Dictionnaire de théologie catholique/RELIGIEUX ET RELIGIEUSES I. L'état religieux

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 13.2 : QUADRATUS - ROSMINIp. 372-375).

RELIGIEUX et RELIGIEUSES. — Cette étude ne saurait constituer un traité complet de l’état religieux. Renvoyant, pour le détail, aux ouvrages spéciaux indiqués dans la bibliographie, nous donnons seulement dans ce Dictionnaire les éléments qu’un théologien ne doit pas ignorer.
I. Notion et aperçu historique de l’état religieux.
II. Définition et division des religieux (col. 2163).
III. Comment on devient religieux (col. 2170).
IV. Comment on cesse de l’être (col. 2177).

I. L’état religieux. —

Notion.


Selon l’étymologie, l’état religieux est une forme particulière de la vie chrétienne, dont le but est d’honorer Dieu de façon plus parfaite. La religion étant une vertu qui nous porte à rendre à Dieu le culte et les devoirs qui lui sont dus, ceux que l’on appelle « religieux » se consacrent librement et de façon stable à ce service divin par des engagements plus stricts, dépassant l’accomplissement des simples préceptes. Le Code canonique définit l’état religieux : « une manière stable de vivre en commun, par laquelle des fidèles s’engagent à observer non seulement les préceptes communs, mais encore les conseils évangéliques, par les vœux d’obéissance, de chasteté et de pauvreté. » Can. 487.

Quatre éléments constituent donc l’état religieux :
1. Il est d’abord un étal de vie, c’est-à-dire une condition qui, de par sa nature, n’est pas facilement sujette à changement ; une certaine stabilité ou immutabilité lui est donc essentielle. Cf. Saint-Thomas, Sum. theol., II a -II ie, q. clxxxiii, a. 1. Ainsi parle-t-on de l’état matrimonial, de l’état sacerdotal. —
2. Cette stabilité est assurée par les engagements que prennent librement ceux qui embrassent cette condition ; les vœux constituent pour eux une obligation morale dont ils ne peuvent se libérer à leur gré. Voir Vœu. —
3. La stabilité est encore confirmée par le caractère public et parfois solennel attaché à ces engagements. La profession des trois vœux, reçue au nom de l’Église, manifeste chez celui qui s’engage de la sorte l’intention de persévérer dans l’état choisi, en même temps qu’elle constitue une garantie officielle de la perpétuité de l’obligation. —
4. Enfin, un dernier élément, positivement requis par le droit ecclésiastique actuel, est la vie en commun sous l’autorité d’un supérieur et selon une règle approuvée. C’est seulement aux fidèles ainsi groupés et organisés que l’Église reconnaît la qualité de religieux avec les droits et devoirs qui en découlent. L’approbation n’est pas, de sa nature, une condition essentiel le à l’état religieux, puisqu’un particulier pourrait s’engager à la pratique des conseils évangéliques par les trois vœux ordinaires de religion ; c’est pourtant une formalité requise par le droit canonique depuis le IVe concile du Latran (1215) ; auparavant, l’Église se contentait d’une approbation générale plus ou moins tacite.

Quant à la vie commune, elle est, selon la discipline actuelle, une des conditions nécessaires à l’état religieux, can. 487 ; jadis, les anachorètes ont pu être de vrais religieux, l’Église approuvant au moins en général ce genre dévie ; actuellement, il faut être incorporé à une communauté. La cohabitation sous le même toit avec une règle commune est également de droit positif, can. 594-606, mais souffre des exceptions : ainsi les exclaustrés et les fugitifs ne cessent pas pour autant d’être religieux ; de plus, le Saint-Siège peut approuver, dans des circonstances spéciales, un institut dont les membres n’habiteraient pas en commun et ne porteraient pas d’habit religieux.

