Dictionnaire de théologie catholique/RÉDEMPTION DES CAPTIFS (Ordre de la Merci ou de la)

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 296-302).

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RÉDEMPTION DES CAPTIFS (Ordre de la Merci ou de la). —
I. Fondateur. —
II. Organisation et caractère de l’ordre. —
III. Les théologiens de l’ordre. —
IV. Quelques questions théologiques spécialement étudiées dans l’ordre.

I. Fondateur.

Ce fut saint Pierre Nolasque qui fonda l’ordre de la Merci. Français d’origine, il naquit en 1180 à Mas-Saintes-Puelles, village situé entre Toulouse et Carcassonne. Afin de trouver de plus grandes facilités pour l’exercice de sa profession de marchand ou, d’après d’autres historiens, pour s’évader des guerres sanglantes des albigeois, il quitta sa patrie dans sa jeunesse pour se rendre à Barcelone. Dans cette ville, il continua l’exercice du commerce, ce qui fut providentiel, car ce commerce le jirépara à la mission que Dieu devait lui confier, en lui donnant une connaissance plus complète de l’horrible état des chrétiens détenus captifs par les musulmans et en lui donnant le courage nécessaire pour braver les dangers de la mer et des pirates.

Pierre Nolasque dépensa tous ses biens pour le rachat des captifs, il obtint même l’appui d’autres personnes charitables, mais tout cela n’était que fort peu de chose pour porter remède à un mal aussi généralisé. Ce fut à ce moment que, par ordre de Dieu, il fonda l’ordre de la Merci. Le fait, d’après tous les chroniqueurs de l’ordre, tant anciens que modernes, eut lieu de la façon qui suit : le saint se trouvait en prière dans la nuit du 1 er au 2 août de l’année 1218, quand il eut une apparition de la très sainte Vierge, qui lui ordonna de fonder un ordre ayant comme but tout spécial le rachat des captifs. Le projet fut communiqué au roi don Jaime I er, avec la protection duquel l’ordre fut fondé le 10 août de la même année, à l’aute ! de sainte Eulalie de la cathédrale de Barcelone. L’intervention du roi dans la fondation de l’ordre de la Merci est hors de doute ; de nombreux documents postérieurs du même Jaime I er, ainsi que de beaucoup de ses successeurs, en témoignent. Par contre, l’intervention de saint Baymond de Penafort ne peut être affirmée que comme probable.

La règle de Saint-Augustin fut donnée à l’ordre. Grégoire IX l’approuva le 17 janvier 1235. L’habit des religieux de la Merci fut blanc dès le début. Sur la poitrine ils portaient la croix blanche de la cathédrale de Barcelone et, depuis 1251, aussi les bandes des armes d’Aragon, en vertu d’une concession f : iite la même année par le roi Jaime et dont l’original est conservé dans les archives de la couronne d’Aragon.

Dès que l’ordre fut fondé, Pierre Nolasque travailla, avec plus d’ardeur que par le passé, au rachat dis captifs. Déjà d’autres personnes et institutions s’étaient adonnées plus nu moins à cette œuvre de charité dans l’Église, mais Nolasque lui imprima son caractère personnel par l’organisation qu’il adopta et les moyens qu’il imagina pour atteindre son but. Voici quels sont les trois moyens principaux dont il se servit pour donner de l’accroissement à son œuvre. D’abord il fonda dans les villes et bourgades des confréries qui ramasseraient les aumônes pour le rachat. Ensuite il détermina pour chaque couvent des territoires dont le monastère sérail responsable, et où il pourrait exercer son zèle sans difficultés ni entraves ; dans les premiers temps ces couvents se firent aider par des quêteurs séculiers ou des tertiaires, vu le manque de personnel. Le troisième moyen < ce fut de mener, par les villes et les bourgades, les captifs eux-mêmes, atin qu’ils fussent un témoignage vivant du fruit des aumônes et des horreurs de la captivité. P. Vâsquez, H M. de ! a Orden, t. i, p. 51. Le zèle et l’ardeur que Nolasque mit dans la réalisation de son œuvre furent tels, qu’il y consacra, non seulement ses énergies, mais sa ie elle-même et le bien-être de ses iils les mercédaires.

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

Il ordonna, par exemple, la vente des biens des religieux ainsi que des couvents eux-mêmes, s’il le fallait, pour le rachat des captifs, ce qui en réalité se fit plus d’une fois. Il disposa même que les religieux donneraient leur liberté si les besoins du rachat l’exigeaient.

En 1238, Nolasque accompagna le roi Jaime au siège de Valence. Dans la ville conquise, le roi lui donna des maisons et une mosquée pour en faire un couvent, peu après il lui fit don aussi du château du Puig lequel ne tarda pas à devenir un couvent et sanctuaire très célèbre. Il paraît aussi que le saint fondateur accompagna le roi saint Ferdinand à la prise de Séville, dans les années 1247-1248 ; il s’y fonda de même un couvent de l’ordre. Bien que le rachat des captifs fût très pénible, l’ordre se développa assez rapidement pendant la vie du fondateur et s’étendit à la Castille et à la France, mais le personnel n’était pas nombreux, à cause des difficultés qu’on a mentionnées.

En 1245, Nolasque reçut d’Innocent IV une bulle solennelle signée par le pape et par douze cardinaux. Cette bulle approuvait de nouveau l’ordre et ratifiait ses privilèges, en ajoutait d’autres et plaçait l’ordre sous la protection spéciale du souverain pontife. Finalement, tandis que Pierre Nolasque s’occupait de l’érection d’une église à la Mère de Dieu à Barcelone, berceau de l’ordre, la mort vint le surprendre le 13 mai 1240, mais il laissait son œuvre bien affermie. Dès le xve siècle il fut vénéré comme saint et le pape Urbain VIII ratifia solennellement son culte en 1028. Jamais il n’y a eu sur la terre un homme plus libéral que le grand saint Pierre Nolasque, fondateur de l’ordre sacré de Notre-Dame de la Merci » Bossuct, Panég. de saint Pierre Nolasque.

II. Organisation et caractère de l’ordre. — La Merci fut au début un ordre militaire comnii’l’étaient aussi les ordres d’Alcantara, de Calatrava et autres, et il conserva ce caractère pendant le premier siècle de son existence. C’est un fait certain que quelques chevaliers de l’ordre prirent part aux conquêtes de Majorque, Valence, Minorque, Alméria. etc., et reçurent pour cela des donations de la part des rois, comme les autres conquérants. Cependant, dès les débuts, la Merci compta des prêtres parmi ses membres et, d’après une décision d’Innocent IV de 1245, la charge de supérieur général devait être conférée à celui qui aurait obtenu le plus grand nombre de suffrages, qu’il fût chevalier ou prêtre.

