Dictionnaire de théologie catholique/MESSIANISME III. Etude synthétique 3. Comparaison des idées messianiques avec des idées analogues d'autres peuples

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 10.2 : MESSE - MYSTIQUEp. 129-135).

III. Comparaison entre les idées messianiques d’Israël et les idées analogues ou prétendues analogues d’autres peuples. —

Malgré la trame nationale, le messianisme est l’épanouissement le plus merveilleux du monothéisme israélite, la création la plus noble du génie juif fécondé par la révélation divine. Aussi a-t-il excité l’admiration unanime des siècles passés.

De nos jours cependant, à en croire certains exégètes et historiens, cette admiration devrait se réduire de beaucoup, parce que la comparaison avec les religions d’autres peuples anciens prouverait que l’espérance messianique est loin d’être le privilège d’Israël. On trouvera la somme des prétentions de cette école comparative dans le livre récent d’Alfred Jeremias, Die ausserbiblische Erlôser-Erwarlung, 1927, où l’auteur réunit en quatre cents pages les textes d’une douzaine de littératures différentes sur l’aspiration vers un sauveur du monde. Cette publication forme le point culminant d’un mouvement qui se produit depuis que les fouilles faites en Orient, et le déchiffrement des textes trouvés, ont permis de replacer l’Ancien Testament dans son milieu hislorique et de faire le parallèle entre les idées et institutions d’Israël, et celles des peuples avec lesquels celui-ci fut en rapport. En ce qui concerne le messianisme, il résulterait de cette comparaison qu’il y eut chez d’autres nations des prophéties et des espérances analogues ; bien plus, que ces dernières seraient le prototype et formeraient la source des prédictions bibliques.

Cette prétendue dépendance a été cherchée surtout

en trois directions. Ceux qui nient l’existence des prophéties messianiques au temps préexilien affirment que l’idée d’un Sauveur aurait été empruntée au parsisme avec lequel les Israélites auraient pris contact à Babylone. Cette tendance à rejeunir ainsi les oracles messianiques a, comme nous l’avons vii, provoqué une forte réaction : aujourd’hui beaucoup d’auteurs reconnaissent que le messianisme n’appartient pas seulement à l’époque prophétique, mais qu’il précède même les prophètes. Une de leurs principales raisons est le fait que les germes de l’espérance messianique se rencontreraient déjà dans les antiques religions égyptienne et babylonienne.

Tandis que ces religions auraient fourni à Israël ses idées messianiques, d’autres sont présentées comme renfermant des conceptions similaires pour lesquelles, par suite de la distance dans l’espace et le temps, il ne saurait être question de dépendance, mais qui n’en mériteraient pas moins d’être prises en considération à titre d’analogie. Dans cette seconde catégorie entrent les croyances des Grecs, des Romains, des Hindous et des Germains.

Prétendu messianisme des Babyloniens.

 Dans

aucun pays la prédiction de l’avenir n’a joué un aussi grand rôle qu’en Mésopotamie. C’est sur les bords de l’Euphrate et du Tigre que se trouve le berceau de l’astrologie et de presque tous les autres genres de divination. La classe la plus noble des prêtres avait la charge de présager les événements futurs au moyen des phénomènes qu’ils observaient au ciel et sur la terre, voir L. Dennefeld, Die babylonische Wahrsagekunst, 1919. Rien d’étonnant à ce que les panbabylonistes, dominés par l’idée préconçue que toutes les conceptions et institutions de l’Ancien Orient et en particulier de l’Ancien Testament remontent plus ou moins à une source assyro-babylonienne, aient tenté l’impossible pour en faire dériver aussi le messianisme.

Mais, tout d’abord, la littérature proprement divinatoire, qui se compose d’innombrables présages — en voir le groupe le plus curieux dans L. Dennefeld, Babylonisch-assyrische Geburtsomina, 1914 — n’a absolument rien de commun avec les oracles messianiques. Car les prédictions y sont tirées d’ordinaire de constatations futiles et ne se rapportent qu’aux choses de la vie publique ou privée. Aucune perspective eschatologique ne s’y rencontre et le point de vue moral y est tout à fait secondaire. Aussi les panbabylonistes les plus convaincus n’ont-ils pas osé mettre les présages babyloniens en parallèle direct avec les prophéties bibliques. Ils ont cependant essayé d’y découvrir des éléments eschatologiques, au moins sous forme embryonnaire. Parce que les augures prédisent au pays et à ses habitants tantôt une ère de bonheur et de paix, tantôt une ère de malheur et de révolte, on a prétendu qu’ils auraient connu et appliqué le schéma caractéristique de l’eschatologie, d’après lequel une époque de salut suivra et remplacera un jour la présente époque de malheur. Ainsi surtout H. Zimmern, Die Keilinschrijten und das Aile Testament, von Eberhard Schrader, 3e éd., 1903, p. 381, 393, Zum Streitum die Christusmythe, 1910, p. 19-20. Une telle interprétation des présages babyloniens ne tient pas compte du fait que rien n’est plus naturel pour un devin que de prédire le bonheur ou le malheur. Voir en de telles prédictions des germes du messianisme est la pire manière d’employer la méthode comparative. W. Eichrodt, Die Hofjnung des ewigen Friedens im alten Israël, 1922, p. 142, écrit avec raison : « Ni les innombrables oracles de l’hépatoscopie ni les autres… ne contiennent des éléments d’une espérance semblable à celle de l’ancien Israël. »

A côté de ces produits inférieurs de la divination assyro-babylonienne, d’autres textes cunéiformes ont été allégués comme sources plus directes du messianisme. Ce sont en premier lieu les passages des inscriptions historiques où tel roi est décrit comme un prince qui rend son peuple particulièrement heureux. On en rencontre déjà dans les inscriptions des plus anciens princes sumériens, tels que Urukagina, cône B et C, iii, 2 sq., et Gudea de Lagasch, cylindre B, xvii, 17 sq., voir Fr. Thureau-Dangin, Die sumerischen und akkadischen Kônigsinschriften, 1907, qui se vantent d’avoir établi l’ordre et que sous leur gouvernement la justice brille et l’injustice disparaît. De même Hammurabi, au prologue, i, 32 sq., et à l’épilogue, xxiv, 30 sq., de son code, prétend avoir subjugué tous ses ennemis et rendu heureux tous ses sujets. Même note dans les annales des Sargonides comme dans celles de Nabuchodonosor.

