Dictionnaire de théologie catholique/ROUSSEAU Jean-Jacques I. Vie et oeuvres

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané ( Tome 14.1 : ROSNY - SCHNEIDERp. 58-74).

chez le pasteur de Bessey, Spectacle Lambercier, de 1722 à 1724. Apprenti graveur en 1725, il se perd dans la lecture et tombe quelque peu dans la polissonnerie.

Enfin le dimanche Il mars 1728, par crainte d’un châtiment, il s’enfuit de Genève, (.f. Confessions, I. I ; L. Ritter. La famille et la jeunesse de Jean-Jacques Rousseau, Paris, 1896, in-16.

2. La période « catholique ». Autour de Mme de Warens (1728-1741). — Celle période est commandée par l’influence de Mme de Warcns. Cette Vaudoise de vingt-neuf ans, séparée de son mari, convertie, vit à Annecy, d’une pension que lui font l’évèquc de Genève, M. de LSernex, et le roi de Sardaigne, pour qu’elle s’occupe des transfuges du calvinisme. Elle adresse Jean-Jacques, que lui a envoyé le curé de Pontverre, chez qui il s’est réfugié lors de sa fuite et qui recueille tous les Genevois dans le même cas, à l’hospice des catéchumènes à Turin. Il y abjure, sans résistance, même intérieure, le 21 avril 1728, après neuf jours d’une vie dont les Confessions disent beaucoup de mal. Graveur, laquais, il finit par revenir chez Mme de Warens. Dans l’intervalle, il a connu à Turin, l’abbé Gaime qui cherche à lui donner une formation morale et religieuse et dont il prendra, prétend-il, des traits pour les donner au vicaire savoyard ; cf. F. Mugnier, Madame de Warens et J.-J. Rousseau, Paris, s. d. (1891), in-8°, p. 46-55 et 424-429 ; P. -M. Masson, La profession de foi du vicaire savoyard, édit. crit., in-8°, Paris, 1914, Préface, p. xxixxxxi ; il a connu aussi l’abbé Gouvon qui lui apprend un peu de latin et d’italien et s’est lui-même intéressé à la musique. Entré au séminaire d’Annecy, où il rencontra l’abbé Gàtier, autre type du vicaire savoyard, puis attaché à la maîtrise d’Annecy, il reprit bientôt sa vie vagabonde. Avec des aventures de comédie, il va à Lyon, à Fribourg, à Lausanne, à Neuchàtel, jusqu’à Paris, d’où il revient à Chambéry, auprès de Mme de Warens, qui s’y est installée en 1731.

Ce sont alors « les années catholiques ». Mme de Warens exerce sur Rousseau une influence profonde, à Chambéry l’hiver, aux Charmettes l’été. Initiée dans sa jeunesse par le pasteur Magny à ce piétisme protestant qu’avait propagé l’Alsacien Spener, elle était restée piétiste, selon Mme Guyon, qui avait amené plus d’un Vaudois « à la sainte liberté des enfants de Dieu ». Elle se piquait aussi de philosophie et, en elle, la philosophie rejoignait la piété pour bannir la morale. Elle n’avait pas la notion du péché et ne croyait pas à l’enfer.

Évincé d’auprès de Mme de Warens, Rousseau pendant les deux hivers de 1738 et 1739 qu’il passe aux Charmettes, lit sans critique et sans choix Descartes. Malebranchc, Leibnitz, qui le dégoûtent de la meta physique, Fénelon, où il trouve la conception idyllique du « inonde primitif », Locke, qui lui apporte la théorie du contrat social, Pascal et Montaigne, qui lui apprennent l’insuffisance de la raison, les tenants d’un christianisme sans mystères, Clarke, Pope, Addison, et même sans dogmes, Béai de Murait, l’auteur de l’Instinct divin recommandé aux hommes, 1727, in-8°, s. 1., et surtout Marie Iluber, une Genevoise, qu’on peut considérer comme la mère spirituelle du vicaire savoyard et dont viennent de paraître les Lettres sur lu religion essentielle à l’homme, distinguée de ce qui n’en est que l’accessoire ; Les 2 premières parties, Amsterdam, 1738, in-12 ; 2e édit., contenant les 4 parties, 2 vol. in-8°, Londres, 1739. Cf. A. Metzger, Marie Iluber, 1695-1753 ; sa vie, ses œuvres, su théologie, Genève, 1887, in-8° ; P.-M. Masson, La religion de Jean-Jacques Rousseau, 3 vol. in-16, t. i, Fribourg, 1916, Lu formation religieuse de Rousseau, p. 208 ; L. Ritter, J.-J. J{ousscau et Marie Iluber, dans Annales J.-J. Rousseau, t. iii, 1907, p. 207 sq. Il lit enfin Bayle,

Saint-Évremond et Voltaire. Puis las de sa fausse situation, il accepte en avril 1740 un préceptorat chez le grand prévôt de Mably, frère de l’abbé et de Condillac ; il n’y fait que passer et en 1741, il gagne Paris. Sur cette période, voir Confessions, t. II, III, IV, V, VI ; Correspondance générale de Jean-Jacques Rousseau, annotée et commentée par Th. Dufour et publiée par P. Plan, 20 in-8°, Paris, 1924-1935, t. i, Rousseau cl Mme de Warens ; F. Mugnier, op. cit. : Masson, op. cit.

3. Rousseau chez les philosophes. Venise et Paris (1741-1749). — Il compte sur la musique, mais l’Académie des sciences rejette son Projet de nouveaux signes sur la musique. Il obtient la protection de quelques grandes dames. L’ambassadeur de France à Venise, M. de Montaigu, le prend comme secrétaire, mais ils ne s’entendent pas. Revenu à Paris en septembre 1744, il s’occupe de musique, se lie avec Thérèse Levasseur, dont il mettra les enfants aux Enfants trouvés, et entre par Diderot dans le monde fie Y Encyclopédie. Cf. ici D’Alembert, t. i, col. 706-708 ; Rationalisme, t. xiii, col. 1752. Il se charge des articles du Dictionnaire concernant la musique et y donne l’article Économie politique, qui annonce de loin le Contrat social. Il est alors recherché par d’Holbach. Dans ce milieu, son catholicisme déjà bien ébranlé s’effondre. En 1748, sans cesser, semble-t-il, de croire en Dieu, il n’est plus catholique que de nom. Cf. Confessions, 1. VII ; Correspondance, t. i, Rousseau à Venise, …à Paris.

2° Vie et œuvres de 1749 à 1765. — 1. La crise intérieure. Le discours sur les sciences. La « conversion et la rentrée à Genève (1719-1751). — On ne peut comprendre les œuvres de Rousseau si on les sépare de sa vie. II y expose, en effet, sa réaction à l’égard des milieux qu’il traverse, ses idées, ses sentiments, ses rêves.

A ce moment, il ne s’accommode pas de son existence. La vie mondaine se résume pour lui en contraintes, en déconvenues, en un sentiment d’infériorité pénible. Puis, l’on peut ne pas accepter certains dogmes, mais le philosophisme qu’aucun blasphème n’arrête, dépasse la mesure. N’y aurait-il donc pas, au lieu de cette vie artificielle, où la société dicte à l’homme ses jugements et règle ses pas, une vie naturelle où l’homme serait lui-même ? Justement, cette question mise au concours par l’Académie de Dijon en octobre 1749 : Si le progrès des sciences et des arts a contribué « corrompre ou à épurer les mœurs, lui fournit l’occasion de préciser ses idées. Cf. R. Tisserand, L’Académie de Dijon de 1740 ù 1793, 1936, in-8°. La question signifiait : Quels ont été les effets moraux de la Renaissance ? Rousseau la prit dans un sens général : Rapports entre la civilisât ion d’une part et d’autre part la morale et le bonheur ? Tout le xvin’siècle fera dépendre morale et bonheur du progrès i des lumières », mais fera disparaître l’individu dans une société uniforme. Avec-L’approbation et non, quoi qu’en ait dit Marmontel, Mémoires, I. VII, sur le conseil déterminant de Diderot, il soutient que la civilisation a corrompu les mœurs. L’homme tel que l’a fait la nature dans la simplicité, l’indépendance, la croyance en Dieu… est infiniment supérieur ù l’homme tel que le fait la civilisation, dans l’artifice de la vie sociale, dans le luxe qui détruit toute vertu, toute moralité, dans le scepticisme. Toutes les sciences n’ont-elles pas une origine fâcheuse ? L’astronomie est née de la superstition, la physique d’une vaine curiosité, la morale de l’orgueil humain. Nés des vices, les arts et les sciences 1rs alimentent. Une réserve cependant. Dans l’état présent des choses, les lumières sont utiles, à la condition qu’elles viennent de grands savants et « non de cette foule d’auteurs élémentaires », qui revendiquent les noms de philosophes et de

savants. Le travail de Rousseau n’avait rien de neuf : la thèse en avait été exposée dans les Lettres persanes (les Troglodytes) et dans Marivaux (L'île des esclaves, l’Ile sonnante), Rousseau eut néanmoins le prix, le 23 août 1750. Cf. R. Tisserand, Les concurrents de J.-J. Rousseau à i Académie de Dijon pour le prix de 1754, in-8°, 1936. Mais quand le Discours parut imprimé (Paris, 1750 ; Genève, 1751), les académiciens Bordes de Lyon, Le Cat de Rouen, Formey de Berlin, Voltaire, d’Alembert, Frédéric II, le roi Stanislas avancèrent des objections. Rousseau répondit à tous. Cf. Recueil de toutes les pièces publiées à l’occasion du Discours…. Genève, 1753 ; Correspondance, t. vii, n. 1249.

Avec le Discours, son opéra le Devin de village, représenté devant le roi, sa comédie Narcisse au Théâtre-Français, Rousseau prendra conscience de son talent et osera. En face des mondains et des philosophes, il affecte de redevenir l’homme primitif. Il commence cette « conversion », en retournant à la religion, non au catholicisme, mais à la religion de son enfance, réduite toutefois à sa manière personnelle. Depuis son abjuration, il avait cessé d'être « citoyen de Genève ». En juin 1754, sûr d'être bien accueilli en raison de sa renommée, il retourne dans sa patrie. Il rentre d’abord dans son Église ; le consistoire le dispense des formalités habituelles. Parce qu’ils croient que, passé par la philosophie, Rousseau n’acceptera pas tous les dogmes de Calvin, les six commissaires chargés d’examiner ses croyances lui donnent, pour sa foi en Dieu et en la providence, un certificat d’orthodoxie. Admis à la communion, il fut rétabli dans ses droits de citoyen. Confessions, 1. VIII ; Correspondance, t. i et ii, Rousseau à Genève ; G. Vallette, J.-J. Rousseau à Genève, Genève, 1911, in-8° ; P. -M. Masson, toc. cit. ; J.-S. Spinti, J.-J. Rousseau à Genève, 1934, in-8°, Paris.

2. Jusqu'à la rupture avec les Encyclopédistes : à l’Ermitage (1756-1757) ; à Montmorency (1758-1762) ; Discours sur l’inégalité (1755) ; Lettre sur la Providence (1756) ; Lettre sur les spectacles ou Lettre à d’Alembert (1758). — De Chambéry, le 12 juin 1754, il avait dédié À la République de Genève son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, réponse à cette nouvelle question posée en 1753 par l’Académie de Dijon : Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes ? Est-elle autorisée par la loi naturelle ? Rousseau s’inspire dans ce discours des théories sur la loi et les droits naturels de Grotius, Burlamaqui, Pufîendorf et aussi de Diderot, Condillac, Buffon, de la doctrine philosophique, en somme. Sans s’inquiéter de la réalité historique, il s’efforce de dégager de l’homme, par le raisonnement, les éléments nécessaires de sa nature. Or, tandis que Lucrèce et Buffon voient dans l’homme primitif un être peu enviable, Rousseau le voit libre, fort, heureux, vivant sans règle, sans vices et sans vertus, selon l’instinct et sans réflexion, n l'état de réflexion étant un état contre nature et l’homme qui médite un animal dépravé », avec des besoins très simples toujours satisfaits. Deux seuls sentiments : l’instinct de conservation qui lui fait rechercher un minimum de bienêtre, et la sympathie pour ses semblables ; capable de progrès, il aboutira par le premier à la propriété, par le second à la vie sociale et à la morale, autrement dit au sentiment de l’obligation à l'égard de ses compagnons d’existence, car il n’y a d’autre morale que la sociale. De là, naquirent les passions : amour, haine, ambition et aussi l’inégalité : inégalité du pauvre et du riche d’abord ; puis, le riche faisant des lois pour garantir ses richesses, inégalité du puissant et du faible ou civile ; enfin, le riche se réservant le pouvoir, inégalité du maître et de l’esclave ou politique. Et

Rousseau de conclure : a) l’origine de l’inégalité, c’est la propriété, établie et maintenue par la vie sociale ; b) l’inégalité est réprouvée par la loi naturelle, puisque, à l'état de nature, les hommes isolés et bons sont égaux. C’est donc la société qui les a corrompus. Cette fois, Rousseau n’eut pas le prix. Cf. Correspondance, t. ii, n. 243, la lettre spirituelle que lui adresse Voltaire à cette occasion à la date du 30 août 1755 et ibid., n. 244, la réponse de Rousseau.