L’état religieux est appelé aussi état de perfection, pour le distinguer de l’état de vie ordinaire de ceux qui se contentent d’observer les préceptes. Cf. Suarez, De religione, IIe part., tract, vii, t. I, c. i sq. ; Bouix, De jure regularium, 1. 1, p. 4 sq. Ce n’est pas que les conseils évangéliques, ainsi que le rappelle saint Thomas, Halias, q. clxxxiv, a. 1 sq., soient la perfection ; celleci réside avant tout dans la charité parfaite, laquelle peut être réalisée en dehors de l’état de perfection, ainsi que le firent nombre de saints. Mais les conseils sont des moyens propres à faire atteindre plus libre ment et plus facilement la perfection de la charité ; ils ne se superposent pas aux préceptes, mais tendent à les faire observer de façon plus parfaite. Voir l’art. Perfection, col. 1222 sq. L’état religieux n’est donc pas un état de perfection acquise ou à communiquer fexercendœ), comme l’épiscopat, mais plutôt une école où l’on tend à l’acquérir ( acquirendse), où l’on s’exerce à la pratiquer. Celui qui embrasse cet état s’engage pour toujours et irrévocablement, au moins dans son intention première (car sa volonté peut changer) et selon les prévisions du législateur ecclésiastique, à tendre par d’incessants efforts à se rapprocher du but, la charité parfaite ; cela est si vrai que certains auteurs appellent les vœux temporaires à renouveler périodiquement « vœux virtuellement perpétuels ». Chelodi, Jus de personis juxla Codicem, n. 243.

Ce souci continuel d’acquérir la perfection s’est traditionnellement traduit dans l’Église chrétienne par la profession des trois vœux qui correspondent aux trois conseils évangéliques de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Saint Thomas note justement, Ila-IIæ, q. clxxxiv, a. 2-5, que l’état de perfection exige la suppression de tous les obstacles qui s’opposent à la parfaite charité ; ces obstacles ont leur source dans la triple concupiscence dont parle saint Jean, I Joa., ii, 16, et à laquelle s’opposent efficacement les trois conseils évangéliques ; c’est l’aspect négatif, si l’on peut ainsi parler, de l’état de perfection : il déblaye la voie et ouvre la route. Il suppose en outre un élan positif, un effort continu pour diriger les actions de l’homme vers le but à atteindre, à savoir, la charité à posséder. Enfin, prenant l’homme tout entier, il consacre tout ce qu’il a et tout ce qu’il est au service de Dieu, faisant de la créature raisonnable un holocauste à la divine majesté. Or, sous tous ces aspects, l’observation des trois conseils évangéliques est requise et suffit ; la profession des trois vœux qui correspondent à ces conseils donne à leur observance la stabilité qui convient.

Outre ces trois vœux essentiels, requis par la nature des choses aussi bien que par le droit positif, d’autres vœux peuvent être, dans certains ordres ou certaines congrégations, ajoutés plus ou moins explicitement à la profession, par exemple la promesse de se vouer au soin des malades, à l’éducation de la jeunesse, à l’apostolat en pays infidèles, etc. Ces vœux, dont la nature est la même que la profession à laquelle ils sont intimement liés, peuvent être simples ou solennels ; leur valeur et leur efficacité est celle même qui leur est reconnue par l’Église. Toutefois, actuellement, le Saint-Siège n’admet pas que, dans les nouveaux instituts, les constitutions prévoient l’émission de vœux autres que les trois accoutumés. Cf. S. C. Évèques et Rég., 13 août 1887, 22 sept. 1892. Tous les autres vœux en effet sont compris dans le vœu d’obéissance. Quant à ce dernier il est fait, même dans les congrégations à vœux simples, « tout d’abord et principalement au souverain pontife » ; le pape est en effet le premier supérieur de tous les religieux, et ceux-ci sont tenus de lui obéir même en vertu du vœu d’obéissance. Can. 499.

Origine et histoire.