Zimmern, Keilinschrijten, p. 380 sq., Christusmythe, p. 16 sq., cite comme particulièrement caractéristique les éloges que le roi Assurbanipal, le troisième des Sargonides (668-626), fait de son règne : « Depuis que Asur, Sin, Schamasch… dans leur bienveillance m’ont mis sur le trône de mon père, Adad laisse tomber la pluie, Éa ouvre les abîmes qui contiennent les sources ; le blé atteint une hauteur de cinq coudées, les épis sont longs de cinq sixièmes de coudée… Les vergers produisent avec abondance les fruits, le bétail met bas avec succès. Durant mon règne, la surabondance est descendue et il y a profusion de richesses », Cylindre de Rassam, i, 41 sq., voir M. Streck, Assurbanipal und die letzten assyrischen Kônige, t. ii, 1916, p. 6-7. « Sur l’ordre des grands dieux je me mis sur le trône de mes pères… Les grands, les généraux désiraient mon gouvernement. Parce que mon nom fut prononcé… les quatre coins du monde se réjouirent. .. les armes des révolutionnaires dormirent… Dans la ville et dans les maisons personnne ne prit le bien de l’autre. » Tablette L, 4, ii, 5 sq., Streck, ibidem., p. 259-261. Dans le même sens un courtisan écrivait à Assurbanipal qu’il y a sous son règne « des jours de justice et des années de droit, des pluies abondantes et des prix modérés… les dieux sont respectés… les vieillards sautent, les enfants chantent, les femmes et les jeunes filles s’adonnent avec plaisir à leur devoir de femme et donnent la vie à des garçons et à des filles… » R. F. Harper, Assyrian and babylonian letters, i, 1892, n. 2.

Ces compliments montreraient qu’on avait eu la coutume en Chaldée de saluer les rois, non seulement comme des chefs puissants, mais aussi comme des sauveurs inaugurant une ère de prospérité. Ces éloges ne seraient pas uniquement des formules flatteuses, mais l’écho de l’espérance répandue dans tout l’ancien Orient qu’après l’époque actuelle de malheur un sauveur du monde viendrait pour réaliser enfin le bonheur. Chaque roi juste et puissant aurait été salué comme un type de ce roi idéal. En définitive ces formules auraient donc un sens eschatologique et messianique. Zimmern, Keilinschriften, p. 381, 394, Christusmythe, p. 15, 21, 28 sq. ; H. Lietzmann, Der Weltheiland, 1909, p. 21 ; H. Gressmann, Messias und Erlôser, dans Geisteskultur, 1924, p. 96 sq.

Pour justifier cette interprétation, il faudrait préalablement prouver que l’espérance en un sauveur a réellement existé en Orient dès les temps les plus anciens indépendamment de la Bible. Or aucun témoignage direct n’a pu en être allégué. Quant à ces éloges dithyrambiques, ils sont d’autant moins aptes à figurer comme témoignages indirects, comme reflets d’une prétendue espérance messianique, qu’ils sont dépourvus de toute perspective eschatologique. Il ne faut y voir que l’expression des prétentions vaniteuses des

rois orientaux, auxquelles trop souvent la réalité ne correspondait guère. Cette coutume d’idéaliser le règne d’un prince est du même ordre que celle d’attribuer aux rois assyro-babyloniens une descendance divine, ou de regarder leur gouvernement comme depuis longtemps prédestiné et préparé par le ciel. Telle est l’opinion des assyriologues et des exégètes impartiaux tels que C. Bezold, Archiv fur Reliyionswissenschafl, 1907, p. 122, et B. Meissner, Babylonien und Assyrien, t. i, 1920, p. 07 ; Sellin, Prophetismus, p. 17 ; Mowinckel, Die vorderasiatischen Kônigs-und Fiirsteninschriften dans Feslschrift fur Gunkel, 1923, p. 304 ; Durr, Heilandserwartung, p. 27 ; Gall, Basileia, p. 44.

Enfin les panbabylonistes découvrent un fond eschatologique dans la mythologie, notamment dans les légendes qui se rapportent aux luttes que des dieux et des demi-dieux ont entrepris dans les temps primitifs pour faire cesser le désordre initial ou supprimer des fléaux. C’est dans ce sens qu’ils interprètent par exemple, la victoire de Mardouk sur Tiamat, d’Enlil sur Labbou, le mythe d’Éa et d’AtarJiasis et même le récit du déluge. Voir les textes dans P. Dhorme, Choix de textes religieux assyro-babyloniens, 1907, et G. Gressmann, Altorientalische Texte zum Alten Testament, 2e éd., 1926. Tous ces contes seraient l’écho d’une croyance antique, d’après laquelle, après le temps de malheur, viendra un temps de bonheur, une époque messianique. Outre Zimmern, Keilinschriften, p. 391, Christusmythe, p. 14 sq., c’est surtout Gunkel, Schopfung und Chaos in Urzeit und Endzeit, 1894, p. 87, et A. Jeremias, Babylonisches im Neuen Testament, 1905, p. 94 sq., qui veulent y trouver l’origine plus ou moins probable de l’eschatologie biblique. Ils prétendent même que le mythe du dieu de la peste Ira, d’après lequel à la fin des ravages causés par ce dieu l’Akkadien se lèvera et renversera tout, prouverait que les Babyloniens ont déjà attendu l’arrivée d’un roi mondial, d’un roi Messie. Voir le texte dans Gressmann, Altorientalische Texte, p. 212 sq. Cette conception est aussi partagée par O. Weber, Die Literatur der Babylonien und Assyrier, 1907, p. 107.

