Dictionnaire de théologie catholique/RÉDEMPTION III. Explication de la foi catholique 1. Cadre doctrinal de la rédemption

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 272-274).

III. EXPLICATION DE LA FOI CATHOLIQUE.—

Certe crucis mysterium, observe le catéchisme du concile de Trente, v, 1, édit. Doney, t. i, p. 96, omnium dijfcillimum exislimandum est. En dépit ou peut-être à cause de cette « difficulté », le dogme de la rédemption est sans doute celui qui a, de tout temps, le plus vivement excité et le plus richement nourri la spéculation des théologiens.

Lassés de n’aboutir qu'à des résultats précaires, en vain quelques-uns, parmi les protestants modernes, voudraient-ils abandonner toute investigation sur le mode pour ne retenir que le fait, four toute âme croyante, l’adage Fides quærens intellectum s’impose à la fois comme un besoin et un devoir. Autant qu’aux lois de la nature humaine, l’agnosticisme serait une injure au caractère divin de la révélation. Sous réserve du mystère, que personne évidemment ne peut ni ne veut perdre ici de vue, est-il nécessaire de dire, au demeurant, combien est précieux pour la foi le concours que la raison est susceptible de lui prêter ?

Il ne s’agit d’ailleurs pas de se risquer à de problématiques improvisations. Au moins depuis saint Anselme, l'Église est en possession d’une doctrine qui a fait ses preuves : il n’est que de savoir la comprendre et l’utiliser.

Sans doute la critique de l'édifice construit par l'École en matière de sotériologic a-t-elle fait, pour sa part, les frais de toutes les crises intellectuelles. Tour à tour, au début du xixe siècle, le rationalisme chrétien, avec G. Hermès, voir t. vi, col. 2299, bientôt suivi par A. Gûnther, et, dans les premières années du xxe, le dogmatisme moral, avec L. Laberthonnière, Annales de phil. chr., 4 1 ' série, 1906, t. i, p. 516-534, dont devait s’inspirer le P. Sanson. Conférences de NotreDame (3 avril 1927), ont servi de prétexte à des assauts contre la salisfactio vicaria.

A condition de la prendre chez les maîtres et de se pénétrer de leur esprit, la théologie catholique n’a pourtant pas à chercher ailleurs. En même temps qu’un héritage traditionnel en partie consacré par le magistère ecclésiastique au service de la foi, elle y trouve toutes les ressources voulues pour présenter le dogme chrétien de la rédemption sous son jour le plus exact et le plus lumineux. —
I. Cadre doctrinal de la rédemption. —

II. Réalité de la rédemption (col. 1961). —
III. Analyse d/ la rédemption (col. 1965). —
IV. Synthèse de la rédemption : Essence de l’acte rédempteur (col. 1969). —
V. Synthèse de la rédemtion : Raison de l'économie rédemptrice (col. 1976). —
VI. Effets de la rédemption (col. 1981). —
VII. Valeur de la rédemption ( col. 1987).

I. Cadre doctrinal de la rédemption. —

Mystère central, la rédemption confine à tout un ensemble d’autres vérités, qui n’en délimitent pas seulement les contours, mais commandent nécessairement la façon de l’interpréter. Pour le développement, voir Le dogme de la rédemption. Étude théologique, p. 164189 ; G. Pell, Das Dogma von der Sùnde und Erlôsung, p. 10-85 ; L. Richard, Le dogme de la rédemption, p. 157-178.

Plan idéal du monde spirituel.

Dès là que la

rédemption chrétienne se définit comme une restauration, elle suppose la vision exacte de ce que devrait être la cité de Dieu dans son état normal.

1. Théodicée.

Au sommet de toutes choses, à la double lumière de la raison et de la foi, il faut poser Dieu, c’est-à-dire l'Être absolu qui ne dépend de personne et de qui dépendent les autres, l'Être infini qui réunit en lui-même toutes les perfections.

Une fois devenu créateur par un acte de sa libre volonté, Dieu apparaît comme la cause première, de qui la créature tient son être tout entier. A ce titre, il est aussi la fin dernière, vers laquelle toutes choses doivent revenir. Car il a créé d’abord pour sa gloire, Prov., xvi, 4 ; Const. Dei Filius, i, can. 5, DenzingerBanmvart, n. 1805, c’est-à-dire pour la manifestation de l’ordre dont il est l’auteur. Le « théocentrisme » est une exigence de la pensée avant d'être une exigence de l’action.

