Dictionnaire de théologie catholique/RÉDEMPTION

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 249-295).
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RÉDEMPTION, terme générique pour désigner le salut du genre humain par la vie et la mort du Christ, c’est-à-dire la solution donnée par le christianisme à l’un des problèmes essentiels que devrait ou voudrait résoudre toute religion. —
I. Affirmation de la foi catholique.
II. Genèse de la foi catholique (col. 1921).
III. Explication de la foi catholique (col. 1957).
IV. Notes sur l’histoire littéraire de la question (col. 19)2).

I. AFFIRMATION DE LA FOI CATHOLIQUE.—

Du latin red.em.plio, qui se rattache à la racine redimere, le mot « rédemption » évoque, à la lettre, un acte de « rachat ». Métaphore de l’ordre commercial, qui s’applique usuellement, par extension, à toute idée de délivrance et spécialement à l’action par laquelle Dieu travaille à libérer l’homme de ses misères. Ce concept, qui, en soi, peut convenir à la préservation ou à la guérison des simples maux physiques, se réalise éminemment dans l’ordre spirituel par rapport à ce mal par excellence qu’est le péché. Mais, à ce point de vue, « rédemption » est un terme des plus compréhensifs, dont il faut d’abord distinguer avec soin les divers aspects pour déterminer le point spécifique sur lequel la foi chrétienne fait porter son enseignement. —
I. Notion de la rédemption. —
II. Doctrine de l'Église (col. 1915).

I. Notion de la rédemption. —

Même sans faire intervenir l’immense variété des religions humaines, le christianisme est de contenu suffisamment riche pour qu’une catégorie aussi souple que celle de rédemption y puisse trouver les applications les plus différentes. De ce chef, il n’est peut-être pas un mot de la langue religieuse qui donne lieu à autant d’indécisions ou d'équivoques, auxquelles peut seule obvier l’analyse méthodique des acceptions qu’il est susceptible de revêtir.

Sens large.


Il suffit d’avoir devant l’esprit la moinde notion de Dieu et de l’Ame pour voir s’en dégager un certain concept de rédemption.

En effet, l’homme apparaît à la raison comme un être spirituel, doué de conscience et de libre arbitre. Ce qui lui donne les moyens d’assurer le règne de l’ordre sur ses appétits inférieurs. Kt si, dans cette lutte, son inévitable contingence le rend capable de défaillir, sa liberté même lui permet de se redresser. Toute vie morale est-elle autre chose, en somme, qu’un per

pétuel effort d’élévation et, quand il y a lieu, de relèvement ?


D’autre part, Dieu n’est-il pas sagesse et bonté ? Ces deux attributs fondent le concept de providence, qui nous interdit de le concevoir autrement qu’attentif à veiller sur l’œuvre de ses mains. Il ne peut donc pas ne pas collaborer avec la volonté humaine dans le travail de perfectionnement qu’elle poursuit. Peu de réflexion suffit même à comprendre que c’est à la cause première que doit, en l’espèce, revenir le rôle principal. On ne dépasse donc pas le plan rationnel en se représentant un Dieu qui, par les lumières qu’il répand sur la conscience, les secours qu’il départit à la liberté, ne cesse de provoquer et d’aider l’homme à se maintenir ou à se remettre dans les voies difficiles du bien. OùSè yàp ocôÇcov mcûerai, au(x60u-Xeûei Se rà àptaxa, Clément d’Alexandrie, Colwrt., 10, P. G., t. viii, col. 208. Cꝟ. 9, col. 200 : OùSèv yàç> àXk’ïj toûto epyov… ècrlv aÙTW awÇecQai. tov av0pa>7cov.

En conséquence, l’idée générale de rédemption ainsi comprise est inséparable, pour ne pas dire pratiquement synonyme, de celle de religion. Sous peine de s’évanouir, celle-ci ne comporte-t-elle pas, à titre essentiel, la prière adressée à Dieu pour obtenir son secours et, le cas échéant, solliciter son pardon ? A fortiori quand la charge de ses responsabilités dans la vie présente se complète chez l’homme par les perspectives de l’éternité.

Ces exigences de la foi religieuse ne peuvent qu’être particulièrement vives dans une religion comme le christianisme, qui affine le sentiment du devoir et développe la conviction de notre insuffisance, tandis qu’il nous invite à voir en Dieu un père toujours prêt à nous secourir. Des paraboles comme celle de l’enfant prodigue ou celle du bon pasteur qui laisse là son troupeau fidèle pour courir à la recherche de la brebis perdue sont tout à la fois révélatrices des possibilités de conversion qui restent au pécheur et de l’aide, non seulement efficace mais préventive, qu’il peut attendre de Dieu à cet effet. Il y a de même, peut-on dire, toute une anthropologie et toute une théodicée rédemptrices dans ces formules du Pater qui font demander — donc espérer — au chrétien la remise de ses dettes et sa délivrance du mal.

En un sens très vrai, la rédemption s’identifie donc à cette œuvre commune de Dieu et de l’homme d’où résulte la présence dans le monde d’un ordre moral, avec ses alternatives de paisible affirmation, de lent progrès ou de laborieux rétablissement. Mais il est non moins évident que ce serait rester à la surface du christianisme que de s’en tenir là.

Sens restreint.

 Cet optimisme spirituel inhérent

à toutes les religions, et qui consiste à mettre au service des fins humaines la force même de Dieu, la foi chrétienne le synthétise dans le mystère de l’incarnation. Le Verbe fait chair y devient le centre des voies divines et, pour l’humanité, le principe immédiat du salut. Suivant la parole de l’Apôtre, Eph., i, 10, il a plu à Dieu de « tout restaurer dans le Christ ». Et cela d’une manière exclusive ; car il n’y a plus désormais « d’autre nom sous le ciel qui soit donné aux hommes pour se sauver ». Act., iv, 12.

Aussi, dès sa naissance, Luc, ii, 11, Jésus est-il salué par les anges comme le « Sauveur » et son nom même ainsi interprété, Matth., i, 21. Mais ce salut, que le messianisme populaire détournait vers l’ordre politique et national, tout son ministère va le ramener à l’ordre exclusivement religieux.

De fait, abstraction faite de toute considération dogmatique, l’Évangile n’est-il pas un principe et une école de rédemption ? Pendant sa vie, Jésus avait prêché l’amour et le service du Père qui est aux cieux, l’avènement de son royaume et l’obligation de la péni tence pour s’y préparer. Toute son action n’avait tendu qu’à relever les pécheurs et à stimuler les âmes généreuses vers les suprêmes sommets de la perfection. Son œuvre posthume est de même nature : au judaïsme desséché, au paganisme corrompu elle a substitué la civilisation chrétienne, avec tout le renouvellement qu’elle comporte dans le double domaine des idées et des mœurs. Pour les croyants de tous les âges, en même temps qu’un docteur, Jésus n’a pas cessé d’être un modèle et un ferment par son admirable sainteté. D’une manière générale, ce sont les thèmes que la littérature de circonstance provoquée par le xixe centenaire de la rédemption (1933) s’est contentée de rafraîchir.

A cet égard, il est reçu de distinguer un triple office, prophétique, royal et sacerdotal, du Christ. Division particulièrement chère aux protestants, voir Calvin, Inst. rel. chr. (édition définitive, 1559), II, xv, 1-6, dans Opéra omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. ii, col. 301-3(37, mais qui n’est pas non plus étrangère à la théologie catholique. Cf. Jésus-Christ, t. viii, col. 1335-1359. Elle peut fournir un cadre commode pour grouper et classer les multiples bienfaits que l’humanité doit au Fils de Dieu comme illuminateur des intelligences par la prédication de la vérité, législateur des volontés par ses préceptes et ses institutions, sanctificateur des âmes par la grâce et les sacrements. Voir J.-H. Osswald, Die Erlôsung in Chrisio Jesu, t. ii, p. 148-219.

Il n’y a pas moins de substance doctrinale, en peu de mots, dans cette préface gallicane de l’Avent, récupérée par un bon nombre de propres diocésains, où le Sauveur attendu est chanté comme celui cujus verilas instrucret inscios, sanctitas jusli/icarel impios, virlus adjuvaret in/irmos. Bien des prédicateurs ont le bon goût de s’en inspirer.

Ce n’est là pourtant, si l’on peut ainsi dire, que l’aspect extérieur et social de la rédemption chrétienne, où il reste encore à dégager un élément plus profond.

Sens précis.

Au nom de la seule psychologie,

toutes les misères ou détresses auxquelles la venue du Christ a pour but de porter remède ne sont, en définitive, que des formes ou des conséquences du péché. Le dogme tic la chute confirme et précise tout à la fois cette conclusion.

En dehors de ses suites funestes, le péché cependant est un mal en soi et, pour une conscience religieuse, le plus grave de tous. Il manquerait l’essentiel à l’œuvre du rédempteur si elle ne l’atteignait. Mais on peut en concevoir diversement le moyen.

1. Idées en présence.

Sur ce point, deux tendances rivales se sont fait jour dans la pensée chrétienne, suivant qu’on retenait surtout du péché la diminulio capitis qui en résulte pour son auteur ou qu’on envisageait de préférence l’atteinte qu’il porte à l’ordre divin du monde moral. A la limite, deux doctrines de la rédemption en sont issues, elles-mêmes susceptibles de revêtir bien des modalités individuelles, mais qui ne peuvent dissimuler an regard attentif les traits permanents par où elles s’opposent, au double point de vue de l’histoire et de la théologie, en deux types caractérisés.

Dans le premier cas, c’est l’homme qui est le centre et l’objet de l’action rédemptrice. Qu’il s’agisse de nous mettre sous les yeux un exemple à imiter ou, d’une manière plus intime, d’allumer en nos cœurs la flamme de l’amour divin par l’amour qu’il nous témoigne, d’ouvrir au sens du péché les consciences endormies et d’y faire naître la confiance dans le pardon de Dieu, l’activité du Christ ne cesse pas de se cantonner dans le domaine de la psychologie. Sous ces différentes variétés, la rédemption est toujours de caractère anthropocentrique et subjectif.

Au contraire, dans le second cas, le péché n’est plus seulement un mal à guérir, mais un désordre à réparer. Qu’on parle d’un hommage rendu à Dieu en compensation de nos taules ou d’un acquittement bénévole de la peine qui nous était due, le Christ est conçu comme réalisant en notre faveur une œuvre qui a un sens et une valeur en soi, indépendamment de ses répercussions possibles ou réelles sur nous. Au lieu de viser seulement l’homme, il vise également Dieu : la rédemption est alors de caractère théocentrique et objectif.

Il faut d’ailleurs ajouter que, dans l'économie de la foi chrétienne, la considération du péché individuel est subordonnée à celle de la faute collective qui pèse sur le genre humain. De ce chef, la rédemption signifie avant tout la réparation de la déchéance originelle et le rétablissement par le Christ à notre profit du plan surnaturel primitif, suivant le schème classique : inslilulio, destittitio, restilulio.

2. Termes usuels.

Pour désigner ce mystère, le langage ecclésiastique dispose de vocables nombreux et divers.

Il s’agit tout d’abord d'énoncer le rôle actif du Sauveur dans la reprise de nos bons rapports avec Dieu. La Bible fournit à cette fin l’image populaire de rachat, les analogies rituelles d’expiation et de sacrifice, les catégories sociales de médiation et de réconciliation ; l'École y ajoute les notions plus savantes de satisfaction et de mérite. Tandis que les professionnels retiennent plutôt celles-ci, la langue courante se sert plus ou moins équivalemment de toutes les autres. L’allemand a le privilège d’avoir deux mots : Erlôsung et Versôhnung, qui correspondent respectivement aux deux aspects, général et précis, du salut ; l’idiotisme anglais alonement exprime ce dernier avec une originalité qui défie la traduction.

Au surplus, quand elle est prise au sens objectif, la rédemption apparaît comme une œuvre accomplie pour une bonne part à notre place. En conséquence, elle implique une certaine idée de substitution. D’où la formule technique salisfaclio vicaria, qui a l’infortune de ne pouvoir guère se traduire qu’en allemand, et qu’on se gardera d’invertir en ce lamentable pléonasme substitutio vicaria qui n’est rien moins qu’inouï. Voir Franzelin, Traclatus de SS. Eucharistiæ sacramento, Rome, 4e édit, 1887, p. 326-328 ; Hugon, Le mi/stère de la Rédemption, Paris, 6e édit., 1927, p. 270.

II. Doctrine de l'Église. — C’est un fait souvent constaté qu’il faut, d’ordinaire, à l'Église la pression de la controverse pour l’amener à formuler officiellement sa propre foi, tandis qu’elle laisse à l'état plus ou moins vague celles de ses croyances même les plus fondamentales, qui ne rencontrent pas de négateurs. Nulle part sans doute ce cas ne se vérifie mieux qu’au sujet de l'œuvre du Christ, qui, pour n’avoir de longtemps pas soulevé de problème, n’a non plus reçu que très tard un commencement de définition.

Période ancienne.

Avant le concile de Trente

on ne trouve aucun acte saillant de l’autorité ecclésiastique sur le chapitre de la rédemption. Les voies communes du magistère ordinaire suffisent aisément à garantir aux fidèles la possession normale de la régula fidei.

1. Époque patrislique.

Indirectement toutes les hérésies relatives à la personne du Christ en arrivaient à compromettre son œuvre de salut. Mais celle-ci n’a jamais proprement suscité de contestation. La prétendue erreur du gnostique « Bassus », en réalité Colorbasus, voir ce mot, t. iii, col. 378-380, qu’on a parfois donné comme un ancêtre du subjert ivisme abélardicn, n’est due qu'à une méprise d’Alphonse de Castro, Ado. omnes hær., c. iv : Clirislus, Anvers, 1565, fol. 122 v°,

recueillie de confiance par Suarez, De incarn., disp. IV, sect. iii, 5, édit. Vives, t. xvii, p. 56.

Ni le docétisme, en effet. iii, plus tard, le nestorianisme ou le pélagianisme, en dépit de la logique, ne déroulèrent leurs virtualités en matière de sotériologie. La Gnose, où le ministère prophétique du Christ constituait le principal de son action salutaire, se disqualifiait assez par l’ensemble de sa christologic pour ne pas apparaître comme un danger spécial en matière de rédemption. Aussi l’ancienne Église n’eut-elle pas à insister sur ce point.

a) Symboles primitifs. — Non seulement la lecture des livres saints maintenait les premières générations chrétiennes en contact réel avec l'œuvre du Christ, mais la catéchèse ecclésiastique leur en proposait le sens.

On a dit que, dans la primitive Église, en dehors de la christologie sur laquelle se concentrait l’attention, « le reste paraissait accessoire ». A. Sabatier, La doctrine de l’expiation et son évolution historique, p. 43. Défaut de perspective dû à une méprise complète sur la portée des premiers symboles de la foi, dont le type est le symbole romain. Textes dans Hahn, Bibliolhek der Symbole, p. 122-127 ; choix des principaux dans Denzinger-Bannwart, n. 2-10.

Ces formules sans prétentions théologiques, où la carrière terrestre du Sauveur est succinctement résumée, n’ont pas pour but d’en indiquer et, moins encore, d’en épuiser la signification. On n’oubliera pas que l'Écriture, la prédication générale et la liturgie de l'Église en formaient le commentaire perpétuel. Même réduite à la forme simple de l'Évangile, la christologie implique une sotériologie : le processus normal de la pédagogie chrétienne suffisait à en dégager cet aspect.

Il s’en faut, du reste, que la lettre du symbole soit aussi indigente qu’on veut bien l’assurer. A lui seul déjà le rappel de la venue au monde et de la mort du Christ laisse entendre qu’il ne s’agit pas là de faits indilTérents. Le texte, au surplus, se continue bientôt par une allusion à la « rémission des péchés ». Grâce qui, de toute évidence, non plus que le don de la « vie éternelle » qui en est la suite, ne saurait rester étrangère à l’avènement du Fils de Dieu et, par là-même, en est posée, au moins d’une manière implicite, comme le fruit.

A ces paroles s’ajoutait d’ailleurs la leçon vivante des rites. Dans l’ablution baptismale se réalisait pour les âmes le bienfait de la rédemption, cependant que la cène eucharistique la reliait expressément à la mort du Rédempteur.

b) Symboles postérieurs. — En même temps qu’ils élargissent, à rencontre de l’arianisme, les énoncés de la première heure sur la personne du Christ, les symboles rédigés à partir du ive siècle accusent aussi en termes plus explicites sa mission de sauveur.

Pour l’ensemble de l'Église, deux documents autorisés attestent ce développement. Qui puopter nos et PROPTER nostram salutem descendit de cœlis, … crucifixus etiam pro nouis, lit-on dans le symbole dit de Nicée-Constantinople, qui a pris place dans les prières de la messe. Denzinger-Bannwart, n. 86. Et plus synthétiquement dans le symbole dit de saint Athanasc, ibid., n. 40 : Qui passus est pro salute nostra.

On relève des énoncés analogues dans les textes symboliques de diverses Églises du monde chrétien. Voir Denzinger-Bannwart, n. 9, 10, 13, 16 et 54 ; Hahn, op. cit., p. 135, MO et 157.

c) Condamnai ion des grandes hérésies. — Quelques obiter dicta sur la rédemption sont également fournis par les définitions dogmatiques opposées par l'Église aux erreurs du temps.

Aucune hérésie n’intéressait plus gravement l’œuvre du Sauveur que le pélagianisme. Le canon 21 du concile d’Orange (529), Denzinger-Bannwart, n. 194, montre combien l’Église en eut conscience. « Si la justification vient par la nature, y est-il déclaré d’après Gal., ii, 21, le Christ est mort pour rien… Bien au contraire, il est mort afin d’accomplir la Loi… et aussi de réparer en lui-même la nature perdue par Adam » : … ut natura per Adam perdila per illum reparetur.

Diviser le Christ en deux « personnes », comme le faisait bon gré mal gré Nestorius, avait pour conséquence inévitable de fausser le but de sa mort. Le lien qui rattache l’union hypostatique au mystère de la rédemption s’affirme dans l’anathématisme 10 de saint Cyrille d’Alexandrie, Denzinger-Bannwart, n. 122 : « …Si quelqu’un dit qu’il s’est offert en sacrifice pour lui-même et non pas plutôt pour nous seuls

— car il n’avait pas besoin de sacrifice, n’ayant pas commis de péché — qu’il soit anathème. » Bien que d’origine privée, ces anathématismes ont fini par prendre une certaine autorité pratique dans l’Église, en suite de leur insertion d’ailleurs tardive dans les actes du concile d’Éphèse et des conciles postérieurs. Celui-ci a l’intérêt de refléter la foi de l’Église au sacrifice rédempteur de la croix.

En dehors de toute controverse, le symbolum fidei du XI" concile de Tolède (675), appuyé sur II Cor., v, 21, présente l’oblation du Christ comme un sacrificium pro peccalis. Denzinger-Bannwart, n. 280.

2. Époque médiévale.

Pas plus que la période patristique, le Moyen Age n’a connu de choc doctrinal sérieux en matière de rédemption. Seules quelques intempérances dialectiques d’Abélard amenèrent le concile de Sens (1140) à censurer une de ses propositions, que nous retrouverons en temps et lieu (col. 1 945). Acte plutôt négatif et qui ne dépassait pas suffisamment les contingences du cas pour être l’occasion d’un progrès.

La foi commune de l’Église à cette époque s’exprime incidemment, soit dans les termes bibliques de rançon et de sacrifice, comme dans le canon 4 des conciles de Quierzy (853) et de Valence (855), provoqués par la controverse prédestinatienne, Denzinger-Bannwart, n. 319 et 323, soit par le retour plus ou moins littéral aux formules du symbole, ainsi que dans les professions de foi souscrites par Bérenger (1079), ibid., n. 355 : Christi corpus… pro salute mundi oblalum, et Michel Paléologue (1274), ibid., n. 462 : … in humanitate pro nobis et salute noslra passum, ou dans celle que promulgue, ibid., n. 429, le quatrième concile du Latran (1215) : … pro salute humani generis in ligno crucis passus et mortuus.

Un peu plus tard, le formulaire ecclésiastique s’enrichit du concept de « mérite », qui survient dans une bulle de Clément VI relative aux indulgences (1343), Denzinger-Bannwart, n. 552, puis dans le décret d’Eugène IV pour les jacobites, ibid., n. 711 : Firmiter crédit, profitetur et docet [romana Ecclesia] neminem umquam… a diaboli dominatione fuisse liberalum nisi per meritum nwdialorïs.

Au vocabulaire traditionnel l’Église commençait de la sorte à joindre l’un des termes que l’École utilisait depuis saint Anselme avec une parfaite unanimité qui avait déjà par elle-même la valeur d’un consensus.

Période moderne.

Comme tant d’autres, la doctrine

de la rédemption allait recevoir, au moment de la Réforme, un surcroit de précision et de clarté.

1. Enseignement du concile de Trente. — Loin de péricliter au sein du protestantisme, l’œuvre rédemptrice du Christ y devenait un élément essentiel du système de la justification par la foi. Voir Justification, t. viii, col. 2137-2146. Ce n’est donc pas le besoin de

réagir contre l’erreur, mais le souci de donner à la synthèse catholique toute sa plénitude qui amena le concile de Trente à y toucher. Voir J. Rivière, La doctrine de la rédemption au concile de Trente, dans Bulletin de littérature ecclésiastique, 1925, p. 260-278.

a) Session V : Mérite du Christ. — En définissant la transmission héréditaire du péché originel, le concile en souligne, au passage, l’extrême gravité, dont il demande la preuve à la façon dont il nous est remis. Ce qui ramène à faire intervenir, comme une donnée connue, l’œuvre du Rédempteur et la notion de mérite qui est une des manières de l’exprimer. Sess. v, can. 3 ; Denzinger-Bannwart, n. 790 ; Cavallera, Thésaurus, n. 871.

Si quis hoc Adapeccatum

… vel per humante nature

vires, vel peraliud remedium

asserit tolli quam per meri tum unius mediatoris Do mini nostri Jesu Christi, qui

nos Deo reconciliavit in san guine sun, factus nobis justi fia, sanctificatio et mUiiiptin (I Cor., i, 30), aut negal ip sum Jesu Christi meritum

per baptismi sacramentum…

applicari, A. S.

Si quelqu’un affirme que

ce péché d’Adam… est enlevé

soit par les forces de la na ture humaine, soit par un

autre remède que le méritede

l’unique médiateur [qu’est]

Notre-Seigneur Jésus-Christ,

qui nous a réconciliés à Dieu

dans sou sang, « en deve nant pour nous jus liée, sanc tification et rédemption »,

ou bien s’il nie que ce mérite

de Jésus-Christ soit appliqué

pai le sacrement du bap tême…, qu’il soit anathème.

Ce rapprochement entre le médiateur et le premier père, en vue d’opposer à l’action néfaste de celui-ci la mission salutaire de celui-là, est une allusion manifeste au parallèle paulinien des deux Adam. Aussi, pour caractériser le rôle du second, le texte conciliaire emprunte-t-il volontiers les formules de saint Paul ; la suite y ajoute d’ailleurs, à titre justificatif, des déclarations d’allure encore plus générale telles que Act., iv, 12 et Joa., i, 29. De ce dossier scripturaire le terme abstrait de mérite accentue et précise la portée ; mais il est ici employé comme usuel plutôt que proprement défini.

6. Session VI : Mérite et satisfaction du Christ. — Une seconde fois la doctrine centrale de la justification, qui fit l’objet de la session vi, allait amener le concile à rencontrer celle de la rédemption qui en est le fondement.

Suivant le cadre dessiné au début de l’Épître aux Romains, le décret commence par traiter brièvement de naturæ et legis ad justifïcandos homines imbecillitate. En regard de cette impuissance consécutive à la chute se dresse un exposé non moins succinct de dispensatione et mysterio advenlus Christi. Sess. vi, c. i-ii ; Denzinger-Bannwart, n. 793-794. La défaillance du genre humain, aggravée plutôt que guérie par les deux régimes provisoires sous lesquels il vécut, appelait à titre de remède la venue du Rédempteur, qui, dès lors, ne s’affirme pas seulement comme le principe eflicace de notre salut, mais arrive à prendre une sorte de nécessité.

Pour achever d’inscrire la justification dans le plan général du surnaturel, le concile en veut, un peu plus loin, expliquer les > causes. qui sont ramenées à cinq : finale, efficiente, méritoire, instrumentale et formelle. Nomenclature scolaire qui permet de l’envisager tour à tour sous ses différents aspects. C’est évidemment Dieu seul qui peut nous justifier. Mais le jeu souverain de cette « cause efficiente » n’en est pas moins préparé par l’intervention d’une » cause méritoire ». Rubrique sous laquelle s’introduit le rôle du Christ dans l’économie du salut. Sess. vi, c. vu ; Denzinger-Bannwart, n. 799 et Cavallera, Thésaurus, n. 879.

… Meritoria autem [causa … Quant à la cause mérijustificationis ], dilectissimus toire de la justification, c’est Unigenitus suus, Dominus son très cher Fils unique,

noster Jésus Christus, qui, cum essemus inimici (Rom., v, lot, propler nimiam charilatem qua dilexil nos (Eph., ii, 4), sua sanctissima passione in ligno crucis nobis justiflcationem meruit et pro nobis Deo F’alri satisfecit.

Notre-Seigneur Jésus-Christ,

lequel, » alors que nous étions ennemis, en raison du grand amour qu’il nous port ait », par sa passion très sainte sur le bois de la croix nous a mérité la justification et a satisfait à Dieu son l'ère pour nous.

Des deux agents principaux qui concourent à notre justification le rapport mutuel est facile à établir. La réalisation appartient au l'ère : effleiens [causa] misericors Deus qui gratuite ablu.il et sanctifteat, mais avec le concours de la passion du Fils à titre de moyen déterminant. Il est d’ailleurs assez curieux de voir appliquer à celui-ci un texte que l’Apôtre, Eph., ii, 4, écrivait de celui-là. Preuve sans nul doute que ce « grand amour » qui met tout en branle est commun aux deux.

C’est d’abord le concept de mérite qui sert à spécilier le rôle du rédempteur. On le trouvait déjà per Iranscnnarn au c. iii, Denzinger-Bannwart, n. 795, sous la forme de meritum passionis ; on le retrouve au canon 10, ibid., n. 820, où il est question de cette Christi juslilia per quam nobis meruit. Cf. sess. xix, c. viii, ibid., n. 905.

Mais celui de satisfaction lui est aussitôt associé. En toute rigueur de termes, on pourrait même dire que ce dernier n’est, en somme, qu’une modalité du précédent, puisque les deux sont compris sous la désignation générale de causa meriloria. Ce qui invite, sans négliger la nuance de chacun, à ne pus perdre de vue la réalité commune à laquelle ils sont l’un et l’autre coordonnés. La « satisfaction » du Christ devait également reparaître plus tard, à propos de celle que le sacrement de pénitence laisse au compte du pécheur. Sess. xix, c. vin et eau. 12, Denzinger-Bamrwart, n. 904, 905 et 922. Ainsi encore dans le texte condamné de la 59e proposition de Baïus. Ibid., n. 1059.

Il ne s’agit d’ailleurs pas là d’une définition doctrinale que rien n’appelait. Par le fait d'être ainsi incorporées dans le décret solennel relatif à la justification, les deux catégories de satisfaction et de mérite, déjà courantes dans l'École pour qualifier l'œuvre du Christ, n’en prenaient pas moins, en quelque sorte, un caractère officiel.

c) Session xxii : Sacrifice du Christ. — Quel que fût son désir de revendiquer, à rencontre des protestants, la valeur sacrificielle de la messe, l'Église, précisément pour la mettre in tulo, ne pouvait pas ne pas rappeler qu’elle est identique au sacrifice de la croix. Aussi bien cette mention revient-elle à maintes reprises au cours du décret promulgué à la session xxii, c. i et ii, can. 3 et 4, Denzinger-Bannwart, n. 938, 940, 950 et 951. Ce qui a l’intérêt de montrer, en ce qui concerne la rédemption, que les vocables nouveaux de satisfaction et de mérite n’enlèvent pas sa raison d'être à l’un des mieux accrédités parmi les anciens.

Aucune explication n’est, d’ailleurs, fournie par l'Église sur le sens des termes par elle adoptés. L’exposé pour ainsi dire officieux du Catéchisme romain, v, 3-5 et xxiv, 1, peut servir à montrer comment elle faisait sien le langage reçu dans l'École, avec une tendance notoire à faire prédominer sur les autres le concept de satisfaction, qui semble dès lors propre à les synthétiser.

2. Condamnation des sociniens. A l’extrême gauche de la Réforme néanmoins, dès la seconde moitié du XVIe siècle, la secte des unitaires, héritière des Socin, ne voulait reconnaître à la mort du Christ que la valeur d’un exemple. C'était la première opposition Systématique à laquelle se soit heurtée la toi traditionnelle en la rédemption.

Sans doute parce qu’elle intéressait plutôt les des tinées internes du protestantisme, l'Église n’a tout d’abord pas accordé d’attention spéciale à cette hérésie. En cas de besoin, elle pouvait, du reste, paraître suffisamment exclue par le chapitre du concile de Trente qu’on vient d’analyser.

Bientôt cependant la propagande faite en Italie par les sociniens allait amener Paul IV à prendre contre eux des mesures directes de répression (7 août 1555). Censures que le pape justifie par l’indication de leurs erreurs, dont l’une consiste à nier eumdem Dominum nostrum Jesum Christum subiisse acerbissimam crucis morlem ut nus a peccatis et ab œlerna morte rcdimerel et Patri ad vitam reconciliaret. Denzinger-Bannwart, n. 993. Formule où s’affirme une fois de plus la croyance de l'Église au caractère objectif de notre rédemption, mais sans ajouter aucun appoint de précision technique aux données acquises du langage courant.

La constitution de Paul IV fut renouvelée sans changement par Clément VIII (3 février 1603).

3° Période contemporaine : Un projet de définition. — Soit pour combattre le rationalisme croissant du protestantisme moderne, dont la théologie de Hermès et de Gùnther accueillait trop aisément les suggestions, soit pour donner à l’architecture du dogme catholique son complet achèvement, le concile du Vatican avait mis à son programme une constitution générale de doclrina catholica. Le dogme de la rédemption y devait figurer en bon rang.

Jn avant-projet fut soumis aux Pères dès le 10 décembre 1869. Le chapitre consacré à la personne du Christ se terminait par quelques lignes sur son œuvre, ramassée autour des notions de mérite et de salis/actio vicaria, dont la négation aurait dû comporter la note d’hérésie. Primum schéma const. de doctrinal catholica, c. xiv, dans Collectio Lacensis, t. vii, col. 515. Deux longues adnotaliones, 33-34, ibid., col. 543-544, expliquaient, à rencontre des objections qu’elle soulève, la manière exacte d’entendre la satisfaclio vicaria.

Le schéma remanié retenait également le mérite ainsi que la satisfaction du Christ, et celle-ci était présentée comme « ce qui fait la vertu de son sacrifice ». Schéma const. de pnecipuis mysteriis fidei, c. iv, 7-8, ibid., col. 501. Aussi la possibilité et la réalité de cette satisfaction étaient-elles consacrées par les deux canons suivants : Si guis a/firmare prsesumpserit salisfaclionem vicariam, unius scilicet mediatoris pro cunctis hominibus, justifias divinæ repugnare, A. S. — Si quis non confiteatur ipsum Deum Verbum, in assumpta carne paliendo et moriendo, pro peccatis nostris poluisse salisfacere, vel vere et proprie satisfecisse, A. S. Can. 5 et 6, ibid., col. 566.

Bien que ces documents n’aient pas d’autorité canonique, ils ne laissent pas d'être précieux pour vérifier l'état normal du magistère ordinaire et voir d’après quelle ligne s’orienterait une définition dogmatique, si elle devait un jour avoir lieu.

Au total, il résulte de ces divers textes que l'Église a bien l’intention d’imposer une foi très ferme, sinon définie, en matière de rédemption. Elle ne rattache pas uniquement le salut de l’humanité à la mission générale du Christ, mais avec une particulière insistance au drame de sa mort. A celle-ci elle ne reconnaît pas seulement la valeur d’une leçon : elle y voit un moyen objectivement et souverainement ellicace de rétablir entre Dieu et l’homme les rapports qu’avait rompus le péché.

Pour caractériser cette action, elle ne se contente pas de retenir les expressions communes de la langue biblique et religieuse ; elle adopte officiellement la terminologie plus précise mise en cours depuis le Moyen Age par ses théologiens. « Mérite » et « satisfaction i du Christ recouvrent donc plus que des

théories d'école ou des thèses reçues : l’idée fondamentale impliquée dans ces termes appartient à la formule de la foi catholique pour exprimer l'œuvre de rédemption surnaturelle éminemment réalisée par le sacrifice de la croix.


II. GENÈSE DE LA FOI CATHOLIQUE. —

Plus l'Église se montre affirmative sur notre rédemption par la satisfaction et le mérite du Christ, plus il importe de vérifier les titres qui assurent à ce dogme une place légitime dans le dépôt de la révélation. —
I. Religions païennes. —
II. Message chrétien (col. 1926). —
III. Tradition patristique : « Perpétuité de la foi » (col. 1932). —
IV. Tradition patristique : Essais de construction doctrinale (col. 1938). - —
V. Théologie médiévale (col. 1942). —
VI. Organisation définitive : Dans l'Église catholique (col. 1947). —
VII. Organisation définitive : Dans les Églises protestantes (col. 1951).

I. Religions païennes. —

D’après J. de IVIaistre, la rédemption serait « une idée universelle ». Éclaircissement sur les sacrifices, à la suite des Soirées de Saint-Pétersbourg, Lyon, 1836, t. ii, p. 392, et il entendait par là, d’une manière toute spéciale, « la rédemption par le sang ». Ibid., p. 389. Principe qui, après l’esquisse du célèbre penseur, allait inspirer l’ouvrage de B.-J. Schmitt, Grundideen des Mylhus oder Spuren der gôlllichen gecfjenbarten Lehre von der Welterlôsung in Sagen und Urkunden der àlteslen VôUcer, Francfortsur-M’Mii, 1826, aussitôt traduit en français par R.-A. Henrion, Paris, 1827, dont la traduction est passée dans Aligne, Démonstrations évangéliques, t. xiii, col. 1081-1208, sous ce titre significatif : La Rédemption du genre humain annoncée par les traditions et les croyances religieuses, figurée par les sacrifices de tous les peuples.

Ces rapprochements, d’où le traditionalisme croyait pouvoir tirer une apologétique, sont aujourd’hui copieusement exploités par l'école dite religionsgeschichllich pour expliquer scientifiquement l’idée chrétienne de rédemption, en la ramenant au niveau des autres croyances religieuses dont elle serait une forme plus évoluée, sinon même un plagiat. Voir La foi en la rédemption et au médiateur dans les principales religions (d’après O. Pfleiderer), dans Revue de l’histoire des religions, t. iv, 1881, p. 378-382 ; t. v, 1882, p. 123137 et 380-397 ; J.-G. Frazer, The scapegoat, Londres, 1913 ; J. Wach, Der Erlôsungsgedanke und seine Deutung, Leipzig, 1922 ; pour les religions orientales, R. Reitzenstein, Bas iranische Erlôsungsmyslerium, Bonn, 1911, et Vorchristliche Erlôsungslehren, Upsal, 1922 ; pour les religions de l’antiquité gréco-romaine, H. Lietzmann, Der Wellheiland, Tubingue, 1908 ; J. Toutain, L’idée religieuse de rédemption et l’un de ses principaux rites dans l’antiquité grecque et romaine, en tête de l' Annuaire 19 16-1917 publié par la Section des sciences religieuses à l'École pratique des HautesÉtudes ; A. Loisy, Les mystères païens et le mystère chrétien, Paris, 1919.

Une enquête préalable sur le paganisme s’impose de ce chef à la théologie, à titre pour ainsi dire de préface obligatoire, en vue de maintenir au mystère chrétien son indépendance et son originalité. Dans ce sens, voir K. Staab, Die Lehre von der stellvertrelenden Genugluung Christi, Paderborn, 1 908, p. 6-38 ; E. Krebs, Der Logos als Heiland im erslen Jahrhunderl, Fribourgen-Br., 1910 ; Semaine internationale d’ethnologie religieuse, IV* session (Milan, 1925), Paris, 1920, p. 237304 ; A. Médebielle, art. Expiation, dans Dict. de la Bible, supplément, fasc. 12, col. 1-48.

Principaux thèmes.

Il ne saurait, d’ailleurs,

être question d’instituer ici une étude complète, qui appartient à la science des religions et mériterait une monographie. En attendant, il suffit au théologien d’une orientation synthétique à travers les divers

courants du monde non chrétien dont la science incroyante a principalement voulu tirer parti.

1. Idée générale de rédemption.

Certaines classifications distinguent un groupe de religions dites rédemptrices ou religions de salut. A prendre les choses de haut, il n’est pas de religion, par le fait que toutes impliquent un commerce avec une divinité secourable, qui ne mérite, en réalité, ce qualificatif. Seulement rien n’est plus variable que le genre de bienfait qui en est espéré.

a) Au plus bas degré de l'échelle se placent les religions qui sont ou semblent absorbées par le souci des biens temporels. Encore est-il qu’attendre de Dieu ou des dieux soit la inarche heureuse, soit le rétablissement normal des forces naturelles, en matière de santé, de récoltes, de guerre et de paix, signifie un besoin de protection et, s’il y a lieu, de pitié miséricordieuse auquel, pour humble qu’en soit l’objet, le concept générique de rédemption peut convenir.

Jusque chez ces « primitifs » où l'Être suprême est indifférent à son œuvre, il est suppléé dans son rôle de Providence terrestre par « un Sauveur ou Civilisateur », généralement identifié à 1' « Ancêtre tribal ». W. Schmidt, Origine el évolution de la religion, trad. A. Lemonnyer, Paris, 1931, p. 258.

b) Sans toujours atteindre un niveau bien élevé, les grandes religions classiques donnent déjà plus d’ampleur, chacune suivant son génie propre, à la notion de salut.

Dans le parsisme, Zoroastre découvre à ses fidèles la parole divine qui leur permet de triompher des mauvais démons. Le mythe d’Héraclès passe communément pour traduire, dans le monde grec, l’action tutélaire des dieux contre les maux qui accablent l’humanité. Plus tard, le Logos fournit le cadre dans lequel les cercles cultivés aimaient à présenter cette œuvre bienfaisante, non sans l'étendre à toutes les formes de la civilisation, tandis que le personnage populaire de Mercure servait parfois à revêtir ces abstractions des couleurs de la vie. Cf. E. Krebs, op. cit., p. 20-39.

Il s’en faut pourtant que le souci des réalités matérielles y perdit ses droits. A cet égard, les souverains, en tant qu’expression visible de la Providence divine, finirent, la flatterie aidant, par accaparer de plus en plus le titre de « Sauveurs ». Voir dans II. Lietzmann, Der Weltheiland, p. 1-26, la série des inscriptions où il était abondamment décerné par leurs panégyristes officiels à toutes sortes de rois et d’empereurs, soit en Orient, soit en Occident.

c) Au lieu du bonheur collectif, c’est le souci de la destinée individuelle qui prime dans le. bouddhisme. Il s’agit de trouver ici-bas la paix intérieure, plus encore d'échapper à l'épreuve des existences futures en vue d’atteindre le nirvana. De ce chef, « la délivrance est la raison d'être du bouddhisme ». L. de La Vallée-Poussin, Bouddhisme, Paris, 1909, p. 107. Et le moyen pour cela, « c’est la suppression du besoin par l’anéantissement complet du désir », où, dans son fameux sermon de Bénarès, le Bouddha lui-même proclamait avoir trouvé la « rédemption de son esprit ». Voir Chantepie de La Saussaye, Manuel d’histoire des religions, Paris, 1904, p. 380-381.

2. Idée spéciale d’expiation.

Peu de religions

cependant — et peut-être faudrait-il dire aucune, à y bien regarder — se renferment dans ces conceptions terre à terre. Un minimum plus ou moins consistant de vie spirituelle y apparaît, de manière à situer dans l’ordre moral la norme des bons rapports entre Dieu et l’homme, avec une certaine préoccupation des moyens propres à les rétablir.

a) Le péché. - — Rien de plus rudimentaire que la notion du mal chez beaucoup de peuples, où dominent

les « tabous ». Voir R. Hertz, Le péché et l’expiation dans les sociétés primitives, notes posthumes publiées par H. Mauss, dans Revue de l’histoire des religions, t. lxxxvi, 1922, p. 1-60.

Ceux-là néanmoins qui semblent aux ethnologues le plus près de l'état primitif conçoivent l'Être suprême comme « l’auteur de la loi morale », parmi les exigences de laquelle, avec l’observation des cérémonies proprement religieuses, figurent « la soumission aux anciens, le respect de la vie humaine, la défense de verser le sang sans juste motif, la prohibition de l’adultère, de la fornication, des vices contre nature, des relations sexuelles avant le mariage, l’honnêteté, l’assistance aux indigents ». W. Schmidt, trad. Lemonnyer, op. cit., p. 337. De cet ordre par lui posé Dieu devient logiquement le gardien et le vengeur, jusque par des sanctions dans l’au-delà. Ibid., p. 338340. Prémisses qui entraînent forcément, au milieu de bien des superstitions, cf. A. Le Roy, La religion des primili/s, Paris, 1911, p. 215-240, la possibilité d’une saine appréciation du bien et du mal.

A plus forte raison n’est-il pas contestable qu’une idée saine de la loi morale ne fût, en somme, inculquée aux Égyptiens par la célèbre confession négative contenue dans le « Livre des morts ». Une vive impression du péché s’afïirme dans plusieurs hymnes védiques, cf. Chantepie de La Saussaye, op. cit., p. 344 et K. Staab, op. cit., p. 8-9, ainsi que dans les psaumes babyloniens de pénitence. Voir M.-J. Lagrange, Éludes sur les religions sémitiques, Paris, 1905, p. 224-225. Il est notoire que les « mystères » grecs et asiatiques répondaient à un besoin de purification que les cultes officiels ne satisfaisaient pas.

b) Remèdes <m péché. — Aussitôt que la conscience du péché, pour imparfaite qu’elle soit, pénètre dans une âme d’homme, un mouvement naturel porte celle-ci au repentir et à la prière en vue d’en obtenir le pardon. Expression vécue de ces sentiments, les formules religieuses dont l’histoire enregistre le témoignage ne pouvaient aussi que les provoquer.

Non moins significatif, à cet égard, et certainement plus universel que les paroles était le langage des rites. Or les cérémonies d’ablution ou de lustration, dont le taurobole était la plus expressive, se rencontrent partout.

En particulier, parmi les multiples fins du sacrifice, entrait souvent de la manière la plus explicite la purification du péché. Ainsi en fut-il chez les Sémites, voir Lagrange, op. cit., p. 237, 256-258, 261-263 ; cf. P. Dhorme, La religion assyro-babylonienne, Paris, 1910, p. 274-275, ainsi que chez les Grecs et les Romains, Chantepie de la Saussaye, op. cit., p. 498, 606 et 608609. W. Schmidt, trad. Lemonnyer, op. cit., p. 344, constate le même fait chez les Semang de Malacca.

3. Idée précise de victime expiatoire.

Par-dessus tous ces moyens individuels se rencontre aussi l’idée plus ou moins nette qu’une victime humaine puisse faire bénéficier les autres de son immolation.

Dans l’antiquité classique, au moment des grandes épreuves nationales, Origène atteste. Cont, Cels., i, 31, P. ('., t. xi, col. 717-720, que l’oblation spontanée d’un chef à la mort passait pour être le suprême sacrifice qui détournait la colère des dieux. Les annales de la vieille Rome ont immortalisé le souvenir de l’héroïque dévouement des trois Décius. Voir A. BouchéLeclcrcq, art. Devotio, dans Daremberg et Saglio, Dict. des antiquités, I. ii, p. 117-119. Même contrainte, la mort prenait parfois la même valeur. Là sans doute est la principale raison des sacrifices humains, que le paganisme a si souvent pratiqués. Un des plus réguliers et des plus connus - dont quelques répliques se retrouvent, du reste, ailleurs — est le « saut de Lcucade », OÙ un condamné était jeté à la mer, en la fête

annuelle d’Apollon, afin de conjurer le péril éventuel des vengeances divines. Coutume barbare où J. Toutain, loc. cil., p. 1-18, veut retrouver en germe « l’idée religieuse de la rédemption ».

A cette catégorie se rattacherait le culte des dieux morts et ressuscites, dont les « mystères » faisaient revivre annuellement, sous les yeux de leurs fidèles, la tragique destinée : Osiris en Egypte, Dionysos en Grèce, Adonis à Byblos (ou à Babylone sous le nom de Tammouz), Attis en Phrygie. Voir Fr. Cumont, Les religions orientales dans le paganisme romain, Paris, 1907. Textes dans M. Brùckner, Dcr slcrbende und auferstehen.de Gottheiland, Tubingue, 1908, et J. Leopoldt, Slerbende und aujerslehende Gôller, Leipzig, 1923.

Examen critique.

Il est difficile que la simple

exposition des faits dont se réclament les écoles comparatistes n’ait pas pour effet de montrer combien ils sont loin du dogme chrétien. Une critique attentive du dossier achève de fortifier aisément cette impression.

1. Règles générales de méthode.

Chaque fois qu’il

s’agit de comparer des croyances ou des institutions religieuses pour en chercher le rapport, il faut avant, tout se rappeler quelques règles primordiales qui commandent le cas.

De toute évidence, on ne saurait entreprendre de rapprocher que des faits bien établis et des valeurs du même ordre. Il faut, par conséquent, ne pas être dupe de ces enquêtes factices où sont recueillis sans contrôle des témoignages de toutes mains, où les interprétations problématiques se mêlent aux constatations exactes, où l’on généralise à plaisir ce qui n’est vérifié que de certains temps ou de certains lieux.