On se demande comment une pareille interprétation des mythes babyloniens est possible ; car rien absolument ne l’autorise, et ici encore toute perspective messianique fait défaut. Non sans raison Gall, op. cit., p. 47, a raillé Jeremias qui, dans Handbuch der allorientalischen Geisleskultur, 1913, p. 205 sq., réussit à construire toute une eschatologie babylonienne où l’on aurait non seulement un temps messianique, mais encore un Messie. Cette juste critique n’a pas empêché Jeremias, de grouper, l’année suivante sur plus de soixante-dix pages, Die ausserbiblische Erlôser-Erwartung, p. 13-88, des textes assyro-babyloniens censés relatifs au grand sauveur de l’humanité.

Aux travaux cités au cours de l’article ajouter : A. Vaccari, Babilonismoe Messianismo.dans Scuola callolica, 1922, p. 401 sq. ; E. Kônig, Die moderne Babylonisierung der Bibel in ilirer neueslen Erscheimmgsform, 1922 ; W. Paulus, Mardnk Vrtijp Christi ? dans Orientalia, n° 29, 1928.

Prétendues prophéties égyptiennes.

 D’autres

ont cherché en Egypte, les racines du messianisme : E. Meyer, Die Isracliten und ihre Nachbarstàmme, 1906, p. 451 sq., Geschichte des Altertums, 1906, t. i b, § 287 ; Ulrich Wilcken, Zur ùgyptischen Prophétie, dans Hermès, 1905, p. 559 ; E. Norden, Die Geburt des Kindes, 1921, p. 51 sq., p. 55. Quatre textes surtout contiendraient des prédictions analogues à celles des prophètes. Voir ces textes dans Gressmann, Altorientalische Texte, p. 46-55.

1. Le plus long se lit sur le papyrus 344 de Leyde ; Il date du commencement de la XIX dynastie (vers 1300 av. J.-C.) et contient six poèmes très mutilés

et très obscurs. Le sage Ipu-wer y décrit un cataclysme complet de l’Egypte. Le pays tourne comme le disque du potier, ii, 8 ; il est dévasté comme une linière qu’on, vient de moissonner, iv, 4-5 ; une misère extrême règne partout, i, 6 ; iii, 14. Par suite de la famine, on dispute aux porcs la nourriture, ii, 13 ; vi, 1-3. Aucune autorité n’est plus respectée, vi, 5-6 ; vu, Il sq. ; ix, 2 ; on blasphème les dieux, v, 3 ; on attaque même le roi, des gens insensés le chassent et détruisent sa résidence, vii, 1-4. Après une exhortation à se débarrasser des ennemis qui ont causé tous ces malheurs et à rentrer de nouveau dans la ligne du devoir, x, 6 sq., des réflexions au sujet du]roi et des apostrophes à son adresse se suivent sans beaucoup de cohérence : « On dit qu’il est un pasteur pour tous ces hommes ; dans son cœur il n’y a pas de mal ; son troupeau s’est diminué bien qu’il s’en soit occupé ; pour le moment il n’y a point de pilote. Où est-il aujourd’hui ? Dort-il ? Voyez, nulle part sa puissance n’est visible, xii, 1-5… Commandement, intelligence et droit sont avec toi ; mais tu laisses la révolte parcourir le pays, on te dit des mensonges », xii, 12-13. « Si seulement tu goûtais un peu le malheur », xiii, 5. Le dernier poème présente un tableau de la situation qui devrait exister en Egypte : « Qu’il est beau quand les bateaux remontent le fleuve, qu’il est beau quand on retire les filets et qu’on y trouve des oiseaux…, qu’il est beau quand les mains des hommes construisent les pyramides… qu’il est beau quand les gens sont ivres… quand le désir de chacun d’avoir une couchette à l’ombre est réalisé et que la porte est fermée derrière lui. »

Le premier égyptologue qui ait publié et interprété ce texte, H. O. Lange, Prophezeiungen eines ùgyptischen Weisen, etc., dans Sitzungsber. der Berliner Akad. der Wiss., 1903, p. 601-610, l’a pris pour la prophétie d’un sauveur qui doit procurer le salut au peuple. Il a été surtout suivi par E. Meyer, et Bertholet. Mais d’autres, surtout Alan H. Gardiner, Admonitions of an egyptian sage, etc., 1909, A. Erman, Die Mahnwarte eines àgyptischen Propheten, dans Sitzungsber. der Berliner Akad., 1919, p. 804-815, Die Literatur der JEgypter, 1923, p. 130-148, E. Weill, La fin du moyen empire égyptien, t. i, 1918, p. 22, Gall, Basileia, p. 55 sq., s’opposent avec raison à cette explication et, au lieu de voir là des prophéties, ils appellent ces poésies des exhortations. La description de l’état lamentable du pays ne peut, en effet, se rapporter qu’au passé et vise très probablement la chute de l’ancien empire. Le roi est exhorté à pourvoir à la prospérité de ses sujets. L’espoir en un rétablissement futur est exprimé sans la moindre nuance eschatologique.

2. Le second texte est le papyrus 1116 B de Pétrograd, Golenischefï, Les papyrus hiératiques, n. 1115, 1116 A, 1116 B de l’ermitage impérial ù Saint-Pétersbourg, 1913, dont la partie la plus importante se lit aussi sur une tablette en bois du Musée du Caire, Daressy, Ostraca, p. 52 sq. Les deux documents datent de la XVIII" dynastie (1850-1350 av. U-C), et sont des copies dont l’original remonte à 2000 av. J.-C. Le contenu en est le suivant.

Le roi Snefru (vers 2950 av. J-C), après avoir entendu les rapports des hauts fonctionnaires, donne au sage prêtre Nefer-Bc.hu l’ordre de lui dire de « belles paroles ». Ayant demandé s’il doit parler du passé ou de l’avenir, celui-ci est invité à révéler les choses futures. Il décrit donc d’abord l’état du pays à la suite de l’invasion des Asiatiques et des Bédouins. Non seulement tout sera dévasté et la guerre civile déchirera la population, mais la nature elle-même sera changée : le Nil se desséchera et le soleil perdra son éclat et sa chaleur, 20-57. Mais alors, « un roi

viendra du Midi ; il s’appellera Ameni et sera le fils d’une femme de Nubie, il recevra la couronne de la Haute-Egypte et de la Basse-Egypte… Les hommes de son temps se réjouiront… Ceux qui sont inclinés au mal et qui méditent des hostilités, se tairont par peur devant lui. Les Asiatiques tomberont par son glaive et les Libyens par sa flamme… On construira le mur des princes et on ne laissera plus les Asiatiques descendre en Egypte… Le droit occupera de nouveau sa place et l’injustice sera chassée. Que se réjouisse celui qui verra cela et qui sera dans le cortège du roi, » 58-71.

