyens artificiels pour comprendre la prophétie sur la naissance de l’Emmanuel ; car elle correspond à une loi générale qui domine, comme nous le verrons, la plupart des prophéties de l’Ancien Testament et qui consiste en ce que les prophètes présentent souvent l’ère messianique comme proche. C’est la loi du raccourci en perspective comme s’exprime Fr. Delitzsch, Messianische Weissagungen, 1890, p. 99, et aussi Fillion, Essais d’exégèse, 1884, i, La prophétie de la vierge mère et d’Emmanuel, p. 98.

2. Cette première prophétie sur l’Emmanuel a été complétée et développée par d’autres qu’Isaïe a prononcées bientôt après. D’abord à l’occasion d’une nouvelle description de l’invasion assyrienne, viii, 5-10, qui suit à peu d’intervalle celle de vii, 17 sq. Le prophète y dit que, parce que Juda a méprisé les eaux de Siloé qui coulent doucement, c’est-à-dire l’action protectrice de Jahvé à Sion, les eaux grandes et puissantes de l’Euphrate, savoir l’armée assyrienne, inonderont la Terre sainte. Consterné par ce danger, Isaïe s’adresse tout à coup, comme dans un appel pressant, à celui qu’il avait annoncé peu de temps auparavant à Achaz, en s’écriant : « Elles couvrent toute ta terre, ô Emmanuel ! » La pensée d’Emmanuel ranime son courage à tel point que, dans un transport de joie hardie, il invite toutes les nations, même celles des pays lointains, à venir attaquer le peuple de Dieu, leur annonçant d’avance qu’elles seront confondues, viii, 9-10. La terre de Juda, qui est souvent nommée la terre de Jahvé, est ici désignée comme appartenant à Emmanuel : d’où il suit qu’il en est le roi. Et comme l’attente de ce roi inspire à Isaïe une confiance absolue en face du monde entier, il est plus qu’un roi ordinaire, il est le roi par excellence que David a nommé l’Oint, le Messie.

Pour écarter l’idée que la Palestine serait le pays d’Emmanuel, quelques critiques, par exemple, Cheyne, Marti, Guthe, changent d’une façon arbitraire la fin de viii, 8, et éliminent surtout le suffixe de la seconde personne : ton pays. Duhm, qui avait introduit ce changement l’a de nouveau abandonné, dans la quatrième édition de son commentaire, 1923, p. 81. Il prend maintenant toute la seconde partie du ꝟ. 8 pour une glose tardive ; par contre il défend contre Guthe et Marti l’authenticité des versets 9-10 et les apprécie même de la façon suivante : « Il s’agit ici pour Isaïe non seulement du danger syrien ; pour lui le monde est entré dans la grande crise spirituelle qui doit décider de ses destinées… La prophétie d’Israël atteint ici une hauteur royale » p. 82.

3. Si quelque doute avait pu exister sur l’identité entre Emmanuel et la personne du Messie, il aurait été dissipé par une troisième prophétie, viii, 23-ix, f>

qui est encore plus claire. Isaïe y constate, plein d’amertume, que le gros du peuple ne prête pas foi aux révélations que Dieu lui accorde par son intermédiaire, et il annonce une troisième fois le châtiment qui viendra de l’Assyrie, et qui pèsera sur tout le pays comme une nuit sombre. Cependant il ne désespère pas. Au contraire, au milieu des plus épaisses ténèbres, il voit tout à coup surgir la lumière du salut. De cette lumière se réjouiront en premier lieu les contrées septentrionales de la Palestine, le pays de Zabulon et de Nephtali, qui, en effet, d’après IV Reg., xv, 29 et les annales de Teglathphalasar III, ont le plus souffert des campagnes assyriennes des années 734-732. Une joie immense régnera parce que le joug imposé par le conquérant sera enlevé, que le bâton de l’exacteur sera brisé et que toute trace de guerre, botte de soldat et manteau trempé de sang, disparaîtra.

Cependant la raison principale de la joie sera le fait qu’alors un roi montera sur le trône de David qui doit garantir à tout jamais la paix :

Un enfant naîtra, un fils nous sera donné ; La souveraineté sera sur son épaule et on le nommera Merveilleux-Conseiller, Dieu fort, père à jamais, prince

[de la paix.

Pour l’agrandissement de la souveraineté et pour la paix Sur le trône de David et dans son royaume, [sans fin

Pour l’affermir et le consolider par le droit et la justice Dés maintenant à jamais. Le zèle de Jahvé fera cela, ix, 6-7.

Il y a ici, comme dans vii, 14, l’annonce d’un enfant. Bien qu’il ne soit pas nommé Emmanuel, il est évident qu’il lui est identique. Ici et là son apparition coïncidera avec le changement de la situation malheureuse. Comme une date de ses toutes premières années doit marquer la fin du danger actuel, représenté par la guerre syro-éphraïmite, ainsi une date ultérieure de sa vie formera le terme de la détresse causée par l’invasion assyrienne. C’est lui qui maintiendra la paix et le bonheur par son gouvernement sage et juste. Il sera qualifié pour cela d’une façon extraordinaire. Il sera un conseiller merveilleux ; sa puissance sera telle qu’on le nommera Dieu fort. Ce titre est donné à Jahvé, Is., x, 21 ; Deut., x, 17 ; Jer., xxxii, 18 ; Neh., ix, 32. Pour Isaïe et ses auditeurs, ce terme appliqué au Messie n’a sûrement pas eu le sens métaphysique qu’on lui donne parfois maintenant. D’autre part, il n’est pas non plus uniquement hyperbolique suivant l’usage du style de cour employé dans l’Ancien Orient. Il exprime une nature surhumaine, une certaine participation à la vie et à la majesté divine. « La conception israélite tout en faisant une différence insurmontable entre Dieu et l’homme, a mis cette différence de côté uniquement pour le Messie… Mais l’idée du caractère divin du Messie restait obscure et imprécise », Feldmann, 1. 1, p. 120. Ce roi divin sera nécessairement pour son peuple un vrai père, un « père à toujours » et un prince de paix. Par lui se réalisera la promesse faite à David que son trône doit subsister à jamais.

Telle est l’explication de cette magnifique prophétie. Personne n’ose en nier le sens messianique. Mais beaucoup de critiques, surtout Marti, Hackmann, Volz, Cheyne, Guthe, la regardent comme inauthentique, comme postexilienne. D’autres, par exemple Baudissin, Cornill, Smend et surtout Duhm, la revendiquent pour Isaïe. Ce dernier critique dans la 4e éd. de son commentaire l’attribue à la fin de l’activité d’Isaïe. Mais à cause de la connexion étroite entre vii, 1, et ix, 1 (il s’agit chaque fois d’un enfant), et à cause de l’accord qui existe entre les descriptions des suites de l’invasion assyrienne données dans viii, 23, et dans les sources historiques, il

vaut mieux la laisser à l’époque de la guerre syroéphraïmite.

4. Immédiatement après l’échec et la retraite des armées de Pékah et de Rezin, le prophète fixe dans un discours solennel l’attention des Hiérosolymitains sur les graves dégâts causés par les envahisseurs : la dévastation totale du pays est la punition de leurs péchés. Ciel et terre doivent s’épouvanter de ce qu’Israël, élevé comme un enfant par Jahvé, le connaît moins que le bœuf son possesseur et l’âne l’étable de son maître, i, 2-3. Jahvé reste malgré tout prêt à leur pardonner : même si leurs péchés sont rouges comme la pourpre, ils deviendront blancs comme la neige, i, 18. Il est cependant inévitable que le peuple passe par un sévère jugement qui le purifiera comme le feu purifie le métal. Ce n’est qu’après ce jugement que Sion sera sauvée. (Nous plaçons donc le discours du premier chapitre à la fin de la guerre syro-éphraïmite et non en 701 après l’invasion de Sennachérib. L’état lamentable du pays que font supposer les ꝟ. 5-9 est suffisamment expliqué par ce qui est raconté IV Reg., xvi, 5, et surtout II Parai., xxviii, 5 sq., de l’issue de cette guerre, de sorte qu’on n’a pas besoin de penser à la dévastation due à l’armée de Sennachérib. En outre, les idées et le ton ne cadrent guère avec les discours qu’Isaïe a tenus vers 701, et dans lesquels il annonce continuellement la délivrance de Jérusalem et la ruine des ennemis, xxviii-xxxiii.)

5. Le peuple, au lieu de tenir compte du langage sévère d’Isaïe, se livre, par suite de la retraite de l’armée ennemie, à une joie folle. Le prophète lui fait savoir, xxii, 1-14, qu’il ne peut pas la partager. Il lui faut au contraire, pleurer sur la ruine de son peuple, xxii, 4. En esprit il voit la ville de nouveau assiégée, ses guerriers percés par le glaive, ses chefs mis en fuite. Ce désastre viendra parce que le peuple, dans son impardonnable insouciance, s’amuse et reste sourd aux appels à la pénitence. Dieu ne leur pardonnera pas ce péché : il faut qu’ils paient cette frivolité par la mort.

(Ce discours, bien qu’à peu près tous les exégètes le supposent prononcé, comme celui du c. i, à l’occasion de l’invasion de Sennachérib, après la retraite provisoire ou définitive de l’ennemi, ne peut, nous semble-t-il, être mis dans la bouche du prophète à cette époque ; car le langage d’Isaïe en 701 est encore bien plus opposé à celui de xxii, 1-14, qu’à celui du c. i. La situation extérieure de xxii peut aussi bien être celle de 735 que celle de 700.’Le ꝟ. 6 qui mentionne Élam et Kisch fait difficulté dans les deux cas et le mieux est de le regarder avec Guthe, p. 626, comme ajouté après coup. Beaucoup plus que xxxii, 12-14, que Duhm place avant les discours de 701 contenus dans xxviii-xxxiii, il faut regarder xxii, 1-14, comme antérieur à ces chapitres.)

3° Prophéties de l’époque de l’invasion de Sennachérib (701). — Ce fut donc au moment d’un grand danger national, causé par les rois de Syrie et de Samarie, qu’Isaïe prononça les célèbres oracles messianiques que nous venons d’étudier. Pour en trouver de semblables il faut descendre jusqu’à la fin de sa carrière. A l’occasion d’un autre danger, bien plus grand encore, provoqué par l’invasion de Sennachérib, le prophète eut alors des visions qui égalent celles de la guerre syro-éphraïmite, tandis que les quelques discours qui se placent entre les deux dates de 734 et 701 n’ont aucune portée messianique.

Les Assyriens avaient détruit le royaume de Damas et de Samarie et menaçaient de plus en plus Jérusalem elle-même. Sennachérib s’apprêtait à achever la conquête des États situés le long de la Méditerranée. Ceux-ci, comptant sur l’aide de l’Egypte, formèrent une ligue contre l’Assyrie. Ézéchias, le successeur 1439 MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : ISAIE

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d’Achaz, y prit part. Pour le punir, Sennachérib envahit Juda : mais devant les portes de la ville sainte son armée fut frappée par l’ange de Jahvé.

Ces événements eurent une forte répercussion sur les oracles d’Isaïc. Le prophète s’opposa par tous les moyens à la coalition avec les autres nations, surtout avec l’Egypte. Il proclama de nouveau que Jahvé suffisait à lui seul pour sauver son peuple. Il assura de la façon la plus nette que Sennachérib ne réussirait pas et qu’après la détresse transitoire la tranquillité renaîtrait. Et de nouveau, comme en 735, il présenta la prospérité à venir comme le bonheur messianique. Les discours qui expriment ces idées d’Isaïe semblent être les suivants : x, 5-xii, 6 ; xvii, 12-xix ; xxviii-xxxiii. 1. Dans l’ordre chronologique, les paroles contre Samarie et Jérusalem, contenues en xxviii, tiennent sans doute la première place. (Bien que la menace à l’adresse de Samarie, xxviii 1-4, date d’une époque antérieure à 722, la plupart des critiques attribuent le reste du chapitre à un temps voisin de 701, à cause de la polémique qui s’y trouve contre ceux qui cherchent l’appui de l’Egypte. Voir Condamin, p. 202, Feldmann, t. i, p. 336. Parce que, en 703, une alliance fut nouée entre Juda et l’Egypte et que, depuis 711, Ézéchias y avait travaillé, les f. xxviii, 5 sq. doivent se placer entre 7Il et 703. A cause de la connexion étroite entre les ꝟ. 4 et 7, il faut supposer qu’Isaïe a repris l’oracle contre Samarie pour y ajouter celui qui vise Jérusalem. Mais comme, d’autre part, le lien entre 4 et 7 est artificiel, rien n’empêche de supposer qu’Isaïe lui-même a plus tard élargi l’oracle contre Samarie par la perspective consolante contenue dans les ꝟ. 5-6, que les critiques rejettent si souvent.)

Comme trente ans plus tôt, Isaïe est obligé de faire encore de graves reproches à Israël ; il l’accuse surtout d’ivrognerie, xxviii, 1-10. C’est pourquoi l’armée assyrienne renversera comme un ouragan d’abord Samarie, xxviii, 2-4. Dieu sauvera cependant un reste de ce royaume pécheur, il deviendra pour lui un diadème de gloire, donnera la justice à ses juges et la force à ses guerriers, xxviii, 5-6. Les Hiérosolymitains ne valent pas mieux que les Samaritains. Ils se moquent même du prophète qui leur annonce la punition, en disant qu’ils ont conclu un pacte avec la mort et l’enfer, xxviii, 14-15. Isaïe leur assure que le fléau les atteindra, xxviii, 17-20. Pour accomplir leur jugement, Jahvé se lèvera lui-même et frémira de colère comme autrefois lorsqu’il est venu en aide à David, xxviii, 21-22. Ce jugement sera « une œuvre étrange » ; car Jahvé, en châtiant son peuple, semble travailler non pas pour, mais contre son propre honneur. Cependant, comme le prophète l’indique, xxviii, 23-29, le châtiment a pour but de purifier le peuple et d’en sauver un reste.

Ce reste, Jahvé l’a dès maintenant posé comme pierre angulaire et comme fondement de l’édifice du nouveau royaume de Dieu qui doit remplacer l’ancien, xxviii, 16-17 a.

2. Malgré les avertissements d’Isaïe, les relations entre Juda et l’Egypte, ou plutôt l’Ethiopie qui dominait en ce moment l’Egypte, devinrent, en face du danger assyrien, de plus en plus étroites et, vers 703, une ambassade du roi éthiopien Tirhaka arriva à Jérusalem. Le prophète éleva de nouveau la voix, xvii, 12-xviii, 7, et invita les messagers à retourner chez eux : Jahvé n’a pas besoin de l’aide de leur roi. Par sa simple menace il dispersera l’armée assyrienne, cette assemblée de peuples nombreux qui font un bruit pareil aux flots de la mer, xvii, 12-14. Au moment où les Assyriens lèveront leurs bras pour saisir Jérusalem, Dieu les coupera comme on coupe des raisins mûrs, xviii, 4-6. L’impression sera telle que les Éthiopiens mêmes reconnaîtront Jahvé et vien dront à Sion lui offrir des présents, xviii, 7. (Bien que ce verset ne semble pas appartenir au texte primitif du poème xvii. 12-xviii, 6, Isaïe lui-même ou quelqu’un de ses disciples a pu ajouter cette prédiction messianique à la prophétie primitive. Condamin, p. 128.)