Ayant refusé le poste de bibliothécaire à Genève que lui offrait au début de 1756 le docteur Tronchin, il s’installait le 9 avril de cette même année dans une petite maison isolée aux environs de Montmorency, l’Hermitage ou l’Ermitage, qu’avait aménagée pour lui Mme d'Épinay. Il travaille à ses grandes œuvres, mais, dans l’intervalle, il écrit en réponse au Poème sur le désastre de Lisbonne, que Voltaire vient de publier, sa Lettre sur la Providence, datée du 18 août 1756, Correspondance, t. ii, n. 300. Elle parut imprimée en 1759, un vol. in-8° de 60 p., s. 1. (Berlin). A l’occasion du tremblement de terre du 1 er novembre 1755, Voltaire, dans son poème, avait attaqué la Providence et ses défenseurs Pope et Leibnitz : le mal, soutenait-il, tient à la constitution même du monde, les faits le prouvent. Il concluait : « Mortel, il faut souffrir, se soumettre en silence, adorer et mourir. » Il ajoutait vaguement : « Un jour, tout sera bien, voilà notre espérance. » À cette thèse, Rousseau oppose un optimisme basé sur la croyance en Dieu et l’immortalité de l'âme. « Vous accusez Pope et Leibnitz », dit-il à Voltaire, « d’insulter à nos maux en disant que tout est bien », mais alors que votre poème « me réduit au désespoir…, leur optimisme… me console ». Puis souvenez-vous de ce Discours sur l’inégalité que vous avez qualifié de « livre contre le genre humain » ; j’y montrais aux hommes « comment ils faisaient leur malheur eux-mêmes ». Et il s’efforce de le prouver, comme il l'écrit dans les Confessions, t. IX, p. 304 : « De tous ces maux, il n’y en a pas un dont la Providence ne soit disculpée et qui n’ait sa source dans l’abus que l’homme fait de ses facultés plutôt que dans la nature elle-même. » En fait, « si ce n’est pas toujours un mal de mourir, c’en est fort rarement un de vivre ». Qu’on le demande, non à l’un de ces civilisés saturés de philosophie ou détraqués à force de réfléchir, mais à un honnête bourgeois ou à un montagnard du Valais. Il accepterait de renaître sans cesse pour végéter… perpétuellement ». Dans l’appréciation des biens et des maux, les philosophes oublient toujours « le doux sentiment de l’existence indépendant de toute autre sensation ». P. 304-309. Peut-être, au lieu de tout est bien, vaudrait-il mieux dire le tout est bien ou tout est bien pour le tout, Dieu semblant en effet ne s’occuper que de l’ensemble. Ceux « qui ont gâté la cause de Dieu, ce sont les prêtres qui invoquent à tout propos la justice de Dieu » et les philosophes 'i qui chargent Dieu, comme dit Sénôque, de la garde de leur valise ». « Si Dieu existe, il est parfait, car, il est sage et puissant et tout est bien », « juste et puissant, et mon âme est immortelle : tout se rétablit ». P. 318. Si sa raison ne l’assure pas de l’existence de Dieu, du moins il croit en Dieu « tout aussi fortement qu’en toute autre vérité ». P. 319. Qu’on le laisse croire en paix. Il y a une sorte de profession de foi qu’il défendra jusqu'à son dernier souffle : « Je voudrais qu’on eût dans chaque État un culte moral ou une espèce de profession de foi civile qui contînt positivement les maximes sociales que chacun serait tenu d’admettre et négativement les maximes intolérantes qu’on sérail tenu de rejeter comme séditieuses… Toute religion qui ne s’accorderait pas avec le Code serait proscrite et chacun serait libre de n’en avoir point d’autre que le Code même. Voilà un sujet, pour vous, dit-il à Vol

taire… Vous nous avez donne dans votre poème sur la religion naturelle le catéchisme de l’homme, donneznous maintenant le catéchisme du citoyen. » P. 322323.

Mais hrouillé avec Mme d'Épinay, qu’il n’a pas voulu accompagner à Genève et qu’excite contre lui son ex-ami Grimm, il quitte l’Ermitage le 15 décembre 1757 et s’installe dans la petite maison de Montlouis à Montmorency ; il est parfois l’hôte du maréchal de Luxembourg. Cf. Correspondance, t. iii, passim, en particulier, n. 40fi, p. 136-143 ; Lettre à Grimm, datée du 19 octobre et Confessions, 1. IX. C’est là qu’il acheva de se brouiller avec Voltaire et les Encyclopédistes par sa lettre : J.-J. Rousseau, citoyen de Genève, à M. d’Alembert de l’Académie française…, sur son article Genève dans le tome VII de l’Encyclopédie, ou Lettre, sur les spectacles, Amsterdam, 1758, in-8°. D’Alembert, dans un article écrit après un séjour aux Délices, où il avait rencontré quelques pasteurs, sous l’impulsion et avec le concours de Voltaire désireux de se venger du consistoire, félicitait quelques pasteurs « de leur socinianisme parfait », de leur déisme en quelque sorte et du rejet qu’ils faisaient des peines éternelles. Il exprimait aussi le vœu de voir Genève s’ouvrir au théâtre : des lois sévères remédieraient aux dangers que l’on craint et Genève unirait alors « la sagesse de Lacédémone à la politesse d’Athènes ». Les pasteurs protestèrent de l’orthodoxie de leurs opinions dans une Déclaration de principes publiée en février 1758. De son côté, Rousseau, craignant que Genève ne se laissât séduire, composa en trois semaines sa Lettre. Cf. édil. cit., t. III, p. 113-117. Que les pasteurs soient sociniens, Jean-Jacques — il a de bonnes raisons pour cela — se gardera bien de les en blâmer. Que d’Alembert les en ait accise publiquement, Rousseau ne l’admet pas. « On ne peut juger de la foi d’autrui par conjecture », et si l’auteur a connu ces doctrines par des confidences, il n’avait pas le droit de les « déclarer à la face de l’Europe ». P. 115-117. Ce qui inquiète surtout Rousseau, c’est le vœu d’un théâtre à Genève. Lettre… sur son article Genève… et particulièrement sur un théâtre de comédie en cette ville, dit le titre. Reprenant donc, à sa manière, la thèse de Pascal, Pensées, édit. Rrunschvicg, p. Il ; de Nicole, Les visionnaires ; de Bossuet, Lettre au P. Caffaro, puis Maximes et réflexions sur lu comédie, il soutient que « le théâtre, qui ne peut rien pour corriger les mœurs, peut beaucoup pour les altérer ». P. 138. Comment « attribuer au théâtre le pouvoir de changer des sentiments et des mœurs qu’il ne peut que suivre et embellir » s’il veut réussir ? P. 120. « Par quels moyens pourrait-il produire en nous des sentiments que nous n’aurions pas et nous faire juger des êtres moraux, autrement que nous n’en jugeons nousmêmes ? » La tragédie ne mène qu'à une pitié vaine, p. 123 ; la comédie « ne rend pas les objets haïssables… mais ridicules ; or, à force de craindre les ridicules, le vice n’efïraic plus » et le ridicule « jeté sur la crtu est l’arme favorite du vice ». Ibid., et p. 121. Quel profit moral tirer de VAslrée, de Mahomet, de Phèdre « qu’on a peine à ne pas excuser » ? P. 127. « Avec quel scandale, Molière, le plus parfait auteur comique, renverse les rapports les plus sacrés sur lesquels la société est fondée 1 il tourne en dérision les droits des pères sur leurs enfants, des maris sur leurs femmes ; …s’il fait… rire d’un vice, c’est au profit d’un autre vice plus odieux ». P. 127-128. Mais où le théâtre est plus redoutable, c’est dans les petites villes. P. 139. Il faut des distractions aux hommes, encore que les vertueux Montagnons des environs de Ncuchàtcl se contentent d’une vie pasto raie. Petite ville en gomme, Genève aurait tout a perdre à un théâtre. Qu’elle demeure tidèle à ses fêtes

d’autrefois ; qu’au besoin, elle en crée de nouvelles mais du même ordre.

Ce réquisitoire contre le théâtre faisait de Rousseau « après l’apostat de l'Église philosophique, l’apostat de l'Église littéraire ». B. Bouvier, Jean-Jacques Rousseau, Genève, 1912, in-16, p. 226. C'était d’ailleurs le moment où les Encyclopédistes victimes de YEsprit étaient menacés. « Le geste de Rousseau manquait d'élégance », Masson, La religion de Jean-Jacques Rousseau, t. ii, p. 37. Ce sera « la brouille sans retour », mais aussi « la libération définitive ». Id., ibid. D’Alembert, que harcelait alors Fréron, répondit néanmoins à Rousseau ; il discuta certains détails et insinua certaines critiques sur le passé de Jean-Jacques. Diderot et surtout Voltaire se montrèrent irréconciliables. Cf. Confessions, 1. IX et X ; Correspondance, t. iv, La lettre à d’Alembert, 1758-1759 ; A. -A. Pons, J.-J. Rousseau et le théâtre, Genève, 1909, in-8°.

3. A Montmorency : Les grandes œuvres (1760-1 762V — a) Julie ou La nouvelle Héloïse, 6 vol. in-12, Amsterdam, 1760, et 7 vol. in-12, 1761 ; édit. cil., t. n. La Nouvelle Héloïse a été publiée par D. Mornet dans la collection des Grands écrivains, 4 vol. in-8°, 1925.

Conçu d’abord comme un simple roman, Rousseau, après sa « conversion », fit de ce livre un roman à thèses moralisatrices. Julie d'Étanges a aimé son précepteur ; Saint-Preux. Fureur du père, gentilhomme bourré de préjugés. Julie épouse l’athée vertueux Wolmar. Au temple, à l’heure de son mariage, une illumination soudaine de son intelligence, une purification de son cœur font sentir à Julie « la loi divine du devoir et de la vertu ». Plus tard, par un besoin de sincérité, elle racontera le passé à Wolmar et celui-ci fera de SaintPreux le précepteur de ses enfants. Mais on ne joue pas avec le feu et Julie mourra à temps. Les thèses soutenues sont les suivantes : La société, en écoutant ses préjugés et ses conventions et en séparant l’amour et le mariage, le bonheur et le devoir, va contre la famille. Dans la vie conforme à la nature, l’amour et le mariage ne font qu’un et la famille constituée sur cette base, assure une existence heureuse et morale. Possibilité du relèvement après la faute par le triomphe du devoir sur la passion. Utilité, nécessité même de la religion pour la valeur morale.

Le 24 juin 1761, Rousseau disait à Jacob Vernes le but de son livre : « Rapprocher les partis opposés par une estime réciproque, apprendre aux philosophes qu’on peut croire en Dieu sans être hypocrite et aux croyants qu’on peut être incrédule sans être un coquin. Julie dévote est une leçon pour les philosophes ; Wolmar athée en est une pour les intolérants. » Correspondance, t. vi, p. 158. Il va plus loin cependant. La nouvelle Héloïse est une apologie de la religion, entendons la religion de Jean-Jacques. Si Wolmar est doué de toutes les vertus, c’est qu’au fond il est chrétien : « Sa conversion est indiquée avec une clarté qui ne pouvait souffrir un plus grand développement sans vouloir faire une capucinade. » Ibid. Julie est l’apologie même de la religion, à qui elle doit sa transformation morale. À son mariage, au temple, est passé sur elle le souflle divin. Cf. part. III, lettre xvill. t. ii, p. 177-171°. » Sur son lit de mort, elle ramasse en un considérable discours les vérités dont elle a vécu. » Sa religion, ce n’est point le catholicisme qu’elle critique, mais le protestantisme — « J’ai vécu et je meurs dans le protestantisme » : l'Écriture est son unique règle de foi, — et le protestantisme de libre examen, opposé au calvinisme orthodoxe du pasteur. Elle s’est fait son Credo, sans aucun scrupule : « J’ai pu me tromper dans ma recherche », mais t Dieu pourrait-il me demander compte d’un don qu’il ne m’a pas fait ». Part. VI, lettre xi. Elle a d’ailleurs élevé ses enfants en dehors des formules apprises, atin que.

suivant Saint-Preux, « ils ne sachent pas seulement leur religion, mais qu’ils la croient », car « il est impossible à l’homme de croire ce qu’il n’entend pas ». Part. "V, lettre ni. Son Credo est proche du déisme. Elle parle de l'Écriture, règle de foi, et de Dieu, mais pas un mot de Jésus-Christ ou de la Trinité. Et son Dieu n’est pas le Dieu de Calvin mais le Dieu des bonnes gens avec une note sentimentale. C’est « un père. Ce qui la touche est sa bonté ». Elle croit à l’immortalité de l'âme, non à la résurrection des corps ou à l’enfer. « Qui s’endort sur le sein d’un père n’est pas en souci du réveil » et, pour me damner, « il faudrait que Dieu m’empêchât de l’aimer ». Part. VI, lettre xi.

b) Emile ou de l'éducation, 4 vol. in-12, Amsterdam et La Haye, 1762 ; 4 vol. in-12 et 4 vol. in-8°, Paris, 17C2, avec cette épigraphe : Sanabilibus œgrotamus malis ipsaque nos in rectum genitos natura, si emendari velimus, juval. Seneca, i ?e ira, t. II, cap. xiii. C’est le plan d’une éducation enlevée à la société viciée et conforme à la nature.

La question de l'éducation était à l’ordre du temps. Rousseau y avait touché dans un Projet pour l'éducation de M. de Sainte-Marie, étant précepteur, dans la Nouvelle Héloïse, part. V, lettre iii, et dans l’article Économie politique. Dans cet article, il jugeait que l'éducation doit former le citoyen, donc être donnée en commun et par l'État ; dans V Emile, c’est « l'état d’homme » qu’il veut enseigner. Cela importe : « quiconque est bien élevé pour cet état ne peut pas mal remplir les devoirs qui s’y rapportent ». Or, « vivre, dit-il, est le métier que je veux lui (à son élève) apprendre ; d’où il suit que la véritable éducation consiste moins en principes qu’en exercices ». L. I, t. ii, p. 403. Il part de ce principe : « Tout est bien sortant des mains de l’auteur de la nature ; tout dégénère entre les mains des hommes. » Il faut donc, autant que possible, isoler l’enfant et laisser agir en lui la nature. Emile, l’enfant, sera confié à un précepteur. Il sera élevé à la campagne. Son éducation sera d’abord « négative ». L’enfant a droit au bonheur, donc à la liberté. On ne s’occupera que de former ses sens et de le soumettre à la leçon de choses. Rien de livresque, pas même les fables de La Fontaine. On l’amènera seulement à désirer lire et écrire. Cf. Laparède, J.-J. Rousseau et la conception fonctionnelle de l’enfance, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 391-416. De douze à quinze ans, Emile sera instruit et formé à la réflexion, mais toujours expéiimentalement. Il apprendra ainsi l’astronomie, la géographie, la physique, si utile puisqu’elle fait connaître les grandes lois de la nature. On le formera à un métier, celui de menuisier, afin qu’il comprenne l’interdépendance humaine. Un seul livre lui sera remis : Rcbinson Crusoé. L. III au 1. IN'. Emile a de quinze à dix-huit ans. Son maître formera sa sensibilité. Pour retarder l'éclosion de ses passions, on fera dévier sa sensibilité vers les sentiments affectueux : reconnaissance, amitié, pitié, amour du peuple et de l’humanité et on lui fera connaître les hommes par l’histoire, surtout par Plutarque. Enfin on lui parlera de Dieu. Voir plus loin : La profession de foi du vicaire savoyard. Au t. V, c’est le mariage. Emile sera fiancé à Sophie et deux ans après, l'épousera. Et Rousseau esquisse à cette occasion un nouveau Trailéde l'éducation des filles, bien plus traditionnel que l’Emile. Sur le système d'éducation de Rousseau, voir F. Vial, Rousseau éducateur, in-8°, Paris, 1912, et La doctrine d'éducation de J.-J. Rousseau, Paris, 1920, in-8°.