2. Anthropologie.

Parmi toutes les créatures, l’homme a le privilège d’avoir été fait " à l’image et à la ressemblance » de Dieu. Gen., i, 26. Ce qui lui vaut d'être, à son tour, un esprit doué de raison, de conscience et de liberté.

En conséquence, l’homme est essentiellement tenu de rendre hommage à Dieu, en le reconnaissant pour son maître et conformant sa volonté à l’ordre venu de lui. Ce faisant, il réalise sa fin et y trouve son bonheur. Mais aussi et surtout il collabore à l’avènement de ce règne de Dieu dont sa nature spirituelle lui impose et lui permet d'être le principal ouvrier.

A cet ordre naturel la vocation surnaturelle de l’humanité superpose de nouvelles obligations et de nouveaux moyens, mais qui s’entendent suivant les mêmes lois.

3. Religion.

Ces principes aboutissent à fonder la religion, qui est à la fois pour Dieu le plus inaliénable de ses droits et, pour l’homme, le plus impérieux de ses devoirs, avant de devenir son suprême intérêt.

En sa qualité de cause première et de fin dernière, Dieu ne peut pas ne pas réclamer que toute l’activité de la créature s’ordonne vers lui. Pour les êtres sans raison, ce retour s’accomplit automatiquement par l’exercice même de leurs énergies. Ce qu’ils font sans le savoir ni le vouloir, il revient à l’homme de l’accomplir d’une façon consciente et libre, et cela tant en son nom personnel qu’au nom de la création inférieure qu’il a charge de représenter.

Si donc il est vrai que « les cicux racontent la gloire de Dieu », il ne l’est pas moins que le principal manque à ce concert tant que l’homme n’y a pas mêlé sa voix. Il appartient à la créature raisonnable de transformer en ordre moral et religieux l’ordre physique de l’univers.

2° Étal de fait : Le péché. — - Quand il s’agit d’un être contingent, la défaillance de son libre arbitre est un risque toujours possible : l’expérience en atteste la réalité.

1. Notion.

A rencontre de cette conscience élémentaire qui nous fait voir dans le péché une faute dont nous sommes responsables, certain panthéisme le tient pour une sorte d’expérience inévitable dans la voie du progrès spirituel. Conception malsaine à laquelle il faut, avec la philosophia perennis, opposer l’irréductible distinction du bien et du mal.

Forts de la bonté divine et de l’ignorance humaine, beaucoup de protestants libéraux voudraient du moins le réduire, après A. Ritschl, à n'être qu’une faiblesse digne de pitié. C’est faire une règle de l’exception. Ni la psychologie ni la foi ne permettent d’exclure l’hypothèse d’un désordre coupable de la volonté.

En revanche, le pessimisme du protestantisme orthodoxe tend à faire du péché un état qui nous serait L959 RÉDEMPTION. EXPLICATION TIIÉOLOGIQUE : LA SATISFACTION 1960

devenu congénital comme une seconde nature. Loin d’autoriser cet excès, l'Évangile est d’accord avec l’expérience pour laisser au mal moral son caractère d’accident.

A égale distance de ces deux extrêmes se tient la via média de la théologie catholique, où le péché se définit, avec saint Thomas, Sum. th., Ia-II », q. lxxi, a. 1, un acte humain désordonné. Voir Péché, t. mi, col. 14C-153 ; P. Galtier, Le péché et la pénitence, Paris, 1929, p. 11-57.

2. Malice.

On n’envisage parfois le désordre du péché qu’en fonction des souffrances qu’il entraîne dans ce monde ou dans l’autre. Aspect fondé et sans nul doute éminemment révélateur, mais néanmoins superficiel. De l’effet il faut savoir remonter à la cause et, suivant la formule de l'École, avec le realus pœnie faire entrer en ligne de compte le realus culpse.

Ce qui caractérise proprement le péché, c’est d'être un manquement à la loi divine : Dictum vel faclum vel concupitum contra legem œternam, suivant la définition augustinienne adoptée par saint Thomas, Sum. th., Ia-II », q. lxxi, a. 6.