Lorsqu’on parle d’état religieux proprement dit, c’est seulement dans le Nouveau Testament qu’il faut aller en chercher la réalisation. Antérieurement au Christ, les quelques figures que nous offre la Bible ne sont, en dépit de leur relief, que des esquisses, de timides ébauches. Au nombre des saints personnages qui, au témoignage des Livres saints, se retirèrent dans la solitude, soit pour vaquer à la prière, soit pour se préparer à leur mission, on peut citer les prophètes Élie et Elisée qui groupèrent autour d’eux des disciples sur le Carmel, les naziréens, et en dernier lieu saint Jean-Baptiste, « le prince des anachorètes », comme l’appelle saint Jérôme. Cf. H. Leclercq, art. Cénobilisme, dans Dict. Arch. et Lit., t. ii, col. 3048 sq. ; Suarez, De religione, tr. vii, t. III, c. i. 1. Le Christ et l’étal religieux.

C’est Notre-Seigneur qui a institué l’état religieux dans sa substance en posant les principes essentiels de la vie religieuse. Sans contraindre personne, il a lancé aux âmes généreuses un appel à la perfection en même temps qu’une invitation à la pratique des conseils évangéliques : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » Matth., v, 48. Sans doute, il y a une perfection commune qui oblige tous les chrétiens : en observant les préceptes, ils acquièrent cette ressemblance avec Dieu qui est dans la charité. C’est la voie ordinaire que le Maître commence par montrer au jeune homme : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements. » Matth., xix, 17. A ceux qui veulent faire davantage et qui, comme le jeune homme, demandent : « Que me reste-t-il à faire ? Que me manque-t-il ? », le Maître répond : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ; puis, viens et suis-moi. » Ibid., 21. Cf. Matth., xvi, 24 ; Marc, viii, 34 ; Luc, ix, 23. On peut trouver dans les textes du Nouveau Testament qui nous rapportent ou les paroles du Sauveur et celles de saint Paul, ou la manière de vivre du Maître et des Apôtres, l’indication substantielle des trois conseils évangéliques de pauvreté, chasteté et obéissance, qui constituent l’essence même de l’état religieux :

a) Le Christ en effet fait l’éloge solennel de la pauvreté dans le discours sur la montagne, en proclamant bienheureux ceux qui ont l’esprit de cette vertu, Matth., v, 3 ; Marc, x, 23 ; Luc, vi. 20 ; ailleurs il montre le danger des richesses, Matth., xix, 23 ; xxv, 35 ; xxvi, 11 ; et invite ceux qui veulent le suivre à s’en détacher. Matth., xix, 21 ; Luc, xviii, 18. Luimême donne l’exemple du détachement, « n’ayant pas où reposer sa tête ». Luc, ix, 58 ; Matth., viii, 20. Il mène avec ses apôtres une vie pauvre, vivant de charité. Joa., xii, 6 ; Matth., xxvii, 55. Les premiers chrétiens imitèrent cette manière de vivre du Sauveur, vendant leurs biens et mettant leurs ressources en commun. Act., ii, 45 ; iv, 34 ; v, 1-12.

b) Pour la chasteté, le Christ lui-même en avait vanté les avantages « en vue du royaume des cieux », Matth., xix, 12 ; les cœurs purs avaient été proclamés bienheureux. Matth., v, 8 ; xxii, 30 ; Luc, xx, 34. Après le Christ, saint Paul avait insisté sur la nécessité de mortifier ses sens, Rom., viii, 12-13 ; Gal., v, 17 sq. ; il montre aux Corinthiens l’excellence de la virginité, sa supériorité sur l’état de mariage. I Cor., vii, 6-8, 25, 35, 38.