3. Un an plus tard environ, Isaïe annonce que les Assyriens vont mettre bientôt le siège devant Jérusalem. Dès que le cycle des fêtes d’une année se sera encore une fois reproduit, donc dans un an, la ville sera entourée d’ennemis. Parce qu’ils viendront sur l’ordre de Jahvé, Isaïe dit que Dieu lui-même campera et élèvera des retranchements contre elle et réduira ses habitants à la plus extrême détresse, xxix, 1-4. Elle le mérite à cause de son aveuglement, de son culte purement extérieur et de sa politique irréligieuse, xxix, 9-15. Mais Dieu ne laissera pourtant pas périr Jérusalem, il la délivrera, d’un coup, de ses oppresseurs en les dispersant comme de la poussière, xxix, 5-8. Oui, « sous peu », xxix, 17, la situation sera complètement changée, ce qui est exprimé d’une façon imagée par ces paroles : le Liban sera transformé en verger et le verger en une forêt. L’aveuglement cessera et tous, même les plus pauvres, deviendront heureux. Les malfaiteurs disparaîtront de la communauté et celle-ci, devenue sainte, appartiendra dorénavant à son Dieu dans un bonheur qui rien ne viendra troubler, xxix, 16-24.

(Les deux passages 5-8 et 15-24 du chapitre xxix qui contiennent des promesses de salut, sont attribués par à peu près tous les critiques et aussi par Duhm à des auteurs postexiliens. Cependant les principes qui permettent à Duhm de maintenir l’authenticité des promesses semblables : xxxii, 15 ; ix 1-6 ; xi, 1-8, donnent, comme Condamin, p. 203, et Feldmann, t. i, p. 351 sq., le relèvent avec raison, le droit de laisser également à Isaïe xxix, 5-8 et 15-24. D’autant que Duhm garde xxxi, 5, verset qui, comme nous le verrons tout à l’heure, représente, en comparaison avec ce qui précède, un changement aussi brusque que xxix, 5 et xxix, 15.)

4. Peu de temps après, Isaïe s’adresse de nouveau au peuple et surtout à ses chefs politiques : xxx. Il leur reproche, outre leurs efforts pour gagner l’Egypte, la résistance continuelle qu’ils opposent à Dieu et à ses prophètes. La punition ne tardera pas à venir : l’armée judéenne fuira devant l’ennemi de la façon la plus honteuse et il n’en restera presque rien, la nation sera aussi complètement ruinée qu’une cruche brisée en mille morceaux, xxx, 1-17.

De nouveau, comme dans le discours précédent, par un subit changement d’idées, le prophète annonce que, malgré tout, Jahvé « attend pour faire grâce à son peuple ». Le jour viendra où Israël r.e pleurera plus. Les épreuves l’amèneront à la conversion. Parce qu’il écoutera alors fidèlement la voix de Dieu et qu’il se débarrassera des idoles, une pluie abondante et des fleuves qui couleront même sur les hautes montagnes rendront le sol très fertile. La nature sera tellement changée que la lune brillera comme le soleil et que le soleil aura une clarté sept fois plus grande que maintenant, xxx, 18-26.

A la fin de cette description du bonheur futur, Isaïe prononce des phrases mystérieuses : « Ceci arrivera, dit-il d’abord, au jour où Jahvé pansera les blessures de son peuple », xxx, 26, « au jour du grand massacre, quand les tours tomberont, » xxx, 25. Et immédiatement il décrit, sous l’image d’une tempête, la manifestation de Jahvé qui descendra du ciel et massacrera les ennemis, au son des instruments de musique avec lesquels les Israélites accompagneront le combat, xxx, 27-33. (Tandis que les critiques abandonnent ordinairement, xxx, 18-33, en entier, 1441 MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : ISAIE 1442

Duhm défend les f 27-33, passage contre lequel on n’a pas encore, d’après lui, apporté de preuve sérieuse. On peut en dire autant des versets, xxx, 18-26.)

5. Un peu plus tard, une troisième fois, Isaïe blâme, xxxi ; xxxii, 1-8, les princes à cause de leur pacte avec l’Egypte. Il leur annonce que Jahvé se lèvera « contre la maison des méchants » ; mais une fois de plus il ajoute aussi que Dieu protégera la ville et renversera Assour devant elle. Après la catastrophe de l’ennemi, le roi et le peuple seront transformés ; le bonheur régnera à Jérusalem grâce au juste gouvernement du roi et des princes. L’aveuglement aura cessé pour faire place à une grande sagesse.

(Ces deux groupes de versets n’ont pas non plus trouvé grâce devant les critiques modernes. Duhm est encore une fois tout à fait isolé en maintenant les plus importants. Du premier morceau, c. xxxi, il attribuée Isaïe surtout le ꝟ. 5, malgré le contraste qui existe entre ce verset et ce qui précède. Avec raison il émet l’idée que, dans le c. xxxi, deux poésies différentes, mais isaïennes, sont réunies ; précisément le contraste qui s’y rencontre rend cette conception très probable, non seulement pour ce chapitre, mais aussi pour les précédents, où la transition de la menace à la promesse est si brusque. Toutes deux, menace et promesse, appartiendraient à la même époque, mais n’auraient pas été prononcées simultanément. Le second morceau, xxxii, 1-8, est pour les cinq premiers versets — les trois suivants ne sont que des sentences générales — mis par Duhm sur le même pied que ii, 2-4, et xi, 1-8 : « aussi bien que ii, 2-4, et xi, 1-8, sont authentiques, xxxii, 1-5, peuvent l’être et appartenir à l’âge avancé d’Isaïe », p. 234.)

6. Immédiatement avant le siège, donc à peu près un an après les discours des chapitres xxix-xxxi (voir Driver et Condamin), Isaïe crie malheur au dévastateur assyrien qui ruine tout sans pitié. Mais il a confiance en Jahvé, qui se lèvera contre lui, sauvera la ville et brûlera les ennemis comme des épines. A Sion les pécheurs en trembleront et se convertiront. Après la disparition des Assyriens, on sera de nouveau heureux et tranquille à Jérusalem, à tel point qu’il n’y aura plus, comme Moïse l’avait déjà prédit, Ex., xxiii, 25, d’infirmes ni de malades, xxxiii, 1-24

(Assez unanimement les critiques, y compris Duhm, attribuent ce discours au temps post-exilien. Quelques-uns cependant, Baudissin, Cheyne, Orelli, Kittel, supposent au moins un fond isaïen, ou bien reconnaissent qu’il y a une telle parenté entre ce discours et les oracles reconnus comme authentiques qu’il s’agirait d’une imitation d’Isaïe. Avec raison Condamin, p. 210, en conclut que le parti le plus raisonnable est de laisser ce chapitre à Isaïe.)

7. Lors de l’invasion de Sennachérib, Isaïe annonce donc à maintes reprises le salut, et le présente comme messianique. Comme au moment de la guerre syroéphraïmite, il prédit en outre le Messie lui-même ; car le troisième, x-xi, des célèbres textes qui sont réunis dans le livre d’Emmanuel, c. vii-xii, appartient non pas, comme on l’a supposé souvent et récemment encore Feldmann, à la même époque que les deux autres vii-ix, mais à la dernière de l’activité du prophète.

(Dans le groupe de textes, x, 5-xii, 6, il faut tout d’abord revendiquer le c. x pour la période du siège de Jérusalem sous Sennachérib ; car la note historique de x, 9, ne s’explique qu’après 717 et la remarque de x, 25, que l’ennemi assyrien sera bientôt abattu, rapproche ce texte des chapitres xxix-xxxiii où nous venons de la lire. Et comme le contraste entre le premier verset du chapitre xi et le dernier du chapitre x est visiblement voulu pour rehausser l’impression du chapitre xi, il forme un lien très ferme entre les deux,

de sorte que l’un et l’autre datent de la dernière époque du ministère d’Isaïe.)

(A lire les critiques, avant de chercher à quelle date de la vie d’Isaïe ces textes doivent être attribués, il faudrait se demander s’ils sont authentiques ou non. La plupart d’entre eux enlèvent à Isaïe tout au moins les passages messianiques, savoir x, 20-27 ; xi, 1-9, 10-16, et le chapitre suivant xii. Quant au morceau le plus important, xi, 1-9 : Et egredietur virga de radiée Jesse, etc., Guthe (1922) ne rejette pas entièrement la possibilité d’une origine isaïenne, et Duhm (1923) estime plus probable l’opinion qu’Isaïe en est l’auteur. Tous sans exception regardent la suite de xi, 1-9 : xi, 10-16 et xii comme des textes très, tardifs. Condamin hésite, avec Driver et Skinner, entre le maintien de xi, 10-16, et son attribution à l’époque postexilienne et donne le c. xh pour une addition postérieure à Isaïe. Feldmann tient les arguments en faveur de xi, 10-16, pour plus forts que les autres.)

Dans les chapitres x et xi, Isaïe parle deux fois du danger et du salut. Une première fois, x, 5-27, il annonce à Assour qu’il sera humilié à cause de son orgueil exorbitant, qui le pousse à dépasser les ordres, de Jahvé et à s’emparer de toutes les nations. L’entreprise contre Jérusalem sera la cause de sa chute. Semblable à un feu, Jahvé et son peuple séviront au milieu de l’armée assyrienne comme dans une magnifique forêt, dont quelques arbres seulement subsisteront. Ceci arrivera bientôt, x, 25. En ce jour ceux des Israélites qui survivront au danger — ils ne formeront qu’un petit reste — seront pour toujours fidèlement attachés à leur Dieu, x, 20.

Une seconde fois, x, 28-xi, 16, Isaïe décrit d’abord d’une façon très vivante l’approche des Assyriens. Au moment où ils seront en face de la ville sainte et voudront étendre leurs mains contre elle, ils seront terrassés par Jahvé. De nouveau le prophète les compare à une forêt dont les arbres les plus majestueux tombent sous la hache, x, 28-34. Tandis qu’ainsi la forêt d’Assour sera abattue,

Un rameau sortira de la tige de Jessé,

Un rejeton poussera de ses racines.

Sur lui reposera l’Esprit de Jahvé,

Esprit de sagesse et d’intelligence,

Esprit de conseil et de force,

Esprit de connaissance et de crainte de Jahvé, xi, 1-2.

Du tronc d’Isaï, c’est-à-dire de la famille de David, qui est tellement affaiblie et humiliée qu’elle ressemble à un arbre dont il ne reste plus que le tronc et la racine, sortira un surgeon d’une vigueur exceptionnelle : un roi paraîtra sur lequel l’Esprit de Jahvé reposera avec la plénitude de tous les dons nécessaires pour un gouvernement sage, juste et fort. II s’occupera particulièrement des pauvres et des faibles ; il tuera par contre les tyrans et les méchants par le simple souffle de ses lèvres, xi, 3-5. La suite en sera une paix paradisiaque qui régnera dans tout le pays, parce qu’il sera rempli de la connaissance et de la crainte de Dieu, comme la mer est remplie par les eaux, xi, 9, et à laquelle participer » même le règne animal : les animaux les plus sauvages habiteront ensemble avec les plus paisibles et deviendront les compagnons des enfants dans leurs jeux, xi, 6-9.

Ce roi ne sera pas seulement la gloire et le bonheur des Israélites, mais aussi des païens qui se dirigeront vers lui comme vers un étendard. En même temps les Israélites dispersés reviendront. Il n’y aura plus de discorde entre Juda et Éphraïm ; les douze tribus se jetteront d’un commun accord sur tous les voisins des alentours pour les subjuguer, pendant que Jahvé dévastera et desséchera les pays de leurs ennemis 1443 MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : MICHÉE 1444

les plus redoutables, l’Assyrie et l’Egypte, xi, 10-16. Ces paroles sont très dures, surtout après la description de la paix qui doit régner parmi les animaux. Isaïe aurait-il pu dire immédiatement après que les hommes ne parviendront pas à cette paix ? Les doutes émis au sujet de l’authenticité de ce passage sont donc bien compréhensibles.

8. La prophétie, xi, 1-9, faite au moment du plus grand danger que Jérusalem ait couru depuis que David en avait fait la capitale du royaume israélite, représente le sommet du messianisme d’Isaïe. Elle complète ce qu’il avait déjà énoncé sur la personne et le règne du Messie. D’autre part, elle est elle-même admirablement complétée par deux autres prédictions qui annoncent la participation de tous les peuples au royaume messianique.

L’une est la célèbre vision, ii, 2-4, sur la montagne de Sion vers laquelle tous les peuples afflueront dans les derniers temps pour recevoir de Jahvé l’enseignement de la vérité. Ils se laisseront tous sans exception guider par Jahvé ; par suite toute guerre cessera et les armes seront transformées en outils de travail.

Duhm remarque avec raison qu’on n’a encore produit aucun argument sérieux contre l’authenticité de ce texte, et qu’à cause de la parenté avec xi, 1 sq. et xxxii, 1 sq., le mieux est de le placer à la fin de l’activité d’Isaïe.

L’autre prédiction, xix, 16-25, se rapporte à la conversion de l’Egypte et de l’Assyrie. La crainte de Jahvé qui punit l’Egypte amènera d’abord quelques villes à le reconnaître comme maître suprême, et à apprendre la langue sainte de son culte. Finalement tout le pays adorera Jahvé, on érigera au milieu de l’Egypte un autel en l’honneur du vrai Dieu et toutes sortes de sacrifices y seront offerts. Dans ce même dessein de servir Jahvé, l’Egypte s’associera à l’Assyrie. La rivalité entre ces deux puissances cessera. Le trait d’union entre les deux sera Israël qui leur communiquera la connaissance de Jahvé et deviendra ainsi, conformément à l’antique promesse faite à Abraham, Gen., xii, 1-3, une bénédiction au milieu de la terre. Quand on pense aux traitements cruels qu’Israël a subis si souvent de la part de ces deux peuples, on voit que cette prédiction respire l’universalisme le plus large et le plus sublime.

Nous plaçons cette prophétie, avec Condamin et Feldmann, à la fin de l’activité d’Isaïe. Parmi les protestants, il n’y a que Driver, Kuenen, Dillmann, Baudissin qui la reconnaissent comme authentique. Tous les autres rejettent de plus en plus, non seulement les promesses faites à l’adresse de l’Egypte, mais aussi les menaces, xix, 1-15, qu’Isaîe avait proférées contre elle antérieurement.