Autant qu'à ces falsifications matérielles il importe de prendre garde à ces déformations plus subtiles qui consistent à fausser les données du problème en négligeant les différences qui peuvent exister entre les termes en cause pour n’en retenir que les ressemblances. En matière d’idées religieuses plus qu’ailleurs, ce n’est pas la lettre qui compte, mais l’esprit, et il est non moins clair qu’on ne peut validement songer à les mettre en parallèle qu’en les prenant su b eodem respeclu.

Une fois les prémisses dûment reconnues, il reste à n’en pas forcer les conclusions. On doit, par exemple, tenir pour un « abus critique » des plus caractérisés « la confusion si fréquente entre analogie et dépendance historique ou emprunt ». H. Pinard de La Boullaye, L'élude comparée des religions, t. i, Paris, 1922, p. 474-475. Car il est toujours possible qu’une même cause, ici un « climat » spirituel plus ou moins semblable, explique la production simultanée de ces effets.

Il ne faut pas moins exclure, avec le même auteur, ibid., p. 477, « ce présupposé aussi gratuit qu’une religion divine dans son origine ne doive présenter aucune analogie avec les religions d’origine humaine. Bien au contraire, … il est essentiel à la religion vraie de donner satisfaction à tous les besoins vraiment humains, à une religion surnaturelle de répondre à toutes les aspirations naturelles, de s’adapter, à l’heure où elle se présente, à tout ce qui est sain et de ne se présenter qu’au moment où les âmes sont disposées en quelque mesure à l’accepter. »

Ce qui semblait objection devient ainsi la marque d' « une préparation providentielle », à la fois autorisée par la raison et suggérée par l’histoire. « Incapable d’abandonner purement et simplement aucune des âmes qu’il a créées, Dieu aurait départi sa lumière aux philosophes de la gentililé, comme il le faisait avec plus d’abondance en faveur du peuple élu ; il aurait favorisé la diffusion des meilleures doctrines

et de la sorte préparé les voies a l'Évangile… Bref, sans supprimer les facteurs humains, il les aurait utilisés et dirigés, conformément à un plan dont les grandes lignes se laissent entrevoir. »

2. Principaux cas d’espèce.

Une idée multiforme comme l’est celle de rédemption rend l’usage de ces préceptes d’une saine méthode particulièrement nécessaire et bienfaisant. De ce chef, tous les faits de la première catégorie doivent être exclus d’emblée comme n'étant pas ad rem. La rédemption chrétienne, en effet, est autre chose que le concept d’une Providence bienveillante ou vaguement libératrice, et cela non seulement parce qu’elle se réfère à la personne du Christ, mais parce qu’elle porte sur un objet tout différent. îl ne s’agit pas ici d'échapper aux misères de l’existence, mais de parer au désordre introduit par les défaillances coupables du libre arbitre : la carence de l’humanité religieuse à l'égard de ceci apparaît d’autant plus sensible que croît davantage sa préoccupation de cela.

Au contraire, le sens du péché, la présence de formules ou de rites d’expiation, dans la mesure même où ils sont établis, sont l’indice normal du besoin auquel le dogme chrétien de la rédemption a précisément pour but de satisfaire. Les faits de ce genre sont donc à retenir comme une disposition psychologique plus ou moins lointaine à l'égard du christianisme, mais tout aussi incapable d’en expliquer la naissance que l’appétit de créer l’aliment ou la maladie de faire arriver le médecin. D’autant que ces parties saines où se traduisait, jusque dans le paganisme, l’action de la religio perennis restèrent elles-mêmes toujours de caractère très mêlé.

Seule donc serait proprement en relation directe avec le problème tel que la foi chrétienne le pose et le résout l’idée d’une médiation à fins expiatoires. Idée suffisamment naturelle, au demeurant, [jour qu’il n’y ait pas lieu de s'étonner que la conscience humaine en ait eu quelques soupçons.

Mais on chercherait vainement une religion où elle ait pris corps. Les victimes contraintes n’ont trop manifestement rien de commun avec l’oblation personnelle du Christ sur la croix. Bien qu’elle se meuve sur un plan supérieur et soit, dès lors, beaucoup plus rare, la notion d’après laquelle un chef devrait se vouer aux dieux infernaux pour le salut des siens relève d’un tout autre concept religieux que l’expiation du péché. Prendre pour une identité une lointaine et grossière analogie serait le pire des contre-sens.

En tout cas, le culte des dieux morts et ressuscites mérite moins que tout autre d’entrer en ligne de compte. Car « l’idée que le dieu meurt et ressuscite pour conduire ses fidèles à la vie éternelle n’existe dans aucune religion hellénique à mystères. Cette victoire du dieu sur la souffrance et la mort est bien pour l’initié… le symbole et la garantie d’une vie bienheureuse dans l’au-delà… Mais la mort du Dieu n’est pas un sacrifice expiatoire. » A. Boulanger, Orphée, Paris, 1925, p. 102. D’ailleurs, « avant l'ère chrétienne », d’après Éd. Meyer, Ursprung und Anfdnge des Christentums, t. iii, Stuttgart et Berlin, 1923, p. 393, « l'épithète de Sôler n’est nullement caractéristique de ces divinités ». Pour une discussion détaillée, voir B. Allô, Les dieux sauveurs du paganisme gréco-romain, dans Revue des sciences phil. et llie’ol., t. xv, 1926, p. 5-34 ; L. de Grandmaison, Dieux morls et ressuscites, dans Jésus-Christ, Paris, 1931, t. ii, p. 510-532 ; A. Médebielle, art. Expiation, col. 9-13 et 44-48.

Si donc il est possible de relever dans les religions païennes, particulièrement au début de notre ère, une certaine « aspiration vers le christianisme », H. Pinard de La Boullaye, op. cit., p. 479, nulle part on ne peut

y découvrir « une fermentation religieuse capable de le produire tel quel ».


II. Message chrétien. —

Tandis que, dans le paganisme, la rédemption n'était, au mieux, qu’une vague tendance ou un obscur pressentiment, la révélation chrétienne allait en faire une réalité. Voir Le dogme de la rédemption. Essai d'étude historique, p. 2999 ; Étude théologique, p. 25-71.

Données préparatoires de l’Ancien Testament.


Entre certaine théologie qui la majorait à plaisir et la critique moderne qui voudrait la réduire presque à rien, la portée religieuse de la Loi judaïque est exactement marquée par la parole de l’Apôtre : Umbram habens Lex fulurorum bonorum. Hebr., x, 1. Vue de croyant que vérifient les observations de l’historien.

1. Le peuple de Dieu.

Avec la connaissance du Dieu unique et de la loi morale qu’il devait au Décalogue, il est incontestable qu’Israël eut en mains tous les éléments pour acquérir une vraie notion du péché. Que ces principes n’aient pas toujours été mis en pratique et se soient trop souvent associés à bien des superstitions, ce n’est guère douteux : ils n’en étaient pas moins posés et ne pouvaient donc pas ne pas exercer une certaine action.

Comme remède au péché, en même temps que la pénitence que ne cessaient de recommander les prophètes, ainsi Is., i, 11-18 ; Jer., iii, 22 ; Joël, i, 12, et les bonnes œuvres, .1er., vii, , ">-7 ; Dan., iv, 24, la Loi offrait à la conscience juive diverses variétés de sacrifices. Voir A. Médebielle, art. Expiation, col. 48-81. Les critiques dirigées contre ceux-ci par quelques prophètes, Ain., v, 25 :.1er., vii, 22 ; Mal., i, 7-8, ou psalmistes, Ps., xi.ix, 8-10 et L, 17-18, visaient des abus et non pas l’institution, Non moins qu'à des impuretés purement légales ou à des manquements rituels, ils s’appliquaient aussi à des fautes morales proprement dites. En assurant le pardon divin, ils entretenaient de la sorte un sentiment de culpabilité dans les âmes religieuses et il n’est pas jusqu'à leur multiplicité même qui ne put déjà, comme devait l’observer Hebr., x, 1-4, donner l’intuition d’un déficit.

2. L’avenir messianique.

Cette paix avec Dieu, à laquelle tendait sa vie normale, Israël l’attendait surtout de l’avenir, lui effet, parmi les biens de l'époque messianique entrait la rémission des péchés, ls., iv, 3 et xxxiii, 21 ;.1er., xxxi, 34 et xxxiii, 8. Par où il faut entendre, avec l’exemption île la vindicte divine, un état intérieur de sainteté qui rendrait enfin le peuple élu digne de sa vocation. l'.z., xxxvi, 24-25 ; Os., ii, 16-21.

Au lieu de reporter l’origine de cette grâce à la seule miséricorde, Isaïe, lui, 1-12, l’attribue aux souffrances expiatoires d’un « serviteur » de Jahvé, qu’il représente comme une victime innocente broyée pour les crimes du peuple et lui obtenant le pardon par la vertu de son sacrifice. Haute et mystérieuse figure dont la critique admet de plus en plus que les traits ne peinent convenir qu’au Messie. Voir art. Messianisme, t. x, col. 1474-1476 ; A. Médebielle, art. Expiation, col. 90-101). Dès là qu’il aurait suffi de quelques justes pour préserver Sodome, Gen., xviii, 2233, cf. Ex., xxx, 11-15, rien d'étonnant à ce que le juste par excellence procure aux siens le même bienfait.

Il est vrai que la tradition judaïque ne devait pas s’ouvrir à cette révélation précoce des peines rédemptrices du Messie futur. Voir Judaïsme, t. viii, col. 16281634 ; J. Bonsirven. Les idées juives au temps de Notre-Seigneur, Paris, 1934, p. 160-162 ; Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, Paris, 1935, t. i, p. 380-386. Ce qui s’expl ique par les préjugés nationaux d’Israël.

On y retient du moins le principe général de cette

réversibilité des souffrances et des mérites. C’est ainsi que le sang des jeunes Machabées, martyrs de leur attachement à la Loi, est tenu pour un àvTÎ<JjuX°v, IV Mac, vi, 28-29 ; xvii, 20-23, et qu'à ce titre leur mort devient pour tout le peuple une source de salut et de propitiation. II Mac, vii, 37-38. Un terrain favorable était préparé par là, où le germe chrétien trouverait à s’enraciner.

Enseignement de Jésus.

Dans sa prédication

sotériologique il n’est pas douteux que Jésus n’ait fait entrer, en un rang spécial, le mystère de sa mort.

1. L' Évangile. — Conscient d'être « envoyé vers les brebis perdues de la maison d’Israël », Matth., xv, 24, plus que cela désireux de soulager ceux qu'écrase le poids de leurs peines, ibid., xi, 28, Jésus annonce à tous « les secrets du royaume », ibid., xiii, 11, et les conditions pour y accéder. A mots couverts, il se donne, en particulier, comme le médecin des pécheurs, Marc, ii, 17, et il en fournit la preuve en réhabilitant des courtisanes ou des publicains. Tout son Évangile est, dès lors, un message de salut, dont la répercussion intéresse jusqu'à nos destinées éternelles : suivant qu’on aura confessé ou renié son nom devant les hommes, on le sera par lui devant le Père qui est aux cieux, Matth., x, 32 ; sa parole ne laisse pas d’autre alternative que d'être sauvé ou condamné. Marc, xvi, 16.

Mais bientôt la résistance des pharisiens l’oblige à prévoir, pour sa carrière, le dénouement tragique de celle des anciens justes, Matth., xxiii, 35, et naguère encore de Jean, ibid., xvii, 12. A partir de la confession de Césarée, ibid., xvi, 21, il « commence » à faire envisager sa mort aux disciples étonnés comme une partie intégrante de sa mission, en vertu d’un vouloir divin qui lui en fait un devoir exprimé par la formule impérative 8eï. Tous les synoptiques sont d’accord pour lui prêter une triple série de prédictions où s’affirme cette idée : Matth., xvi, 21-22 ; xvii, 22-23 ; xx, 17-19 et parallèles.

Rien qu'à cette insistance on pourrait deviner que sa mort a un rôle essentiel à jouer dans l'économie de l'œuvre messianique. Jésus s’en explique formellement quand il déclare, en réponse à l’ambition des fils de Zébédée, être venu « pour donner son âme en rançon pour beaucoup », Matth., xx, 28 ; Marc, x, 45 ; puis à la dernière cène, quand il présente son sang comme le sang de l’alliance répandu pour beaucoup, Marc, xiv, 24 et Luc, xxii, 20, cf. I Cor., xi, 25 — ces deux derniers récits le font également parler en termes semblables de son corps — en rémission de leurs péchés, précise Matth., xxvi, 28 : mots d’autant plus suggestifs qu’ils faisaient corps avec une institution.

Volontiers Jésus s’appliquait l’oracle d’Isaïe sur le serviteur de Jahvé. Luc, iv, 17-21 ; xxii, 37. En assumant la mission de victime expiatoire, on voit qu’il entendait la réaliser jusqu’au bout.

A la forme près, le quatrième évangile donne au message du Christ les mêmes traits essentiels. Jésus y résume son ministère de sauveur en se posant comme « la voie, la vérité et la vie ». xiv, 6. L’obligation de se rattacher à lui par la foi en sa parole, vi, 68, s’explicite en celle d’une union organique, analogue à celle qui existe entre la vigne et les sarments, xv, 1-6. Ce qui suppose une véritable renaissance, ni, 3-8, en vue de participer à la vie même de Dieu. vi. 40 et 57. Tout cela grâce au don que le Père nous fait de son Fils, iii, 10-17 ; vi, 32-39. Mais l’ouvre de celui-ci ne s’achève que dans le mystère de sa mort, qui est tout

i la fois pour nous un exemple d’héroïsme, x, 11-18 ;

xii, 24-25, et un sacrifice de sanctification, xvii, 19.

Cette convergence des relations évangéliques est la preuve d’une tradition ferme où se reflète l’enseignement personnel de Jésus.

2. Positions de la critique.

Si les déclarations du Christ relatives à son œuvre morale ou mystique ne souffrent guère de difficultés, il en est autrement de celles qui concernent le rôle de sa mort et le sens de sacrifice expiatoire que la foi chrétienne y a reconnu.

a) Forme ancienne. — Longtemps la critique s’est exercée dans l’ordre exclusivement rationnel, en vue d’arracher leur signification dogmatique aux textes en question. Après Socin, il se trouve encore des modernes pour prétendre que se donner comme rançon n'était pour Jésus qu’une manière de laisser entendre l’influence de son amour sur les cœurs. Quant à l’alliance nouvelle, d’après J. Holtzmann et d’autres, l’effusion de son sang, comme celui des victimes offertes pour inaugurer la première, Ex., xxiv, 8, n’aurait pas d’autre but que de la sceller. Voir A. Médebielle, art. Expiation, col. 130-133 et 137-145.

Pareille exégèse fait évidemment violence au sens obvie de ces passages. Bien que peu explicite, la « rançon » ne peut raisonnablement se comprendre que d’une valeur objective offerte en vue de notre délivrance, de manière à sauvegarder, sans sortir du sens littéral par un rapprochement factice avec Matth., xvi, 26, un minimum d’analogie avec l’image initiale d’un rachat de captifs.

Quant à la « nouvelle alliance », toute l'économie de la doctrine evangélique atteste que Jésus en est l’auteur et non pas seulement le héraut. En donnant à l’efîusion de son sang « la rémission des péchés » pour objet, saint Matthieu ne fait que dégager ce que les textes moins complets des autres relations contiennent implicitement.

b) Forme actuelle. — Aussi bien l’interprétation traditionnelle a-t-clle désormais partie gagnée. C’est, en effet, la densité dogmatique de ces paroles qui devient inacceptable à la critique d’aujourd’hui et paraît dénoncer l’influence de saint Paul.

Mais, outre que la dépendance de nos évangiles à l'égard du paulinisme est une hypothèse gratuite, on ne comprend guère, si elle était réelle, pourquoi elle se manifesterait d’une manière aussi rare et aussi peu caractéristique : l’imprécision même des paroles prêtées à Jésus est une garantie de fidélité. Bien au contraire, en ce qui concerne le souvenir de la dernière cène, l’Apôtre lui-même se réfère expressément à la tradition, I Cor., xi, 23. Voir C. van Crombrugghe, De soleriologiæ christianæ primis fontibus, Louvain, 1905, p. 24-67.

En réalité, cette objection tient beaucoup moins à des difficultés positives qu'à certains postulats sur la prétendue forme authentique de l'Évangile. Si le message du Christ eût été, comme on l’a voulu, complètement dominé par la fausse perspective d’une parousie prochaine, il est clair que la notion de mort expiatoire ne pourrait y avoir ni place ni sens. A. Loisy, L'Évangile et l'Église, 1903, p. 115-117. Mais cet eschatologisme exclusif n’est qu’une simplification arbitraire — et, de ce chef, pour une bonne part déjà périmée — des textes et des faits.

Plus fantaisiste encore est la prétention de ramener le Jésus de l’histoire à la taille d’un simple agitateur national, dont toute l’ambition eût été de secouer le joug romain. Lancé par H. Eister (1929-1930), sur la foi d’un « Josèphe slave » tardif et sans autorité, ce système ne mérite pas d'être pris en considération. Voir M.-.T. Lagrange, dans Revue biblique, 1930, p. 29-46 ; R, Draguet, dans Revue d’histoire ceci., t. xxvi, 1930, p. 833-879 ; M. Goguel, dans Revue d’hist. et de phil. Tel., I. x, 1930, p. 177-190. Pas davantage la preuve de la même conception demandée par J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i. p. 305-321, à la dissection interne du Nouveau Testament. Il n’est pas jusqu'à Ch. Guignebert, dans Revue historique, t. clxxi, 1933, p. 567

56 : >, qui ne traite cette méthode géométrique avec une juste sévérité.

Au nom d’une sélection inverse, les protestants libéraux ne veulent connaître de la prédication de Jésus que ses appels à la pénitence et cette révélation inconditionnée du Dieu Père dont la parabole de l’enfant prodigue est éminemment l’expression. De quoi ils s’autorisent pour exclure comme contradictoire l’éventualité d’une satisfaction préalable dont sa mort serait le moyen. Voir A. Sabatier, La doctrine de l’expiation et son évolution historique, p. 21-27. Mais ces deux aspects de l’Évangile ne s’opposent pas. On peut donc et il faut également retenir, pour les compléter l’une par l’autre, la promesse du pardon divin et la médiation du Fils qui en est la condition.

Parmi les « erreurs des modernistes » figure la suivante : Doctrina de morte piaculari Christi non est evangelica, sed lantum paulina. Décret Lamenlabili, n. 38, Denzinger-Bannwart, n. 2038. En condamnant cette position pour faire du Christ en personne la source de sa foi au mystère de la rédemption, loin d’avoir rien à redouter d’une saine critique, l’Église garde sur les systèmes adverses l’avantage de rester fidèle à l’Évangile dans toute son intégrité.

Témoignage des Apôtres.

« Scandale pour les

juifs et folie pour les païens », I Cor., i, 23, le sacrifice de la croix, dont le Maître leur avait découvert le secret, ne laisse pas d’être, pour les Apôtres, un des objets principaux de leur prédication.

1. Foi de la primitive Église.

Destiné d’abord à des juifs, le message des premiers disciples commence, tout naturellement, par se mouvoir dans les cadres messianiques, mais élargis sous l’action de l’esprit chrétien. Si donc Jésus est annoncé comme le Messie, Act., iii, 13, il est en même temps donné comme Sauveur, iv, 1 1, et le bienfait primordial qu’il garantit aux siens est la rémission des péchés, v, 31 ; cf. ii, 38 ; iii, 19 et 26 ; x, 43 (dans la bouche de saint Pierre) ; xiii, 38-39 (sur les lèvres de saint Paul).

Cette grâce de salut est mise en étroite relation avec la mort du Christ. Si les Apôtres avaient d’abord partagé sur ce point les préjugés de leurs contemporains, cf. Matth., xvi, 22, et s’il avait fallu que Jésus lui-même, après sa résurrection, « leur ouvrît l’esprit pour comprendre les Écritures », Luc, xxiv, 45, cf. ibid., 25-28, ils avaient fini par élever leur intelligence au niveau de cette révélation. Aussi les voit-on associer le drame du Calvaire à l’œuvre messianique du Maître comme répondant à « un dessein arrêté de Dieu ». Act., ii, 23 ; iv, 28.

Au nombre des prophéties dans lesquelles s’exprime ce plan divin, Act., iii, 18 ; xiii, 27 et xxvi, 22-23, le c. lui d’Isaïe tenait un rang spécial, viii, 28-36. En même temps que le fait providentiel de la passion, comment aurait-il pu ne pas en faire apparaître également le sens rédempteur ?

Sous ces diverses influences, la catéchèse primitive dont saint Paul résume la teneur, I Cor., xv, 3, portait « que le Christ est mort pour nos péchés selon les Écritures ». Témoignage que les critiques les moins confessionnels s’accordent à tenir pour décisif. Voir J. Holtzmann, Lchrbuch der N. T. Théologie, Fribourg-en-Br. , 1897, t. i, p. 366-367 ; Ad. Harnack, Das Wesen des Christentums, Leipzig, 1900, p. 97.

2. Doctrine de saint Paul.

Gardien de cette foi, qu’il transmettait comme il l’avait reçue, l’Apôtre des gentils allait, en outre, la développer sous ses diverses faces, jusqu’à l’encadrer dans une large et riche théologie. Voir Éd. Tobac, Le problème de la justification dans saint Paul, Louvain, 1908, p. 131-225 ; F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, 10e éd., Paris, 1925, p. 191-277 ; R. Bandas, The masler-idea of saint Paul’s Epislles or the Rédemption, Bruges, 1925. Doctrine

complexe, au demeurant, qui pose, dans le détail, force problèmes d’exégèse ou de spéculation, et qu’on ne peut exposer ici que per summa capita.

A la base de cette synthèse doctrinale, il va de soi qu’on suppose l’authenticité des lettres communément reconnues à saint Paul. Le morcellement dont A. Loisy, La naissance du christianisme, Paris, 1933 et Remarques sur la littérature épistolaire du Nouveau Testament, Paris, 1935, emprunte le programme à « H. Delafosse » (J. Turmel), Les écrits de saint Paul, Paris, 1926-1928, n’est qu’une de ces créations subjectives qui ont toutes les chances d’appartenir à la catégorie des systèmes mort-nés.

a) La mort du Christ dans l’économie du salut. — Dès la première de ses épîtres, où la perspective du jugement tient encore tant de place, l’Apôtre évoque la parousie du Fils de Dieu, en rappelant qu’il « nous a préservés de la colère à venir ». I Thess., i, 10. Un peu plus tard, il parle des chrétiens comme rachetés au prix de son sang, I Cor., vi, 20 ; vii, 22-23. Priser vation et rachat qui s’entendent, il va de soi, dans l’ordre spirituel ; « car Dieu dans le Christ se réconciliait les hommes, ne leur imputant plus leurs péchés ». II Cor., v, 19.

Ces traits épars vont prendre, au début de l’épître aux Romains, les proportions d’une synthèse grandiose et destinée a rester classique. Aux deux régimes de l’ancienne économie religieuse, loi naturelle et loi mosaïque, l’une aussi bien que l’autre impuissantes à nous justifier, s’oppose le régime nouveau du salut gratuit qui nous vient par le moyen de la rédemption dans le Christ Jésus », Rom., iii, 23-24, « lequel fut livré pour nos fautes et ressuscita pour notre justification ». Ibid., iv, 25.

< Justifiés dans son sang, à plus forte raison serons-nous sauvés de la colère par lui. » Ibid., v, 9. La mort du Christ devient un principe subjectif de réconfort pour le croyant sur qui pèse l’angoisse de son péché, mais parce qu’elle est, au préalable, le moyen objectif choisi par l’amour de Dieu pour nous en obtenir la rémission.

Tout cet exposé du plan divin aboutit au parallèle des deux Adam. Rom., v, 12-21. Du premier nous n’héritons pas seulement la mort, mais un véritable péché qui entraîne une condamnation. Voir Péché originel, t. xii, col. 306-311. Au second nous sommes redevables de la justice, de la grâce et de la vie. C’est même le retentissement salutaire de l’œuvre de celui-ci qui permet à l’Apôtre de comprendre l’influence néfaste de celui-là. Leur action est de sens inverse, mais de même extension et de même efficacité. Cf. I Cor., xv, 21-22 et 45-49.

Sous une forme plus dense, les épîtres de la captivité dessinent une semblable économie du salut, qui se développe suivant la même trilogie : état préalable de péché comme terminus a quo ; réconciliation avec Dieu, qui comporte l’adranchissement de nos âmes et leur affiliation au royaume céleste, comme terminus ad quem ; mort sanglante du Christ comme facteur immédiat de cette rédemption. Eph., i, 5-10 et ii, 1-18 ; Col. i, 12-22 ; I Tim., ii, 5-6. Restauration spirituelle qui, dans la perspective paulinienne, ne s’entend pas seulement des individus, Gal., ii, 20 et I Tim., i, 15, mais encore et surtout, Act. xx, 28 ; Eph., v, 23-27 ; Tit., ii, 14, de l’Église comme corps.

b) Efficience de la mort du Christ. — Outre la claire attestation du rôle central dévolu à la mort du Christ dans l’économie du surnaturel, on peut tout au moins surprendre chez l’Apôtre quelques suggestions théblogiques sur le mode spécial de son action.

Comme afin de mieux étreindre un mystère qui le déborde, saint Paul, quand il s’agit de l’énoncer, multiplie sans aucun souci d’unification les analogies de 1931 RÉDEMPTION. PROBLÈME DE LA TRADITION PATRISTIQUE

1932

l’ordre humain. Tour à tour, la mort du Christ est donnée comme une rançon, I Tim., ii, 6, un sacrifice, I Cor., v, 7 et Eph., v, 2, spécialement un sacrifice propitiatoire, Rom., iii, 25, mais aussi comme un acte de médiation réconciliatrice, Rom., v, 9-10 ; Eph., ii, 1 1-18 ; I Tim., ii, 5, dont la solidarité qui nous unit à notre chef mystique, Eph., IV, 15 et Col., i, 18, étend jusqu'à nous la vertu. Rom., v, 15 ; I Cor., xv, 21-22.

Pour expliquer la raison interne qui donne au drame du Calvaire sa valeur devant Dieu, l’Apôtre ouvre à l’esprit deux voies différentes, mais complémentaires. Tantôt c’est la souffrance imméritée du Juste qui retient son attention. Rom., iv, 25 et viii, 32. Rien fine, même lorsqu’il le montre devenu « péché », Il Cor., v, 21, ou « malédiction pour nous », Gal., iii, 13, contrairement à l’exégèse excessive de J. Holtzmann, reprise par A. Médebielle, art. Expiation, col. 180-181, il ne soumette jamais le Christ à la colère divine, il n’en invite pas moins à voir dans sa mort l’expiation de la peine due à nos péchés. Tantôt il insiste davantage, et avec non moins d'énergie, sur l’aspect volontaire, Phil., ii, 0-8, voire même spontané, Gal., i, 4 et ii, 20 ; Eph., v, 25 ; I Tim., ii, (i, de cette mort, en soulignant qu’elle doit à ce caractère d'être « un sacrifice d’agréable odeur » devant Dieu, Eph., v, 2, et de constituer un acte d’obéissance propre à compenser la révolte d’Adam. Rom., v, 19.

Qu’on regarde à la puissance de l’affirmation dogmatique ou à la richesse de l’analyse théologique, saint Paul léguait à l’avenir un capital qui ne serait pas perdu. Mais l’histoire doit maintenir qu'à cet égard, loin d'être un créateur, comme on l’a voulu, il ne faisait que développer la foi de tous.

3. Derniers écrits du Nouveau Testament.

Sauf saint Jacques et saint Jude, qui ne quittent guère le terrain pratique, les derniers écrivains du Nouveau Testament rendent à la foi de l'Église naissante, chacun à sa façon, le même témoignage fondamental.

a) Toute paulinienne de fond sinon de forme, l'épitrc aux Hébreux a pour but d'établir la caducité de l’Ancien Testament sur le plan particulier du sacrifice.

En regard des rites lévitiques, incapables, par leur caractère trop matériel, soit de purifier les âmes, ix, 9, 13 et x, 1-1, soit de plaire à Dieu, x, 5-8, l’auteur place l'œuvre du Christ, qui a offert une fois pour toutes le sacrifice de son propre sang, parfaitement et définitivement efficace pour la rémission de nos péchés, ix, 24-28 et x, 9-14. Valeur due tant à la personne du prêtre, vii, 20-28, qu’aux sentiments intimes dont procède son oblation, ii, 9-10, 14-18 ; v, 7-9 ; x, 5-9. La mystique et la théologie postérieures du sacrifice rédempteur, l’une et l’autre extrêmement abondantes, se dérouleront dans le cadre ainsi tracé. Voir A. Médebielle, art. Expiation, col. 190-202.

b) Chez saint Pierre, le rituel de l’ablution, I Petr., i, 2, puis le sacrifice de l’agneau pascal, ibid., 18-19, cf. II Petr., ii, 1, servent à décrire l’efficacité rédemptrice de la mort du Christ. Au passage, l’Apôtre cite et commente également l’oracle d’Isaïe sur la souffrance expiatoire du serviteur innocent. I l’etr.. ii, 21-25. Un peu plus loin, ibid., iii, 18, son langage rappelle celui de l'épître aux Hébreux, quand il parle du Christ « mort une seule fois pour nos péchés, lui juste pour nous pécheurs, en vue de nous rapprocher de Dieu ». Cf. A. Médebielle. lor. riL, col. 2 12-253.

c) Dans les écrits johnnniqucs, avec l'œuvre générale de lumière et de vie qui tient à la personne du

Verbe Incarné, s’affirme aussi le rôle de la croix.

Au cours (u quatrième Évangile, la parole mystérieuse de Jean-Baptiste sur « l’agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde », Joa., i, 29, 30, et la prédiction

involontaire de Caïphe sur la providentielle nécessité de sa mort, xi, 50-53 et xviii, 14, vont de pair avec les déclarations personnelles de Jésus, voir col. 1927. Selon l’Apocalypse, les élus sont rachetés, i, 5 ; v, 9 ; xiv, 34, et purifiés, vii, 1 1, cf. xxii, 14, par l’immolation de l’agneau. Pour détruire le règne du démon et du péché, ce qui était le but principal de l’avènement du Christ, I Joa., iii, 5 et 8, la première des épîtres johannines fait aussi intervenir la vertu de son sang, i, 7. Où l’Apôtre, avec saint Paul, voit une preuve de l’amour de Dieu, qui envoya son Fils « comme victime de propitiation pour nos péchés ». tv, 10 ; cf. ii, 1-2. Voir A. Médebielle, toc. cit., col. 202-242.

Cette œuvre de rachat spirituel et de réconciliation avec Dieu, que l’Ancien Testament attendait du Messie, dont le Christ s’est proclamé l’agent, l'Église apostolique tout entière a eu la conviction d’en jouir, et ces divers témoins de la révélation divine sont d’accord pour la rapporter au sacrifice du Sauveur. Aux formules techniques près, tout le dogme chrétien de la rédemption est là.


III. Tradition patbistique : « PiiiiPÉruiTii de la foi ». —

Mise en possession d’une doctrine aussi explicite, il est difficile d’imaginer comment l'Église aurait pu ne pas s’y tenir, à plus forte raison de concevoir qu’elle en ait dévié. De fait, envisagé sans parti pris, le rôle de la tradition ecclésiastique à cet égard apparaît avant tout comme celui d’une fidèle et active conservation.

Néanmoins, d’après les historiens adverses, entre la période patristique et le Moyen Age, où le dogme de la rédemption prit sa forme actuelle, il y aurait la plus flagrante discontinuité, avec la circonstance aggravante des pires déformations au regard de l'Écriture et du sens moral. La sotériologie chrétienne aurait d’abord passé par une phase archaïque, « celle des Pères de l'Église, … dominée par la notion mythologique d’une rançon payée par Dieu à Satan ». A. Sabatier, La doctrine de l’expiation et son évolution historique, p. 90. Thèse classique chez les protestants depuis Chr. Raur (Loskaufsou Redemplionstheorié), reproduite à ce titre par d’innombrables vulgarisateurs, souvent d’ailleurs embellie d’un prétendu marché (Tauschtheorie), qui se complique lui-même d’une clause frauduleuse par où Dieu jouerait son partenaire (Listlheorie), en attendant que J. Tunnel, sous le pseudonyme d' « Hippolyte Gallcrand » puis sous son propre nom, entreprît de l'ériger à la hauteur de la science. A quoi s’ajouterait, d’après A. Ritschl et Ad. Harnack, une divergence entre l'Église latine et l'Église grecque, celle-ci faisant dépendre uniquement le salut de l’incarnation. Une indifférence très répandue sur la portée de la passion du Christ achèverait le tableau.

En réalité, il ne s’agit là que de synthèses polémiques ou cavalièrement simplifiées, qu’on élève à plaisir au mépris des faits les plus certains, et dont la critique objective a déjà fait bonne justice. Il nous suffira de présenter ici les conclusions acquises, avec un minimum de documentation à l’appui, en renvoyant, pour une justification plus étendue, aux monographies déjà nombreuses, voir à la bibliographie, col. 199°), dont cette doctrine fut l’objet surle terrain positif.

Pour ne rien dire de l’insuffisance parfois dérisoire du dossier qui les soutient, un vice radical de méthode est commun aux plus monumentales comme aux plus sommaires des systématisations pseudo-historiques au nom desquelles il est entendu que la tradition catholique devrait être déboulée sans appel de ses prétentions à une perpétuelle stabilité in codent sensu eademque sententia, finîtes ont le tort de ne s’attacher qu'à des phénomènes de surface, et qui n’intéressent que la spéculation théologique ou moins encore, en

négligeant les manifestations plus banales, mais d’autant plus représentatives, où s’accuse la permanence du donné chrétien. Quand il s’agit d’un corps organisé, il est pourtant clair que ces dernières sont celles qui comptent le plus. Or tout, de l’extérieur comme de l’intérieur, contribue à montrer que, dans le cas présent, l'Église n’a pas défailli.

Données externes.

En fait, de ces événements

qui ont agité l’histoire de certains dogmes dans l’antiquité, celui de la rédemption n’en connut jamais aucun. Ses vicissitudes sont donc tout internes, sans autres péripéties que les modalités de sa présentation.

1. La prétendue crise marcionile.

Au dire de J. Turmel, Histoire des dogmes, t. i, p. 329-332, la tradition ecclésiastique aurait passé, vers le milieu du iie siècle, par un tournant décisif.

Jusque-là régnait la conception primitive qui faisait du Christ un rédempteur politique, son retour glorieux devant enfin réaliser cet affranchissement de la puissance romaine auquel il avait sacrifié sa vie. A quoi Marcion aurait substitué l’idée mythique d’une lutte contre les puissances invisibles, dont le Sauveur triomphe en succombant d’abord sous les coups du dieu mauvais. Il aurait interpolé dans ce sens les anciens textes chrétiens, qui subsistaient de Paul, de Jean, d’Ignace d’Antioche : ce qui aurait contraint l'Église à remanier à son tour ces écrits, de manière à leur donner la forme orthodoxe sous laquelle ils se lisent maintenant. La théorie du rachat au démon, censée dominante chez les Pères à partir de cette époque, attesterait l’intluencc durable de l’hérétique asiate et en indiquerait la direction.

Pas plus que l’inversion de l'Évangile qui en est la base, voir col. 1928, ce bouleversement des origines chrétiennes n’a jusqu’ici reçu l’adhésion d’aucun historien. Tout s’oppose à ce qu’il puisse être jamais pris au sérieux.

En effet, tout autant que celui qui l’aurait censément précédé, le nouveau concept de la rédemption qui forme la clef de voûte du système n’est guère qu’une conjecture en l’air. A peine trouve-t-on la trace de ce mythe chez des disciples tardifs, alors que pas un de ses adversaires contemporains n’en laisse deviner l’existence chez Marcion ou ne lui reproche d’avoir innové sur ce point. Toutes les apparences, dès lors, sont plutôt pour qu’avec plus ou moins d’illogisme il soit ici resté dans la ligne de l'Église : de même que son docétisme ne l’empêchait pas de retenir dans son Apostolicon les textes pauliniens relatifs au sacrifice du Christ, son dualisme a fort bien pu ne pas donner lieu aux déductions que la logique abstraite semblerait appeler.

Quant à la part faite aux « droits » du démon dans la théologie patristique, elle a un tout autre caractère, voir col. 1939, et le synchronisme de leurs manifestations tend à établir qu’elle a influencé la sotériologie du marcionisme postérieur au lieu de s’en inspirer. Voir J. Rivière, Un exposé marcionite de la rédemption, dans Bévue des sciences religieuses, t. i, 1921, p. 185207 et 297-323. Cf. ibid., t. v, 1925, p. 634-642.

Au demeurant, quoi qu’il en soit des positions prises par Marcion lui-même, voir t. ix, col. 2022, on ne s’explique pas comment il aurait pu dominer à ce point l'Église qui l’a si formellement combattu. La cascade d’interpolations dont résulterait la littérature chrétienne primitive ne fait qu’ajouter à cette première invraisemblance, au nom d’une critique interne étrangère à toute méthode scientifique, voir Éd. Dujardin, Grandeur et décadence de la critique, Paris, 1931, p. 41-112 et 132-148, le paradoxe d’une franche impossibilité.

2. Cours normal de la pensée chrétienne.

Une fois

dissipé le mirage pseudo-critique de ce drame imagi naire, la doctrine de la rédemption n’apparaît plus qu’avec une destinée sans éclat, dont les phases et formes normales de la pensée patristique marquent à peine le cours.

Elle ne peut que tenir peu de place dans l'œuvre toute pastorale et d’ailleurs si restreinte des Pères apostoliques. De même chez les Apologistes, absorbés, à l’exception de saint Justin, par la défense du christianisme au dehors. N’en est-il pas de même pour les autres dogmes proprement chrétiens ? Certaines lacunes, dans le cas présent, n’ont pas plus de signification.

Avec la fin du 11e siècle et le début du m s’ouvre, au contraire, dans l'Église, l'ère des théologiens. Sans avoir spécialement retenu leur effort, il serait étonnant que la sotériologie n’eût pas recueilli quelque bénéfice de leurs réflexions. Elle survient de fait, par manière tout au moins de vues occasionnelles, chez Clément et Tertullien, beaucoup plus encore dans la défense de la tradition opposée à la Gnose par saint Irénée, où l’on a pu, avec à peine une certaine exagération de langage, très justement signaler « un Car Deus homo précoce », A. Réville, De la rédemption, p. 19, et dans l’abondante littérature exégétique d’Origène. Il n’est pas un aspect de la foi commune qui n’y soit touché.

Cette activité des intelligences croyantes ne fait que s’accroître aux deux siècles suivants. Aussi l'œuvre du Christ est-elle au moins eflleurée, au passage, non seulement par les exégètes, ceux-là surtout qui entreprennent, comme V Ambrosiaster et Pelage, le commentaire de saint Paul, ou les orateurs sacrés dont plusieurs ont composé des séries méthodiques de catéchèses, mais par les théologiens tels que saint liilaire, saint Cyrille d’Alexandrie ou saint Augustin, qui n’ont pas manqué d’en saisir le rapport avec les grandes controverses doctrinales du temps. Quelques synthèses dogmatiques, dont les principales sont le De incarnatione Verbi de saint Athanase, la Grande catéchèse de saint Grégoire de Nysse et VEnchiridion de saint Augustin, commencent à dégager le lien de la rédemption avec l'économie générale du surnaturel. Bien que moins personnels, en résumant la doctrine des maîtres, les écrivains postérieurs prennent encore la valeur de témoins.

A elle seule une histoire aussi monotone et aussi paisible n’est-elle pas une garantie de continuité? Toujours est-il que les jalons ne manquent pas à la critique pour vérifier, sous réserve des explorations plus approfondies que peuvent mériter les points délicats, la courbe suivie dans l’espèce par le courant de la tradition.

2° Données internes : Croyance de l'Église. — Par suite du pli qu’ils tiennent de leur formation religieuse ou de leur déformation confessionnelle, il est difficile, sinon même impossible, aux historiens façonnés par le protestantisme d’apercevoir ou d’apprécier autre chose, dans le passé chrétien, que la série des opinions individuelles, quand ce n’est pas des excentricités, auxquelles le sujet de la rédemption a pu donner lieu. Mais, par de la ces épiphénomènes, la véritable histoire peut et doit découvrir la foi profonde et simple dont l'Église vivait.

1. Indices contraires ? — Quelques textes ont donné l’impression à des critiques hâtifs, par exemple A. Sabatier, op. cit., p. 44, que l'Église n'était pas encore bien fixée sur le sens de la passion. Celui, par exemple, où, parmi les questions discutables, saint Irénée, Cont. hær., i, x, 3, P. G., t. vii, col. 556, indique celleci : « Pourquoi le Verbe s’est-il incarné et a-t-il souffert ? » De même lorsque saint Grégoire de Nazianze, Or., xxvii, 10, P. G., t. xxxvi, col. 25, range « les souffrances du Christ » au nombre des matières dans les1935 RÉDEMPTION. CHEZ LES PÈRES : PREMIERS DÉVELOPPEMENTS 1936

quelles « réussir n’est pas sans profit », mais échouer est sans péril ».

Remis dans leur contexte, ces passages ne visent que la part faite à la spéculation, une fois la régula fidei préalablement mise in luto. La preuve en est qu’un peu plus haut, I, x, 1, col. 549, le même Irénée donnait comme l’un des articles de la foi universelle le fait que « le Fils de Dieu s’est incarné pour noire salut : Chez Grégoire, on lit pareillement. Or.. i., 28, P. G., t. xxxvi, col. 061, que, pour être sauvés, « nous avions besoin de l’incarnation et de la mort d’un Dieu ».

D’autres ont allégué, d’une manière non moins malencontreuse, un mot de saint Augustin, Cont. Faust., xxvi, 7, P. L., -t. xlii, col. 483, déclarant renoncer à dire, pour l’abandonner à Dieu, cur omnia Ma in carne ex utero feminæ assumpta poli Christus] voluerit. Ce qui réserve seulement le problème spéculatif de savoir pourquoi l’incarnation a eu lieu « dans une chair i en tout semblable à la nôtre, tandis qu’ailleurs les credenda de Christo, pour l'évèquc d’Hippone, comprennent expressément, De flde et oper., ix, 14, P. L., t. xl, col. 206, qux perpessus et quare.

Il suffirait, au demeurant, de se rappeler que tous les Pères ont lu et plusieurs commenté le symbole. Saint Ambroise atteste à quel point la portée dogmatique de ses formules était alors réalisée, quand il déclare, lu Luc., vi, 101, P. L., t. xv (édition de 1866), col. 1782 : 7p.se est enim Christus qui nalus est ex Virgine, … ipse qui mortuus est pro peccatis nostris et resurrexit a mortuis. Unum si relraxeris, retraxisli salulem tuam.

2. Assertions courantes.

Rien de plus facile, au contraire, que de se rendre compte avec quelle force et quelle netteté l'Église tenait la mort du Christ comme le moyen objectif de nous obtenir devant Dieu la grâce de la rédemption. Non pas que d’autres lins secondaires ne viennent également s’y ajouter, alors comme aujourd’hui, sur lesquelles il serait inutile de s'étendre ; mais, plus ou moins développée, celle-là se retrouve partout comme une constante qui apparaît dès l’origine et ne se dément jamais. Voir Le dogme de la rédemption. Essai d’i’tude historique, p. 1(11-278.

a) Il en est ainsi déjà chez ceux qu’on peut nommer les primitifs. « C’est à cause de l’amour qu’il avait pour nous, écrit saint Clément de Rome, I Cor., xlix, 6, que Jésus-Christ a donné son sang pour nous, suivant la volonté de Dieu, et sa chair pour notre ; chair et son âme pour nos âmes. » Saint Ignace aime à le représenter comme souillant la mort « à cause de nous » (Si' rJ.àcA, Polgc, iii, 2 ; Snu/rn., i, 2 ; Trait., ii, 2, et « de nos péchés » (urcèp twv àj^apTiôiv 7)u.côv). Smyrn., vii, 1. Ailleurs, Rom., vi, 1, il s’inspire visiblement de saint Paul, Rom., iv, 25, tandis que saint Polycarpe, Pliil-, viii, 1 et ix, 2, unit au même texte celui de saint Pierre, I Pctr., ii, 22-24. Il n’est pas besoin d’autres sondages pour mesurer le niveau moyen de la foi chrétienne dès le premier jour. Avec les Pères apologistes, qui s’adressent au monde païen, le Christ est surtout présenté comme le maître des intelligences et le vainqueur du démon. Mais saint Juslin ne laisse pas de connaître le rôle salutaire, Apol., i, 32, 50 ; Dial., 71, 134, 135, et, soit d’après le rituel lévitique, Dial, 40-41, 111, soit d’après le chapitre un d’Isaïe, Dial., 13, 89, ( »."), la valeur expiatoire de sa passion. Clément d’Alexandrie, qui, dans ses traités philosophiques, ne semblerait admettre qu’une rédemption de caractère intellectuel ou mystique, Prolr., 10-11 ; Pœd., i, 8 et ni, 12, n’ignore pas non plus que le Christ s’olTrit en « sacrifice pour nous », Strom., v, ii, P. (>.. t. ix. col. 108, et que sa mort « expia celle que nous devions pour nos péchés », Quis dives sain., 23, tbtd., col. 628. Cꝟ. 37 et 12, col. (il 1 et 649.

b) Reaucoup plus riche est, naturellement, la pensée des théologiens immédiatement postérieurs.

A notre déchéance saint Irénée oppose notre « récapitulation » dans ci par le Christ, en soulignant, avec Clément de Rome, le mystère de substitution qui préside à notre rachat, Cont. tuer., V, i, 1, P. G., t. vii, col. 1121, et plus souvent encore, d’après saint Paul, l’obéissance réparatrice du nouvel Adam, ibid., III, xviil, 5-7 et Y, xvi. 3, col. 935-938 et 1168, qui « nous a rendu l’amitié de Dieu en apaisant pour nous le Père contre qui nous avions péché ». V, xvii, 1, col. 1169. Cf. Y, xiv. 3, col. 1 162-1163 ; Dem. apost. præd., 31-42. Voir Irénée (Saint), t. vii, col. 2469-2179.