L’Emile eut une suite : Emile et Sophie ou les Solitaires, s. 1., 1780, in-8°, où l’on voit tourner très mal les deux personnages.

c) La profession de foi du vicaire savoyard (citée ici d’après l'édit. Masson, les chiffres donnés sont ceux

qui figurent dans les marges entre crochets), dans Emile, 1. IV ; cf. aussi, E. Beaulavon, La profession de foi du vicaire savoyard, avec une introduction et des notes, Paris, 1936, in-16. Avant dix-huit ans, Emile n’a donc pas entendu pailer de Dieu. Il n’eût rapporté d’un enseignement catéchistique que « des images difformes de la divinité ». Mais la religion est devenue utile à sa vie morale ; « l’oubli de toute religion conduisant à l’oubli des devoirs ». P. 7. Le précepteur ne le formera point à une religion précise ; il le mettia seulement « en état de choisir celle où le meilleur usage de sa raison doit le conduire ». Rousseau confie cette tâche à un vicaire savoyard (abbés Gaime et Gâtier ? Cf. Confessions, 1. VIII et ici col. 103) qui, après avoir trahi ses vœux, se trouvant pris d’un doute, non méthodique mais réel, soumit, tel Descartes, ses certitudes antérieures à une revision. A l’exemple de « l’illustre Clarke », il borna son étude aux vérités utiles, c’est-à-dire, aux règles de la vie bonne et heureuse, et admit parmi elles « pour évidentes, celles auxquelles dans la sincérité de son cœur, il ne pourrait refuser son assentiment ; pour vraies toutes celles qui lui paraîtraient avoir une liaison nécessaire avec les premières ». Quant aux autres, il les laissait « sans les rejeter ni les admettre ». P. 33-34. A « la lumière intérieure », p. 61, le vicaire arrive aux certitudes suivantes : « J’existe et j’ai des sens par lesquels je suis affecté. » C’est un fait. « Je trouve en moi la faculté de comparer mes sensations » : donc « une force active », p. 39, et, quoi qu’en dise » Helvétius, qui voudrait persuader que notre vie spirituelle et morale se ramène à la sensation, « j’oserai prétendre à l’honneur de penser ». P. 91. Autre fait : le monde existe, puisque « mes sensations m’affectent quoi que j’en aie ». P. 36. Or il « m’apparait en mouvement » tt « concevoir la matière productrice du mouvement, c’est concevoir un effet sans cause » ; elle est donc mue par une volonté ; et, « mue selon certaines lois, elle me montre une intelligence ». Dieu existe. P. 44-57. « Je l’aperçois dans ses œuvres ; je le sens en moi », mais ce qu’il est en lui-même, je ne puis le savoir. P. 63, 92, 96.

Incontestablement, l’homme « est le roi de la terre », p. 151, et, quoi qu’en dise Helvétius encore, il n’est pas un. P. 68. Nul être matériel n'étant actif par luimême, ni par conséquent libre, il y a en lui une « substance immatérielle ». La justice exige également la vie future. L’homme trouve en lui-même cette promesse : « Sois juste et tu seras heureux », qui, déçue en ce monde, suppose la vie future. L'âme est-elle immortelle par nature ? Qu’importe ? « Elle survit assez au corps pour le maintien de l’ordre », et « cela me console de penser qu’elle durera toujours ». P. 96. « Quelles règles suivre pour remplir ma destination sur la terre ? » Celles que fixera ma conscience. « Qui la suit obéit à la nature, donc au bien, et trouve le bonheur pour lequel il est fait. » P. 115-128.

Mais, dit au vicaire son interlocuteur, n’est-ce pas là « le théisme ou la religion naturelle que les chrétiens affectent de confondre avec l’athéisme » ? P. 301. Pourquoi m’en faudrait-il une autre, répond le vicaire. J’y sers Dieu selon la lumière et les sentiments qu’il m’a donnés. Et les religions révélées nuisent « à Dieu, en lui donnant les passions humaines », à la société, « en rendant l’homme orgueilleux, intolérant, cruel ». Puis comment trouverais-je la véritable au milieu de toutes les religions qui se disent révélées ? Elle a ses preuves, dit-on : des prodiges. Mais où sont-ils ? Dans des livres. Qui les a écrits ? Des hommes. Qui a vu ces prodiges ? Des hommes. « Que d’hommes entre Dieu et moil » Donc que de causes d’erreur. Mais soit. Quel travail s’impose alors à l’homme 1 II devra faire la critique historique des livres en question. Il se heur1 1 1

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tera ensuite à celle difficulté que, pour classer un fait parmi les surnaturels, il faut connaître toutes les lois de la nature, car il y a tant de faux prodiges invoqués en faveur des fausses religions ! I'. 1 13-149. Les prophéties offrent les mêmes difficultés. Il me faudrait avoir été « témoin de la prophétie, …de l'événement » et « qu’il me fût démontré que cet événement n’a pu cadrer fortuitement avec la prophétie ». P. 157. « Coin ment Dieu choisirait-il pour attester sa parole des moyens qui ont eux-mêmes si grand besoin d’attestation ? » I'. 143. Les catholiques « font grand bruit de l’autorité de l'Église », mais ils ont la même difflculté pour l'établir. P. 165.

La doctrine d’ailleurs doit porter la marque de Dieu, donc offrir des dogmes « clairs, lumineux, frappants par leur évidence », ne pas le représenter « colère, jaloux, toujours prêt à foudroyer » et ne pas nous « imposer des sentiments d’aversion pour nos semblables », autrement « je me garderais bien de quitter la religion naturelle ». I>. 338-339. En fait, il y a « trois principales religions » qui se partagent l’Europe. Elles se contredisent. Comment choisir entre elles, toutes preuves en mains ? P. 102-168. Pour trouver dans ces conditions la vraie religion à laquelle il faudrait adhérer sous peine de damnation, l’homme devrait y mettre toute sa vie ; ce serait la fin de tout travail et de toute civilisation. P. 339. Dès lors, conclut le vicaire, « j’ai refermé tous les livres » pour le seul « ouvert à tous, celui de la nature. Nul n’est excusable de n’y pas lire. J’y apprends de moi-même à connaître Dieu, à l’aimer, …et à remplir pour lui plaire tous mes devoirs sur la terre. Qu’est-ce que tout le savoir des hommes m’apprendra de plus ? » P. 397.

Mais « la majesté de l'Écriture m'étonne ; la sainteté de l'Évangile parle à mon cœur ». Et « si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu ». P. 178-180. Oui, mais « avec tout cela, l'Évangile est rempli de choses incroyables, qu’il est impossible à tout homme sensé de concevoir ni d’admettre ». P. 183. « Que faire ? Respecter en silence ce qu’on ne saurait ni rejeter ni comprendre. » P. 184.

Pratiquement, il faut « servir Dieu dans la simplicité de son cœur », extérieurement « suivre la religion de son pays qui est une manière uniforme d’honorer Dieu par un culte public », et ne pas l’abandonner. Enfin, être tolérant pour les autres. « En attendant de plus grandes lumières, dans tout pays, respectons les lois, ne troublons point le culte qu’elles prescrivent : car nous ne savons point si c’est un bien pour eux de quitter leurs opinions pour d’autres et nous savons très certainement que c’est un mal de désobéir aux lois. » p. 190.

d) Du contrat social ou Principes du droit politique, Amsterdam, in-12, 1762 (cité ici, d’après l'édition G. Beaulavon, in-16, Paris, 1903). — Quinze jours avant l’Emile, parut ce traité, fragment d’un traité plus étendu, entrepris à Venise par Rousseau, Institutions politiques, faisant la suite des deux Discours et de l’article Économie politique, et dont les idées fondamentales se retrouvent dans Y Emile, t. V, et dans la sixième des Lettres de la montagne. Un manuscrit trouvé à Genève et publié en 1887, contient une ébauche du Contrat. Cf. A. Bertrand, Texte primitif du contrat social, Paris, 1891, et B. bre> fus-Biïsac, Le contrat social, Taris, 1898, Introduction.

Dans le manuscrit de Genève, p. 202. Rousseau écrit : « Je cherche le droit et la raison et ne discute pas des faits. » Ce n’est pas une quest ion historique, comme dans le Discours sur l’inégalité, OU comme Montes quieu dans l’Esprit des lois, mais un problème théorique qu’il traite. Partant de ces affirmations : L’homme est né libre et partout il est dans les fers », éd. cit.,

p. 107 : et les autorités établies reposent sur la force, la guerre ou l’esclavage, donc sur un titre illégitime. contraire à la nature et aux droits naturels de l’individu, c. ii, iii, iv, Rousseau se demande : Ne peut-on imaginer — puisque < les vices des hommes rendent l’organisation sociale nécessaire ». cf. Correspondance, t. x, p. 37 — une forme de société qui existerait légitimement, en conformité avec les droits naturels et la raison, et qui unirait les avantages de la loi naturelle à ceux de l'état social. Ce problème se ramène à celui-ci : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse qu'à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant. » Contrat, t. I, c. vi, p. 127. Rousseau en voit la solution dans ce pacte social : « Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale » — donc, « aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à toute la communauté » — « et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout, c’est-à-dire, tous les contractants exercent des droits égaux et le corps social reconnaît chacun d’eux comme membre de l'État… » Ibid., p. 127-129.

Le souverain est donc l’ensemble de tous les individus liés par le contrat, c’est-à-dire des citoyens. La souveraineté du peuple est inaliénable : il ne peul légitimement déléguer ses pouvoirs d’une façon indéterminée et définitive, t. II, c i ; elle est indivisible dans son principe et dans son objet, ibid., c. ii, et il ne saurait être question de séparation des pouvoirs. Cf. Esprit des lois, t. XI, c. vi. Elle s'étend sur tout ce qui est avantageux à tous et va aux fins de la société. L. II, c. iv. La volonté de ce souverain… tend toujours à l’utilité publique : « Jamais on ne corrompt le peuple, mais souvent on le trompe, et c’est alors qu’il paraît vouloir ce qui est mal. » Ibid., c. iii, p. 150.

A ce peuple, il faut donc un législateur « d’intelligence exceptionnelle », qui ne soit ni souverain ni magistrat, afin qu’aucune passion ne trouble son jugement, tel que furent Lycurgue à Sparte, Calvin à Genève, tel que le voulait être Rousseau pour la Pologne et pour la Corse. Ibid., c. vu.

L’expression de la volonté générale est la loi. Elle aura toujours pour objet l’intérêt général. Ibid., C. vi. Elle crée le droit. Elle exige donc de tous une obéissance absolue, en tout ce qui est l’intérêt général. Mais le peuple souverain est seul juge des limites qu’il convient d’imposer à la loi, du bien et du mal [égal. Ibid., c. iv, p. 19. Rousseau dira même : « Il ne peut y avoir nulle espèce de loi fondamentale pour le corps du peuple, pas même le contrat social. » L. I, c. vii, p. 132. Il n’y a pas de droits et de devoirs en dehors du pacte social. Cf. R. Slammler, Notion et portée de la « volonté générale » chez Rousseau, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 383-389.

A défaut d’un accord unanime, on tiendra la majorité pour l’expression de la volonté générale. D’autre part, si quelqu’un refuse d’obéir à la volonté générale, il pourra y èlre contraint par tout le corps. Ibid., c. vu. Enfin, il importe, pour bien discerner la volonté générale, « qu’il n’y ail pas de société partielle dans l'État et que chaque citoyen n’opine que d’après lui », car les associations substitueraient aux volontés individuelles des réponses concertées en vue d’intérêts pari iculiers, L. 1 1, c m.

L’homme gagne-t-il dans ces conditions à passer de l'état de nal lire a l'étal social ? Si l'état social était réalisé sans abus, « l’homme devrait bénir l’instant heureux qui, d’un animal stupide et borné, lit un èlre intelligent ». I. I. c. VIII, p. 136-137, et le lit passer de l'étal impulsif a l'état raisonnable et moral >.

P. 135. En fait, l’homme a perdu sans doute « sa liberté naturelle et son droit illimité à tout », mais il gagne « la liberté civile ou le pouvoir de faire ce qui est permis par la loi, la propriété de tout ce qu’il possède et l'égalité de droits » avec ses semblables. Ibid., p. 137139. Il y a loin, semble-t-il, du Contrat aux Discours ; mais, dit Kant, « dans les Discours, Rousseau montre l’inévitable conflit de la culture avec la nature du genre humain, considéré comme espèce animale. Dans le Contrat, il cherche comment développer la culture pour que l’humanité en tant qu’espèce morale ne soit plus en opposition avec l’humanité comme espèce naturelle ». Mullunasslicher Anfang der Menschengeschichle, t. IV, 1786, p. 322 de l'édition Hartenstein. Cité par Delbos, Essai sur la formation de la morale de Kant, Paris, p. 123. D’autres admirateurs de Rousseau disent : dans les Discours, il étudie une question de fait ; ici, une question théorique. Cf. Izoulet, De J.-J. Rousseau, utrum misopolis fuerit an philopolis ? Paris, 1894.

Un gouvernement est nécessaire. Les mesures d’exécution des lois, ne constituant que des actes particuliers, ne peuvent relever du pouvoir législatif. L’exécutif ne sera pas indépendant, comme chez Montesquieu, mais relèvera du souverain. Quel gouvernement préférer ? Le démocratique ? Il ne peut convenir qu'à une petfte république. Le monarchique ? Le monarque ne sera-t-il pas tenté de devenir le souverain ? L’aristocratique ? Si l’aristocratie est héréditaire, non : elle fera courir les mêmes dangers que le monarchique ; si elle est élective, oui. C’est l’exécutif confié aux plus sages. L. III et IV.