Voir la bibliographie indiquée à la fin de l’article Isaïe, t. viii, col. 77-7’J.

Y ajouter : Guthe-Budde, Pas Buch Jesaia dans Kaulzsch, 1922 ; Duhm, Pas Buch Jesaia iibcrselzl und erklàrt, 4e éd., 1922 ; Knabenbauer, Cornmentarius in Isaiam prophetam, 2 vol., 2e éd., 1923 ; Fr. Feldmann, Pas Buch Isaias iihersetzl und erklàrt, 2 vol., 1925-1926 ; A. Kônig, Das Buch Jesaia eingeleilet, ùbersetzt und erklàrt, 1926 ; II. Guthe, Pas Zukun/tsbild des Jesaja, 1885 ; II. I lackmann, Pie Zukun/tserwartung des Jesaja, 1893 ; J. llermann, Per Messias ans Paoids Geschlecht, dans Zeitschri/t fur wissenscha/tliche Théologie, t. li, p. 260-268 ; II. Guthe, Zeichen und Weissagung in les. 7, 14-17, dans Wellluuisen/estschri/t, 1914 ; Béer, Z.ur Zukunftserwartung Jcsajas, ibid. ; K. Marti, Dcr fesatantsche Kern in Jes. G, 1-9, G, dans Budde/estschrifl, 1920 ; G. Harford, The prince oj peace (Is., ix 6), dans The Expositor, 1919 ; A. li. Gordon, The failli oflsaiah, statesman and euangelisl, 1920 ;.1. Rldderboos, ’De messiaskoning in Jcsujus pro/ete, 1920 ; H. C. Faithfull, Immanuel, dans The Exposttor, 1920-21 —, I). il. Corley, Messianic l’ro~ phecg in flrsl Isaiah, dans American Journal of sem. Long, , 1922-23.

V. MICHÉE.

Loin d’être éclipsé par son grand contemporain Isaïe, Michée mérite précisément au point de vue messianique une attention toute particulière. Si ses discours ne reflètent guère les graves événements politiques qui remuèrent à son époque le peuple juif jusqu’au fond, ils en représentent d’autant mieux la situation religieuse et sociale.

A son arrivée à Jérusalem, le campagnard de Moreschet est au plus haut point scandalisé par la dépravation profonde et universelle des mœurs, vu, 1-6, spécialement par l’exploitation brutale des petites gens dont les grands et les riches, ii, 1-11, les juges même se rendent coupables, iii, 1-12, tout autant par l’extrême perversité religieuse qu’il y constate. Cette dernière consiste dans un culte purement extérieur et dans l’illusion présomptueuse qu’aucun malheur ne peut arriver à Israël, parce qu’il est le peuple de Dieu et qu’il possède le temple, iii, 11. Avec une indignation et une sévérité qui le font dépasser non seulement Isaïe mais aussi Amos, Michée annonce le jugement à la nation coupable. Il en donne surtout deux descriptions.

D’abord, i, 1-u, 11, il dépeint une théophanie grandiose : Jahvé, en faisant trembler la terre et les montagnes se fondre, descend du ciel pour punir Israël (ou^bien la phrase i, 2 a : « écoutez, vous tous peuples ; prête ton attention, terre » est une glose ; ou bien peuples = tribus, et terre = pays, ères, doivent se restreindre à la Palestine et à ses habitants). Il ruinera en premier lieu Samarie, avec toutes ses idoles, i, 6 sq., mais le coup qu’il portera contre le royaume du Nord atteindra aussi Jérusalem, i, 9 sq.

Dans un second tableau, vi, 1 sq., le prophète présente Dieu plaidant contre son peuple. Le Très-Haut lui rappelle ses bienfaits et lui répète qu’il est honoré non par les sacrifices, mais par la droiture, la charité, l’humilité. Il s’adresse en particulier à Jérusalem, dont les habitants imitent les pratiques idolâtriques de Samarie. Pour cette raison, Jahvé va commencer à les punir : les ennemis leur enlèveront le produit de leur travail et les extermineront par le glaive, vi, 9 sq. (La ressemblance entre les formules introductoires des deux morceaux, vi, 1-8 et vi, 9-16, l’analogie entre l’apostrophe au peuple, suivie de celle qui est adressée à Jérusalem et le contenu de i, 5c ; « Quel est le péché de la maison de Juda (LXX) ? N’est-ce pas Jérusalem », témoignent en faveur de l’unité des deux morceaux, et excluent pour le second l’origine postexilienne que Guthe et d’autres supposent. )

Pour Michée, pas plus que pour ses prédécesseurs, le jugement ne constitue la fin de l’histoire du peuple de Dieu. Bien que le sort lamentable d’Israël le fasse hurler comme les chacals et gémir comme les autruches, i, 8, il déclare, à une autre occasion, vii, 7, et cela après avoir décrit, comme peut-être aucun autre prophète avant lui, la corruption morale de ses coreligionnaires, qu’il met son espérance dans le Dieu de son salut qui l’exaucera (le f. vii, 7, doit être rattaché au morceau qui précède et non à celui qui suit).

Le prophète ne désespère donc pas, et, conformément à cette confiance, il n’est pas étonnant que dans son livre les menaces s’accompagnent aussi de promesses : ii, 12-13 ; iv-v ; vii, 8-20. Malheureusement, au point de vue critique et exégétique, ces dernières soulèvent des questions compliquées. Déjà les prédictions du châtiment révèlent le caractère complexe du livre de Michée ; mais celles de la restauration rendent la situation vraiment embarrassante : la transition d’un oracle à l’autre est tantôt très abrupte, tantôt à peine sensible, les perspectives de salut sont divergentes ; quelques versets suggèrent des remaniements et des élargissements exiliens et poslexiliens ; 1445 MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : NAHUM, HABACUC 1446

en outre maint verset est obscur. De là les opinions les plus discordantes sur le sens et l’origine de ces prophéties. Il y a surtout une forte tendance à nier l’authenticité, sinon de toutes, du moins d’une grande partie d’entre elles, pour les placer après l’exil et les expliquer par la situation et les idées de cette époque. Cependant les arguments qu’on allègue contre l’authenticité des oracles en question sont en majeure partie tendancieux. Abstraction faite de iv, 10 b, qui semble être une glose exilienne, il n’y a, dans les c. iv-v, aucune idée ou situation qui ne cadre avec le vine siècle, ou qui soit en désaccord avec le contenu des passages qui sont reconnus par tous comme originaux. Quelques versets de ces chapitres, ainsi que ii, 12-13, contrastent avec leur contexte immédiat ; mais il en résulte seulement que les textes du livre de Michée sont loin d’être coordonnés d’une façon méthodique, et non que les oracles soient inauthentiques. Seuls les deux cantiques, vii, 8-20, semblent appartenir à l’exil.

Par rapport à leur contenu, les promesses de Michée peuvent, nous semble-t-il, se ramener aux groupes suivants : l.iv, 9-v, 1 ; 2. v, 2-6 ; 3.n, 12-13 ; iv, 6-8 ; v, 7-9 ; 4. v, 10-14 ; iv, 1-4 et être comprises ainsi :

t. iv, 9-v, 1. — Ce texte rappelle les oracles prononcés par Isaïe, xxix-xxxiii, lors de l’invasion de Sennachérib, et semble avoir trait à la même situation. Michée voit se rassembler beaucoup de peuples contre Jérusalem, x, 11 ; ils mettent le siège autour d’elle et frappent les tribus d’Israël (LXX) sur la joue, v, 1. Sion tremble comme une femme en travail, 9, 10. Cependant ces peuples ne réussiront pas à profaner la ville sainte. Au contraire ils ne font, en se réunissant, qu’accomplir le plan conçu par Jahvé pour leur perte. Quand ils seront tassés devant Jérusalem comme les gerbes sur l’aire, Jahvé donnera à la fille de Sion, c’est-à-dire à la population de la ville, cet ordre : « Lève-toi et foule et je te ferai une corne de fer et des sabots d’airain, pour que tu broies des peuples nombreux et voues leur gain à Jahvé et leurs trésors au Seigneur de toute la terre », 13.

2. v, 2-6. — Bien qu’il ne forme pas nécessairement la suite du précédent, ce second morceau le complète par l’annonce que le salut sera réalisé par un roi puissant, le Messie. Ce libérateur sortira de Betléhem, qui aura cet honneur, bien qu’il soit très petit par comparaison avec les autres dans de Juda. Comme il sortira de la souche davidique, le prophète ajoute que ses origines dateront de l’âge antique, des jours du lointain passé, voir van Hoonacker, p. 389 sq. Les Israélites seront opprimés par leurs ennemis jusqu’au moment de sa naissance, date que Michée, par une claire allusion à Is., vii, 14, détermine ainsi : il (Jahvé) les livrera jusqu’à ce que celle qui doit enfanter, enfante, 3 a.

Le premier effet de l’apparition du Messie sera la réconciliation des tribus du Nord et du Sud, 3 b. Le peuple ainsi réconcilié vivra en sécurité par suite du gouvernement puissant de ce roi idéal, dont le prestige s’étendra jusqu’aux extrémités de la terre, 3. Si alors les pires ennemis, les Assyriens, osent encore une fois attaquer Israël, il y aura assez de chefs militaires, donc aussi assez de soldats, pour les repousser et les vaincre dans leur propre pays, 5, 6.

3. ii, 12-13 ; iv, 6-8 ; v, 7-9. — Ces trois groupes de versets, quoique séparés, sont étroitement liés entre eux ; les deux premiers ont très probablement formé primitivement une unité littéraire. Dans tous trois, Michée vise le temps qui doit suivre le désastre. Jahvé réunira ceux qui auront échappé au jugement, comme un berger rassemble les brebis égarées, et les reconduira à Jérusalem, ii, 12-13. Tel est le sens de ces deux versets ; il n’y est question ni de l’évasion des

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

habitants de Jérusalem pendant le siège assyrien (van Hoonacker), ni du retour de l’exil babylonien (Nowack, Guthe, Knabenbauer-Hagen). Il en fera un peuple nombreux et fort et régnera sur lui sans fin a Sion. Jérusalem qui à cause de l’image des brebis est ici nommée « tour des troupeaux », c’est-à-dire endroit où les brebis seront en sécurité, retrouvera ainsi de nouveau la royauté de jadis, iv, 6-8. Rétabli de cette façon, Israël deviendra vis-à-vis des peuples païens aussi nombreux que la rosée et les gouttes de pluie sur les plantes et aussi fort qu’un lion parmi les troupeaux, v, 7-9.

4. v, 10-14 ; iv, 1-4. — Ce sont deux tableaux de l’état religieux, moral et social de la Palestine et du monde entier au temps messianique : Jahvé ôtera du pays toutes les idoles et tous les sortilèges, de sorte que le culte de Dieu sera pur et parfait. Il fera aussi disparaître toutes les forteresses, tous les chars et tous les chevaux où les Israélites mettaient si souvent leur confiance : Jahvé sera leur unique soutien, v, 10-14.

La paix et la vraie religion régneront alors non seulement en Israël, mais chez tous les peuples. Pour décrire cet état admirable de l’humanité, Michée reprend, iv, 1-4, l’oracle d’Isaïe, ii, 2-4, sur le pèlerinage des peuples à Sion et le complète surtout par la phrase classique : « on sera assis, chacun sous sa vigne et sous son figuier, et nul ne causera de terreur », iv, 4.

Les commentaires des douze petits prophètes, voir col. 1429.- — -Les commentaires de Michée seul de Cheyne, 1882 ; Beck, 1898 ; P. Haupt, 1911 ; J. M. P. Smith, 1912 ; Guthe, 1923. — E. Arnaud, Étude sur le prophète Michée, 1882 ; W. E.Barnes, A messianic prophecy (Micah, 4, 8-5, 6), dans The Expositor, 1904, p. 376 sq. ; Micah the prophel, dans The Interpréter, 1909, p. 353 sq. ; M. Ehrenhaus, Dos Messiasbild desMicha, 1909 ; H. Donat, Mi., 2, 6-9, dans Biblische Zeitschrift, 1911, p. 350 sq. ; Delporte, Michée, 1, 5 et 7 dans Biblische Zeitschrift, 1913, p. 235 sq. ; Michée, 1, 6, ibidem, 1914, p. 142 sq. ; Prolin, La vierge-mère chez Michée, dans Revue auguslinienne, 1910, p. 589 sq. ; Budde, Dos Ràtsel von Micha, 1, dans Zeitschr fur. die A. T. Wissenschaft, 1917, Micha, 2 und 3, ibidem, 1919-1920 ; A. Bruno, Der Herscher aus der Vorzeit, 1923 ; voir aussi ci-dessous l’art. Michée.

vi. nahum et HABACUC. — D’après la plupart des critiques modernes, les deux petits livres de Nahum et d’Habacuc auraient un contenu presque entièrement eschatologique, et seraient donc très importants pour le messianisme.

Nahum aurait annoncé la destruction de Ninive, parce qu’il nourrissait l’espoir que la disparition de la capitale assyrienne inaugurerait le bonheur et le salut définitif d’Israël. Mais rien ne justifie cette interprétation des oracles du prophète ; tout d’abord en effet, bien que le psaume par lequel son livre s’ouvre, c. i, soit une description de Jahvé venant pour le jugement, il est aussi peu eschatologique que le psaume xvii, dans lequel David en dessinant unethéophanie non moins grandiose glorifie Dieu uniquement pour le secours reçu de lui. Ensuite la promesse, ii, 3, que Jahvé restaurera la vigne — il faut lire gefen pour geon — - de Jacob, que les dévastateurs avaient ravagée, n’a aucune portée messianique. Nahum y annonce simplement que, le plus grand oppresseur de Juda disparu, son peuple se rétablira. La meilleure preuve qu’il n’envisage pas l’avènement de l’ère messianique est le fait que le cadre ordinaire dans lequel tous les prophètes préexiliens l’ont annoncé, savoir jugement sévère du gros du peuple et salut d’un petit reste, manque complètement chez lui. C’est donc à tort que W. Stærk, Das assyrische Weltreich im Urteil der Propheten, 1908, p. 179, reproche à Nahum un nationalisme étroit par suite duquel il prédirait à Juda le rétablissement définitif sans le faire dépendre

X. — 46

1447 MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : SOPHONIE 1448

de son relèvement moral, que Sellin place la prophétie de Nahum, pour expliquer l’absence de reproches graves, immédiatement après la réforme religieuse de Josias, et que Guthe et Nowack attribuent le psaume du premier chapitre ainsi que plusieurs autres versets à l’époque postexilienne.