Ce discours de Nefer-Rehu a un caractère tout à fait prophétique, et on comprend que ceux qui prennent le papyrus de Leyde pour un prototype des prophétiques messianiques, donnent beaucoup plus encore le même sens à celui de Pétrograd. Mais, à y regarder de près, on constate qu’il ne s’agit pas davantage ici d’un oracle proprement dit. Deux indications précises montrent qu’on a affaire à un valicinium post eventum. D’abord le roi glorifié comme sauveur y est désigné par son nom propre, Ameni. Or Ameni est le nom familial du pharaon Amenemhet I er (20001970 av. J.-C), fondateur de la XIIe dynastie. Il s’ensuit que c’est un roi historique qui est visé et non un roi idéal, un Messie. Ensuite la mention du mur des princes construit au nord de l’Egypte près du "Wâdi Tumilât pour barrer le chemin aux envahisseurs asiatiques, prouve que le but principal du texte dont elle est sans doute le point culminant (Gardiner, Dûrr, Gall), est d’exalter Amenemhet I er, précisément parce qu’il a reconstruit et consolidé ce mur et qu’il a mis fin par là aux dévastations de l’ennemi. Pour ces raisons Gardiner, Ermann, Dûrr, Gall interprètent les paroles de Nefer-Rehn comme une glorification hyperbolique de ce pharaon : elles sont mises dans la bouche d’un ancien sage pour que cette forme prophétique leur donne plus d’éclat.

3. Le troisième oracle censé messianique est la « prophétie de la brebis sous le règne du roi Bokchoris ». D’après un papyrus qui date de la XXXVIe année de l’empereur Auguste (7-8 après J.-C), sous le sage et pieux roi Bokchoris, qui a vécu vers 720 avant Jésus-Christ, un agneau aurait prédit une grande calamité de l’Egypte, ainsi que le relèvement du pays, en particulier l’invasion des Syriens et des Assyriens en Egypte, et ensuite l’irruption des Égyptiens en Syrie et en Assyrie. Le texte, traduit pour la première fois par J. Krall, dans Festgaben zu Ehren Bùdingers, 1898, p. 1 sq., étudié récemment surtout par Gall, Basileia, p. 65-68, est très fragmentaire et peu intelligible. Une chose est y cependant claire, comme Gall le relève, p. 81 : c’est qu’il y est uniquement question de faits historiques et non d’événements eschatologiques. Quoi de plus naturel pour un peuple qui vient de succomber que de mettre son espoir en un redressement prochain ?

4. Le quatrième texte est la prédiction d’un potier sous le règne d’un roi Aménophis, conservée par un fragment de papyrus grec du iiie siècle après Jésus-Christ, K. Wessely, Denkschriften der Akad. der Wiss. in Wien, phil.-hist. Klasse, 1893, p. 3 sq. (Neue griechische Zauberpapyri). Il contient d’abord l’annonce de différents malheurs qui fondent sur le pays : dessèchement du fleuve, obscurcissement du soleil, révolution intérieure, irruption des ennemis extérieurs. Il annonce ensuite l’avènement d’un roi aimé de tous, qui doit vaincre les envahisseurs et faire revenir les sanctuaires transportés en pays étranger. Alexandrie aura une nouvelle gloire. Pendant cinquante-cinq ans il y aura à Héliopolis un roi qui inaugurera une ère tellement heureuse, que les vivants souhaiteront que les défunts ressuscitent pour y prendre part.

Dans la nature l’ordre sera de nouveau rétabli : le Nil se remplira d’eau et le soleil retrouvera son plein éclat.

Les opinions sont très partagées sur l’origine et le sens de ce texte. Tandis que les uns, par exemple, N. Wilcken dans JEgyptiaca, Festschrift fur Ebers, 1897, p. 146-152, l’attribuent pour le fond à l’époque d’un des Aménophis de la XVIIIe dynastie, et prennent le passage qui mentionne Alexandrie pour une interpolation faite à l’époque hellénique, les autres, surtout Reitzenstein, Ein Stùck hellenistischer Kleinliteratur, dans Nachrichten der k. Gesellsch. der Wiss. zu Gôttingen, phil.-hist. Klasse, 1904, n.iv, p. 309-332 ; Gall, Basileia, p. 69-74, et Wilken, dans Hermès, 1905, p. 544-560, préfèrent le placer en entier au temps hellénique. Reitzenstein identifie le premier des deux rois avec Évergète II et le roi dont le règne doit durer cinquante-cinq ans avec Philopator Soter ; Gall pense pour les deux à Alexandre le Grand que les Égyptiens saluaient comme le sauveur qui les délivra du joug perse. Tandis que Wilcken comprend le texte comme une prophétie semblable à celles de l’Ancien Testament, Reitzenstein et Gall tiennent avec raison la forme prophétique pour une pure fiction. Pour les phrases qui annoncent une perturbation et un rétablissement de la nature, un bonheur exceptionnel réalisé par le roi, elles supposent une influence juive due à la Diaspora alexandrine.

Aucun de ces textes n’est donc une vraie prophétie susceptible d’être mise en parallèle avec les prédictions messianiques. Aussi des égyptologues de renom, comme Erman et Gardiner, ainsi que beaucoup d’exégètes, notamment Sellin, Prophetismus, p. 234 sq. ; Clemen, Religionsgeschichtliche Erklàrung des Neuen Testamentes, 1909, p. 115 ; Kittel, Die Religion des Volkes Israël, 1921, p. 89 ; Kônig, Mess. Weissagungen, p. 30 sq. ; Durr, Heilandserwartung, p. 1-15 ; Gall, Basileia, p. 48-82, regardent-ils comme une tentative sans issue l’essai de rattacher le messianisme à ces morceaux de la littérature égyptienne.