Mais, à travers la loi qui n’est qu’une abstraction, il atteint forcément le législateur. Le caractère inévitable du péché est d'être, en définitive, une offense de Dieu.

3. Portée.

Ainsi donc le péché est certainement tout d’abord le mal de l’homme. En raison de la diminution morale dont il le charge et des sanctions auxquelles il l’expose, il doit même être considéré comme le plus grand de tous les maux.

Ce n’est pourtant pas assez dire. Non point que le péché blesse ou diminue proprement Dieu en luimême ; mais il le prive de la gloire extérieure que la bonne marche de la création devrait normalement lui procurer. C’est ce que la langue chrétienne, après saint Anselme, appelle ravir à Dieu l’honneur qui lui est dû.

On voit, dès lors, comment se présente, au regard de l'âme religieuse, la situation d’un monde qui n’est pas seulement troublé par la faiblesse ou la malice d’innombrables individus, mais sur qui pèse cette faillite collective qui résulte du péché originel.

3° Rétablissement de l’ordre : La satisfaction pour le péché. — Cette ruine de l’ordre spirituel n’est pourtant pas irréparable : la doctrine chrétienne du péché s'équilibre par celle de la satisfaction.

1. Principe.

En vertu de cette mobilité même qui lui permet de faillir, l’homme, tant qu’il est in statu via :, reste susceptible de relèvement. Il ne dépend que de lui, moyennant le secours divin qui ne lui fait pas défaut, d’en réaliser les conditions. Voir PénitenceRepentir, t. xii, col. 722-746.

Sans doute il n’est pas possible au pécheur d’annuler ses actes coupables, qui demeurent à jamais dans l’ordre du réel. Mais, à défaut d’une action rétrospective sur le passé, il garde en mains une meilleure disposition du présent. Si le péché ne peut pas être aboli par son auteur dans sa réalité physique, il peut être moralement réparé.

Contrairement ù la notion protestante de la pénitence, il ne suffit pas, pour cette réparation, d’interrompre l’habitude ou, bien moins encore, l’acte du péché. Seul peut êlre réparateur un effort positif de notre part. Voir P. Galtier, Le péché et la pénitence, p. 58-77.

2. Application.

Dans ce « mouvement de volonté contraire au mouvement antérieur d, Sum. th., l^-II 03, q. lxxxvi, a. 2, il faut donc d’abord et avant tout faire entrer la contrition, qui est l’hommage intime rendu par la conscience à la loi supérieure du bien. Manifestement il ne saurait y avoir de pardon s ; ins cela. Voir Contrition, t. iii, col. 1673-1677.

Mais il faut y ajouter un élément nouveau, directe ment et activement ordonné à la réparation du mal commis. C’est a quoi le. terme de satisfaction, encore que, sensu lato, il comprenne également ce qui précède, est proprement réservé.

Normalement cette satisfaction comporte des actes pénibles, qui répondent à la jouissance illégitime incluse dans le péché, savoir les peines que nous envoie la justice divine nu celles que le pécheur s’inflige à luimême spontanément. Sum. th., laII », q. lxxxvii, a. 6. Il est clair néanmoins que ni les unes ni les autres ne peuvent avoir de valeur que par la bonne volonté de celui qui les offre ou les subit. En termes d'école, elles sont, par rapport à la satisfaction, un élément matériel, dont l’intention du sujet constitue l'élément formel. Voir P. Galtier, De inc. ac red., p. 394-397. A ce désordre moral qu’est le péché seul peut remédier un acte de l’ordre moral.

Ces deux éléments, interne et externe, de la satisfaction peuvent, d’ailleurs, être diversement réalisés. Déjà, pour notre nature déchue, l’accomplissement du plus certain de nos devoirs prend un caractère onéreux. Sum. th., suppl., q. xv, a. 1 et 3. Tel est, en particulier, le cas pour la contrition : aussi peut-on concevoir, à la limite, qu’elle implique suffisamment de charité pour obtenir par elle-même l’absolution ab omni pœna devant Dieu. Ibid., q. v, a. 2.