Plus encore que dans Nahum, les plus récents commentateurs des petits prophètes, Duhm, Sellin, Guthe, Nowack ont découvert des idées messianiques dans Habacuc. Ils abandonnent l’explication historique d’après laquelle le prophète aurait vécu à la fin du vu » siècle et fait allusion à l’oppression dont les Babyloniens menaçaient, s’ils ne l’exerçaient déjà, soit les Israélites, soit les Assyriens. Ils la remplacent par une exégèse eschatologique. Habacuc aurait reçu « la révélation que la fin est proche », Nowack p. 258, « et parlerait uniquement de la fin », Sellin, p. 335. Il décrirait Jahvé se levant et descendant sur la terre accompagné d’un orage et d’un tremblement de terre pour rétablir définitivement l’ordre. La cause de cette intervention de Jahvé serait l’expédition d’un grand roi qui, à la tête d’une armée immense, envahit et bouleverse l’ancien Orient. Ce roi ne serait autre qu’Alexandre le Grand dont Habacuc aurait été le contemporain.

Cette hypothèse, émise pour la première fois par Duhm, 1906, adoptée par Nowack dans la troisième édition de son commentaire, 1922, par Proksch et surtout par Sellin, 1922, ne peut pas être raisonnablement soutenue. Elle repose pour ainsi dire exclusivement sur la transformation de kasdim (Chaldéens) en kittim (Macédoniens), i, 6, et de iain (vin) en ievani (Grec), ii, 5. Or ces corrections sont tout à fait arbitraires, car le texte ne contient aucune allusion à l’expédition d’Alexandre. Et même si Alexandre y était visé, les oracles d’Habacuc n’auraient pas plus que s’ils se rapportent aux Chaldéens une couleur eschatologique. Car dans les deux premiers chapitres le prophète décrit uniquement des événements actuels sans y voir des signes précurseurs d’un changement total de l’ordre actuel ; la phrase obscure, ii, 3, se rapporte à la fin de l’épreuve présente et non pas à la fin suprême. Dans le psaume qui forme le troisième chapitre et qui depuis Duhm est de nouveau reconnu comme authentique, Habacuc décrit une théophanie à la façon du premier chapitre de Nahum et du psaume xvii, sans penser comme le veut Guthe dans E. Kautzsch, t, ii, p. 75, au jugement final des païens en faveur d’Israël.

Les commentaires des douze petits prophètes, voir col. 1429. — Les commentaires de Nahum et d’Habacuc de Baumgartner, 1885 ; A. B. Davidson, 1899 ; Beck, 1899 ; Happel, 1902, 1905 ; Duhm, 1906 ; W. H. Ward, 1912 ; J. M. P. Smith, 1912 ; Guthe dans Kautzsch. 1923.

P. Haupt, The Book of Nahum, dans Journa lof biblical littérature, 1907 ; P. Kleincrt, Nahum und der Fall Ninives, dans Theologische Studien und Kritiken, 1910 ; F. Alartin, La prophétie d’IIabakuk, 1864 ; J. Bôhmer, Habakuks Schri/l im Feuer der neueren Kritik, dans Neue kirchliche Zeitschri/t, 1899 ; W. Caspari, Die Chaldàer bei Habakuk, ibidem, 1907 ; F. Nicolardot, La composition du livre d’Habacuc, 1908 ; Cheyne, An appeal (or a more complète criticism of the book o/ llabakkuk, dans Jewish quarlerly review, 1908 ; Stonchouse, The Book of llabakkuk, 1911.

vu. sopiionie. — Tandis que Nahum et Habacuc, dans les discours qui nous sont conservés, ne prédisent pas l’avenir messianique, le point de vue eschatologique prédomine chez leur contemporain Sophonie. Aussi le ton est-il tout autre. Chez ceux-là, aucun reproche, aucune menace à l’adresse d’Israël. Chez celui-ci, la perspective d’un jugement sévère donne a tout son livre un sombre caractère.

Sophonie est le prophète par excellence du jour de Jahvé dont il donne une description vigoureuse et impressionnante. Il multiplie les qualificatifs pour

en relever la terreur. Il le nomme jour de colère, d’angoisse, d’affliction, de renversement et de bouleversement, d’obscurité et de ténèbres, i, 15. Ce qui rend sa description particulièrement effrayante, c’est l’annonce que ce jour est proche, i, 14. Le monde entier avec ses habitants sera consumé, i, 18 ; hommes et animaux, oiseaux et poissons seront exterminés, i, 3, 18. Mais le jugement visera en premier lieu Juda et les habitants de Jérusalem, qui seront punis à cause de leur idolâtrie et de leurs mœurs païennes, i, 4 sq. Pour les châtier, Jahvé se servira d’armées ennemies qui marcheront « contre les forteresses et les hautes tours », i, 16, et répandront le sang comme la poussière et les cadavres comme l’ordure, i, 17. Les angoisses seront telles que les héros mêmes pousseront des cris, i, 14, et que les hommes erreront comme des aveugles, i, 17. Seuls les humbles pourront être sauvés. Ils sont invités à pratiquer la justice, pour ne pas périr quand la fureur de Jahvé éclatera, ii, 3. Outre Juda, Sophonie nomme en détail cinq autres peuples qui seront frappés par le jugement : les Philistins, les Moabites, les Ammonites, les Kouschites et les Assyriens. Ils seront complètement ruinés, ii, 415. Ceux des Israélites qui survivront s’empareront du territoire de leur voisins exterminés, ii, 6, 7, 9.

A côté ce cette issue désastreuse réservée à cinq nations, le prophète connaît aussi un résultat salutaire du jugement pour les païens : l’abolition de l’idolâtrie, « de sorte que toutes les îles des païens adoreront Dieu, chacun à son endroit », ii, 11. Tel est le contenu de la première partie du livre, c. i-n.

Dans une seconde partie, iii, sont répétés les reproches contre Jérusalem, la ville pécheresse, iii, 1. Elle aurait dû se laisser avertir par la punition que d’autres peuples ont subie et se convertir, iii, 6 ; mais elle reste obstinée dans la pratique des crimes, iii, 7. Pour cette raison elle sera englobée dans le jugement universel préparé par Jahvé. Le Très-Haut réunira les peuples et les royaumes pour verser sur eux toute l’ardeur de sa colère, iii, 8, et pour consumer toute la terre.

Le résultat de ce jugement ne sera pas d’ailleurs, comme Sophonie l’indique à nouveau, l’extermination de l’humanité, mais seulement sa purification. Les nations païennes recevront des lèvres pures, et d’un commun accord elles serviront Jahvé, iii, 9. Même au delà des fleuves de Kousch, elles lui offriront des sacrifices. Juda lui-même sera sanctifié. Tous les pécheurs hautains seront enlevés de son sein, iii, 11, et il formera un peuple humble et petit qui ne commettra aucun péché et qui sous la protection divine vivra en sécurité absolue, iii, 12-13. Prévoyant cet état de bonheur, le prophète invite dès maintenant Sion à la joie, iii, 14 ; car alors Jahvé demeurera au milieu d’elle comme son roi, iii, 15 ; il fera revenir les dispersés et les exilés, Israël deviendra une nation glorieuse dans le monde entier et devant tous les peuples, iii, 19-20.

Autant les critiques modernes grossissent les prétendues doctrines eschatologiques de Nahum et de Habacuc, autant ils diminuent celles de Sophonie. Plusieurs parmi eux, par exemple Stade, Schwally, Marti, Wellhausen, Budde, lui enlèvent le troisième chapitre tout entier et une notable partie du second. D’autres, surtout Cornill, Nowack, Rothstein et Sellin, ont avec raison réagi contre cet excès et revendiquent pour Sophonie l’ensemble du livre. D’autres part ils ont émis la théorie que les oracles primitifs du prophète auraient principalement visé Juda et quelques autres nations, et que leur contenu aurait été presque uniquement comminatoire. Plus tard ces oracles auraient reçu une retouche eschatologique et universaliste, par l’addition de nombreuses gloses plus oi »

1449 MESSIANISME, LES PROPHÈTES PRÉEXILIENS : JÉRÉMIE 1450

moins longues tells que i, 18 b ; ii, 10-11 ; iii, 8 a p, 8 b 3, 10, 16-20. Si cette conception de l’origine secondaire de plusieurs phrases saillantes était juste, la valeur messianique du livre de Sophonie se réduirait beaucoup. Mais elle nous semble aussi peu justifiée que le procédé de ceux qui enlèvent à Sophonie la moitié de l’écrit qui porte son nom. Aussi Sellin est-il beaucoup plus réservé que ses prédécesseurs et revendiquet-il pour le prophète plusieurs phrases que d’autres lui ont contestées. Mais précisément parce qu’il est moins radical il se montre d’autant plus inconséquent. En vertu des principes mêmes qui l’amènent à maintenir des textes universalistes et eschatologiques, la plupart de ceux qu’il traite comme des gloses sont également authentiques. En effet, d’après les études minutieuses de M. van Hoonacker, p. 502 sq., les additions postérieures sont insignifiantes.

Les commentaires des douze petits prophètes, voir col. 1429. Les commentaires de Sophonie’de Reinke, 1868 ; Kleinert, 1893 ; Beck, 1899 ; Davidson, 1899 ; LippI, 1910 ; J. M. P. Smith, 1912 ; Rothstein, dans Kaulzsch, 1923.

Schwally, Das Buch Zephania, dans Zeitschrift/ùr die A. T. Wissenschaft, 1890 ; Bachmann, Zur Texlkrilik des Propheten Zephania, dans Theologische Sludien und Kritiken, 1894 ; Besson, Introduction au prophète Sophonie, 1910 ; Cornill, Die Prophétie Zephanjas, dans Theologische Studien und Kritiken, 1916 ; J. Calés, L’authenticité de Sophonie, II, 11 et son texte primitif, dans Recherches de science religieuse, 1920.

vin. jérémie. — Non seulement, comme tous ses prédécesseurs, Jérémie a prévu et prédit le grand châtiment du peuple élu et de la ville sainte, mais il l’a vu de ses propres yeux. Il en a été le témoin ému et l’interprète le plus qualifié par suite des révélations qu’il reçut en ce moment. Cette coïncidence de ses prophéties avec la catastrophe, ainsi que le rôle si important qu’il a joué donnent à ses prédictions sur l’avenir d’Israël une portée unique.

Le livre qui les contient, bien que l’authenticité de ses différentes parties soit loin d’être aussi contestée que celle du livre d’Isaïe, pose cependant une foule de problèmes critiques, de la solution desquels dépend la conception exacte de son messianisme. Ces problèmes concernent surtout l’ordre chronologique des prophéties, ordre qui, comme pour Isaïe, doit former le cadre indispensable de notre exposé, et les remaniements des textes primitifs qui ont été ou auraient été entrepris justement au point de vue messianique, soit par Jérémie et Baruch eux-mêmes, soit par des prophètes postérieurs ou de simples collecteurs et lecteurs des oracles.

1° Discours antérieurs au premier siège de Jérusalem (597). — Comme pour Isaïe, la vision inaugurale de son ministère ouvre à Jérémie une sombre perspective sur l’avenir de son peuple. Elle l’est pourtant moins que chez le fils d’Amos. D’après les dernières paroles que Dieu lui adresse à cette occasion, le prophète d’Anathoth ne devait pas seulement « arracher et détruire, perdre et ruiner », c’est-à-dire prédire la ruine, mais aussi « bâtir et planter », i, 10, donc annoncer aussi le salut. Sa tâche principale était cependant de proclamer des accusations et des menaces. Dans ce sens, Jahvé lui montre une chaudière bouillante qui s’avance du Nord, en lui disant qu’elle signifie les royaumes septentrionaux qui viendront inonder la Terre sainte et en conquérir les villes, parce que les Israélites ont renié leur Dieu et adoré les idoles, i, 13-16.

Cette vision contient le thème qui revient le plus souvent dans les discours de Jérémie. Il se rencontre immédiatement dans un premier cycle, qui remonte au début de son activité, ii, 1-iv, 4. (Ce texte est doublement en désordre : les morceaux primitifs ne

se suivent plus dans leur ordre original, et des passages y ont été intercalés après coup par Jérémie. Nous plaçons avec Volz, Der Prophet Jeremia, 1922, p. 33, et L. Gautier, Introduction à l’Ancien Testament, 1914, 1. 1, p. 387, iii, 19-iv, 4, après iii, 5, et, avec la plupart des exégètes, nous regardons ii, 14-17, comme ajouté après la mort de Josias (608) et surtout, à l’exemple de Condamin, Le livre de Jérémie, 1920, p. 32 et 35, et Rothstein dans E. Kautzch, Das Alte Testament, 1922, p. 726, la prophétie messianique, iii, 14-18, comme ajoutée après 586. Condamin, p. 26, met ni, 19-21, entre ni, 13 et 14 ; Volz, p. 47, suppose seulement iii, 16, 17-18 a comme ajoutés après coup.)

Après avoir exposé l’ingratitude et l’apostasie sans exemple du peuple élu tout entier, ii, il annonce que le pardon est exclu, ni, 1-5. Jahvé sans doute serait prêt à pardonner même cette extrême infidélité à la condition d’un repentir sincère, iii, 14. Plein de miséricorde, il y invite son peuple, iii, 12 sq., 22 sq. Mais c’est en vain. Pour cette raison dans les discours, iv, 5-vi, 30, qui appartiennent sans doute à la même époque Jérémie décrit à plusieurs reprises l’ennemi que le Seigneur fera venir du Nord : c’est une grande nation qui se lève des extrémités de la terre, bien armée et impitoyable ; le bruit qu’elle fait est semblable au mugissement de la mer, vi, 22-23 ; elle se compose uniquement de héros et dévorera la maison, le bétail, les fils et les filles d’Israël, v, 15-17. (Les deux f. suivants, 18-19, ne semblent pas être primitifs, et pas davantage quelques mots de iv, 27 et de v, 10 qui restreignent la destruction ; voir pour v, 19, Condamin, p. 48, pour v, 18 ; iv, 27 ; v, 10, Volz, p. 51, 59, 64, et Rothstein, p. 735, 737.) Dans ces descriptions Jérémie ne pense pas nécessairement, comme le relèvent Condamin, p. 61 sq., et Volz, p. 57 sq., justement contre la plupart des exégètes modernes, à un peuple déterminé, savoir les Scythes. « Jérémie avait appris de Jahvé qu’une puissance guerrière fera son irruption du Nord. Il ne savait rien de plus », Volz, p. 58. Le prophète entend déjà en esprit le son des trompettes et les cris de guerre, et il voit les étendards des conquérants, iv, 19-20. Le châtiment de son peuple prend même à ses yeux la forme d’une catastrophe mondiale : la terre devient vide et le ciel sans lumière ; les montagnes tremblent, les hommes disparaissent du sol et les oiseaux des airs, iv, 23-26.