L’eschatologie perse.

Si les religions babylonienne

et égyptienne ne contiennent pas d’idées qui puissent être sérieusement mises en parallèle avec celles du messianisme, la religion perse renferme des conceptions qui ressemblent réellement aux doctrines messianiques de l’Ancien Testament.

Le mazdéisme se rapproche déjà du mosaïsme par sa croyance en un Dieu saint qui est partout présent et qui sait tout. Ce « maître sage », Ahura-mazda (Ormudz), de l’univers, entouré d’esprits immortels comme d’une cour royale, n’est cependant pas toutpuissant. Il est contrecarré par « l’esprit ennemi », Angro-mainyu (Ahriman), qui se dégagea de lui « au commencement de la vie » et le combat partout. Lorque Ahura-mazda eut créé le monde dans un état parfait, heureux et saint, Angro-mainyu y fit irruption avec une armée de démons et y introduisit le mal physique et moral. Depuis ce moment, la lutte entre les deux antagonistes tourne surtout autour des âmes de l’humanité.

Dans le dessein de rendre dorénavant ce combat victorieux pour le bien, Ahura-mazda envoya le prophète Zoroastre. D’après les plus anciennes parties del’Avesta, les Gàtha, la victoire définitive devait être bientôt remportée, et Zoroastre espéra en être encore témoin pour entrer avec ses fidèles au royaume d’Ahura-mazda et voir disparaître dans l’enfer Ahriman avec tout son parti. D’après les chapitres plus récents, la lutte dure encore longtemps. Dans le Bundahisch, autre livre sacré, postérieur à YAvesta, on lit même qu’elle continuera pendant trois mille ans, c’est-à-dire le même temps qu’elle avait déjà duré au moment de l’apparition de Zoroastre. Immédiatemeut avant ce triomphe final vient un héros fort et sage, semblable à Zoroastre. Il surgira du sperme de celui-ci, qui en attendant repose dans le lac de Hamun. Il sera le vrai Sauveur = Saoschyant. Par son regard plein de bénédiction il rendra toutes les créatures immortelles et ressuscitera tous les morts. Tandis que dans les Gâtha il n’est pas question du sort des défunts mais seulement des vivants, qui après avoir passé par un jugement général seront ou bien éternellement heureux avec Ormudz et ses anges, ou éternellement malheureux avec Ahriman et ses démons, l’Avesta postérieur et le Bundahisch enseignent que les hommes seront jugés immédiatement après leur mort et introduits au paradis ou jetés dans l’enfer en passant le pont Cinvat, et qu’à la fin du monde après la résurrection un second jugement aura lieu. Ce jugement sera inauguré par un incendie immense qui brûlera et purifiera le monde. Par suite de l’énorme chaleur tous les métaux se fondront et formeront une lave brûlante que les hommes auront à traverser. Pour les justes elle sera aussi agréable que du lait tiède, les pécheurs y souffriront les plus grandes douleurs ; mais, après avoir essuyé cette dernière peine, ils prendront part comme les justes au bonheur définitif. En même temps Ormudz et sa suite céleste vaincront Ahriman et ses démons, qui seront brûlés et anéantis dans le feu qui embrase l’univers. Alors le royaume de Dieu sera complètement établi.

Il y a donc dans le mazdéisme une eschatologie messianique et transcendante, et aussi la croyance en un sauveur qui inaugurera l’ère définitive de l’histoire de l’humanité. Pour cette raison on conçoit que tous ceux qui cherchent à réduire autant que possible l’originalité des croyances religieuses d’Israël, aient particulièrement recours au parsisme pour expliquer l’espérance messianique. Mais, pour que leur hypothèse fût recevable, il leur faudrait prouver que tous les textes des livres israélites préexiliens qui mentionnent le Messie et le salut final ont été interpolés après coup, pendant ou après l’exil — on avoue qu’avant l’exil aucune infiltration du parsisme n’a été possible — et que les doctrines communes aux deux religions, sont dues à une dépendance effective de la Bible par rapport à l’Avesta. Or la majeure partie des exégètes récents reconnaît, comme nous l’avons vu, l’authenticité ou tout au moins l’origine préexilienne de la plupart des passages messianiques en question, et un nombre toujours croissant d’auteurs, par exemple Wellhausen, Marti, Söderblom, Schürer, König, Sellin, Albert, Bertholet, Scheftelowitz, Hölscher, restreignent à un minimum et reculent à une date tardive l’infiltration du parsisme. A côté des affinités ils relèvent de grandes différences entre les deux religions. Ils observent que les idées nouvelles propres au judaïsme postexilien peuvent très bien être le résultat d’un développement autonome de l’Ancien Testament. Pour ce qui regarde les ressemblances considérables qui rapprochent l’eschatologie de l’Avesta de celle de la Bible, ils font valoir avec raison, surtout König, Messianische Weissagungen, p. 21, et Böklen, Verwandtschaft der jüdisch-christlichen mit der persischen Eschatologie, 1902, que les deux religions, partant du même fond monothéiste, ont pu évoluer parallèlement et aboutir à des conceptions non moins homogènes sur l’issue de l’ordre actuel. Il ne faut pas oublier non plus qu’il y a dans les conceptions et coutumes des différents peuples beaucoup d’éléments communs qui expliquent des coïncidences parfois surprenantes, que « le principe de conformité » s’applique surtout en matière religieuse. Voir de Broglie, Problèmes et conclusions de l’histoire des religions, 8e édit., p. 242-284 : les ressemblances entre le christianisme et les autres religions ; K. Marbe, Die Gleichförmigkeit in der Welt. Untersuchungen zur Philosophie und positiven Wissenschaft, i-ii, 1916-1919.