L’ordre fut d’abord gouverné par les dispositions et les conseils du saint fondateur, ainsi que par les décisions des chapitres généraux « sa règle, dit Jaime II en 1301, était fort semblable à celle des Templiers, Calatraves et Uclés ». Fink, Acla arayonensia, i. Le premier recueil écrit de lois fut compilé par le quatrième maître de l’ordre, saint Pierre d’Amer, « après avoir vu et réuni les constitutions faites par les maîtres généraux nos prédécesseurs ». Les constitutions d’Amer furent promulguées au chapitre général de Barcelone en 1272. Elles sont très brèves. Le chapitre général, la grande institution de l’époque, devait être célébré chaque année pendant trois jours à partir du 3 mai. Tous les commandeurs (nom donné aux supérieurs des ordres militaires et qu’on conserve encore dans la Merci), ainsi qu’un religieux de chaque couvent de l’ordre, devaient y assister. La charge de maître général était à vie. Dans le chapitre, après que tous les capitulaires avaient prêté obédience au maître, on procédait à l’élection de son définitoire ou conseil, qui se composait de quatre religieux, deux laïcs et deux clercs et du prieur, prêtre qui était compétent pour les questions de juridiction ecclésiastique dans l’ordre tout entier. Le maître général, avec son conseil, nommait tous les commandeurs de l’ordre qui pouvaient être des chevaliers ou des clercs sans

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distinction. Après quoi le maître recevait la profession des novices. Ceux-ci ne promettaient que l’observance des vœux d’obéissance, de pauvreté et de chasteté et des constitutions du chapitre général.

Ces constitutions exprimaient ainsi le but de l’ordre : « Tout l’ordre, tout le labeur et l’œuvre de ses moines peuvent se ramener à ceci : travailler de bonne volonté et de bon cœur à visiter et délivrer les chrétiens qui sont au pouvoir des Sarrasins ainsi que des autres ennemis de notre loi. » Avec la même simplicité, elles demandaient auxreligieux, en peu de mots, l’accomplissement de ce devoir, exigeant d’eux jusqu’au suprême sacrifice : « Pour effectuer cette merci, que tous, comme fds de la véritable obéissance, soient joyeusement disposés à sacrifier leur vie, s’il le fallait, comme le Christ l’a fait pour nous. » (Posar tur vida, axi com Jesu-Christ la posa per nos, ainsi que dit le texte original catalan).

En 1317 le régime laïque de l’ordre fut changé ; désormais tous les supérieurs généraux furent des prêtres. Le premier d’entre eux, Raimond Albert, rédigea en latin (les précédentes l’étaient en limousin ) d’autres constitutions adaptées au nouveau régime de l’ordre. Celles-ci furent promulguées au chapitre de 1327. Pour l’élection du général, l’ordre fut divisé en cinq provinces. On emprunta aux constitutions des dominicains les normes générales de vie religieuse et, pour le reste, on ne fit que traduire les constitutions d’Amer. Le changement de la Merci en ordre clérical fut son salut, autrement l’ordre serait mort peu après comme les autres ordres militaires. En outre on commença de s’y adonner avec plus d’ardeur aux lettres et à toutes les formes du culte et de l’apostolat. Au cours des siècles suivants, d’autres réformes partielles furent faites dans la législation de l’ordre.

Les constitutions qui à présent régissent l’ordre, furent promulguées en 1895. Le but de l’ordre, tant pour le passé que pour le présent, y est ainsi exprimé : « Nos premiers religieux furent des rédempteurs de captifs, des pionniers de la parole de Dieu en même temps que des soldats qui maintes fois combattirent sur les champs de bataille contre les ennemis de la re’igion chrétienne. Ils donnèrent aussi une généreuse hospitalité aux miséreux et aux pèlerins. L’esclavage disparu, notre ordre se consacra entièrement au ministère sacré, à la conversion des infidèles et à l’éducation de la jeunesse. Nos religieux donc, en vertu de la nature et du but de notre institut, sont tenus d’étudier et de se consacrer avec ardeur à toutes sortes de ministères et de charges qui puissent, de quelque façon, aider le prochain à sauver son âme. » Art. 31-32.

L’ordre de la Merci se fit toujours remarquer par son héroïsme dans la pratique de la charité. Les papes ne savaient comment en faire l’éloge. Déjà en 1255, Alexandre IV appelait les membres de la Merci : « Les nouveaux Machabées de la loi de Grâce. » Vers le milieu du xve siècle, le Fr. Pierre de Cijar dans son œuvre théologique Opuscidurn tantum quinque, contre quelques adversaires de l’ordre, soutint que la Merci était la religion la plus parfaite entre toutes, et cela en vertu de son quatrième vœu, qui exige la charité à un degré héroïque, suivant la parole du Christ : Majorem liac dilectionem nemo habet ut animam suam ponat quis pro amicis suis (Joa., xv, 13). Peu de temps après, le P. Cijar, alors procureur de l’ordre à Home, eut la satisfaction de voir sa doctrine confirmée expressément par Calixte III qui interdit aux membres de la Merci de passer à un autre ordre, à moins que ce fut celui des chartreux. Le pape en donne la raison, et ses paroles mémorables renferment tout ce qu’on pouvait dire de plus grand sur le caractère et la vocation de la Merci : Semelipsos pro redemplioiic captioorum, qui in potestate inpdelium dunv servituli subjiciuntur, Altis simo deuoverunt, profitenles se paratos, eliam pro unius redemptione captini, non modo se ipsos captivitati paganorum, in excambium traderc, sed eliam, si opus juerit, mortem et tormenta quwlibpt tolerare (Cf. Bullarium du P. Freitas, fol. 96). Cet exemple de rare abnégation fut toujours l’objet des plus grands éloges soit des papes, soit de plusieurs écrivains : on n’ignore pas les éloges qu’aux « rédempteurs » rendent Cervantes, Villarroel, Balmès, Chateaubriand, etc. Voltaire lui-même le reconnaît : « Il faut bénir les frères de la charité, et ceux de la rédemption des captifs. Le premier devoir est d’être juste. » Quest. sur l’Encyclopédie, art. Apocalypse.