c) Enfin le Christ a donné lui-même l’exemple de l’obéissance à son Père et cela « jusqu’à la mort et la mort de la croix ». Phil., Il, 8 ; Luc, x, 21 ; Joa., viii, 29. A ceux qui veulent le suivre il indique la voie du renoncement, donc de l’obéissance, Matth., xvi, 24 ; c’est la voie qu’il a suivie lui-même, Rom., xv, 3, et dans laquelle il engage tous ceux qui aspirent à la perfection. Matth., xix, 21. Cf. S. Thomas, Sum. theol., IIa-IIæ, q. clxxxvi, a. 5, sed contra ; a. 8, ad lum. Et dans l’esprit du Maître cet engagement à la pratique des conseils évangéliques n’est pas seulement chose temporaire, il est envisagé comme perpétuel et irrévocable, comme le sont les vieux de religion. Cf. Luc, ix, 60-62 ; xviii, 28-30. Suarez, De religione, tract, vii, t. II, c. ii ; t. III, c. ii, n. 5 ; t. VIII, c. i ; 1. IX. c. i sq.

L’examen de ces textes montre surabondamment qu’il n’est point nécessaire, pour expliquer l’introduction du monachisme et de la vie religieuse dans l’Église, d’avoir recours à de prétendus emprunts faits aux « frères de Sérapis », au bouddhisme ou au néoplatonisme. Cf. Dom Besse, art. Monachisme, dans le Dict. Apol., t. iii, col. 860.

Faut-il dire, avec quelques auteurs, que le Christ en appelant ses apôtres et en les groupant autour de lui en collège a fondé le premier ordre religieux avec vœux ? Suarez l’affirme, mais sans preuve, loc. cit., t. III, c. ii, n. 9. C’est là une pure hypothèse qui, pour n’être pas impossible ou improbable, n’a pour elle aucun argument historique direct et probant. On peut concéder que les apôtres, comme les évêques leurs successeurs, ont été constitués dans un état de perfection à communiquer (perfectionis exercendœ), ce qui supposait chez eux la pratique d’au moins quelques conseils, mais non pas nécessairement celle des trois conseils, en particulier du conseil de pauvreté, et de celui d’obéissance. Cf. Bouix, De jure regularium, t. i, p. 35 sq. Il reste vrai cependant que, par ses paroles comme par ses exemples, le Christ a posé les principes, établi les bases de la vie religieuse. Saint Thomas ne craint pas d’affirmer que « c’est aux disciples de Notre-Seigncur que remonte tout ordre religieux ». Il dit ailleurs que « les apôtres firent profession de ce qui se rapporte à l’état religieux quand ils quittèrent tout pour suivre Jésus-Christ ». Ila-II 16, q. clxxxviii, a. 7 ; q. lxxxviii, a. 4, ad 3um.

Ce que Notre-Seigneur a institué, c’est l’état religieux dans sa substance et ses grandes lignes ; c’est seulement dans ce sens que cet état peut être dit de droit divin ou, plus exactement, d’institution divine : Status religiosus secundum se et quoad substanliam suam ab ipso Christo Domino immédiate traditus et instilulus fuit alque ita dici potest esse de jure divino non prsecipienle, sed consulenle. Hsec est sententia omnium catholicorum recle sentientium, dit Suarez, loc. cit., t. III, c. ii, n. 3 ; et il cite à l’appui : saint Thomas, H a -IIæ, q. lxxxviii, a. 4 ; Bellarmin, De monachis, t. II, c. v, n. 25, etc. Cette institution divine ne comporte pas seulement une exhortation théorique à embrasser l’état religieux, elle confère encore à l’Église un véritable pouvoir d’établir, d’administrer et de supprimer des ordres religieux, indépendamment du pouvoir civil. C’est encore en vertu de ces pouvoirs divins que l’Église a la faculté d’approuver, par l’organe du Souverain Pontife ou du concile œcuménique, de façon définitive un institut religieux, d’admettre ou de réprouver certaines formes de vœux, d’établir certaines incapacités ou inhabiletés, de dispenser des vœux, même des vœux solennels, d’imposer la réforme aux instituts relâchés, etc. Quant aux dernières déterminations concernant le genre de vie, les conditions du noviciat ou de la profession, le costume, elles relèvent du droit purement ecclésiastique et sont variables selon les temps et les lieux.