Au dernier moment, Rousseau ajouta le chapitre D » la religion civile, t. IV, c. vin : 1. La religion, dit Rousseau contre Bayle, est la base de l'État, car elle fait aimer son devoir à chaque citoyen. P. 322. 2. Le souverain ayant un droit absolu sur tout ce qui est de l’intérêt général, « il y a une profession de foi purement civile, dont le souverain a le droit de fixer les articles, non comme dogmes, mais comme sentiments de sociabilité, sans lesquels il est impossible d'être bons citoyens ». P. 330. 3. Le souverain peut donc « bannir, comme incapable d’aimer les lois », quiconque repousse ces dogmes et punir de mort « qui les ayant reconnus publiquement… se conduit comme ne les croyant pas ; … il a menti devant les lois ». Ibid. 4. Os dogmes sont ceux de la religion naturelle : Dieu, providence, vie future, sainteté des lois, plus le « dogme négatif » de l’intolérance civile ou même théologique : il est impossible de vivre en paix avec ceux qui nous damnent : de l’intolérance théologique découle donc l’intolérance civile et « les prêtres se substituent au souverain ». On tolérera donc toutes les religions qui tolèrent les autres, si leurs dogmes n’ont rien de contraire aux devoirs du citoyen… Mais « quiconque ose dire : hors de l'Église, point de salut, doit être chassé de l'État ». P. 333.

Le christianisme — selon l'Évangile — est la parfaite religion de l’homme, mais il ne peut être celle du citoyen. « Une société de vrais chrétiens aurait un vice destructeur dans sa perfection. » D’abord leur patrie n’est pas de ce monde et, s’ils font leur devoir, peu leur importe comment vont les choses d’ici-bas. Ils se réjouissent même du malheur. Puis ils se laissent si facilement tromper ! Enfin et surtout « le christianisme ne prêchant que servitude…, les …chrétiens sont faits pour être esclaves ». P. 325-329. Nietzche reprendra cette vue de Rousseau.

Dans ce livre qui exerça une profonde influence sur la Révolution, Rousseau eut-il un but révolutionnaire ? Il ne semble pas. D’après A. Sorel, L’Europe et lu Révolution française, t. i, Les mœurs politiques et les traditions, 4e édit., 1897, p. 183, « le Contrat social n’a

été écrit que pour Genève ». Sans doute, Genève est le modèle que Rousseau a devant les yeux et c’est bien la Genève de Calvin et non, comme l’a soutenu F. Vuy, Origine des idées politiques de Rousseau, '2^ édit., Genève et Paris, 1889, la Genève catholique du xve siècle, à laquelle l'évêque Adhémar Fabri concéda ses franchises en 1483. Il a subi également l’influence de la théorie politique, en quelque sorte classique, des calvinistes, Jurieu, 1689 ; Locke, 1690 ; Burlamaqui, 1747 et 1751. Cf. F. D.mis, Bayle et Jurieu, Cæn, 1886, p. 55 : « La doctrine politique des Lettres pastorales (de Jurieu) contenait déjà tout le Contrat social », et Otto Gierke, Johannes Althusius und die Enlwickclung der naturrechtlichen Staatstheorien, 2e édit., Brestau, 1912. Il a subi encore l’influence du mouvement rationaliste et philosophique de son temps, que préoccupait le droit politique. Mais il a voulu imaginer un système général et théorique dont les petits États semblables à Genève pouvaient faire leur profit. Cf. Ph. Gudin, Supplément au Contrat social, applicable particulièrement aux grandes nations, Paris, 1791 ; Rahle, Rousseau’s Contrat social, Berlin, 1834 ; Arntzenius, De Staalsleev van J.-J. Rousseau, Leyde, 1876 ; M. Liepmann, Die Slaalstheorie des Contrat social, Haal, 1896 ; J. Bosanquet, Les idées politiques de Rousseau, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 321-340 ; R. Hubert, Rousseau et l’Encyclopédie. Essai sur la formation des idées politiques de Rousseau (1742-1756), Paris, s. d., in-8° ; John Stephenson Spinck, Jean-Jacques Rousseau et Genève. Essai sur les idées politiques et religieuses de Rousseau dans leur relation avec la pensée genevoise du XVIIIe siècle, Paris, 1934, in-8°.

4. Vie errante. La lettre à Christophe de Beaumont et les Lettres écrites de la montagne (1 7(53-1 765). — Imprimé en Hollande, le Contrat social fut interdit en France ; Y Emile y fut mis en vente grâce à Malesherbes, à qui Rousseau écrivit alors les quatre Lettres des 4, 12, 26 et 28 janvier 1762, qui sont comme une ébauche des Confessions. Voir Correspondance, t. x. Cf. Belin, Le mouvement philosophique en Erance de 1748 à 1789. Étude sur la diffusion des idées des philosophes à Paris, d’après les dominer, ts concernant l’histoire de la librairie, in-8°, Paris, 1913, p. 157 sq. Ces livres furent pour leur auteur l’occasion de tribulations sans fin. Le 9 juin 1762, « pour fermer la bouche aux dévots en poursuivant les jésuites », dit Rousseau, Lettre à Moultou, du 15 juin 1762, Correspondance, l. VII, n. 1113, p. 297, le Parlement condamnait Y Emile « qui ne puait composé que dans le but de ramener tout à la religion naturelle », à être « laPéré et brûlé » et décrétait l’auteur » de prise de corps ». Ibid., p. 367-370. Arrêt du parlement et Lettre du procureur général Joly de Eleury au chancelier de Lamoignon. Avec la complicité de tous, Bousseau s’enfuit a Yverdon au pays de Vaud, alors canton de Berne. Or, le 19, le Petit conseil de Genève qui, le 11, avait fait saisir Y Emile et le Contrat social, comme renfermant » des maximes dangereuses et par rapport à la religion et par rapport au gouvernement », ibid., p. 370-371, ordonnait sur le rapport du procureur général Tronehin, voir le texte de ce rapport, ibid., p. 372-374, que les deux livres, parce que « téméraires, scandaleux, impies, tendant à détruire la religion chrétienne et tous les gouvernements » fussent « lacérés et brûlés ». Voir le texte, ibid., p. 376-377. Au cas où Rousseau viendrait à Genève, il serait « appréhendé pour elle ensuite prononcé sur sa personne ». Ibid., p. 377. Le 6 juillet, Berne suit Genève et ordonne à Bousseau de quitter son territoire. Il se réfugie à Môiiers-Travers, dans la principauté de Xeuchàtel, qui appartient au roi de Prusse et dont inilord maréchal (lord Kerth) est le gouverneur. Le I 15

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pasteui de Montmollin l’y admit à la communion, après « qu’il eut fait par écrit une Déclaration dont Montmollin fut si pleinement satisfait que non seulement, il n’exigea aucune explication sur le dogme mais qu’il me promit encore, dit Rousseau, de n’en point exiger », Correspondance, t. xiii, n. 2541, p. 161163, Lcllrc au consistoire de Moliers, le 23 mars 1765. Voir ibid., t. viii, n. 1501, p. 82-83, le texte de cette Déclaration, datée du 24 août 1762. C’est là qu’il apprend que Y Emile a été censuré par la Sorbonnc, mis à l’Index et qu’il reçoit le Mandement de Monseigneur l’archevêque de Paris portant condamnation d’un livre qui a pour titre : Emile ou De l'éducation, par J. J. Rousseau, citoyen de Genève, daté du 20 août 1762, in-4o, Paris. Voir le texte de ce mandement aux Œuvres de Rousseau, édit. cit., t. ii, p. 747-754. On l’attribue à l’avocat Jacob-Nicolas Moreau.

Divers prélats et théologiens imitèrent l’archevêque, mais c’est à lui seul que Rousseau répondit : orgueil sans doute et calcul : la Genève calviniste serait reconnaissante ; d’où cette lettre : J.-J. Rousseau, citoyen de Genève, à Christophe de Reaumonl, archevêque de Paris, in-8o, s. 1., 1763, avec cette épigraphe : Da veniam si quid liberius dixi, non ad contumeliam luam, sed ad defensionem mcarn. Prsssumi enim de gravitale et prudentia tua, quia potes considerare quantam mihi necessitalem respondendi imposueris, Aug., Episl. ccxxxviii, ad Pascent. Éd. citée, t. ii, p. 755-797.

Divisé en 27 alinéas, le mandement commençait par un portrait de Rousseau, « préconisant l’influence de l'Évangile don, il détruisait les dogmes ». Puis il accusait Y Emile de « s’emparer des premiers moments de l’homme, afin d'établir l’empire de l’irréligion », § 2, avec un plan d'éducation « qui est loin de s’accorder avec le christianisme » et de plus « n’est même pas propre à former des citoyens ni des hommes ». § 3. Il reporte trop tard la formation morale et religieuse, § 5, 6, 7, 8, 9, 10, et nie le péché originel, qui seul explique l’homme. § 3. Il ne montre pas dans la religion chrétienne « celle eu le meilleur usage de la raison doit conduire ». § 4. Il ne juge pas la croyance en Dieu de nécessité de moyen. § 11 ; et, tout en affirmant « le monde gouverné par une volonté puissante et sage », il professe « le scepticisme par rapport à la création et à l’unité de Dieu ». § 13. Surtout il dit la révélation indigne de Dieu et de l’homme faite de contradictions, sans preuves, puisque les miracles ne sont connus que par des témoignages humains et que l’on prouve la doctrine par le miracle et le miracle par la doctrine. § 16. En conséquence, après avoir rendu « à la sainteté de ['Évangile, …a la vie et à la mort de Jésus… un témoignage sans égal », il conclut au doute. § 17. L’auteur, résume l’archevêque, semble s’en tenir à la religion naturelle et même accepter l’athéisme, étant donnée sa théorie » qu’en matière de religion la bonne foi suffit ». § 18. Mais n’est il pas, lui, de mauvaise foi quand il oppose les dogmes « aux vérités éternelles », § 19 et 20, et ne reconnaît à l’autorité de l'Église d’autres preuve que l’affirmation de l'Église elle-même. § 21. Et parce que « l’esprit d’irréligion n’est qu’un esprit d’indépendance et de révolte », Rousseau ne respecte pas plus que l’autorité de Dieu. « celle des rois qui sont les images de Dieu et celle des magistrats qui sont les images des rois ». D’après Y Emile, I. Y, /oc. cit., p. 707 sq., § 22. « À ces causes, disait l’archevêque, … nous condamnons ledit livre comme contenant une doctrine abominable, propre à renverser la loi naturelle et a détruire les fondements de la religion chrétienne, établissant des maximes contraires à la loi morale évangélique, tendant à troubler la paix des États et a révolter les sujets contre leurs souverains. » § 27.

Rousseau réfute une à une les critiques de l’arche vêque, puis il vient aux griefs le visant personnellement. Beaumont l’accuse d’irréligion. Injustice. Il est protestant « comme ses pères ». « Comme eux, dit-il, je prends l'Écriture et la raison pour les uniques règles de ma croyance. Et il m’est doux de participer au culte public. » hoc. cit., p. 773-774. Il n’est ni un athée, ni un hypocrite. P. 774. Toutes les religions quelque peu dominantes ont provoqué. l’intolérance et le fanatisme. P. 772-780. Il voudrait donc voir les hommes accepter d’un commun accord les principes de la religion naturelle, juger bonnes toutes les religions où se trouvent ces principes essentiels et qui sont « prescrites par les lois », le souverain ayant le droit de régler « le culte » de son État, puisque c’est là une affaire de police et tolérer toutes les religions de cette sorte. P. 771-786. Pour croire à une doctrine révélée ne faut-il pas être certain qu’elle l’est ? Mais cela, c’est impossible, le miracle, fait divin, n'étant attesté que par des témoignages humains. S’il rend hommage à l'Évangile et à Jésus-Christ, c’est, non sur des témoignages humains, mais sur l’impression qu’ils lui donnent du divin ; seulement L'Évangile « répugne parfois à la raison ». Il se comprend donc que la Profession de foi soit divisée comme elle l’est, établissant longuement contre le matérialisme moderne les dogmes de la religion naturelle, puis exposant les difficultés que soulève toute révélation, en mettant cependant le christianisme au-dessus de toutes les religions révélées. Quant au catholicisme, dit-il à l’archevêque, vous demandez « quels y sont les dogmes qui combattent les vérités éternelles ». Mais la transsubstantiation n’est-elle pas de ceux-là? P. 789794. « Si donc il existait en Europe un seul gouvernement éclairé, il eût rendu des honneurs publics à l’auteur d’Emile. » P. 794.

Aux côtés ou à la suite de Beaumont, l’abbé André, un oratorien publie une Réfutation du nouvel ouvrage de J.-J. Rousseau, intitulé Emile, anonyme, Paris, 1762, in-8o ; (dom Deforis), Ladiviniléde la religion chrétienne vengée des sophismes de J.-J. Rousseau, Paris, 1763, in-8o et Préservatif pour les fidèles contre les sophismes et les impiétés des incrédules, suivi d’une Réponse à la lettre de J.-J. Rousseau à M. de Reaumonl, Paris, 1764, in-12, tous deux anonymes ; l’abbé Yvon, Lettre à M. Rousseau pour servir de réponse à une lettre contre le mandement de Mgr l’archevêque de Paris, Amsterdam, 1763, in-8o. En 1765, Fumel, évêque de Lodève, publie une Lettre pastorale sur les sources de l’incrédulité du siècle, Paris, in-12, où il est question de Y Emile.

Des calvinistes de Genève ou de Suisse viennent aussi des réfutations de Y Emile. Paraissent dès 1762 : F. -A. Comparet. Lettre à M. J.-J. Rousseau, citoyen ite Genève, Genève, in-8o ; le pasteur Bitaubé, Examen de lu confession de foi du vicaire savoyard soutenue dans Emile, Berlin, in-12 ; le pasteur Verncs, un ami de Jean-Jacques, I^ellres sur le christianisme de J.-J. Rousseau, Berlin, in-12. Plusieurs de ses partisans font, il est vrai, au Petit conseil « des représentations » pour que soit soumis à la sanction du Conseil général, assemblée de tous les bourgeois et citoyens, l’arrêt qui condamne Rousseau. Mais le Petit conseil refuse obstinément et le procureur Tronchin public ses Lettres écrites de la campagne, où il justifie les mesures prises. Rousseau, dès le début du conflit avec Genève, a adopté une attitude intransigeante. Le 18 juin 1762, son admirateur, le pasteur genevois Moultou, désireux d’adoucir les choses, lui a demandé de lui écrire une lettre, « où vous montreriez, lui disait-il, que vous recevez les dogmes essentiels et qu’en rejetant ceux de l'Église romaine et ceux qu’une ancienne théologie a ajoutes a l'Évangile, vous tenez à toul le reste », Correspondance, t. vii, n. 1420, p. 311314. Il a refusé. Le 12 mai 1 763. il abdiquera « par bon11'

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neur et raison…, à perpétuité, son droit de bourgeoisie dans la ville et république de Genève ». Cf. ibid., t. ix, n. 1807, p. 284, le texte complet de son abdication. Aux lettres de la campagne, il va répondre par neuf Lettres écrites de la montagne, Amsterdam, 17C4, in-12, rédigées dans le plus grand secret et où il renonce à la qualité de calviniste orthodoxe, retrouvée dix ans plus tôt.