La note caractéristique des religieux de la Merci ce fut leur activité prodigieuse malgré leur petit nombre. Si l’histoire n’en témoignait, le verdict populaire le prouverait ; en effet un proverbe qu’on entend encore en Castille et qui figure dans toutes les collections des proverbes espagnols dit : Los frailes de la Merced son pocos, mas hâcenlo bien. « Les frères de la Merci sont peu nombreux mais travaillent bien. »

La Merci, fondée p ?r ordre exprès de la Mère de Dieu, conserva toujours son caractère mariai. Le général de l’ordre, le P. Caxal écrivait ces mots significatifs dans un document présenté au Saint Siège en 1414 : …ad Dei laudem et gloriam singularem et ejus malris virginis gloriosæ Mariæ quæ. nostri ordinis est fundamentum et caput (cf. Gazulla, Refutaciôn, p. 230). Ces mots révèlent clairement la pensée de l’ordre à ce sujet. Les membres de la Merci avaient tellement à cœur la gloire de Marie, leur mère et fondatrice que, malgré le petit nombre de leurs missionnaires, ils rendirent la dévotion envers Notre-Dame de la Merci extrêmement populaire dans les contrées de l’Amérique espagnole, au point que trois de ces républiques l’ont proclamée leur patronne.

III. Les théologiens de l’ordre de la Merci.

— Pendant les deux premiers siècles de leur histoire, les membres de la Merci ne s’adonnèrent pas beaucoup aux travaux intellectuels. Il y eut cependant, même alors, des hommes qui cultivèrent les études surtout les études sacrées. C’était une nécessité pour pouvoir soutenir des controverses avec les juifs et les maures, avec lesquels on était toujours en contact. Au xive siècle surtout, les gradués en droit et en théologie sont particulièrement nombreux dans l’ordre. Pour acquérir le doctorat en théologie on devait se rendre à Paris ou dans d’autres universités étrangères, car l’Espagne ne posséda de faculté de théologie qu’en 1395, quand Benoît XIII en fit concession à l’université de Salamanque.

Les primitifs.

- On a discuté pendant deux

siècles pour savoir si le saint évêque de Jæn, Pierre Pascual fut membre de la Merci. La question n’a pas encore été définitivement résolue, toutefois les raisons contre n’ont pas grande valeur. Ce grand évêque, qui subit le martyre à Grenade en 1300, écrivit plusieurs ouvrages de controverse, à l’adresse des juifs et des musulmans. Entre autres sont particulièrement remarquables la « Dispute contre les juifs » ou « Petite Bible », écrite en limousin, et 1’ « Impugnalion de la secte de Mahomet » en castillan. Cette dernière lui valut le martyre. M. Amador de los Rios, Hist. de la littérature espagnole, t. iv, p. 76, considère saint Pedro Pascual comme le vrai fondateur de l’éloquence sacrée espagnole, il faut aussi remarquer que c’est lui le premier qui ait fait usage de la langue espagnole pour écrire sur des matières théologiques.

Le général de l’ordre, Dominique Serrano († 1348) de nationalité française et professeur à Montpellier, donna un grand essor aux études dans la Merci ; après lui, les supérieurs ayant des titres universitaires sont nombreux.

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Au début du xve siècle, le P. Antoine Caxal († 1417) se fait tout spécialement remarquer. II passe pour l’un des plus éminents théologiens et canonistes de son siècle. Les rois Ferdinand I er et Alphonse V d’Aragon l’envoyèrent comme ambassadeur au concile de Constance, où il travailla avec ardeur pour la fin du schisme. Pendant le concile, le roi Ferdinand d’Aragon vint à mourir et son ambassadeur prononça devant le concile une longue oraison funèbre, Mansi, ConciL, t. xxviii, col. 567. Son activité au sein du concile fut très brillante et les Pères le jugaient digne de ceindre la tiare, mais le 25 mai 1417 il expirait à Constance. Il a composé le traité théologique Rosa ad auroram pour défendre l’immaculée conception de la vierge Marie.

Pendant le xve siècle se distinguent : Pierre Cijar, procureur de l’ordre en cour de Rome et auteur de l’ouvrage théologico-canonique Tantum quinque, imprimé au xve siècle et réédité en 1506. Antoine Morell, doyen en 1487 de la faculté de théologie de l’université de Toulouse et ensuite général de l’ordre. Le maître Sanrrasot de Dado, qui, dans les dernières années du même siècle, fut professeur de théologie à Bordeaux. Pierre de Becerril nommé arbitre en 1508 par Jules II pour dirimer les dissensions qui s’étaient élevées au sujet de la conception immaculée de Marie entre dominicains et franciscains. Le provincial de Castille, Fr. Jacques de Muros (1405 ?-1492), plus tard évêque de Tuy, conseiller de l’audience royale au temps des rois catholiques (Ferdinand et Isabelle de Castille), ambassadeur en cour de Rome et auprès d’autres cours d’Italie. Ce fut à ses instances que le chapitre général de Guadalajara, tenu en 1467, concéda aux gradués en théologie, de quelque université que ce fût, le droit de voix active dans l’élection du provincial. En 1475 on décida que le grade de maître ne serait octroyé qu’aux candidats qui auraient enseigné les quatre livres des Sentences et qui auraient présidé ou soutenu des conclusions en chapitre provincial ou général. Ces distinctions rehaussèrent le prestige de la théologie chez les membres de la Merci, et firent présager son plein essor au cours du xvie et du xviie siècle.

2° A partir du XVIe siècle. — La théologie se développa parmi les membres espagnols de la Merci, en même temps que se multipliaient les universités. Le P. Alphone Médina obtint, dès 1509, lachaire de Saint-Thomas à l’université de Salamanque et dès lors il y eut toujours dans cette université quelque professeur de la Merci. On peut en dire autant des universités d’Alcala, Santiago, Huesca, Valladolid, Barcelone, Valence, etc. Bien plus célèbre est Jérôme Pérez († 1549) qui fut le professeur de théologie des premiers jésuites à l’université de Gandie. Il était de Valence et fit ses études théologiques à Salamanque ou à Valence ; pendant vingt ans il enseigna la théologie dans cette dernière ville. Il avait déjà obtenu le titre de « jubilé », quand il fut appelé par le duc de Gandie, le futur saint François de Borgia, comme professeur à l’université que celui-ci venait de fonder. II y enseigna avec grand éclat. Le 10 janvier 1549, le P. Oviedo écrivait à saint Ignace : « Les leçons de théologie ont commencé et c’est le P. M. Pérez qui les fait ; on dit de lui qu’il est un personnage très docte, ayant écrit sur saint Thomas et enseigné la théologie pendant plus de vingt ans… On attend beaucoup de fruit de ce cours, étant donnée la science de ce maître… il nous a semblé qu’ils (les jeunes religieux), doivent étudier très diligemment la théologie, car ils ont une commodité telle qu’à Paris peut-être il n’y a pas mieux. » Mon. hist. S. J., t. xii, p. 177. Pérez mourut dans les derniers jours de 1549. Le 3 janvier 1550, François de Borgia écrivait au P. Araoz : « Maître Pérez a laissé la

chaire de la terre, puisse le Seigneur lui donner celle du ciel ! »

Il écrivit plusieurs opuscules théologiques, mais son ouvrage le plus important est celui qui a pour titre : Commentaria expositio super / am partem Su.mm.8c S. Thomæ Aquinatis. Quantum ad ea quæ concernunt /um Ubrum Sententiarum, Valence, 1518, ouvrage extrêmement rare aujourd’hui. Pérez s’écarte souvent des commentateurs de saint Thomas de son époque. Il reproche constamment à Cajétan en particulier de ne pas avoir compris saint Thomas. Zumel dit que Pérez répétait souvent : « Multiscius Thomas non est intcllectus a Cajetano hoc loco. » De vitis patrum et magislr. gênerai., Rome, 1924, p. 97.