La réforme religieuse du roi Josias en 621 n’a eu qu’un effet transitoire, surtout parce qu’après la mort de ce prince, 608, Joïakim a de nouveau introduit le culte idolâtrique. Jérémie s’opposa formellement à cette abolition des lois de Josias, xi. (Nous regardons avec Rothstein, p. 755, et surtout avec Volz, p. 129 sq., ce chapitre comme composé au commencement du règne de Joïakim ; Condamin, p. 103 sq., le suppose écrit en 621.) Dans une série d’oracles, vii, 1-ix, 22 ; x, 17-22, le prophète répète ses menaces et ajoute des détails saisissants. Jahvé rejettera les habitants de Juda loin de sa face, comme il a rejeté toute la race d’Éphraïm, vii, 15 ; il va déverser sa fureur sur les hommes, les bêtes et les arbres ; elle brûlera sans s’éteindre, vii, 20. Les cadavres seront la pâture des oiseaux et des bêtes, vii, 33, et couvriront les champs comme du fumier, ix, 21. La mort sera préférable à la vie pour les survivants dans tous les lieux où Jahvé les aura dispersés, viii, 3. Dieu enverra derrière eux le glaive jusqu’à ce qu’il les ait exterminés, ix, 15 ; il enverra même contre son peuple des serpents et des basilics, viii, 17, et l’abreuvera d’eau empoisonnée, ix, 14. Le prophète proclame surtout que, si le peuple ne se convertit pas, non seulement la ville, mais aussi le temple sera détruit. Cette menace, d’après le récit du chapitre xxvi, aurait failli lui coûter la vie. Des prédictions analogues remplissent les discours des cha1451 MESSIANISME, LES PROPHhTES PRÉEXILIENS : JÉRÉMIE 1452

pitres xiv-xvii. (La perspective de salut, xvi, 14-15, interrompt la suite des idées et a été sans doute ajoutée après coup ainsi que très probablement xvi, 19-20.)

La quatrième année du roi Joïakim, 005, Jérémie reçut de Jahvé l’ordre de réunir dans un volume toutes les paroles qu’il avait déjà adressées au peuple et de les lire au temple pour que, par leur ensemble, elles fissent plus d’impression sur les auditeurs. Mais le roi déchira et brûla le livre et le peuple persista dans ses péchés, xxxvi. C’est pourquoi dans un grand discours, xxv — excepté Scliwally, Duhm, Ryssell, les critiques le regardent comme authentique, sauf les versets 3038 que la plupart rejettent pour des raisons que le P. Condamin estime vagues et insuffisantes — le prophète annonça de nouveau la punition. Il fit allusion aux bouleversements des peuples de l’Orient qui eurent lieu à cette époque, et dont les épisodes les plus marquants furent la chute de Ninive en 612 et la bataille de Karkemisch en 605. Il vit dans ces troubles le jugement dont Jahvé frappe les nations, en particulier Juda qui boira la coupe de 1? colère divine plus que toutes les autres, xxv, 17, 29. Il releva comme autrefois que le désastre viendrait du Nord : « Dieu fera venir toutes les tribus du Nord », xxv, 9, c’est-à-dire, comme l’indique une glose du texte hébreu, l’armée de Nabuchodonosor. En effet le châtiment se rapprocha de plus en plus en la personne de ce roi qui défit le pharaon Néchao à la bataille de Karkemisch, devint le maître absolu des provinces occidentales de l’ancien royaume assyrien. Jérémie décrit ce châtiment en termes très pathétiques : « Jahvé du haut (du ciel) rugit, il crie… contre tous les habitants de la terre ; le tumulte s'étendra jusqu’au bout de la terre ; …Jahvé dispute avec les nations, il plaide contre toute chair… une grande tempête s'élève des extrémités de la terre, » xxv, 30-32.

Immédiatement avant le déchaînement de l’orage, Jérémie invite encore une fois Juda à la conversion dans le poème, xiii, 15-27, qui se place peu de temps avant 597 : « Rendez gloire à Jahvé votre Dieu avant que ne viennent les ténèbres », xiii, 16. Mais il sait que ses exhortations sont vaines ; aussi peu qu’un nègre peut changer de peau, aussi peu les Israélites habitués au mal pourront faire du bien, xiii, 23. C’est pourquoi Dieu les dispersera comme de la paille, xiii, 24.

2° Oracles à partir du premier siège (597). — Les menaces de Jérémie commencent à se réaliser en 597, lors du premier siège de Jérusalem causé par la révolte de Joïakim : le jeune roi Jéchonias qui lui succéda fut emmené en captivité avec la meilleure partie des habitants de la ville. Aussitôt après cette première déportation, les prédictions de Jérémie prennent une autre tournure ; il n’envisage plus seulement le jugement, mais aussi le salut. Il commence enfin à « planter » après avoir jusqu’ici « arraché ». Cependant de son changement d’attitude ne bénéficient pas ceux qui l’entourent, mais uniquement ceux qui viennent d'être envoyés en exil. Par la vision des deux panniers de figues, dont l’un contient des fruits exquis, l’autre des fruits fort mauvais, il apprend que l’avenir d’Israël repose dorénavant sur les seuls déportés qui sont représentés par les bonnes figues, xxiv. C’est pour eux seuls qu’il trouve des paroles de consolation. Il les leur transmet en 594 dans une lettre, xxix. La perspective du salut telle qu’elle ressort de la forme primitive de la lettre est encore vague et générale : après soixanle-dix ans, c’est-àdire après un laps de temps assez long et non pas bientôt, comme île faux prophètes le leur font croire, xxvii-xwm, Jahvé les ramènera dans leur pays, xxix, 10. (Cette Indication sur la durée de l’exil a élé plus tard Intercalée dans le grand discours du e. xxv, 1112.) L’espoir se précise dans l’oracle sur les mau vais pasteurs, xxiii, 1-8, qui ne se comprend nulle part mieux qu'à la fin du règne de Sédécias, successeur de Jéchonias. Voir Volz, p. 229 ; Rothstein, p. 790. Après avoir menacé les mauvais pasteurs qui ont dispersé et égaré le troupeau de Jahvé, Jérémie annonce que Dieu ramènera ses brebis de tous les pays où il les a dispersées ; elles seront fécondes et se multiplieront ; elles auront des pasteurs qui les paîtront conscieusement, de sorte qu’elles n’auront plus rien à craindre, xxiii, 3-4. Il prédit surtout que le temps viendra où Jahvé suscitera à David un germe juste qui régnera avec sagesse et justice, qui procurera le salut à Juda aussi bien qu'à Israël et dont le nom sera : Jahvé noire justice, xxiii, 5-6. L'éclat de ce rétablissement sera tellement grand qu’il éclipsera la gloire de l’Exode, xxiii, 7-8.

Ce texte représente la première prophétie vraiment messianique qui se rencontre dans Jérémie. Il comprend une description assez complète de l'ère nouvelle : Jahvé lui-même opérera le salut en ramenant les exilés, et en suscitant à David un digne descendant qui réunira sous son sceptre les deux royaumes dans un commun état de félicité. Le nom du nouveau roi « Germe », ainsi que les qualités qui lui sont attribuées, ne laissent pas de doute que cet oracle soit l'écho de celui d’Isaïe, xi, 1 sq., sur la tige qui sortira du tronc de Jessé. (Volz, p. 230, a essayé d'éliminer les ꝟ. 5 et 6 pour des raisons intrinsèques et extrinsèques, de même Meinhold, Einfùhrung ins Aile Testament, 1919, p. 208 ; Rothstein, p. 789, affirme par contre que l’authenticité n’en peut être révoquée en doute.)

L’oracle le plus rapproché de cette promesse messianique appartient déjà au temps du dernier siège de Jérusalem. Le rôle que Jérémie eut alors à jouer était tout autre que celui d’Isaïe en pareille occasion quand l’armée de Sennachérib avait bloqué la ville (701). Celui-ci pouvait annoncer la défaite certaine de l’ennemi ; celui-là devait prédire la conquête inévitable de Jérusalem, xxi, 1 sq., xxxiv. Jérémie s’attira par là même les pires persécutions, xxxvii-xxxviii. Il eut au moins la consolation de recevoir à nouveau de Jahvé, et d’une façon pour ainsi dire palpable, l’assurance que la ruine imminente de la ville sainte et de l'État théocratique ne serait pas la fin d’Israël, xxxii-xxxiii. Au moment où le siège touchait à sa fin, Jahvé lui ordonna d’acheter un champ à Anathoth. Cet achat devait garantir que, malgré le désastre, le champ garderait sa valeur et par là être un indice symbolique de la restauration d’Israël, xxxii, 1-15. Dans ce sens le Très-Haut accompagna son ordre de promesses sur le retour des Israélites, sur leur séjour tranquille dans la patrie recouvrée, sur leur union inaltérable avec Jahvé qui conclurait avec eux une alliance nouvelle, xxxii, 36-44 ; xxxiii, 1-13. (L’authenticité entière ou substantielle de ces deux passages est assez communément reconnue, voir Condamin, p. 250 ; Volz, p. 301, rejette pourtant la majeure partie des deux et Rothstein, p. 815 sq., fait de même pour le second. Quant aux promesses de xxxiiij 14-26, sur l'état florissant de la royauté et du sacerdoce qui manquent dans le texte grec, les critiques sont assez d’accord pour les placer à l'époque postexilienne. « Les raisons apportées contre l’authenticité de ce morceau ne sont pas péremptoires ; mais, prises dans leur ensemble, elles gardent assez de force pour réduire la conclusion, en cette manière obscure, aux proportions modestes d’une simple probabilité » Condamin, p. 251.)

Bientôt après Jérusalem fut détruite et la grande masse de la population transportée à Rabylone. Au prophète qui trouva grâce auprès du vainqueur un seul soutien restait : l’espérance en l’avenir. Pour celle raison il lui donna une expression bien plus 1453 MESSIANISME, LES PROP HÈTES PRÉEXILIENS : BARUCH 1454

parfaite encore qu’auparavant. Il décrivit l’ère messianique dans un magnifique poème, xxx-xxxi qui, au point de vue esthétique aussi bien que théologique, forme le point culminant de toutes ses prophéties.

(Les opinions sur l’origine de ces deux chapitres sont peut-être plus partagées que pour n’importe quel autre texte de Jérémie. Rares sont ceux qui les rejettent en entier, Stade, Smend, Nath. Schmidt, ou qui n’en retiennent que des tronçons, surtout xxxi, 2-6, 15-20, comme Giesebrecht, Duhm, un moment Cornill. La plupart des exégètes en regardent la majeure partie comme authentique, Graf, Rothstein, Peake, Baudissin, Sellin, Gautier, Driver, Volz, Condamin, et ne tiennent — et ceci avec raison — pour secondaires que xxx, 10-11 = xlvi, 27-28 ; xxx, 23-24 = xxiii, 19-20 ; xxxi, 35-37. Beaucoup parmi eux, auxquels Cornill s’est associé après coup, défendent expressément le passage le plus.important, xxxi, 31-34, contre Duhm. - — Quelques-uns distinguent deux périodes de composition : une partie du poème aurait été écrite avant l’année 586, une autre après cette date. Mais l’homogénéité du texte, si bien relevée par Condamin, p. 235 sq., et avant lui déjà par Eichhorn, Peake, Cornill, après lui par Volz, ainsi que les allusions précises au temps qui suivra la catastrophe rendent bien plus probable l’opinion que les deux chapitres en entier furent seulement composés après 586.)

Le temps viendra où Jahvé rétablira Israël et Juda et les reconduira dans le pays qu’il avait donné à leurs pères, xxx, 3. Cette restauration sera précédée d’une grande angoisse, xxx, 5 sq., que le prophète suppose sans doute causée par un bouleversement politique des peuples, parmi lesquels les Israélites seront dispersés. Ils seront alors définitivement délivrés de leurs ennemis et serviront dorénavant Jahvé leur Dieu, et leur roi David que Jahvé leur donnera, xxx, 9. Jérémie donne ici au nouveau roi le nom de David tout court, pour relever qu’il sera aussi digne que le premier, qu’il sera le Messie.

Le prophète s’adressse ensuite, xxx, 12 sq., d’une façon spéciale à Juda et surtout à Sion pour leur promettre le rétablissement : la ville sera reconstruite et le palais royal rebâti, xxx, 18 ; on y entendra des cris d’allégresse du peuple qui se multipliera, xxx, 19. De la même manière il apostrophe, xxxi, 1 sq., Éphraïm et les autres tribus du Nord. Jahvé les aime d’un amour éternel et les rassemblera des extrémités de la terre. Elles rebâtiront Samarie et iront remercier Jahvé à Sion de tout le bonheur qu’il leur accordera, xxxi, 5 sq. Que Rachel cesse donc de pleurer ses enfants perdus, xxxi, 15 sq.

En ce temps, quand Juda et Israël seront ramenés dans leur pays, Jahvé conclura avec eux une nouvelle alliance, xxxi, 31, qui consistera principalement en ce que la loi divine ne sera plus seulement écrite extérieurement sur des tables de pierre, mais dans les cœurs, xxxi, 33, c’est-à-dire que la volonté de Dieu lés dominera complètement ; elle fera partie de leur nature et ne sera plus une force étrangère à laquelle ils puissent résister. Par suite de cette influence que la loi divine exercera sur les cœurs, tous, du plus petit au plus grand, auront une parfaite connaissance de Dieu, xxxi, 34.

Ce nouvel état de choses durera sans fin ; aussi longtemps que le soleil éclairera le jour et que la lune et les étoiles éclaireront la nuit, Israël sera le peuple élu qui jouira sans interruption de ces faveurs divines, xxxi, 35-37. Sans doute, il y aura encore dans son sein des transgresseurs de la Loi ; mais ils seront punis individuellement. Jamais le peuple comme tel ne sera plus rejeté et puni, comme c’est à présent le cas, xxxi, 29-30.

Le grand texte des chapitres xxx-xxxi est pour ainsi dire récapitulé dans un tout petit, iii, 14-17, qui ajoute en outre à ce tableau du temps messianique deux traits extrêmement importants. Le culte de Jahvé sera tellement intérieur qu’on se passera même de l’arche d’alliance, ce signe visible de la présence de Jahvé, iii, 16. Ensuite, à la fin des temps, non seulement les Israélites, mais aussi les païens « ne suivront plus les mauvais penchants de leur cœur », au contraire ils viendront adorer Jahvé à Jérusalem, m, 17. Ainsi les autres nations auront part au salut d’Israël.