Deux parties. Les cinq Lettres de la première examinent cette question : La profession de foi fournissait-elle au magistrat civil une raison de condamner son auteur ? Dans une religion, « en dehors de la forme du culte qui n’est qu’un cérémonial », il y a les dogmes et la morale. Des dogmes « purement spéculatifs », le magistrat n’a pas à connaître : il n’est pas juge du vrai et du faux. De ceux « qui servent de base à la morale « , il doit s’hiquiéter par le fait même. Or, que dit la Profession de foi ? Elle proclame la religion « nécessaire au peuple ». Ce qu’elle attaque, « c’est le fanatisme aveugle ». — Mais c’est par là « que l’on mène les peuples ». — Oui, à leur perte, en fournissant « aux tyrans leur arme la plus terrible ». — Soit. Vous avez eu cependant l’intention de nuire à la religion. - — Supposons la Profession de foi adoptée. « Nos prosélytes auront deux règles de foi : la raison et l'Évangile, la seconde… d’autant plus immuable qu’elle se fondera sur la raison et non sur certains faits lesquels mettent la religion sous l’autorité des hommes. » Ne se disputant pas sur l'Évangile, ils le pratiqueront. Et si « les chrétiens disputeurs » insistent : « Mais enfin que dites-vous de Jésus-Christ ? « Admettez-vous l'Évangile en entier ? » ils répondront : t Prenant pour règle de nos jugements notre raison et non pas notre volonté, nous reconnaissons l’autorité de Jésus-Christ. » À quel titre ? Notre raison ne nous le dit pas. Dans l'Évangile, « des choses passent notre raison, la choquent ; nous ne les rejetons pas ; nous nous contentons de faire ce qui est dans l'Évangile ». Cela suffit. Nous n’avons pas « la superstition du livre… Aimons le Christ, pratiquons les vertus qu’il prescrit et ne nous combattons pas pour des question., de dogme… Maîtres du pays, nos prosélytes établiraient une formee ! e culte aussi simple que lems croyances » et leur religion, dégagée des discussions dogmatiques et des rites, fondée sur la raison, tendent uniquement au bien social. Tous seraient tenus à la pratiquer. Intolérance ? Non. Toutes les religions auront le droit de vivre qui posséderont l’essentiel et ne feront qu’y ajouter des dogmes spéculatifs. Pratiquement chacun fera bien de garder la religion de son pays. Loc. cit., t. iii, p. 5-13.

On l’accuse d’avoir dit l'Évangile » absurde et pernicieux à la société », au chapitre de la religion civile dans le Contrat social. En réalité, il a proclamé « l'Évangile sublime… et le plus fort lien de la société ». Mais, si « le christianisme rend les hommes justes, modérés, amis de la paix », faire de lui une religion nationale, c’est aller contre son principe de religion universelle, contre « l’esprit de Jésus-Christ dont le royaume n’est pas de ce monde », contre « les saintes maximes de la société », puisque l’on introduit ainsi « dans la machine du gouvernement des ressorts étrangers » et l’on rompt l’unité du corps moral ; contre la force de « l'établissement social… qui suppose les passions et les préoccupations humpines », condamnées par lechristianisme./èi’rf., p. 14-16. D’autre part, il a dit que les religions nationales « utiles à l'État » sont nuisibles à l’humanité parce que, « fondées sur l’erreur et le mensonge, elles trompent l ?s hommes… et noient le vrai culte dans un vain cérémonial ». Cf. Contrat social, t. IV, c. viii, p. 324. Il a conclu qu’un sage législateur ou bien établira « une religion purement civile » avec « les seuh dogmes utiles à la société »,

ou bien adoptera le christianisme, non pas « le dogmatique », mais selon « son véritable esprit », c’est-àdire, comme loi morale et sans en faire « une partie de la constitution ». P. 15. « Loin donc de taxer le pur Évangile — le mot était de Tronchin — d'être pernicieux à la société, je le trouve, conclut Rousseau, trop sociable… tendant à former des hommes plutôt que des citoyens. « Ainsi les membres du Petit conseil ne m’ont pas jugé selon la raison ; m’ont-ils jugé selon les lois ? C’est l’objet de la Lettre II.

Les Lettres de la campagne l’accusent d’avoir écrit contre la religion de l'État. Or « qu’est-ce que la religion de l'État ? C’est, dit-on, la sainte réformation. Mais qu’est-ce à Genève aujourd’hui que la sainte réformation évangélique ? » D’après les réformateurs, deux choses la constituent : la Bible est la règle de la croyance et chacun interprète la Bible pour soi… Les points sur lesquels les croyants ne s’entendront pas, seront considérés comme non essentiels. Pourvu donc qu’on respecte la Bible et qu’on s’accorde sur les « points capitaux » — historiquement les points controversés avec l'Église romaine -*— « on vit dans la réformation évangélique ». L'Église de Genève n’a donc pas le droit « d’avoir aucune profession de foi ». Au reste, habile serait qui la connaîtrait : « un philosophe les voit ariens, sociniens : il le dit ; …il expose leur intérêt temporel. Aussitôt alarmés », ils veulent se justifier et « le tout aboutit à un amphigouri, auquel il est aussi impossible de rien comprendre qu’aux deux plaidoyers de Rabelais ». P. 17-20. Je n’ai donc attaqué la religion de Genève, conclut Rousseau, ni indirectement, puisque, loin de soutenir « les dogmes distinctifs du catholicisme », je les ai combattus, ni directement, « puisque je n’ai cessé d’insister sur l’autorité de la raison en matière de foi, sur la libre interprétation des Écritures, sur la tolérance évangélique, sur l’obéissance aux lois en matière de culte ». J’ai même « fait louer ces dogmes par un prêtre catholique, lequel conseille à un jeune protestant passé au catholicisme ele retourner à la religion de ses pères ». P. 20-22.

Mais la Profession de foi expose des objections, des doutes : c’est le libre examen. Ces doutes portent sur les points fonelamentaux. Lisez les professions de foi de Julie, du vicaire, le chapitre de la religion civile, la Lettre à M. de Beaumonl, vous y verrez mes dogmes fondamentaux. Quels sont les vôtres ? — Mais vous niez le miracle. — Le miracle est-il une preuve essentielle de la religion ? Les réformateurs n’ont-ils pas établi sans miracles la réformation ? P. 22-25.

La Lettre III est consacrée au miracle. Il y a, dit Rousseau, trois preuves d’une révélation divine : 1. i La suprême sagesse et la suprême bonté de la doctrine », preuve infaillible mais faite pour les cultivés ; 2. les vertus des prophètes de cette doctrine, preuve sans certitude absolue, faite pour les âmes droites ; 3. les miracles cjui persuadent le peuple. P. 27.

On dit, écrit Rousseau que je ne suis pas chrétien parce que je ne crois pas au miracle. D’abord on peut être chrétien sans cela. Jésus-Christ a fait des miracles par bonté et non pour créer la foi en lui. Puis les miracles obscurcissent les choses. Si Dieu, incontestablement, peut le miracle « la sagesse et la majesté divines » répugnent à ce qu’il le veuille. P. 29-30. C’est l’ordre inaltérable de la nature qui montre le mieux l'Être suprême. < S’il arrivait trop d’except ions, je ne saurais plus qu’en penser, ajoute Rousseau, et… je crois trop à Dieu pour croire à tant ele miracles si peu dignes de lui ». P. 36. En tous cas, impossible de constater le miracle. Comment le distinguer 1. des phénomènes extraordinaires mais naturels, puisqu’on ne connaît pas toutes les lois de la nature, que chaque jour les progrès de la science font reculer le merveilleux et que l’imagination du thaumaturge ou des 1 I ! »

H U SS E À l'. I > I'. H N I È H E S A N N É E S

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témoins crée facilement le surnaturel, p. 30-32? 2. des prestiges ? Il y a la doctrine. Donc nous sommes au rouet. P. 33, 34. — Mais » l'Écriture cite des faits miraculeux ». — C’est vrai « parce qu’ils sont dans l'Écriture, je ne les rejette point ; je ne les accepte pas non plus, parce que ma raison s’y oppose. Ce qu’on doit croire inspire est tout ce qui tient à nos devoirs. » P. 36.

On l’accuse aussi de rejeter la prière ; mais il ne rejette que la prière « mercenaire et intéressée », Dieu « …père sachant mieux que nous ce qui nous convient » ; et encore de trouver la morale chrétienne impraticable parce qu’elle outre nos devoirs. Il s’agit de la morale de la théologie et non de l'Évangile. P. 37-38.

Dans les Lettres IV et V, Rousseau discute la procédure suivie contre lui. « Il n’a pas violé son serment de bourgeois. Il a insisté au contraire sur l’obéissance aux lois, même en matière de religion ». P. 40. Au reste. s’il a écrit la Profession de foi c'était pour la paix de l’Europe et d’abord de Genève. A Genève, après l’article de d’Alemberl, le crédit des pasteurs était ébranlé. Il a voulu montrer que « ce qu’ils négligeaient n'était ni certain ni utile » et qu’ils pouvaient servir « d’exemples aux autres théologiens ». En Europe, la philosophie a décrié les croyances. Il a voulu montrer qu’en écoutant la raison « au fond tous étaient d’accord ; que partout on pouvait servir Dieu, aimer son prochain, obéir aux lois », ce qui est l’essence de toute bonne religion. C'était la paix entre « la liberté philosophique et la piété religieuse ».

La sixième et dernière lettre de la première partie discute cette question : S’il est vrai que l’auteur attaque les gouvernements. Or, dit Rousseau, dans le Contrat social ici visé, j’ai pris pour modèle des institutions politiques la constitution de Genève ! Comment expliquer que le Contrat social n’ail été brûlé et trouvé destructif de tous les gouvernements qu'à Genève ? P. 65-66.

Dans la seconde partie, il étudiait « l'état présent du gouvernement de Genève », lettre VII, et les empiétements du Petit conseil, lettre VIII ; puis il appelait à agir ses concitoyens, lettre IX.

Ce livre ne lit qu’irriter ses ennemis. A Genève, le pasteur Claparède publiera des Considérations sur les miracles de l'Évangile, pour servir de réponse aux difficultés de M. J.-J. Rousseau dans sa troisième lettre e’crile de la montagne, 1765, in-8°, et Jacob Vernes un Examen de ce qui concerne le christianisme, la réformalion évangélique et les ministres de Genève dans les deux premières lettres écrites de la montagne, 1765, in-8°. La vénérable classe des pasteurs de Neuchâlel ne demeura pas en reste. Dès septembre 1762, elle avait demandé l’interdiction de Y Emile. En mars 1765, elle chargea Montmollin de demander au coupable, sous peine d’excommunication, une quasirétractation. Il refuse. Le 29, il est cité devant le consistoire de Môtiers. Il récuse cette autorité. « Chrétien réformé, il ne doit qu'à Dieu compte de sa foi. » Le consistoire divisé ne prend aucune décision. Cf. Correspondance, t. xiii, n. 2501, du 9 mars, à M. Meuzon, conseiller du roi ; n. 2545, du 30 mars, à Mme de Verdelin. Soutenu par le Conseil d'État, qui le déclare exempt de la juridiction du consistoire, ibid., n. 2567, n. 2634, il décide de quitter Môtiers, mais à son heure. Ibid., n. 2559. Mais Montmollin le dénonce dans ses catéchismes, dans ses sermons : Rousseau est l’Antéchrist. Des polémiques s'élèvent. Cf. Recueil des pièces relatives èi la persécution suscité' à Mé)tiers-Travcrs contre M. J.-J, Rousseau, 1765. in 8°. l’ois s’est répandue à Môtiers une brochure de 8 » ages, parue a Genève, au déhui de l’année, intitulée, Sentiment des citoyens. Après d’autres méfaits, dit ce pamphlet, i il (Rousseau) outrage avec fureur

la religion chrétienne, la réforme qu’il professe, tous les amis du saint Évangile, tous les corps de l'État ». Noir le texte de cette brochure et la réfutation qu’en a faite Rousseau, dans Correspondance, t.xii, append. i, p. 366 sq. Rousseau l’attribua à Vernes, ibid., n. 2559, qui s’en défendit. Ibid., n. 2621. En réalité, la brochure était de Voltaire. Sur les rapports de Voltaire et de Rousseau, voir plus loin l’art. Voltaire et P. Chaponnière, Voltaire chez les calvinistes, Paris, 1936, in-16. Plusieurs fois attaqué dans sa maison, à la suite de cette campagne, surtout dans la nuit du 6 au 7 septembre, Rousseau fuyait dès le matin du 7. Cf. Corr., t. xiv, p. 263 sq., append., en particulier iv, Déclaration du châtelain de Môtiers (Martinet) sur les faits relatifs à M. J.-J. Rousseau, p. 365-366 ; et Recueil de pièces relatives ù la persécution suscitée à MôtiersTravers contre M. J.-J. Rousseau, 1765, in-8°.