Les deux points essentiels du molinisme, la science moyenne et la prédestination unie preevisa mérita ont un célèbre précédent dans l’œuvre du P. Pérez. Quant au premier point qu’on lise le passage suivant emprunté au fol. 50 de ses Commentaria :

An Deus sciât futura contingentai ? Circa primum notandum est : primo, contingens posse dupliciter considerari ; uno modo in se ipso, prout est in actu, et sic, ut bene inquit sanctus Thomas, non consideratur ut futurum sed ut pnesens… Secundum notandum est quod Deus futura contingentia non cognoscit ut futura pra’cise, ut nos, sed ut præsentia et hoc duoluis modis : uno modo videndo ipsas forum existentias prout sunt in seipsis ; alio modo videndo ipsas in earuin causis productivis, videndo omnia quæ possunt eus impedire et </ » « de facto Impedient et quw non impedienl.

Quant à la prédestination, on trouve au fol. 70 la doctrine qui suit :

l’trum prsf-scientia meritorum sit causa prredestinationis ? (Urca primum articulum notandum est primum quod cum prédestinât io essentialiter sit cognitio, quæ ad intellectum pertinet, et habet adjunctum propositum conferendi média et quæ ad voluntatem pertinent, ideo titulus potest duobus modis intelligi : uno modo de causa cognitionis, quod non est dubitabile quia talis cognitio est Deus et Dei nulla est causa. Alio modo ex parte adjuncti, utpote quare Deus vult conferre talia média, et adliuc potest esse dupliciter, quia vel potest qua-ri de causa volendi, et sic nulla est quæstio : aut potest qu ; rri de causa ipsius rei volitæ qua ; est effectus pra-destinationis ; hoc autem quod dixi de actu volendi intellige secundum rem, quoniam secundum rationem bene potest dari causa.

Nous avons donné ces citations à cause de leu intérêt pour la connaissance du prémolinisme, car beaucoup de jésuites portugais furent les auditeurs du P. Pérez et ce fut du Portugal que la doctrine revint en Espagne. D’ailleurs, Molina connaissait parfaitement cet ouvrage, il le cite en effet pour se défendre dans une Apologie qu’il adresse à l’Inquisition. Archivo Hist. Nacional de Madrid : Inquisiciôn, 4437. Le P. Henao, S. J., fait état, de son côté, de ce que Pérez « comprend le saint Docteur de la même façon que nous (les Jésuites) ». Scientia média historiée propugnata, Salamanque, 1665, n. 801.

Le P. J. Pérez se distingue des scolastiques de son époque par son style élégant et concis. Interprète habile de saint Thomas, il a souvent des points de vue originaux.

Cependant en fait de théologie, le personnage le plus remarquable de la Merci c’est Zumel (1540-1607). Le P. François Zumel naquit à Palencia. Il fit ses premières études à Salamanque où il enseigna pendant presque toute sa vie. Il occupa les plus hautes charges dans l’ordre, y compris celle de général. Il fut pendant plusieurs années vice-chancelier de l’université de Salamanque, au moment même où « cette école était la première du monde ». Il écrivit beaucoup, mais son œuvre la plus importante et la plus célèbre consiste en ses Commentaires sur saint Thomas surtout les volumes sur la morale.

Un peu avant Zumel, nous trouvons Gaspard de Torrès, professeur à Salamanque. Il fut pendant de longues années vice-chancelier de l’université. Il composa plusieurs ouvrages, entre autres les Statuts qui dès 1561 régirent cette université. Dans cette dernière saint Thomas remplaça le Maître des Sentences qui en avait été le livre de texte jusqu’à ce moment.

Zumel donna un très grand essor aux études, surtout théologiques, dans la Merci. Lafuente le reconnaît, Hist. eclesiâstiaca de Espaha, 2e éd., t. v, p. 303 ; mais il se plaint de ce que, à son avis, la Merci oubliait peut-être un peu son but essentiel, le rachat des captifs.

Pendant les xviie et xviiie siècles, les religieux de la Merci occupaient des chaires dans toutes les universités de l’Espagne et dans quelques-unes de l’étranger. « Dans la célèbre université de Salamanque, disait le cardinal Lambertini devant Clément XI, en 1717, la Merci a la première chaire d’Écriture sainte, de philosophie, de morale et de saint Thomas ; dans celle d’Alcala, la deuxième chaire, dans celle de Compostellc la première chaire de théologie ; dans celle de Tolède la deuxième ; dans celle de Huesca la première chaire d’Écriture sainte et de philosophie ; dans celle de Lerida la deuxième et de même dans celle de Saragosse ; de sorte qu’il n’y a pas d’université en Espagne où la Merci non seulement ne brille par la contemplation, mais n’éclaire par l’enseignement. » Allocutions de Rome, année 1717.

Le P. Alonso Remôn († 1632), écrivain très fécond, outre un grand nombre d’ouvrages ascétiques et mystiques en espagnol, publia en 1612 un Epitome theologiæ moralis.

Le P. Antioco Brondo († 1619) né à Cagliari en Sardaigne, publia le De arcanis sacrée utriusque Iheologiæ scholastica* et positivx dispulation.es. etc., 2 vol., Rome, 1612 et 1614. Le premier volume très loué par Martini dans sa Riographia Sardiniæ et d’autres, fut celui qui attira le plus de renommée à son auteur. Le deuxième volume est presque introuvable ; d’après un exemplaire que j’ai eu entre les mains à Rome dans notre bibliothèque de Saint-Adrien, l’auteur se montre très érudit et théologien profond, soit dans la partie scolastique, soit dans la positive. Dans les questions sur la grâce il cite et suit généralement Zumel.