Il est donc très étonnant que la dernière étude sur l’eschatologie de l’Ancien Testament : Gall, Βασιλεία τοῦ Θεοῦ, 1926, ne soit pas autre chose qu’une entreprise de large envergure pour rattacher celle-ci au parsisme. G. Hölscher avait raison de dire, un an auparavant, Die Ursprünge der jüdischen Eschatologie, 1925, p. 11, en parlant d’avance de cette publication que, malgré les matériaux nombreux et détaillés qu’on pouvait en attendre, il serait impossible de faire dériver l’eschatologie juive du mazdéisme. En effet, dans son large exposé de l’espérance du royaume de Dieu chez les Perses, p. 83-163, Gall n’a fourni aucun élément nouveau à l’appui de cette dérivation. Dans les chapitres suivants il lui faut recourir à la critique la plus subjective et la plus radicale, pour rapporter toutes les prophéties messianiques au temps exilien et postexilien, et ce n’est qu’en multipliant les comparaisons et les identifications les plus hardies qu’il arrive à mettre Deutéro-Isaïe et Zacharie à la remorque de l’Avesta.

Carter, Zoroastrianism and Judaism, 1918 ; John A. Maynard, Judaism and Mazdayasna, a studg in dissimilarities, dans Journ. of Bibl. Lit., 1925, p. 63 sq.

Perspectives eschatologiques des Grecs et des Romains.

Dans les temps anciens ces deux peuples n’avaient aucune conception ou espérance comparable au messianisme. Pour l’antique Grèce, Gall, p. 447, relève expressément que l’eschatologie y était inconnue. Hésiode, en effet (vers 800 av. J.-C), dans son poème ἔργα καὶ ἡμέραι, tout en concevant le développement de l’humanité suivant un schéma de quatre périodes déterminées, n’en connaît aucune qui soit définitive et qui clôture l’histoire du monde. Il distingue l’âge d’or, d’argent, de fer et d’airain — l’âge des héros intercalé entre les deux derniers est secondaire — et décrit comment de l’un à l’autre la situation de l’humanité empirait progressivement, depuis l’état paradisiaque qui régna durant l’âge d’or jusqu’à l’état malheureux et mauvais des temps actuels qui représentent l’âge de fer. Il ne prévoit véritablement aucune modification essentielle : l’avènement d’un temps tout à fait heureux lui est étranger. Tout au plus s’attend-il à une amélioration de l’état actuel, v. 273.

Ovide, au commencement de ses Métamorphoses, i, 89-150, a repris cette division de l’histoire humaine en quatre périodes sans nourrir non plus l’espoir d’une ère de salut. Cependant, à la fin du même ouvrage, xv, 858 sq., il glorifie, déifie l’empereur Auguste à tel point qu’il semble prendre son règne pour un temps de bonheur extraordinaire, pour une époque nouvelle. Ovide est loin d’être le seul dans le monde gréco-romain à exalter un prince et à le saluer comme inaugurant une nouvelle période de bonheur. Cette coutume que nous avons constatée chez les Assyro-Babyloniens et les Égyptiens se rencontre également en Grèce et en Italie. En Grèce d’abord, surtout à partir du moment où l’ancienne croyance aux dieux commençait à chanceler, on donnait à de grands hommes le titre de sauveur, σωτήρ, réservé jadis aux divinités. C’est ainsi qu’en 307 av. J.-C, les Athéniens appelaient Antigone et Démétrios Poliorcète « dieux sauveurs ». Plus tard cette glorification fut surtout en usage sous les Ptolémées et les Séleucides. Voir l’inscription trilingue de Rosette, Dittenberger, Orientis græci inscriptiones selectæ, t. i, n. 90, et encore davantage sous les empereurs romains.

Aucun n’a été autant qu’Auguste exalté comme le sauveur du monde. Dans l’inscription d’Halicarnasse,

Ancient greek inscriptions in the British Muséum, n. 894, se lit la description suivante de son règne : i L’éternelle et l’immortelle force physique de l’univers a donné aux hommes le suprême bien en faisant entrer dans notre heureuse vie César Auguste, père de sa patrie… et sauveur du genre humain tout entier, dont la providence exauce non seulement toutes les prières mais les devance ; car la terre et la mer sont en paix, les villes fleurissent par suite des bonnes lois… et possèdent le comble de tout bonheur… » Ce qu’on gravait en province sur les rochers, les poètes l’exprimaient dans la capitale en vers plus artistiques. Horace et Virgile rivalisaient à cet égard avec Ovide. Horace chantait que l’empereur était un dieu semblable à Jupiter, Odes, III, v, 1 sq., que les dieux avaient donné à l’humanité en la personne d’Auguste le meilleur don et que, même si l’âge d’or revenait, ils ne pourraient rien donner de mieux, Odes, IV, ii, 37 sq. Virgile n’est pas d’un enthousiasme moins débordant. Dans l’Enéide, II, 789 sq., il décrit Auguste comme un descendant des dieux qui procure au Latium l’âge d’or.

Avec raison on a vu dans ces formules non seulement l’expression d’un servilisme exagéré, mais aussi le témoignage d’une profonde aspiration vers une période de paix et de joie, l’expression de l’espoir que l’empereur Auguste réaliserait ce rêve de bonheur.

Un poème surtout est devenu célèbre par l’attestation qu’il contient de ce désir de béatitude et la prédiction du sauveur qui doit la procurer. Une vingtaine d’années avant de composer l’Enéide, Virgile avait annoncé dans la quatrième églogue la naissance d’un enfant prodigieux qui donnerait la paix au monde et tout ce qu’il peut en outre désirer : aussi bien le dernier âge du monde annoncé par la sibylle de Cumes est sur le point de commencer, c’est le début d’une longue série de siècles :

Ultima Cumæi venit iam carminis aetas ; Magnus ab integro sseclorum nascitur ordo.

Un enfant va naître qui mettra fin à l’âge de fer et inaugurera l’âge d’or. Il vivra comme un dieu ; on le regardera avec admiration ; par son gouvernement il apportera la paix au monde ; toute trace de crime y disparaîtra. Dès son enfance la nature se transformera merveilleusement : pendant que soji berceau sera entouré des plus belles fleurs qui pousseront en partie sur place même, dans les prairies qui exhalent les parfums les plus délicieux les troupeaux de bœufs n’auront plus à craindre les lions. Les serpents et toutes les plantes vénéneuses disparaîtront. Les champs seront couverts d’épis dorés, les broussailles sauvages porteront des raisins. Les feuilles des vieux chênes suinteront le miel. Cependant avant que l’enfant atteigne l’âge mûr, il y aura encore une fois une grande guerre semblable à celle de Troie. Mais ensuite le bonheur sera complet sur la terre. On n’aura même plus besoin de bateliers qui traversent les mers, parce que chaque pays fournira tous les produits et cela sans travail ; les laboureurs et les vignerons n’auront plus à peiner ; les foulons pas davantage, parce que la toison des brebis donnera directement la pourpre et les autres couleurs. Tout le monde se réjouit de cet heureux temps qui approche et le poète lui-même espère le voir.