Origène applique tour à tour au Sauveur, en les entourant de longs commentaires, et la page d’Isaïe sur le serviteur souffrant, In Johan., xxviii, 14, P. G., t. xiv, col. 720-721 ; cf. In Lev., i, 3, P. G., t.xii, col. 408, et le texte de saint Jean sur « l’agneau immolé devenu, d’après des lois ineffables, la purification du monde entier », In Johan., vi, 35, P. G., t. xiv, col. 292, et ceux de saint Paul sur notre réconciliation avec Dieu par le sang du Christ, In Rom., ni, " 8 ; iv, 12 et v, 1, P. (i.. t. xiv, col. 946-951 et 1002-1005. Voir Origène, t. xi, col. 1542-1543.

En Occident, Tertullien emprunte à saint Paul le parallèle des deux Adam, Adv. jud., 13, et revendique énergiquement, à rencontre des docètes, la réalité de la chair du Fils de Dieu, qui lui permit de s’offrir en sacrifice pour nos péchés, ibid. 14 ; cf. Adv. gnost. scorp., 7 et Adv. Marc, ni, 18, de nous racheter, De fuga, 12, et de nous réconcilier avec Dieu au prix de son sang, Adv. Marc, v, 17, de substituer sa mort à celle des pécheurs. De pud., 22. Toutes assertions qui foisonnent en termes plus ou moins équivalents chez saint Cyprien. Voir^ld Fort., 3 et 5 ; Ad Demetr., 26 ; De bono pat., 6 ; De lapsis, 17 ; De opère et eleem., 1-2 ; Epist., lxiii, 4, 13, 14 et 17.

Il n’est pas jusqu'à l’uniformité de ces témoignages qui ne traduise l’identité d’une même foi sous la variété convergente de ses expressions.

Premiers développements.

Sur ces données

élémentaires la méditation des intelligences ne manquait d’ailleurs pas de s’exercer. Effort encore tout occasionnel et qui n’aboutit qu'à des vues fugitives, mais auquel la doctrine de l'Église est déjà redevable de précieux enrichissements.

1. Justification dogmatique.

En plus des innombrables citations partielles qui font valoir l’un ou l’autre des passages où s’exprime la parole de Dieu, on trouve dès ce moment quelques véritables démonstrations.

Que Jésus-Christ ait été une victime pour le péché et qu’il se soit offert pour la purification des pécheurs, toutes les Écritures l’attestent », écrit Origène. Pour le prouver, l’auteur de réunir les principaux témoignages de saint Paul, avec une conclusion qui en dégage la portée. In Rom., vi, 12, P. G., t. xiv, col. 1095. Cf. S. (.vrille d’Alexandrie, Derecla fidead reginas, P. G., t. i.xxvi, col. 1289-1297.

Un dossier beaucoup plus considérable, où figurent, avec paraphrase à l’appui, tous les textes, soit de l’Ancien, soif du Nouveau Testament, qu’exploitent encore aujourd’hui nos manuels, est constitué par saint Augustin au cours de la controverse pélagienne. Y’oir De pecc. meritis et remiss., i, xxvii, 40-xxviii, 56, P. L.. t. xi. iv, col. 131-141. Enquête dont il totalise ainsi le résultat, 56, col. 141 : Universa Ecclesia tenet, quæ adversus omnes pro/anas novilales vigilare débet, omnem hominem separari a Dco nisi qui per medialorem Christian reconciliatur Deo. née separari qucmqucim nisi peccatis interctudenlibus posse, non ergo reconciliuri nisi peccalorum remissione… per imam viclimam verissimi sacerdotis. 1937 RÉDEMPTION. CHEZ LES PÈRES : ESSAIS DE THÉOLOGIE 1938

Plus encore que de montrer l'érudition scripturaire de leurs auteurs, ces sortes de justifications ont l’intérêt de faire saisir pour ainsi dire sur le vif la conscience ferme qu’ils avaient, en l’occurrence, de « garder un dépôt ».

2. Conclusions théologiques.

Il n’est pas rare, d’autre part, qu'à la simple assertion de la foi vint en même temps s’ajouter le prolongement de quelques déductions.

Forcément l'œuvre du Sauveur ne pouvait que gagner en précision au travail qui s’accomplissait alors autour de sa personne. D’autant que celle-là servait habituellement de subslralum pour fixer la notion correcte de celle-ci. Comment le Christ sauverait-il le genre humain s’il n’en faisait partie et à la fois ne le dépassait ? Argument classique contre le docétisme et l’apollinarisme d’une part, l’arianisme ou le nestorianisme de l’autre, aux termes duquel sa parfaite humanité et sa parfaite divinité s’imposaient comme conditions indispensables du salut.

Sur la doctrine même de la rédemption, un langage commençait à se constituer qui en décrivait le contenu. « C’est la mort du Christ qui est devenue en Occident le punctum saliens. Dès avant saint Augustin, elle est considérée un peu sous tous les aspects possibles : comme sacrifice, comme réconciliation, comme substitution pénale. Saint Ambroise lui découvre (?) un rapport avec le péché comme une dette. » Ad. 1 larnack, Dogmengeschichle, 4e édit., t. iii, p. 54. Or on a pu voir, col. 1935-6, que ces diverses catégories ne sont pas moins familières aux Pères grecs des iie et ine siècles. Elles restent, bien entendu, tout aussi courantes au ive, où, pour exprimer la substitution inhérente à la mort du Christ, sont usuels les termes àvu4°JX 0V > àvTtXuTpov, àvràXXaYU.7 ;, voir S. Athanase, De incarn. Verbi, 9, P. G., t. xxv, col. 111 ; S. Cyrille de Jérusalem, Cal., xiii, 2, P. G., t. xxxiii, col, 773 ; S. Grégoire de Nyssc, Cont. Eunom., v et xi, P. G., t. xlv, col. 693 et 860, tandis que la valeur du sacrifice de la croix est régulièrement spécifiée par les épithètes iXacr^ptoç, xaGapaioç ou autres semblables. Voir, par exemple, Eusèbe de Césarée, Dem. eu., i, 10, P. G., t. xxii, col. 88 ; S. Basile, In Ps. xlviii, 4, P. G., t. xxix, col. 441 ; S. Grégoire de Nazianze, Or., xxx, 20, P. G., t. xxxvi, col. 132.

Tout en restant une grâce, la médiation du Fils de Dieu ne laisse pas d’apparaître, à qui regarde la situation des pécheurs, avec un certain caractère de nécessité. « Qu’est-ce, en effet, lit-on déjà dans VÉpître à Diogncle, ix, 4, qui pouvait couvrir nos péchés sinon sa justice ? » Avec plus ou moins de rigueur, le même raisonnement est appliqué au mystère de sa mort. Voir S. Basile, In Ps. xlviii, 4, P. G., t. xxix, col. 440 ; S. Jean Chrysostome, In Hebr., hom., v, 1, P. G., t. lxiii, col. 47 ; S. Ambroise, In Ps. xlvii, 17, P. L., t. xiv (édition de 1866), col. 1208 ; In Luc., vi, 109, P. L., t. xv, col. 17*0 :  ! 's. -Ambroise, In I Cor., vii, 23, P. L., t. xvii, col. 233 ; Ps. -Jérôme, In II Cor., v, 15, P., L. t. xxx (édition de 1865), col. 819.

Mais, si cette intervention était jusqu'à un certain point nécessaire, il va de soi qu’elle fut largement suffisante. Cujus sanguinis pretium polerat abundare ad universa mundi lolius redimenda peccala, note saint Ambroise, In Ps. xlviii, 14, P. L., t. xiv, col. 1217. Ainsi encore, en Orient, saint Cyrille de Jérusalem, Cal., xiii, 33, P. G., t. xxxiii, col. 813. Équivalence traduite, à l’occasion, par les termes juridiques àv-rîppo7roç, spécial à saint Jean Chrysostome, In Hebr., hom, xvii, 2, P. G., t. lxiii, col. 129, ou àvrà^oç qui revient à satiété dans la polémique de saint Cyrille d’Alexandrie contre Nestorius. Voir en particulier In Johan., XI (xviii, 7-9), P. G., t. lxxiv, col. 585 ; De recta fide ad reginas, 7, P. G., t. lxxvi, col. 1208 ;

Epist., xxxi et l, P. G., t. lxxvii, col. 152 et 264. Cf. Cyrille d’Alexandrie (Sain 1), t. iii, col. 2515 ; Cyiulle de Jérusalem (Saint), ibid., col. 2550-2551.

Autant de points sur lesquels, en traits épars, la théologie patristique préludait aux questions que l'École devait un jour se poser et aux réponses qu’elles devaient y recevoir.


IV. Tradition patristique : Essais de construction doctrinale. —

Bien que la sotériologie des Pères soit aussi peu systématisée que possible, quelques vues générales plus ou moins constantes et consistantes ne laissent pas de s’y faire jour, qui tendent à dessiner — et d’une certaine façon raisonner — l'économie chrétienne de la rédemption. Théories dont la critique de gauche exploite à l’envi l’indigence ou la diversité. Chacune doit être examinée à part et, sur le plan spéculatif où elle se meut, jugée tant d’après ses qualités propres qu’au regard du mystère qu’il s’agissait d'élucider.

Thème de la divinisation.

Liée à tout l’ensemble de nos destinées surnaturelles qu’elle a pour but

de rétablir, l'œuvre du Christ a, de ce chef, souvent pris place dans cette mystique platonisante de la divinisation dont saint Pierre s’inspirait déjà, il Petr., i,

4, pour les résumer. D’où ce que les historiens protestants, à la suite de Ritschl, appellent volontiers la « théorie physique » de la rédemption, qui caractérise surtout la pensée des Pères grecs.

1. Esquisse.

Partant de cette idée que l’essence du bonheur primitif de l’homme consistait en une participation au privilège divin de l’immortalité, ce qui amène logiquement à concentrer le malheur de notre déchéance dans le fait global de la mort, on arrive à définir l'élément principal du salut par l’oïxovouia qui nous délivre de celle-ci pour nous restituer cellelà. Le rôle prépondérant appartient, dès lors, au mystère de L’incarnation, grâce auquel le Logos divinise notre nature par son union hypostatique avec elle et détruit notre mort en nous associant à sa propre résurrection.

Tel est le schème spécialement développé par saint Athanase, voir t. i, col. 2169-2170, dans son Dr incarnatione Verbi, 3-8 et 41, P. G., I. xxv, col. 101-109 et 173-176, ainsi que par saint Grégoire de Nysse dans sa Grande catéchèse, 5-16, P. G., t. xlv, col. 211-.">2. Il a ses racines lointaines dans la doctrine du quatrième évangile, dont saint Iréuée tirait déjà parti, Cont. hær., V, i, 1, P. G., t. vu. col. 1121 ; cf. III, xviii, 1-3, col. 932-931, et se retrouve ensuite, sous une forme plus ou moins appuyée, tant chez les Grecs, comme Cyrille de Jérusalem, Cal., xii, 1-8, P. G., t. xxxiii, col. 728-735, ou Grégoire de Nazianze, Or., xxx, t ici 21. P. G., t. xxxvi, col. 1(19 et 132, que, SUrtOUl a l’occasion de la controverse nestorienne, chez les Latins. Voir

5. Léon le Grand, Serm., xxii, 5 et xxv, " », P. L., (. liv, col. 198 et 211 ; Epist., xxviii, 2, ibid., col. 759. Thème qui tout à la fois pouvait orchestrer la théologie de la divinisation humaine et servait à résoudre le problème rationnel du pourquoi de l’incarnation.

2. Portée.

Il y a là une ébauche déjà très poussée de notre dogmatique de l'étal surnaturel, mais qui ne saurait constituer une brèche dans la tradition sotériologique de l’Eglise que dans la mesure où elle présenterait un cara/tère exclusif. Or la mort du Christ y est expressément incorporée par Athanase, ainsi qu’on le verra bientôt ci-après, col. 1941, comme compensation de celle que Dieu se devait de nous infliger, et Crégoire de Nysse, dans le reste de ses ouvrages, ne manque pas de lui appliquer les catégories pauliniennes du sacrifice expiatoire. Voir Cont. Eunom., vi, xi, xii, P. G., t. xlv, col. 717, 729, 860 et 888-889. A plus forte raison en est-il de même chez les auteurs qui ne touchent à cet aspect du salut qu’en passant.

Pourquoi voudrait-on opposer ce qui ne s’opposait pas ? En elle-même, la mystique de l’incarnation n’a rien qui soit de nature à compromettre le rôle proprement rédempteur de la croix. Tout au plus a-t-elle pu, chez les anciens comme encore chez quelques théologiens modernes, en former la toile de fond.

2° Thème des « droits » du démon. — Dans les perspectives de la révélation chrétienne, où la lutte entre le bien et le mal domine tout le drame de la vie humaine, il est normal que le salut se concrétise dans le fait de passer de potestate Salanæ ad Deum. Act., xxvi, 18. Un certain rapport avec le démon est, de ce chef, inhérent à l'œuvre du Rédempteur. Cf. Col., i, 13 ; Joa., xii, 31 ; xiv, 30 ; I Joa., iii, 8. Sur ce thème, où l’on devine, au demeurant, combien l’imagination pouvait aisément trouver son compte, une sotériologie plus ou moins oratoire allait se constituer, dans la bizarrerie de laquelle, à condition d’en brouiller et forcer à plaisir les contours, la critique adverse a trouvé son terrain d'élection. Il suffît, pour tout mettre au point, de distinguer, à la lumière des textes, les époques et les concepts. Voir Le dogme de la rédemption. Essai d'étude historique, p. 373-445.

1. Idées : Hachai ? — Rien n’est plus courant que d’imputer aux Pères de l’ancienne Église, en bloc et sans débat, la théorie mythique de la rançon. Mais, à l'épreuve, ce postulat se révèle à peu près dénué de tout fondement.

Il est clair qu’on doit tout d’abord exclure du dossier les textes où le terme « racheter » et autres de même famille ne dépassent pas la ligne de l’analogie scripturaire pour dire le fait de notre délivrance. Quant à l’idée grossière d’un rachat littéral à Satan dont le sang du Christ serait le prix, c’est à peine si l’on peut en surprendre la trace verbale dans Origène, In Malth., xvi, 8, P. G., t. xiii, col. 1307-1400 ; Grégoire de Nysse, Or. cat. magna, 22-24, P. G., t. xlv, col. 60-65 ; Basile, In Ps. xlvui, 3, P. G., t. xxix, col. 437 ; Ambroise, Epis !., lxxii, 8-9, P. L., t. xvi (édition de 1866), col. 1299-1300 ; Jérôme, In Eph., I (i, 7), P. L., t. xxvi (édition de 1866), col. 480-481. Or ce dernier n’est qu’un simple rapporteur. Quant aux autres, sauf peut-être saint Ambroise, l’analyse du contexte permet de ramener ces passages à de simples métaphores pour signifier les conditions onéreuses dans lesquelles le Christ voulut nous sauver. Preuves dans Le dogme de la rédemption. Éludes critiques et documents, p. 146-240. Ici même, voir Origène, t. xi, col. 1543.

En tout cas, cette conception telle quelle est clairement écartée par Adamantius, De recta in Deum fide, I, P. G., t. xi, col. 1756-1757 ; Grégoire de Nazianze, Or., xlv, 22, P. G., t. xxxvi, col. 653 ; Jean Damascène, De orlh. fide, iii, 27, P. G., t. xciv, col. 1096. Alors même qu’elle ne se réduirait pas à une question de mots, la théorie de la rançon n’aurait donc, par rapport à l’ensemble de la tradition des premiers siècles, que la portée d’un phénomène accidentel. Le prétendu marché qu’on y ajoute parfois n’est qu’une imputation gratuite dont aucun texte ne garantit le bien fondé. Voir Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, 3e éd., appendice x, p. 373-391. Il n’y a donc pas lieu de retenir à la charge de l’ancienne Église le dualisme dont si volontiers la critique adverse lui fait grief.

2. Idées : A bus de pouvoir et revanche. — Ce qui caractérise à cet égard la sotériologic patrlstique, c’est la théorie, très déterminée mais toute différente, de l’abus de pouvoir.

Elle n’est pas entièrement Inconnue des Grecs. Voir S. Jean Chr soslomo, / ; / Rom., hoin. XIII, 5, P. G., t.LX, col. 511 : Théodore ! (sous le nom de saint Cyrille), De Inc. Dom.. xi, P. G., t. i.xxv, col. 1433-1 136. Mais

elle est surtout propre au monde latin, où elle est esquissée par saint Hilaire, In Ps. lxviii, 8, P. L., t. ix, col. 475, et le Pseudo-Ambroise, In Col., ii, 15, P. L., t. xvii (édition de 1866), col. 455, puis organisée par saint Augustin, De lib. arb., III, x, 29-31, P. L., t. xxxii, col. 12X5-1287, et De Trin., XIII, xii, 16-19, P.L., t. xi.n, col. 1026-1 029. Voir Augustin, (Saint) 1. 1, col. 2371-2372 ; Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, p. 101-154 ; Le dogme de la rédemption après saint Augustin, p. 32-44 et 91-103.

Ici le démon apparaît investi d’un certain « droit » sur les pécheurs, mais qui ne signifie pas autre chose que le pouvoir de les châtier qu’il tient de Dieu. En faisant mourir le Christ innocent, il s’est donc rendu coupable d’un attentat, qui lui valut d'être, à son tour, justement puni par la perte de ses captifs. La manifestation de cette justice rétributive ne relève d’ailleurs jamais que de la simple convenance ; mais, à ce titre, elle ne paraît pas indigne de Dieu et sert à motiver l’avènement de son Fils. Voir Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, p. 77-100 ; Le dogme de la rédemption après saint Augustin, p. 22-32 et 82-90.

D’autres fois, cette préoccupation de la « justice » aboutit au système de la revanche. Vainqueur de l’homme, notre ennemi, grâce à l’incarnation, fut vaincu par un membre de la famille humaine et n’aurait pu l'être convenablement sans cela. Théorie dont saint Irénée posait déjà le principe, Cont. hær., III, xvin, 7, P. G., t. vii, col. 937, et qui, depuis lors, accompagne souvent la précédente. Ainsi dans Augustin, Enchir., 108, P. L., t. XL, col. 283 ; De Trin., XIII, xvii, 22-xviii, 23, P. L., t. xlii, col. 1032-1033.

Sous leur forme archaïque, ces sortes de « Cur Deus homo populaires » ne tendent qu'à mettre en évidence la sagesse du plan suivi par Dieu.

3. Images. — Maintes fois, la rhétorique aidant, ces diverses conceptions reçoivent la surcharge d’un vêtement Imaginatif qu’il faut savoir en discerner.

Tantôt la rédemption apparaît comme une œuvre de puissance, et l’on assiste alors à un combat singulier, dont les épisodes s’enchaînent depuis la scène de la tentation jusqu’au drame de la croix pour amener l'écrasement final du démon lors de la descente du Christ aux enfers. Voir S. Ambroise, In Ps. XL, 13, P. L., t. xiv (édition de 1866), col. 1124-1125 ; S. Jean Chrysostome, In Col., nom. vi, 3, P. G., t. lxii, col. 340341 ; Théodoret (sous le nom de saint Cyrille), De inc. Dom., 13-15, P. G., t. lxxv, col. 1437-1444 ; S. Césaire d’Arles, Hom. I de Pasch., P. L., t. lxvii, col. 1043.

Plus fréquemment l’attention se porte sur l’habileté qui préside à une économie où la nature humaine dissimule au démon la divinité du Sauveur pour mieux l’exciter à la lutte qui doit lui être fatale, et l’imagination d'évoquer alors les variétés les plus réalistes du piège rédempteur : hameçon, avec Grégoire de Nysse, Or. cal. magna, 24, P. G., t. xlv, col 65, ou Grégoire le Grand, qui le double du lacet, Moral., XXXIII, vi-xx, 12-37, P. L., t. lxxvi, col. 677-698 ; souricière, avec Augustin, Serin., cxxx, 2 ; cxxxiv, 6 ; cclxiii, 1, P. L., t. xxxviii, col. 726, 745, 1210. Au même genre appartient le poison qui oblige notre vainqueur à vomir ses prisonniers une fois qu’il s’est jeté sur l’appât que lui tendait le Christ. Ainsi dans Cyrille de Jérusalem, Cal., xii, 15, P. G., t. xxxiii, col. 741 ; Proclus, Orat., vi, 1 et xiii, 3, P. G., t. lxv, col. 721 et 792.

On peut discuter le goût dont procèdent ces diverses représentations, mais à condition de reconnaître que, ni en droil ni en fait, elles n’ont de lien avec le « droit » que la théologie patristique de la rédemption accorde à Satan, Conçues pour dramatiser la défaile de celui-ci, en faisant ressortir d’une manière pittoresque la responsabilité qui lui revient dans la catastrophe où il va

succomber, elles n’ont rien de commun avec la loi de « justice » que Dieu voulut par ailleurs observer à son égard. Les polémistes qui accusent à l’envi d’immoralité la sotériologie de l’ancienne Église ne peuvent le faire qu’en amalgamant de leur cru, contre toute méthode et toute équité, des éléments disparates que ses représentants n’ont jamais unis.

Thème de la rémission des péchés.

A côté de ces

théories plus ou moins excentriques par rapport à l’essentiel, on oublie, d’ailleurs, trop de voir que la sotériologie patristique en offre d’aussi nettes, souvent chez les mêmes auteurs, où le mystère de la croix est expressément coordonné au principal de ses elTets réparateurs.

1. Expiation pénale.

Pour s’expliquer l’efficacité rédemptrice de la mort du Christ, il était obvie de faire valoir qu’elle acquitte, par voie de substitution, la peine due à nos péchés.

Aussi bien ce thème est-il, dans toute l’antiquité chrétienne, comme une sorte de lieu commun. Difficilement sans doute arriverait-on à trouver un seul Père qui ne l’ait plus ou moins largement traité, soit molu proprio, soit d’après le chapitre lui d’isaïe et les divers textes qui s’en inspirent dans le Nouveau Testament. Voir Lc dogme de la rédemption. Essai d'étude historique, p. 111 (épître à Diognète), 115 (Justin), 132133 (Clément d’Alexandrie), 135-138 (Origène), 168, 173, 175-176 et 183-184 (derniers Pères grecs du ive siècle), 216-217 (Tertullien), 219 (Cyprien), 230, 235-236, 243 et 255-257 (derniers Pères latins).

Quel que soit le prix de ces mentions fugitives, il est encore plus significatif de voir que cette idée fait déjà très souvent l’objet de développements continus. Ainsi dans saint Atbanase, De inc. Yerbi, 6-10, P. G., t. xxv, col. 105-113. au nom de la vérité divine, et dans Kusèbe de Césarée, Dem. ev., i, 10 et x, P. G., t. xxii, col. 84-89 et 716-725, autour du concept d'àvtvJiux ov - ^ °' r encore S.Cyrille d’Alexandrie, De ador. in spir. et ueril., iii, P. G., t. lxviii, col. 293-297.

2. Sacrifice réconcilialeur.

A d’autres c’est la philosophie religieuse éparse dans l'épître aux Hébreux qui inspire une théologie complète du sacrifice dont la croix du Sauveur occupe le sommet.

Dès le iiie siècle, on voit cette doctrine atteindre d’emblée sa plénitude avec Origène, In Num., xxiv, 1, P. G., t.xii, col. 757-758 : …Quoniam peccalum introiit in hune mundum, peccali autem nécessitas propitialionem requiril et propitialio non fit nisi per hostiam, necesse fuit provideri hostiam pro peccato… Scd… unus est agnus qui totius mundi poluit au/erre peccalum ; et ideo cessaverunt celerse hosliæ, quia talis hœc fuit hoslia ut una sola su/Jiccret pro totius mundi salute.

Un peu plus diluée, mais non moins facile à reconnaître pour peu qu’on se donne la peine d’en dégager la trame, elle se retrouve encore à la base de maintes synthèses théologiques chez les grands docteurs du siècle suivant. Ainsi dans Grégoire de Nazianze, Or., xlv, 12-30, P. G., t. xxxvi, col. 640-664 ; Augustin, Enchir., 33-50, P. L., t. xl, col. 248-256. Voir Augustin (Saint), t. i, col. 2368-2370.

3. Bilan de la sotériologie patristique.

Malgré l'état précaire et inachevé de ces constructions sotériologiques, il n’en faut pas davantage pour se rendre compte que la foi au mystère de la rédemption commençait, dès le temps des Pères, à s’organiser en une doctrine cohérente dont les grandes lignes sont encore celles de maintenant.

Plus superficiel, le thème de l’expiation n’a guère, en somme, progressé depuis : sous les espèces de la substitution pénale, il indiquait déjà, sans les formuler ex pro/esso, la gravité de nos fautes devant Dieu et le rôle du Christ en vue de leur pleine réparation. Au thème du sacrifice il manqua seulement de franchir

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

la phase oratoire pour poser à vif et résoudre à fond le problème religieux du péché. Du moins a-t-il fourni le canevas de la solution. Voir Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, p. 159-178 ; Le dogme de la rédemption après saint Augustin, p. 44-46 et 104-131.

En regard, toujours est-il que le schéma fondé sur les « droits » du démon n’a que la signification d’une « excroissance doctrinale ». A. Grétillat, Essai de théologie systématique, t. iv, p. 283 ; repris dans H. Rashdall, The idea oj alonement in Christian theology, p. 324. Il n’y a que des polémistes aveuglés par le parti pris, comme après bien d’autres J. Turmel, à vouloir la prendre pour le tronc.

Quant à la mystique de la divinisation, rien n’empêche qu’elle ait pu et puisse encore encadrer — d’aucuns diraient élargir — la doctrine relative à la mort propitiatoire du Christ. Tout au plus risquait-elle d’en amortir le relief. Et c’est ce qui finit par arriver à la tradition grecque, telle qu’elle est résumée par saint Jean Damascène, De orth. fide, iii, 25-27 et iv, 4, 11, 13, P. G., t. xerv, col. 1093-1096 et 1108, 1129, 1136-1137, au lieu qu’en s’attachant, avec saint Grégoire, Moral., XVII, xxx. 46, P. J… t. Lxxvi, 32-33, à la dogmatique traditionnelle du sacrifice, même sans beaucoup l’approfondir, l’Occident restait sur le chemin qui devait le mener au but.


V. Théologie médiévale. —

Il était réservé au Moyen Age de réaliser la synthèse doctrinale dont la tradition patristique avait préparé les matériaux. Le tournant du xi c siècle allait voir s’accomplir d’un coup ce progrès dans le Cur Deus horno de saint Anselme, et d’une manière, somme toute, assez heureuse pour que la crise ouverte par Abélard ne fît que le consolider. Voir L(. dogme de la rédemption. Essai d'étude liistorique, p. 279-315 et 446-482 ; Le dogme de la rédemption au début du Moyen Age. p. 63-260.

1° Œuvre de saint Anselme. - Historiens et théologiens tic tous les bords sont unanimes à reconnaître que le Car Deus homo, P. L., t. clviii, col. 361-131), fait époque. Il fui publié en 1098 et il n’y a pas à compter avec l’hypothèse, soutenue par E. Druwé, Libri sancti Anselmi « Cur Deus homo « prima forma inedila, Rome, 1933, d’une « première rédaction i entièrement différente du texte actuel. Voir.1. Rivière, Un premier jet du « Cur Deus homo » ?, dans Revue des sciences religieuses, t. xiv, 1931, p. 329-369. On lui doit d’avoir pour la première fois systématisé la théologie rédemptrice autour du concept de satisfaction.

1. Exposé.

Sous la forme d’un dialogue avec son

disciple Roson, Anselme y développe une thèse méthodique, en vue d'établir au nom d’une dialectique péremptoire, rationibus necessariis, et de caractère purement rationnel, remolo Christo quasi numquam aliquid fueril de illo (préface), la stricte nécessité de l’incarnation et de la passion. Voir Anselme (Saint), t. i, col. 1338-1339.

Cette démonstration se déroule en deux livres, dont le premier commence par écarter les conceptions courantes de l'économie rédemptrice, notamment celle qu’il était habituel d’emprunter à la « justice » envers le démon (i, 7). Une fois le terrain ainsi déblayé, l’auteur définit le péché comme une violation de l’honneur dû à Dieu et, en conséquence, la satisfaction comme un hommage propre à réparer cette offense (i, 11). D’où il déduit qu’une satisfaction pour le péché s’imposait, au regard tant de Dieu que de l’homme (i, 1219), mais que celui-ci n'était pas en mesure de la fournir secundum mensuram peccali (i, 20-24). Ce qui ne laisse pas à l’humanité coupable d’autre alternative pour être sauvée que l’avènement du Fils de Dieu (i, 25).

Au second livre, Anselme remonte plus haut, pour montrer que Dieu ne pouvait pas renoncer à son plan

T. — XIII — 62.

sur le genre humain (n, 1-5) et que, dès lors, l’incarnation était nécessaire (n, 6-10). N'étant pas soumis à la mort, en l’acceptant pour ne pas trahir sa mission le Christ pourrait l’offrir à Dieu en compensation de nos péchés (n, 11-13), qu’elle réparerait in inftnitum (n, 14-18). Ce faisant, il acquérait un mérite dont il a demandé et obtenu que le bénéfice fût reporté sur nous (n, 19-20).

Trois propositions, au total, marquent les étapes de cette dialectique. Étant donnée la création, nécessairement Dieu se devait de pourvoir à la restauration de l’humanité déchue. A cette fin il devait exiger du pécheur une satisfaction complète pour son péché. Or cette satisfaction due par l’homme était absolument au-dessus de ses forces et ne pouvait être fournie que par un IIomme-Dieu. Ainsi les conditions requises pour la rédemption du genre humain postuleraient l’incarnation, qui, à son tour, éclaire la nature et garantit la réalité de celle-là.

La méditation XI : De redemptione luimana (1099), P. L., t. clviii, col. 762-769, n’est qu’un résumé du Cur Deus homo sur le mode affectif.

2. Appréciation.

En raison même de son importance, l'œuvre anselmienne soulève plus encore de préventions que de difficultés.

Chez les critiques étrangers à l'Église, les pires outrances de langage restent de tradition. Avec toutes sortes d’antinomies, Ad. Harnack, Dogmengeschic.hle, t. iii, 4e éd., p. 401-409, sur les pas de Baur et de Ritschl, y découvre une notion mythologique de Dieu ainsi qu’une opposition digne de la Gnose entre la justice du Père et la bonté du Fils, que vient compliquer une division parfaitement nestorienne de la personne du Christ, le grief général de transformer en catégories juridiques les réalités de la foi planant sur le tout. J. Turmel, Histoire des dogmes, t. i, p. 413 et 419-426, s’acharne de préférence contre la cohésion du système, où il ne voit que sophismes et contradictions. Autant de reproches qui se discréditent par leur manque de mesure et trahissent, avec un défaut complet d’objectivité, le parti pris contre la doctrine catholique dont le Cur Deus homo reste le principal boulevard. Il incombe aux théologiens d’y parer en s’appliquant à prévenir ou dissiper les déformations et les méprises de l’ignoratio elenchi.

Au concept fondamental de satisfaction la mode fut quelque temps de chercher, avec E. Cremer, une origine apocryphe dans la notion germanique du Vcrgeld. L’histoire la moins partiale reconnaît maintenant, cf. Ad. Harnack, op. cit., p. 391-392, et F. Loofs, Lcilfaden der Dogmengeschichle, 4e éd., p. 509-511, qu’il est emprunté à la langue de l'Église, où il avait cours depuis Tcrtullien pour désigner le rôle de la pénitence personnelle du pécheur.

Son application à l'œuvre du Christ ne marqueraitelle pas du moins une rupture avec la tradition des siècles antérieurs qui l’ignorait ? Ainsi G.-C. Foley, Anselm’s tlwonj of the alonement, p. 77 et 96-99. Mais ce n’est là qu’une expression nouvelle de ce que désignaient les anciennes catégories de sacrifice et de rachat. Ce qui ne va pas au-delà d’un légitime développement.

Du point de vue catholique, le système anselmien ne laisse pas d'être vulnérable dans plusieurs de ses partics. Son déficit le plus saillant a toujours paru la nécessité qu’il introduit à chaque moment de l'éco nomie rédemptrice et, malgré tous les essais périodiques d’interprétation bénigne, on ne peut guère douter qu’Anselme ne l’ait entendue au sens le plus rigoureux. Tour la preuve détaillée, voir Le dogme de la rédemption. Étales critiques et documents, p. 313317. Aujourd’hui surtout beaucoup de théologiens en regrettent la méthode trop exclusivement juridique,

par suite de laquelle Anselme réclame pour la satisfaction un acte strictement surérogatoire, au risque certain d’isoler la mort du Christ de l’ensemble de sa vie, ou ramène l’application des mérites du Sauveur à une convention artificielle entre le Père et le Fils au détriment de la notion paulinienne de solidarité.

.Mais ces défauts de détail, et qu’il est, au demeurant, facile d’amender, ne doivent pas empêcher de reconnaître la valeur unique d’une œuvre puissante entre toutes, a laquelle, au surplus, la théologie chrétienne de la rédemption doit sans conteste le capital dont elle a vécu depuis.

2° Œiwrc d' Abélard. — Rapproché d’Anselme par la chronologie, Abélard en diffère du tout au tout par son genre de contribution à l’histoire de la sotériologie catholique, où il ne compte guère, comme ailleurs, que par ses témérités.

1. Exposé.

A défaut d’une synthèse comparable au Cur Deus homo, la doctrine rédemptrice d' Abélard se trouve ébauchée dans un excursus de son commentaire sur l'épître aux Romains (après 1125), II, iii, P. L., t. CLXXVIII, col. 833-836..

Comme l’archevêque de Cantorbéry, l'écolâtre parisien s'élève tout d’abord contre la conception usuelle, qu’il présente sous les traits passablement lourds d’un rachat au démon. A quoi il oppose que celui-ci ne saurait avoir aucun droit sur les pécheurs au châtiment desquels il est préposé par Dieu, pas plus que le geôlier ou le bourreau sur ses clients.

Suivent un certain nombre de questions rapides et pressantes qui intéressent le fond même du mystère de la rédemption. Quel besoin Dieu avait-il de s’incarner pour notre salut ? Comment pouvons-nous être justifiés par la mort du Christ qui ne nous rend pas meilleurs et provient elle-même d’un crime autrement grave que la faute d’Adam ? Si elle est une rançon, comment peut-elle agir sur celui qui la détermina ? N’est-ce pas une injustice pour Dieu que de réclamer la mort de l’innocent ou une cruauté que d’y prendre plaisir ?

Une seule réponse lui semble propre à dénouer ces antinomies, savoir de chercher le secret de notre justification dans les leçons que la mort de Jésus nous donne et dans l’amour qu’elle a pour but de nous inspirer. Tout le mystère tient dans cette psychologie : Redemplio itague noslra est illa summa in nobis per passioncm Christi dilectio. Cf. ibid., II, v et III, viii, col. 860 et 898.

2. Appréciation.

Par sa critique de la sotériologie populaire, Abélard peut sembler, en gros, d’accord avec Anselme. A y regarder de près cependant, on voit qu’avec le « droit » du démon il contestait également son dominium ou sa potestas sur les pécheurs. Une équivoque des plus graves, et tout entière à sa charge, allait de ce chef peser sur le débat.

Il est banal de le faire passer pour un adversaire de la satisfaction, que le docteur de Cantorbéry venait de systématiser. Aucun de ses arguments ne vise, en réalité, les positions du Cur Deus homo. Ce n’est pas contre le système anselmien, mais contre les données essentielles de la foi que portent ses rationcs dubitandi. Voir Le dogme de la rédemption au début du Moyen Agi-, p. 96-129.

Les théologiens du protestantisme libéral lui font honneur d’avoir franchement situé la rédemption sur le terrain subjectif. Éloge qui suffit à montrer combien il s'éloignait de l'Église et de sa tradition. Voir Abélard, t. r, col. 47.

Quelques auteurs, surtout protestants, ont entre pris d’arracher Abélard à cette réputation compromet tante, en faisant valoir les divers passages où il semble assez fidèle aux exigences de l’orthodoxie. Ainsi S. -M. Deutsch, Peler Abâlard, Leipzig, 1883,

p. 370-387. Mais des textes oratoires sur le sacrifice du Christ et la vertu rédemptrice de sa croix sont trop vagues pour rien trancher ou s’entendent sous le bénéfice d’un subjectivisme constant par ailleurs. Quant à ces « mérites » du nouvel Adam qui suppléeraient à l’insuiFisance des nôtres, In Rom., ii, P. L., t. clxxviii, col. 863 et 865-866, ils peuvent tout au plus constituer une de ces inconséquences fréquentes chez Abélard et ne sauraient donner le change sur la direction de son enseignement dans les endroits où il s’exprime en termes formels.

3. Influence.

Ces positions d’Abélard se retrouvent exactement dans l'école issue de lui. Voir ici même, t. i, col. 49-51. Cf. J. Rivière, De quelques faits nouveaux sur l’influence Ihéologique d’Abélard, dans Bulletin de litl. eccl., 1931, p. 107-113 ; Le dogme de la Rédemption au début du Moyen Age, p. 170-193 et 232-237.

Avec des nuances, Roland Bandinelli, maître Omnebene et l’anonyme de Saint-Florian témoignent de la même hantise dialectique à l'égard du rachat au démon et s’attachent à souligner l’amour dont l'œuvre du Christ est la source, pour ne toucher qu’en passant à la valeur sacrificielle de sa mort. Voir A. Gietl, Die Sentenzen Rolands, Fribourg-en-Br., 1901, p. 157162 ; H. Ostlender, Sententiæ Florianenses, Bonn, 1929, p. 14-16 ; Ps.-Augustin, Hom., 9, P. L., t. xlvii, col. 1218.

Seul Hermann, tout en gardant ce cadre, subordonne assez nettement l’infusion de la charité qui nous justifie au sacrifice que le Christ offre à Dieu dans sa passion. Voir Epilome Iheol. chr., 23, P. L., t. clxxviii, col. 1730-1732.

En même temps qu’il achève de caractériser les tendances d’Abélard, le suffrage de ses disciples n’en montre-t-il pas suffisamment le danger ?

Destinées immédiates des deux initiateurs.

A la

croisée des chemins doctrinaux qu’ouvraient devant elle ces deux maîtres illustres, ni l'Église ni la théologie du xiie siècle naissant n’eurent d’hésitation.

1. Condamnation d’Abélard. — Dénoncé par Guillaume de Saint-Thierry, puis, à son instigation, par saint Bernard, Abélard vit dix-neuf de ses erreurs condamnées par le concile de Sens (1140), puis par le pape Innocent II. La quatrième avait trait à sa doctrine de la rédemption.

En effet, la sotériologie de l'écolàtre parisien recevait une large part dans les deux mémoires accusateurs. Voir Guillaume de Saint-Thierry, Disp. adv. Abœl., 7, P. L., t. clxxx, col. 269-276 ; S. Bernard, Tract, de crr. Abœl., v, 11-ix, 25, P. L., t. cxxxxii, col. 1062-1072. Avec l’insolence agressive d’Abélard contre l’enseignement commun, l’un et l’autre attaquaient sa manière de rejeter l’assujettissement des pécheurs au démon et de réduire à celle d’un exemple l’efficacité de la mort du Sauveur. Le premier grief fut seul officiellement retenu et donna lieu à un capilulum ainsi libellé : Quod C.hristus non assumpsil carnem ut nos a jugo diaboli liberaret. Denzinger-Bannwart, n. 371.

Tout en se plaignant avec amertume d’avoir été mal compris, Abélard lui-même ne laissa pas de prendre condamnation sur cet article. Fidei confessio, dans P. L., t. clxxviii, col. 105-106. Il n’en fallut pas davantage pour couper court à son influence et arrêter le développement de la petite école qui commençait à la subir.

2. Témoignage de saint Bernard.

Rien n’est mieux fait pour montrer quel était, à l'époque, le cours ordinaire de la théologie que l’attitude prise dans ces circonstances par l’abbé de Clairvaux.

On ne se prive pas d’inscrire à son passif l’ardeur qu’il met, non seulement à défendre, comme réel au tant que « juste », l’empire du démon sur nous jusqu'à l’attentat criminel qui le lui fait perdre non moins justement, mais à proclamer « convenable » cette procédure de « justice ». Preuve certaine de la place que ces vieilles conceptions tenaient encore dans les habitudes mentales du temps. Encore est-il que Bernard s’attache surtout à revendiquer la « puissance » du démon sur les pécheurs, qu’il voyait ou croyait niée par Abélard, cf. col. 1944, et non pas précisément son « droit ». C’est dire que, chez lui, tout le débat roule sur un fait élémentaire de l’ordre religieux, sans égard aux spéculations juridiques dont il s'était peu à peu chargé. Telle est également l’unique portée de la censure infligée au novateur par le concile de Sens.

En revanche, on néglige d’observer qu’il ne déploie pas moins d'énergie pour maintenir sa signification traditionnelle au sacramentum redemplionis et que, pour l’exprimer, il fait bon accueil au concept de satisfaction. Tract, de err. Abœl., vi, 15, P. L., t. clxxxii, col. 1065 ; Lib. ad milites templi, xi, 33, ibid., col. 934 ; In Gant., serm. xx, 3 et XXII, 7, P. L., t. clxxxiii, col. 868 et 881. Voir Bernard (Saint), t. ii, col. 764-767.

Ferme témoin de la foi chrétienne au mystère de la rédemption, saint Bernard l’est aussi de la manière dont la théologie anselmiennc y était dès lors associée pour en traduire le contenu.

3. Action progressive de saint Anselme.

Pour les besoins de l’antithèse, le prestige d’Abélard auprès de ses contemporains fait pendant, chez un certain nombre d’auteurs, à l'éclipsé de l’archevêque de Cantorbéry. Ainsi encore dans J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i, p. 126-427. Simplification tendancieuse et de tous points contraire aux faits. Voir Le dogme de la rédemption au début du Moyen Age, p. 133-169 et 238-246.

Il est vrai que l’ancienne sotériologie démonocentrique persistait encore chez Anselme de Laon, Guillaume de Champeaux et d’autres moins importants. Le même phénomène se constate d’ailleurs tout autant après l’intervention plus véhémente d’Abélard. Ce qui prouve tout simplement qu’une question aussi favorable à la tyrannie de la routine offre un terrain particulièrement mal choisi pour mesurer l’action théologique des deux docteurs.

Sur des points plus substantiels, l’influence doctrinale d’Anselme apparaît déjà, d’une manière indirecte, dans l’allure imprimée à la théologie traditionnelle du sacrifice par des auteurs comme Pierre le Vénérable, Tract, conl. Petr., P. L., t. ci.xxxix, col. 786-798, Ilildebert de Lavardin, C.arm. mise, 52, P. L., t. clxxi, col. 1400, et Bruno d’Asti, De inc, P. L., t. clxv, col. 1079-1081, ou de l’expiation pénale, par exemple chez Rupert de Dcutz, De Trin. et op. ejus : De opère Spir. S., ii, 18, P. L., t. clxviii, col. 1612. Cf. R. Seeberg, Dogmengeschichlc, 3e éd., t. iii, p. 225.

On la saisit directement à la diffusion croissante d’un thème aussi spécifiquement anselmicn que celui de la satisfaction. Voir, dès le vivant d’Anselme, Odon de Cambrai, Disp. conl. Jud., P. L., t. clx, col. 1048 ; peu après sa mort, Guibert de Nogent, De inc, iii, 2-3, P. L., t. clvi, col. 508-509 ; Hermann de Tournai, De inc, 1-6, P. L., t. clxxx, col. 11-12 ; Honorius d’Autun, Elucid., i, 15-18 et 21, P. L., t. clxxii, col. 11201122 ; Rupert de Deutz, Coin, in Johan., iii, P. L., t. clxix, col. 330-331, auxquels on ajoutera désormais le Libcllus… cur Dcus homo, 24-37, édit. Druwé, p. [22]- [36] ; Pierre le Peintre, Lib. de s. eucli., 2-3, P. L., t. ccvn (sous le nom de Pierre de Blois), col. 1139. Témoins obscurs, mais d’autant plus significatifs, et qui annonçaient l'œuvre délibérée d’assimilation qu’allait réaliser l'école de Saint-Victor. Voir Hugues, De sacram., i, pars VIII, 3-4, P. L., t. clxxvi, col. 307309. Cf. Hugues de Saint-Victor, t. vii, col. 279. 194 7

    1. RÉDEMPTION##


RÉDEMPTION. DÉBUTS DE LA SCOLASTIQUE

1948

Dès la génération qui le suit, l’auteur du Cur Deus homo se révèle, à de clairs indices, comme le maître de l’avenir.


VI. Organisation définitive : Dans l’Église catholique. —

Sur la base du système auselmicn, au prix de quelques modilications de surface, le dogme catholique de la rédemption allait rapidement prendre la forme qu’on lui voit encore aujourd’hui.

Préparation de la scolaslique.

Tout le travail

d’élaboration qui prépare l’avènement de la scolastique s’accomplit, en eilet, pratiquement en dehors d’Abélard et sous l’emprise croissante de l’archevêque de Cantorbéry. Voir Le dogme de la rédemption au début du Moyen Age, appendice iii, p. 363-409.

1, Autour de Pierre Lombard. — Il n’y a pas lieu de s’arrêter à la survivance des vieux thèmes qui, dans la deuxième moitié du xiie siècle autant que dans la première, maintiennent la tradition des « Cur Deus homo populaires » chez un certain nombre de prédicateurs. A ne considérer que les apparences, Abélard n’eut pas, sur ce point, plus de succès que n’en avait eu saint Anselme. Tout juste peut-on y remarquer une tendance plus ferme à transformer le « droit » du démon en un semblant de droit. Ainsi Raoul Ardent, Hom., i, 30, P. L., t. clv, col. 1447 ; Innocent III, Serm., i et xxix, P. L., t. ccxvii, col. 320 et 587.

C’est aux théologiens qu’il faut recourir pour avoir la ligne authentique de la pensée médiévale. Non sans quelques restes d’embarras, elle continue à s’orienter dans le sens anselmien.