Contemporain de Brondo et comme lui né en Sardaigne, Ambroise Machin (1580-1640), fut général de l’ordre en 1618 et archevêque de Cagliari dès 1627. Machin est thomiste mais avec beaucoup de largeur d’esprit et sa polémique est toujours courtoise. « Il cite souvent Zumel et d’autres théologiens de son temps. Il s’écarte des thomistes en ce qui regarde la prémotion physique, quant au côté matériel du péché, et il s’en éloigne aussi dans la controverse sur l’immaculée conception. Avec Suarez il pense qu’il n’y a pas de contradiction à ce que la créature soit, par la puissance de Dieu, instrument obédientiel de la création ; que l’ange ne peut, ex natura sua, pécher par subreption ou indélibération, mais que par contre il le peut par légèreté de matière. Il affirme aussi que Dieu peut, par sa puissance absolue, faire que l’intelligence créée s’élève à la vision béatiflque avant l’illumination de la gloire, et il soutient que des saints, tels que Moïse et saint Paul, ont joui transitoirement de la vision béatiflque pendant cette vie… On ne peut pas refuser une place d’honneur au grand théologien sarde dans la lignée des commentateurs du Docteur nngélique cl dans le panthéon de la théologie scolastiqne du xviie siècle. » P. Goyena, S..J., dans RazànyFé, 1918.

Non moins remarquable que Machin est Jean Prudencio (1610-1658). Il enseigna la philosophie et la théologie à Huesca el à Al cala successivement De ses ouvrages, deux seulement furent imprimés : 1. Com mentarium super XXIV primas questiones III 31 part. Summee theologicse sanctissimi Thomw, deux forts volumes in-fol., Lyon, 1654 ; 2. Opéra theologica posthuma super quæstiones xii, XI v et xix S. P. D. Thomas, Lyon, 1690, 1 vol. in-fol. D’après le P. Castell, O. S. B., Prudencio se montre dans ces ouvrages comme connaissant à fond la théologie tant ancienne que moderne, dialecticien habile et clair dans l’expression de sa pensée et polémiste redoutable. Prudencio réfute vigoureusement la « science moyenne » de Molina et répond avec succès aux difficultés qu’on oppose au concept de la grâce efficace ab intrinseco (Tract, de arbilrio hum., pars II a, p. 48). Prudencio est assurément l’un des premiers théologiens de son époque.

De ce même siècle est Silvestre Saavedra († 1643), profond théologien de la sainte Vierge, dont l’ouvrage Sacra Deipara, seu de eminentissima dignitate Dei genitricis immaculatissimæ Lyon, 1655, est très important et offre encore un réel intérêt.

Quoique d’importance moindre que ceux que nous venons de citer, il faut nonnner : Pierre de Ona († 1626), dont l’œuvre théologico-ascétique sur les quatre fins de l’homme. Postrimerias del hombre. qui parut en 1603 à Madrid, fut plusieurs fois rééditée. Elle est aussi de grande valeur littéraire pour la langue espagnole. Cependant Ona est connu surtout comme philosophe car il écrivit des Commentaria très érudits des livres d’Aristote. — Jean Negrôn († 1603), grand orateur, composa un De sacrameniis in génère et in specie, Madrid. — François Pizafio († 1651) publia à Madrid en 1649 un Compendium totius mysticæ Iheologiæ, etc. (531 folios) que Hardâ qualilie de parvum mole, sed doctrina gigantem. — Louis Aparicio († 1649) est l’auteur du De cultu patris Adam sanctorumque V. T, Madrid, 1639. — Le P. Mendoza († 1665} mourut très jeune, mais il a laissé une preuve de son savoir, dans une Theologica prælectio, Alcala, 1661. — - Gabriel de Adarzo y Santander, archevêque d’Otrante († 1674), compos’parmi d’autres ouvrages un vol. in-fol. : Questiones scholasticie, Madrid. Il créa à l’université de Salamanque, en 1663, une chaire de théologie morale dont le premier titulaire fut le Fr. Joseph Gonzalez de la Merci. — Le P.Nolasque Melezé se fit remarquer, à la fin du xviie siècle, à Bordeaux où il fut régent de théologie. — Il faut citer aussi dans ce siècle le P. Barthélémy Laplaine († 1692) auteur de Magna commentaria in universam catenam auream divi Thomæ Aquinalis, Paris. — Le P. François Alchacoa publia en 1685 une Summa Iheologiæ moralis à Pampelune. — Le mexicain Fr. Pedro Celis († 1677) fit imprimer des Tractatns theologici in / am part. D. Thomw, et à Mexico, en 1615, un volume traitant de questions théologiques sous le titre de Laurea mexicana. — On peut aussi faire mention du fameux Séraphin de Freitas († 1632) qui écrivit De juste imperio Lusilanorum, etc., lequel eut plusieurs éditions. — En 1696, mourut à Valence le P. Jean Aparicio, homme d’une étonnante érudition, qui avait publié de nombreux ouvrages fort appréciés sur la théologie, la sainte Écriture, l’histoire, les mathématiques, l’astronomie, la géographie, la linguistique, etc.

Le xvi il’siècle.

Bien que le XVIIIe siècle soit

un âge de décadence pour la théologie, la Merci compta pourtant deux théologiens remarquables : le P. Ambroise de Albendea et le P. Augustin Cabadés Magi.

Encore 1res jeune, le 1’. Albendea obtint une chaire do Saint-Thomas à l’université d’Alcala. Pendant la guerre de succession d’Espagne, il se rangea du côté de l’archiduc Charles d’Autriche, ce qui l’obligea de s’enfuir ; il perdit ainsi, en 1711, sa chaire d’Alcala. II mourut à Naples, en 1739, dans le couvent de Sainte-Ursule de la Merci. L’unique ouv.age qu’on ait imprimé de lui est intitulé : Tractatus de spe theologica,

Madrid, 1700. Albendea fut un infatigable polémiste, son œuvre est remplie de discussions et de diatribes contre presque tous les théologiens de quelque renom. Son esprit est très fin et sa pensée originale. Hardâ nous dit que son travail est miro ingenio prrfectum, et industriel elaboraium.

Le P. Cabadés Magi († 1797) connut plus de succès avec ses Institutioncs theologicæ in usum tironum, 4 vol., Valence, 1784-1790. C’est le mérite du P. Cabadés d’avoir banni de l’Espagne les anciennes méthodes scolastiques pour s’adapter à ce que l’on faisait en d’autres pays. Sous ce rapport, son livre reçut un très bon accueil, si bien que, même au commencement du xixe siècle, il était employé comme livre de texte dans plusieurs centres ecclésiastiques de l’Amérique latine. Il est ennemi des controverses et des subtilités scolastiques, de bon goût littéraire et grand admirateur de saint Augustin.