Tel est le contenu de ce poème. Il n’est pas étonnant que, dans l’antiquité et le Moyen Age, il ait valu à Virgile l’honneur d’être rangé parmi les prophètes ; car il rappelle tout à fait les prédictions d’Isaïe sur Emmanuel. Encore aujourd’hui cette églogue attire l’attention. La meilleure preuve en est que la dernière dizaine d’années n’a pas vu paraître sur elle moins de huit études différentes : A. F. Royds, Virgil and Isaiah, 1918 ; J. J. Hartmann, Virgilius profeel, dans

Nieuwe Th. Stud., 1921, p. 293 sq. ; K. Witte, Virgils vierle Ekloge, dans Wiener Studien, 1922 ; Lagrange, Le prétendu messianisme deVirgile, dans Revue biblique, 1922, p. 552-572 ; E. Norden, Die Geburt des Kindes, 1924 ; Fr. Kampers, Vom Werdegang der abendlandichen Kaisermystik, 1924, p. 65-86 : Vergils vierte Ekloge ; A. W. Heidel, Vergils Messianic expeclations, dans Amer. Journal of Philol., 1924, p. 205 sq. ; "W. Weber, Der Prophet und sein Gott, eine Studie zur vierten Ekloge Vergils, Beihejte zum Alten Orient, 1925. Auparavant avaient paru K. L. Convay, The messianic idea in Vergil, dans Hibbert Journal, 1907 ; H. Lietzmann, Der Weltheiland, 1909. Tous ces travaux ont pour but d’éclaircir le sens du poème qui, tout en étant facile à comprendre dans l’ensemble, renferme des obscurités dans plusieurs de ses détails. On discute en particulier sur l’enfant qui est ici visé. Pourtant l’occasion du poème est bien connue. Il est adressé au consul Pollion, après que celui-ci eut réussi en 40 av. J.-C. à rétablir la paix entre Octave, le futur empereur Auguste, et Antoine et qu’en gage de leur réconciliation la sœur de celui-là, Octavie, fut donnée comme épouse à celui-ci. Au moment du mariage elle était enceinte de son mari précédent. D’après les uns, par exemple, Kônig, Messianische Weissagungen, p. 27, il s’agit de l’enfant attendu d’Octavie, d’après les autres, par exemple Lietzmann, Der Weltheiland, p. 3, 5, c’est un fils de Pollion ; d’autres encore, par exemple P. Wendland, Die hellenistisch-rômische Kultur, 1912, p. 88, pensent à un fils d’Octave. Un quatrième groupe d’auteurs, entre autres A. Jeremias, Die ausserbiblische Erlôsererwartung, p. 225, n’accepte pas que Pollion soit visé et préfère identifier l’enfant avec le futur empereur Auguste. Le fait qu’il y a tant d’incertitude sur la détermination de l’enfant prouve que sous ce rapport le texte est très ambigu. Il est d’autant plus précis par rapport à son fond principal, savoir l’annonce d’un enfant qui sera le roi de l’âge d’or de l’humanité. Si Virgile n’était pas un païen, et si son poème ne contenait pas tant de traits mythologiques, on serait tenté de dire que la quatrième églogue est une prophétie messianique ; car il y prédit en termes précis l’apparition du sauveur du monde. Ce qui est particulièrement surprenant, c’est que sa prédiction se rapproche des oracles prophétiques non seulement par l’idée générale, mais aussi par bien des détails : la description de la paix qui doit régner dans la nature rappelle tout à fait le chapitre xi d’Isaïe, et la nouvelle guerre qui transitoirement troublera le bonheur de l’âge d’or fait penser aux chapitres xxxviiixxxix d’Ézéchiel contenant la description de l’expédition de Gog. Ces ressemblances amènent à croire que, sinon directement, au moins indirectement par l’intermédiaire des oracles sibyllins, Virgile dépend ici des prophètes d’Israël, dépendance qui s’explique sans difficulté quand on pense qu’il y avait au temps d’Auguste, huit mille Jaifs à Rome, Josèphe, Ant., XVII, xi, 1, et que les Juifs de la Diaspora faisaient une grande propagande pour leurs idées religieuses. Pour expliquer l’origine de cette conception d’un sauveur chez Virgile, les auteurs modernes ont recours aux textes de la littérature assyro-babylonienne, égyptienne et gréco-romaine mentionnés plus haut, qui contiennent des éloges dithyrambiques de rois, surtout Lietzmann et Norden, ou à l’ambiance du monde romain qui, à l’époque d’Auguste et de Virgile, las des sanglantes guerres fratricides, désespérant de la triste situation et des hommes ordinaires incapables d’y remédier, aspirait après un sauveur héroïque et divin, Weber et Gall. Ils n’ont pas tort en traçant ainsi a le tableau généalogique » (Norden) de l’enfant décrit par Virgile et en rattachant l’idée du sauveur à la banqueroute du paganisme. Mais il faut relever au

moins également l’influence des conceptions juives. Gall l’observe avec raison contre Xorden qui cherche à écarter celle influence ; mais c’est à tort que, suivant ses prédilections personnelles, il veut aussi faire entrer en ligne de compte le parsisme.

Il s’ensuit que la prédiction messianique de Virgile ne s’explique pleinement que comme un écho des grandes prophéties do l’Ancien Testament.

Il est vrai que le P. Lagrange soutient une conception toute différente de la ive églogue. D’après lui il ne peut y être question ni de messianisme ni de connexion avec l’Ancien Testament. Conformément à la coutume orientale de diviniser les souverains, Virgile aurait glorifié Octave et son fils, chanté d’avance le culte de l’empereur.