Gandulphe de Bologne trahit encore un peu l’influence d’Abélard en insistant sur l’action morale du Christ, Sent., III, 83, édit. J. de Walter, p. 335, à l’œuvre duquel il ne laisse pas d’appliquer les concepts de mérite et de sacrifice. Ibid., 80-82, p. 329-333 ; cꝟ. 103-104, p. 351 et 354. De même Robert Pullus, qui paraît plus ardent à contester les « droits » du démon qu’à s’expliquer sur la valeur de rédemption qu’il reconnaît à la croix. Sent., IV, 13-14, P. L., t. clxxxvi, col. 820-821.

Pierre Lombard, de son côté, fait preuve d’un éclectisme doublement conservateur, en ce qu’il se préoccupe d’assurer une part, sous la forme d’une justitia humilitalis mal définie et d’ailleurs facultative, à la « justice » envers notre détenteur, Sent., III, dist. XIX, c. ii et XX, c. ii-iii, tandis qu’il néglige entièremont l’idée anselmienne de satisfaction. Du moins est-il très ferme pour éclairer l’œuvre du Christ par les catégories de mérite et de sacrifice, ibid., dist. XVIII, auxquelles il unit, du reste, l’influence psychologique de son amour, dist. XIX, 1, chacune de ces propositions étant largement appuyée sur des textes de saint Augustin. Avec le Maître des Sentences, la théologie rédemptrice ne fait pas plus de progrès qu’elle ne subit de recul. Voir Pierre Lombard, t.xii, col. 1998.

Ses contemporains et successeurs immédiats montrent plus de décision. D’une part, ils réduisent de plus en plus le rôle de Satan et de ses « droits ». Ainsi l’auteur inconnu des Quxstiones in cpistolas Pauli, In Rom., 90, P. L., t. ci.xxv, col. 457 ; Pierre de Poitiers, Sent., IV, 19, P.L., t. CCXI, col. 1210 ; Simon de Tournai, Disp., XLV, 1, édit. Warichez, p. 130. En même temps, c’est à la doctrine de la satisfaction, sans préjudice d’ailleurs pour la notion de mérite, qu’ils demandent le cadre de leur théologie de la rédemption. Richard de Saint-Victor continue sur ce point, De Verbo inc., 8-11, P. /, ., t. exevi, col. 1002-1005, la tradition inaugurée par Hugues, qui ne s’affirme pas moins chez Robert de Melun, voir Revue d’hist. ceci., t. XXVIII, 1932, p. 325, et Pierre de Poitiers, Sent., IV, 14, P. L., t. ccxi, col. L195-1196, < : f. Quwsl. in epist. Pauli, In Rom., 90, P. L., t. CWCXV, col. 158 ; Nicolas

d’Amiens, De art. calh. fidei, iii, 1-5, P. L., t. ccx (sous le nom d’Alain de Lille), col. 610-611.

Avec le suffrage de l’École naissante, l’œuvre anselmienne recevait également celui des mystiques et des orateurs sacrés. Voir, parmi les plus notables, Raoul Ardent, Addenda : Hom., i, 10, P. L., t. clv, col. 1700 ; saint Martin de Léon, Serm., iv, 25, P. L., t. cevm, col. 363 ; Innocent III, Serm. de sanctis, i, P. L., t. CCXVII, col. 154 ; Eckbert de Schônau, Stimulus dil., P. L., t. clxxxiv (sous le nom de saint Bernard), col. 962-963 ; Geoffroy d’Admont, Hom. dom., ix, P. L., t. clxxiv, col. 62 ; Pierre de Celle, Serm., viii, P. L., t. ccii, col. 659.

2. Commencement du xme siècle. — Pour autant qu’on les puisse atteindre, les ancêtres immédiats des grands scolastiques témoignent, à leur tour, d’un semblable mouvement.

De Guillaume d’Auvergne, par exemple, il existe un Cur Deus homo, dans Tract. Cuil., édition de Nuremberg, cire. 1486, fol. cvn r°-cxv v°, qui rivalise avec celui d’Anselme, sans le valoir, pour imposer au nom de la dialectique l’incarnation du Fils de Dieu en vue de la salisfaclio condigna requise pour nos péchés. Le mérite et la satisfaction du Christ font l’objet d’une analyse didactique dans la Summa aurea de Guillaume d’Auxerre, III, tract, i, c. viii, édition Régnault, fol. 132-133. En regard, le vieux problème des droits du démon ne tient plus qu’un rang effacé.

Non moins que pour adopter la substance du système anselmien, les deux maîtres sont aussi d’accord pour l’interpréter. Guillaume d’Auvergne, fol. cvin r°, admet qu’en dehors de l’incarnation un autre moyen de salut était possible à Dieu de sua potestatis immensilale ; mais il ajoute aussitôt : Peccali modum et magnitudinem hune modum requirere satisfaclionis. D’une manière encore plus nette, Guillaume d’Auxerre, après avoir combattu les opinions qui concluraient a la nécessité du plan divin, fol. 131 v°, enseigne que la mort du Christ s’imposait, fol. 133 r°, manente Dei decreto, c’est-à-dire, explique-t-il, dans l’hypothèse où Dieu voudrait exiger un sufficiens pretium pour tout le genre, humain.

Ainsi les voies sont ouvertes qui permettront de conserver, avec la doctrine de la satisfaction, jusqu’à la logique interne au nom de laquelle Anselme la justifiait, moyennant de la transposer sur le plan du relatif.

Apogée de la scolastique.

Entre les docteurs

du xme siècle, il n’y a plus, en effet, que des nuances individuelles dans cette œuvre de mise au point. Voir Le dogme de ta rédemption au début du Moyen Age, appendice iv : Dans l’atelier de l’École, p. 410-458.

1. École francisciine.

Nécessité de notre rédemption,

puis d’une satisfaction quelconque et enfin d’une satisfaction par l’Homme-Dieu : il suffit de parcourir ces articles successifs, où d’ailleurs Anselme est, d’ordinaire, plus ou moins textuellement utilisé, pour voir combien Alexandre de Halès, Sum. th., III, q. i, membr. 3-7, se tient près du Car Deus homo. De même quand, par la suite, ibid., q. xvi-xvii, il établit la nécessité, puis l’efficacité de la mort du Christ.

Cependant le décret initial de notre salut ne relève en Dieu que de la necesssitas immulabilitalis, q. i, membr..’î. De potentia absolula il pouvait de même nous racheter sans conditions d’aucune sorte : la nécessité d’une satisfaction ne s’impose qu’au regard de sa potentia ordinaia, membr. 4. Il faut sans nul doute en dire autant des thèses complémentaires sur l’impuissance de l’ange aussi bien que de l’homme devant la satisfaction requise et la nécessité d’un I lotnme-Diou pour la fournir. Sur toute la ligne, la fidélité d’Alexan dre à la doctrine et jusqu’au langage d’Anselme ne va pas sans un perpétuel effort d’adoucissement.

Telle est aussi la position de saint Bonaventure, chez lequel il n’est pas jusqu’au libellé même des questions à résoudre qui ne place le problème sur le terrain du conyruum. La « nécessité » de notre rédemption n’est plus, comme chez Alexandre, que l’immutabilité des desseins de Dieu. Si la réparation du péché, au double titre de son extension et de sa gravité, reste au-dessus de nos moyens et requiert la personne de l’Homme-Dieu, c’est uniquement d’un point de vue spéculatif. Car l’homme pouvait offrir une satisfactio semi-plena et rien n’empêchait que Dieu pût s’en contenter. In IIlum Sent., dist. XV1II-XX, édition de Quaracchi, t. ili, p. 380-434. Voir R. Guardini, Die Lehre des ht. Bonavenlura von der Erlôsung, p. 28-47 et 72-118.

2. École dominicaine.

Simultanément les maîtres dominicains s’adonnaient au même travail d'élaboration.

Dispersée au cours de son explication des Sentences, la sotériologie d’Albert le Grand procède d’une même attitude à l'égard du système anselmien. On peut juger de sa méthode par cette déclaration occasionnelle sur la nature humaine du Sauveur, In II lum Sent., dist. XII, a. 2 et 3, dans Opéra omnia, édit. Vives, t. xxviii, p. 226-227 : …Deo nihil est impossibile ; sed, quantum est de congruitale naturæ et satisfaclionis, non debuit Christus aliunde queun de Adcun accipere… Non debuit, id est non fuit congruum. Chaque fois que se posent des questions similaires, elles reçoivent une semblable solution. Voir ibid., dist. XV, a. 1 ; dist. XVI, a. 1. La « nécessité » de l'économie actuelle du salut se ramène à une convenance et ne peut se défendre au sens fort que dans l’hypothèse d’une redemptio qui ne serait pas une simple liberulio. Dist. XX, a. 1-3.

A saint Thomas d’Aquin J. Turmel, Histoire des dogmes, t. i, p. 440, imagine de prêter une évolution, suivant laquelle il aurait « commencé par prendre pour maître » Abélard et ne se serait tourné vers Anselme * qu’en second lieu ». Cette dernière position est celle de la Somme lliéologique, tandis que la première s’accuserait encore dans la Somme contre les Gentils, IV, 54. Hypothèse fantaisiste autant que tendancieuse, que ruine la parfaite identité doctrinale du Commentaire des Sentences (avant 1255-1256) et de la Somme théologique : les divergences que peut présenter la Somme contre les Gentils écrite entre les deux (1258-1260), et qui sont d’ailleurs de pure forme, tiennent à son but apologétique spécial.

De ces différentes sources ressort, au contraire, une doctrine constante, encore que peu systématique, dont l'œuvre anselmienne discrètement amendée fournit tous les matériaux. Il faut d’ailleurs compléter l’un par l’autre ces divers traités pour en reconstituer intégralement la teneur.

Congruenlissimum fuit humanam naturam ex </iii> lapsa fuit reparari, lit-on dans7n//7um S enL, dist. XX, q. i, a. 1, sol. 1. En vue de cette fin, la Somme théologique enseigne, IIl a, q. i, a. 2, que l’incarnation était le moyen le mieux approprié ; c’est seulement dans le cas d’une satisfactio condigna qu’elle deviendrait hypothétiquement nécessaire, en raison soit de la malice propre au péché : quan.dam infinilalem habcl ex inftnilate divinæ irajestalis, soit de l'étendue de ses ravages sur l’humanité. A son tour, la passion du Christ, ibid., q. xlvi, a. 1-3, ne peut être dite nécessaire si ce n’est ex supposilione : en elle-même, elle est simplement convenable, en raison des multiples bienfaits qu’elle nous procure, et Dieu pouvait toujours se dispenser d’une satisfaction salva justitia. Ce qui revient à rabattre sur le plan de la convenance toutes les thèses du Cur Deus homo.

L’exposé de l'œuvre rédemptrice est ensuite, dis tribué par le Docteur angélique, non sans quelques hors-d'œuvre, sous les chefs suivants : psychologie de la passion, q. xlvi, a. 5-8 ; étude de ses causes, q. xlvii, a. 1-3 ; analyse de son action, q. xlviii, a. 1-5, « par manière » de mérite, de satisfaction, de sacrifice et de rédemption, toutes catégories classiques auxquelles se superpose le théologoumène proprement thomiste per modum efficientiæ ; inventaire de ses effets, q. xlix, a. 1-6.

JMulla, non multum : il est de règle, chez les vulgarisateurs, de reproduire ce jugement porté par Ad. Harnack, Dogmengeschichle, 4e édit., t. iii, p. 540, sur la sotériologie de saint Thomas. Lacune qu’aggraverait le grief positif de ces « contradictions mal dissimulées d, dont parlait A. Sabatier, La doctrine, de l’expiation, p. 60, et dont J. Turmel, Histoire des dogmes, t. i, p. 440-445, vient d’enfler à plaisir l’effectif pour conclure sur les gros mots de non-sens et de fatras.

Plus encore que celles dont la construction anselmienne est l’objet, ces rigueurs tiennent, pour une bonne part, à la méconnaissance de la position catholique et de l'équilibre que ses représentants ont à cœur de garder entre les éléments divers du donné chrétien. A défaut d’une création personnelle ou d’une synthèse vigoureuse, le mérite de saint Thomas est d’avoir contribué plus utilement que personne à cette œuvre de judicieuse organisation. « La théologie traditionnelle » de l'Église lui doit « une forme et des contours définis ». H. Rashdall, The idea of alonement, p. 37337 1.

Dans cette doctrine tout entière dominée par la valeur objective de la mort du Christ, il va de soi que son efficacité subjective ne laissait, du reste, pas d’avoir, à titre subsidiaire, sa place légitime et que l'œuvre du Rédempteur ne supprime pas notre part de collaboration. Voir Thomas d’Aquin, Sum. th., IIl a, q. xlvi, a. 1 et 3 ; Bonaventure, / ;  ; IIlum Sent., dist. XX, q. v.

Quant au rôle de Satan, il n’y survit que par un souvenir fugitif accordé à l’abus de pouvoir parmi les effets de la passion. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. th., III- 1, q. xlix, a. 2 ; Bonaventure, In IIIum Sent., dist. XX, q. m. A la différence île ses parties substantielles, dont la synthèse médiévale incorporait tout le fond, cet élément adventice de la tradition patristique finissait par tomber à lien.

C’est ainsi que, dans le moule théologique élaboré par saint Anselme, l'École donnait au dogme de la rédemption ses formes définitives. Développement d’ailleurs tout occidental, dont 1' « orthodoxie » grecque tarderait à recueillir le bénéfice, voir Le dogme de la rédemption. Études critiques et documents, p. 281312, et dont quelques-uns de ses membres ne surent même pas toujours. ; 'i la longue, estimer suffisamment le prix.

Discussions et précisions ultérieures.

Achevé

dans ses lignes essentielles par les maîtres du xme siècle, l'édifice de la sotériologie catholique ne devait plus recevoir dans la suite que de légères modifications, qui, pour quelques retouches de minime portée, en respecteraient le style et le plan.

1. Œuvre critique de Scot. — Jusqu’ici l’adaptation du système anselmien s'était poursuivie d’une manière sensiblement uniforme. Avec le Docteur subtil allait commencer, pour cette doctrina recepla, l'épreuve de la révision. Voir Duns Scot, t. iv, col. 1894-1896. Les résultats de sa critique sont consignés dans Opus Oxon. : In ///™ Sent., dist. XIX et XX, édition de Lyon, t. vii, 1639, p. 412-431. Cf. Report. Paris., t. xi, p. 495-502.

Reconnaître au mérite du Christ « une certaine infinité » de par sa nature propre lui paraît une « hyperbole » ; mais le péché n’est pas davantage, en lui-même, 1951 RÉDEMPTION. ORTHODOXIE PROTESTANTE CLASSIQUE 1952

un « mal formellement infini » : dans les deux cas, ce terme peut néanmoins être conservé par manière de « dénomination extrinsèque ». En conséquence, l'œuvre du Sauveur n’a, par rapport à nous, qu’une valeur de congruo et ne peut s’appliquer à notre profit que moyennant son acceptation par Dieu. L’analyse du péché ne permet pas davantage d’admettre la nécessité hypothétique de l’incarnation : de possibili, un ange ou même un homme ordinaire investi de la grâce étaient en mesure d’offrir une satisfaction que Dieu pouvait accepter pour tout le genre humain.

On ne peut pas faire un crime à la sotériologie scotiste de bouleverser les positions communément reçues, tant qu’il n’est pas démontré que celles-ci devraient se confondre avec les données de la foi. Elle se réfère à une conception théologique d’ensemble sur Dieu, l’homme et le Christ, qui, pour discutable qu’elle puisse être, n’en garde pas moins sa place dans l'Église, par-dessus toutes les préventions d'école, au rang des libres opinions.

2. Scolaslique récente.

A partir de là, les discussions amorcées par la critique de Scot envahissent de plus en plus la théologie.

Une école scotiste est, en effet, constituée, qui recrute, par surcroît, le renfort du nominalisme. Or, pour quelques disciples tels que Mastrius, Hauzeur ou Frassen, qui crurent devoir atténuer la doctrine du maître, par exemple, sur la valeur des mérites du Christ, la plupart eurent à cœur de la maintenir intégralement : ainsi François de Mayronis, Durand de Saint-Pourçain, Occam, Pierre d’Ailly, Biel. Voir S. Bonaventure, Opéra omnia, édition de Quaracchi, t. iii, p. 429-430, scholion des éditeurs ; Th. Fetten, Johanncs Duns ùber das Werk des Erlôsers, p. 99-122.

Il va sans dire que les écoles rivales ne déployaient pas moins d’ardeur dans la défense des points contestés, quitte à se subdiviser en groupes différents suivant la manière de les concevoir. D’où ces interminables dissertations, qui sont la spécialité du second âge scolastique, sur la malice du péché ou la nécessité de l’incarnation pour y satisfaire adéquatement, et qui elles-mêmes en entraînent d’autres sur la valeur de la satisfaction du Christ en vue de savoir si elle s’est ou non produite ex rigore justitise, peut-être même ad strictos juris apices. Voir, par exemple, Suarez, De inc, disp. IV, sect. iii-xii, édit. Vives, t. xvii, p. 55-186 ; J. de Lugo, De inc., disp. III-VI, édit. Vives, t. ii, p. 258-390.

De ces longues controverses auxquelles a donné lieu le besoin de précision technique en la matière, et dont les résidus surchargent encore beaucoup de nos manuels, il faut bien constater que l’importance n'égale pas l’ampleur. En tout cas, c’est d’ailleurs que, vers le même temps, des problèmes autrement graves pour la sotériologie chrétienne étaient en train de surgir.


VII. Organisation définitive : Dans les Églises protestantes. —

Autant la logique immanente au système protestant invitait ses adeptes à maintenir au premier plan de leur foi le dogme de la rédemption par le sang du Christ, autant elle les prédisposait à en transformer inconsciemment la notion. Non seulement, en effet, leur conception de la déchéance humaine leur imposait de sacrifier notre régénération spirituelle à l'œuvre exclusive du Rédempteur, voir MÉRITE, t. x, col. 710-717, mais la hantise du péché et de son inexorable châtiment, point de départ nécessaire du drame intérieur qui aboutit à nous justifier, devait réagir sur la direction et pour ainsi dire la couleur de celle-ci. Voir J, e dogme de la rédemption, Élude théologique, p. 381-518.

De fait, la Réforme a déterminé, dans la théologie rédemptrice, un changement d’orientation dont les critiques protestants eux-mêmes n’ont pas pu ne pas s’apercevoir. « Sans doute la doctrine luthérienne de la rédemption se rattache à la théorie d’Anselme… Mais elle s’en dislingue principalement en ceci que la passion et la mort du Fils de Dieu n’y sont pas considérées comme un don offert à Dieu en place du châtiment afin de réparer l’injure faite à son honneur, mais comme une souffrance de caractère pénal volontairement acceptée par substitution, comme la sujficientissima pœnarum quæ nos manebant persolutio. Nulle part, chez Luther, il n’est question que, dans la passion et la mort du Christ, il s’agisse uniquement d’une satisfaction en vue de rétablir l’honneur violé de Dieu. » Or « la doctrine des réformés, si l’on en juge par les brèves énonciations des symboles, ne semble pas différer essentiellement de celle des luthériens ». G. -F. Œhler, Lehrbuch der Sijmbolik, 2e édit., Stuttgart, 1891, p. 465-466 et 471. Cf. G.-B. Stevens, The Christian doctrine of salualion, p. 151-152 : « Pour Anselme, la satisfaction accomplie par le Christ n’est pas regardée comme une punition, mais comme le remplacement d’une punition. C’est ici le point où la théologie de la Réforme et d’après la Réforme s'éloigne de lui et de la théologie médiévale en général… Il n’est plus question de la dignité ou de l’honneur de Dieu, mais de son inflexible justice ; il ne s’agit plus d’une alternative entre la satisfaction et le châtiment, mais d’une satisfaction par le châtiment. » Bref, « c’est proprement l’antithèse du Cur Deus homo ». R.-W. Dale, The alonement, 24e éd., p. 351.

Sur ce fond permanent la préoccupation instante de « réaliser » la justification individuelle jette une note de mysticisme, que le principe toujours actif du libre examen complique, au surplus, d’une perpétuelle mobilité. Ce qui fait de la théologie rédemptrice dans les Églises protestantes un chapitre particulièrement chargé de l’histoire de leurs « variations ».

1° Période ancienne : Orthodoxie classique. — Une sotériologie assez homogène s'ébauche dès l’origine, en attendant de se fixer en thèses rigides, qui allait caractériser pour des siècles l’empreinte spéciale donnée par les croyants de la Réforme à l'œuvre du Rédempteur.

1. Églises luthériennes.

Orateur et mystique plus que théologien, sans renoncer à la terminologie scolastique, Luther se plaît à reprendre les vieux thèmes populaires sur la défaite du démon. Voir K. Grass, Die Gollheit Jesu Christi in ihrer Bedeutung fur den Heilswerl seines Todes, p. 49-58. Mais plus significative que cet archaïsme est l’idée qu’il donne ou suggère de la satisfaction du Sauveur.

Dans son commentaire de l'épître aux Galates (1531), ni, 13, Lulhers Werke, édition de Wcimar, t. xi, a, p. 432-140, en termes passionnés il se représente le Christ comme « un maudit et le pécheur des pécheurs ». Car, au regard de la loi, « il faut que le pécheur meure ». Pour l’en dispenser, avec la peine des coupables, le Fils de Dieu « porte aussi le péché et la malédiction », de telle sorte qu’il ne faut plus le considérer « comme une personne privée innocente », mais comme « un pécheur qui a sur lui et porte le péché de Paul…, de Pierre…, de David » etc. Substitution que les sermons du réformateur étendent jusqu'à faire peser sur le Christ l’angoisse des damnés. Textes dans "W. Kôlling, Die Satisfactio vicaria, t. ii, p. 319-350.

Exponatur, écrit plus froidement Mélanchthon, Dt’cl. de dicto : Sis intentas, dans Corpus Réf., t. xi, col. 779, mirandum Dci consilium, quod, cum sil juslus et horribiliter irascatur peccalo, ita demum placari justissimam iram volueril quia Filins Dci /(ictus est supplcx pro nobis et in sese iram derivavit. Principes qui se refltHent jusque dans l’officieuse Apologie de la Confession d’Augsbourg, iii, 58, J.-T. Millier, Die symb. Bûcher der ev. -luth. Kirchc, 1 1e éeL.Gûtersloh, 1912, p. 1 18.

De ces données la scolastique luthérienne du XVIIe siècle allait construire la systématisation, en les aggravant de la célèbre distinction entre l’obéissance active et l’obéissance passive du Christ, qui permettrait de soumettre l’oeuvre entière du Sauveur au même schéma pour mieux anéantir la nôtre devant le double mystère de sa vie et de sa mort. Voir, par exemple, J. Quenstedt, Theol. didactico-polemica, p. IIl a, c. iii, membr. ii, sect. i, th. xxxi-xl, 4e éd., Wittenberg, 1701, p. 228-247 ; J. Gerhard, hoc. iheol., XVII, c. ii, 31-63, édit. Cotta, Tubingue, 1768, t. vii, p. 30-72. Synthèse avec d’abondantes citations à l’appui dans Chr. Baur, Die christliche Lehre von der Versôhnung, p. 285-352. A la fin du xviiie siècle, la même conception s’affirme encore avec les mêmes traits essentiels. Voir, par exemple, J.-F. Seiler, Ueber den Versôhnungslod Jesu Christi, Erlangen, 1778-1779.

2. Églises réformées.

C’est, au contraire, de son propre fondateur que le calvinisme tient la sotériologie méthodique dont l’autorité n’allait plus cesser de faire loi. Insl. rel. chr. (éd. de 1559), II, xvi, 1-12, dans J. Calvini opéra omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. ii, col. 367-379.

Elle coïncide absolument, dans ses grandes lignes, avec celle du luthéranisme. Pour satisfaire à la justice de Dieu, le Christ prend sur lui tout ce que nous avions mérité, c’est-à-dire, avec la mort, la malédiction qu’elle comporte : … Operæ simul pretium eral ut divinæ ullionis severiiatem senlirel, quo et iras ipsius (Dei] inlercederet et salisfaceret justo judicio. Aussi a-t-il éprouvé omnia irati et punienlis Dei signa, y compris les peines de l’enfer que désignerait l’article du symbole : Descendit ad inferos.

Telle est la doctrine à laquelle se tiennent les théologiens calvinistes postérieurs, comme J.-H. Heidegger et Fr. Turretin en Suisse, J. Owen et Jonathan Edwards l’ancien, dans les milieux de langue anglaise ; celle également dont s’inspirent les confessions officielles de foi, particulièrement le synode de Dordrecht (1619), ii, 1-4, dans E.-F.-K. Muller, Die Bekentnisse der reformierlen Kirche, p. 848-849.

2° Période ancienne : Secousses doctrinales. — Ces outrances de l’orthodoxie protestante déterminèrent aussitôt une réaction en sens inverse, qui vaudrait à la théologie rédemptrice de la Réforme, avec de longues difficultés, l’avènement d’un type nouveau.

1. Explosion du rationalisme : Socin. — Hic plurimum erratum fuisse…, inter eos pr^sertim qui sese ab

    1. ECCLESIA ROMANA SEPARAVERANT##


ECCLESIA ROMANA SEPARAVERANT. Il suffit de Cette

déclaration, inscrite par Socin en tête du De Christo servalore, pour attester ses intentions agressives et marquer en même temps quel en fut l’objectif principal. C’est à la doctrine de la satisfaction reçue dès lors dans le protestantisme qu’il destine ses coups et contre ses « erreurs » que son dogmatisme lui inspire l’assurance d'être le porte-parole de la véritable révélation. Voir Prælectiones theologicæ (édition posthume, 1609), 15-29, Bibl. Fratrum Polonorum, t. i, p. 564600, dont les positions sont résumées dans Christianse religionis brevissima inslitutio, p. 664-668, et copieusement défendues contre le pasteur J. Couet dans De Christo servalore (1578, mais édité seulement en 1594), ibid., t. ii, p. 115-246.

Refutalio sententiæ vulgaris de satisfaclione Christi pro peccatis noslris, écrit expressément Socin, Chr. rel. inst., p. 665. Ses autres ou-vrages poursuivent, en effet, cette « réfutation » au double point de vue rationnel et positif. La satisfaction ne lui semble ni nécessaire, puisque Dieu peut toujours renoncer au châtiment ; ni réelle, puisqu’il affirme partout sa volonté de pardonner au coupable sans autre condition que le repentir ; ni possible, puisque, pour acquitter notre dette en justice, le Christ aurait dû souffrir la

mort éternelle autant de fois qu’il y a de pécheurs. Prœl. theol., 15-18, p. 565-573 ; cf. De Chr. serv., iii, 1-6, p. 186-206. Après quoi l’auteur d’exterminer successivement, au nom de l’exégèse, les quatre groupes de textes auxquels il ramène la prétendue preuve scripturaire de cette notion. Præl. theol., 19-23, p. 573-588 ; cf. De Chr. serv., ii, 1-8, p. 140-155.

Chemin faisant, on voit apparaître, à bâtons rompus, le système personnel de Socin. Il est d’une simplicité rudimentaire. Chacun peut et doit expier son péché par la pénitence : la mort du Christ n’y contribue que par l’amour et la confiance qu’elle tend à nous inspirer ou par le bénéfice qu’elle nous assure d’un intercesseur efficace dans le ciel. Pral. theol., 19 et 23, p. 575 et 587.

Tant par ses affirmations que par ses critiques, le système socinien a longtemps régné sans rival, non seulement sur l'Église unitaire, mais encore sur la théologie rationalisante que le xvine siècle a vue inonder le protestantisme, soit en Allemagne, voir Chr. Baur, op. cit., p. 505-530, soit un peu dans tous les pays.

2. Essai d’apologétique légaliste : Grotius. — Juriste de métier, mais théologien à ses heures, H. Grotius voulut opposer une réplique au rationalisme socinien. D’où sa célèbre Defensio fidei catholicæ de satisfaclione Christi (1617).

L’auteur se réclame de l'Écriture et de la tradition de l'Église, jusqu'à terminer sa dissertation par une liste de teslimonia Palrum. Mais il éclaire volontiers l’une et l’autre par un fréquent appel aux catégories juridiques. Au moyen de ce double critère, il entreprend la défense de la satisfaction contre la théologie et l’exégèse de Socin, dont il passe au crible les divers arguments. Si l’adversaire était de taille, son partenaire ne se montre pas inférieur à lui. Rarement sans doute un cfïort plus vigoureux fut accompli pour intégrer le mystère de notre rédemption dans un système cohérent de la raison et de la foi.

Cette catholica sententia, il va sans dire que Grotius la situe d’instinct dans les cadres protestants. Pœnarum pro peccatis noslris persolulio : c’est en quoi consisterait pour lui, Def., i, 13, édit. Lange, p. 10, la forma de notre rédemption. Acquittement où le vocabulaire du droit dont il est coutumier lui permet de voir, ibid., 21-22, p. 22-23, une punilio en vue de nous assurer l’impunitas. Cf. ni, 1, p. 46 : Punilio unius ad impunitatem alteri consequendam. Échange que le libre dévoùment du Christ suffit à protéger contre le reproche d’injustice et qui ne porte pas atteinte à la bonté divine parce que, étant le fait d’un tiers, il ne peut nous profiter, vi, 7, p. 80, qu’au titre légal de la solulio recusabilis.

Mais, dans cette famille théologique, Grotius crée une importante variété. Au lieu de la justice vindicative, en effet, c’est à la sagesse de Dieu, en tant que souverain de l’univers, que revient chez lui le rôle dominant. La mort du Christ n’est plus, dès lors, au sens strict, qu’une divinæ jusliliæ demonslratio, i, 1, p. 2-3, c’est-à-dire « un exemple insigne » destiné à maintenir, malgré l’amnistie accordée aux pécheurs, cette sanction du péché qui est indispensable à la bonne marche du monde moral, v, 4-8, p. 67-70. Toute la philosophie de l'œuvre rédemptrice est ainsi réinterprétée sous le signe de la loi. Cf. Baur, op. cit., p. 414-435.

Quelque peu méconnu par ses contemporains, le système de Grotius devait fructifier en Angleterre et plus encore, sous l’influence de Jonathan Edwards le jeune, aux États-Unis. Textes dans E.-A. Park, The alonemenl, Boston, 2e éd., 1860 ; étude par F. -H. Foster, Hislorical introduction à la traduction anglaise de la Defensio, Andovcr, 1889. A l’orthodoxie postérieure il ne cesse de fournir bien des compléments.

Diversité des courants modernes.

« Mêlée d’opinions » qui donne, « à première vue », l’impression d’un « chaos i : tel est l’aspect sous lequel l'état présent de la

théologie rédemptrice parmi ses coreligionnaires apparaît à J. Gindraux, La philosophie de la croix, Genève, 1912, p. 202. On peut aisément prendre un aperçu de cette confusion, pour l’Angleterre et l’Amérique, dans The atonenicnl. A clérical symposium, Londres, 1883 ; The atonrmrnl in modem religious thought. A theological symposium, Londres, 3e éd., 1907 ; pour l’Allemagne, dans E. Pfennigsdorf, Der Erlôsungsgedankc, Gcettingue, 1929 (compte rendu d’un congrès théologique tenu en 1928 à Francfort-sur-Mein). Voir sur ces manifestations collectives, Le dogme de la rédemption. Éludes critiques et documents, p. 355-428. Il suffît à la théologie catholique d’une orientation générale à travers cette littérature.

1. En marge de l’orthodoxie.

Vivement ouvert par Socin, le procès de la satisfaction traditionnelle est plus que jamais à l’ordre du jour pendant tout le xixe siècle et certaine convergence dans une nouvelle manière de la remplacer arrive à s'établir parmi les écoles de gauche qu’unit cette réprobation.

Kant, puis Hegel donnent, un moment, aux théologiens d’Allemagne la tentation d’absorber la rédemption chrétienne, à titre de symbole, dans le développement moral de l’espèce humaine. Mais ces spéculations métaphysiques n’obtinrent qu’un succès momentané. Le « rationalisme » postérieur, aujourd’hui vulgarisé dans les masses par le mouvement national-socialiste, est devenu plutôt franchement négatif, en prétendant refuser au christianisme, voire même au simple théisme religieux, sous prétexte d' « autosotéric » (Éd. de Hartmann), l’audience de l’esprit contemporain.

Depuis Schleiermacher en Allemagne, Erskinc et Coleridge en Angleterre, la pensée protestante s’installe de plus en plus sur le terrain exclusif de l’expérience religieuse. En conséquence, la sotériologie dogmatique d’autrefois se transforme en une psychologie, où le subjectivisme s'épanouit d’autant mieux que l'Écriture cesse d'être une autorité pour devenir un témoignage de la foi de ses auteurs et que l’histoire de ce dogme n’est plus qu’un moyen d’en faire toucher du doigt la relativité.

Il en résulte que, sauf peut-être en Amérique, où il survit au moins en partie chez H. Bushnell, le rationalisme socinien d’antan, avec ses horizons un peu courts, fait place aux formes plus subtiles du protestantisme libéral, diversement représenté, en Allemagne par Alb. Ritschl et Ad. Harnack ; en France, autour de 1850, par A. Réville et l'école de Strasbourg, puis par Eug. Ménégoz (1905) et A. Sabatier (1903) ; en Angleterre et aux États-Unis, par F.-I). Maurice et B. Jowett au milieu du xixe siècle, G. -H. Stevens et II. Rashdall au début du xxe. Dieu Père plein d’amour pour nous et indulgent au repentir sans besoin d’autre satisfaction ; péché qui altère la conscience de notre rapport filial avec lui et nous rend esclaves des passions inférieures ; salut par le Christ, dont la sainteté parfaite éveille en nous tmil à la fois la conscience et détruit l’empire du péché, sa mort n'étant plus qu’un moment de cette œuvre spirituelle comme suprême révélation de la malice humaine et de l’amour divin : tels sont les thèmes désormais courants, avec toute une gamme de nuances personnelles dont il n’est pas possible de Taire état.

Quelques doctrines moins communes ont vu le jour dans les milieux piélistes. Celle, en particulier, de la Rédemption by sample, où le Christ est conçu comme le type de l’humanité, en ce double sens qu’il brise d’abord en lui-même la domination du péché par la parfaite sainteté de sa vie et qu’il nous communique ensuite le même pouvoir par la vertu contagieuse de

son héroïque mort. Voir R. Mackintosh, Historié théories o/ alonemenl, p. 232-250. Plus curieuse encore est la théorie, chère à nombre de prédicateurs anglais, ibiiL, p. 252-250, d’après laquelle Jésus vient révéler dans le temps les souffrances éternelles que le péché cause à Dieu. Cnc christologie à base de kénose accentue, d’ordinaire, le mysticisme de ces deux dernières conceptions, au risque de ne rejoindre l’ordre chrétien que pour se fourvoyer en plein irrationnel.

2. Au sein de l’orthodoxie.

Contre ces attaques violentes ou ces transpositions ruineuses les croyants de la Réforme n’ont pas manqué de faire front, sauf à hésiter sur la tactique la plus conforme aux besoins actuels.

Tout le commencement du xixe siècle est marqué par le règne à peu près universel de l’ancienne orthodoxie. Mais déjà plusieurs, comme P. -F. Jalaguier en France, R.-W. Daleen Angleterre, Fr. Godet en Suisse, croient devoir la pallier en recourant au légalisme de Grotius. Elle est formellement combattue par une école mitoyenne, qui se propose de maintenir la valeur objective de la rédemption, mais au moyen d’une théologie nouvelle où les considérations de l’ordre psychologique et moral passent au premier plan. Ses représentants les plus notables furent J. Macleod Campbell (1855) et R. Moberly (1901) en Angleterre, Edm. de Pressensé (1867) en France, Hofmann d’Erlangen (1853) en Allemagne. Dans la passion, au lieu de la peine comme telle, c’est la « pénitence » du Christ qu’ils s’appliquent à mettre en relief. Ce qui les amène à faire valoir, en conséquence, l’hommage que sa volonté sainte rend à la condamnation portée par Dieu contre le péché, dont son union physique et morale avec le genre humain fait, d’une certaine façon, peser sur lui le poids.

Dans la théologie contemporaine, en Angleterre surtout, s’accuse la tendance à un révèrent agnosticism. La foi pourrait survivre au naufrage des systèmes et devrait suffire à notre curiosité.

Ceux qui parviennent à surmonter cette tentation s’appliquent à combiner en synthèses plus ou moins éclectiques les divers courants antérieurs. La formule dominante est celle d’une expiation pénale mitigée, où la dette des pécheurs reste payée par les soulîrances tant corporelles que spirituelles du Christ, mais débarrassées de tout caractère vindicatif par l’appel à la notion moderne de solidarité, qui détrône la substitution de jadis, et transformées par la conscience pure du Sauveur en une décisive ratification du jugement divin. Tel est, en gros, le type d’orthodoxie auquel semblent appartenir, parmi bien d’autres, des théologiens considérables tels que les Allemands M. Kâhler, H. Mandel, H. Stefîen et R. Jelke, les Anglais P.-T. Forsyth et J. Denney, les Français Ern. Bertrand, C.-E. Cabut et H. Monnier.

Il arrive même parfois que la préoccupation de la souffrance expiatoire y soit subordonnée à la médiation réconciliatrice du Christ (L. Choisy, Wetzel) ou à la réparation objective du péché par la vertu de son obéissance et de son amour (J.-S. Lidgett, G. Fulliquet, P.-L. Snowden et, par instants, H. Monnier). Retours inconscients, et qu’on souhaiterait moins fugitifs ou moins isolés, vers les positions que l'Église mère n’a pas cessé de tenir.

Même en laissant de côté les négations persistantes qu’elle a provoquées sur le fond le plus essentiel de la foi, on peut difficilement ne pas reconnaître qu’en définitive, au seul regard de l’histoire, l’efïorl Intense déployé par la Réforme autour du dogme de la rédemption n’aboutit qu'à un échec. Pour ne rien dire des autres, l’instabilité de ses meilleurs produits, si elle flatte son sens aigu de l’individualisme, ne dénonce t-elle point, aux yeux de quiconque réalise la valeur 195'

    1. RÉDEMPTION##


RÉDEMPTION. EXPLICATION THÉOLOGIQUE : LE PÉCHÉ

1958

et le sens du dépôt, l’irrémédiable carence dogmatique d’une Église qui se montre aussi peu capable de fixer sa propre tradition, c’est-à-dire une de ces tares où s’inscrit sur le plan des réalités expérimentales la rançon du libre examen ?

Il reste à se rendre compte que la situation est la même dans l’ordre proprement théologique, où, pour une intelligence soucieuse de résoudre les problèmes soulevés par cet article du Credo chrétien, ainsi que s’exprimait un anglican d’extrème-gauche, J. Campbell, The new theologij, Londres, 1907, p. 144-145, « la doctrine catholique romaine de la satisfaction est une présentation bien supérieure de la vérité ».


III. EXPLICATION DE LA FOI CATHOLIQUE.—

Certe crucis mysterium, observe le catéchisme du concile de Trente, v, 1, édit. Doney, t. i, p. 96, omnium dijfcillimum exislimandum est. En dépit ou peut-être à cause de cette « difficulté », le dogme de la rédemption est sans doute celui qui a, de tout temps, le plus vivement excité et le plus richement nourri la spéculation des théologiens.

Lassés de n’aboutir qu'à des résultats précaires, en vain quelques-uns, parmi les protestants modernes, voudraient-ils abandonner toute investigation sur le mode pour ne retenir que le fait, four toute âme croyante, l’adage Fides quærens intellectum s’impose à la fois comme un besoin et un devoir. Autant qu’aux lois de la nature humaine, l’agnosticisme serait une injure au caractère divin de la révélation. Sous réserve du mystère, que personne évidemment ne peut ni ne veut perdre ici de vue, est-il nécessaire de dire, au demeurant, combien est précieux pour la foi le concours que la raison est susceptible de lui prêter ?

Il ne s’agit d’ailleurs pas de se risquer à de problématiques improvisations. Au moins depuis saint Anselme, l'Église est en possession d’une doctrine qui a fait ses preuves : il n’est que de savoir la comprendre et l’utiliser.

Sans doute la critique de l'édifice construit par l'École en matière de sotériologic a-t-elle fait, pour sa part, les frais de toutes les crises intellectuelles. Tour à tour, au début du xixe siècle, le rationalisme chrétien, avec G. Hermès, voir t. vi, col. 2299, bientôt suivi par A. Gûnther, et, dans les premières années du xxe, le dogmatisme moral, avec L. Laberthonnière, Annales de phil. chr., 4 1 ' série, 1906, t. i, p. 516-534, dont devait s’inspirer le P. Sanson. Conférences de NotreDame (3 avril 1927), ont servi de prétexte à des assauts contre la salisfactio vicaria.

A condition de la prendre chez les maîtres et de se pénétrer de leur esprit, la théologie catholique n’a pourtant pas à chercher ailleurs. En même temps qu’un héritage traditionnel en partie consacré par le magistère ecclésiastique au service de la foi, elle y trouve toutes les ressources voulues pour présenter le dogme chrétien de la rédemption sous son jour le plus exact et le plus lumineux. —
I. Cadre doctrinal de la rédemption. —

II. Réalité de la rédemption (col. 1961). —
III. Analyse d/ la rédemption (col. 1965). —
IV. Synthèse de la rédemption : Essence de l’acte rédempteur (col. 1969). —
V. Synthèse de la rédemtion : Raison de l'économie rédemptrice (col. 1976). —
VI. Effets de la rédemption (col. 1981). —
VII. Valeur de la rédemption ( col. 1987).

I. Cadre doctrinal de la rédemption. —

Mystère central, la rédemption confine à tout un ensemble d’autres vérités, qui n’en délimitent pas seulement les contours, mais commandent nécessairement la façon de l’interpréter. Pour le développement, voir Le dogme de la rédemption. Étude théologique, p. 164189 ; G. Pell, Das Dogma von der Sùnde und Erlôsung, p. 10-85 ; L. Richard, Le dogme de la rédemption, p. 157-178.

Plan idéal du monde spirituel.

Dès là que la

rédemption chrétienne se définit comme une restauration, elle suppose la vision exacte de ce que devrait être la cité de Dieu dans son état normal.

1. Théodicée.

Au sommet de toutes choses, à la double lumière de la raison et de la foi, il faut poser Dieu, c’est-à-dire l'Être absolu qui ne dépend de personne et de qui dépendent les autres, l'Être infini qui réunit en lui-même toutes les perfections.

Une fois devenu créateur par un acte de sa libre volonté, Dieu apparaît comme la cause première, de qui la créature tient son être tout entier. A ce titre, il est aussi la fin dernière, vers laquelle toutes choses doivent revenir. Car il a créé d’abord pour sa gloire, Prov., xvi, 4 ; Const. Dei Filius, i, can. 5, DenzingerBanmvart, n. 1805, c’est-à-dire pour la manifestation de l’ordre dont il est l’auteur. Le « théocentrisme » est une exigence de la pensée avant d'être une exigence de l’action.

2. Anthropologie.

Parmi toutes les créatures, l’homme a le privilège d’avoir été fait " à l’image et à la ressemblance » de Dieu. Gen., i, 26. Ce qui lui vaut d'être, à son tour, un esprit doué de raison, de conscience et de liberté.

En conséquence, l’homme est essentiellement tenu de rendre hommage à Dieu, en le reconnaissant pour son maître et conformant sa volonté à l’ordre venu de lui. Ce faisant, il réalise sa fin et y trouve son bonheur. Mais aussi et surtout il collabore à l’avènement de ce règne de Dieu dont sa nature spirituelle lui impose et lui permet d'être le principal ouvrier.

A cet ordre naturel la vocation surnaturelle de l’humanité superpose de nouvelles obligations et de nouveaux moyens, mais qui s’entendent suivant les mêmes lois.

3. Religion.

Ces principes aboutissent à fonder la religion, qui est à la fois pour Dieu le plus inaliénable de ses droits et, pour l’homme, le plus impérieux de ses devoirs, avant de devenir son suprême intérêt.

En sa qualité de cause première et de fin dernière, Dieu ne peut pas ne pas réclamer que toute l’activité de la créature s’ordonne vers lui. Pour les êtres sans raison, ce retour s’accomplit automatiquement par l’exercice même de leurs énergies. Ce qu’ils font sans le savoir ni le vouloir, il revient à l’homme de l’accomplir d’une façon consciente et libre, et cela tant en son nom personnel qu’au nom de la création inférieure qu’il a charge de représenter.

Si donc il est vrai que « les cicux racontent la gloire de Dieu », il ne l’est pas moins que le principal manque à ce concert tant que l’homme n’y a pas mêlé sa voix. Il appartient à la créature raisonnable de transformer en ordre moral et religieux l’ordre physique de l’univers.

2° Étal de fait : Le péché. — - Quand il s’agit d’un être contingent, la défaillance de son libre arbitre est un risque toujours possible : l’expérience en atteste la réalité.

1. Notion.

A rencontre de cette conscience élémentaire qui nous fait voir dans le péché une faute dont nous sommes responsables, certain panthéisme le tient pour une sorte d’expérience inévitable dans la voie du progrès spirituel. Conception malsaine à laquelle il faut, avec la philosophia perennis, opposer l’irréductible distinction du bien et du mal.

Forts de la bonté divine et de l’ignorance humaine, beaucoup de protestants libéraux voudraient du moins le réduire, après A. Ritschl, à n'être qu’une faiblesse digne de pitié. C’est faire une règle de l’exception. Ni la psychologie ni la foi ne permettent d’exclure l’hypothèse d’un désordre coupable de la volonté.

En revanche, le pessimisme du protestantisme orthodoxe tend à faire du péché un état qui nous serait L959 RÉDEMPTION. EXPLICATION TIIÉOLOGIQUE : LA SATISFACTION 1960

devenu congénital comme une seconde nature. Loin d’autoriser cet excès, l'Évangile est d’accord avec l’expérience pour laisser au mal moral son caractère d’accident.

A égale distance de ces deux extrêmes se tient la via média de la théologie catholique, où le péché se définit, avec saint Thomas, Sum. th., Ia-II », q. lxxi, a. 1, un acte humain désordonné. Voir Péché, t. mi, col. 14C-153 ; P. Galtier, Le péché et la pénitence, Paris, 1929, p. 11-57.