Il y a encore deux endroits où Jérémie exprime les mêmes idées universalistes. Le premier estxii, 1417 ; Jahvé y annonce « aux mauvais voisins » d’Israël, donc aux peuples des alentours, qu’ils seront châtiés par la déportation, mais -que plus tard ils seront ramenés dans leurs pays. Si alors ils se convertissent et acceptent la foi d’Israël, ils lui seront incorporés. Dans le cas opposé ils seraient exterminés. Cette promesse, bien qu’elle fasse suite à un texte qui date du temps de Joïakim, doit néanmoins se rattacher chronologiquement aux chapitres xxx-xxxi ; car il n’est guère concevable que le prophète, à une époque où il n’avait que des menaces pour son peuple, ait ouvert une perspective si consolante aux ennemis d’Israël (Rothstein, Volz). Il en faut dire autant de la magnifique prière, xvi, 19 : « Jahvé, ma force, mon rempart et mon refuge au jour de la détresse, vers toi viendront les nations des confins de la terre et elles diront : Nos pères n’ont eu que le mensonge en héritage, des vanités qui ne profitent pas. »

On le voit, Jérémie ne s’attend pas pour le temps messianique à un grand changement extérieur en Israël, au point de vue soit politique soit matériel. Il n’y a chez lui aucune allusion à une position prédominante du peuple dans le monde ou à une transformation miraculeuse de la nature en sa faveur, bien qu’il prévoie lui aussi une manifestation éclatante de Jahvé. Ce qu’il relève c’est la transformation des âmes et leur union intime avec Dieu. A la conception hautement spiritualiste que Jérémie professe sur l’ère messianique correspond l’universalisme le plus large.

Pour la bibliographie, voir t. vii, article Jérémie ; Podfchard, Le livre Jérémie : structure et formation dans Revue biblique, 1928, p. 181 sq.

IX. barvch.

Le livre de Baruch, qui remonte en grande partie au disciple et secrétaire fidèle de Jérémie, mais qui a été élargi plus tard, renferme nécessairement de belles prophéties messianiques, conformément à son but qui est de consoler les exilés. En effet après avoir exprimé déjà dans la grande prière de pénitence, i, 15-m, 8, l’espoir que les souffrances de l’exil changeront l’esprit des Israélites et qu’alors Dieu aura pitié d’eux pour les reconduire dans leur pays et conclure avec eux une alliance éternelle, ii, 30-55, l’auteur trouve dans la seconde partie des paroles admirables pour décrire la beauté et le bonheur dont Jérusalem jouira lors de la restauration : « Jérusalem, regarde vers l’Orient et vois la joie qui te viendra de Dieu. Voici tes fils viennent… tous ensemble de l’Orient jusqu’à l’Occident, par la parole de Dieu (LXX), se réjouissant de la majesté de Dieu », iv, 36-37. « Dieu les ramène, portés avec honneur comme les fils d’un royaume. Car Dieu a décidé d’abaisser toute montagne élevée et les collines éternelles, et de combler les vallées jusqu’au niveau de la terre, afin qu’Israël marche rapidement dans la gloire de Dieu. Les forêts et tous les arbres parfumés ombrageront Israël sur l’ordre de Dieu. Car Dieu ramènera Israël avec joie à la lumière de sa majesté, avec sa miséricorde et sa justice », v, 6-9.

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    1. MESSIANISME##


MESSIANISME, LES PSAUMES PRÉEXILIENS

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X. psaumes PRÉEXILIENS (à l’exception des ps. il et Cix). — -Après les livres prophétiques, nul autre ne contient autant d’idées messianiques que le psautier. Étant un recueil de chants pieux, de prières et de méditations qui appartiennent aux époques les plus diverses de l’histoire juive, il reflète les principaux sentiments religieux, les pensées et aspirations qui animaient les Israélites. Et parce que l’espérance messianique a été leur préoccupation particulière à travers tous les âges, elle a naturellement trouvé dans les psaumes de multiples expressions.

Aussi, avant d’aborder la littérature prophétique, avons-nous déjà dû ouvrir le psautier, et les psaumes de David nous ont fourni quelques éléments très importants du messianisme. Il faut de nouveau le prendre en mains à la fin de notre étude des prophètes préexiliens, en attendant de le retrouver encore au bout de nos recherches sur l’ensemble des oracles exiliens et postexiliens, pour recueillir les idées messianiques de ceux des psaumes qui nous semblent plus ou moins contemporains des écrits prophétiques. Cette étude successive s’impose déjà, parce qu’elle permet de garder dans une certaine mesure, même pour les psaumes, le cadre chronologique. Elle est en outre exigée par le fait que les formes sous lesquelles l’espérance messianique se rencontre dans le psautier, ne se comprennent parfois qu’à la lumière des oracles parallèles des prophètes.

Les exégètes sont encore moins d’accord pour les conceptions messianiques des psalmistes que pour celles des prophètes. Ceci tient d’abord à la grande différence de leurs opinions sur le messianisme en général, mais aussi au fait que la date de bien des psaumes est difficile à déterminer, et surtout que les psalmistes se contentent parfois de faire une simple allusion aux idées messianiques, au lieu de les exprimer d’une façon précise. Les problèmes qui en résultent sont très compliqués et rendent l’étude du messianisme dans le psautier plus difficile que pour n’importe quel livre prophétique. Nous n’avons discuté ces problèmes à propos des psaumes n et cix que dans la stricte mesure où ceux-ci l’exigeaient. Il faut en donner ici un exposé systématique et l’appliquer aux autres psaumes préexiliens.

Psaumes qui se rapportent au Messie personnel.


En lisant les commentaires modernes du psautier, on fait la singulière constatation qu’il y a une tendance très prononcée à contester le sens messianique d’à peu près tous les psaumes que la tradition nous avait accoutumés à regarder comme les plus certainement messianiques. Ce sont les psaumes qui se rapportent directement à un Messie personnel, savoir, les psaumes ii, xxi, xliv, lxxi, cix. Gunkel, Die Psalmen Hberselzt und erklârt, 1926, p. 9, affirme catégoriquement : « Dans le psautier le Messie n’est pas mentionné du tout. »

Parmi ces cinq psaumes quatre : ii, xliv, lxxi, cix, forment un groupe à part. Les poètes y glorifient dans les termes les plus élogieux la personne d’un roi. Pour ii et cix, nous avons déjà vu qu’il n’y a aucune raison d’abandonner la conception reçue au sujet de leur origine et de leur sens : David y exalte bien le roi messianique.

Le meilleur complément de ces deux psaumes est le psaume lxxi. Tandis que David décrit le Messie surtout comme un roi guerrier qui renverse ses ennemis, l’auteur de ce psaume le présente comme un prince pacifique. Le Messie sera pour ses sujets ce qu’est la pluie et la rosée pour le sol, 6. Son règne sera caractérisé par la justice, la bonté, la paix qui orneront le pays comme la verdure couvre les collines, 1-4, 7, 1214. A ce bonheur spirituel correspondra le plus grand bien-être matériel : il y aura abondance de blé même

sur les montagnes, 16. Comme déjà les psalmistes souhaitent à des rois ordinaires une vie sans fin, ps. xx, 5 ; lx, 7, il n’est pas étonnant que le poète annonce que ce roi messianique vivra aussi longtemps que dureront le soleil et la lune, et que sa gloire durera sans cesse, 17.

Le Messie ne sera pas seulement le chef de la Palestine et des Israélites, mais de toute la terre et de tous les peuples : il dominera de la mer à la mer, 8, « tous les rois se prosterneront devant lui, toutes les nations seront à son service », 11. Les « princes des pays les plus lointains, ceux de Tarsis et de Saba, lui offriront des présents, 10 et « tous ses ennemis lécheront la poussière ». Par lui se réalisera la promesse faite à Abraham ; car « toutes les générations de la terre se béniront en lui », 17.

Plus encore que les ps. n et cix, le ps. lxxi ne peut être que la description du Messie et de son règne. En effet, ici pas plus que là, les expressions ne sont, comme le prétend Gunkel, des hyperboles hardies courantes dans le langage des cours, ou, comme le veut Kittel, des termes eschatologiques appliqués à un roi ordinaire. La souveraineté sur tous les peuples, telle qu’elle est dessinée dans les versets 8-10, exclut un roi historique. Aussi Zenner, tout en niant le sens directement messianique pour les ps. n et cix, l’accepte-t-il pour le ps. lxxi, et Bæthgen, Duhm, Bertholet reconnaissent la portée messianique des t. 8-10 ; ces derniers préfèrent cependant les regarder comme ajoutés après coup. Il est d’autant plus curieux de constater que Stærk et Wutz, qui donnent aux ps. ii et cix une explication messianique, en privent le ps. lxxi.

Les adversaires de l’explication messianique n’allèguent en somme qu’un seul argument positif, qui est bien précaire. Ils disent que le t. 15b « on priera pour lui constamment » exclut le Messie. Comme si même les sujets de ce roi idéal ne pouvaient accompagner son gouvernement de leurs vœux et les exprimer sous forme de prières.

Tandis que Duhm et Bertholet attribuent le psaume au temps des Asmonéens, Bæthgen, Stærk, Kittel, Gunkel, Hoberg, Pérennès, Condamin le placent à l’époque des rois préexiliens. Comme la description du roi et du règne messianique diffère notablement de celle qui est donnée par David et ressemble par contre beaucoup à celle d’Isaïe, le mieux semble être de ranger le psaume après ce prophète.

Le quatrième des psaumes royaux, ps. xliv, est en même temps un épithalame dans lequel le poète s’adresse à tour de rôle à un roi et à sa fiancée. Il commence par célébrer sa beauté ; il vante ensuite sa vaillance guerrière et finalement la justice et la magnificence de son règne. Il l’apostrophe même pour lui adresser cette promesse : « Ton trône, ô Dieu, subsistera toujours », 7 a. Après quoi, le poète parle à la reine qui « se tient à la droite » de son époux, « parée de l’or d’Ophir ». Mais, avant de glorifier sa beauté, ses ornements, sa suite, il lui recommande d’oublier son peuple et la maison de son père — elle vient donc de l’étranger — de s’habituer complètement au milieu nouveau et d’être entièrement soumise au maître qui l’a choisie. Pour terminer, le poète pense aux fruits du mariage, et il souhaite que le roi puisse établir ses fils comme princes dans tout le pays et que son nom soit immortel.

Pris à la lettre, ce psaume a un contenu purement profane. Mais, puis qu’il se trouve dans une collection canonique de chants religieux, le sens littéral n’est pas, bien que de nos jours tous les exégètes protestants l’affirment, l’unique sens qu’il renferme. Comme le Cantique des cantiques, le psaume exigo une interprétation métaphorique : le mariage entre 1

roi et la reine signifie l’union ou bien entre Jahvé et son peuple, ou bien entre le Messie et ses élus. Parce que dans l’Épître aux Hébreux, i, 8, le verset « Ton trône, ô Dieu, subsistera toujours » est appliqué au Christ, la tradition chrétienne a préféré l’explication messianique.

Celle-ci admise, la question se pose de savoir si le psalmiste, en composant son épithalame, a d’abord visé le vrai mariage d’un roi qu’il a pris ensuite pour un type de la relation du Messie avec son peuple, ou s’il a voulu, dès le commencement, glorifier uniquement le roi par excellence. Dans le premier cas, le psaume ne serait qu’indirectemnt messianique. Cette explication, donnée par de Muis, Jansénius de Gand, Bossuet, Calmet, plus ou moins aussi par Lagrange et Wutz, est tout à fait admissible. Elle n’est pas exclue par l’apostrophe : « Ton trône, ô Dieu, subsistera toujours » ; car le mot Dieu ne signifie pas nécessairement l’être suprême au sens métaphysique, mais de même que dans le psaume txxxi, 6, il sert à désigner les juges, il peut être ici employé à l’adresse du roi pour l’exalter par ce titre. Cependant l’interprétation directement messianique nous semble préférable. Elle n’est contredite ni par le fait que la reine est présentée comme venant de l’étranger, ni par la mention des fils du roi, comme le prétendent Lagrange, Bæthgen, Kittel ; car l’exégèse métaphorique n’a pas besoin de tenir compte de tous les détails du sens littéral, elle ne doit même pas le faire ; autrement elle se heurterait à des inconvénients propres à la rendre ridicule. En d’autres termes, elle ne doit pas consister en une interprétation allégorique des détails, mais en une interprétation parabolique de l’ensemble pour en faire ressortir l’idée dominante, qui n’est autre que la relation intime entre le Messie et l’humanité. Ce psaume, que beaucoup de commentateurs ont appliqué au mariage de Salomon avec la fille du roi d’Egypte, est sans doute préexilien comme l’affirment Stærk, Kittel, Gunkel. Cependant Bæthgen, Bertholet, Duhm préfèrent ici encore l’attribuer au temps des Machabées.

(Pour le psaume xxi voir plus loin.) D’après plusieurs exégètes il faudrait encore joindre à ces psaumes royaux qui glorifient le Messie le psaume cxxxi, Mémento Domine David. Il se compose d’une prière adressée à Jahvé pour qu’il réalise les promesses faites à David et un oracle par lequel Dieu rassure son peuple, en réitérant ses engagements pour l’avenir d’Israël. Le Tout-Puissant a choisi Sion comme demeure pour l’éternité. « Là, dit-il, je ferai germer une corne à David et je préparerai une lampe à mon oint, » 17.

Lagrange, Pannier, Stærk, Bæthgen prennent, selon l’exemple des Targums, « corne » et « lampe » pour des désignations symboliques du Messie, et voient dès lors dans ce verset une prophétie sur ce roi eschatologique qui sortira un jour de la famille de David. Bertholet se montre très favorable à cette conception. Knabenbauer, Hoberg, Zenner, d’Eyragues, Pérennès, Duhm, Kittel, Gunkel entendent par contre avec beaucoup plus de raison « corne » comme synonyme de force, et « lampe » comme synonyme de bonheur ou de durée de la dynastie. Ces termes en effet ont souvent ce sens, par exemple ps. xviii, 3 ; Ez., xxix, 21 ; Eccli., li, 8 ; Dan., vii, 8 ; viii, 5 ; III Beg., xi, 36 ; xv, 4 ; II Beg., xxi, 17 ; Prov., an, 9 ; Job, xviii, 5 ; le fait que « Germe » est dans Jérémie, xxiii, 5 et Zacharie, iii, 8 ; vi, 12, un nom pour le Messie ne peut nullement suffire pour donner à la phrase « faire germer une corne à David » la signification de « faire sortir de la maison de David le Messie ». Ce psaume n’est donc pas plus messianique que la promesse contenue dans II Beg., vu.

Plus discutée encore que le sens de ce psaume est sa date. Pour d’Eyragues, Lagrange, Stærk.’Bæthgen, Duhm, Bertholet, il est postexilien, pour Knabenbauer, Zenner, Hoberg, Pérennès, Kittel, Gunkel, il est préexilien. Comme le contenu est tout à fait général et qu’il ne fait nulle part supposer que la promesse faite à David au sujet de sa dynastie n’est pas réalisée au moment où il fut composé, mieux vaut le placer avant l’exil.

Très proche parent de ce cantique est le psaume lxxxviii. Son auteur mentionne également les promesses faites à David et les amplifie même beaucoup, 2-5, 20-38 (6-19 n’est pas une partie primitive du psaume), mais il constate avec amertume la différence qu’il y a entre ces promesses, et la situation actuelle de la famille royale et du peuple, 39-46. II supplie Jahvé d’avoir de nouveau pitié d’Israël, 47-52. Le messianisme du psaume lxxxviii est donc absolument le même que celui de cxxxi. Il y a par contre une grande différence entre eux par rapport à la date. La plupart des exégètes attribuent très justement le psaume lxxxviii à l’époque exilienne ou postexilienne. L’hymne interpolé 6-19 est avec raison regardé par Gunkel comme préexilien. Sans le moindre droit Bæthgen trouve dans le ꝟ. 19 : » A Jahvé appartient notre bouclier et au Saint d’Israël notre roi » une allusion au Messie personnel.