On doit aussi nommer : Nicolas Cavero († 1757) théologien et historien fort érudit qui reçut des éloges chaleureux de Benoît XIV. —Michel de Ulate († 1721) exégète, historien et poète latin très élégant. — Ramirez de Orozco († 1788) qui démontra la légitimité du prêt à intérêt, ce qui lui valut d’abord d’innombrables critiques et plus tard de grands éloges. — Antoine Solis, auteur d’une intéressante Disputa sobre malerias morales, Madrid, 1785, en castillan. — Jean-Antoine Pérez, qui publia en 1803 la continuation du De locis tlieologicis de Melchior Cano sous le titre : Usus locorum theologicorum in expositione sac. Script, in defensione adversus… et in sacris concionibus, Madrid, 1803.

— Théologien insigne, grand canoniste et critique remarquable, le P. Manuel Villodas publia à Valladolid, en 1792, un ouvrage en deux volumes intitulé Analisis de las antiguedades eclesiâsticas de Espana. Cet ouvrage fut adopté comme manuel dans quelques universités et centres d’études supérieures. Le P. Pierre Rodriguez Miranda le traduisit en latin en 1828-1830 (Madrid).

Les mereédaires enseignèrent la théologie dans quelques universités de France et d’Italie. Le P. Chrysostome Ferbos eut une chaire à Bordeaux dans la première moitié du xviiie siècle et l’université lui décerna les plus grands éloges. La même chaire était occupée en 1790 par le P. Melhie de Grange. Mais bien plus nombreuses étaient les chaires que les mereédaires occupaient dans l’Amérique latine et il serait trop long de citer tous les écrivains de ces régions.

Vers la fin du xviiie et le commencement du xixe s., une forte réaction se produisit dans la Merci tendant à réorganiser les études. Réaction qui échoua à cause des perturbations politiques, des sécularisations et autres vexations de la part du pouvoir civil.

Le général de l’ordre, Aguilar y Torrés, créa à Rome dans le couvent de Saint-Adrien (1785) une école de langues orientales qui forma plusieurs théologiens et biblistes, espagnols en majorité. Le R. P. Martiiez (1774-1827) réformait à son tour les études dans la Merci par sa nouvelle Ratio sludiorum. Grand théologien, le P. Martincz enseigna dix-huit ans à l’université de Valladolid. Son prestige était grand aussi dans les affaires politiques, c’est lui qui fut pendant plusieuis années l’arbitre de la politique du roi Ferdinand VII. Par ordre de ce roi il rédigea le Plan d’études et règlement général des universités du royaume, que le ministre Calomarde promulgua en 1824. « Par lui, dit Menéndez y Pelayo (Hisl. de los heterodoxos, t. iii, p. 525), l’enseignement de la théologie fut bien organisé. » Ce plan reproduisait en grande partie le plan de la Merci rédigé en 1817.

L’ordre de la Merci ne se répandit que dans les pays latins d’Europe et d’Amérique, c’est pourquoi les persécutions qui sévirent dans ces nations pen dant la première moitié du xixe siècle l’ont presque complètement anéanti. Aujourd’hui la Merci s’efforce de relever ses collèges majeurs pour former le personnel enseignant, et essayer de refaire le passé.

IV. Principales questions théologiques étudiées dans l’ordre. — Il nous reste maintenant à noter brièvement les points théologiques qui ont caractérisé l’ordre de la Merci.

La Communion quotidienne.

Dans l’histoire de

cette pratique la Merci a eu une part très importante. Voir Comm. eucharistique, t. iii, col. 515 sq.

Pierre Machado, († 1609) écrivain profond, savant hébraïsant et bibliste remarquable, auteur de l’Expositio lilteralis et moralis omnium evangeliorum, etc. Burgos, 1604 ; Mayence, 1608 et Cologne, 1612, publia aussi un ouvrage intitulé De la Comuniôn cuotidiana, dans lequel il soutient, avec d’autres de son temps, qu’il faut communier même le vendredi saint. Et Jean de la Vega atteste, Respuesta apologetica, Madrid, 1659, p. 9, que dans l’église de la Merci au commencement du xviie siècle on communiait tous les jours, y compris le vendredi saint. Le P. Rodriguez de Torrés, Empenos del aima a Dios etc., Burgos, 1611, fol. 337, soutient la légitimité d’une telle pratique, il s’appuie sur l’usage de l’Église primitive et sur le fait de « ne pas trouver de texte canonique qui l’interdise ». Le Fr. Melchor de los Rcyes publia à Cadiz, en 1630, le traité Prudencia de con/esores en orden a la comuniôn cuotidiana, et le Père Mateo de Villarroel, en 1635, le livre De la oraciôn y frecuente comuniôn.

Mais bien plus grande fut l’influence exercée par le Vén. Jean Falconi. Mort en odeur de sainteté en 1638, il laissait parmi ses écrits un ouvrage intitulé El pan nuestro de cada dia (Notre pain de chaque jour). Imprimé pour la première fois à Madrid en 1656, il eut beaucoup d’autres éditions en espagnol, en italien et en français (la dernière parmi celles-ci ce fut celle du P. Couet, Paris, 1893). Le P. Jean Falconi usait à l’égard de ses dirigés, qui étaient fort nombreux à la cour, d’une méthode très simple et efficace. Au commencement, une confession générale suivie d’un certain temps destiné à la réforme des mœurs moyennant l’oraison mentale deux fois par jour. Puis il leur imposait la communion quotidienne qui, dans de telles conditions, produisait des grands fruits. Ses succès excitèrent la jalousie de quelques-uns, et c’est pour se défendre qu’il écrivit l’ouvrage cité. Le nom du P. Falconi est associé aux deux décrets fameux émanés du Saint-Siège au sujet de la communion fréquente : Celui de 1679, Cum ad aurcs, à la rédaction duquel prit part le P. H. Marracci qui avait traduit en italien l’ouvrage du P. Falconi ; et celui de 1905, Sacra Tridentina synodus, par lequel Pie X mit fin à la polémique soutenue par les PP. Godts, rédemptoriste, et M. Chatel, d’une part, et le P. Couet d’autre part, à l’occasion de la traduction française faite par ce dernier de l’ouvrage du P. Falconi. D’autres théologiens prirent part ensuite à la polémique et, la cause ayant été portée à Rome, ce fut l’occasion du décret mentionné.

Théologie mariale.