2. Malice.

On n’envisage parfois le désordre du péché qu’en fonction des souffrances qu’il entraîne dans ce monde ou dans l’autre. Aspect fondé et sans nul doute éminemment révélateur, mais néanmoins superficiel. De l’effet il faut savoir remonter à la cause et, suivant la formule de l'École, avec le realus pœnie faire entrer en ligne de compte le realus culpse.

Ce qui caractérise proprement le péché, c’est d'être un manquement à la loi divine : Dictum vel faclum vel concupitum contra legem œternam, suivant la définition augustinienne adoptée par saint Thomas, Sum. th., Ia-II », q. lxxi, a. 6.

Mais, à travers la loi qui n’est qu’une abstraction, il atteint forcément le législateur. Le caractère inévitable du péché est d'être, en définitive, une offense de Dieu.

3. Portée.

Ainsi donc le péché est certainement tout d’abord le mal de l’homme. En raison de la diminution morale dont il le charge et des sanctions auxquelles il l’expose, il doit même être considéré comme le plus grand de tous les maux.

Ce n’est pourtant pas assez dire. Non point que le péché blesse ou diminue proprement Dieu en luimême ; mais il le prive de la gloire extérieure que la bonne marche de la création devrait normalement lui procurer. C’est ce que la langue chrétienne, après saint Anselme, appelle ravir à Dieu l’honneur qui lui est dû.

On voit, dès lors, comment se présente, au regard de l'âme religieuse, la situation d’un monde qui n’est pas seulement troublé par la faiblesse ou la malice d’innombrables individus, mais sur qui pèse cette faillite collective qui résulte du péché originel.

3° Rétablissement de l’ordre : La satisfaction pour le péché. — Cette ruine de l’ordre spirituel n’est pourtant pas irréparable : la doctrine chrétienne du péché s'équilibre par celle de la satisfaction.

1. Principe.

En vertu de cette mobilité même qui lui permet de faillir, l’homme, tant qu’il est in statu via :, reste susceptible de relèvement. Il ne dépend que de lui, moyennant le secours divin qui ne lui fait pas défaut, d’en réaliser les conditions. Voir PénitenceRepentir, t. xii, col. 722-746.

Sans doute il n’est pas possible au pécheur d’annuler ses actes coupables, qui demeurent à jamais dans l’ordre du réel. Mais, à défaut d’une action rétrospective sur le passé, il garde en mains une meilleure disposition du présent. Si le péché ne peut pas être aboli par son auteur dans sa réalité physique, il peut être moralement réparé.

Contrairement ù la notion protestante de la pénitence, il ne suffit pas, pour cette réparation, d’interrompre l’habitude ou, bien moins encore, l’acte du péché. Seul peut êlre réparateur un effort positif de notre part. Voir P. Galtier, Le péché et la pénitence, p. 58-77.

2. Application.

Dans ce « mouvement de volonté contraire au mouvement antérieur d, Sum. th., l^-II 03, q. lxxxvi, a. 2, il faut donc d’abord et avant tout faire entrer la contrition, qui est l’hommage intime rendu par la conscience à la loi supérieure du bien. Manifestement il ne saurait y avoir de pardon s ; ins cela. Voir Contrition, t. iii, col. 1673-1677.

Mais il faut y ajouter un élément nouveau, directe ment et activement ordonné à la réparation du mal commis. C’est a quoi le. terme de satisfaction, encore que, sensu lato, il comprenne également ce qui précède, est proprement réservé.

Normalement cette satisfaction comporte des actes pénibles, qui répondent à la jouissance illégitime incluse dans le péché, savoir les peines que nous envoie la justice divine nu celles que le pécheur s’inflige à luimême spontanément. Sum. th., laII », q. lxxxvii, a. 6. Il est clair néanmoins que ni les unes ni les autres ne peuvent avoir de valeur que par la bonne volonté de celui qui les offre ou les subit. En termes d'école, elles sont, par rapport à la satisfaction, un élément matériel, dont l’intention du sujet constitue l'élément formel. Voir P. Galtier, De inc. ac red., p. 394-397. A ce désordre moral qu’est le péché seul peut remédier un acte de l’ordre moral.

Ces deux éléments, interne et externe, de la satisfaction peuvent, d’ailleurs, être diversement réalisés. Déjà, pour notre nature déchue, l’accomplissement du plus certain de nos devoirs prend un caractère onéreux. Sum. th., suppl., q. xv, a. 1 et 3. Tel est, en particulier, le cas pour la contrition : aussi peut-on concevoir, à la limite, qu’elle implique suffisamment de charité pour obtenir par elle-même l’absolution ab omni pœna devant Dieu. Ibid., q. v, a. 2.

En définitive, la peine ou toute autre pénalité ne joue, dans l'économie de la satisfaction, qu’un rôle accidentel. Satisfactio, déclare saint Bonaventure, In Ilpaa-Sent., dist. XVIII, a. 2, q. iii, édition de Quaracchi, t. iii, p. 393, fit maxime per opéra pœnalia. De même Scot, Opus Oxon., In 7//um Sent., dist. XX, qu. unie, n. 8, éd. de Lyon, t. vii, p. 429, demande uniquement, pour « satisfaire », unum vel multos actus diligendi Dcum propter se ex majori conalu liberi arbitra (jiiam fuit conatus in peccando. Seul donc est essentiel pour un pécheur, quelle qu’en soit la matière ou l’occasion, le redressement de sa volonté, avec les œuvres de surcroît qui en sont logiquement le fruit, parce qu’il répond seul au canon classique de saint Anselme, Cur Deus homo, i, 11, P. L., t. clviii, col. 377 : Honorem quem rapuit Deo solvere.

Le Christ médiateur.

Du moment qu'à la satisfaction personnelle du coupable la foi chrétienne surajoute la médiation du Rédempteur, une claire notion

de la christologie traditionnelle n’est pas moins indispensable pour comprendre de quelle manière et à quel titre il peut intervenir dans ce processus.

1. Son être.

Fils de Dieu fait homme ou, plus simplement, Homme-Dieu, le Christ est en deux natures et, par conséquent, possède une double activité. Des opérations qui en résultent la personne divine est le terme unique et non pas le moyen d’exécution. La nature humaine garde, par conséquent, son jeu normal dans le ressort qui lui est propre et la grâce de l’union hypostatique, sans rien changer à ses actes, leur donne seulement une nouvelle dignité. La kénose imaginée par la théologie protestante moderne est dénuée de sens non moins que de tou^c attache avec la tradition. Voir t. viii, col. 2339-2349.

Or c’est par son humanité que le Christ est constitué médiateur. I Tim., ii, 5. Étant l’un de nous, il peut devenir le nouvel Adam qui répare l'œuvre néfaste du premier. I Cor., xv, 21-22 et 45-17.

Son existence terrestre est celle d’un fils tout dévoué au service de son Père, Luc, ii, 49 et, Matth., xx, 28, qui pousse l’abnégation jusqu’au sacrifice de la croix. Phil., ii, 8. En regard de cette unité psychologique et morale, l’antique distinction luthérienne entre son obéissance active et son obéissance passive apparaît comme une sorte de vivisection. La vie. et la mort du Sauveur forment un tout, que la sotériologie catholique, voir I, . Billot, Dr Verbo inc, 4e éd., p. 493, envi

sage per modiun unius, sauf à respecter la proportion naturelle de ses divers moments : sic tamen ut mors crucis habeatur lamquam principale.

2. Son rôle. — Il s’ensuit que le Christ peut tout d’abord être considéré secundum quod est quidam singularis homo, ainsi que s’exprime saint Thomas, Sum. th., Illa, q. vu. A cet égard, il est le type idéal de l’être humain. « Semblable à nous en toutes choses », Hebr., ii, 17, l’épreuve y comprise, « sauf le péché », ibid., iv, 15, il est « le Fils bien-aimé » en qui le Père « met toutes ses complaisances », Matth., xvii, 5 ; II Petr., i, 17, celui qui le connaît comme il veut être connu et le sert comme il doit être servi. Matth., xi, 27 ; Joa., xiv, 10 et 24 ; xvii, 4-7.

A ce rôle personnel s’ajoute un mandat pour ainsi dire social, qui fait de lui, suivant la formule parallèle de saint Thomas, Sum. th., III*, q. viii, caput Ecclesise. Ce qui ne s’entend pas seulement d’une influence mystique sur l’âme de ses fidèles, Joa., xv, 1-5 ; Eph., ii, 20-22 ; v, 30 ; I Petr., ii, 4-6 et 9-10, mais d’une fonction représentative qui l’établit, à l’instar et à l’inverse du premier père, Rom., v, 12-21, chef moral du genre humain. Col., i, 12-18.

Tel est le cadre dans lequel la théologie catholique de la rédemption vient s’insérer et qu’il est, par suite, nécessaire d’avoir sous les yeux pour se la représenter exactement.


II. Réalité de la rédemption. —

Avant de s’enquérir du mode, en cette matière comme en toute autre, c’est d’abord la réalité du fait qu’il faut commencer par mettre in tuto. Opération d’autant plus nécessaire ici et, à première vue, semble-t-il, d’autant plus facile qu’il s’agit d’un dogme qui nous touche de plus près.

1° Preuve rationnelle ? — Vérité de foi pour tous les croyants, la rédemption est une de celles qu’on a le plus souvent cru pouvoir annexer au domaine de la raison/ Diverses voies ont été suivies à cette fin, mais qui ne peuvent aboutir au terme souhaité.

1. Méthode spéculative.

Inaugurée par saint Anselme, la preuve par la dialectique abstraite a longtemps retenu la prédilection des spéculatifs.

Elle consiste à raisonner sur les exigences de l’être divin. Dieu ne pourrait pas, sous peine de compromettre son honneur, s’abstenir de racheter le genre humain après sa déchéance, ni le faire sans obtenir d’abord une satisfaction adéquate au péché. Or cette réparation serait telle que seul un Homme-Dieu peut la fournir. Au nom de la logique, l’incarnation serait donc une véritable nécessité. D’après l’orthodoxie protestante, les lois inviolables de la justice divine en ce qui concerne la sanction du péché autoriseraient un semblable argument.

Mais le syllogisme anselmien est loin de s’imposer. Tous les théologiens catholiques sont d’accord pour n’accepter la majeure qu’au prix de bien des atténuations ; car il n’est pas établi, voir plus bas, col. 1976, que Dieu dût nous sauver et pas davantage qu’il ne pût se contenter d’une satisfaction imparfaite. A quelques-uns la mineure elle-même, voir col. 1951, a semblé passible de sérieuses objections. Dès lors qu’elle n’est pas rigoureuse, la preuve dialectique n’existe plus.

Sur le terrain de la justice vindicative, l’argumentation défaille tout autant. Qui voudrait tenir pour certain que le châtiment du pécheur soit encore néces-’saire après son repentir ou qu’il puisse être infligé à un autre qu’à lui ?

2. Méthode psychologique.

A cette métap îysique les protestants modernes substituent la psychologie religieuse, qui tend à devenir leur unique ou du moins leur principale règle de foi.

Un double fait, à leur dire, serait constant. C’est d’abord que le poids du péché écrase toute conscience

d’homme ici-bas, qui se voit aussi tenu de le réparer qu’impuissant à y réussir. Et c’est ensuite qu’elle s’en trouve soulagée grâce au christianisme et spécialement au mystère de la croix. On aurait ainsi la preuve directe et la contre-épreuve, de telle sorte que la rédemption pourrait être doublement constatée : sous forme de réalité quand elle est accomplie, sous forme de besoin douloureux quand elle fait défaut.

Pour nobles et pieuses que puissent être ces considérations, elles ne laissent pas de présenter les faiblesses propres à toute méthode d’immanence. Et d’abord cette psychologie n’exploite visiblement que les impressions d’âmes déjà christianisées : ce qui met une pétition de principe à la base d’un raisonnement qui, pour avoir quelque valeur probante, devrait être purement expérimental. Comment se dissimuler, au demeurant, qu’il reste, dans ses plus fines analyses, trop d’intervalle entre les prémisses et la conclusion ? Tout au plus peut-il y avoir là des matériaux pour servir à la confirmation du dogme une fois qu’il est admis par ailleurs.

3. Méthode historique.

Cette expérience individuelle a reçu et reçoit encore habituellement le renfort de l’histoire, qui fournirait, avec le rite des sacrifices, un témoignage d’ordre collectif. Vulgarisée chez nous par J. de Maistre, Éclaircissement sur les sacrifices, imprimé d’ordinaire on appendice aux Soirées de Saint-Pétersbourg, et par l’école traditionaliste, voir A. Nicolas, Études philosophiques sur le christianisme, 2e éd., t. ii, p. 50-84, cette méthode n’est pas moins chère aux auteurs protestants.

Dans la mesure même où elle est de caractère moins rationnel, la pratique des immolations sanglantes a paru dénoter un besoin mystérieux d’expiation, où il faudrait voir une prophétie en acte, obscure mais universelle, de l’oblation du Christ. Surtout lorsqu’on tient compte de certaines circonstances, telles que le choix de la victime et la manière de l’offrir, où se manifeste une idée révélatrice de substitution. D’autant qu’on voit les sacrifices durer et se multiplier partout dans le monde antique jusqu’à la mort du Sauveur, qui, au contraire, en marque la complète élimination.

Quel qu’en soit l’intérêt pour la psychologie religieuse, voir col. 1923, le sacrifice ne doit pourtant pas être abusivement stylisé. Avec des conceptions très hautes, n’en a-t-il pas abrité aussi de bien grossières, celle notamment de pourvoir aux nécessités alimentaires des dieux ? Vouloir en ramener tout le sens à une recherche obstinée de l’expiation serait non moins excessif que de prétendre ne l’y trouver jamais. La substitution saoulante de la victime aux coupables est un autre de ces postulats que l’expérience est loin de justifier. Quant à la disparition des sacrifices dans notre civilisation moderne, elle est tout simplement, sans autre mystère, un cas particulier de la victoire du christianisme sur le paganisme gréco-romain.

Au lieu d’une constatation positive dont tout observai eur pourrait s’emparer, cette philosophie du sacrifice n’est qu’une adaptation construite après coup par des croyants. Pas plus que l’analyse psychologique, l’induction historique ne réussit donc à fonder rationnellement le fait de la rédemption et, au fond, pour les mêmes motifs.

Apologétique du mystère.

Là où des apologistes

confiants croient trouver comme une des données immédiates de la conscience religieuse, philosophes et théologiens rationalistes ne voudraient, au contraire, voir que la plus inacceptable des conceptions. D’où une nuée qui perpétuellement se reforme d’objections à dissiper.

Il ne saurait être question de discuter les prétentions à 1’ « autosotérie », dirigées contre 1’ « hétérosoL963

    1. RÉDEMPTION##


RÉDEMPTION. JUSTIFICATION DU MYSTERE

1964

tcrie a de la foi chrétienne par certain naturalisme radical. Ce problème relève, soit de la théodicée qui établit l’existence de Dieu et ses droits sur nous, soit de l’apologétique proprement dite qui justifie les titres du christianisme à noire adhésion. On ne peut ici que le supposer résolu.

Sur le point même qui seul nous intéresse pour le moment, depuis Abélard et Socin, la critique rationnelle du dogme de la rédemption n’a pas désarmé : ce qui ne l’empêche pas d’être, le plus soin eut, tributaire des plus lourdes confusions. A toutes les difficultés qui lui sont faites une présentation correcte de la doctrine catholique est donc la plus efficace des réponses. En attendant, il suffit de montrer que, dans ses traits constitutifs, le mystère n’a rien qui heurte nécessairement la raison.

1. Attributs de Dieu.

On objecte à l’envi que la rédemption, au sens de l’orthodoxie traditionnelle, suppose un Dieu cruel qui se complaît à punir, au risque de se déchaîner sur l’innocent, ou du moins un Dieu implacable qui ne sait rien sacrifier de sa justice, alors que la raison et la foi nous le montrent sous le signe de la bonté.

Il n’est pas douteux que ces objections n’atteignent à plein la sotériologie protestante, où tout se ramène au drame juridique de l’expiation. iMais elles ne portent pas contre la théologie catholique, où la satisfaction stricte n’est pas conçue comme nécessaire et ne prend pas la forme d’un châtiment. Ici, en efïet, Dieu reste essentiellement bon et la médiation du Christ n’a pas pour but de calmer sa colère au prix d’une substitution brutale, mais de mieux garantir les conditions d’un pardon bien ordonné, en rétablissant l’honneur divin par un hommage en rapport avec le mépris que lui avait infligé le pécheur.

Si la souffrance est entrée dans la réalisation de ce plan, il n’y a pas là plus de cruauté que dans le sort commun fait a l’humanité déchue, dont le Sauveur accepte librement la solidarité. Inconcevable comme une fin en soi, la mort du Christ ne choque plus quand elle vient consommer toute une vie de dévoûment. La sagesse de Dieu ne risque pas davantage de paraître en cause pour avoir suspendu à cet épisode l’économie entière du surnaturel, dès là qu’il s’agit du sacrifice de son propre Fils.

2. Œuvre du Rédempteur. — Sous une forme ou sous une autre, il n’en est pas moins vrai que l’action du Christ, à peine de retomber dans l’ordre humain, doit être regardée comme une cause efficace de notre salut. Dès lors, peut-on éviter que Dieu ne soil dessaisi par là de l’initiative qui appartient à l’Être suprême et, plus encore, privé de la miséricorde prévenante qui caractérise l’Être infiniment bon ?

Il faut, en effet, se garder avec soin de transformer la rédemption en une sorte de pression sur la volonté de Dieu. En sa qualité de cause première, celui-ci ne dépend que de lui-même. Bien loin qu’elle puisse exercer la moindre contrainte sur lui, la médiation du Rédempteur est le don par excellence de son amour. Mais, sous le béni’fiée de cette réserve, rien ne s’oppose à ce qu’il ail pu subordonner notre restauration surnaturelle à l’intervention d’une cause seconde qui tient de lui toute sa vertu. Il n’est pas besoin d’autre chose pour que la mort du Christ garde une réelle valeur à ses yeux.

D’autre part l’incarnation, en plaçant le Fils de Dieu dans l’humanité, lui donne le moyen de satisfaire pour elle, tandis que le jeu des deux natures, qui restent distinctes après l’union et rendent l’unique personne du Verbe Incarné capable de tenir deux rôles, permel de concevoir, quoi qu’en dise.1. Tunnel, Histoiredes dogmes, 1. 1, p. 450-455, une suffisante différence entre celui fini offre la satisfaction et celui qui la reçoit.

Une place de choix dans l’histoire de la sophistique doctrinale doit être faite au mot célèbre sur « ce Dieu qui fait mourir Dieu pour apaiser Dieu », que Diderot enviait au baron de La Ilontan pour traduire l’incurable absurdité du dogme chrétien. Il cumule tout simplement le double lapsus qui, sous couleur d’esprit, consiste à travestir le rôle de la passion dans l’économie rédemptrice et, moyennant un usage incorrect de la communication des idiomes, à confondre dans le Christ ces deux plans de la nature et de la personne que la théologie la plus élémentaire apprend à distinguer.

3. Nature de l’homme.

Comment imaginer cependant une rédemption qui se réalise tout entière en dehors de l’homme, pour lui être ensuite mécaniquement appliquée ? Il y aurait, dans cet extrinsécisme, . un défi aux lois de l’ordre moral.

Aussi bien s’agit-il là d’une méchante fiction. Déjà le protestantisme le plus extrême exigeait du pécheur un minimum de participation personnelle représenté par la foi. A fortiori ce grief est-il inopérant contre la doctrine catholique de la justification, qui, en plus de cette collaboration trop insuffisante, demande au racheté celle de ses œuvres. Réalisée une fois pour toutes devant Dieu, la rédemption nous profite comme une sorte de capital à faire valoir, en ce double sens qu’elle sollicite notre concours et nous assure les moyens de le fournir.

Que, du reste, pour une bonne part et la meilleure, les bienfaits de cette rédemption échappent à l’expérience, on peut aisément le concéder. Mais la question ne serait-elle pas justement de savoir, au préalable, si, dans le cas, c’est à l’expérience qu’appartient la décision ? L’Église catholique, en tout cas, n’accepte pas le sacrifice de l’ordre surnaturel et de ses mystérieuses valeurs. Sur ce plan, la rédemption chrétienne bien comprise est indemne de toutes les impossibilités rationnelles dont ses adversaires ont entrepris de la grever.

Justification dogmatique du mystère.

En fait de

garanties proprement dites, s’il n’en a pas de différentes, le dogme de la rédemption offre au croyant toutes celles dont bénéficient les autres éléments de l’ordre révélé.

1. Témoignage divin.

C’est dire qu’à la base de notre certitude il faut mettre d’abord l’autorité de Dieu. Mais, à cet égard, il n’est sans doute pas de fait mieux établi.

Préparé déjà, dans sa teneur fondamentale, par l’oracle d’Isaïe sur le serviteur souffrant, le mystère de notre rédemption par la mort du Christ est sommairement énoncé par le Sauveur lui-même, abondamment développé par saint Paul et substantiellement retenu par les autres écrivains du Nouveau Testament. Une incontestable unité de signification règne à travers les diverses phases de la révélation scripturaire analysées plus haut, col. 1 926-1932. Qu’il y soit question tout simplement d’une rançon ou d’un sacrifice offerts pour nous, qu’en termes plus précis le Fils de Dieu soil dit porter la peine de nos fautes et nous justifier dans son sang ou nous réconcilier avec Dieu en compensant à notre profit la révolte du premier père, sous ces formules convergentes, il s’agit toujours d’un rapport objectif autant que définitif entre la croix du Calvaire et notre salut pris au sens tout à la fois le plus intime et le plus profond, savoir la rémission des péchés. Incorporée de la manière la plus expresse, et dès l’origine, au cœur du message chrétien, la rédemption s’inscrit par là-même au nombre des vérités couverts par le témoignage souverain du Dieu révélateur.

Réduite à ces données simples, quoi qu’il en soit des superfétations qui purent s’y greffer sur la défaite de 1965

    1. RÉDEMPTION##


RÉDEMPTION. CATEGORIES TRADITIONNELLES

L966

Satan, cette doctrine est restée constante dans l'Église, col. 1932-1942, et les actes du magistère, col. 1915-1929, en ont consigné l’essentiel. Par où l’idée générale d’une restauration surnaturelle, due à la médiation du Christ et spécialement au mystère de sa mort, porte à bon droit le nom de dogme. A la même autorité dogmatique les formules modernes de mérite et de satisfaction participent à leur tour, dans la mesure où l'Église les a reçues pour traduire cette notion.

2. Convenances postérieures.

Guidée par l’enseignement de la révélation et de l'Église, la raison peut du moins y apercevoir des convenances, qu’on se gardera de surfaire autant que de négliger.

Le concept large d’un médiateur qui nous rapproche de Dieu, à condition qu’il ne supprime pas notre part nécessaire d’elïort, et plaide notre cause en cas de péché, n’a rien que de conforme à notre nature, qui en éprouve à la fois le désir et le besoin. Beaucoup plus encore, si l’on fait intervenir la chute originelle, est-il normal que l’humanité retrouve la vie et l’amitié divines, comme elle les a perdues, par l’intermédiaire d’autrui.

Or qui pourrait mieux remplir cette mission que le Verbe incarné? L’union hypostatique le prédestine à devenir le chef moral de notre race et, si elle n’est pas indispensable à sa dignité, la fonction de rédempteur lui donne certainement un nouveau relief. Motif puissant pour qu’elle entrât dans le décret divin de l’incarnation. Du seul point de vue historique, l’avènement du Christ se pose comme un fait assez notable pour qu’il ne soit pas malaisé d’admettre que Dieu ait voulu en faire dépendre nos destinées dans l’ordre surnaturel.

Quant à l’expiation de nos péchés par la mort du rédempteur, la gloire de Dieu et le bien de l’homme n’y sont-ils pas également intéressés ? Tous les arguments qu’on a dû récuser à titre de preuves, col. 1961, sont au moins des indices et gardent leur valeur comme tels.

Sans supprimer le recours, seul décisif en l’espèce, à l’autorité du témoignage divin, ces convenances rationnelles peuvent en faciliter l’intelligence et l’acceptation.


III. Analyse de la rédemption. —

Fixé par la révélation sur le fait et le sens de notre rédemption par le Christ, le croyant peut ensuite entreprendre de l’expliquer. S’il suffit à la foi simple de savoir que la mort du Sauveur nous obtient de Dieu la rémission de nos péchés, la théologie a la mission et l’espoir de montrer comment.

Catégories traditionnelles.

Rien ne semble, au

premier abord, moins difficile, tellement serait grande ici, d’après les exposés courants, l’abondance des matériaux.

1. Exposé.

Nécessairement la doctrine de la rédemption est corrélative à celle du péché, comme le terminus ad quem par rapport au terminus a quo. De ce chef, il n’est peut-être pas de mystère chrétien qui ouvre à l’esprit, au moins en apparence, des horizons plus variés. « Autant d’aspects du péché, autant de faces de la rédemption. Si le péché est une déchéance, la rédemption sera un relèvement ; si le péché est une infirmité, la rédemption sera un remède ; si le péché est une dette, la rédemption sera un acquittement ; si le péché est une faute, la rédemption sera une expiation ; si le péché est une servitude, la rédemption sera une délivrance ; si le péché est une offense, la rédemption sera une satisfaction du côté de l’homme, une propitiation du côté de Dieu, une réconciliation mutuelle entre Dieu et l’homme. » F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, 10<> éd., p. 226. « Tous ces points de vue sont justes dans une cer taine mesure, poursuit l’auteur, p. 240 ; tous doivent être mis en lumière et ils ne peuvent l'être que successivement. » C’est, en effet, à ce genre d’analyses successives que la plupart des théologiens, pour ne rien dire des exégètes et des prédicateurs, ont longtemps borné leur effort.

Un besoin d’ordre, sinon d’unité, pouvait-il cependant ne pas se faire sentir ? De ces multiples catégories, plus ou moins représentées dans l'Écriture et dans la tradition antérieure, le Docteur angélique, en tout cas, n’a gardé que quatre espèces : mérite et satisfaction, sacrifice et rançon. Sum. th., UI a, q. xlviii, a. 1-4. Ce cadre est resté classique et, le prestige de son auteur aidant, il règne encore autant que jamais, non seulement chez les commentateurs de saint Thomas d’Aquin, mais également, tout au plus avec de minimes retouches, dans la plupart de nos manuels.

2. Fondement.

Hasard ou calcul, il se rencontre que ces deux groupes binaires de catégories sotériologiques sont rangés par saint Thomas dans l’ordre inverse de leur apparition au cours des temps. C’est dire que, s’ils sont l’un et l’autre incontestablement traditionnels, ce n’est pourtant pas tout à fait de la même façon.

Rançon et sacrifice appartiennent au vocabulaire biblique et patristique le plus formel. Après avoir largement alimenté la langue religieuse du paganisme, ces termes ont fourni a la foi chrétienne son premier vêtement et ils n’ont pas cessé de la servir alors même que d’autres s’y sont ajoutés.

Satisfaction et mérite, au contraire, ne sont entrés qu’au Moyen Age dans la théologie de la Rédemption. Voir J. Rivière, Sur les premières applications du terme « salisfactio » à l'œuvre du Christ, dans Bulletin de lill. eccl., 1924, p. 285-297, 353-369, et 1927, p. 160164. Mais ce fut pour s’y tailler, de très bonne heure, une place prépondérante, qui leur reste acquise depuis lors. Il faut les tenir pour synonymes des précédents, à cela près, sans que d’ailleurs ce partage ait rien d’exclusif, qu’ils caractérisent plutôt le style de l'École, tandis que les autres conviennent davantage à la prédication et à la piété.

Bénéficiaires d’un long usage qui suffirait à les accréditer, ces quatre concepts, chacun à sa manière, expriment, au surplus, l’un ou l’autre des aspects sous lesquels se présente le mystère générateur de notre salut. En tant qu’elle comporte une délivrance, et qui ne coûte rien de moins que la vie même du libérateur, la rédemption chrétienne tient évidemment du rachat. Par comparaison avec les rites sanglants dans lesquels l’humanité cherchait la paix avec Dieu, la mort du Christ s’offrant lui-même en victime à son Père pour le fléchir en notre faveur est, sans conteste, de tous les sacrifices le plus véritable et le plus parfait. Que si, dans cet acte sacerdotal, on envisage le droit aux faveurs divines qu’il confère à son auteur ou l’hommage qu’il rend à la souveraineté de son destinataire, n’a-t-il pas tout ce qu’il faut pour apparaître sous l’angle du mérite et de la satisfaction ?

Justement chères à nos théologiens comme un bien de famille, toutes ces analyses peuvent être conduites en fait avec plus ou moins de linesse et de bonheur : il n’est pas douteux qu’elles n’aient un fundamentum in re.

3. Valeur.

Encore ne faut-il pas attendre de ces

notions et du cadre qui les rapproche plus qu’ils ne peuvent donner.

Assez indépendantes l’une de l’autre pour autoriser chacune son propre développement, elles ne le sont pourtant, au fond, que secundum quid. Quelque application, en effet, qu’il mette à nuancer l’expression de son respondeo dicendum pour le tenir à l’alignement de la question posée, il est visible que les i ( Jt17

    1. REDEMPTION##


REDEMPTION. ÉLÉMENTS DU MYSTERE

1968

réponses du Docteur angélique sont faites chaque fois des mêmes éléments, savoir l’amour soutirant et la souffrance aimante qui se manifestent dans la passion du Fils de Dieu. Au lieu de distribuer un tout en ses éléments complémentaires, la quadruple division de saint Thomas ne fait que distinguer par voie d’abstraction les thèmes logiques applicables à un même fait. liedemplionis igitur per nwdutn meriti, salisfaclionis aut sacrificii diversilas non est nisi secundum considerandi nwdiim. P. Galtier, De inc. ac red., p. 446 ; cf. p. 375 et 392, où déjà la même solution était appliquée au per modum redemplionis. Voir également L. liillot, De Verbo inc., 5e éd., p. 494.

Quant au rapport effectif de ces diverses catégories avec le fond même du mystère, la clause per modum qui les accompagne invariablement chez saint Thomas laisse entendre suffisamment qu’elles contiennent une bonne part d’analogie. De toute évidence, on ne saurait parler ici proprement de « rançon » puisqu’il n’y a pas plus de paiement effectif que de créancier pour le recevoir. Aussi bien le Docteur angélique admet-il expressément, q. xlviii, a. 4, que c’est la satisfaction elle-même qui est, dans l’espèce, quasi quoddam pretium. De même enseignait-il un peu plus haut, q. xlvii, a. 2, que la mort du Christ fut quoddam sacrificium acceplissimum Dco, avant d’y montrer, q. xlviii, a. 3, un verum sacrificium. La théologie de la rédemption ne saurait, en effet, se contenter d’un nominalisme purement rituel et la difficulté commence quand il s’agit de le dépasser. Plus proportionnées à l’objet, les notions de mérite et de satisfaction restent exposées, quand on ne les traite que du dehors, à un formalisme juridique non moins décevant.

Au total, le « rachat » ne saurait être qu’une métaphore pour marquer les conditions onéreuses de notre rédemption. Si l’on ne veut pas s’en tenir à des cadres vides, les autres concepts demandent, à leur tour, une définition et il se rencontre qu’ils en autorisent plusieurs. Non una nec adeo clara est apud omnes auctores nolio salisfaclionis, observe P. Galtier, De inc. ac red., p. 393, et la question de l’essence du sacrifice fait notoirement l’objet d’un débat toujours ouvert.

En retenant ces termes traditionnels, il faut donc pousser l’analyse jusqu’aux réalités qui seules permettent de leur donner un point d’appui et de dominer les controverses d'école dont ils ont à supporter la répercussion.

Données constitutives.

Inscrite dans la trame

de l’histoire par la personne et l'œuvre de son auteur, la rédemption chrétienne offre, de ce chef, à la réflexion non moins qu'à la piété quelques données fondamentales sur lesquelles tous les croyants sont ou peuvent être aisément d’accord.

1. Élément matériel : La passion du Christ. — Ce qui frappe sans doute le plus dans l'Évangile, surtout lorsqu’on pense aux brillantes descriptions du roi messianique chez les Prophètes, c’est la souffrance et l’humilité du Fils de Dieu. Depuis l’obscurité de son enfance jusqu’aux tribulations de son ministère public et aux avanies de sa passion, il se révèle partout comme » l’homme des douleurs ».

Au surplus, ces traits extérieurs doivent être doublés des peines internes que l’on devine çà et là, en attendant qu’elles éclatent au grand jour dans la scène de l’agonie ou la terrible désolation de la croix. Voir, par exemple, les élévations de la bienheureuse Baptista Varani sur les « douleurs mentales du Christ », dans Acla sanetorum, mai, t. vii, p. 496-501. Parmi elles. bien qu’on ne puisse pas proprement parler de « pénitence » à son sujet, cf. Jésus-Christ, t. viii, col. 1286, il faut certainement faire entrer pour une grande part la peine qu’il éprouvait à voir, en ce monde pécheur, la volonté du Père si peu obéie et son nom si mal sanctifié.

Mais ces souffrances ne forment pas seulement un des principaux attraits de sa personne pour le cœur : autant qu'à la méditation de l'âme dévote, elles se recommandent à la raison du théologien. Dans l'économie actuelle du monde, en effet, la douleur est le châtiment du péché. Si donc Jésus souffre, qui est l’innocence même, c’est qu’il reçoit, n’en ayant pas de propres, le contre-coup des péchés d’autrui et en subit la peine. Conclusion aussi légitime que sont indéniables les prémisses de ce raisonnement.

Est-il besoin de dire pourtant qu’il y a dans ce fait, avec toutes les circonstances qu’il renferme, un vouloir de Dieu, qui, entre tous les modes possibles de l’incarnation, a choisi précisément celui-là ? Aucun doute non plus que la volonté humaine du Christ n’ait ratifié ce décret dans le sens même où il était porté. De toutes façons, que l’on regarde au plan objectif de la rédemption ou à sa réalisation subjective, elle apparaît comme un mystère d’expiation, où la faute des coupables n’est remise qu’au prix des souffrances imméritées de l’Innocent.

Non pas qu’il faille nécessairement imaginer une vindicte spéciale envers le Sauveur : en raison du péché qu’il implique à son origine, le drame du Calvaire ne peut relever, dans les plans d’un Dieu sage et bon, voir plus bas, col. 1973, que d’un acte permissif, fl suffit du lien, providentiel et volontaire tout à la fois, qui, par le fait de l’incarnation, unit le Christ aux pécheurs dont il est le frère pour comprendre que la souffrance et la mort aient gardé chez lui malerialitcr, cꝟ. 1'. Galtier, De inc. ac red., p. 398, 401, 403 et 411, le caractère de peine du péché qu’elles ont maintenant chez nous.

2. Élément formel : L'âme du Christ. — A cet élément pénal, qui tient aux conditions de l'œuvre rédemptrice, il faut ajouter le facteur moral dû à la personne de l’agent.

Tout le long de sa carrière, le Verbe incarné fut, à l'égard de Dieu, dans les plus purs sentiments d’obéissance et d’amour. Dispositions religieuses qui atteignent leur apogée au moment de la passion. Non seulement, l’heure venue, il accepte l’amer calice, mais on peut dire que, d’avance, il l’avait librement cherché, prévu et voulu, cf. Hebr., xii, 2, en luttant contre les autorités du judaïsme et affichant à rencontre de leurs préjugés, avec des revendications qui leur paraissaient des blasphèmes, un messianisme qu’elles devaient trouver paradoxal, sinon scandaleux. Par où sa vie entière se colore d’une héroïque magnanimité, pour aboutir au plus généreux des sacrifices. Les conclusions de la christologie rejoignent ici les faits de l’histoire et vice versa.

Sans aucun doute, cette éminente sainteté fait du Christ notre modèle ; mais elle est aussi un bien en soi. Du moment que Dieu a pour agréable l’humble hommage de ses créatures, à plus forte raison celui de son s Fils bien-aimé ». Jamais il ne reçut plus grand honneur, parce que jamais la création spirituelle ne s’enrichit d'œuvres aussi hautes accomplies par une personne d'égale dignité. En quoi cette existence de filial service est par elle-même, devant la majesté divine, en vertu de la solidarité surnaturelle qui fait de lui le représentant de notre race, la compensation de nos péchés, et tout impose d’admettre que le Christ n’a pas pu ne pas l’animer de cette intention.

De ce chef, la rédemption se présente comme un mystère de réparation, où le cruel déficit d’un monde pécheur est comblé par les surabondantes richesses du Fils de Dieu. Qui pourrait ne pas voir combien, à ce titre également, elle est une affirmation de l’ordre éternel, et de toutes la plus grandiose, en regard du désordre qui l’avait extérieurement compromis ?

Ces éléments dissociés par l’analyse sont, d’ailleurs, 1969 RÉDEMPTION. SON ESSENCE : EXPOSÉ DES SYSTÈMES 1970

inséparables dans la réalité. Ni l’expiation, en effet, ne se comprend sans l’amour qui l’accepte ou la provovoque, ni l’amour n’aurait tout son prix s’il n'était consommé dans la douleur. Voilà pourquoi la passion est bien le point culminant de l'économie rédemptrice, parce qu’elle synthétise éminemment les deux.

Il ne s’ensuit pas que l’un et l’autre occupent le même rang dans la hiérarchie des valeurs. Un récent commentateur de la Somme estime que, dans la satisfaction du Christ, le Docteur angélique tient pour « secondaire » le côté pénal. P. Synave, Saint Thomas d’Aquin : Vie de Jésus, t. iii, p. 257. Distinguant dans le sacrifice du Calvaire la perpessio pœnse et la perpessionis ordinalio, P. Galtier, De inc. ac red., p. 401, place dans celle-ci Yelementum formate… seu determinalivum unde sil passioni et morli vis alque valor apud Deum. Cf. p. 407 : Qui vêtit redemptionem et redemplorem vere et plene cognoscere, is contemplari in primis débet quo sensu et animo Christus ea omnia [quæ passus est ] adieril et perluleril. Autant dire qu’ici élément formel ne peut pas ne pas être synonyme d'élément principal.

C’est pourquoi la théologie catholique est unanime à dire, voir col. 1980, qu'à la rigueur le Christ n’avait aucun besoin de souffrir quoi que ce soit pour offrir à Dieu une pleine réparation de nos péchés, qui, dans ce cas, tiendrait tout entière à la qualité de ses actes et de ses sentiments. Vue théorique sur les modalités possibles de la rédemption qui fournit un nouveau critère pour départir les facteurs dont elle fut positivement constituée et préciser l’importance relative de chacun.


IV. Synthèse de la rédemption : Essence de l’acte rédempteur. —

Ne faut-il pas néanmoins, sous peine d’une véritable carence rationnelle, dégager la logique interne et les proportions respectives des éléments ainsi juxtaposés ? Il n’y a pas d’autre moyen pour cela que de remonter à quelque principe central dont le développement homogène permette d’en faire comme les parties organiques d’un tout. La théologie de la rédemption ne s’est pas dérobée à ce dernier travail d’achèvement.

Notions préalables.

Devant ce genre de problèmes, il est rare, pour ne pas dire plus, que l’elîort

spéculatif n’ait pas suivi des chemins parfois assez divergents. A défaut d'écoles proprement dites, diverses tendances, bien que souvent trop peu remarquées, se sont fait jour, dans le cas présent, qui aboutissent à nuancer et, pour ainsi dire, équilibrer diversement l’exposé du mystère au nom de prémisses plus ou moins explicites sur son caractère distinctif.

C’est en général quand il s’agit de spécifier la position catholique en la matière par rapport à celle de la sotériologie protestante que surviennent ces ultimes précisions. Voir B. Dôrholt, Die Lehre von der Genugthuung Christi, p. 30-31 et 164-165 ; F. Stentrup, Preel. theol. de Verbo inc. : Soleriotogia, t. i, p. 227-22X et 241-249. En voici, d’après L. Heinrichs, Die Gcnugtuungstheorie des ht. Anselmus, p. 4-5, un bilan méthodique et objectif, qui délimite avec une minutieuse exactitude le status quazstionis.

1. « … Il y a d’abord la théorie du châtiment (Straftheorie). « Sous le nom de châtiment au sens propre, il faut entendre, non pas seulement une peine infligée, mais infligée précisément pour la réparation de l’ordre détruit et de la transgression volontaire. Les autres lins, médicinales, méritoires ou autres, ne sont pas nécessairement exclues ; mais elles doivent être subordonnées au but premier et capital. « Par suite, le sujet propre de la souffrance pénale ne peut être que celui dont la transgression coupable doit être réparée, c’est-à-dire le pécheur lui-même ; car le châtiment a justement pour but de lui arracher par force ce que sa volonté refuse de fournir. Sans doute une autre personne pourrait endosser la peine et garantir ainsi une certaine compensation extérieure à l’ordre détruit. Même alors cependant faut-il que la réparation de l’ordre violé soit le motif dominant pour l’infliction de ces peines, si l’on ne veut pas que s'évanouisse la notion du châtiment. »

2. « Que si maintenant de la notion de châtiment nous retenons une seule partie, savoir le fait de supporter un mal, et si nous en écartons l’idée de vengeance pour mettre à sa place, dans celui qui inflige la peine, un sentiment de complaisance pour la générosité de celui qui accepte volontiers ce rôle douloureux, nous avons l’idée d’expiation (Sùhne). « Les éléments constitutifs de ce concept sont, par conséquent, d’une part le fait de supporter un mal, d’autre part l’absence de tout motif de représailles dans l’infliction de ce mal. Par ce dernier point, la théorie de l’expiation s’oppose à la théorie du châtiment, avec laquelle pourtant elle coïncide par le premier. »

3. « Nous pouvons encore aller plus loin et faire abstraction de n’importe quel mal comme connotation essentielle, de telle sorte qu’il nous reste seulement la complaisance divine à l'égard d’une action qui est faite en compensation du désordre inhérent au péché. « De cette manière, nous atteignons le concept strict de satisfaction. Bien entendu, pas n’est besoin pour cela que l'élément douleur soit exclu de fait : il suffit qu’il le soit formellement. Dès lors, dans la théorie de la satisfaction ( Genugtuungstheorie), ce qui apparaît comme essentiel, par contraste avec la théorie de l’expiation (Sùhnethcorie), c’est le fait d’offrir une réparation d’honneur. « Satisfaction et expiation ont entre elles, de ce chef, le rapport d’une idée plus larj, 'c à une plus étroite. Tout acte d’hommage qui a pour but l’acquittement d’une dette est une satisfaction, indépendamment de cette circonstance accidentelle qu’il comporte ou non le fait de supporter une douleur. Au contraire, si la soulïrance comme telle copstitue un élément essentiel de l’action réparatrice, de telle sorte qu’on mette l’accent, non plus sur ['hommage dans la soulïrance, mais sur l’hommage dans la souffrance, alors cette satisfaction s’appelle proprement expiation. »

2° Constructions soteriologiqu.es. — Selon que l’une ou l’autre de ces notions est adoptée comme point de départ — et, d’une manière plus ou moins systématique, toutes le furent à l’occasion — l'œuvre du Christ se présente sous un jour différent.

1. Système du châtiment.

Pas un chrétien ne pouvait appliquer à la rédemption le concept de châtiment proprement dit. Mais, si le Christ ne fut jamais coupable devant Dieu, on a cru pouvoir admettre qu’il n’en fut pas moins traité comme tel.

D’ordinaire, c’est la justice vindicative qui est mise au premier plan. Parce qu’il est un désordre, le péché appelle une sanction. Exigence tellement sacrée que, même en pardonnant, Dieu n’a pas renoncé — et l’on ajoute souvent qu’il ne le pouvait — à rétablir l’ordre par ce moyen.

Mais il n’y a pas d’obstacle invincible, assure-t-on, à ce que le châtiment soit acquitté par un autre que par le débiteur, qui pourra, de la sorte, être amnistié sans que la justice perde rien de ses droits. C’est à une mutation de ce genre que se ramène la rédemption. Dans cette perspective, sans être personnellement l’objet de la colère divine, le Christ en ressent tous les cfïcts, du moment qu’il voulut prendre par substitution la place des pécheurs. Les textes de saint Paul sur le Fils de Dieu fait « malédiction » et « péché » pour

nous, Gal., ni, 13 et II Cor., v, 21, fournissent un appui biblique à ces déductions. A la limite, le Fils de Dieu soufïre jusqu’aux tourments de l’enfer, comme en témoignerait sa plainte sur la croix. Matth., xxvii, 46.

Caractéristique de l’ancienne orthodoxie protestante, col. 1952, à peinecetteconceptiona-t-elleinihiencé, par voie d’infiltrations inconscientes, un certain nombre de nos mystiques ou de nos prédicateurs. Voir Le dogme de la rédemption. Élude théologique, p. 231-240 ; pour les sennonnaires anglais, H. -15 Loughnan, dans The Monlh, 1920, p. 320-329, traduit dans Revue du clergé fr., t. ciii, 1920, p. 5-15. Cf. P. Galtier, De inc. ne red., p. 399, qui donne, à cet égard, comme signalement l’application faite au Christ d’expressions telles que peccalum ou peecator univcrsalis.

Il y a, d’ailleurs, des degrés dans le système. Tandis qu’en général le déroulement de la justice envers le substitut des pécheurs y est donné comme absolu, de plus modérés s’en tiennent à une « ombre de châtiment ».

A ce même type se rattachent encore, de loin, et la théorie du châtiment exemplaire inaugurée par Grotius, col. 1954, et la combinaison juridique esquissée par Dante, De monarchia, ii, 11, en vue de trouver dans la condamnation légalement infligée à Jésus le caractère d’une punit io.

2. Système de l’expiation.

Tous ceux à qui répugne trop cette procédure de code pénal se rabattent sur l’idée moins massive d’expiation, au moyen de laquelle on peut conserver à la souffrance du Rédempteur un rôle dominant.