2. Les développements de l’étal religieux. —

Les exhortations du Christ aussi bien que ses exemples ne pouvaient rester vains et sans effet ; aussi, la grâce divine aidant, c’est à toutes les époques de l’histoire de l’Église que l’on voit des fidèles des deux sexes suivre les conseils évangéliques sous des formes diverses ; on peut donc dire que l’état religieux, en tant qu’il constitue une profession publique des conseils et qu’il manifeste extérieurement la sainteté de l’Église, est en quelque sorte indéfectible. Cf. Bouix, De jure regularium, éd. de Paris, 1876, t. i, p. 172.

Ce n’est pas que l’étal religieux complet, avec ses trois vœux, ait existé dès les premiers temps de l’Église, même comme une organisation embryonnaire ; aucun document ne nous révèle quelque chose de semblable. Mais nous savons de façon certaine que, dès l’âge apostolique, les conseils évangéliques ont été mis en pratique, à l’imitation du Maître et de ses premiers disciples. Et c’est seulement en ce sens qu’il faut interpréter les paroles de saint Bernard : « L’ordre religieux a existé le premier dans l’Église, ou plutôt, c’est par lui qu’a commencé l’Église, … les apôtres en ont été les premiers maîtres. » Apol. ad Guillem., c. x, P. L., t. clxxxii, col. 912. Les Actes des Apôtres nous offrent en effet des exemples du vœu de continence, Act., xviii, 18, xxi, 23 sq. ; celle-ci était pratiquée par des hommes et aussi par des femmes, notamment par des veuves. I Tim., v, 11-12. Cf. Eusèbe, Hist. eccl, t. III, c. xxix ; S. Ignace, Ep. ad Pohjc, c. v, n. 1, P. G., t. v, col. 724 ; Tertullien, De velandis uirginibus, c. xi, P. L., t. ii, col. 904 ; De exhort. caslitalis, xi, ibid., col. 926. La seule pratique de la chasteté, même confirmée par un vœu, ne suffisait pas à constituer l’état religieux, mais c’était un acheminement ; et il reste vrai que, dès les premiers siècles, les vierges formaient dans l’Église un ordre distinct, ayant une place réservée dans le lieu saint ; la liturgie du vendredi saint a conservé le souvenir de cette antique discipline : dans la troisième oraison, les vierges sont nommées après les confesseurs.

A partir du ine siècle, on voit apparaître une autre ébauche de la vie religieuse sous la forme de Vaseétisme. Les déserts de l’Egypte servirent de refuge aux premiers ermites, moines ou anachorètes, qui quittèrent le monde pour mener dans la solitude une vie de prière et de mortification, laquelle n’excluait pas le travail des mains. La persécution de Dèce (249-251), qui obligea les fidèles à fuir et à se cacher, ne fut sans doute pas étrangère au succès de la vie érémitique. Le plus ancien de ces anachorètes aurait été, au dire de Jérôme, saint Paul de Thèbes, surnommé le premier ermite (né vers 234) ; parmi ses imitateurs, le plus célèbre fut saint Antoine (251-356), auquel on peut adjoindre saint Hilarion († 371) ; à leur suite, les solitudes de l’Orient se peuplèrent de moines dont quelques-uns commencèrent même à se grouper en société. Mais le véritable organisateur de la vie cénobitique et l’auteur de la règle la plus ancienne est saint Pacôme († 346). Les premiers fondements de l’état religieux étaient jetés ; chez les cénobites primitifs, il n’est pas question de vœux solennels, mais la pratique des trois conseils évangéliques est de règle. Avant la fin du iv c siècle, saint Basile († 379) avait conduit, en Asie mineure, l’institution monastique à une rare perfection et il l’avait dotée, par imitation de la règle pacômienne, d’une règle pleine de prudence et de douceur, que suivent aujourd’hui encore les moines d’Orient, uniates et schismatiques. Vers la même époque, saint Augustin avait fondé un monastère pour la vie commune de ses clercs.