2° Les prétendus psaumes eschatologiques ou psaumes d’intronisation de Jahvé. — Ceux des exégètes modernes qui contestent le plus que certains psaumes soient des prophéties strictement messianiques, font, à cet égard, d’autant plus de cas de plusieurs autres. Les psalmistes qui n’auraient pas décrit l’œuvre et la personne du Messie, auraient par contre mainte fois relevé la grande intervention par laquelle Jahvé lui-même inaugurerait l’ère messianique. Ils ne se seraient pas contentés d’y faire quelques allusions. Plus d’un parmi eux se serait transporté en esprit à la fin des temps et aurait, en des psaumes entiers, chanté la gloire de Dieu qui s’y révélera ainsi que le bonheur des hommes qui doit en résulter.

Le premier qui ait systématiquement exposé cette opinion est Gunkel. Voir Die isrælitische Literatur, dans Hinneberg’s Kultur der Gegenwart, I, vii, . puis l’article Psalmen, dans Die Religion in Geschichte und Gegenwart, t. iii, 1910 ; Ausgewâhlte Psalmen l re -4e édit. ; Reden und Aufsâtze, p. 123 sq. ; Die Psalmen ùbersetzt und erklârt, 1926. Il s’appuie en partie sur Stade et il a été suivi surtout par Stærk et Kittel. Ces auteurs entendent comme eschatologiques, pas toujours cependant d’une façon unanime, les psaumes suivants : xlv, xlvi, xlvii, lxxiv, lxxv, xcii, xcviii. Pour les caractériser comme un groupe à part, ils leur donnent un nom spécial, à savoir psaumes d’intronisation ou d’avènement de Jahvé. Ils les nomment ainsi parce que leur contenu roulerait autour de l’établissement définitif du royaume de Dieu sur la terre.

Cette théorie a pris après coup chez Mowinckel, Psalmenstudien, n : Das Thronbesteigungsfest Jahwæs und der Ursprung der Eschatologie, Christiania, 1922, une forme très curieuse. D’une part cet auteur nie le caractère eschatologique de ces cantiques, et il les prend, en leur assimilant un grand nombre d’autres psaumes, pour des chants liturgiques qu’on aurait composés pour une prétendue fête d’intronisation de Jahvé. La célébration en aurait consisté en des rites et des hymnes par lesquels on exprimait que Jahvé prend de nouveau, pour l’an qui s’ouvre, possession de l’empire d’Israël et du monde. Les psaumes d’intronisation auraient donc été primitivement des poésies liturgiques. D’autre part Mowinckel prétend que la fête de l’intronisation de Jahvé serait deve

nue la source de l’eschatologie des Israélites : les idées des psaumes, après avoir été de simples idées cultuelles, se seraient transformées en conceptions eschatologiques. Ainsi l’eschatologie d’abord chassée par Mowinckel du psautier y est finalement réintroduite par lui-même.

Quand il sera question de l’origine du messianisme, nous verrons combien précaires sont les bases sur lesquelles repose la théorie de Mowinckel. Ici il est nécessaire de voir au juste ce qu’il faut penser de celle de Gunkel, de Kittel et de Stærk ; car ils ont déjà gagné des adhésions partielles au sujet de tel ou tel psaume. Or, bien qu’il y ait lieu de se réjouir de voir croître le nombre des données messianiques dans le psautier, nous croyons que la manière dont ces exégètes, et à leur suite quelques autres, présentent certains psaumes comme se rapportant d’un bout à l’autre à la fin des temps n’est aucunement justifiée. C’est avec beaucoup de raison, comme nous l’avons constaté après coup, que Kônig, Die Hauptschwachen der mode r ne n Psalmenauslegung, dans Théologie und Glaube, 1926, p. 635 sq., proteste à son tour contre elle et la signale comme un des côtés faibles de l’exégèse moderne des Psaumes.

Le premier « psaume d’intronisation » serait le psaume xlv. Dans les trois strophes de ce cantique puissant, le poète célèbre Sion comme inébranlable parce qu’elle est la demeure de Jahvé : même si la nature entière était bouleversée, les habitants de Jérusalem ne craindraient rien, i rc strophe. Des peuples et des royaumes s’étaient réunis pour attaquer la ville sainte ; mais Jahvé a fait retentir sa voix et tout de suite ils ont tremblé et se sont affaissés, iie strophe. Qu’on vienne et qu’on regarde les œuvres de Jahvé, ses ravages dans le pays ; il a banni la guerre jusqu’aux frontières du pays, il a brisé et brûlé toutes les armes et domine ainsi sur les nations, ni" strophe.

D’après l’explication commune, ce psaume se rapporte à une victoire récemment remportée sur des ennemis qui menaçaient Jérusalem, très probablement à la défaite de l’armée de Sennachérib en 701.

Pour Stade, Gunkel, Stærk, Kittel, Cheyne, il est une description de la délivrance que Jahvé accordera aux siens dans les derniers jours : il les fera échapper aux bouleversements cosmiques qui auront lieu à la fin du monde comme ils en avaient marqué le commencement, str. i ; il abattra les peuples païens qui, conformément aux prophéties d’Ézéchiel, xxxviiixxxix, entreprendront alors une attaque suprême, sir. ii, et il établira la paix universelle et éternelle sur la terre, str. ni.

Cette exégèse n’est qu’une série d’exagérations, pour employer un terme que Gunkel applique tant de fois à celles des explications messianiques qui ne lui conviennent pas. En effet il n’y a pas dans ce psaume la moindre allusion à la fin du monde. Déjà l’invitation à voir ce que Jahvé vient de faire, t.’.), montre que le poète pense à son temps. Dans la première strophe il est bien question de cataclysmes universels, mais comme de faits hypothétiques, non comme de faits réels qui arriveront un jour. Leur mention est tout à fait semblable à la célèbre phrase d’Horace : Si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruimv. Les propositions décisives de la seconde strophe sont les deux suivantes : ꝟ. 5 a : « un lleuve, ses bras réjouissent la ville de Dieu » et t. 7 : l : « des nations mugissent, des royaumes s’ébranlent ». Quel mot dans la deuxième permet de penser à l’assaut général des peuples décrit par Ézéchiel ? Kl pourquoi la première, serait-elle une description du bonheur qui doit arriver à la fin des temps et cpii recevra sa réalisation, comme le prédiront Ézéchiel, /acharie, Joël, entre autres par un lleuve miraculeux qui jaillira à Jérusalem

et transformera la Palestine en paradis ? La phrase, il faut l’avouer, est abrupte et obscure. On voit d’ordinaire dans le fleuve une désignation symbolique de la grâce et de la protection divine. Pour pouvoir le prendre pour le fleuve eschatologique, il faudrait y être autorisé par le contexte : ce qui n’est pas plus le cas pour la troisième strophe que pour les deux premières. L’annonce que Dieu fera cesser la guerre jusqu’à la frontière du pays s’explique très bien après une victoire éclatante et représente le sens naturel du ꝟ. 10. S’il était sûr que le psaume a trait à l’événement de 701, on pourrait traduire : « Jahvé fera cesser la guerre jusqu’au bout de la terre » ; car Isaïe a également pris la défaite de l’armée assyrienne pour le commencement de la paix complète. Dans ce cas le ꝟ. 10, et lui seul, contiendrait une idée messianique. Bertholet a donc bien raison de dire que, dans le psaume, les notes eschatologiques retentissent doucement, bien plus doucement qu’on ne l’a supposé.

Le psaume suivant, xlvi, est un hymne à Jahvé, qui remonte à Sion avec l’arche d’alliance qu’on rapporte d’une bataille victorieuse. A cette occasion le poète rappelle les victoires les plus éclatantes que Jahvé ait remportées lors de la conquête de la Palestine : « Il nous a soumis des peuples, il a mis sous nos pieds des nations. Il nous a choisi notre héritage », 4-5. Ce qui rend le poète particulièrement joyeux et fier, c’est le fait que Jahvé est en même temps le maître de toutes les nations sur lesquelles il règne, 9. C’est pourquoi il invite non seulement les Israélites mais tous les peuples à l’acclamer, et il voit venir le jour où les païens aussi le reconnaîtront comme leur roi et où leurs princes s’uniront « au peuple (mot à mot comme peuple) du Dieu d’Abraham », 10. Le psaume se termine donc par la grande idée messianique de la conversion des païens. Mais tout ce qui précède se rapporte ou bien au passé ou bien au présent.

Plus encore que le précédent, ce psaume est pris pour un chant entièrement eschatologique. Sous ce rapport, l’opinion de Gunkel, Stærk et Kittel, est partagée par Diehl, Erklàrung von Psalm 47, 1894, la Bible du Centenaire, Lagrange, Revue biblique, 1905, p. 196. » Il s’agit, écrit ce dernier, du règne futur de Dieu. Le poète nous transporte in médias res. Jahvé est descendu pour établir son règne par de grandes actions… Aucune circonstance historique, mais un sublime pressentiment de l’avenir. » Kittel donne un long exposé sur la poésie eschatologique du psautier et formule sa conception de la façon suivante : « Notre psaume est le premier dans la série des psaumes où le caractère messianico-eschatologique se révèle avec une clarté pour ainsi dire indéniable », p. 185… « Ce qui est ici décrit ne s’est jamais réalisé au cours de l’histoire. C’est attendu pour l’avenir, savoir la soumission de tous les peuples à Israël, 4, et l’incorporation des princes païens avec leurs nations aux fils d’Abraham. Nous avons affaire à un tableau de l’avenir dans lequel le poète décrit comme déjà réalisée l’intronisation de Jahvé », p. 188 sq.

Cette interprétation repose d’abord sur une fausse traduction de 9 a : Jahve malak. Ces deux mots se retrouvent dans plusieurs psaumes qui ont reçu une explication eschatologique. Ceux qui les prennent pour des psaumes d’intronisation traduisent constamment : Jahvé est devenu roi, pour relever qu’il s’agit d’un fait nouveau. Mais on peut aussi bien rendre la phrase par « Jahvé est roi, Jahvé règne ». En elle-même elle ne témoigne donc ni pour ni contre la conception eschatologique. La vraie traduction ne peut ressortir que du sens général et du contexte du psaume où cette expression se trouve. Or dans notre psaume xlvi se lit non seulement Jahve malak, mais aussi deux fois Jahve melek = Jahvé est roi ; la pre

mière fois dans 3 b, la seconde fois précisément dans 8 a, phrase parallèle à 9 a, de sorte que le psalmiste veut exprimer non pas le fait nouveau de l’avènement de Jahvé qui arrivera à la fin des temps, mais le fait ancien et présent que Jahvé est, depuis la création, le maître absolu du monde. Il faut donc traduire 9 a par : « Jahvé règne » et la suite 9 b par : « il est assis sur son trône saint », et non par « il s’assied sur son trône saint ». Il s’ensuit également que le verset 6 : « Dieu monte au milieu des acclamations, Jahvé (monte) au son de la corne » ne signifie pas que Dieu remonte, au ciel après avoir vaincu ses ennemis sur terre, mais qu’il remonte à Sion avec l’arche. Les prophètes qui décrivent la venue de Jahvé pour juger le monde et pour prendre pleinement possession de son empire, prédisent presque toujours sa descente sur terre, rarement son retour au ciel.

Encore moins fondée que cette traduction de 9 a, avec les conclusions que quelques exégètes en ont tirées pour le sens de 9 b et de 6, est l’explication donnée par les mêmes auteurs des ꝟ. 4-5. Ils prétendent qu’il s’agit là du grand coup définitif par lequel Jahvé renversera tous les païens et soumettra à son sceptre tous les peuples. Mais, dans le ꝟ. 4, il n’est aucunement question de la défaite de toutes les nations et, dans le ꝟ. 5, se trouve la formule si connue par laquelle est décrite la conquête de Canaan. Aussi la Bible du Centenaire, tout en préférant l’interprétation eschatologique du psaume, avoue-t-elle que le sens des ꝟ. 4-5 cadre mal avec celle-ci et Gunkel se voit obligé de modifier le texte. A la place de : « il a choisi notre héritage », il lit : « il a élargi notre héritage », pour pouvoir donner à héritage le sens de royaume messianique.

L’unique conception messianique exprimée dans le psaume xlvi, et qui a été de tout temps reconnue comme telle, est donc celle de la conversion des païens. L’enthousiasme avec lequel cette perspective est célébrée rapproche ce psaume des psaumes xcivxcvii, dont la date la plus probable est celle du retour de l’exil. Cependant le ꝟ. 6 : « Jahvé monte au milieu des acclamations » s’explique seulement, quand on pense à l’arche d’alliance avec laquelle le Très-Haut remonte à Sion. Cette allusion fait penser à une origine préexilienne du psaume.

Le psaume suivant, xlvii, ressemble beaucoup au précédent. C’est un hymne de procession : les pèlerins admirent la ville sainte, sa gloire, sa force et la protection que lui accorde Jahvé. Depuis Théodore de Mopsueste, on suppose que ce poème fut occasionnée par la destruction de l’armée de Sennachérib. Il y a, en effet, plusieurs traits de ressemblance entre ce chant et le chapitre xxxiii d’Isaïe. Aussi n’y a-t-il qu’un seul exégète moderne, Gunkel, qui ait abandonné cette explication. Il avoue qu’il s’agit d’un événement déterminé ; seulement celui-ci n’appartiendrait pas à l’histoire, mais à l’avenir, savoir la dernière attaque des peuples païens contre Jérusalem. Les arguments qu’il allègue contre l’interprétation traditionnelle et à l’appui de la sienne sont faibles.

Le psaume lxxiv est une méditation sur le jugement de Dieu. Le psalmiste expose la manière dont Dieu exerce son activité comme juge des hommes. Il n’intervient pas toujours tout de suite, il juge à l’heure qu’il a fixée : « Quoique je prenne un délai - — c’est Jahvé qui parle — je juge quand même avec justice », 3. Même si parfois le monde semble vouloir se disloquer à cause du désordre qui y règne, Dieu n’en reste pas moins le maître, il en a affermi les colonnes, 4. Au temps voulu « il exerce le jugement en abaissant l’un et humiliant l’autre », 8. Il punit en particulier tous les malfaiteurs en leur donnant à boire la coupe de sa colère qu’ils absorberont jusqu’à la lie, 9. Oui, il

brisera toutes les cornes des méchants et exaltera celles des justes, 11.