Ici le Christ n’est plus, en principe, l’objet d’une vindicte divine ; mais il est soumis à la règle providentielle qui fait de la douleur la peine du péché. Loi sainte devant laquelle il s’incline pour nous en épargner les plus extrêmes sanctions. Car, sans être nécessairement du même ordre ou du même degré que celles que nous méritions, les souffrances de sa vie et de sa mort en sont l'équivalent. Moyennant quoi, la justice étant sauve par lo fait que le Fils de Dieu a payé notre dette, remise peut nous être accordée tout au moins de la peine éternelle que nous aurions dû subir.

Sur ce fond commun apparaissent des variantes, suivant qu’on demande à la loi de solidarité ou bien à un décret de circonstance la source de l’expiation réalisée par le Christ. Le trait spécifique est toujours que la souffrance du Sauveur comme telle, qu’il s’agisse de son déchaînement physique ou de ses formes plus intimes, reste au premier plan, les sentiments qui l’accompagnent n’intervenant en quelque sorte que pour la moraliser.

Dans ces lignes plus ou moins flottantes se meut l’orthodoxie protestante actuelle, avec des gradations de nuances qui souvent lui rendent quelque chose de son profil antérieur. Quelques théologiens catholiques, moins peut-être par leurs affirmations que par leurs réticences, ont pu donner l’impression d’en rester là. Témoin cette schématisation de Chr. Pesch, De Verbo inc, n° 415, l re éd., 189C, p. 201 ; 3° éd., 1909, p. 230 : Propter peccalum Deus ab hominibus juste paierai pœnas expetere. Christus igitur, ut caput et vas generis humani, pcenas suscepil et beo oblulil, qui eas accepUwil. Unde Deus hominibus… non jam ui.las Pci'.NAS infligerc potest, quia homines iias Pœnas per Christum jam solverunt… Ihrc est doctrinn catholica de satisfaclione Christi. II faut attendre la 4 c -5e édition de ce traité classique (1922) pour que la doclrina catholica y soit ainsi complétée : Christum,

NON S')LUM ACTinUS INTKRNIS CABITATIS ET A.LIARUM VIRTUTUM DEO HONOREM PECCATIS HOMINUM A.BLA tum RESTITUISSE, sed ctiam sensu presso satis/aclionem pnrslilisse perferendn pro liominibus pœnam peccato débitant.

3. Système de la réparation.

Alors que, sous une

forme plus ou moins appuyée, c’est jusqu’ici le côté pénal de l'œuvre rédemptrice qui paraît propre à en livrer le secret, on peut, au contraire, le chercher dans la personne qui l’accomplit.

Envisagée sous cet aspect, soit qu’on regarde à la parfaite sainteté du Christ, à plus forte raison quand on fait entrer en ligne de compte la dignité qu’il tient de l’union hypostatique, sa vie est un perpétuel hommage à la volonté souveraine de Dieu. De ce chef, elle présente une valeur incomparable de l’ordre moral, qui la rend susceptible, aussitôt qu’elle est mise en balance avec le péché, de rétablir l'équilibre du monde spirituel. Il suffit qu’elle soit offerte et agréée dans ce sens. Le mystère de la rédemption consiste à réaliser, au profit du genre humain déchu, cette convergence entre l’amour incréé du Père et l’amour créé de Yhomo assumptus.

Que cette œuvre, comme ce fut historiquement le cas, vienne à prendre une forme douloureuse, elle ne doit pas être appréciée différemment. La souffrance n’est qu’un élément de fait, dont la valeur est subordonnée a l’amour dont elle est l’occasion ou le fruit. Ainsi la passion du Christ, dès là qu’il était innocent, reste bien l’expiation de nos fautes. Mais ce n’en est là qu’un trait secondaire et superficiel : ce qui en fait essentiellement le prix et lui vaut d'être le moyen choisi pour notre rédemption, c’est le bien qu’elle représente comme soumission à Dieu en compensation de nos péchés. Acte éminemment réparateur en raison de la personne qui le pose et qui, par surcroît, devient chez ses bénéficiaires la source d’une activité de semblable esprit.

Abstraction faite de certaines particularités accessoires, c’est ainsi que se présente la satisfaction chez saint Anselme : In doloribus potius quam per dolores juxla illum salisfecil Christus. P. Ricard, De satisfaclione Christi in Iraclalum S. Anselmi « Cur Deus homo », ]). 29.

L’autorité du docteur de Cantorbéry n’a plus cessé de maintenir cette doctrine dans la grande tradition catholique, en regard de laquelle les rares divergences qui ne sont pas de pure forme résonnent comme des notes fausses dans un concert bien ordonné. Non moins que nos théologiens, les auteurs protestants les plus objectifs s’accordent à constater, voir col. 1952, que là se trouve la différence entre les voies suivies par la théologie rédemptrice des deux confessions.

Discussion théologique.

Par la force des choses,

toutes les données réelles que l’analyse découvre dans le fait de la rédemption ont leur place à la base des divers systèmes qui cherchent à l'éclairer. Mais chacun est responsable de la manière dont il les met en jeu. Et comme celle-ci tient à un certain nombre de données connexes, pour formuler un jugement de valeur sur les conceptions en présence, il faut remonter à la notion de Dieu et du Christ qu’elles supposent, au rapport qu’elles instituent entre l’acte rédempteur et le mal auquel il a pour but de remédier.

1. Système de châtiment.

Regardé à la lumière de ces principes, le système du châtiment apparaît de tous points inacceptable et rien de ce qui lui est propre ne saurait avoir même une valeur d’appoint. Aussi bien serait-il sans doute difficile de lui trouver aujourd’hui un seul défenseur avéré.

En effet, l’attitude d’implacable justicier qu’il prête à Dieu est contraire à la raison autant qu'à la foi, qui reconnaissent la miséricorde pour un de ses at I ributs. Surtout quand cette justice est assez aveugle pour se prêter à une substitution de personnes et, à défaut des coupables, frapper l’innocent de toutes ses rigueurs. Autre chose est de reconnaître, col. 1908. que les souffrances du Rédempteur sont « matérielle^

ment » la peine de nos péchés et autre de prétendre leur en attribuer pour ce motif le caractère formel. Conclure à ceci de cela serait un passage flagrant de génère ad genus.

Il n’est pas plus concevable que le Christ puisse être puni, même à titre de substitut. Car faute personnelle et châtiment sont deux concepts strictement corrélatifs. Si loquamur, enseigne saint Thomas, Sum. th., la-Il* 6, q. lxxxvii, a. 8, de pœna pro peccalo inflicla in quantum habet rationem pœnæ, sic solum unusquisque pro peccalo suo punitur. Outre que les textes pauliniens allégués à ce propos comportent une exégèse moins rigide, cf. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, 10e éd., p. 294-298, ils ne doivent pas être isolés de tant d’autres, voir col. 1931, qui servent à mettre au point ce qu’ils offrent d’un peu abrupt. Quant à parler d’une « ombre de châtiment », qu’est-ce autre chose qu’une manière de sauver à tout prix un mot qu’on vide en même temps de son contenu ?

Rien en particulier n’est choquant pour le sens chrétien comme de vouloir que le Christ ait subi la peine du dam sous prétexte de nous en délivrer. Cette odieuse conséquence du postulat protestant fut dénoncée aux fins de censure par deux consulteurs du concile de Trente, cf. Bulletin de lill. eccl., 1925, p. 275-278, et les plus illustres parmi les maîtres de l’époque la flétrirent au moins d’énergiques réprobations. Voir Maldonat, In Mallh., xxvii, 46 ; Bellarmin, De Christo, iv, 8 ; Suarez, De vila Christi, disp. XXXIII, sect. i, 1-13 ; saint François de Sales, L’eslendart de la saincle croix, avant-propos, ni, 2 et, au cours de l’ouvrage, i, 8.

Seul un insigne parti pris permet à J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i, p. 457-458, de confondre la doctrine catholique, sur la foi de quelques orateurs au langage intempestif, avec un système par elle si catégoriquement désavoué.

2. Système de l’expiation.

Conçu comme une atténuation du précédent afin d’en éviter les trop visibles excès, le système de l’expiation échappe, de ce chef, à ses défauts les plus criants. L’incontestable part de vérité qu’il exploite, voir col. 1967-8, et sa tournure en apparence plus mystique sont, à n’en pas douter, faites pour lui assurer un durable crédit. Mais, aussitôt qu’il prétend se donner comme total, et il le doit sous peine de perdre son individualité, les avantages qu’il a l’air d’offrir ne sauraient en masquer l’insuffisance au regard d’un théologien attentif. Voir, par exemple, P. Galtier, De inc. ac red., p. 399-400.

Un inconvénient majeur tient à la base même sur laquelle il s’établit. C’est que la souffrance du Christ y devient l’objectif primaire et direct, sinon la fin suprême, du plan divin, alors que, même incorporée dans l’économie rédemptrice, elle ne cesse pas d’être un mal dont on peut tout au plus admettre qu’il soit permis par Dieu. Non tradidit Pater Filium ], observe saint Bonaventure, In IIIum Sent., dist. XX, q. v, édition de Quaracehi, t. iii, p. 427, infligendo mortem vel prsecipiendo, sed permitlendo. Cf. Suarez, De vila Christi, dis. XXXIII, sect. i, 4 ; In Sum. th. corn., III a, q. xlvi, a. 10 et q. xlvii, a. 3 ; Bellarmin, De septem ver bis, ii, 1.

Souvent on croit la difficulté résolue quand on remplace l’antique schème juridique de l’imputation par le concept moderne de solidarité. Mais encore faudrait-il prendre garde à l’équivoque d’un terme qui peut ne signifier qu’un fait de l’ordre naturel. Aussi bien n’en est-il pas de plus familier au vocabulaire du protestantisme libéral pour expliquer les souffrances de Jésus. Voir A. Sabatier, La doctrine de l’expiation, p. 85-87 et 110-1 12. Que si la notion de solidarité s’entend dans l’ordre surnaturel, le problème n’est que reculé. Car il reste à dire si l’expiation douloureuse qui par là devient le lot du Christ est un moyen ou

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

une fin, s’il faut la concevoir comme le terme des voies divines, au risque de voir à nouveau surgir tous les obstacles qu’il s’agissait d’écaiter, ou comme l’occasion providentielle d’un bien supérieur.

En second lieu, le système en question s’arrête à la peine du péché, c’est-à-dire, en somme, à l’un de ses effets, sans égard au realus culpæ qui en est le fond. Lacune des plus graves au regard de ce que demande la doctrine chrétienne de Dieu, de l’homme et de leurs mutuels rapports, col. 1958 sq. Ainsi comprise, la rédemption tournerait court devant son but principal ; car, si la peine châtie le péché, à vrai dire elle ne le répare pas. Il est classique, dans l’École, de distinguer les deux concepts de salis/actio et de satispassio : on peut juger par là d’une doctrine qui commence, au contraire, par en décréter ou supposer acquise l’identification.

A quoi il faut bien ajouter que cette conception, bien qu’elle en soit théoriquement distincte, a toujours, en pratique, une sorte d’affinité congénitale par rapport à celle du châtiment. Ce qui l’expose — et l’expérience atteste que le danger n’est rien moins que chimérique — à ramener « ces conséquences absurdes », dont parle F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, 10e édition, p. 236, qui « ont jeté sur la théorie de la substitution pénale un discrédit dont elle n’est pas près de triompher ».

Si donc le fait de l’expiation est à retenir, il n’est pas moins sûr que le système de l’expiation doit être dépassé. Juste dans ce qu’il affirme, il partage avec toutes les synthèses mal venues le sort d’être inadéquat en raison de ce qu’il exclut ou laisse trop au second rang.

3. Système de la réparation.

A cette double élimination comment le système de la réparation pourrait-il ne pas gagner déjà le bénéfice d’une certaine probabilité ? Conclusion qui s’élève au niveau de la certitude quand on observe qu’il est promu par un arbitre circonspect, P. Galtier, De inc. ac red., p. 401 et 4(13, au rang de doclrina communis.

Pris en lui-même, il laisse à l’œuvre du Christ son équilibre normal. L’élément pénal de la passion y trouve, en effet, sa place, mais reste subordonné, comme il convient, à l’élément moral qui lui donne sa valeur. A ce caractère synthétique le système de la réparation doit de pouvoir assimiler tout ce que les autres ont de viable, en même temps que le fait de s’ordonner par principe autour de l’essentiel le met à l’abri de leurs défauts.

De ce chef, au lieu de rester à l’état de thème abstrait, l’expiation réalisée par le Sauveur s’éclaire par les indications les plus concrètes de la psychologie et de l’histoire, qui, sans rien lui ôter de son mystère, permettent de la rattacher à un plan digne de Dieu. Cf. L. Richard, Le dogme de la réden pi ion, p. 189-2(10. Tout le drame de la carrière de Jésus tient au caractère spirituel de son messianisme, qui devait faire de lui un « signe de contradiction ». Luc, ii, 34. Contre cette admirable création de la sagesse divine allaient, en effet, se dresser toutes les puissances de la chair et du sang, mais sans jamais ébranler ce ferme propos de « faire la volonté de Dieu », Hebr., x, 5-9, qui fut son programme initial. D’où ces épreuves et tribulations de toutes sortes, qui n’étaient, au fond, que les produits variés de la malice humaine déchaînée sur l’Innocent, et qu’il acceptait avec amour sans laisser d’en souffrir, au dedans comme au dehors, d’autant plus qu’il l’avait moins mérité. Mal sans aucun doute, mais qu’un Dieu sage a pu permettre en raison du bien qui en résultait. Voir Suarez, In Sum. Iheol., IIl a, q. xlvi, a. 10, n. 1, Opéra omnia, édit. Vives, t. xix, p. 572 ; Billot, De Verbo inc, 5e éd., p. 491.

Ainsi la carrière douloureuse du Christ se déroule

T. — XIII — 63.

d’un bout à l’autre sous le signe de l’obéissance, Phil., ii, 8, mais d’une obéissance qui, loin d’avoir rien de passif, signifie plutôt la correspondance héroïque à une vocation. En particulier, la croix qui en est le terme s’explique propter obœdientiam servandi justiliam, in qua lam fortiter perseveravil ut inde mortem incurrerel. Anselme, Cur Deus homo, i, 9, P. L., t.cLvm, col. 370 ; cf. ii, 19, col. 426. Malu.it mori quam lacère, qui i tune eral verilas dicenda Judeeis. Et sic morluus est propter justitiam. Scot, Opus Oxon., In IIIum Sent., dist. XX, q. unica, n. 10, édition de Lyon, t. vii, p. 430 ; cf. S. Thomas d’Aquin, .S’mn. //i., 111°, q. XLVii, a. 3. Ainsi faut-il comprendre où vont les complaisances du Père devant le suprême sacrifice de son Fils : Non mors, sed Doluntas placuit sponte morientis. S. Bernard, Cont. err. Abse ardi, viii, 21, P. L., t. clxxxii, col. 1070.

Entre la mission de Jésus considérée sous cet aspect et le problème de la rédemption le rapport n’est-il pas obvie autant qu’adéquat ? S’il porte la peine de nos péchés par ses souffrances, non moins certainement il en répare la coulpe, en opposant à notre mépris du souverain Maître un amour et une soumission poussés jusqu’au plus total oubli de soi. Que faut-il de plus, quand il s’agit du propre Fils de Dieu, pour que la faute humaine, quelle qu’en soit la gravité, ait enfin trouvé son contrepoids ? Voir Thomas d’Aquin, Sum. th., 1 1 1°, q. xlviii, a. 2 ; Scot, Opus Oxon. : In /yum Sent., dist. II, q. i, n. 7, édition de Lyon, t. viii, p. 138139.

D’autant que les actes du Rédempteur, au lieu d’avoir seulement une portée individuelle, sont en principe, en attendant de le devenir en fait, le bien commun de l’humanité dont il est constitué la tête. Éminemment personnel, l’hommage réparateur qui s’achève au Calvaire emprunte à la fonction représentative de celui qui l’offre un sens collectif.

Cette valeur de compensation, par où l'œuvre du Christ répond au désordre le plus visible du péché, doit, au demeurant, se compléter par sa puissance positive de restauration, qui rend l’humanité capable de fructifier désormais dans l’ordre surnaturel. Faute d’en venir là, on ne verrait pas assez comment l’action du premier Adam trouve sa contre-partie dans celle du second. Dès là que l'Église catholique n’a jamais consenti à priver la rédemption de ce dernier couronnement, on voit quel avantage en résulte pour la doctrine de la réparation, élaborée par ses meilleurs théologiens, sur les bases de l’enseignement de saint Paul, aux fins d’en rendre compte. Et il est à peine besoin de dire que la piété, pour peu qu’elle ne redoute pas l’air des cimes, peut à son tour y trouver le plus substantiel aliment.

Que d’ailleurs les simples données de la foi, où ces divers éléments sont à peu près confondus, suffisent à la plupart des croyants, rien de moins douteux. Mais tout théologien conscient de sa tâche doit reconnaître que, de fait, sous la forme d’indices quand ce n’est pas de théories arrêtées, divers systèmes d’interprétation : châtiment, expiation d’ordre pénal, réparation d’ordre moral et religieux sont en présence et que, de droit, la décision dernière des problèmes posés par le dogme de la rédemption en dépend. C’est, en effet, par là, et par là seulement, que les catégories traditionnelles de rançon et de sacrifice, de mérite et de satisfaction, déjà vérifiées en gros, col. 1906, arrivent à prendre un sens précis. Voir L. Richard, op. cit., p. 205-210. Il n’y aurait pas de pire défaillance que de ne pas savoir en convenir, sauf à vouloir imposer ensuite des solutions qu’il faudrait auparavant justifier ou à chercher un refuge en des lieux communs qui ne dispensent de prendre parti qu’en éludant la question.


V. Synthèse de la rédemption : Raison de l'économie rédemptrice. —

Sa foi même en la révélation divine invite le chrétien à y voir un ordre dont il ne lui est pas interdit de percer le mystère. Avec le comment de la rédemption, à mesure surtout que l'économie en est plus riche, la spéculation théologique en a donc également abordé le pourquoi. Travail plus ou moins esquissé dès l'époque patristique, col. 1937, mais qui allait surtout devenir intense dans l'École depuis l’impulsion décisive que lui avait imprimée la puissante dialectique du Cur Deus homo. Voir 15. Dôrholt, op. cit., p. 171-301.

Deux tendances extrêmes se manifestent, à cet égard, dans la pensée chrétienne : celle des dialecticiens qui prétendent tout démontrer et celle des agnostiques pour qui tout serait pareillement impénétrable. Kntrc les deux s’ouvre une via média dans laquelle, renonçant à soumettre le plan du salut à la loi d’une stricte nécessité, on y cherche et on y trouve tout au moins de hautes convenances accessibles à notre raison de croyants.

1° Initiative du plan divin : Le décret primitif de rédemption. — A l’origine de l'économie rédemptrice il faut mettre le décret porté par Dieu de relever le genre humain après le désastre de la chute. La théologie n’a pas cru que ce fût excéder ses moyens ou manquer de respect à la mystérieuse transcendance des voies divines que d’en explorer le caractère initial.

1. Thèse de la nécessité.

Indépendamment de l’optimisme absolu, qui voudrait que toutes les actions de Dieu fussent commandées par la poursuite du plus parfait, quelques théologiens de marque ont pensé que la rédemption des pécheurs lui serait imposée comme une sorte d’obligation plus ou moins stricte par ses propres attributs.

Omnis disposilio salutis quæ circa homincm fuit, écrivait déjà saint [renée, Cont. hxr., III, xxiii, 1, P. G., t. vii, col. 960, secundurn placilwn fichai Palris uli non vinceretur Deus [a serpente] neque infirmarctur ars cjus. Principe d’où saint Athanase dégageait une loi supérieure de sagesse. « Il était inconvenant que des créatures douées de raison et admises à la participation du Verbe périssent et, par la corruption, retombassent dans le néant. Car il n'était pas digne de Dieu que ses œuvres fussent détruites par la fraude du démon… A quoi bon leur donner l'être au commencement ?… S’il n’avait pas créé l’homme, personne ne songerait à l’accuser de faiblesse ; du moment qu’il l’a fait et créé pour être, il serait tout à fait absurde qu’il pût périr, et plus encore sous les yeux de son auteur… C’est chose indécente et indigne de l’excellence de Dieu. » De inc. Verbi, 6, P. G., t. xxv, col. 108. Cf. ibid., 13, col. 117-120.

Devant le même problème saint Anselme invoque l’immutabilité de la providence divine, qui lui interdirait de consentir à l'échec de ses plans. Voir Cur Deus homo, ii, 4-5, P. L., t. clviiii, col. 402-403 : Aul hoc de humana natura perficiel Deus quod incœpit aul in vanum frc.it tarn subliment raturam ad tantum bonum. Al… valde alienum est ab eo ut ullam rationalem naturam penitus prrirr sinat… Non enim illum latuit quid homo faclurus eral cum illum fecil et lamrn bonilalr sua illum creando sponte se ut perficeret incœptum bonum quasi obligavlt….Wccs.se est [ergo ] ut bonitas Dei, propter immutabilitatrm suam, pcrficial de homine quod incœpit, quamvis tolum sil (jralia bonum quod far.it.

2. Critique.

A cette dialectique s’oppose le sentiment chrétien élémentaire, d’après lequel notre rédemption doit être considérée, non pas seulement comme un effet de cette essentielle bonitas qui caractérise ontologiquement l'Être divin, mais encore comme un acte absolument gratuit de miséricorde et d’amour.

Impression établie sur les données les plus certaines de la révélation. Cf. Rom., iii, 24 ; Eph., ii, 8.

Il n’est pas trop malaisé d’apercevoir, en effet, que, dans l’hypothèse d’une ruine définitive de l'édifice surnaturel, aucun attribut de Dieu, à strictement parler, ne serait en cause. Car il avait fait entrer dans ses plans la liberté humaine, avec tout le surcroît de gloire mais aussi avec l’aléa qu’elle comportait. L’homme donc, bien entendu, n’a rien à réclamer, dès là qu’il est seul responsable de son infortune, et Dieu lui-même est à couvert, puisque la catastrophe est imputable à une défaillance prévue, mais qu’il n'était pas tenu d’empêcher. Voir Incarnation, t. vii, col. 1475-1476.

D’autant que les ressources de l’ordre naturel ne laissaient pas de subsister à titre de compensation. État suffisamment normal, en dépit de son infériorité relative, pour constituer un ordre digne encore de Dieu et permettre à l’homme d’atteindre sa fin.

3. Thèse de la convenance.

Si la rédemption de l’humanité n'était pas nécessaire, elle peut et doit être, à tout le moins, regardée comme souverainement convenable. Ni Athanase ni Anselme ne voulaient peut-être dire autre chose : toujours est-il que la théologie catholique s’en tient à cette transaction.

Congruenlissimum fuit, enseigne saint Thomas, In 7/7um Sent., dist. XX, q. i, a. 1, sol. 1, édit. Vives, t. ix, p. 301, humanam naturam, ex quo lapsa fuit, reparari, quia in hoc manifeslatur misericordia Dei, poteniia et sapienlia : misericordia quidem sive bonilas, quia proprii plasma ! is non despexit in/irmilalem : poteniia vero in quantum ipse omnium noslrum defectum sua virtute vieil ; sapienlia autem in quantum nihil frustra fecisse invenitur. Convenicns etiam fuit quantum ad humanam naturam, quia generaliler lapsa erat. Similiter etiam ex perfeclione universi, quod totum quodammodo ad salutem hominis ordinatur.

Ainsi encore saint Bonaventure, In III uln Sent., dist. XX, art. unie, q. i, édit.deQuaracchi, t.m, p.417418, qui, sans négliger les autres, donne plus de place aux considérations anthropologiques : Absquc dubio congruum est et decens reparari genus hunumum, non solum ex parle Dei, sed etiam ex parte hominis…, si consideretur dignilas hominis condili et modus labendi et status lapsi. Dignilas namque hominis lanta eral ut propter ipsum jacta sunt universa… Modus vero labendi fuit quod humana natura lolaliler cecidil, alio peccante et alio suggerenie… Status etiam hominis lapsi reparalioni congruit, quia in Mo slalu simul fuit pœnitentia cum miseria.

D’un point de vue théologique plus général, pour mieux affirmer la sagesse de la Providence et l’harmonie de ses plans, de bons théologiens estiment qu’il est plus opportun aujourd’hui que jamais de remettre l'élévation primitive du genre humain dans les perspectives de la rédemption qui devait en renouer le fil. Sans qu’il y ait un rapport nécessaire entre ces deux étapes de l'économie surnaturelle, il devient moins difficile de comprendre la précarité de la première à mesure que la seconde en apparaît d’une manière plus directe, dans les desseins éternels de Dieu, comme la reprise et le complément. Voir A. Verriele, Le surnaturel en nous et le péché originel, 2e éd., Paris, 1934, p. 102-131.

On s’explique d’ailleurs assez bien que pareille grâce de relèvement n’ait pas été faite aux anges. C’est que la volonté de l’homme est naturellement mobile, tandis que l'être angélique, parce que plus parfait, se fixe pour toujours dans chacune de ses décisions. Il y avait aussi lieu de tenir compte que les anges étaient déchus par suite d’un acte personnel, tandis que le genre humain fut compris par solidarité dans la faute d’Adam.

Modalités du plan divin.

 Aux différents décrets

dans lesquels se décompose logiquement l’exécution de l'économie rédemptrice il faut appliquer la même solution.

1. Problème de la satisfaction.

En admettant que Dieu voulût racheter les pécheurs, devait-il exiger d’eux une satisfaction ou pouvait-il procéder par voie de condonation plus ou moins complète à leur endroit ?

a) Nécessité ? — D’après l’archevêque de Cantorbéry, Cur Deus homo, i, 15, P. L., t. ci.vm, col. 381, on serait ici acculé à la stricte alternative : Salisfaclio aul peena. Et cela du côté de l’homme aussi bien que de Dieu : Sine salis/actione, id est sine debili solutione sponlanea, nec Deus potest peccatum impunilum dimittere, nec peccalor ad beatitudinem vel talem qualem habebal antequam peccaret pervenire. Ibid., i, 19, col. 391. Ce qui s’entend, au surplus, d’une satisfaction adéquate au péché : Hoc quoque non dubilabis… quia secundum mensuram peccati oportet satisfaclionem esse. Ibid., i, 20, col. 392 ; cf. i, 21, col. 394 : Palet quia secundum quanlilatem peccali | exigii Deus salisfactionem.

Vrai du repentir, ce raisonnement ne l’est pas de la satisfaction, qui reste soumise à la souveraine liberté de Dieu. Si voluisset absque omni salisfaclione hominem a peccato liberarc, contra justitiam non fecisset. Ille enim judex non potest salua justitia culpam sine peena dimiltere qui hubet punire culpam in alium commissam… Sed Deus non habet aliquem superiorem, sed ipse est supremum et commune bonum lolius universi. Et ideo, si dimillal peccatum, quod habcl rationem culpie ex co quod contra ipsum commiltitur, nulli facit injuriant. Thomas d’Aquin, Sum. th., III », q. xlvi, a. 2, ad 3um. Voir Incarnation, t. vii, col. 1476-1478.

A plus forte raison en cst-il ainsi lorsque, avec la théologie protestante, on identifie satisfaction et expiation, jusqu'à vouloir que le péché ne puisse être remis sans que la peine en soit acquittée par le coupable lui-même ou par un substitut. « Personne parmi les catholiques ne soutiendra que la miséricorde soit impuissante ou que Dieu ne puisse pardonner sans avoir calmé les exigences de sa justice. » Éd. Ilugon, Le mystère de la rédemption, 6e éd., p. 267.

b) Convenance. — On s’en tiendra donc, ici encore, à penser qu’une satisfaction était convenable, soit du côté de Dieu pour mieux établir la majesté de ses droits, soit du côté de l’homme pour qu’il pût se sentir pleinement réhabilité.

C’est dans ce sens que saint Thomas transpose les thèmes anselmiens. Voir In IIIum Sent., dist. XX, q. i, a. 1, sol. 2, édit. Vives, t. ix, p. 301-302 : Congruum etiam fuit quod natura humana per satisfaclionem repararetur. Primo ex parle Dei, quia in hoc divina justitia manifeslatur quod culpa per pœnam diluitur. Secundo ex parte hominis, qui satisfaciens perf retins integratur : non enim tantx gloriæ essel posl peccatum quanta : erat in statu innocentiæ si non plenaric salis fecisset… Tertio etiam ex parte universi, ut scilicet culpa per pœnam satisfactionis ordinetur et sic nihil inordinatum in universo rémanent. Ainsi Bonaventure, In /// u ' « Sent., dist. XX, art. unie, q. ii, édition de Quaracchi, t. iii, p. 419-422.

En vertu de l’adage : Accessorium sequitur principale, il va de soi que la question de degré ne comporte pas d’autre réponse. Une satisfaction adéquate à la faute ne saurait être que de meliori bono.

2. Problème de l’incarnation.

Si une satisfaction devait avoir lieu, on peut subsidiaircment rechercher par quel moyen. Ce qui revient à déterminer si la médiation du Fils de Dieu fait homme ne s’imposerait pas en droit, vu la grandeur du péché, comme elle fut adoptée en fait.

a) Nécessité absolue ? — De ses prémisses relatives aux conditions rationnelles de la satisfaction saint Anselme concluait logiquement à la nécessité de l’incarnation pour notre salut.

Nondum considerasti, répliquait-il à Boson, quanti ponderis sit peccatum ; et il l’amenait à concéder que le pécheur est incapable de réparer le mal qu’il a commis, soit parce que déjà il doit à Dieu tout ce qu’il possède, soit parce que son péché participe à l’infinité même de celui qu’il atteint. Cur Deus homo, i, 20-21, P. L., t. CLVlll, col. 392-391. Étant donné pourtant que Dieu ne saurait renoncer ni à racheter les hommes, ni à réclamer de leur part une satisfaction intégrale, il s’ensuit qu’on doit chercher celle-ci en dehors de l’humanité. Voir ibid., Il, 6, col. 404… Non ergo potest hanc salisfaclioncm facere nisi Deus… ; sed nec facere illam de bel nisi homo… Ergo… necesse est ut eurn facial Deus homo.

Qui ne sait pourtant que l’incarnation est présentée dans l'Écriture comme le don de Dieu par excellence ? Cf. Joa., iii, 16 ; Eph., ii, 4-5 ; I Joa., iv, 10. A rencontre de cette donnée fondamentale aucun syllogisme ne saurait prévaloir. Qu’il n’y eût pas de moyen plus propre que l’incarnation à faire éclater la gloire de Dieu et à réaliser notre salut, tout le monde en convient ; mais rien ne permet d’aller plus loin.

La tradition de l'Église en la matière est fixée par la parole classique d’Augustin, De Trin., XIII, x, 13, P. L., t. xlii, col. 1024 : Non alium modum possibilem Dco defuisse… ; sed sanandie nostræ miseriie convenienliorem modum alium non fuisse. A son tour le Docteur angélique de se l’approprier, Sum. th., III a, q. i, a. 2, pour montrer longuement la convenance de l’incarnation par les divers bienfaits qu’elle nous procure, soit quantum ad promolioncm hominis in bonum, soit ad remolionem mali, non sans observer que son énuméralion n’a rien de limitatif : Sunt autem et alise plurimie ulilitates quæ conseculæ sunt supra apprehensioncm sensus humani. Développement à l’art. Incarnation, t. vii, col. 1463-1470.

Tant s’en faut, d’ailleurs, que la dialectique anselmienne soit sans réplique sur son propre terrain. On peut, en effet, concevoir que l’homme trouve dans sa vie religieuse et morale, sous la forme soit d’actes surérogatoires soit d’une intention nouvelle imprimée aux actes déjà dus, la matière d’une réparation au moins inadéquate, et il n’est aucunement établi que Dieu ne s’en puisse contenter.

b) Nécessité hypothétique ? — Tout au plus cst-il possible d’admettre, avec saint Thomas, Sum. th., IIl a, q. i, a. 2, ad 2um, que l’incarnation était nécessaire dans l’hypothèse où une réparation intégrale serait exigée du pécheur.

Soit la gravité propre du péché soit l’immensité de ses ravages semblent, en effet, requérir, pour que la satisfaction fût proportionnée au désordre, un acte d’une valeur infinie, tel que seul un Dieu fait homme pouvait le fournir : Aliqua satisfaclio potest dici… condigna per quamdam adœquationem ad recompensalionem culpæ commisse. El sic hominis puri satisfaclio sufficiens esse non potuit pro peccato, lum quia tota humana natura erat per peccatum corrupla…, tum eiiam quia peccatum contra Deum commissum quamdam infinilalem habet ex infinitate divinx majestatis. Solution théologiquement aussi fondée que favorable au sens religieux. Cf. [nomination, col. 1478-1482.

Encore s’agit-il là d’une thèse proprement thomiste, contestée sur toute la ligne par l'école de Scot, roi. 1951, et dont, par conséquent, l’incontestable crédit laisse toujours une porte ouverte à la discussion,

3. Problème de la passion.

On ne doit pas moins sauvegarder la liberté divine en ce qui concerne l'œuvre du Verbe incarné.

a) Nécessité ? — Presque inévitablement le système de l’expiation conduit à réclamer comme nécessaire la souffrance du Sauveur. Dès là qu’une peine était méritée par les pécheurs et que Dieu a voulu les en dispenser, on conclut qu’elle devait être acquittée par le Christ, et cela, pour que la justice fût complète, jusqu'à la mort inclusivement. Les textes scripturaires qui semblent parler d’un précepte de mourir imposé à Jésus ont paru corroborer ces inductions.

Telle est la position systématiquement adoptée par la plupart des protestants. Même chez nous, il n’est pas rare d’entendre invoquer, tout au moins modo oratorio, les exigences d’un ordre aux termes duquel, pour être efficacement conjuré, l’effet de la justice divine a dû être détourné avec toutes ses suites pénales sur la personne du médiateur.

Mais c’est un point de doctrine catholique à tenir que la mort du Christ n'était nullement nécessaire, en soi, pour nous racheter. Cf. Thomas d’Aquin, Sum. th., III a, q. xlvi, a. 1-2. A cet égard, aucun précepte, quelle que soit l’interprétation qu’on préfère des textes qui paraissent l'énoncer, voir Jésus-Cihust, t. viii, col. 1297-l.ii) 1.>, n'était strictement requis du chef de la rédemption. D’après le dilemme anselmicn : aut satisfaclio aut pœna, l’oeuvre du Sauveur, au lieu d’en comporter l’acquittement, fut, au contraire, une compensation de la peine qui nous attendait.

Il faut en dire autant de la passion tout entière. En effet, selon saint Thomas, ibid., a. 5, ad 3um, secundum sufficientiam una minima passio Christi suffccissel ad redimendum ge.nus humanum ab omnibus peccalis. Principe que ses commentateurs étendent à « la moindre opération » du Fils de Dieu, « même celle qui n’exige aucune peine ». Éd. Ilugon, Le mystère de la rédemption, p. 99. Cf. L. Billot, De Verbo inc, 5e édit., p. 1<S2 : Verissimum est quod, attenta personw dignilate, minimum opus satisfaclorium sufficiebal ad compensanda peccala tolius mundi et ultra. De telle sorte qu’en définitive « Jésus pouvait nous sauver par un seul acte d’amour et de réparation ». J.-V. Bainvel, Nature et surnaturel, Paris, 1903, p. 270. Position classique s’il en fût, qui sunpose le rôle secondaire de l’expiation pénale, col. 1939, en même temps qu’elle sert à le mettre en relief.

b) Convenance. — Ainsi que tout le reste de l'économie rédemptrice, la passion et la mort du Christ ne peuvent se justifier que par des raisons de convenance. Elles sont, d’ailleurs, aussi variées que faciles à découvrir.

Généralement on pense tout d’abord à l’expiation du péché, qui est plus complète et plus saisissante, à n’en pas douter, quand elle comporte la douleur. Bien de plus juste, à condition de ne pas dépasser la mesure dans l’expression et de ne pas vouloir que cette raison soit la seule ou nécessairement la plus capitale. Mystiques et simples croyants ont toujours demandé cette leçon au « chemin de la croix ». Ils peuvent se réclamer de saint Thomas, qui, non content d’analyser en détail les souffrances du Christ, Sum. th.. II l a, q. xlvi, a. 5-8, les explique incidemment, ibid., q. xi.vn, a. 3, ad lum, par l’intention de faire apparaître cette Dei severitas qui peccatum sine pœna dimitkre noluil. Thème assez lonauement développé dans Opusc, i, 231 et ii, 7, Opéra omnia, édit. Vives, t. xxvii, p. 99-100 et 136138.

Il y a pareillement lieu de faire valoir, avec le Docteur angélique, Sum. th., Ill a, q. xi.vi, a. 6, ad (><iin, le surcroît de plénitude objective que cette préférence pour la voie douloureuse confère à l'œuvre rédemptrice jusque dans l’ordre humain : Non solum attendit Christus quantam virtutem dolor ejus haberet ex dtoinilale imita, sed etiam quantum (hlor ejus sufficerel secundum humanam naturam ad lanlam salisfac

iionem. Et ce texte a paru digne de remarque à ses commentateurs les plus récents. Voir Hugon, Le mystère de la rédemption, p. 100. Cf. ibid., p. 94-95. et P. Synave, Saint Thomas d’Aquin : Vie de Jésus, t. iii, p. 244-245.

Mais la considération la plus féconde est encore celle des biens dont la passion est visiblement la source pour nous dans l’ordre de notre vie morale et religieuse. Voir, par exemple, les indications fournies par saint Thomas, Sum. th., IIi a, q. xlvi, a. 3 : Per hoc quod homo per Christi passionem est liberatus mulla concurrerunt ad salulem hominis præter liberalionem a peccato. Primo enim per hoc homo cognoscit quantum Deus hominem diliyat et per hoc provotatur ad eum diligendum. .. Secundo quia per hoc dédit nobis exemplum obœdientiæ, hun.iililalis, conslantise, jusliliæ et celerarum viitutum… Quarto quia per hoc esthomini inducla major nécessitas se immunem a peccato conservandi… Cf. S. lïonaventure, In IIlum Sent., dist. XX, q. v et vi : Brev., iv, 10.

Quel qu’en soit l’objet, ces vues spéculatives sur la raison d'être du plan divin partent des données acquises par la révélation, en vue d’y montrer l’application d’une loi rationnelle d’ordre et de sagesse. A ce titre, elles sont légitimes et bienfaisantes, pourvu que, sous prétexte de satisfaire un vain besoin de logique, on ne veuille pas introduire une illusion de nécessité dans une économie dont l’amour de Dieu est le premier et le dernier mot.


VI. Effets de la rédemption. - —

Il reste, pour obtenir un concept intégral de l'œuvre rédemptrice du Christ, à tirer au clair la notion exacte et l’aire de son efficacité. C’est, au demeurant, plutôt par ses fruits qu’elle s’exprime dans les sources primitives de la foi. A suivre la marche inverse, qui est celle de la science, la synthèse théologique ne fait qu’achever de mettre en pleine lumière la compréhension et l’extension du donné.

Mode d’action.

Parce qu’elle a un sens objectif,

les premiers effets de la Rédemption, et les plus importants, se produisent en dehors de nous. C’est tout d’abord devant Dieu qu’elle compte et qu’il faut donc en marquer au juste le rôle comme facteur dans la réalisation de ses décrets.

1. Déformations polémiques. -- A qui mieux mieux les adversaires de l’orthodoxie ecclésiastique inscrivent à son passif les plus lourdes charges en vue de la discréditer. Mais il suffit d’un minimum d’objectivité pour réduire ces mythes polémiques à néant.

C’est ainsi que la rédemption n’a pas pour but de réconcilier en Dieu les prétentions contradictoires de sa justice qui doit punir et de sa miséricorde qui voudrait pardonner. Après D.-Fr. Strauss, Die christliche Glaubenslehre, Tubingue et Stuttgart, 1841, p. 260261, A. Sabatier, La doctrine de l’expiation, p. 53-54, et d’autres subalternes ont raillé ce « parallélogramme des forces » dont « la diagonale de la satisfaction vicaire i serait l’aboutissement. Sans doute le conflit des « filles de Dieu » tient une grande place, par manière de pieuse imagination, dans la littérature oratoire ou dramatique du Moyen Age : mais i ! ne devait prendre une certaine consistance doctrinale qu’avec la Réforme. En réalité, pour une saine théologie, le problème n’existe pas. Ces sortes d’oppositions, qui déchirent nos volontés imparfaites en présence d’actes aux multiples aspects, se résolvent en harmonie dans la simplicité de l'Être absolu.

Il n’y a pas non plus à objecter que notre Rédempteur ne saurait agir sur Dieu à la façon d’une cause extérieure qui viendrait le réconcilier pour ainsi dire de force avec nous et lui arracher notre pardon. Au regard de la théodicée chrétienne la plus rudimentaire, en effet, il est certain que Dieu nous aime de toute

éternité et que c’est précisément pourquoi il veut faire miséricorde aux pécheurs. De cet amour l’avènement de son Fils n’est pas la cause, mais le signe et la preuve. Il dépend ensuite du théologien d’appliquer à l’analogie de la réconciliation la via remotionis et la via cminenliæ qui sont de rigueur.

On n’imaginera pas davantage un antagonisme entre le Père et le Fils, celui-là représentant la justice tandis que celui-ci incarnerait la pitié. Car les trois personnes divines sont dans les mêmes dispositions envers nous et le décret de notre rédemption procède, à n’en pas douter, de leur commun vouloir. Il faut rectifier au nom de ces principes du dogme trinitaire les anthropomorphismes du langage populaire et les outrances de certaines prédications.

2. Vraie notion.

Une fois le terrain ainsi déblayé de ces confusions grossières non moins que tendancieuses, il n’est pas impossible de concevoir que l'œuvre du Rédempteur puisse être un agent efficace dans la genèse objective du salut.

Le sens nécessaire et suffisant de la foi chrétienne est que Dieu, plein d’amour pour les hommes, désireux de remettre leurs péchés et de les rétablir dans leur destinée surnaturelle, a décrété comme condition préalable la vie et la mort de son Fils. De la sorte, aussi bien devant Dieu que devant les hommes, la mission du Sauveur, qui est un effet de l'éternelle bonté, devient en même temps une cause à laquelle en est désormais subordonnée la manifestation.

Notre rédemption par le ministère du Sauveur a donc pour unique point de départ l’initiative de Dieu. ('.uni homo, dit saint Thomas, Sum, th., III a, q. xlvi, a. 1, ad 3, llii, per se satisfacere non posset pro peccato tolius humanse naturse…, Deus ei satis[aclorem dedit Filium suum. Mais, comme c’est en prévision et en dépendance de ce don initial que la grâce nous est ensuite octroyée, on peut et doit dire que la médiation du Christ sert à nous réconcilier avec celui qui nous en accorde le bienfait. Voir ibid., q. xi.ix, a. 4 : Tantum bonum fuit quod Christus volunlarie passus est quod propter hoc bonum in natura humana inventum Deus placatus est super omni offensa generis humani.

Pour qualifier, en définitive, le genre d’efficacité qui convient à l'œuvre du Rédempteur, il faut, par conséquent, dire qu’elle est une cause morale, comme suffirait à l’indiquer le terme de médiation qui la désigne, et cause dont Dieu lui-même est, au surplus, le premier auteur, mais dont il ne tient pas moins compte, après l’avoir établie, pour faire découler de son intervention les faveurs qu’il nous réservait.

Objet.

De la rédemption ainsi entendue l’action

s'étend à l’ensemble de l’ordre spirituel, où les « yeux de la foi », plus encore que les perceptions de l’expérience, en découvrent l’ampleur.

1. Réalités de l'économie surnaturelle. — C’est toute une création nouvelle que le dogme chrétien fait apparaître, de ce chef, à la plus grande gloire de celui qui en est l’ouvrier.

a) Le monde racheté. — Sous le bénéfice des précisions qui en ont défini le jeu, il est aisé de voir comment l’efficience de l'œuvre rédemptrice couvre l’immense domaine du surnaturel qui nous est rouvert par sa vertu.

Elle est d’abord le principe de notre justification. Ce qui comporte en premier lieu la fin de l’inimitié divine et, avec elle, de toutes les sanctions, tant de la coulpe que de la peine, qui pesaient sur le genre humain du chef de son péché. Sum. th., III B, q. xlix, a. 1-5. Mais l'Église ne se contente pas ici de l’amnistie extérieure qui suffisait aux protestants : pour elle, cette rémission de nos fautes ne va pas sans une régénération intime de l'être spirituel, qui assure à l'âme rachetée le privilège d’une participation mystérieuse 1983 RÉDEMPTION. EFFETS DANS LOKDRE EXPERIMENTAL 1984

à la vie même de Dieu. Voir Justification, t. viii, col. 2217-2224. L'œuvre du Christ est plutôt caractérisée par le terme de satisfaction quand elle est envisagée sous le premier aspect et de mérite sous le second. Cf. Sum. th., III », q. XLVI ; a. 3e t q. xlviii, a. 1-2.

Comment l’homme, une fois justifié, pourrait-il ne pas avoir une activité en conséquence ? Operalio sequitur esse. Logique avec elle-même, la foi catholique lui reconnaît le pouvoir de produire à son tour des œuvres salutaires, qui lui confèrent un titre des plus authentiques à la faveur divine. Voir MÉRITE, t. x, col. 774784. Il n’en fallait pas moins pour réparer les suites de la chute, qui avait à jamais paralysé ses énergies dans l’ordre supérieur auquel Dieu l’avait destiné. Mais la réparation fut assez grandiose pour dépasser en splendeur l'édifice primitif, au point que l'Église nous invite à chanter : O felix culpa ! O vere necessarium Adx peccalum !

Au demeurant, cette restauration n’atteint pas seulement les individus. L'Église, avec la puissance de sanctification dont elle dispose et les fruits de sainteté qui la distinguent, en est le suprême épanouissement. Voir Église, t. iv, col. 2150-2155 ; JésusChrist, t. viii, col. 1359-1361. Détourné de sa fin par le péché, l’univers moral retrouve en mieux, à titre corporatif, les moyens de la remplir.