En définitive, la peine ou toute autre pénalité ne joue, dans l'économie de la satisfaction, qu’un rôle accidentel. Satisfactio, déclare saint Bonaventure, In Ilpaa-Sent., dist. XVIII, a. 2, q. iii, édition de Quaracchi, t. iii, p. 393, fit maxime per opéra pœnalia. De même Scot, Opus Oxon., In 7//um Sent., dist. XX, qu. unie, n. 8, éd. de Lyon, t. vii, p. 429, demande uniquement, pour « satisfaire », unum vel multos actus diligendi Dcum propter se ex majori conalu liberi arbitra (jiiam fuit conatus in peccando. Seul donc est essentiel pour un pécheur, quelle qu’en soit la matière ou l’occasion, le redressement de sa volonté, avec les œuvres de surcroît qui en sont logiquement le fruit, parce qu’il répond seul au canon classique de saint Anselme, Cur Deus homo, i, 11, P. L., t. clviii, col. 377 : Honorem quem rapuit Deo solvere.

Le Christ médiateur.

Du moment qu'à la satisfaction personnelle du coupable la foi chrétienne surajoute la médiation du Rédempteur, une claire notion

de la christologie traditionnelle n’est pas moins indispensable pour comprendre de quelle manière et à quel titre il peut intervenir dans ce processus.

1. Son être.

Fils de Dieu fait homme ou, plus simplement, Homme-Dieu, le Christ est en deux natures et, par conséquent, possède une double activité. Des opérations qui en résultent la personne divine est le terme unique et non pas le moyen d’exécution. La nature humaine garde, par conséquent, son jeu normal dans le ressort qui lui est propre et la grâce de l’union hypostatique, sans rien changer à ses actes, leur donne seulement une nouvelle dignité. La kénose imaginée par la théologie protestante moderne est dénuée de sens non moins que de tou^c attache avec la tradition. Voir t. viii, col. 2339-2349.

Or c’est par son humanité que le Christ est constitué médiateur. I Tim., ii, 5. Étant l’un de nous, il peut devenir le nouvel Adam qui répare l'œuvre néfaste du premier. I Cor., xv, 21-22 et 45-17.

Son existence terrestre est celle d’un fils tout dévoué au service de son Père, Luc, ii, 49 et, Matth., xx, 28, qui pousse l’abnégation jusqu’au sacrifice de la croix. Phil., ii, 8. En regard de cette unité psychologique et morale, l’antique distinction luthérienne entre son obéissance active et son obéissance passive apparaît comme une sorte de vivisection. La vie. et la mort du Sauveur forment un tout, que la sotériologie catholique, voir I, . Billot, Dr Verbo inc, 4e éd., p. 493, envi

sage per modiun unius, sauf à respecter la proportion naturelle de ses divers moments : sic tamen ut mors crucis habeatur lamquam principale.

2. Son rôle. — Il s’ensuit que le Christ peut tout d’abord être considéré secundum quod est quidam singularis homo, ainsi que s’exprime saint Thomas, Sum. th., Illa, q. vu. A cet égard, il est le type idéal de l’être humain. « Semblable à nous en toutes choses », Hebr., ii, 17, l’épreuve y comprise, « sauf le péché », ibid., iv, 15, il est « le Fils bien-aimé » en qui le Père « met toutes ses complaisances », Matth., xvii, 5 ; II Petr., i, 17, celui qui le connaît comme il veut être connu et le sert comme il doit être servi. Matth., xi, 27 ; Joa., xiv, 10 et 24 ; xvii, 4-7.

A ce rôle personnel s’ajoute un mandat pour ainsi dire social, qui fait de lui, suivant la formule parallèle de saint Thomas, Sum. th., III*, q. viii, caput Ecclesise. Ce qui ne s’entend pas seulement d’une influence mystique sur l’âme de ses fidèles, Joa., xv, 1-5 ; Eph., ii, 20-22 ; v, 30 ; I Petr., ii, 4-6 et 9-10, mais d’une fonction représentative qui l’établit, à l’instar et à l’inverse du premier père, Rom., v, 12-21, chef moral du genre humain. Col., i, 12-18.

Tel est le cadre dans lequel la théologie catholique de la rédemption vient s’insérer et qu’il est, par suite, nécessaire d’avoir sous les yeux pour se la représenter exactement.