La Merci reconnaît en Marie

sa fondatrice. Les membres de l’ordre se firent toujours un devoir de défendre la pieuse croyance à l’immaculée conception de Marie. Avant même Duns Scot, saint Pierre Pascual la soutint, et non comme une vérité quelconque. Ainsi que le dit Mgr. Valenzuela, De intemerato Deiparæ conceptu, Rome, 1904, p. 176 : … ipse (S. Pierre Pascual) primus eam proposait, non modo uti piam opinionem amplectendam, sed uti veritatem catholicam firmiter credendam. Dès lors, tous ceux qui parmi les religieux de la Merci traitèrent de cette question, eurent à coeur de défendre ce privilège de la Mère de Dieu. Ayant voulu une fois cata

loguer tous les théologiens contraires à cette vérité, Bandello, général des dominicains du temps de Sixte IV, dut avouer qu’il ne put retrouver aucun membre de la Merci qui fût favorable à son opinion à lui. Les constitutions prescrivaient de suivre saint Thomas, mais « exception faite en ce qui regarde l’immaculée conception de Marie que les membres auront toujours soin de soutenir ».

Pierre de la Sema fut le premier à enseigner que quiconque mourrait pour soutenir cette doctrine serait martyr. Il fut suivi par beaucoup d’autres théologiens et leur doctrine fut l’origine de ce qu’on appela « cl vota de sangre » (le vœu de sang) qu’on faisait pour la défense de ce mystère.

Le P. Castelvi († 1695) devint célèbre à cause de l’énergie avec laquelle il soutint aux universités de Salamanque (1649) et de Valladolid la « définibilité » ultimo et proxime de la conception immaculée, et l’idée que, dès le moment de sa conception, Marie avait joui de la vision béatifique. Il fut de ce chef déféré à l’Inquisition, mais il fut absous. Les deux frères Joseph († 1678) et François Pintre († 1671) composèrent et firent imprimer de gros volumes sur l’immaculée conception, tandis que Raymond Ferrini († 1782), un Romain, publiait à Naples, en 1781, une excellente Dissertatio theologica apologetica etc. sur le même mystère. Le P. Valenzuela (op. cit., p. 218-224) rapporte un catalogue des ouvrages de 74 théologiens de la Merci ayant soutenu la « pieuse croyance », ce catalogue est cependant incomplet.

Deux membres de la Merci méritent plus que les autres l’honneur de paraître dans l’histoire de la théologie mariale. Pierre de la Serna (1580-1642) et Silvestre Saavedra († 1643).

Pierre de la Serna naquit à Séville, y prit l’habit de la Merci et y fit ses études. Pendant de longues années il professa la théologie et la philosophie, jusqu’à ce qu’en 1622 il passât chez les déchaussés où il fut provincial. Il mourut à Grenade en 1642, laissant de nombreux écrits sur des matières diverses : Commentaria in Logicam Arislotelis, Séville ; Suflîcientia concionatorum, Léon, 1637, etc., etc. Il nous intéresse ici principalement par Fons vitse, sive de B. V. Maria, 1623, 2e éd., 1630 ; Commentaria in Apocalypsim, Madrid, 1640 et 1860, 2 vol. in-fol., et Estalutos que lian de guardar los esclavos de N. Senora de la Merced, Séville, 1615. Ce dernier est un vol. de 303 fol. in-8°. Sur le dos du parchemin on lit Esclavilud de Maria (esclavage de Marie) et en dessous la lettre S. Il est intéressant de constater que dans cet ouvrage « l’esclavage de Marie » est exposé presque avec les mêmes termes qu’un siècle plus tard emploiera saint Louis-Marie Grignon de Montfort. Le saint connut-il l’ouvrage en question ? Nous l’ignorons, mais ce n’est pas improbable. Dans la revue mariale El Mcnsajem de Maria, 1922, le P. A. de Santa Maria fait un parallèle intéressant des passages les plus semblables dans l’œuvre du saint et dans celle du P. de la Serna.

Silvestre Saavedra a déjà été mentionné antérieurement, nous n’avons à rappeler ici que son ouvrage. Sacra Deipewa qui, au dire du P. Gazulla, Re/utaciôn etc., p. ll(i, « compte parmi ce qu’on a écrit de plus génial et de plus profond sur la très sainte Vierge ». Il fut imprimé en 1655, douze ans après I ; ’. mort de l’auteur. Ses idées furent attaquées par les Salmanticences et il eut comme défenseur le P. Gonzalez, de la Merci, évêque de Ciudad Rodrigo et de Plaseneia.

Théologie mystique.

Depuis le XV1e siècle, bien

des membres de la Merci écrivirent sur les choses spirituelles.

Melchor Rodrigucz de Torrés (155$1-$20 12) laissa divers ouvrages ascétiques, parmi lesquels il faut surtout remarquer celui qui est intitulé Agricultura del

aima y ejercicios de la vida reliyiosa, Burgos, 1603. L’élégance du style, la sûreté de la doctrine et l’onction très délicate de cet ouvrage le placent au rang de ce qu’on a écrit de mieux pour l’instruction des jeunes religieux.

Un mouvement très intense de vie spirituelle carac térisa plusieurs couvents de la Merci au xviie siècle, notamment celui de Madrid. Ce mouvement eut son apogée dans l’éminente personnalité du P. Falconi. Un de ses maîtres, le P. Jean Chrysostome Puga († 1651) écrivit la Vida de Fr. Juan de San José, 1638, et Jardin del Esposo, 2 vol., Madrid. Un autre des maîtres de Falconi, Matthieu de Villarroel († 1635), composa le Tralado de la necesidad de la oraciôn y frecuenlc communion, et le précieux opuscule Reglas muy importantes para et ejercicio de la jrecuente oracion, etc. « qui eut autant d’éditions qu’il compte de mots » ( !) au dire du P. Rojas. La traduction française en a été rééditée par M. Michel Even dans La vie spirituelle, 1932. Villarroel y expose la doctrine sur la prière que plus tard son disciple Jean Falconi (1596-1638) va développer.