Non moins qu’avec son corps visible, il faut également compter enfin avec l'âme de l’Iïglise, c’est-à-dire tout ce que représente de valeurs l’influence directe ou indirecte du christianisme dans le monde actuel, ainsi que les biens attachés par la Providence à la pratique de l’ancienne Loi, judaïque ou naturelle. Voir Capéran, Le problème du salai des infidèles. Essai théologique, nouvelle édition, Toulouse, 1934. Ce qui, en un sens très réel, étend la grâce de la rédemption à l’ensemble de l’humanité.

b) Le Rédempteur du monde. — C’est dans le cadre de ce tableau que la figure du Rédempteur prend ellemême ses véritables proportions.

Dans sa propre personne d’abord, au terme de son ministère ici-bas, le Christ retrouve, aux côtés du l'ère, la gloire qu’il avait au commencement. Joa.. xvii, 5. Assis « à la droite de Dieu », Marc, xvi, 19 ; Act., vii, 55 ; cf. Ps. ex, 1, il y est élevé au sommet de la puissance, Apoc, v, 12-14, et associé au règne du Père, en attendant son retour comme juge universel et son triomphe définitif sur ses ennemis. Joa., v, 23 ; I Cor., xv, 24-20. Or cette gloire, entre autres caractères, a celui d'être la récompense de ses abaissements. Luc, xxiv, 20 ; Phi]., ii, '.Ml. lui proclamant la suprême royauté spirituelle du Sauveur, cf. S. Thomas d’Aquin, Sum. th., III a, q. i.vii-i.ix, la théologie catholique ne manque pas de retenir qu’il se l’est méritée par sa passion. Ibid., q. xlix, a. ; q. lui, a. 1 et a. 4 ad 2°"* ; q. lix, a. 3. Voir Jésus-Christ, t. viii, col. 1325-1327 et 1355-1359.

Mais, au lieu d'être un honneur stérile, cette glorification se double d’une activité qui ne connaît plus désormais les limitations et les entraves de la terre. C’est alors que le Christ entre en possession effective de la gratia capilis qu’il tenait de son incarnation.

1 Par lui et en lui toutes choses ont été faites », Col., 1, 6. Il suffit de croire que le Christ est le Fils de Dieu pour admettre que, de toute la création spirituelle, il soit « l’alpha et l’oméga, le commencement et la fin », Apoc, xxii, 13, c’est-à-dire non seulement, pour son compte personnel, le « bien-aimé en qui le l'ère met ses complaisances », Matlh., xvii. 5, mais 1' « aîné de plusieurs frères » qui reçoivent de lui « l’esprit d’adopl i"ii », Rom., viii, 15 et 29, pour former « un peuple de choix assidu aux bonnes œuvres », TH., ii, 14, et deviennent capables à leur tour d’honorer Dieu, I l’etr., 11. 1-5, par des sacrifices qui participent au rôle et au prix du sien.

De la vie surnaturelle qui nous est ainsi rendue le Christ, en même temps que l’initiateur lointain, est encore l’agent immédiat. Type idéal de l’humanité nouvelle qu’il réalise en sa propre personne, il ne cesse de produire la même régénération, par son influx vital, en tous ceux qui lui sont effectivement unis. Plus encore dans l’ordre des réalités invisibles que sur le plan de l’histoire, il est le mystique ferment toujours actif qui fait lever la pâte humaine vers Dieu. La doctrine de l'état de grâce, incorpore la notion du salut chère aux Pères arecs. Cf. col. 1938. Voir L. Richard, Le dogme de la rédemption, p. 82-92 et 179-188.

En tant qu’elle inaugure et préfigure cette œuvre positive de sanctification, l’incarnation par elle-même est déjà rédemptrice au sens large. Mais, dans le plan actuel de la Providence, elle est ordonnée vers la passion, qui lui permet seule d’agir sur les âmes, parce qu’elle est seule prévue comme le fait générateur de notre rédemption au sens précis.

Sous ce double rapport, le Christ est « l’unique médiateur entre Dieu et les hommes », I Tim., ii, 6. Toute la sève divine qui peut couler ici-bas vient de lui et de lui seul. Joa., xv, 4-5. De même il n’est pas sur la terre de sainteté, commune ou extraordinaire, dont ses mérites ne soient la source, pas d'œuvre agréable à Dieu dont il 11c faille le reconnaître pour le premier agent. In quo vioimus, proclame le concile de Trente à propos de la pénitence, sess. xiv, c viii, DenzingerBamrwart, n. 904, in quo movemur, in quo satisfacimus, /acienles fructus dignos pienilenlise, qui ex Mo vim habe.nl, ab Mo offeruntur Patri et per Mum acceplantur a Pâtre. Voir Jésus-Christ, t. viii, col. 1335-1353.

Marie, en particulier, n’a de privilèges qui ne lui soient accordés, tout comme celui de l’immaculée conception, Denzinger-Rannwart, n. 1641, inluilumerilorum Christi, parce que, suivant la formule classique de Pie IX (bulle. Inc/Jabitis), elle est d’abord ellemême sublimiori modo redempla. Sa médiation, quelle que soit la manière de l’entendre, voir Marie, t. ix, col. 2389-2405, ne saurait être concevable qu'à ce titre dérivé.

C’est pourquoi l'Église n’adresse jamais à Dieu de prière, en somme, qu’au nom du Christ et, lorsqu’elle répartit à ses enfants quelques faveurs, ne fait que monnayer, Denzinger-Bannwart, n. 550-552, le trésor qu’elle tient de lui. Si la messe est un sacrifice, elle le doit, comme l’expose officiellement le concile de Trente, sess. xxii, c. 1-11, ibid., n. 938-940, à ce qu’elle est une reproduction et une application du sacrifice unique de la croix.

Enfin l'œuvre du Rédempteur déborde le temps, de manière à se poursuivre, sous forme d’intercession, Rom., viii, 34 ; Hebr., VII, 25 ; I Joa., ii, 1, jusque dans l'éternité. Voir Jésus-Christ, t. viii, col. 1335-1342.

2. Réalités de la vie chrétienne.

Il s’en faut, du reste, que, dans ce rayonnement ontologique du surnaturel, le domaine psychologique soit sacrifié.

Le bénéfice de la rédemption, en effet, n’est pas et ne saurait être automatique : il est dans l’ordre que chacun n’en reçoive le fruit que moyennant son libre concours. Cf. Sum. th., 111°, q. xlix, a. 1 et 3. Par où l'Église entend notre collaboration la plus complète d'êtres humains, c’est-à-dire non seulement la foi mais les œuvres qu’elle inspire. Voir Justification, t. viii, col. 2211-2217. Ainsi les mérites et satisfactions du Christ deviennent un point de départ au lieu d’un point d’arrêt : c’est le dogme même de la rédemption qui demande, loin de les exclure, le repentir du pécheur et son effort personnel de relèvement.

En exigeant cette coopération, le Christ nous met, du rcsle, en mesure de la fournir. L’action secrète de sa grâce ne s’aceompagne-t-elle pas d’une autre, sur le terrain de notre activité consciente, où toutes nos

facultés spirituelles trouvent à la fois un stimulant et un secours ?

Mais il n’est pas d’âme loyale qui n’ait le sentiment de son insuffisance. Quel homme ici-bas peut se rendre le témoignage de n’avoir pas défailli dans la réparation du mal ou la pratique du bien ? Et qui voudrait se persuader que nos actions les meilleures sont adéquates à ce que Dieu est en droit d’attendre de nous ? Par la solidarité qui nous unit au Christ, la rédemption nous permet d’abriter ces inévitables misères derrière son infinie sainteté. De telle sorte que celle-ci, en même temps qu’elle valorise objectivement nos humbles mérites, a pour effet subjectif d’en révéler tout à la fois et d’en combler le déficit. C’est là sans nul doute, aussitôt qu’on accepte le Christ comme Rédempteur au sens de l’Église, que se vérifie pour la conscience inquiète du pécheur le résultat le plus précieux de sa médiation.

Est-il besoin d’observer que ces bienfaits de l’œuvre rédemptrice dans l’ordre de la vie religieuse s’ajoutent, sans les supprimer, à ceux que les psychologues les moins croyants s’accordent à lui reconnaître dans l’ordre purement moral ? Le Christ est toujours le maître dont les préceptes et les exemples font le guide par excellence de l’humanité sur les voies du redressement ou de la perfection.

Ces divers profits que le chrétien peut retirer de la rédemption n’en seraient pas moins bornés et précaires sans la foi à son rôle objectif dans le plan divin du surnaturel, qui leur donne seule plénitude et solidité.

Sujet.

En connexion avec d’autres problèmes,

on s’est parfois demandé quels sont les bénéficiaires de la rédemption. Voir B. Dôrholt, Die Lehre von der Genuglhuung Christi, p. 305-376. Débats pour une large part aujourd’hui périmés, qui n’en méritent pas moins quelques mots de rappel.

1. Universalité des hommes.

Par le fait de proclamer que le Fils de Dieu vint au monde propler nus et propler nostram salutem, le symbole indique où il faut avant tout chercher la sphère de son action. Mais, dans cet ordre, n’y aurait-il pas à la limiter ?

a) Question de principe. — Contre toutes les formes de particularisme, l’Église enseigne que l’œuvre rédemptrice ne comporte, en elle-même, aucune exception.

Déjà la controverse prédestinatienne du ix<e siècle soulevait, à titre complémentaire, la question de savoir si le Christ est ou non mort pour tous. "Noir Prédestination, t.xii, col. 2904-2905 et 291 7-291 X. Non sans une certaine confusion qui tenait à la divergence des écoles, ibid., col. 2920-2935, les conciles de l’époque, dont les plus saillants furent ceux de Quierzy (853) et de Vaience (855), tendaient à dire que la portée de l’œuvre rédemptrice ne connaît pas d’autres limites que celles que lui impose la résistance des pécheurs endurcis. Textes dans Denzinger-Bannwart, n. 319 et 323-324. Pour l’interprétation, cf. Augustinisme, t. i, col. 2528-2530. Telle est aussi la ligne tracée par le concile de Trente, sess. vi, c. ni, dans Denzinger-Bannwart, n. 795 : Etsi Me pro omnibus mortuus est, non omnes tamer. mortis ejus beneficium recipiunl, sed ii dumtaxat quibus meritum passionis ejus communicatur.

Avec Jansénius, Augustinus, III, iii, 21, l’universalité de la rédemption allait être nettement soumise à des restrictions, conformes à son système de la grâce, qui revenaient à la nier. Voir Jansénisme, t. viii, col. 398-399. L’Église jugea bon d’intervenir. D’où la 5e des fameuses propositions condamnées par Innocent X (1653), dans Denzinger-Bannwart, n. 1096 : Semipelayianum est dicerc Christum prn omnibus omnino hominibus morluum esse aut sanguinem (udissc. Elle est qualifiée de « téméraire, fausse et scanda leuse » dans son sens obvie, voire même d’ « hérétique » si l’on entendait qu’il s’agit de limiter l’œuvre du Christ aux seuls prédestinés. Pour le commentaire, voir Jansénisme, t. viii, col. 492-494. De même furent censurées plus tard les thèses plus cauteleuses qui restreignaient par prétention le bienfait de la mort du Sauveur aux « seuls fidèles », Denzinger-Bannwart, n. 1294, et à plus forte raison aux « élus », 32e proposition de Quesnel, ibid., n. 1382.

En maintenant ainsi, de la manière la plus ferme, que le Christ est mort « pour tous », et cela sans exception, l’Église reste fidèle à la doctrine expresse de saint Paul. Rom., v, 18 ; lCor., xv, 22, II Cor., v, 15 ; ITim., n, 6 et iv, 10. Cf. Matth., xviii, 11 ; Joa., i, 29 et vi, 51. Quant à l’expression pro multis de Matth., xx, 28 et xxvi, 28, qu’exploitaient volontiers les jansénistes, il est admis par l’exégèse moderne que cet hébraïsme suggère seulement l’idée d’un grand nombre, cf. Rom., v, 15, sans rien de limitatif. Voir Lagrange, Évangile selon saint Marc, 4e éd., 1929, p. 283.

Aussi bien la tradition ecclésiastique n’a-t-elle jamais sérieusement varié sur le fond. Preuve dans Petau, Z)e inc. Verbi, xiii, 2-12. La position de l’évêque d’Hippone est indiquée à l’article Augustin (Saint), t. i, col. 2370.

Du point de vue théologique, l’universalité de la Providence divine dans l’ordre surnaturel, voir GRACE, t. vi, col. 1595-1604, entraîne comme conséquence nécessaire l’universelle destination de la mort du Christ, qui, dans l’économie présente, en est l’unique moyen. Et il va de soi que, si elle est applicable à tous les hommes, la rédemption l’est aussi par le fait même, voir Incarnation, t. vii, col. 1506, à tous leurs péchés.

Ce principe dogmatique se traduit : au for externe, par l’attitude pratique de l’Église devant le problème des races et des castes, ainsi que par son perpétuel effort d’apostolat ; au for interne, par le droit qu’elle revendique d’étendre d’une manière indéfinie l’exercice du pouvoir des clefs.

b) Question d’application. — Ne fallait-il pourtant pas mettre cette doctrine d’accord, non seulement avec les démentis réels ou possibles de l’expérience, mais avec la perspective redoutable, ne fût-elle que théorique, d’un enfer éternel pour les damnés ?

Cette antinomie apparente entre le fait et le droit fut résolue sans peine. Une fois liquidées les suites de la controverse prédestinatienne, dès la fin du xiie siècle, cf. A. Landgraf, Die Unterscheidung zivischen Hinreiclien und Zuwendung der Erlôsung in der Frùhscholastik, dans Scholaslik, t. ix, 1934, p. 202-228, l’École s’est ralliée à la formule : Christus redemit omnes quantum ad sufj}rienliam, non quantum ad e/licientiam. Voir Pierre de Poitiers, Sent., IV, 19, P. L., t. ccxi, col. 1207 ; Simon de Tournai. Disp.. XXIII, édit. "Warichez, p. 77. Distinction non moins reçue de tous au courant du xiiie, ainsi que l’antithèse qui la traduit. Voir S. Thomas d’Aquin, In ///uni Sent, dist. XIX. q. i, a. 3, sol. 1 ; S. Bonaventure, In 1 1 /""> Sent., dist. XIX, a. 1. q. ii, ad l 1°’» et q. 3. Cf. F. Stegmiiller, Die Lehre vom allgemeinen Heilswillen in der Scholaslik, Rome, 1929.

2. Cas des anges.

Faut-il étendre à l’ordre angélique le bienfait dont l’universalité des hommes est admise à jouir ? Question liée à celle de la grâce des anges, au sujet de laquelle on discute, voir Anges, t. i, col. 1238-1241, pour savoir s’il y a ou non lieu de l’annexer au domaine de la gralia Christi.

La solution est corrélative à l’opinion qu’on adopte sur le motif déterminant de l’incarnation. Aussi l’école thomiste est-elle pour la négative et ne veut tout au plus rattacher à l’œuvre du Christ que la gloire accidentelle des esprits bienheureux, tandis que l’école

scotiste, suivie par Suarez, De inc, disp. XLII, sect. i, 1-13, fait dépendre du Verbe incarné, comme pour nous-mêmes, la totalité de leurs privilèges surnaturels. Voir Incarnation, t. vii, col. 1495-1506.

En tout état de cause, les esprits mauvais en sont exclus. Seul, pour les englober dans son système d’universelle apocatastase, Origène, voir t. xi, col. 15501553, imaginait que le Christ serait mort également pour eux, peut-être même qu’il devrait être crucifié de nouveau à cette fin dans un monde futur. Réveillée au cours des querelles du vie siècle, voir t. xi, col. 15761578, cette dernière conception fait partie des doctrines origénistes condamnées en 543, DenzingerBannwart, n. 209, par les ordres de Justinien. Mais la première n’est pas davantage compatible avec la tradition chrétienne, qui tient les démons pour irréductiblement obstinés dans le mal.

A renoncer au charme de problématiques hypothèses pour s’en tenir à la révélation et à ses données certaines, on ne risque d’ailleurs pas d’affaiblir l’importance de la rédemption. Même restreinte dans le cadre de l’humanité, le fait que l'œuvre du Christ est le moyen de rétablir le cours surnaturel de nos destinées la met au centre du plan divin tel qu’il nous est connu.


VII. Valeur de la rédemption. —

De même qu’elle se préoccupe de suivre pour ainsi dire en largeur l’efficience de la rédemption, la théologie catholique a souci de la scruter en profondeur. Voir Dorholt, op. cil., p. 376-500. Curiosité qu’autorise assurément le réalisme de la foi, mais que la nature du problème expose à rencontrer bientôt des obstacles impossibles à franchir.

Points certains.

A travers les systèmes qui

divisent l'École, on peut démêler au moins quelques données générales qui les dominent et, pour ce motif, s’imposent à tous.

1. Question de principe.

Il ne saurait y avoir le moindre désaccord sur l’idée fondamentale d’une perfection inhérente à l'œuvre du Christ qui, en principe, la proportionne adéquatement à sa fin. C’est ce que la langue technique, aussi facile à comprendre que difficile à remplacer, désigne en parlant de satisfaclio condigna et superabundans.

Lorsqu’on lit, par exemple, dans l'Écriture que nous sommes rachetés, sanctifiés ou justifiés par le sang du Christ, c’est-à-dire à peu près dans tous les textes qui énoncent le mystère de notre rédemption, et que ces assertions ne sont entourées d’aucune réserve, ne faut-il pas entendre qu’il y a dans cette cause une vertu propre qui la rend capable de produire par elle-même cet effet ? C’est pourquoi, dès la théologie patristique, voir col. 1937, s’affirme expressément, à l’occasion, l’idée d’une parfaite équivalence entre la mort du Christ et la dette des pécheurs. La scolastique ne prétend pas dire autre chose, au fond, par le terme abstrait de condignitas. Cf. Synave, Saint Thomas d’Aguin : Vie de Jésus, t. iii, p. 197 et 200, où il est noté que sufficiens est synonyme de « satisfaction adéquate » chez saint Thomas.

Dans son parallèle des deux Adam, Rom., v, 15-17, saint Paul, au surplus, n’cnscignc-t-il pas que l'œuvre salutaire du second dépasse l’action néfaste du premier ? Énoncé concret dont le concept de surabondance ne fait qu’expliciter analytiquement le contenu. L’adaptation qui eu est laite par saint Anselme à la mort du Christ. CUT Deus homo, ii, M, P. ].., t. c.lviii, col. 41 5. reste pour ainsi dire classique après lui. Témoin saint Thomas, Suiii. th., III a, q. xlviii, a. 2 et 4.

Sur le terrain des simples données religieuses, en dehors de toute prétention à des calculs décevants non moins qu’inutiles, on ne voit pas, en effet, ce qui pourrait manquer au sacrifice du Sauveur pour que

son offrande plaise à Dieu autant et plus que peuvent lui déplaire nos péchés. Christus, expose le Docteur angélique, ibid., q. xlviii, a. 2, ex caritate et obœdienlia paliendo, majus aliquid Deo exhibuit quani exigerel recompensatio lotius offensas humani generis : primo propter magniludinem caritalis ex qua patiebatur ; secundo propter dignitatem vilse suae… ; tertio propter generalitalem pussionis et magniludinem doloris ussumpti.

Or, ce qui est vrai de nos offenses à réparer ne l’est manifestement pas moins des biens qu’il s’agissait de nous obtenir. Auprès du Père, le Fils est toujours en mesure de se faire écouter. Cf. Joa., xi, 42 ; Hebr., v, 7.

Parler ici de suffisance et de surabondance, à propos tant de la satisfaction que des mérites du Christ, n’est, en somme, qu’une autre manière de dire que son œuvre tient de sa personne quelque chose d’incomparable et de définitif. Voilà pourquoi cette immolation accomplie une fois pour toutes s’oppose, dans l'économie du monde religieux, à l’indéfinie non moins qu’impuissante répétition des rites anciens, Hebr., vii, 27-28 ; ix, 12, 26-28 ; x, 10-14, tandis que, dans sa vie personnelle, cf. Rom., v, 9-10 ; viii, 32 ; Eph., ii, 18 ; I Thess., i, 10 ; I Tim., i, 15 ; Hebr., vi, 19-20 ; ix, 25 ; x, 19 ; I Joa., i, 7 et ii, 1-2 ; Apoc, v, 10, le croyant y peut trouver, en regard de sa propre misère, un de ces motifs de confiance qui ne trompent pas.

2. Question d’application.

En théorie pure, voir col. 1980, dans toute action ou souffrance du Christ, il y avait de quoi réaliser les conditions de cette valeur. Cf. Sum. th., III », q. xlvi, a. 5, ad 3um.

Mais, avec la quantitas prelii, comme saint Thomas le précise ailleurs, Quodl., II, q. i, a. 2, il faut aussi regarder à sa deputalio. Or, dans l’espèce, non sunt deputatæ ad redemptionem humani generis a Deo Pâtre et Christo alise passiones Christi absque morte. C’est ainsi que la mort du Sauveur devient seule, de fait, la satisfaction adéquate que tout autre de ses actes était, en droit, susceptible de constituer.

2° Discussions d'école. — Au-delà commence la zone de ces quæstiones disputâtes qui ont absorbé le principal effort de la scolastique moderne, voir col. 1951, d’ordinaire sans autre bénéfice que de soulever des problèmes de plus en plus subtils autour desquels les écoles catholiques ont depuis lors couché sur leurs positions.

1. Détermination de la cause formelle.

- Et d’abord d’où l'œuvre du Christ tire-t-elle exactement le principe de son efficacité?

Par rapport à nous, in actu secundo, il est entendu, non seulement qu’elle exige notre concours, mais qu’elle suppose une décision bénévole de Dieu qui nous admette à en recevoir éventuellement l’application. Voir Galticr, De inc. ac red., p. 398-399. Le chrétien lui-même, pour ne rien dire de l’infidèle, n’a pas plus de titre à l’héritage du Christ que le Juif n’en pouvait avoir, du chef de sa descendance charnelle, cf. Matth., m, 9, et Joa., viii, 39, à celui d’Abraham.

Qu’en est-il maintenant si on la considère in actu primo, c’est-à-dire en soi ? L'école thomiste professe qu’elle vaut par elle-même, au lieu que l'école scotiste la subordonne, en dernière analyse, à l’acceptation de Dieu. Ses qualités propres lui suffisent, dans le premier cas, pour assurer la rédemption du genre humain, tandis que, dans le second, la raison dernière de sa valeur de fait, qui n’est pas en cause, lui vient ab exlrinseco.

Cette divergence tient d’abord à la façon de concevoir la source du mérite et, d’une manière plus générale encore, la situation essentielle de l’homme devant son Créateur, En dépit des objections qu’elle soulève à première vue. la concept ion scotiste a pour elle cette transcendance de l’Absolu qui le fait être le principe

de tout bien et nous empêche d’imaginer que rien s’impose à lui sans son agrément. Saint Thomas luimême n’admet-il pas, Sum. th., Ia-IIæ, q. cxiv, a. 1, voir Mérite, t. x, col. 776 et 780, que nos œuvres les meilleures ne nous donnent, par rapport aux récompenses divines, qu’un droit secundum quid ? A plus forte raison le lien devient-il encore de moins en moins rigoureux quand il s’agit de mériter pour d’autres que pour soi.

La solution du présent problème est ensuite, dans chacune des écoles, fonction des prémisses de sa christologie, qui amènent l’une à soumettre et l’autre à soustraire l’humanité du Fils de Dieu au régime de ce droit commun.

2. Mesure du degré.

Quelle qu’en soit la source, jusqu'à quel point de perfection faut-il porter la valeur inhérente à l'œuvre du Christ ?

En vertu de l’adage : Actiones sunt suppositorum, l’union hypostatique, d’après les thomistes, demanderait qu’on la tienne pour infinie, comme la personne même qui en est l’auteur. Au contraire, en raison de la nature humaine d’où elle procède, elle ne saurait être, en soi, pour les scotistes, à quelques exceptions près, voir col. 1951, qu’un bonum finilum. La divinité du Verbe ne compterait que du dehors, mais assez pour permettre de lui attribuer une richesse pratiquement indéfinie : Tamen ex circumstanlia supposili et de congruo… habuil meritum Christi] quamdam ralionem extrinsecam quare Deus poluil acceptare illud in in finilum, scilicet extensive pro in/initis. Scot, Op. Oxon., In lll am Sent., dist. XIX, n. 7, édition de Lyon, t. vii, p. 417.

Plus encore que le précédent, tout ce problème est connexe à la théologie de l’incarnation. Or il y a diverses manières d’entendre, salva fide, l’union hypostatique, ainsi que, par le fait même, l’autonomie de l’homo assumplus et la dignité intrinsèque de ses actes. Il est normal que le cas particulier de ses mérites en subisse le contre-coup.

Quoi qu’on en dise plus d’une fois, la controverse n’est, d’ailleurs, pas davantage absolument tranchée par la présence des expressions infinilus thésaurus et in/inila Christi mérita dans une extravagante de Clément VI (1343), Denzinger-Bannwart, n. 552. En effet, au jugement d’un adversaire, Chr. Pesch. De Verbo inc., 4 c -5e édit., p. 256, suivi par P. Galticr, De inc. ac red., p. 414, outre qu’une bulle sur les indulgences ne saurait contenir une définition doctrinale, on n’y voit pas assez utrum illud « in/inilus » intelligendum sit simpliciter an secundum quid.

Une difficulté particulière, à mesure qu’ils sont plus rigides et plus exclusifs, attend ici les théoriciens de l’expiation pénale, qui se voient contraints de porter jusqu'à l’infini les souffrances du Rédempteur. La question a préoccupé de bonne heure les protestants. Voir J. -C. Veithusen, De in/initate salis/uctionis vicariæ Christi caute recleque œstimanda (1784), dans Com. theol., t. vi, 1799, p. 472-502, qui propose d’abandonner l’infinité matérielle pour s’en tenir à l’infinité d’ordre moral que la passion doit à la personne du Verbe. Solution générale qui laisse toute sa place à la recherche ultérieure au cours de laquelle thomistes et scotistes s'étaient depuis longtemps divisés.

3. Précision de la rigueur juridique.

Moins sûr devient encore le terrain quand on essaie de qualifier juridiquement l'œuvre du Christ. Relève-t-elle de la justice et, dans l’affirmative, cette justice doit-elle se prendre en toute sa rigueur ? Ce sont désormais les tenants des principes thomistes qui se partagent làdessus en groupes opposés.

Étant admis, ce qui semble imposé par le concept de satisfaction, qu’il y a vraiment lieu de faire intervenir ici la justice, il faudrait, pour aller plus loin, bien

établir, au préalable, les qualités requises pour une satisfaction ad striclos juris apices. Or elles sont diversement énumérées et, plus encore, diversement définies. Les principales, sur lesquelles tout le monde est à peu près d’accord, sont que l'œuvre satisfactoire soit ad allerum, ex bonis propriis et alias indebilis, ad sequalitatem : ce qui revient, en somme, à l’indépendance de celui qui l’offre et à son droit de la faire accepter par le destinataire sans aucune libéralité de la part de celui-ci.

Ces conditions, les deux premières surtout, paraissent irréalisables, non seulement à l'école proprement scotiste, mais à bien d’autres en dehors d’elle, tels que Vasquez, J. de Lugo, Lessius, voir B. Dôrholt, op. cit., p. 427, et, plus près de nous, L. Billot, De Verbo inc, 5e éd., p. 501-504. Par contre, tous les thomistes, depuis D. Soto, Capréolus et Gonet, voir par exemple Billuart, De inc, diss. XIX, a. vii, renforcés par des indépendants tels que Véga, Driedo, Suarez, dont une longue liste est dressée dans B. Dôrholt, p. 426, croient pouvoir les vérifier dans notre rédemption. Encore doivent-ils concéder que la justice rigoureuse dont ils se réclament prend ici un caractère spécial, du fait que le Christ, par son humanité, se range dans la catégorie des créatures et que Dieu ne peut être lié à son endroit, plus exactement à l'égard de lui-même, que pour l’avoir préalablement voulu. Ce qui fait dire à Chr. Pesch, De Verbo inc, 4e -5e éd., p. 260, équivalemment reproduit par P. Galticr, De inc. ac red., p. 417 : Disputatio magna ex parle est lis de verbo. Même position chez les franciscains de Quaracchi, dans les scholia de leur édition de saint Bonaventure, t. iii, p. 430.

Dans ces limites, le débat reste soumis à la sagacité de chacun, mais sans le moindre espoir d’aboutir à un résultat définitif. Peut-être, au demeurant, cette question « peu importante et sur laquelle tout a été dit », Éd. Hugon, Le mystère de la rédemption, p. 94, est-elle aussi une question mal posée. Elle porte sur la manière plus ou moins stricte dont peuvent s’appliquer à l'œuvre du Christ les conditions juridiques de la satisfaction. Mais ce concept lui-même n’est pas autre chose qu’une « analogie ». P. Synave, Saint Thomas d’Aquin : Vie de Jésus, t. iii, p. 259-260. A vouloir trop la presser, comment, dès lors, pourrait-elle ne pas défaillir ?

En tout cas, ce qu’il faut maintenir, c’est que le dogme catholique n’a pas de connexion essentielle avec ces sortes de problèmes et, par conséquent, ne saurait être compromis par l’incertitude ou la caducité des solutions qu’ils ont pu recevoir. Ces spéculations telles quelles, en effet, ne se sont jamais développées que sur le plan de la théologie et ne doivent pas en sortir. Bien donc ne serait plus contraire à toute méthode et à toute justice que de vouloir en imputer le déficit éventuel, ainsi que le fait J. Tunnel, Histoire des dogmes, t. i, p. 442-455, à la doctrine même de la satisfaction, qui en restait, pour tous ces théologiens, Vinconcussum quid et n’exige pas du tout ce genre de compléments, qu’elle ignora longtemps sans dommage et dont elle peut encore aujourd’hui fort bien se passer.

Ni la foi ni sans doute la théologie n’ont besoin de résoudre ou seulement de soulever ces questions de pure technique pour qu’il soit vrai de dire avec l’Apôtre, Boni., v, 20 : Ubi abundavit deliclum superabundavil gratia. Peut-être serait-il sage, en pareille matière, de renoncer à en savoir plus long.

Conclusion. — « Il faut, déclarait A. Loisy dans le programme impérieux qu’il croyait devoir intimer à la pensée catholique de notre temps, Autour d’un petit livre, Paris, 1903, p. xxviii-xxix, cf. ibid., p. xxiii, rassurer la foi sur la question de la rédemption et du salut, en cherchant, derrière les formules et même les idées antiques, le principe d’éternelle vérité qu’elles recouvrent. » Et de même plus loin, ibid., p. 154 :

« La connaissance de l’homme moral ne suggère-t-elle

pas une critique de l’idée de rédemption ? » Formules déjà menaçantes et dont les confidences de l’auteur ont éclairé depuis, Mémoires, t. ii, p. 327 et 620 ; t. iii, p. 301, le sens profond qu’elles recelaient à mots couverts.

Cette invitation qu’on ne peut même pas appeler discrète à une modernisation fallacieuse est nettement visée dans l’avant-dernière proposition du décret Lamentabili, Denzinger-Bannwart, n. 2064 : Processus scientiarum postulat ut reformentur conceptus doctrinæ christianæ de Deo, etc…, de redemptione. En la repoussant, l’Église manifestait l’assurance d’avoir, dans sa « doctrine « sur ce point, quelque chose d’absolument acquis.

On ne peut pas douter, en effet, que la religion chrétienne, en projetant une lumière plus aiguë sur le péché, n’en montre aussi le remède en la personne du Christ Sauveur. Et cela non seulement parce que celui-ci aide l’homme à s’en relever, mais parce que sa vie et sa mort ont devant Dieu un rôle décisif pour nous en assurer le pardon. Préparée par l’Ancien Testament, affirmée par Jésus lui-même, développée en traits multiples par saint Paul et les Apôtres, conservée par les Pères et progressivement analysée par les théologiens, cette idée fondamentale appartient à la croyance de l’Église avec une constance et une clarté qui défient toute contestation. Foi qui ne peut pas, dès lors, ne point participer à la valeur même du christianisme, tellement vivace qu’elle a pu longtemps subsister sans le rempart d’aucune définition, tellement essentielle que tout essai de ramener l’œuvre du Christ à l’ordre purement subjectif se caractérise par le fait comme une déviation et un appauvrissement.

Qui voudrait s’étonner que la rédemption ainsi entendue garde pour notre intelligence un aspect mystérieux ? Ce qui ne signifie d’ailleurs pas qu’il n’y ait place pour un exercice fructueux de la raison à son sujet.

Pour en rendre compte, l’Église catholique dispose d’une théologie, élaborée depuis le Moyen Age par ses plus grands docteurs sur la base de la réparation qu’offrent à la sainteté de Dieu méconnue par les pécheurs les hommages de son Fils incarné souffrant et mourant pour nous. En regard, les conceptions plus dramatiques auxquelles s’est alimentée l’orthodoxie protestante n’ont abouti qu’à des excès que tous ses défenseurs actuels s’accordent à rejeter comme intolérables et dont le déchaînement du subjectivisme fut la douloureuse compensation. Mieux équilibrée, la doctrine anselmienne de la satisfaction garde encore de quoi répondre aux exigences légitimes du croyant. Il n’est pour cela que de la bien comprendre et les maîtres de l’École sont toujours là pour en fournir les moyens à quiconque veut prendre la peine de s’en nourrir.

De cette foi comme de la théologie qui se propose de l’expliquer la clef de voûte est dans la personne du Christ. Le dogme de la rédemption, en effet, postule celui de l’incarnation, qu’il ne fait guère, en somme, que prolonger. Aussi bien, à mesure qu’elle hésite ou capitule sur le second, voit-on la Réforme gauchir également sur le premier. C’est, au contraire, parce qu’elle reste inébranlable sur la divinité du Rédempteur que l’Église catholique peut et veut conserver à son œuvre le sens total qui lui est attribué par la révélation.

Si le Christ est vraiment un Dieu fait homme, comment pourrait-il ne pas intéresser les conditions les plus essentielles de notre salut ? Maître et modèle sans nul doute, ne doit-il pas être encore foyer de grâce et principe de vie ? Unique révélateur des volontés et des promesses du Père, n’est-il pas normal qu’il soit le garant aussi bien que le messager de son pardon ? Et s’il est le Sauveur de par sa mission même, serait-il possible qu’il ne fût pas tout à fait ? Moins que tout le reste, le retour de l’amitié divine peut en être excepté.

Avec de telles prémisses, on est évidemment sur le chemin de la conclusion. Il suffit de « réaliser », à la lumière d’une tradition qui par saint Paul remonte à Jésus lui-même, ce que signifie dans le monde spirituel le sacrifice du Fils de Dieu, pour concevoir aussitôt, en attendant de le lire avec plus de précision sous les termes ecclésiastiques de satisfaction et de mérite, qu’il constitue, au profit de la famille humaine dont le Christ est le chef, un capital assez riche, non seulement pour couvrir amplement le montant de nos dettes, mais pour devenir la source inépuisable de tous les dons surnaturels qui nous sont départis et même, par anticipation, de tous ceux que l’humanité reçut de la bonté divine en prévision de son avènement.

Élevée sur ces hauteurs qu’illuminent les clartés de la foi, il est évident que la rédemption se classe au nombre de ces vérités qui s’adressent à « l’âme tout entière ». De grands esprits y appliquèrent leurs facultés intellectuelles sans l’épuiser : à leur suite le champ reste ouvert à la recherche pour ceux qui en ont la force et le goût. Mais il n’est surtout pas de croyant qui ne puisse et ne doive s’en pénétrer le cœur. En soi, tel que l’Église nous le présente, aucun mystère n’est mieux fait pour nous révéler in concreto les attributs de Dieu, dont il est comme la suprême expression, ou pour nous inculquer le double sentiment corrélatif de notre misère, et de notre grandeur. Leçon générale qui devient particulièrement saisissante quand, à l’exemple de l’Apôtre, Gal., ii, 20 et I Tim., i, 15, avec tous les mystiques et tous les saints, chacun s’en fait à lui-même, l’application et se met en état d’entendre la voix de Jésus lui murmurer au plus intime de son être comme à Pascal : « Je pensais à toi dans mon agonie ; j’ai versé telles gouttes de sang pour toi. » Pensées, petite éd. Brunschvicg, n. 553, p. 574.

N’est-ce pas un fait d’expérience que la croix reste le grand livre du chrétien ? Saint Paul concentrait en

« Jésus le Christ et le crucifié » l’unique savoir dont il

se déclarât fier. Alternativement, bien que sans jamais les séparer, l’âme croyante approvisionne sa vie à ces deux sources complémentaires, où elle recueille le bienfait pratique de sa foi au Fils de Dieu fait homme. Religiosiori pretiosior est Deus, notait finement saint Ambroise, Lib. de Joseph patr., 14, P. L., t. xiv (édition de 1866), col. 678, en parlant des deux natures dont se compose le Christ ; peccatori pretiosior est Redemptor.


IV. NOTES SUR L’HISTOIRE LITTÉRAIRE DE LA QUESTION. — Très abondante, surtout parmi les protestants chez qui leur dogme capital de la justification par la foi développe un intérêt passionné pour tout ce qui touche à l’œuvre du Christ, la littérature consacrée a la doctrine de la rédemption est aussi, par surcroit, très difficile à classer, tellement l’inspiration en est variable et les genres d’ordinaire confondus. Sous le bénéfice de cette remarque préliminaire, on essaiera d’en grouper les principales productions d’après l’aspect dominant, sinon exclusif, de leurs tendances et de leur objet. — I. Sources. II. Études positives (col. 1993). III. Études systématiques (col. 2000).

I. Sources. — En plus des auteurs sacrés, tous les témoins de la tradition chrétienne, ancienne ou modénie, appartiennent au dossier de la question. Quelques œuvres plus notables se détachent de cette masse, qui, dans des sens d’ailleurs très différents, sont devenues classiques en raison de leur influence ou de leur valeur.

Chez les catholiques. — Anselme de Cantorbéry, Cur Deus homo (1098), édition Gerberon (très médiocre), dans P. L., t. clviii, col. 361-430 ; édition critique par Fr.-S. Schmitt, Bonn, 1929 (dans Florilegium patristicam, fasc. xviii). Sur la genèse du traité : E. Druwé, Libri sancti Anselmi « Cur Deus homo » prima forma inedita, Rome, 1933 (Analecta Gregor., t. iii) ; J. Rivière, Un premier jet du « Cur Deus homo » ?, dans Revue des sciences religieuses, t. xiv, 1934, p. 329-369 (discussion du précédent) ; réponse d’E. Druwé dans Revue d’hist. eccl., t. xxxi, 1935, p. 501-540, suivie d’une réplique dans Revue des sciences rel., t. xvi, 1936, p. 1-32.

Mise en œuvre du Cur Deus homo : S. Thomas d’Aquin, Sum th., IIIa, q. xlvi-xlix (qui représente les positions communes de l’École). Glose dans T. Pègues, Commentaire français littéral de la Somme théologique, Toulouse et Paris, t. xvi, 1926 ; traduction, avec « notes explicatives » et « renseignements techniques », dans P. Synave, Saint Thomas d’Aquin : Vie de Jésus, t. iii, Paris, 1931 ; utilisation pieuse dans Pr. Mugnier, La passion de Jésus-Christ, Paris, 1032. — Duns Scot, Opus Oxon., In IIIum Sent., dist. XIX-XX (dont l’action se retrouve à travers toute la scolastique des siècles suivants).

Chez les protestants. — J. Calvin, Inst. rel. christ., II, xvi, 1-12 (édition définitive, 1559), dans Opera omnia, édit. Baum, Cunitz et Reuss, t. ii, col. 367-379 (très représentatif de la direction nouvelle prise par le protestantisme en la matière). — F. Socin, De Christo servatore (1578), dans Bibliotheca Fratrum polonorum, Irénopolis (Amsterdam), post annum Domini 1656, t. ii, p. 115-246 (synthèse du rationalisme unitarien). Échos de la polémique dirigée à son endroit par l’orthodoxie protestante dans J.-J. Rambach, Einleilung in die Religions-Streitigkeiten der ev.-luth. Kirche mit den Socinianern, édit. Hecht, Cobourg et Leipzig, 1745, t. ii, p. 395-535. — H. Grotius, Defensio fidei catholicæ de satisfactione Christi, Leyde, 1617 (dont l’importance est attestée par J.-J. Rambach, t. i, appendice, p. 406-428). Réédition par J.-J. Lange, Leipzig, 1730 : traduction anglaise, avec introduction et notes, par F.-H. Foster : A defence of the catholic faith concerning the satisfaction of Christ, Andover, 1889. Critique du point de vue socinien par J. Crell, Responsio ad librum Hugonis Grotii (1623), dans Bibl. Fr. Polon., t. v ; défense par A. Essenius, Triumphus crucis seu fides catholica de satisfaclione ac merito Christi asserta, Utrecht, 1666. Sur le mouvement américain issu de Grotius, au tournant du xviiie siècle, les « discours et traités » les plus caractéristiques sont réunis dans E.-A. Park, The atonement, Boston, 2e édit., 1860. — Plébiscites religieux propres à dessiner en raccourci les courants du protestantisme contemporain : The atonement. A clerical symposium, Londres, 1883 ; The atonement in modern religious thought. A theological symposium, 3e éd., Londres, 1907 : E. Pfennigsdorf, Der Erlösungsgedanke, Gœttingue, 1929 (compte rendu d’un Congrès de théologiens allemands tenu à Francfort-sur-Mein, octobre 1928).

II. Études positives. — Sans parler des partis-pris inconscients, rares sont les auteurs qui ne mettent pas expressément leurs enquêtes au service d’un dogmatisme avoué. Ce sont même, dans l’ensemble, les travaux les plus négatifs qui répondent davantage au type des histoires écrites ad probandum. Il ne s’agit donc que de dresser ici l’état approximatif de ceux dont la documentation est plus nourrie et le caractère positif plus accentué.

Publications générales. — Dans toutes les histoires des dogmes — ou synthèses équivalentes — celui de la rédemption reçoit une plus ou moins grande part.

1. Chez les protestants. — On peut surtout retenir : W. Münseher, Handbuch der christlichen Dogmengeschichte, Marbourg, 2e éd., 1804 ; D.-Fr. Strauss, Die christliche Glaubenslehre, Tubingue et Stuttgart, 1841 ; Ad. Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, 4e éd., Tubingue, 1909-1910 ; trad. angl. sur la 3e éd., 1893 ; Fr. Loofs, Leitfaden zum Studium der Dogmengeschichte, Halle, 4e éd., 1906 ; R. Seeberg, Lehrbuch der Dogmengeschichte, Leipzig, 1908-1920.

2. Chez les catholiques. — D. Petau, De incarnatione Verbi, ii, 5-17 et xiii, 2-12, dans Opus de theologicis dogmatibus (1643-1650), édition de Bar-le-Duc, 1868, t. v et vi ; L. Thomassin, De incarnatione Verbi Dei, i, 1-21 et ix-x, 8-10, dans Dogmata theologica (1680-1689), éd. Vives, Paris, 1868, t. iii et iv ; J. Schwane, Dogmengeschichte, Fribourg-en-Br., 1860-1868 ; trad. A. Degert : Histoire des dogmes, Paris, 1901-1904 ; J. Tixeront, Histoire des dogmes dans l’antiquité chrétienne, Paris, 1905-1909.

Monographies. — Plus qu’à tous les autres, c’est particulièrement à ces sortes d’ouvrages que les attaches confessionnelles et les préférences doctrinales de l’auteur impriment le cachet du subjectif.

1. Chez les protestants. — Simples ébauches : J.-Fr. Cotta, Dissertatio… historiam doctrinæ de redemptione Ecclesiæ sanguine J.-C. facta exhibens, dans son édition de J. Gerhard, Loci theologici, t. iv, Tubingue, 1765, p. 105-132 ; W. Ziegler, Historia dogmatis de redemptione, Gœttingue, 1791 ; repris dans Velthusen, Kuinoel et Rupert, Commentationes theologicæ, Leipzig, t. v, 1798, p. 227-299 (l’un et l’autre de confession luthérienne orthodoxe) ; J. Priestley, A history of the corruptions of christianity, 2e partie (Londres, 1782), réédition populaire, 1871 (socinien) ; B. Pozzy, Histoire du dogme de la rédemption, Paris, 1868 (calviniste conservateur). — Première étude méthodique : F.-Chr. Baur, Die christliche Lehre von der Versöhnung, Tubingue, 1838 (rationaliste). Elle inspire les esquisses plus brillantes que solides risquées chez nous par A. Réville, De la rédemption. Études historiques et dogmatiques, Paris, 1859 ; Aug. Sabatier, Le dogme de l’expiation et son évolution historique, Paris, 1903 ; trad. angl., 1904. — Contributions postérieures, d’inspiration libérale et subjectiviste : A. Ritschl, Die Lehre von der Rechtfertigung und Versöhnung, t. i, Bonn, 3e édit., 1889 ; trad. angl., 1872 ; G.-B. Stevens, The Christian doctrine of salvation, Édimbourg, 1905 ; H. Rashdall, The idea of atonement in Christian theology, Londres, 1919 ; d’inspiration plutôt ecclésiastique et traditionnelle : K. Grass, Die Gottheit Jesu Christi in ihrer Bedeutung für den Heilswert seines Todes, Gütersloh, 1900 ; J.-K. Mozley, The doctrine of the atonement, Londres, 1915 ; R.-S. Franks, A history of the doctrine of the work of Christ, Londres, 1919 ; L.-W. Grensted, A short history of the doctrine of the atonement, Manchester, 1920 ; R. Mackintosh, Historic theories of atonement, Londres, 1920. — Presque toutes ces histoires, surtout les plus objectives, laissent de côté l’Écriture, pour ne s’arrêter qu’aux écrits des Pères et des théologiens. Naturellement, chacun des auteurs se montre plus exact et plus informé sur son pays respectif.