Stade, Gunkel, Stærk, Kittel interprètent de nouveau toutes les expressions saillantes de ce poème, surtout le délai pris par Jahvé et la coupe de la colère divine, dans un sens uniquement eschatologique. Duhm lui aussi suppose que le délai serait celui qui précède le dernier jugement. Mais, si le psalmiste avait, en effet, pensé au grand jugement qui inaugurera le temps messianique, il l’aurait plus clairement indiqué. Comme les ternies employés se rapportent en premier lieu au gouvernement ordinaire que Dieu exerce à travers l’histoire, le poète a surtout en vue celui-ci et tout au plus et en second lieu le jugement qui clôturera les temps actuels.

Beaucoup d’exégètes modernes, par exemple Reuss, Bæthgen, Bertholet, Duhm, placent ce psaume à l’époque des Machabées, tandis qu’autrefois on pensait souvent à la défaite de Sennachérib. Mais d’Eyragues dit avec raison qu’il est impossible de fixer l’époque. Aussi Kittel et Gunkel s’abstiennent-ils de toute détermination. En pareil cas nous présumons toujours le temps préexilien.

Le psaume lxxv est un chant de triomphe, qui, conformément au titre des Septante : « contre l’Assyrien », est d’ordinaire interprété comme la célébration de la victoire remportée sur Sennachérib. Kittel lui-même avoue qu’il a trait à cet événement historique. D’autre part, il croit que le poète a, comme Isaïe, pris la défaite du roi assyrien pour « une image du jugement final » et qu’il a voulu surtout composer un cantique eschatologique sur l’époque du salut messianique. Dès les premiers ꝟ. 2-4, il décrirait, comme dans ps. xlv, 9 sq., le combat final, dans 5-7 la bataille décisive contre toutes les puissances hostiles à Jahvé, dans 8-Il le jugement du monde par lequel les justes obtiendront enfin leur récompense. Le point culminant serait atteint dans les deux derniers f., 12-13, qui glorifient la fin du despotisme et le règne définitif de paix.

Cette manière de voir est partagée par Pérennès qui caractérise ainsi notre psaume : « A l’occasion de la défaite de l’armée assyrienne, 2-7, le psalmiste annonce le grand jugement messianique qui aboutit à la royauté œcuménique de Jahvé, 8-13. » Bertholet est incliné à admettre quelques traits eschatologiques, de même Calés, Recherches de science religieuse, 1926, p. 39. Duhm n’en trouve un qu’au ꝟ. 11.

Pour Stade, Stærk, Gunkel, Lagrange, le psaume est même exclusivement eschatologique, sans allusion à un fait historique quelconque. Hitzig, Olshausen, Ewald, Grætz, Knabenbauer, Bæthgen, d’Eyragues, Zenner sont restés fidèles à l’explication entièrement historique du psaume.

Seule l’exégèse de ces derniers est justifiée. Dans les ꝟ. 2-7, il n’y a aucune expression qui ne cadre avec la description d’une bataille et d’une défaite ordinaires. Les ꝟ. 8-13 présentent un peu plus d’ampleur, surtout en 9 b et 1 : « la terre se tait d’épouvante, quand Dieu se lève pour juger, pour sauver tous les humbles de la terre. » Mais où est la teinte eschatologique ? Que de fois, par exemple xxxiv, 2 ; xliii, 27 ; Lxxiii, 22 ; xciii, 2, les psalmistes invitent le Seigneur à se lever et à venir en aide aux justes.

Quand on lit les traductions de ce psaume, on pourrait parfois croire que le verset Il a un contenu messianique. Pérennès par exemple l’a ainsi rendu : Oui parmi les hommes « les peuples » te loueront, le reste « des peuples te fêtera ». Mais en hébreu on lit mot à mot : « la fureur de l’homme te louera et du reste de la fureur tu te ceindras », phrase qui est sans doute corrompue et dont personne ne peut reconstruire avec certitude la forme primitive.

Le psaume xcn célèbre, comme les Septante l’ont déjà indiqué en lui donnant comme titre : « pour la veille du sabbat où la terre fut créée », la royauté de Jahvé, qui s’est manifestée au moment de la création, par la victoire sur les puissances du chaos. Jahvé est roi, il est revêtu de majesté, son trône est affermi dès le commencement ; tel est le contenu des deux premiers versets ; les trois suivants sont une description du tumulte des eaux qui remplirent le tehom et de l’empire que Jahvé a établi sur elles.

D’après Gunkel, Kittel, Stærk, ce chant serait un des principaux psaumes d’intronisation, un hymne mythico-esehatologique. Il annonce que le combat livré par Jahvé lors de la création se répétera à la fin des temps, lorsque Jahvé établira sa royauté intégrale. Pour trouver au ps. xcn un tel contenu, il faut partir de ce principe que la phrase « Jahvé est roi » dénote toujours un psaume eschatologique et le lire ensuite avec cette idée préconçue.

Le psaume xcvm est un hymne en l’honneur de Jahvé, roi du monde et d’Israël. Devant le Très-Haut assis sur les Chérubins, les peuples et la terre entière doivent trembler. Le maître de l’univers a comme qualités distinctives la sainteté et la justice. Il les a révélées d’une façon particulière au sein du peuple élu.

Les termes employés sont tout à fait généraux et ne peuvent se rapporter qu’au règne actuel de Jahvé. Aussi la plupart des exégètes n’ont-ils pas pensé à leur donner un sens eschatologique. Stærk relève expressément que le psaume n’a pas un contenu prophétique : c’est un hymne d’action de grâces après une victoire, mais le psalmiste exalte cette victoire comme l’ouverture de l’ère messianique. Kittel partage cette opinion. Bertholet, la Bible du Centenaire, et surtout Gunkel prennent même ce chant pour un véritable psaume d’intronisation. Aussi Gunkel traduit-il le f. l a : « Jahvé est devenu roi » et lit le f. l b : « il s’assit sur les Chérubins ». La vocalisation fautive des massorètes aurait caché jusqu’à nos jours le caractère eschatologique du psaume. Mais le changement de ioSeb « assis » en iaSab « il s’assit » n’est nullement justifié, et surtout il ne révèle en aucune façon que le psaume soit messianique.

Passages messianiques épars dans les psaumes.


Nous venons de constater qu’à côté des psaumes qui sont des oracles sur le Messie, aucun autre cantique préexilien n’a un contenu entièrement messianique. Parmi les prétendus psaumes eschatologiques un seul renferme des idées messianiques.

Parmi les autres psaumes qui semblent appartenir à l’époque des rois, trois seulement présentent encore la perspective messianique.

1. D’abord le psaume lxvii. C’est un hymne de procession. Le poète y glorifie Jahvé à cause des hauts faits opérés dans le passé et dans le présent et encore attendus pour l’avenir. Dans les versets qui se rapportent aux temps futurs, 29 sq., le cantique prend une tournure messianique. Dieu est prié de confirmer et d’achever ce qu’il a déjà fait pour son peuple. Qu’il menace surtout l’Egypte, « la bête sauvage des roseaux », et les autres peuples païens avec leurs rois. Alors ces rois viendront apporter des présents au temple de Jérusalem. Les puissants de l’Egypte eux-mêmes accourront et l’Ethiopie tendra ses mains vers Jahvé. Dès maintenant le psalmiste invite les royaumes de la terre à acclamer le Très-Haut. Voir P. Synave, L’universalisme dans le ps. LX VIII (LXVII) dans Revue des sciences pliilosophiques et théologiques, 1927, p. 51-58.

A peu près tous les exégètes donnent cette explication eschatologique aux ꝟ. 29-32. Gunkel a l’idée extravagante d’interpréter le psaume tout entier

comme eschatologique, même les passages où sont racontées la sortie de l’Egypte et la conquête de Canaan ; car tout ces événements d’après lui se répéteront à la fin des temps.

Il suppose" avec beaucoup d’exégètes une date très tardive pour le psaume, tandis que Kittel renonce à toute indication chronologique et que Stærk avoue son absolue indécision.

2. En second lieu : lxxx, 14-17 : « Ah ! si mon peuple voulait m’écouter, si Israël voulait marcher dans mes voies ! A l’instant j’humilierais ses ennemis, je tournerais ma main contre ses adversaires. Ceux qui haïssent (maintenant) Jahvé, le flatteraient et vivraient dans une crainte éternelle. Je le nourrirais de la fleur du froment, je le rassasierais du miel du rocher. » Ces versets clôturent un hymne de fête et expriment que le salut espéré viendra dès qu’Israël s’en rendra digne. La désobéissance du peuple retient les faveurs que Jahvé voudrait lui accorder.

Bien que le ꝟ. 17 rappelle Deut., xxxii, 12-14, le psaume n’est pas postexilien comme le prétendent Kittel, Bertholet, Duhm. S’il datait d’un temps postérieur à la captivité, le bienfait du retour serait sans doute mentionné. Bæthgen et Gunkel le placent avant la destruction de Jérusalem.

3. Le troisième texte est le psaume lxxxvi. Celuici appartient au groupe des hymnes qui exaltent Jérusalem. Parmi les titre de gloire de la ville sainte, le poète relève qu’elle est la patrie de tous les adorateurs de Jahvé. Malheureusement le texte est mal conservé. S’agit-il seulement ici du rôle que Sion joue comme centre religieux des Juifs dispersés et des prosélytes ? Ou le privilège y est-il en outre envisagé dont elle jouira comme capitale du royaume messianique ? Il est curieux que tous les exégètes que nous avons vu relever à outrance le caractère eschatologique de maint psaume ne l’admettent pas pour celui-ci. Bæthgen par contre tient avec raison que ce cantique est à rapprocher des prophéties d’Isaïe, h, 2-4 ; xi, 10 ; xviii-xix, sur la conversion des nations étrangères. La plupart des exégètes catholiques ajoutent à l’explication historique l’interprétation prophétique. En effet la proclamation que les grandes nations ont droit de cité à Jérusalem et qu’elles sont regardées par Dieu comme nées à Sion ne s’explique complètement que comme oracle eschatologique.

Tous les critiques qui rapportent ce psaume uniquement aux Juifs de la dispersion ou aux prosélytes le prennent pour postexilien. Mais la mention de Babylone et de l’Egypte exclut, comme Bæthgen le relève avec raison, cette époque tardive.

4. A en croire surtout ceux qui ont découvert les psaumes eschatologiques, il y aurait encore d’autres psaumes préexiliens dans lesquels se rencontrent des versets messianiques. C’est ainsi que Kittel, Bertholet, Stærk prennent ps. vii, 7-9 a, pour une prière adressée à Dieu d’intervenir par le jugement du monde : « Lève-toi, Jahvé…, toi qui ordonnes le jugement. L’assemblée des peuples t’environne ; au-dessus d’elle remonte dans la hauteur. Jahvé juge les nations. » Ces paroles, mal conservées et déjà peu claires en elles-mêmes, sont surtout mystérieuses en raison de leur contexte. Le psaume est la supplication d’un individu persécuté et calomnié. Tout à coup celui-ci implore le Très-Haut de lui rendre justice devant les peuples par un jugement solennel. Il est bien possible que les versets qui contiennent cette demande soient intercalés après coup. Mais qu’ils aient appartenu au It’xle original ou non, jamais ils n’ont un caractère eschatologique ; car les peuples ne sont pas l’objet du jugement, ils en sont seulement, comme le relève justement Duhm, les spectateurs.

Les psaumes ix et x (hébr.), qui ont formé primi

tivement un seul cantique (Vulgate, ix), sont une glorification du juste gouvernement de Dieu qui punit les impies, protège les opprimés. Gunkel et Kittel y trouvent plusieurs versets eschatologiques. D’abord, ix, 8-9 : « Jahvé siège toujours, il a affermi son trône pour le jugement, il juge le monde avec justice, il gouverne les peuples avec droiture. » Il faut avoir la manie eschatologique pour penser, pendant la lecture de ces phrases, à l’intronisation de Jahvé à la fin des temps et au dernier jugement, pour en tirer avec Kittel la conclusion que probablement tout le psaume ix vise l’ère messianique, ou pour prendre avec Gunkel les ꝟ. 6-17 pour un hymne eschatologique.

Au psaume x, les mêmes auteurs prennent les ꝟ. 1618 pour eschatologiques : « Jahvé est roi à jamais ; les païens disparaissent de son pays. Tu entends les souhaits des humbles… pour faire droit à l’orphelin et à l’opprimé afin qu’un homme mortel ne les tyrannise plus ». Pérennès s’associe à eux et y trouve également la perspective messianique. Nous avouons que le sens messianique de ces trois versets est bien plus acceptable que pour ix, 8-9. Cependant ce n’est pas le sens obvie ; car le désir de voir disparaître les païens de la Palestine était regardé comme réalisable avant l’ère messianique, et de tout temps on attendait de Jahvé qu’il exaucerait la prière des pauvres pour les protéger.

Le psaume x est une touchante expression de la confiance en Jahvé. Il se termine par l’idée que, tandis que les méchants seront terriblement punis par Dieu, « le juste verra sa face », 7 b. Le sens de l’expression : « voir la face de Jahvé », qui se rencontre aussi ps. xvii, 15, ps. xli, 3, est très discuté. Voir Nôtscher, Das Angesicht Godes schauen, 1924. D’après Gunkel, Duhm, Bætghen, elle signifie simplement : apparaître au temple, ce qui est le cas ps. xli, 3, ou jouir d’une façon sensible de la faveur divine. D’autres, par exemple Lagrange, Pérennès, Kittel, Bertholet, la prennent pour une locution eschatologique. Les deux premiers y voient une allusion à la vie après la mort, les deux autres à l’état heureux des justes qui, à la fin des temps, posséderont Jahvé sur la terre. Seule cette dernière conception donnerait à la phrase « voir la face de Dieu » un sens messianique. Mais elle est dénuée de tout fondement.

Dans le psaume lvii, qui est une prière adressée à Dieu dans un grand péril, se trouve deux fois, f 6 et 12, comme refrain la demande : « Lève-toi, ô Dieu, au-dessus des cieux, que ta gloire (brille) sur toute la terre. » Kittel prétend que par ce refrain le psalmiste envisage son salut à la lumière eschatologique. Il désirerait l’arrivée du grand jugement universel, parce que seule la manifestation de Jahvé le délivrera. La Bible du Centenaire indique la même conception, à la différence que le sujet du psaume est supposé être la communauté d’Israël. Gunkel dit avec raison qu’il ne peut pas être question d’eschatologie dans ce psaume. Le sujet est, en effet, un individu et il est inconcevable qu’un individu exige qu’à cause de lui le jour de Jahvé arrive. Le refrain n’est qu’une forme solennelle et ample de la prière simple : aide-moi. On en dira autant de ps. lxxxi, 8 ; xc, 16.

Somme toute il ne reste que six psaumes à contenu messianique parmi les dix-neuf étudiés dans ce chapitre, pour lesquels des exégètes avaient supposé un sens eschatologique.