D’Orient, la vie religieuse passa en Occident, principalement en Gaule, par suite des relations que ce pays eut avec les prélats d’Orient exilés, en particulier avec saint Athanase ; la diffusion de la vie de saint Antoine provoqua sur notre sol une floraison de monastères avec des maîtres célèbres comme saint Hilaire ou saint Martin de Tours. Mais le véritable père de la vie monastique en Occident fut saint Benoît de Nursie († 543). Vers la fin du ve siècle, il écrivit sa règle qui par sa sagesse et sa discrétion s’imposa peu à peu dans la plupart des monastères, surtout en Gaule. Elle finit même par supplanter celle de saint Colomban, plus austère et moins précise, qui avait connu au vie siècle une diffusion non négligeable, grâce aux nombreuses fondations du moine irlandais. C’est à partir de saint Benoît que l’on voit apparaître dans la règle monastique le vœu de stabilité ; les autres vœux de religion prennent aussi un caractère officiel, d’où sortira plus tard ce que les canonistes ont appelé la solennité des vœux. Il faut signaler aussi, peu après l’introduction de la règle de saint Benoît, l’apparition de l’exemption plus ou moins complète de la juridiction épiscopale. Ce fut d’abord un privilège concédé par l’évêque ou les princes ou, plus tard, découlant du fait que le monastère s’était placé sous l’autorité immédiate du souverain pontife. A partir du xii c siècle ce qui était privilège devint la condition commune des monastères ; mais les abus qui s’ensuivirent amenèrent les papes à restreindre les limites de l’exemption. Cf. Conc. de Trente, sess. xxiv, De réf., c. xi.

Le succès de la règle bénédictine fut considérable ; il n’y eut, durant des siècles, pas d’autre loi du monachisme en Occident, encore que les formules en fussent diverses. Parmi les modifications apportées à la forme de vie religieuse primitive, une des plus saillantes, et aussi des plus importantes pour l’orientation future de l’ordre, fut le passage des moines à l’état clérical : d’où une diminution du travail manuel et une part de plus en plus grande faite à l’office divin et à la liturgie. En même temps, se dessinait un autre mouvement en vue de l’unification. D’après les principes posés par saint Benoît, chaque monastère constituait une famille indépendante sans aucun lien juridique avec les autres communautés similaires et sans supérieur général. Il ne saurait donc être question pendant de longs siècles de l’ordre bénédictin. La réforme monastique du ixe siècle eut surtout pour but d’imposer à tous les moines la pratique uniforme de la règle de saint Benoît. C’est plus tard que naissent des groupes de monastères, que l’on peut appeler des congrégations, soit aux fins de ramener la discipline à l’antique rigueur, soit en vue de procurer une plus grande unité sociale. La plus importante de ces réformes fut celle de Cluny, à laquelle présida saint Odon, deuxième abbé de ce monastère (927-941) ; du xe au xiie siècle cette puissante congrégation unifia l’observance bénédictine dans une grande partie de l’Occident. A côté des réformes, il y eut des réactions contre la conception bénédictine de l’état religieux : si l’on conserve l’esprit de la règle, on y fait de telles modifications que ce sont vraiment de nouveaux ordres qui se fondent avec une tendance marquée pour la vie érémitique. A cette catégorie appartiennent les camaldules, fondés par saint Romuald († 1027), les vallombrosiens, fondés par saint Jean Gualbert († 1073), les chartreux fondés en 1084 par saint Bruno. Un peu plus tard les cisterciens, moines blancs, sont fondés par saint Robert en 1098, mais le grand promoteur fut saint Bernard († 1153). Dans ce même xiie siècle, il faut signaler la naissance de véritables congrégations de chanoines réguliers qui adoptèrent substantiellement la forme de vie et les règles de l’état religieux. Parmi ces familles de clercs qui subsistent encore aujourd’hui, signalons les chanoines du Latran et les prémontrés, dont le fondateur fut saint Norbert, en 1 120.