3° Dernières années et mort (1765-1778). — Chassé par Renie de l'île Saint-Pierre, au milieu du lac de Bienne, où il s’est d’abord réfugié, Rousseau échoue à Strasbourg. « Là, hors d'état de soutenir la route de Berlin », Correspondance, t. xix, n. 2860, il accepte l’hospitalité que lui offre en Angleterre, Hume, un ami des philosophes, mais qui a pitié de lui. Cf. ibid., n. 2801. Il demeurera en Angleterre du 3 janvier 1766 au 1 er mai 1767 ; à cette date il s’enfuira, persuadé qu’il est une victime de Hume. Il a appris qu’une prétendue lettre du roi de Prusse court sur lui à Paris et même en Angleterre. Elle le traite en détraqué. : « Venez chez moi, faisait-on dire à Frédéric II, et montrez que vous pouvez avoir le sens commun. S’il vous faut de vrais malheurs, cessez de vous torturer l’esprit, je puis vous en procurer. » Ibid., t. xv, p. 367. Rousseau, qui a d’abord attribué ce pamphlet à d’Alembert, apprend qu’il est de Walpole et que Hume y a collaboré : dès lors, il soupçonne celui-ci de complicité dans tous les maux réels ou imaginaires dont il souffre. Cf. ibid., n. 2987, lettre du 7 avril 1766 à milord Strallord. Et il remplit de ses plaintes l’Angleterre et la France. Cf. ibid., t. xvi, p. 5, lettre de Hume à la comtesse de Boufflers, 12 avril 1766. Hume croit devoir se justifier devant l’opinion par un Exposé succinct de la contestation survenue entre M. Hume et M. Rousseau avec les preuves, traduit de l’anglais par M. Suard, Londres, 1766, in-12. À quoi répond immédiatement une Justification de J.-J. Rousseau dans la contestation qui lui est survenue avec M. Hume, Londres, 1766, in-12. Cf. L. Lévy-Bruhl, La querelle de Hume et de Rousseau, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 417-428 ; A. Schinz, La querelle Rousseau-II urne, dans Annales de la société J.-J. Rousseau, 1926, p. 1.

Rousseau dès lors erre en France. A Rourgoin, en juin 1768, « en présence de Dieu, de la nature et des deux citoyens vertueux », de Rosières et Champagneux, il épouse Thérèse. Cf. Lettres de celle-ci au marquis de Girardin, 17 janvier 1785, Correspondance, t. xv, append., iii, p. 353. lui 1770, avec l’assentiment de Choiseul, il revient à Paris, où il termine les Confessions, 1772 ; compose les Considérations sur le gouvernement de la Pologne, 1775. publiées seulement en 1782, in-18, Londres (Paris), les Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques, 1775 ; enfin les Rêveries d’un promeneur solitaire, ajoutées aux Confessions, les deux. 4 vol. in-12, Genève, 1782. Cf. L.-A. Foster, Le dernier séjour de J.-J. Ilousseau à Paris, (1770-1778), in-8°, Paris, 1021. Mais, las de Paris, malade, abrité par le marquis de Girardin, il vit à Ermenonville, du 20 mai I77M à sa mort, le 2 juillet suivant. Des bruits de suicide coururent, dont Corancez se ld l'écho dans le Journal de Paris, mais ils demeurèrent invérifiables. Cf. Correspondance, t. xx, p. 365. Appendice xiv : u citoyen Corancezau Journal

de Paris et J. Lemaître, J.-J. Rousseau, 1907, in-12, p. 328.

Est-il mort fou, comme se le demande le même Corancez au Journal de Paris, ou simplement maniaque de la persécution ? Un correspondant de Corancez rappelait à son propos ce mot de Locke : « Un homme de très bon sens en toutes choses peut être aussi fou sur un certain article qu’aucun de ceux qu’on enferme aux Petites-Maisons. » Correspondance, t. ix, Appendice xiv, p. 366. Incontestablement, il eut le jugement troublé par la manie de la persécution. Mais, dit Lemaître, en tout, ce fut « le même triomphe exorbitant de la sensibilité et de l’imagination sur la raison. Il était donc dément… comme le seraient beaucoup d’hommes à nos yeux, si nous les connaissions, s’ils écrivaient des livres et si, parmi leur déraison, ils avaient quelque génie. » Loc. cil., p. 332. Cf. C.-A. Fusil, Rousseau juge de Jean-Jacques, Paris, 1923, in-12, qui soutient que Rousseau, « toujours lucide et conscient », joua la comédie de l’orgueil et la comédie du cœur ; L. Proal, La psychologie de J.-J. Rousseau. Paris, 1923, in-8o : Ch. Bougeault, Élude sur l'état mental de Rousseau et sa mort à Ermenonville, Paris, 1883, in-18 ; P.-J. Mœbius, Rousseau’s Krankheitsgcchichle, Leipzig, 1889, in-8o ; Dr Châtelain, La folie de J.-J. Rousseau, Ncuchàtcl. 1900, in-12 ; Sérieux et Capgras, Les folies raisonnantes, Paris, 190 !). in-8o ; V. Demole, Analyse psychiatrique des Confessions, dans Archives suisses de neurologie ci de psychiatrie, n. 2, t. ii, 1918 ; Rôle du tempérament et des idées délirantes de Rousseau dans la genèse de ses principales théories, dans Annales médico-psychologiques, janvier 1922.

IL Les idées philosophico-religieuses de Rousseau. — Il n’y a pas à rechercher ici les sources de la pensée religieuse de Rousseau. Cf. sur ce point P. -M. Masson : édition critique de la Profession de foi et l’ouvrage intitulé La religion de J.-J. Rousseau.

Rousseau avait cette devise : Vilam impendere vero, mais, entre la vérité et lui, son individualisme extrême, son orgueil plébéien, une imagination et une sensibilité exaltées élevaient de sérieux obstacles. Cf. Proal, op. cit.

Peut-on ramener son œuvre à l’unité? G. Lanson, s’appuyant sur un passage des Dialogues, la rattache toute au fameux paradoxe : « L’homme naît bon ; c’est la société qui le déprave. » Histoire de la littérature française, Ve partie, t. IV, c. v, § 2 et L’unité de la pensée de J.-J. Rousseau, dans les Annales de J.-J. Rousseau, 1912, p. 1. Boutroux, Remarques sur la philosophie de Rousseau, dans Revue de métaphysique el de morale, 1912, p. 267-269, fait de même : Rousseau, après la critique de l’institution sociale existante, donne le plan d’un homme, d’une famille, d’une société conformes à la saine nature. Lemaître, loc. cit., p. 385-388, invoquant les contradictions de l'œuvre de Rousseau, l’antagonisme de ses actes et ses écrits, « sans compter les désaveux formels que sa correspondance inflige à tous ses ouvrages » n’y voit que l’unité « d’un individualisme outré avec, çà et là, quelque vestige de traditionalisme par la vertu du sentiment religieux ».

1° Anti-intelleclualisme de Rousseau. Utilitarisme cl instinct moral. — On ne saurait « être sceptique par système et de bonne foi. Le doute sur les choses qu’il nous importe de connaître est un état trop violent pour notre esprit ». Profession de foi, p. 26 et 27 et n. 1, 2. Pour avoir les certitudes nécessaires il ne faut s’adresser ni à l'Église qui avance des choses absurdes et qui dénie au croyant le droit de choisir, ibid., p. 27 et n. 2, 3, 4, 5, ni aux philosophes. Et Rousseau fait, d’après Pascal, la critique du dogmatisme philosophique et des théories métaphysiques. Ibid.,

p. 27-30 et n. Incapables d’embrasser dans leur savoir « cette machine immense », ils n’en édifient pas moins des systèmes par où ils prétendent expliquer toutes choses. Mais ces fruits de leur imagination se contredisent : « Insuffisance de l’esprit humain et orgueil ». Les philosophes ne peuvent conduire qu’au doute. Ibid., p. 28, 29, 30. Les vérités nécessaires ne sauraient dépendre du savoir. Cf. les Discours.. Vous êtes embarqué », avait dit Pascal, fr. 233, et il avait abouti au pari. La vie commande, dit Rousseau et il aboutit à ces deux conclusions : 1. Bornons nos recherches « aux seules connaissances utiles », c’est-àdire, où la pensée peut trouver des directions pour la conduite et « qui sont nécessaires au repos, à l’espoir et à la consolation de la vie ». Ibid., p. 31 et n. 1. Et laissons les autres dans le doute. Donc indifférence aux questions métaphysiques.

2. Renonçant à l'évidence cartésienne, abstraite et universelle, établie sur la démonstration, mais n'échappant pas à l’objection, prenons pour guide « la lumière intérieure », individuelle. Est-ce la raison raisonnante ? Ce passage de la Nouvelle Hélolse, part. VI, lettre vii, p. 347, le ferait croire : « L'Être suprême nous a donné la raison pour connaître le bien, la conscience pour l’aimer, la volonté pour le choisir. » lui réalité, c’est elle, mais avec Imites les puissances spontanées de l'âme ; c’est le cœur, combinaison d’instinct et d’intelligence, d’instruction et de raison ; c’est l'âme tout entière, à laquelle on peut se lier, puisqu’elle agit à la manière d’un « instinct moral ». Rêveries, 3e promenade, t. i, p. 413. Prononçant sur les questions pratiques, elle devient la conscience, « instinct divin, auguste et céleste voix, guide assuré, …juge infaillible du bien et du mal ». Profession, p. 111. À l'évidence rationnelle, universelle, savante, se substitue ainsi l’assentiment intérieur spontané et individuel. Si un conflit s'élève entre les doutes de la raison et [es affirmations de la conscience, la volonté intervient en faveur de la conscience. « Rousseau apparaît donc comme un des initiateurs des théories sentimentales cl volontaristes de la croyance et comme tout près de la manière de philosopher de nos modernes pragmatistes. » A. Parodi, Les idées religieuses de Rousseau, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 305. Pratiquement cependant, surtout dans les questions religieuses, Rousseau, tout comme un philosophe, manifestera un rationalisme intransigeant.

2° L’origine et l’ordre des choses : Dieu ; agnosticisme et optimisme. — Dieu existe, quoi qu’en pensent les Diderot, les d’Holbach et les Fréret. J’en ai l’invincible sentiment, d’abord par le mouvement où je vois la matière : « Mon esprit refuse tout acquiescement à l’idée de la matière non organisée se mouvant d’ellemême » (Profession, p. 45) et par l’ordre et l’harmonie où je vois l’univers et chaque être. Ibid., p. 54-58. Nieuventit a écrit ce livre : L’existence de Dieu démontrée par les merveilles de la nature, Amsterdam, 1727, in-4o. C’est une maladresse : il ne pouvait tout dire et, « à entrer dans les détails, la plus grande merveille échappe, qui est l’harmonie et l’accord du tout ». Ibid., p. 59. Mais Dieu est demandé aussi par les exigences de la conscience morale. C’est un autre aspect de l’ordre du monde. Sans un Dieu, témoin et juge de nos actes, la vertu devient inintelligible et absurde. Sois juste et lu seras heureux, répète ma conscience. Si Dieu n’est pas, cette voix de la nature me trompe. Ibid., p. 115 sq.

Mais ce Dieu quel est-il ? « L’enfant, l’homme primitif et aujourd’hui encore l’homme sans culture ne sont pas capables de s'élever à l’idée de Dieu. » Lettre à Beaumont, loc. cit., p. 758-760. El pour l’homme cultivé? Dieu est « l'Être qui veut et qui peut, …actif par lui-même… Je joins au nom de Dieu les idées

d’intelligence, de puissance, de volonté que j’ai rassemblées et relie de bonté qui en est une suite nécessaire ». Profession, p. (12..Mais je ne puis rien savoir au-di là. « S’il a crée, je n’en sais rien. L’idée de création… passe ma portée. Il est éternel, sans doute, niais mon esprit ne peut embrasser l’idée d'éternité. …Il est intelligent, mais comment ? » Ibid., p. 94-95. Dieu est i l'être incompréhensible ». Troisième lettre ù M. de Malesherbes, dans Correspondance, t. x, p. 306.

Sûr de Dieu, de sa justice et de sa bonté, donc de l’ordre moral, l’homme ne peut rendre la Providence responsable du mal. « Le mal moral est incontestablement notre ouvrage ; le mal physique ne serait rien sans nos vices qui nous l’ont rendu sensible. » Et c’est encore parce que l’homme a faussé sa nature que le mal est entré dans le monde. « C’est l’abus de nos facultés qui nous rend malheureux… Otez nos funestes progrès, nos erreurs et nos vices, ôtez l’ouvrage de l’homme et tout est bien ». Profession, p. 79 et 81. Cf. Lcllrc à Voltaire du 18 août 1 75(1 ou Lettre sur la Providence. Voir col. 106.

3° L’homme : « L’homme naît bon ; c’est la société gui le déprave. » — Dans la nature ou l’ordre providentiel (les choses, l’homme, seul capable de penser, de juger, surtout de se déterminer librement, occupe incontestablement le premier rang. Que peuvent les objections d’IIclvétius, de Diderot contre ce fait : J’ai le sens intime de ma liberté. Profession, p. 67-74. Ma liberté explique aussi le mal. Voir plus haut. Il y a donc en l’homme un principe immatériel, l'âme. Est-elle immortelle ? Pourquoi non ? « Si elle est immatérielle, elle peut survivre au corps. » Si elle l’est, « la providence est justifiée », ibid., p. 84 et mon sentiment intérieur de justice satisfait. L’est-elle par nature ? Je ne sais ; « mon entendement ne conçoit rien sans bornes. » P. 86. Et qu’importe ? Les bons seront récompenses et les méchants punis, mais comment ? Chose certaine : nous restons nous-mêmes et le souvenir de ce que nous avons fait, alors que « la beauté de l’ordre frappera toutes les puissances de notre âme », et que « la voix de la conscience reprendra sa force…, fera la félicité des bons et le tourment des méchants. La volupté pure qui naît du contentement de soi-même et le regret amer de s'être avili, distingueront par des sentiments inépuisables le sort que chacun se sera préparé. » P. 88. Ainsi le veulent la bonté de Dieu et les lois de l’ordre plus encore que le mérite de l’homme. P. 89. Y aura-t-il après la vie « d’autres sources de bonheur et de peines » ? Je ne sais. P. 88. Le malheur des méchants sera-t-il éternel ? Je ne sais, mais « qu’est-il besoin d’aller chercher l’enfer dans l’autre vie ? Il est dès celle-ci dans le cœur des méchants. » P. 90.

Comment l’homme est-il apparu sur la terre ? Rousseau ne s’en inquiète pas. De l'élévation de l’homme à l'état surnaturel, du péché originel et de ses conséquences, il est encore moins question. Rousseau distingue cependant, tout comme la révélation, trois phases dans la vie de l’humanité. L. Routroux, Remarqu.es sur la philosophie de Rousseau dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 265-274.