Pour écarter du poème le sens messianique, le P. Lagrange relève que c’est au père de l’enfant qu’est attribuée la pacification du monde et la réalisation du bonheur. Rien de plus exact. Mais il est non moins vrai que la naissance de l’enfant est regardée comme l’inauguration de la félicité des hommes : il est expressément dit que l’enfant apporte la paix et que son apparition ouvre l’ère nouvelle. L’enfant est donc présenté comme sauveur du monde.

Pour prouver ensuite qu’une infiltration d’idées juives n’est guère probable, le P. Lagrange insinue d’abord que, par ultima Cumœi venit iam carminis setas, Virgile ne fait pas allusion à la Sibylle de Cumes, mais qu’il « désigne le poème d’Hésiode ». Cependant le poète grec, ainsi que nous venons de le voir, a parlé de l’âge d’or uniquement comme d’un temps primordial, mais aucunement comme d’une époque dont le retour pourrait être espéré pour l’avenir. Le P. Lagrange fait valoir en second lieu la différence qui existe entre la conception du Messie, telle qu’elle se rencontre dans le III 6 livre sibyllin, et celle du prétendu Messie de l’églogue : là le sauveur descend du ciel et rétablit l’ordre par une intervention foudroyante, ici le sauveur naît et il n’y a aucune autre relation entre lui et le bonheur que celle de la coïncidence. Sans doute cette différence existe. Mais il y a d’autre part deux traits qui s’accordent tout à fait, savoir l’annonce de la paix dans le règne animal et d’une guerre qui troublera momentanément la paix paradisiaque, et cette harmonie semble difficile à expliquer sans une dépendance. Supposé même que les oracles sibyllins ne doivent pas être pris en considération, il reste toujours la ressemblance frappante entre Is., ix-xi, et la bucolique de Virgile : le prophète et le poète présentent la naissance d’un enfant merveilleux comme l’ouverture de l’ère de prospérité. Cet accord non plus ne peut amener le P. Lagrange à supposer une source judaïque aux conceptions de Virgile. Il l’écarté une fois de plus — c’est son troisième argument — pour cette raison que le poète n’aurait pu prendre contact avec le judaïsme qu’au moyen d’un rapport entre Pollion et Hérode. A quoi il ajoute que le messianisme des Juifs nation vaincue par les Romains. « n’avait pas de chance de séduire Virgile ». Or il n’est pas nécessaire d’admettre le séjour d’Hérode à Rome, en 40 av. J.-C ; l’existence d’une colonie juive florissante dans la capitale même de l’Empire romain offrait à un Romain des possibilités normales de connaître les idées juives. Et, en un moment où le syncrétisme religieux était si fort a la mode, est-il tellement invraisemblable cpie Virgile ait pu être inspiré par cette espérance admirable du messianisme ?

Il n’est donc pas démontré qu’une influence juive sur Virgile soit impossible et il semble même, à tout prendre, que cet le hypothèse est celle qui explique le mieux les particularités de son poème.

5° L(/ fin de l’ordre actuel d’après les Hindous. — Parmi les religions de l’Inde, l’hindouisme présente

également un parallèle avec l’espérance messianique. Vischnou, qui, dans la religion védique jouait un rôle secondaire est devenu pour les Hindous le dieu suprême, qui se révèle aux hommes par dix incarnations successives. Il vient chaque fois que l’immoralité et le malheur ont atteint leur point culminant. La première fois il a apparu sous la forme d’un poisson pour sauver les hommes du déluge. La huitième fois il s’est manifesté en la personne du héros divin Krischna, qui, encore enfant, écrasa un serpent. La neuvième incarnation eut lieu en Bouddha. La dixième se fera dans l’avenir. Elle sera la plus importante ; car alors Vischnou apparaîtra en personne : il défendra le bien et détruira le mal ; des débris du monde ancien il construira un monde nouveau et instituera une ère de bonheur. Tenant dans sa main droite un glaive brillant, il descendra du ciel sur un cheval blanc, il détrônera les barbares pour donner le gouvernement aux justes.

Il semble que cette croyance en la suprême révélation de Vischnou ait un vrai caractère eschatologique, et ne se rapporte pas seulement au bouleversement physique du globe comme le suppose Kônig, Messianische Weissagungen, p. 21 sq.

Voir P. A. Chantepie de la Saussaye, Lehrbuch der ReligionsgeschicMe, t. ii, 3e édit., 1905, p. 137 sq. ; A. Jeremias, Die ausserbiblische Erlôsererivartung, p. 252 sq. ; Macnicol, Hinduism and Christianilg, some points o/ contact and divergence, dans Expos. Times, 1924, 1925, p. 323 sq. ; E. Abegg, Der Messiasglaube in Indien, 1928.

La fin du monde d’après les mythes germaniques.


La mythologie germanique connaît, elle aussi, la fin du monde actuel et son renouvellement en vue d’inaugurer une ère de bonheur. La catastrophe mondiale est causée par la méchanceté des dieux plutôt que des hommes. Elle est surtout inévitable par suite de la mort de Baldur qui est le dieu soleil. Elle se fera par une conflagration de l’univers et par l’assaut des vagues de la mer qui doit entrer en ébullition. Dieux et hommes périssent et la terre brûlante est engloutie par l’océan. Mais après le cataclysme a lieu le crépuscule des dieux : un nouveau monde surgira, il sera revêtu de verdure et les épis y pousseront sans semence. Baldur et d’autres dieux reviendront à la vie. Il y aura aussi’de nouveau des hommes. Cette seconde humanité descend d’un couple qui a échappé au désastre. Aucun mal ne régnera plus sur la terre. Tel est le contenu du premier chant, Voluspa, de l’Edda, combiné avec celui d’autres contes. C’est un mythe qui a trait au renouvellement de la nature au printemps, mais aussi au renouvellement du monde à la fin des temps, de sorte qu’il a un aspect eschatologique. Il exprime l’espérance des Germains en un monde meilleur.

WolfganK Golth’er, Ilandbuch der nordiseben Mythologie 1895.