C’est encore vers cette époque qu’il faut placer la création des ordres militaires, dans un but de charité, soit pour protéger les pèlerins de Terre sainte ou défendre les fidèles aux marches de la chrétienté, soit pour l’exercice de l’hospitalité. Le plus célèbre, celui des templiers ou des pauvres soldats du Christ, fut fondé en 1128 ; il fut supprimé par Clément V au concile de Vienne (1312). Deux subsistent encore de nos jours : l’ordre de SaintJean-deJérusalem ou des chevaliers de Malte, qui est le premier en date (1118), et l’Ordre des chevaliers teutoniques, qui remonte à l’an 1190. Ils ont conservé l’essentiel de l’état religieux, mais ont orienté leur activité vers des buts nouveaux. Au xme siècle, on assiste à l’efflorescence extraordinaire des ordres dits mendiants : franciscains, dominicains, cannes, ermites de saint Augustin. Afin de modérer cette ardeur à fonder des instituts nouveaux et pour éviter la confusion qui pouvait en résulter, le IVe concile du Latran (1215) interdit la fondation de nouveaux ordres mendiants. Le IIe concile de Lyon (1274), voyant que ce décret avait pratiquement été méconnu, supprima tous les ordres fondés illégitimement depuis 1215 et non approuvés par le Saint-Siège ; il voua même à l’extinction la plupart de ceux qui avaient reçu cette approbation, à l’exception des quatre grands ordres susnommés.

Les ordres de femmes s’étaient développés parallèlement à ceux d’hommes ; on y suivait une règle analogue et les religieuses étaient soumises à la juridiction des prélats réguliers. Au xvie siècle, le pape saint Pic V, voulant enrayer la multiplication des instituts qui menaçait de jeter la confusion dans l’Église, ordonna, en 1566 et 1568, la suppression de toutes les congrégations de femmes érigées sans clôture et sans vœux solennels. Ces mesures étaient, au dire de Cajétan, trop radicales, cf. Suarez, op. cit., tract, vii, t. II, c. xvi, n. 4 sq. ; aussi ne furent-elles pas appliquées à la lettre : quelques instituts échappèrent. Bientôt une tolérance s’établit et les congrégations à vœux simples se multiplièrent sous la forme de tertiaires régulières à côté des grands ordres.

A partir du xviie siècle, on vit se fonder un bon nombre de congrégations absolument indépendantes des anciens ordres : frères de la Doctrine chrétienne, de saint Jean-Baptiste de la Salle, passionistes.rédemptoristes, etc. ; chez les femmes, les visitandincs, les filles de la Charité, pour ne citer que les plus illustres.

Les nouveaux besoins de l’Église avaient amené au xixe siècle une expansion considérable des instituts à vœux simples consacrés aux œuvres d’enseignement et de charité ; Léon XIII, par la Constitution Condilæ, 8 décembre 1900, régla les droits et devoirs respectifs des Ordinaires et des autorités religieuses dans les congrégations de droit diocésain ou de droit pontifical. Puis, afin de guider les fondateurs et les évêques dans l’érection de nouveaux instituts, la S. C. des Évêques et Réguliers publia un règlement ou Normæ (28 janvier 1901) concernant les nouvelles fondations. Après la promulgation du Code, qui est aujourd’hui la principale source du droit des réguliers, can. 492-672, de nouvelles Normæ ont été publiées (6 mars 1921) par les soins de la S. C. des Religieux, précisant la législation en cette matière complexe ; enfin, de nouveaux décrets, émanant de la même Congrégation viennent, à intervalles plus ou moins rapprochés, compléter et mettre à jour la discipline concernant la vie religieuse. Cf. Creusen, Religieux et religieuses d’après le droil ecclésiastique, 4e éd., p. 4, n. 3.