1. Une phase privilégiée, où l’homme est bon et heureux, parce qu'à l'état de pure nature. Il est bon alors, non au sens chrétien, ni en ce sens qu’il eût obéi volontairement à la loi morale, mais en ce sens que. obéissant uniquement à ses instincts et d’abord à l’instinct de conservation, sans lien social, sans obligation à l'égard de qui que ce soil, avec des besoins t res courts, sans vie intellectuelle, i ! ne nuit à personne. En ce sens plus élevé aussi que ses Instincts naturels l’ordonnant à son bien propre, ils l'établissent dans l’ordre universel. Il est heureux en ce sens que ses

désirs et ses besoins sont satisfaits. C’est la phase de l’instinct plus que de l’intelligence, de l’individualité, de l'égalité et de l'état providentiel de l’homme.

2. La chute ou le péché. Par une loi de son développement et devant certaines difficultés, l’homme fit appel à ces deux moyens qui multipliaient sa force : l’intelligence qu’il tenait de la nature et l’association qui ne répugnait pas à un sentiment à lui naturel de sympathie. Rien de mal jusqu’ici. Mais, capable d’erreur et d’excès, parce que libre, l’homme ne sut pas maintenir l’intelligence et l’association dans le sens et les limites que voulait la bonne nature. L’intelligence se subordonna le sentiment auquel la nature a réservé le primat de l'âme ; et alors se formèrent « sans préoccupation des fi îs de l’individu, c’est-à-dire des fins naturelles de l’homme, et au mépris de l'égalité naturelle de tous, les groupes appelés sociétés et dans ces sociétés se développèrent, sous le nom de lettres et d’arts, des créai ions où l’esprit dominait le cœur et qui, par suite, n'étaient elles-mêmes que des instruments de corruption ». Routroux, loc. cit., p. 266-267. C’est vraiment un état de péché, d’inégalité, d’esclavage, de chute.

3. Le relèvement. L’homme est-il condamné à vivre toujours hors de sa nature ? Non. Peut-il donc revenir en arrière ? Ce serait impossible et funeste : si l’homme en passant de l'état individuel à l'état social a perdu certains avantages, il en a gagné d’autres et considérables. Cf. col. 104. Et les abus eux-mêmes — on l’a vu par Julie — peuvent être des instruments de régénération. Il s’agit de concilier avec les avanuiges de l'état de nature ceux de l'état social, dans l’individu, dans la famille et dans la société. Et c’est à cette tâche que Rousseau a prétendu s’appliquer. Sur ces points, voir en particulier les deux Discours et le Contrat social ; cf. A. Schinz, La théorie de la bonté naturelle de l’homme chez Rousseau, 2 in-4°, Paris, 1913-1914.

4° L’homme et Dieu, ou la religion. — On trouvera surtout ces idées dans : Lettre à d’Alemberl (début), t. iii, p. 115-118 ; la Nouvelle Hélolse, principalement la profession de foi de Julie mourante, part. VI, lettre xi, t. ii, p. 362 sq., et aussi, lettre viii, p. 353356 ; la Profession de foi du vicaire savoyard ; le Contrat social, t. IV, c. vin ; Lettre à M. de Beaumont et Lettres écrites de la montagne.

1. Nécessité individuelle et sociale de la religion. — Depuis Ravie, qui a posé en principe que la morale est indépendante de toute croyance religieuse et de toute spéculation métaphysique, les philosophes soutiennent que l’on peut être honnête homme sans religion et qu’une société d’athées pourrait constituer une véritable société. Et cela pour trois raisons : « Jamais la vérité ne peut rendre malheureux », d’Holbach, Système, de la nature, 2 vol. in-8o, t. ii, Londres, 1770, p. 201. Il y a des athées honnêtes gens et combien de crimes ont été commis au nom de la religion. Enfin « la religion n’a été inventée que pour éviter aux souverains le soin d'être justes ». Helvétius, De l’esprit, Paris, 1758, in-4o, p. 24. Cf. P. -M. Masson, Rousseau contre Helvétius, dans Revue d’histoire littéraire, t. XVIII, p. 103-124. Contre eux, Rousseau soutient que « l’oubli de toute religion conduit à l’oubli des devoirs de l’homme » et il parle avec mépris de « la morale d’un athée ». Profession de foi, p. 7. D’autre part < jamais Etal ne fut fondé que la religion ne lui servit de base », Contrat social, p. 322, et le souverain a le droit et presque le devoir d’imposer à ses sujets tels dogmes « comme sentiments de sociabilité » et de ne pas tolérer les alliées. Ibid., p. 330. Mais quelle religion ? Certainement pas une religion révélée.

2. Critique des religions révélées.

a) Critique de la révélation en général. - Qu’elle soit possible méWiphy

siquement, Rousseau ne se le demande pas. Il ne se. place que sur le terrain moral. Or ici, une révélation parait en contradiction avec l’ordre providentiel dont la Nature est l’expression. Seules peuvent donc être révélées, parce qu’alors plus accessibles au grand nombre, les vérités dont « la lumière intérieure » peut rendre certain. Pourquoi Dieu voudrait-il que je le serve « autrement que selon les lumières qu’il donne à mon esprit et les sentiments qu’il inspire à mon cœur ? » Profession, p. 132. Et à quoi bon ? Que peut-on « ajouter pour la gloire de Dieu, pour le bien de la société, pour mon propre avantage aux devoirs de la loi naturelle ?… Voyez le spectacle de la Nature, écoutez la voix de la conscience, Dieu n’a-t-il pas tout dit ainsi ? Ibid., p. 133. D’ailleurs les révélations… ne font que dégrader Dieu, en lui donnant des passions humaines. Loin d'éclaircir les notions du grand Être, les dogmes particuliers les embrouillent ; loin de les ennoblir, ils les avilissent ; …aux mystères qui les environnent, ils ajoutent des contradictions absurdes. Dans Mandement de M. de Beaumont, § 12, loc. cit., p. 750. Cf. Profession, p. 133. Et l’homme « ils le rendent orgueilleux, intolérant, cruel. Je n’y vois que les crimes des hommes et les misères du genre humain. » Ibid.

Comment ensuite, parmi les religions qui se disent révélées et qui ont chacune leurs partisans, reconnaîtrai-je la vraie ? Dieu ne m’a pas parlé à moi et « il me faut des raisons pour soumettre ma raison ». Ibid., p. 139. S’il y a une révélation divine « que Dieu… punisse de méconnaître, il lui a donné des signes certains et manifestes, …de tous les temps et de tous les lieux, également sensibles à tous les hommes ». Ibid. Or, toutes s’appuient sur des affirmations humaines qui prétendent se prouver par le miracle. Que faut-il en penser ?

Rousseau a écrit du miracle à trois reprises coup sur coup dans la Profession de foi, p. 143-149, dans la Lettre à Beaumont, loc. cit., p. 785-788, et surtout dans la troisième des Lettres écrites de la montagne, loc. cit., p. 25-38.

Métaphysiquement, que le miracle soit possible à Dieu, « cette question …serait impie, si elle n'étai 1 : absurde. Troisième Litre de la montagne, loc. cit., p. 29. Mais, du point de vue moral, Rousseau 'e rend impassible, sans se prononcer, « les plus grandes idées que nous puissions avoir de la sagesse et de la majesté divine étant pour la négative ». Ibid., p. 30. D’un autre côté, le miracle ne m’offre aucune certitude. Je n’en vois pas, je ne puis donc le connaître que par le témoignage. Mais alors « que d’hommes entre Dieu et moi ». Profession, p. 141. J’ai besoin d’une garantie divine ; je ne trouve que des garanties humaines. Et « mille hommes viendraient me dire qu’ils ont vu un miracle que je ne les croirais pas ». Troisième lettre de la montagne, p. 30. Le miracle est invérifiable. « Pour en jugci, il faudrait connaître toutes les lois de la nature », et l'étude de la nature ne cesse de révéler des merveilles naturelles. Puis toutes les religions invoquent des miracles en leur faveur. Comment distinguer lus miracles en faveur de la vraie doctrine des autres ? Par la doctrine ? Mais alors à quoi serventils si la vraie doctrine est déjà prouvée ? Ibid., p. 33. Enfin il ne semble pas qu’il y ait un lien nécessaire entre le miracle et la doctrine. « Jésus n’a-t-il pas refusé aux Juifs de se prouver par des miracles ? Luther et Calvin n’ont-ils pas été crus sans miracles ? » Ibid., p. 27-29 ; Deuxième lettre de la montagne, p. 23 24. Cf. E. Rruneteau, Quelques théories éliminatrices du miracle, v. J.-J. Rousseau, dans Revue pratique d’apologétique, 1 er juin 1915, p. 229-232 et ici, Miracle, t. x, col. 1788-1789.

Qu’importe le miracle d’ailleurs. Deux choses seules permettent d’apprécier une religion : la doctrine

comparée « aux notions que la raison nous donne de l'Être suprême et du culte qu’il veut de nous » et « ses effets temporels et moraux sur la terre …le bien et le mal qu’elle peut faire à la société et au genre humain ». Lettre ù Beaumont, loc. cit., p. 776-777. Si donc une religion montre « un Dieu qui commence par se choisir un seul peuple et qui n’est pas le père commun des hommes, qui destine au supplice le plus grand nombre de ses créatures, ce Dieu n’est pas le Dieu clément et bon que ma raison m’a montré », Profession, p. 147-149, et cette religion n’est pas la vraie.

b) Critique du catholicisme en particulier. — - Julie mourante, loc. cit., p. 363 et Rousseau, Lettre à Beaumont, loc. cit., p. 772, exaltent le protestantisme comme « la religion la plus raisonnable et la plus sainte », et dans sa Seconde lettre de la montagne, loc. cit., p. 21, Rousseau se vante d’avoir combattu les dogmes proprement catholiques. Il ne reconnaît aucune autorité à l'Église. Malgré « un grand appareil de preuves », cette autorité, invérifiable pour la masse, n’a d’autre base que cette affirmation de l'Église : « Je décide que je suis infaillible, donc je le suis. » Cf. Profession, p. 165. Et, d’une part, le catholicisme enseigne l’absurde — dans la transsubstantiation, par exemple — d’autre part, ses effets sont funestes. Il est anti-social : il oppose l’autorité à l’autorité ; il est intolérant : liors de l'Église point de salut ; « insistant plus sur le dogme que sur les devoirs », oublieux de l’esprk du Christ « qui n’ordonnait de croire que ce qui était nécessaire pour le salut », il fait « des fidèles toujours sûrs d'être bons chrétiens pourvu qu’on ne brûle pas leurs livres et qu’ils ne soient pas décrétés » et un clergé « indifférent à la cause de Dieu, pourvu que la sienne soit en sûreté ». Lettre ù Beaumont, p. 792, 772, 791. Rousseau n’aurait pas été de son temps s’il n’eût pas blâmé le célibat ecclésiastique. Profession, p. 23 et n. 1.

c) Critique du calvinisme, orthodoxe. — Les reproches qu’il adresse au catholicisme retombent, il le sait et il y consent, sur le calvinisme orthodoxe, qui a un Credo où des mystères sont acceptés et qui prétend l’imposer. Mais personne n’a mieux souligné que lui la contradiction où se trouvent les orthodoxes par rapport à la vraie Réforme. La Réforme à ses origines, dit-il, se ramène à « ces deux points fondamentaux : reconnaître la Bible pour règle de sa croyance et n’admettre d’autre interprète du sens de la Bible que soi », autrement dit que ses lumières naturelles. Dj li, pour le protestantisme, l’obligation de la tolérance. Avec « leurs formules de profession de foi », avec ljur intolérance doctrinale, les Églises orthodoxes sont donc hors de leur voie. Deuxième lettre de la montagne, loc. cit., p. 17 sq. Cf. J. Gaborel, Calvin et J.-J. Rousseau, in-16, Genève, 1878.

3. La vraie religion selon Jean-Jacques.

Distinguant la « religion de l’homme », membre de l’humanLé, et la « religion du citoyen », membre d’une nation, Contrat social, p. 322, il juge que la religion naturelle, « le vrai théisme », est la vraie religion, parce que commune à tous les hommes, n’imposant que des dogmes accessibles à la lumière naturelle et la morale éternelle ; enfin se présentant à l'état de religion pure, c’est-à-dire « sans temples, sans rites, sans autels, bornée au culte intérieur du Dieu suprême » — le culte extérieur étant un cérémonial — et « aux devoirs éternels de la moral ? ». Ibid. ; cf. Profession de foi, p. 132, 133 et sq. Ce ne sera donc pas une religion philosophique, appuyée sur des démonstrations métaphysiques, qui ne serait qu’une laborieuse théodicée. A ce théisme, il assimile, Contrat social, loc. cit., « la pure et simple religion de l'Évangile », parce que, dans l'Évangile, se retrouvent les dogmes du théisme, les principes de la morale éternelle, et qu’il faut adorer

Dieu sans les cérémonies, « en esprit et en vérité », Contrat social, toc. cit.

Quant à la religion du citoyen, « la religion civile », ses dogmes, on l’a vu plus haut, col. 113, sont les dogmes de la religion naturelle. Ibid., p. 331.

4. Les idées politiques de Rousseau et la doctrine catholique. — a) « Puisqu' aucun homme n’a aucune autorité naturelle sur son semblable et puisque la force ne produit aucun droit, restent donc les conven tions pour base de toute autorite légitime parmi les hommes. » Contrat social, t. I, c. iv, p. 115. — Or. dans l’encyclique liiuturnum (29 juin 1881), Léon XIII condamne et réfute les doctrines qui prétendent faire d’un contrat l’origine ce n'ère de l’autorité politique : toute autorité vient de Dieu. Il est vrai que plus haut, p. 114, Rousseau écrit : « Toute puissance vient de Dieu ; mais toute maladie en vient aussi. »

b) La puissance absolue du peuple. « Le pacte social donne un pouvoir absolu au corps politique sur tous ses membres. » Loc. c/7., 1. II.c.iv, p. 154. Même en admettant que ce pouvoir se limite à ce qui intéresse la communauté et sans tenir compte de ce que le souverain lui-même détermine cet objet, cette thèse est contraire au droit souverain de Dieu. Cf. Syllabus, § 6, Erreurs relatives à la société civile, xxxix.

c) La loi, expression de la volonté générale, ne peut être injuste, « puisque nul n’est injuste envers luimême ». Contrat social, t. II, c. vi, p. 169. Mais il y a un droit naturel, une justice éternelle, à laquelle la loi est obligée de se conformer.

d) Il y a une profession de foi purement civile dont il appartient au souverain de fixer les articles. Or, le Syllabus, loc. cit., xliv, condamne cette proposition : « Le souverain a un droit absolu sur la religion des citoyens. »

e) L’indifférentisme que marque la condamnai ion de la formule « Hors de l'Églis point de salut », Contrat social, p. 332 : le conseil de rester dans la religion de ses pères, Profession de foi, p. 190 et n. 1, p. 195 et 196, d’estimer bonnes toutes les religions. Contrat. p. 417, et la théorie de leur relativité, ibid.. passim, e en particulier, § 5, Les grandes religions européennes.