Au radicalisme le plus extrême et le plus agressif des historiens protestants il faut rattacher J. Turmel, La rédemption, dans Histoire des dogmes, t. i, Paris, 1931, p. 299-464 (reprise élargie des articles publiés d’abord sous le pseudonyme d’ « Hippolyte Gallerand », 1922 et 1925).

2. Chez les catholiques. — Simples ébauches sous la forme de thèses dogmatiques plus ou moins ouvertes aux problèmes d’ordre positif : B. Dörholt, Die Lehre von der Genugthuung Christi, Paderborn, 1891 (très complet sur les opinions scolastiques) ; J.-Fr.-S. Muth, Die Heilstat Christi als stellvertretende Genugthuung, Munich, 1904 ; K. Staab, Die Lehre von der stelltretenden Genugthuung Christi, Paderborn, 1908. (Thèses de forte dimension).

Études méthodiques : H.-N. Oxenham, The catholic doctrine of the atonement (1865), Londres, 4e édit., 1881, (tributaire de Baur) ; trad. J. Bruneau : Histoire du dogme de la rédemption, Paris, 1909 ; J. Rivière, Le dogme de la rédemption. Essai d’étude historique, Paris, 1905 (i. La rédemption dans l’Écriture Sainte ; ii. La rédemption chez les Pères grecs ; iii. La rédemption chez les Pères latins ; iv. La rédemption au Moyen Age ; v. La question des droits du démon) ; trad. angl., 1909. A compléter : a) Pour l’histoire de la sotériologie protestante, par Le dogme de la rédemption. Étude théologique, 3e partie (Systèmes classiques : le protestantisme orthodoxe, le rationalisme socinien, le légalisme de Grotius ; systèmes modernes : évolution du libéralisme, évolution de l’orthodoxie). b) Pour les périodes anciennes, par Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, Paris, 3e éd., 1933. (i. Règne du démon sur l’humanité ; ii. Un aspect de l’économie rédemptrice : la « justice » envers le démon ; iii. Le démon dans l’ensemble du plan divin ; avec dix appendices : Le « droit » du démon dans l’ancienne Église ; Une synthèse populaire ; La loi de « justice » dans la tradition antérieure ; « Numquid » ou « nonne » ? Un problème de critique textuelle ; « Tendicula crucis » ; « Muscipula diaboli » ; Dossier scripturaire de la rédemption ; Premières ébauches de « Cur Deus homo » ; Évolution de saint Augustin ? ; Le prétendu marché avec le démon) ; Le dogme de la rédemption après saint Augustin, Paris, 1930 (i. Saint Léon le Grand ; ii. Au temps de saint Grégoire ; avec trois appendices : Rôle de la divinité du Rédempteur ; Mort et démon chez les Pères latins ; Mort et démon chez les Pères grecs, et un épilogue : Qui est « Hippolyte Gallerand » ?) ; Le dogme de la rédemption au début du Moyen Age, Paris, 1934 (i. Persistance de l’ancienne théologie ; ii. Voies nouvelles : Anselme, Abélard ; iii. Rencontre des deux courants : Influence de saint Anselme ; École d’Abélard ; Rôle de saint Bernard ; avec quatre appendices : Réveil de la théorie du « rachat » ; Le conflit des « filles de Dieu » ; La fin du xiie siècle ; Dans l’atelier de l’École, et un épilogue : L’avenir du dogme de la Rédemption), c) Pour l’ensemble, par Le dogme de la rédemption. Études critiques et documents, Ire série. Louvain, 1931 (i. Fondements scripturaires ; ii. Tradition patristique, La surprise du démon : saint Ignace d’Antioche ; La ruine du démon : Apologistes et premiers Alexandrins ; La « justice » envers le démon : saint Irénée ; Le « rachat » au démon : Tertullien, Origène, Derniers témoins de la théorie ; iii. Systématisation médiévale, En Orient : Théodore Abû-Qurra, Nicolas de Méthone, Nicolas Cabasilas ; En Occident : La doctrine de saint Anselme, Une page de Dante ; iv. Variations modernes : Deux « Banquets » dans l’Église d’Angleterre ; Un congrès de théologiens allemands) ; Le dogme de la rédemption. Études critiques et documents, IIe série (en préparation).

Études partielles. — Ces études générales ont été précédées ou suivies d’innombrables travaux particuliers. Il suffira d’indiquer ceux qui semblent plus dignes d’attention. Bien qu’au total la question soit ici de moindre conséquence, il a paru bon, ne fût-ce qu’à titre documentaire, de distinguer, au passage, ceux qui proviennent de milieux protestants.

1. Période scripturaire. — Autour de l’Écriture se concentrent tous les problèmes théologiques et historiques soulevés par les origines du dogme chrétien.

a) Sens de la révélation. — V. Rose, Études sur les Évangiles, Paris, 1902 ; A. Médebielle, L’expiation dans l’Ancien et le Nouveau Testament, t. i : L’Ancien Testament, Rome, 1924 ; La vie donnée en rançon, dans Biblica, t. iv, 1923. p. 3-40 ; art. Expiation, dans Dictionnaire de la Bible, supplément, fasc. 12, Paris, 1934, col. 1-262 (avec une bibliographie très étendue) ; E. Ménégoz (prot.), Le péché et la rédemption d’après saint Paul, Paris, 1882 ; La théologie de l’épître aux Hébreux, Paris, 1894 ; La mort de Jésus et le dogme de l’expiation, Paris, 1905 ; Éd. Tobac, Le problème de la justification dans saint Paul, Louvain, 1908 ; F. Prat, La théologie de saint Paul, t. ii, Paris, 10e éd., 1925 ; R. Bandas, The master-idea of saint Paul’s Epistles or the redemption (thèse de Louvain), Bruges, 1925 ; J. Rivière, Le dogme de la Rédemption. Études critiques et documents (i. Fondements scripturaires, L’Évangile : Jésus « rançon » ; Théologie de saint Paul).

b) Révélation judéo-chrétienne et milieu païen. — H. Lietzmann (prot.), Der Weltheiland, Tubingue, 1908 ; M. Brückner (prot.), Der sterbende und auferstehende Gottheiland, Tubingue, 1908 ; J. Leopoldt (prot.), Sterbende und auferstehende Götter, Leipzig, 1923 ; Anonyme, La foi en la rédemption et au médiateur dans les principales religions (d’après O. Pfleiderer, prot.), dans Revue de l’histoire des religions, t. iv, 1881, p. 378-382, et t. v, 1882, p. 123-137, 380-397 ; R. Reizenstein (prot.), Vorchristliche Erlösungstehren, Upsal, 1922 ; A. Jeremias (prot.), Die ausserbiblische Erlöserserwartung, 1927 ; W. Stärk (prot)., Soter, Gütersloh, 1933 ; J. Toutain, L’idée religieuse de rédemption et l’un de ses principaux rites dans l’antiquité grecque et romaine, dans Annuaire 1916-1917 publié par l’École pratique des Hautes-Études, section des sciences religieuses, Paris, 1916 ; J.-G. Frazer (prot.), The scapegoat, Londres, 1913 ; trad. fr. : Le bouc émissaire, Paris, 1925 ; J. Wach (prot.), Der Erlösungsgedanke und seine Deutung, Leipzig, 1922, (synthèse tendancieuse des matériaux fournis par l’histoire comparée des religions).

Chez les savants catholiques : L. Dürr, Ursprung und Aufbau der jüdisch-isrælitischen Heilandscrwartung, Berlin, 1905 ; L. Dennefeld, Le messianisme, Paris, 1929 : C. van Crombrugghe, De soleriologiæ christianæ primis fontibus, Louvain, 1905 ; E. Krebs, Der Logos als Heiland im ersten Jahrhundert, Fribourg-en-Br., 1910 ; Semaine internationale d’ethnologie religieuse (Milan, 1925), Paris, 1926, p. 247-304 ; B. Allo, Les dieux sauveurs du paganisme gréco-romain, dans Revue des sciences phil. et théol., t. xv, 1926, p. 5-34 ; L. de Grandmaison, Dieux morts et ressuscités, dans Jésus-Christ, Paris, 1931, t. ii, p. 510-532.

2. Période patristique. — Non moins que les groupes ou les individus principaux, certaines questions d’ensemble ont particulièrement retenu l’attention dans l’Église et au dehors.

a) Analyses d’auteurs. — K. Bähr (prot.), Die Lehre der Kirche vom Tode Jesu in den ersten drei Jahrhunderten, Sulzbach. 1832 : L. Malfre (prot.), Le dogme de la rédemption pendant les xi premiers siècles, Montauban, 1869. — G. Wustmann (prot.). Die Heilsbedeutung Christi bei den apostolischen Vätern, Gütersloh, 1905 ; P. Montagne, La doctrine de saint Clément sur la personne et l’œuvre du Christ, dans Revue thomiste, t. x, 1905-1906 ; V, Schweitzer, Polycarp von Smurna über Erlösung, dans Theol. Quartalschrift, t. lxxxvi, 1904, p. 91-109 ; J. Rivière, Un exposé marcionite de la rédemption, dans Revue des sciences rel., t. i, 1921, p. 185-207, 297-323, et t. v, 1925, p. 634-642. — A. Chantre (prot.), Exposition des opinions d’Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie et Origène sur l’œuvre rédemptrice de Jésus-Christ, Genève, 1860 ; J. Chaine, Le Christ Rédempteur d’après saint Irénée (thèse de Lyon), Le Puꝟ. 1919 ; P. Galtier, La rédemption et les droits du démon dans saint Irénée, dans Recherches de science rel., t. ii, 1911, p. 1-24 ; A. d’Alès, La doctrine de la récapitulation en saint Irénée, même périodique, t. vi, 1916, p. 185-211 ; Fr. Stoll, Die Lehre des hl. Irenäus von der Erlösung und Heiligung, Mayence, 1905 ; V. Bordes (prot.), Exposé critique des opinions de Terlullien sur la rédemption, Strasbourg, 1860 ; A. Fournier (prot.), Exposition critique des idées d’Origène sur la rédemption, Strasbourg, 1860. — G. Pell, Die Lehre des hl. Athanasius von der Sünde und Erlösung, Passau, 1888 : H. Sträter, Die Erlösungslehre des hl. Athanasius, Fribourg-en-Br., 1894 ; M. Scott (prot.), Athanasius on the atonement, 1914 ; V. Cremers, De Verlossingsidee bij Athanasius den Groote, Turnhout, 1923 ; J.-B. Aufhauser, Die Heilslchre des hl. Gregor von Kyssa, Munich, 1910 ; E. Weigl, Die Heilslehre des hl. Cijrill von Alexandrien, Mayence, 1905. — K. Kùhner (prot.), Augustin’s Anschauung von der Erlôserbideulung Christi, Heidelberg, 1890 ; J. Gottschick (prot.), Augustins Anschauung von den Erlôseririrkunyen Christi, dans Zeitschrifl fur Théologie und Kirche, t. xi, 1901, p. 97-213 ; O. Scheel (prot.), Die Anschauung Augustins ùber Christi Person und Werk, Tubingue et Leipzig, 1901 ; Zu Augustins Anschauung von der Erlôsung durch Christus, dans Theologische Sludien und Kriliken, t. lxxvii, 1904, p. 401-433 et 491-554 (discussion du mémoire de J. Gottschick) ; C. van Crombrugghe, La doctrine christologique et sotériologique de saint Augustin et ses rapports avec le néoplatonisme, dans Revue d’histoire eccl., t. v, 1904, p. 237-257 et 477-503 (discussion de la thèse d’O. Scheel) ; « H. Gallerand », La rédemption dans saint Augustin, dans Revue d’histoire et de littérature rel., nouvelle série, t. viii, 1922, p. 38-77 ; La rédemption dans l’Église latine d’Augustin à Anselme, dans Revue de l’histoire des religions, t. xci, 1925, p. 35-76. Articles repris sous son rai nom par J. Turmel dans son Histoire des dogmes, t. i ; discutés par J. Bivière, Le dogme de la rédemption chez saint Augustin, 1928-1933, et Le dogme de la rédemption après saint Augustin, 1930.

b) Problèmes particuliers. — J.-Chr. Döderlein (prot.), De redemptione a potestate diaboli (1774-1775), dans Opuscula theologica, Iéna, 1789 ; J. Wirtz, Die Lehre von der Apolytrosis, Trêves, 1906 ; L. Faillon, Dissertation sur le mystère de la rédemption des hommes par N.-S. J.-C, éditée par H. Lesêtre, dans Revue du clergé fr., t. lxxxii, 1915, p. 426-446 (curieuse collection d’archaïsmes patristiques). — G. Jouassard, L’abandon du Christ en croix d’après saint Augustin, dans Revue des sciences phil. et théol., t. xiii, 1924, p. 310-326 ; L’abandon du Christ en croix dans la tradition grecque des ive et ve siècles, dans Revue des sciences rel., t. v, 1925, p. 609-633. — H. Linssen, Θεος σωτηρ. Entwickelung und Verbreitung einer liturgischen Formelgruppen, dans Jahrbuch für Liturgiewissenschaft, t. viii, 1928, p. 1-76. — J. Rivière, Le dogme de la rédemption devant l’histoire. Un plaidoyer de M. Turmel, Paris, 1936 (i. Ensemble de la tradition patristique ; ii. Mythe de la rançon payée à Satan ; iii. Sens de la « justice » envers le démon).

3. Période médiévale. — C’est au Moyen Age que le dogme de la rédemption s’est coulé dans son moule actuel. D’où l’intérêt provoqué par les divers artisans de ce travail.

a) Questions générales. — J. Bach, Die Dogmengeschichte des Mittelalters, Vienne, 1874-1875 ; J. Gottschick (prot.), Studien zur Versöhnungstehre des Mittelalters, dans Zeitschrift für Kirchengeschichte, i : [Saint Bernard et Abélard], t. xxii, 1901, p. 378-438 ; ii : Petrus Lombardus, t. xxiii, 1902, p. 35-67 ; iii : Alexander Halesius, Bonaventura, Albertus Magnus, Thomas Aquinas, t. xxiii, 1902, p. 191-222, 321-375, et t. xxiv, 1903, p. 15-45 ; iv : Duns und Biel, t. xxiv, 1903, p. 198-231 ; J. Rivière, Sur les premières applications du terme « satisfactio » à l’œuvre du Christ, dans Bulletin de littérature eccl., 1924, p. 285-297 et 353-369 ; cꝟ. 1927, p. 160-164.

b) Fondateurs de l’École. — E. Cremer (prot.), Die Wurzeln des Anselm’schen Satisfactionsbegriffes, dans Theol. Studien und Kritiken, t. liii, 1880, p. 7-24 ; Der germanische Satisfaktionsbegriff in der Versöhnungstehre, même périodique, t. lxvi, 1893, p. 316-345. — B. Funke, Grundlagen und Voraussetzungen der Satisfaktionstheorie des hl. Anselm von Canterbury, Münster-en-W., 1903 ; L. Heinrichs, Die Genugtuungstheorie des hl. Anselmus von Canterbury, Paderborn, 1909 ; G.-C. Foley (prot.), Anselm’s theory of the atonement, Londres, 1909 ; P. Ricard, De satisfactione Christi in tractatum S. Anselmi « Cur Deus homo ». Dissertatio historico-dogmatica, Louvain, 1914. — J.-G. van der Plas, Des hl. Anselm « Cur Deus homo » auf dem Boden der jüdisch-christlichen Polemik des Mittelallers, dans Divus Thomas (de Fribourg-en-Suisse), 1929, p. 446-467, et 1930, p. 18-32 ; F. Stentrup, Die Lehre des hl. Anselm über die Nolhwendigkeit der Erlösung und der Menschwerdung, dans Zeitschrift für die kath. Theologie, t. xvi, 1892, p. 653-691 ; R. Hermann (prot.), Anselmstehre von Werke Christi in ihrer bleibenden Bedeutung, dans Zeitschrift für systematische Theologie, t. i, 1923, p. 376-396. — « H. Gallerand », La rédemption dans les écrits d’Anselme et d’Abélard, dans Revue de l’histoire des religions, t. xci, 1925, p. 212-241. Article repris sous son vrai nom par.1. Turmel dans son Histoire des dogmes, t. i ; discuté par J. Rivière, Le dogme de la Rédemption au Moyen Age, 1934. — Th. Moosherr (prot.), Die Versöhnungstehre des Anselm von Canterbury und Thomas von Aquino, dans Jahrbücher für prot. Theologie, t. xvi, 1891), p. 167-262 ; G. Blot (prot.), Étude comparative de l’idée de satisfaction dans le « Cur Deus homo » de saint Anselme et dans la théologie antérieure et postérieure (thèse de Paris), Alençon, 1886 ; H. Wiedemann, Anselms Satisfaktionstheorie im Verhältnis zu der Busse des germanischen Strafrechts, dans Pastor bonus (Trêves), t. ii, 1907, p. 1-10 et 49-59. Autres indications à la bibliographie de l’article Anselme, t. i, col. 1350.

R. Seeberg (prot.), Die Versöhnungslehre des Abälard und die Bekänpfung derselben durch den hl. Bernhard, dans Mitteilungen und Nachrichten für die ev. Kirche in Russland, t. xlix, 1888, p. 121-153 ; S.-M. Deutsch (prot.), Peter Abälard, Leipzig, 1883.

c) Organisateurs de l’École. — F. Bünger (prot.), Darstellung und Würdigung der Lehre des Petrus Lombardus vom Werke Christi, dans Zeitschrift für wiss. Theologie, t. xlv, 1902, p. 92-126 ; A. Landgraf, Die Unterscheidung zwischen Hinreichen und Zumendung der Erlösung in der Frühscholastik, dans Scholastik, t. ix, 1934, p. 202-228 ; Fr. Anders, Die Christologie des Robert von Melun, Prüm, 1915. — B. Guardini, Die Lehre des hl. Bonaventura von der Erlösung, Dusseldorf, 1921 ; P. Minges, Beitrag zur Lehre des Duns Scotus über das Werk Christi, dans Theologische Quartalschrift, t. lxxxix, 1907, p. 241-279 ; Th. Fetten, Johannes Duns Scotus über das Werk des Erlösers, Bonn, 1913 ; J. Rivière, La doctrine de Scot sur la rédemption devant l’histoire et la théologie, dans Estudis Franciscans, t. xlv, 1933, p. 271-283 ; F. Déodat de Basly, Scotus docens, Paris et Le Havre, 1934. — Sur les répercussions extérieures du dogme : Histoire de la passion dans l’art français, n° spécial de la Revue des L999 REDEMPTION. ÉTUDES POSITIVES : TEMPS MODERNES 2000

questions hisl., mai 1934, p. 1-92 (par divers collaborateurs ) ; Et. Gilson, La passion dans la pensée française du Moyen Age, même périodique, juillet 1934, p. 146-158.

3. Période moderne.

- a) Dans ou sur le protestantisme. — Chr.-H. Weisse, Martinus Lulherus quid de consilio morlis et resurreclionis Christi scnserit, Leipzig, 1845 ; F.-C.-G. Held, De opère Jcsu Christi salutari quid M. Lulherus senserit, Gœttingue, 1860 ; J. Faure, Élude sur l’anthropologie de Calvin dans ses rapports avec la rédemption, Montauban, 1854 ; H. Ginolhæ La rédemption dans Calvin, Montauban, . 1874 ; E.-M. Audouin, La rédemption d’après Calvin, .Montauban, 1876 ; M. Dominicé, L’humanité de Jésus d’après Calvin, Paris, 1933 ; H. Amphoux, Essai sur la doctrine socinicnne, Strasbourg, 1850 ; O. Fock, Der Socinianismus, Kiel, 1847 ; G. Thomasius, Dos Bekenntniss der luth. Kirche von der Vcrsohnung, Erlangen, 1857. — F.-E. Wenger, Le dogme de la rédemption au XIXe siècle, Montauban, 1857 ; F. Lichtenberger, Histoire des idées religieuses en Allemagne, t. iii, 2e édit., Paris, 1888 ; O. Bensow, Die Lehre von der Versolmung, Giitersloh, 1904 (très riche en renseignements sur le xixe siècle) ; K.-G. Seibert, Schleiermachers Lehre von der Versôhnung, Wiesbaden, 1855 ; C. Weizsâcker, Um was handelt es sich in dem Strcile ùber die Versôhnungslehre ? (autour de J. Hofmann), dans Jahrbùcher fur deutsche Théologie, t. iii, 1858, p. 154-188 ; Ph. Bachmann, J.-Chr.-K. von Hofmannsversôhnungslehre und der ùber sie gefuhrte Streit, Giitersloh, 1910 ; B. Stefîen, llo/manns und Ristchls Lehrcn ilber die Heilsbedeulung des Todes Jesu, Giitersloh, 1910 ; P. Wapler, Die Gcnesis der Versôhnungslehre J. von Hofmanns, dans Neue kirchliche Zeilschrift, t. xxv, 1914, p. 167-205. — F. Bonifas, La doctrine de la rédemption dans Schleiermacher, Paris, 1865 ; J. Autrand, La doctrine de la rédemption dans Vinet (thèse de Montauban), Toulouse, 1870 ; E. Creisseil, La doctrine de la rédemption dans W.-E. Channing (thèse de Montauban), Toulouse, 1870 ; P. Fargues, La rédemption d’après M. Secrélan, Montauban, 1889 ; Ern. Bertrand, Une nouvelle conception de la rédemption (celle de Bitschl), Paris, 1891 ; G. -F. Grosjcan, La rédemption d’après Franz Leenhardt, Paris, 1923.

J. Rivière, Où en est le problème de la rédemption ?, dans Revue des sciences rel, t. iii, 1923, p. 211-232 ; W. Lùtgert, Der Erlosungsgedanke in der ncueren Théologie, Giitersloh, 1928 ; G. Aulen, Die drei Hauptlypen des christi. Vcrsolmungsgedanken, dans Zeilschrift fur systemalische Théologie, l. viii, 1930, p. 501-538.

Il faut mettre en un rang à part, comme rebelles à toute classification, trois longs articles disparates, bien que reliés par un vague titre commun, où sont étudiés, du point de vue orthodoxe et en fonction des controverses du temps, d’ailleurs à grands frais d’érudition, quelques tournants choisis parmi les principaux que présente l’histoire de cette doctrine, savoir le Moyen Age avec saint Anselme, la Réforme ancienne avec Grotius, le protestantisme récent avec Hascnkampf et Menken. Un mode paradoxal de publication achève de les caractériser. Sous cette rubrique sans précision : Geschichtliches ans der Versôhnungsund Geaugthuungslehre, ils furent débités en petits morceaux dans Evangelisehe Kirchen-Zeitung, t. xiv, 1834, col. 2-6, 9-16 et 22-24 (Anselme) ; col. 521-526, 529-533, 537-541, 585-589, 593-60.0, 601-608, 609-614 (Grotius) ; t. xx, 1837, col. 113-116, 121 -128, 153-158, 161-168, 169-176, 182 181, 517-520, 525-528, 535-536. et t. xxii, 1838, col. 189-195, 505-51 1, 513-519 (Ilasenkampf-Menken, plus, en guise d’appendice, un bref épilogue sur G. -M. de Wette). L’ensemble constitue un document de première main sur la crise interne de la

sotériologie protestante en Allemagne au début du siècle dernier.

b) Dans ou sur T « orthodoxie » orientale. — J. Orfanitzky (orth.), Exposé historique du dogme de la rédemption (en russe), Moscou, 1904 ; A. Bukowski, Die Genuglhuung fur die Silnde nach der Auffassung der russischen Orthodoxie, Paderborn, 1911 ; PI. de Meester, Études de théologie orthodoxe, IIe série, Théologie économique, i-ii : Le dogme de la rédemption (extrait du Bessarione), Rome, 1923 ; iv : Le mystère de la rédemption ou sotériologie, dans Ephemerides theol. Lovanienses, t. iv, 1927, p. 577-612 ; M. Jugie, Theologia dogmalica christianorum orienlalium, t. ii, Paris, 1933, p. 687-704.

c) Dans le catholicisme. — J. Rivière, La doctrine de la rédemption au concile de Trente, dans Bulletin de lilt. ceci., 1925, p. 260-278. — Controverses : J. Stufler, Die Erlôsungslat Christi in ihrer Beziehung zu Gott, dans Zeilschrift fur kalh. Théologie, t. xxx, 1906, p. 385-107 et 625-649 (contre H. Schell) ; Chr. Pesch, Das Sùhneleiden misères gôltlichen Erlôsers (Theol. Zeilfragen, t. vi), Fribourg-en-Br., 1916. Sur cette œuvre de polémique et d’approximation, voir Revue du clergé fr., t. c, 1919, p. 294-299 ; Revue des sciences rel., t. ii, 1922, p. 303-316 : Un dossier palristique de l’expiation ; cf. Revue apol., t. xxxiii, 1921 : Le sens de la rédemption. — Contributions locales : H.-B. Loughnan, Passions sermons and Isaias 53, dans The Month, t. (xxxv. 1920, p. 320-329 (sur les prédicateurs anglais) : trad. fr. dans Revue du clergé fr., t. ciii, 1920, p. 5-15 : Théologie et prédication. — Crise moderniste : E. Buonaiuti, // dogma nella storia. Problema crilicoe problema apologetico, dans Rivista storico-crilica délie scienze leologiche, t. i, 1905, p. 713728 ; S. Minocchi, // dogma délia redenzione, dans Sludi religiosi, t. v, 1906, ]>. 541-587 ; E. Michaud, Le dogme de la rédemption, dans Revue internationale de théologie, t. xiv, 1906, p. 435-461. — Divers échanges de vues : Le mystère de la rédemption, dans La science catholique, t. xix, 1905, p. 961-989, et t. xx, 1906, p. 119-131, 351-358, 467-472 ; Le dogme de la rédemption et l’histoire, dans Annales de phil. chr., février et mai 1906, 4 « série, t. i, p. 516-534, et t. ir, p. 176-192 ; Le dogme, et la théologie de la rédemption, dans Revue du clergé fr., t. i.xxv, 1913, p. 115-120, 357-380 et 635636 ; La théologie de la rédemption, dans Reme thonrisle, 1913, p. 203-206 ; E. Peillaube, La rédemption. Note critique sur les conférences du P. Sanson, dans Les Cahiers thomistes, 25 juillet 1927, p. 682-689 : discuté par E. Magnin, De la nature, de la grâce et de lu rédemption d’après le P. Sanson… et quelques autres. dans La Vie catholique, 29 octobre et 5 novembre 1927 ; Recherches de science religieuse, t. xxiii, 1933, p. 125128.


III. Études systématiques. —

Déjà sensible dans les études historiques, l’influence des convictions individuelles et des préventions ecclésiastiques ne peut que s’étaler 5 vif dans les explications théologiques du mystère de la rédemption. Nulle part le classement par confessions n’est à la fois plus nécessaire et plus révélateur.

Manuels classiques.

 A la mesure de leur crédit,

on y trouve l’image de ce qu’est — ou de ce que fut — la moyenne de l’enseignement.

1. Chez les protestants.

Môme sous le régime du libre examen, quelques ouvrages ont derrière eux une sorte de tradition scolaire, au moins pour l’époque où ils ont paru : Ch. Hodge, Syslematic theologꝟ. 1871 ; W.-G.-T. Shedd, Dogmatic theologꝟ. 1889 ; A. -II. Strong, Syslematic theologꝟ. 1886 ; nouvelle édition, 1907 (manuels d’origine américaine, mais qui ont aussi cours en Angleterre). — E.-A. Litton, Introduction to dogmatic theologꝟ. 2e éd., 1902 ; D. Stonc, Outlines of 2001 RÉDEMPTION. ÉTUDES SYSTÉMATIQUES : PROTESTANTES 2002

Christian dogma, 1900 ; T.-B. Strong, A manual of theologꝟ. 2e éd., 1903 (manuels de provenance anglaise). — G. Thomasius, Christi Person und Werk (1845-1819), 3e éd. par F.-I. Winter, Erlangen, 18861888 ; O. Kirn, Grundriss der ev. Dogmalik, 3e éd., Leipzig, 1910 ; J. Kaftan, Dogmalik, 5e -6e éd., Tubingue et Leipzig, 19C9 ; Th. Hàring, Der christliche Glaube, Stuttgart, 1906 ; trad. angl., 1913 (ces deux derniers influencés par A. Ristchl) ; W. Schmidt, Christliche Dogmalik, Bonn, 1898 ; A. von Œttingen, Lutherische Dogmalik, Munich, 1902. — P.-F. Jalaguier, Théologie chrétienne : Dogmes purs (œuvre posthume), Paris, 1907 ; A. Grétillat, Exposé de théologie systématique, Neuchâtel, 1890, t. iv ; J. Bovon, Dogmatique chrétienne, Lausanne, 1890, t. n ; G. Fulliquet, Précis de dogmatique, Genève et Paris, 1912.

2. Chez les catholiques.

- Tous nos traités De Verbo incarnato s’accompagnent, bien qu’il y soit, d’ordinaire, assez rétréci, d’un De Deo redemplore. Il n’y a donc ici que l’embarras du choix. Parmi les plus saillants, à des titres divers, il convient de signaler : J.-B. Franzelin, De Verbo incarnato, Rome, 3 8 éd., 1881 ; F. Stentrup, Preel. theol. de Verbo incarnato : Soleriologia, Innsbruck, 1889 ; C. van Crombrugghe, Tract, de Verbo incarnato, Gand, 1909 ; Chr. Pesch, Prœl. dogm., t. iv : De Verbo incarnato, Fribourg-en-Br. , 4 c -5e éd., 1922 (à comparer avec les précédentes pour en mesurer le progrès) ; L. Billot, De Verbo incarnato (Rome, 1900), 3e éd., Prato, 1912 ; L. Labauche, Leçons de théologie dogmatique, t. i, Paris, 1911 ; P. Galtier, De incarnalione ac redemptione, Paris, 1926 (recension critique dans Revue des sciences Tel., t. vii, 1927, p. 727-730) ; Ad. d’Alès, De Verbo incarnato, Paris, 1930 (recension critique dans Revue des sciences Tel., t. xiii, 1933, p. 281-287). Étude comparative de ces deux derniers par J. Rivière, Sur la « satisfaction » du Christ, dans Bulletin de litt. eccl., 1931, p. 173-187.

2. Monographies.

Quoiqu’il faille y faire une part, souvent considérable, à l’équation personnelle, les créations de la philosophie religieuse et de la pensée théologique offrent un intérêt général pour les courants qui s’y reflètent ou qu’elles servirent à provoquer.

1. Chez les protestants.

Il n’est pas de problème auquel la Réforme soit plus obstinément restée fidèle et autour duquel se dessine en traits plus nets la courbe ondoyante de son évolution. Une végétation exubérante et touffue en proportion en est issue, qui formerait une bibliothèque. Il ne saurait être question que d’en mentionner les spécimens les plus représentatifs.

a) Orthodoxie classique. — J. Gerhard, Loc. theol. (1610-1625), loc. XVII, ii, 31-63, édit. Cotta, Tubingue, 1768, t. vu ; J. Quenstedt, Theol. didacticopolemica (1685), p. 3 a, c. III, membr. ii, sect. 1, th. xxxi-xl, 4e édit., Wittenberg, 1701 ; Fr. Turretin, lnst. théologies elenclicæ (1682), loc. XIV, q. x-xiv, nouvelle édition, Leyde, 1696, t. n (avec un dossier complémentaire, ibid., t. iv, emprunté à divers auteurs protestants sous ce titre : De salisfaclionc Christi disputationes) ; J.-F. Seiler, Ueber den Versôhnungslod Jesu Christi, Frlangen, 1778-1779 ; J.-D. Michælis, Gedanken iïber die Lehre der hl. Schrifl von Sùnde und Genugthuung, nouvelle édition, Gœttingue, 1779 ; W.-F. Gess, Zur Lehre von der Versôhnung, dans Jahrbucher fur deulsche Théologie, t. iii, 1858, p. 713-778, et t. iv, 1859, p. 467-526. — J. Owen, Salus electorum sanguis Jesu, 1648 ; Jon. Edwards (l’ancien), Corxcrning the necessilij and reasonableness of the Christian doctrine of satisfaction for sin, dans Works, édition de Londres, 1817, t. vin ; Hislory of Rédemption (œuvre posthume), 1773. Sources lointaines de la tradition continuée par les manuels américains du xixe siècle

cités col. 2000). — G. Smeaton, The doctrine of atonement as taughl by Christ itselꝟ. 1868 ; …by the Apostles, 1870 ; T.-J. Crawford, The doctrine of holy Scriplure respecling the alonement, 1871. — L. Boissonas, Thèses sur l’expiation, Genève, 1845 ; J.-H. Merle d’Aubigné, L’expiation de la croix, Paris et Genève, 1867 ; J. Martin, Conférences sur la rédemption, Paris, 1846 ; E.-E. Courvoisier, De la mort de Jésus-Christ considérée comme sacrifice expiatoire, Strasbourg, 1853 ; E. Guers, Le sacrifice de Christ, Genève, 1867 ; Fr. Bonifas, Élude sur l’expiation, Montauban, 1861 ; J. Bastide, Exposé du dogme de la rédemption, Montauban, 1869.

b) Écoles adverses. — Rationalisme ancien : C.-F. Bahrdt, Ueber die kirchliche Genugthuungslehre. Ziillichau, 1796 ; C.-Chr. Flatt, Philosophischexegetische Unlersuchungen ùber die Lchrc von der Versôhnung der Menschen mit Golt, Gœttingue, 1797 (école de Kant) ; G.-M. de Wettc, Commentalio de morte Christi cxpialoria, Berlin, 1813 ; J. Wegscheider, lnst. théologies chr. dogmalicx (1817), 8e éd., Leipzig, 1844, III, ii, 132-144 ; Chr.-B. Klaiber, Die Lehre von der Versôhnung und Rechtfcrtigung des Menschen, Tubingue, 1823. — Libéralisme moderne : G. Menken, Die Versôhnungslehre (in wôrtlichen Auszùgen aus dessen Schriften), Bonn, 1837 (école de Schleiermacher ) ; Th. Hàring, Zu Ritschls Versôhnungslehre, Zurich, 1888 ; Zur Versôhnungslehre, Gœttingue, 1893 (école de Ritschl). — H. Bushnell, The vicarious sacrifice, Londres, 1866 ; J.-M. Wilson, The gospel of the atonement, 1901 ; T.-V. Tymms. The Christian idea of alonement, 1901. T. Colani, Élude des faits moraux relatifs au salut, dans Revue de théologie (Strasbourg), t. iv, 1852, p. 276-310 ; De la coulpe et de l’expiation, puis Examen de la notion orthodoxe du salut, même périodique, t. v, 1852, p. 52-61 et 12$1-$25 :  !  ; J.-P. Trottet, De la nature, de la vie et de l’œuvre du Christ, même périodique, t. vi, 1853, p. 204-223 ; De l’expiation, même périodique, t. xv, 1857, p. 157-175 et 177-201 ; Fr. Monnier, Essai sur la rédemption, Strasbourg, 1857.

— L. Durand, Élude sur la rédemption, dans Revue de théol. et de phil. (Lausanne), t. xxii, 1889, p. 337-370 ; L. Émery, La doctrine de l’expiation et l’évangile de J.-C, même périodique, nouvelle série, t. ii, 1914, p. 273-300 et 386-407. — Mais c’est surtout parmi les études positives citées plus haut, col. 1994, qu’il faut chercher les sommes les plus achevées du protestantisme libéral. Dans le grand ouvrage de Ritschl, la construction doctrinale occupe le t. n tout entier ; elle termine les esquisses historiques d’A. Réville et d’Aug. Sabatier, ainsi que les synthèses plus importantes de G.-B. Stevens et de II.’Rashdall.

c) Nouvelle orthodoxie de type moral et mystique. — J.-Chr.-K. Hofmann (d’Erlangen), Der Schriflbeweis, t. ii, Nôrdlingen, 1853, p. 115-335 ; Schutzschriflen fur eine neue Weise aile Wahrheil zu lemen, Nôrdlingen, 1856-1859. — J.-Macleod Campbell, The nature vf the atonement (Londres, 1855), 6e éd., 1886, réimprimée en 1906 ; R.-W. Monsell, The religion of rédemption (Londres, 1866), édition populaire, 1901 ; R.-W. Moberly, Alonement and Personalily (Londres, 1901), 4e éd., 1907. — Edm. de Prcssensé, Essai sur le dogme de la rédemption (extrait du Bulletin théologiquc). Paris, 1867.

d) Orthodoxie actuelle de tendance éclectique. — G. Kreibig, Die Versôhnungslehre auf Grund des chr. Bewusstseins, Berlin, 1878 ; V. Kôlling, Die Salisfætio vicaria, Gutersloh, 1897-1899 ; M. Kàhler, Zur Lehre von der Versôhnung, Leipzig, 1898 ; E. Cremer, Die slellvertretende Bedeulung der Person Jesu Christi, Gutersloh, 2e éd., 1900 ; II. Mandel, Christliche Versôhnungslehre, Leipzig, 1916 ; B. Steffen, Dus Dogma vom Kreuz, Gutersloh, 1920 ; R. Jelke, Die Versôhnung und der Versôhner, Leipzig, 1929 ; L. von Gerdtcll, Isl das Dogma von dem slellvertrelenden Siihnopfer Christi noch haltbar ?, Eilenbourg, 1908 (inspiré de Grotius) ; D r Wetzel, Grundlinicn der Versôhnungslehre, Leipzig, 2e éd., 1910 (se rapproche de la théologie catholique aa moyen du concept de médiation). — H.-W. Dale, The alonement (Londres, 1875), 24e éd., 1903 : trad. fr. par M. I’ellissier : La rédemption, Paris, 1883 ; P. —T. Forsyth, The cruciality of cross, 1909 ; The work of Chris !, 1910 ; J. Denney, The death of Christ et The alonement and the modem mind, Londres, 1903 ; réunis en un seul volume, Londres, 1911 ; The Christian doctrine of réconciliation, New— York, 1918 ; J.-S. Lidgett, The spiritual principle of the alonement, Londres, 4e éd., 1897 ; L. Pullan, The alonement, Londres, 1906 ; W.-F. Lofthouse, Elhics and atonement, Londres, 1900 ; P.-L. Snowden, The alonement and ourselves, Londres, 1919 (ces quatre derniers plus détachés de l’expiation pénale et d’autant plus rapprochés de nous). — A. Mattcr, Trois essais de théologie. Il : La rédemption, Paris, 1888 ; Ch. Bois, De la nécessité de l’expiation, dans Revue théologique (de Montauban), t. xiv, 1888, p. 97-117 ; Expiation et solidarité, même périodique, t. xv, 1889, p. 1-33 ; G. Fulliquet, La mort de Jésus, dans Revue chrétienne, t. XL, 1893, p. 283-310 et 302-373 ; J. Gindraux, La philosophie de la croix, Genève, 1912 ; G. Fromtnel, La psychologie du pardon, dans Études morales et religieuses, Neuchàtel, 1913 ; C.-E. Babut, Élude biblique sur la rédemption, Nîmes, 1914 ; A. Ilamm, Essai sur la satisfaction vicaire, Strasbourg, 1863 ; L. Choisy, Le but de la vie, la rédemption, Paris et Genève, 1879 ; H. Bois, La personne et l’œuvre de Jésus, Orthez, 191)0 ; H. Monnier, Essai sur la rédemption, Neuillꝟ. 1929 (ces quatre derniers avec quelques retours, inconscients et fugitifs, vers notre doctrine de la satisfaction).

2. Chez les catholiques.

Beaucoup moins nombreuses, les monographies conçues pour exposer ce dogme en dehors des cadres classiques ne manquent pourtant pas tout à fait.

a) Rédemption au sens large. — Documents pontificaux : Pie XI, encycliques Quas primas (Il décembre 1925) et Miserentissimus Redemplor (8 mai 1928) ; bulle Quod nuper (5 janvier 1933) sur le xixe centenaire de la rédemption.

Essais d’exposition doctrinale : Ai’g. Cochin, Les espérances chrétiennes (œuvre posthume éditée par H. Cochin, IIIe partie : La rédemption, Paris, 1888). — Bitter, Christus der Erlôser, Linz, 1903 ; E. Krebs, Heiland und Erlôsung, Fribourg-en-Br., 1914 ; E. Schlund et P. Schmoll, Erlôsung, Munich, 1925 ; B. Bartmann, Jcsus Christus unser Heiland und Kônig, Paderborn, 3e —4e éd., 1929 ; A. Donders, Erlôsungssehnsucht in aller und neuer Zeit, Munster-en-W., 1926 ; R. Storr, Erlôsung, Rottenbourg, 1935. — Fr. Mugnier Souffrance et rédemption, Paris, 1925 ; G. Bardy, E. Masure et M. Brillant, Le Rédempteur, Paris, 1933 ; H. Pinard de LaBoullaye, La personne de Jésus, Paris, 1933 ; Jésus lumière du monde, Paris, 1934 ; Jésus Rédempteur, Paris, 1930 ; B. Garrigou-Lagrange, Le Sauveur et son amour pour nous, Juvisꝟ. 1934. — U. M. d. C, Espiazionee redenzione, Borne, 1930 ; A. Vaccari, etc., La redenzione. Confcrenze bibliche, Borne, 1931.

Dans cette catégorie peuvent se ranger les études, anciennes ou récentes, consacrées à la notion de sacrifice : Ch. de Condren, L’idée, du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ, nouvelle éd., Paris, 1901 ; L. de Massiot, Traité du sacerdoce et du sacrifice de Jésus-Christ, Poitiers, 1708 ; Fr. Plowden, Traité du sacrifice de Jésus-Christ, Paris, 1788 ; J. Grimal, Le sacerdoce et le sacrifice de N.-S. J.-C, Paris, 1911 ; E. Masure, Le sacrifice du chef, Paris, 1932 (recension critique dans Revue des sciences rel., t. xii, 1932, p. 670-672). — M. ten Hompel, Dus Opfer als Selbsthingabe und seine ideale Vertviklichung im Opfer Christi, Fribourg-en-Br., 1920 ; E. Scheller, Das Priestertum Christi, Paderborn, 1931.

b) Rédemption au sens précis. — J.-H. Osswald, Die Erlösung in Christo Jesu, II : Soteriologie, Paderborn, 1878 ; G. Pell, Das Dogma von der Sünde und Erlösung, Ratisbonne, 1888 ; Der Opfercharacter des Erlöserwerkes, Ratisbonne, 1915. — C. Quiévreux, La rédemption, Paris, 1902 (oratoire) ; Éd. Hugon, Le mystère de la rédemption, (Paris, 1910), 6e éd., 1927 ; J. Laminne, La rédemption. Étude dogmatique, Bruxelles et Paris, 1911 ; J. Rivière, Le dogme de la rédemption. Étude théologique (Paris, 1914), 3e éd., 1931 (i. Révélation du mystère ; ii. Explication catholique du mystère ; iii. Déformations protestantes du mystère) ; esquisses préparatoires dans Revue pratique d’apol., octobre-novembre 19Il et janvier 1912 ; L. Richard, Le dogme de la rédemption, Paris, 1932 (recension critique dans Revue des sciences rel., t. xiii, 1933, p. 112-114).

c) Études partielles. — L. Cristiani, La foi et les grands mystères, Paris, 1917 ; S.-F. Smith, The atonement theologically explained, dans The Month, t. cxxxiii, 1919, p. 348-358 ; L. Richard, La rédemption mystère d’amour, dans Recherches de science rel., t. xiii, 1923, p. 193-217 et 397-418 ; Sens théologique du mot satisfaction, dans Revue des sciences rel., t. vii. 1927, p. 87-93 ; Péché et rédemption, dans Revue apol., t. l, 1930, p. 385-408 ; P. Galtier, « Obéissant jusqu’à la mort », dans Revue d’ascétique et de mystique, t. i, 1920, p. 113-149 ; A. Barrois, Le sacrifice du Christ au Calvaire, dans Revue des sciences phil. et théol., t. xiv, 1925, p. 145-146 ; J. Rivière, Le dogme de la rédemption dans la foi et la piété chrétiennes, dans Revue de la passion, 1933, p. 115-122.

Œuvres synthétiques. — Sous une forme plus ou moins succincte, quelques travaux de caractère plus rapide peuvent rendre service à titre de première information.

1. Notices dans les encyclopédies courantes. — F. Lichtenberger (prot.), art. Rédemption, dans Encyclopédie des sciences religieuses, t. xii, 1881, p. 132-152 ; O. Kirn (prot.), art. Versöhnung, dans Realencyciopädie, t. xx, 1908, p. 152-176 ; W.-E. Kent, art. Atonement, dans The catholic Encyclopedia, t. ii, 1907, p. 55-58 ; J.-F. Sollier, art. Rédemption, ibid., t. xii, 1911, p. 677-681 ; Divers, art. Expiation and Atonement, dans J. Hastings (prot.), Encyclopædia of religion and ethics, t. v, 1912, p. 636-671 ; Divers, art. Erlöser et Erlösung, dans H. Gunkel ; L. Tscharnack (prot.), Die Religion in Geschichte und Gegenwart, t. ii, 2e édit., 1928, col. 261-285 ; art. Versöhnung, t. v, 2e éd., 1931, col. 1558-1569 ; A. d’Alès, art. Rédemption, dans 'Dict. apolog. de la foi cath. t. iv, 1924, col. 541-582 (étude critique dans Bulletin de litt. eccl., 1924, p. 146-150) ; J. Rivière, art. Rédemption, dans Dicy. pratique des connaissances rel. t. v, 1927, col. 1034-1045 ; N. Schmauss, art. Erlösung, dans Lexikon für Theologie und Kirche, t. iii, 1931, col. 759-765.

2. Traités collectifs. — En Angleterre surtout, au risque de quelques divergences et de maintes lacunes, on aime faire entendre sur un même sujet des personnalités compétentes, qui, dans un ordre approximatif, eu touchent les principaux aspects. Le dogme de la rédemption a bénéficié de cette méthode telle quelle au moins deux fois : C. Lattey, etc., The atonement. Papers from the Summer School of catholic studies (31 juillet-9 août 1920), Cambridge, 1928 ; L.-W. Grensted, etc. (anglicans d’esprit conservateur), The atonement in history and in life. A volume of essays, Londres, 1929.

J. Rivière.