Né à Fifiana, dans la province andalouse d’Alméria, Jean Falconi professa la théologie à Ségovie puis à Mcala. Transféré à Madrid, il s’y adonna corps et âme à la direction des âmes. « Falconi et quelques autres Pères, dit un historien moderne, changèrent l’Église de Madrid en fournaise de ferveur et école d’oraison. » Il avait le don admirable de lancer les âmes dans le chemin de la prière et du renoncement. « Il semait tant d’amour de Dieu qu’il convertissait en un ciel les couvents qu’il visitait », dit le P. Pedro de Arriola, qui recueillit ses œuvres. Après de pénibles souffrances, et vénéré de tous, il décéda saintement à Madrid. Ses ouvrages furent imprimés après sa mort seulement, et furent édités plusieurs fois en espagnol, en italien et en français. En voici les plus importants : Carlilla para saber leer en Cristo, libro de vida eterna, (L’a b c, pour savoir lire dans le Christ, livre de vie éternelle) ; Vida de Dios (Vie de Dieu) ; El pan nuestro de cada dia (Notre pain de chaque jour) ; Camino recto para et cielo (La voie qui conduit droit au ciel) ; Caria escrita a una hija espiritual (Lettre écrite à une fille spirituelle) ; Caria escrita a un religioso en dejensa del modo de oracion en pura fé ensenado por él (Lettre écrite à un religieux en défense de la méthode d’oraison de foi pure, enseigné par lui), etc. Falconi expose largement sa méthode d’oraison dans El camino recto, ouvrage qui n’est pas connu de la plupart des critiques tels que Poulain, Pourrat et le P. Dudon. Ils étudient par contre ses idées dans ses Lettres traduites tendancieusement par les partisans de Molinos et qui, dès lors, ne méritent guère de confiance. La version italienne de ces lettres et de l’alphabet, fut mise à l’Index par le Saint-Office, en 1688, parce que Molinos prétendait s’y appuyer. Néanmoins la sainteté et la bonne intention de Falconi est universellement reconnue. « Falconi, écrit le P. Dudon, était sans conteste un homme de Dieu, ses intentions étaient pures, sa vie durement crucifiée, son imitation des vertus du Sauveur fort active. » Michel Molinos, p. 14. M. Pourrat, La spiritualité chrétienne, t. iv, p. 199, fait remarquer l’influence de Falconi sur Malaval, Mme Guyon et d’autres préquiélisles. mais il ne semble connaître que les opuscules mentionnés en dernier lieu et dans leur version française. Dans son ordre. Falconi fut toujours très estimé et tenu pour un saint.

Falconi fit école dans les couvents de la Merci. Nous ne ferons que mentionner quelques-uns de ses disciples : Pizafio de Léon, qui publia, en 1650, à Alcala, une Instrucciôn acerca de la oraciôn mental (Instruction sur l’oraison mentale) ; un an auparavant il avait fait paraître à Madrid un excellent Compendium totius théologies mystiac (Madrid, 1619) ; le vénérable Fran

çois Castelvi (1626-1695), qui, entre autres, écrivit une défense de Falconi ; Paul Ramirez de Bermudo († 1669) qui laissa un Gobierno espiritual para las aimas que desean en la Religion vivir vida perfecta (Conduite spirituelle des âmes désireuses de mener une vie parfaite dans l’état religieux), Madrid, 1676 ; Jérôme Rodriguez de Valderas (1592-1671), évêque de Badajoz, qui, en plus d’autres ouvrages imprimés, laissa une apologie des écrits de Falconi et une vie du vénérable. Citons aussi Jean de Rojas y Ausa, évêque de Nicaragua († 1684), auteur de nombreux ouvrages ascétiques, entre autres : La verdad vestida (La vérité vêtue), Madrid, 1670 ; Representaciones mislicas… (Représentations mystiques), Madrid, 1677 ; 2e éd., 1679 ; Catecismo real… (Catéchisme royal…), Madrid, 1672 ; Compas de perjectos con Cristo crucificudo, (Compas des parfaits avec le Christ crucifié), Madrid, 1668. Il écrivit en outre une vie de Falconi, Madrid, 1674, dans laquelle il expose largement ses doctrines. Bernard de Santander y Barcenilla († 1692) qui écrivit un livre intitulé Escuela de Cristo (L’école du Christ), 3 vol.. Madrid, 1671-1673, 2e éd., 1757. Il serait trop long de citer tous les autres. La vie du P. Falconi a été écrite par les P.P. Jean de Rojas, Philippe Colombo, Jean de Medrano, Jérôme de Valderas, François Boil et Pierre de Arriola. Parmi ceux qui prirent encore la défense de Falconi on peut citer Pierre-Etienne Menéndez et beaucoup d’autres. Nous avons nommé ces auteurs parce qu’ils gravitent plus ou moins autour de Falconi. La liste des écrivains ascétiques et mystiques de l’ordre de la Merci, aux xvie et x vu » siècles, serait interminable.

Gaver, Calhalogus magistrorum, etc., i/mo 1445 scriptus, Tolède, 1928 ; Guimerân, Bre » e kisloria de la orden de N. S. de la Merced, Valence, 1591 ; Vargas, Clironica ordinis de Mercede, 2 vol., Palerme, 1618 et 1622 ; Zumel, De intis Patrum, Salamanque, 1588, nouv. éd., Rome, 1924 ; Salme : ôn, Recuerdos histôricos, Valence, 1646 ; Ribera, Milicia mereenaria, Barcelone, 1726 ; Real patronalo, Barcelone, 1725 ; Fr. Gabriel Téllez (Tirso de Molina), Hisioria de la Orden de la Merced, en ms. a l’Académie d’histoire de Madrid ; Linâs, Bullariam ordinis, Barcelone, 1696 ; Régula et constitutiones ordinis de Mercede, Home, 1895 ; F. Gazulla, Jaime I de Aragon g la orden de la Merced, Barcelone, 1919 ; du même Rejulaciôn de un libro titulado.S’o/i Raimundo de Penafort, etc., Barcelone, 1920 ; du même Estudios hislôrico-crltieos de la orden de la Merced, Barcelone, plusieurs vol. en cours de publication ; P. Gazulla, Los primeras mercedarios en Chile, Santiago de Chili, 1919 ; Pérez, Los rcligiosos de la Merced que paxaron a la America espanala, Séville, 1924 ; du même, Historia de las misiones mercedarias en America, Santiago de Chili, en cours de publication ; du même, Obispos de la Merced en America, Santiago de Chili, 1927 ; Vâzquez, Manual de historia de la ardai de la Merced, 1. 1, Tolède, 1931 ; du même, Actas de algunos capitulas générales. Home 1930-1933 ; du même El P. Fr. Francisco Y.umel, Madrid, 1920 ; du même El Mæstro Fr. Gaspar de Torres, Ferrol, 1927 ; du même Don Diego de Muras.., , Madrid, 1919 ; Valenzuela, Obras de San Pedro Pitscual, 4 vol., Rome, 1905-1908 ; Hardâ, Bibliotheca scriptorum ordinis de Mercede avec des suppléments et additions du P. Arques Jover, en ms. au couvent de la Merci de la Buena Dicha (Madrid) ; Gari, Bibliotheca nwreedaria, Barcelone, 1875 ; P. Goyena, La Teologia entre las mercedarias espatioles dans Razon g Fé, 1919 ; La Merced, revue mensuelle publiée par la Merci deCastille depuis 1918. au Ferrol et à Madrid, elle renferme beaucoup de documents et d’histoire de l’ordre ; Bolelin de la orden de la Merced, publié à Rome depuis 1912, il contient des documents importants.

É. Silva.