I) L’affirmation que « le christianisme romain » s’oppose à l’unité, au bon ordre et au bien-être des nations. Or le Syllabus, loc. cit., XL, condamne cette proposition : « La doctrine de l'Église catholique est opposée au bien et aux intérêts de la société humaine. »

g) Rousseau a des formules dont peut s’autoriser le marxisme. Ainsi, quand il demande « l’aliénation totale de chaque associé avec tous ses droits à la communauté ». Contrat social, p. 127.

5. La morale de Jean-Jacques.

Rousseau a passé devant ses contemporains pour un moraliste et pour un réformateur des mœurs. Il se place en clîet, on l’a vii, au point de vue moral. Mais quelle règle morale proposait-il ? Il rêvait de consacrer à la question un livre qu’il eût appelé Morale sensilive ; cf. P. Trahard, Les maîtres de la sensibilité française au ZVIIIe siècle. 4 vol. in-8°, Paris, s. d. (1932), t. iii, p. 230 ; d’ailleurs ses idées morales ressortent de la Nouvelle Hélcïse, de V Emile, des Rêveries, 4e promenade. A leur base est évidemment son postulat : « L’homme naît bon ; c’est la société qui le déprave. »

Théoriquement, l’homme n’a qu'à suivre 'a Nature, par où il rentre dans l’ordre provident tel. Or la N’ai lire donne comme but à la vie le bonheur. Pour atteindre ce but l’homme n’a pas à s’inspirer d’une règle morale surnaturelle ou basée sur une démonstration métaphysique, mais à écouter son cœur, sa conscience, voix infaillible et sans appel de la Nature. Par là, il aura la perception directe du bien et du mal. » Les vrais penchants de la Nature étant tous bons » et « tous les premiers mouvements de la Nature étant bons et

droits », Dialogues, t. iv, p. 5 et 4, l’homme n’a pas à combattre ses passions ; ce sont des principes d’action. Or, ses deux tendances générales sont l’amour de soi et la sympathie qui le prédispose à ses devoirs envers ses semblables : justice et bonté. Qu’il obéisse à ses penchants et la inorale est satisfaite et le bonheur assuré : « Sois juste et tu seras heureux. »

Pratiquement, les choses ne sont pas aussi faciles et l’homme doit d’abord veiller à ce que sa conscience ne soit pas faussée par les préjugés de la société, qu’elle soit maintenue dans l'état même où la veut la Nature ; il doit faire appel à la vertu, c’est-à-dire à l’effort et à la lutte contre ses [lissions, devenues également, par l’influence du milieu social, de forces bienfaisantes qu’elles étaient, des forces qui le détournent de la justice et de la bonté : ainsi l’amour de soi devenu l’amour-propre.

C’est là une morale personnelle, basée sur le sens moral individuel, qui veut atteindre le bonheur par le respect des devoirs de justice et de bonté et qui fait appel à la vertu, sans que cependant la vertu vaille la spontanéité de la nature.

III. Influence de Rousseau.

Elle fut « prodigieuse », dit Boutroux, loc. cit., p. 268. Naturellement elle s’exerça eu France, mais ce fut dans tous les ordres. Dans la liilérature, le romantisme relève de lui. Cf. les Histoires de la littérature française au xixe siècle, et D. Mornct. Le sentiment de la nature en France de Rousseau à liernardin de Saint-Pierre, Paris. 1907, in-8° ; Le romantisme en France au XVIIIe siècle. Paris, s. d. (1912), in-12 ; ainsi que P. Lasserre. Le romantisme français, Paris, 1907, in-12. En politique, Rousseau fut le dieu de la Révolution, .1. Lemaître, loc. cit., p. 316. Il ne fut ni l’unique maître intellectuel de la Révolution, cf. D. Mornet, Les origines intellectuelles de la Révolution française, 2e édit., Paris, 1934, in-8°, ni le maître d’un seul parti — la Montagne, voir Louis Blanc, Histoire de la Révolution, t. ii, t. X, c. i — mais, à toutes ses étapes, la Révolution relève de lui d’une façon plus ou moins évidente, mais réelle. Cf. entre autres, C. Champion, Rousseau et la Révolution française, Paris, P.) 10, in-16 : G. Beaulavon, loc. cit., Introduction, p. 73 sq., qui signale en particulier l’influence du Contrat social sur la politique religieuse de la Révolution, p. 81 sq. ; L.-S. Mercier, De J.-J. Rousseau considéré comme l’un des premiers auteurs de la Révolution, 2 vol. in-8°, Paris, 1791 : A. Didc, J.-J. Rousseau, le protestantisme et la Révolution française. Paris, 1910, in-12 ; É. Faguet. Politique comparée de Montesquieu, Voltaire et J.-J. Rousseau, Paris, 1902, in-16. Pour ce qui est de l’organisai ion sociale, il fut le prophète de l'égalité et par la manière dont il la présente, par la critique qu’il fait des institutions contraires, cf. Contrat social, I re part., de la société existante et de la civilisation présente, par les perspectives qu’il ouvre et les formules qu’il donne de la société idéale, par l’autorité sans limites i ! sur toutes choses qu’il reconnaît au souverain, il prépare l’homme au marxisme et déjà Babœuf se réclame de lui. Cf. A. Lichtenberger, Le socialisme < : u XVIIIe siècle, Paris. 1895, in-8° ; C. Bougie. Rousseau cl le socialisme, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 311-352 ; J. Jaurès, Les idées politiques et sociales de Rousseau, ibid., p. 371-389 ; F. Haymann, UeberJ.-J. Rousseau’s Sozialphilosophie, Leipzig, 1928, in-8°. Dans l’ordre de la pensée, sans qu’une école soit née de lui, on a pu écrire : « La plus puissante des influences qui se soient exercées sur l’esprit humain depuis Descaries est incontestablement celle de Jean-Jacques Rousseau. La réforme qu’il opéra dans le domaine de la pensée pratique, fut aussi radicale que l’avait été celle de Descartes dans le domaine de la spéculation pure. Lui aussi

remit tout en question ». G. Bcaulavon, J.-J. Rousseau et l’esprit cartésien, dans Revue de métaphysique et de morale, 1 er janvier 1937, p. 325. Pour son influence dans l’ordre religieux, voir plus loin.

Et cette influence fut cosmopolite. En Allemagne, elle fut « au moins égale, sinon plus exclusive et plus décisive même qu’en France. En même temps qu’il enfantait une génération de sophistes confus, de déclamateurs boursouflés et de libertins larmoyants, il inspii ait les poètes et enseignait les philosophes : Schiller et Kant relèvent de lui. > A. Sorel, L’Europe et la Révolution française, l re part., Les mœurs politiques et les traditions, p. 104-105. Cf. V. Dclbos, Rousseau et Kant. dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 429-439 ; J. litnrubi, Gœlhe et Schiller, continuateurs de Rousseau, ibid., p. 442-460. « 11 pénètre l’Italie comme il a conquis l’Allemagne. Il y pénètre moins absolument peut-être ; mais les premiers des Italiens relèvent de son influence : c’esc le cas de Bcccaria ; c’est surtout le cas de Filangieri. » A. Sorel, loc. cit.. p. 105. S’il a compté des maîtres en Angleterre — Locke par exemple — il y comptera aussi des disciples. Enfin pai mi ses fervents se place Tolstoï. Cf. G. Dwelshauvcrs, Rousseau et Tolsicï, dans Revue de n élaphysique et de morale, 1912, p. 461-482 ; MUar.-I. Markowitch, J.-J. Rousseau et Tolsicï, in-8°. Paris, 1928.

Personne ne conteste l’influence religieuse ele JeanJacques. Mai., un problème se pose. Cette influence s’est-elle exercée finalement en faveur du christianisme, voire du catholicisme '? Ainsi le veut P. -M. MasMin qui écrit, op. cit., t. iii, p. 358 : i JeanJacques aura été l’un ele s mainteneurs du catholicisme dans l'élite intellectuelle française, non pas, sans doute, du dogme catholique comme tel, mais de cette sensibilité chrétienne qui, dans un pays de tradition catholique, facilite pratiquement l’adhésion au dogme, ou autorise, du moins, un compromis silencieux avec lui ; …ce fils de Calvin aura travaillé pour le triomphe élu papisme. » Y. Giraud, de son côté, élit, mais avec plus de réserve : « Contre les assauts tumultueux du naturalisme et du paganisme renaissants qui menaçaient de tout envahir, il a défendu l’idée chrétienne. » Le christianisme de Chateaubriand, 2 vol. in-8°, Paris, t. i. Les origines, 1925, p. 113. A. Monod, dans sen livre. De Pascal à Chateaubriand : Les défenseurs français du christianisme, Paris, 1916, in-8°, compte Rousseau parmi ces défenseurs. Voir c. ix, J.-J. Rousseau. « A considérer l’efficacité de ses œuvres, dit-il même, Rousseau est le premier apologiste du siècle, le restaurateur de la religion. » p. 409. Il est vrai que A. Monod entend par foi fides qua creditur et par christianisme le protestantisme libéral. Sans contester la partie « négative » et destructrice de l'œuvre de Rousseau, ces auteurs invoquent pour justilier leur thèse les attaques de Jean-Jacques contre les doctrines religieuses et morales des philosophes — voir, par exemple, Masson, Rousseau contre Helvélius, élans Revue d’histoire littéraire, janvier 1911, p. 103-124 ; G. Maugras, Querelles de philosophes, Voltaire et Rousseau, Paris, 1886, in-8° — ses théories sur l’impuissance de la raison, au nom de laquelle les philosophes condamnaient le christianisme ou plutôt le catholicisme, et sur l’infaillibilité du cœur ; son indiflérence à l’endroit des questions de métaphysique pure et sa résolution ele ne s’occuper que des vérités utiles, par où il s’opposait encore aux philosophes ; les dogmes si chrétiens de l’existence de Ditu et de la providence, de l’immortalité de l'âme, de ! a récompense des justes et de la punition des méchants ; des sentiments si religieux qu’il a restaurés dans les âmes : le sentiment de la dépendance : l’homme dépend non seulement comme chez Helvétius de l’univers physique et de la société

humaine, mais d’un Être souverain et intelligent ; et voilà renoué le fil, coupé par le positivisme, qui nous relie à un monde invisible… « Nous devons collaborer à l’ordre, accepter les maux (Lettre à Voltaire sur le désastre de Lisbonne), adorer notre maître pour ses bienfaits » ; le sentiment de l’absolu : « En plein triomphe du sensualisme, il affirme l’inné ; cette conscience innée en nous n’est pas la règle empirique et changeante des Encyclopédistes ; elle a une valeur absolue ; c’est une communication incessante avec Dieu. C’est le sub specie selerni rétabli comme point de vue de la conduite humaine et de la elestinée » ; le sentiment mystique, en ce sens que « la loi morale » est pour lui « la voix de Dieu en l’homme » et qu’il prie « de la prière la plus profondément religieuse, l'élévation de l'âme par la méditation et l’acquiescement à la volonté divine » ; Y appel à la vertu pour obéir aux exigences de ce maître intérieur qu’est la conscience. A. Monod, loc. cit., p. 411 ; enfin la profession de christianisme que fait Jean-Jacques, quand il affirme à M. de Beaumont : « Je suis chrétien et sincèrement chrétien…. très convaincu des vérités essentielles du christianisme, cherchant à nourrir mon cœur de l’esprit ele l'Évangile » et quand il se dit « heureux d'être né élans la religion la plus raisonnable et la plus sainte qui soit sur la terre », Lettre à M. de Beaumont, loc. cit.. p. 774, qu’il exalte la valeur moraledu christianisme, dont « les vérités essentielles… servent de fondement à toute bonne morale », ibid. r qu’il rend à l'Évangile et à Jésus-Christ l’hommage que l’on sait. Profession de foi, p. 179-183.

D’autres critiques ne peuvent accepter cette théorie : A. Schinz, La pensée religieuse de Rousseau. Paris, 1927, in-8° ; La pensée de JeanJacques Rousseau, Paris, 1929, in-8° ; J. Maritain, Trois réformateurs, Luther, Descartes. Rousseau, Paris, s. d. (1925), in-12 ; E. Seillièrc, Jean-Jacques Rousseau, Paris, 1927, in-8° ; H. Hôffding, Jean-Jacques Rousseau et sa philosophie, traduction J. de Coussanges, Paris, 1912, in-12, et Rousseau et la religion, dans Revue de métaphysique et de morale, 1912, p. 275-293 ; Beaulavon, La profession de foi, introduction. Que Rousseau ait combattu la libre pensée, qu’il ait réhabilité le sentiment religieux jugé inférieur, qu’il ait même, sans le vouloir, rapproché certaines âmes du christianisme, voire du catholicisme, ils ne le nient pas, mais ils n’acceptent pas que l’on puisse dépasser ces positions. La méthode et les doctrines religieuses de Rousseau le rattachent, disent-ils, à la philosophie du xviii a siècle' et son action directe va à l’eneontre du catholicisme et même du christianisme.

Pour Rousseau comme pour les philosophes, en matière religieuse, la vraie lumière, c’est la raison et tout comme eux il use de l’esprit critique. S’il se réclame avec éclat du cœur infaillible, c’est qu’il veut mettre hors d’attaque les vérités de la théologie naturelle auxeiuelles il tient : aucune de ces vérités qui ne puisse être acceptée par la raison. Mais son attitude à l'égard des dogmes révélés est bien claire : l'élève du vicaire savoyard les déclare du domaine de l’inconnaissable, sans qu’on puisse « les concevoir ni les croire, et sans savoir ni les admettre ni les rejeter ». Profession de foi, p. 136. Le vicaire savoyard dépasse cette position. Toute révélation lui paraît inutile, nuisible même et cela se comprend : elle est « hors du bon usage des facultés », donc de l’ordre, ibid., p. 132 ; invérifiable, car la raison ne saurait accepter la preuve par le miracle qui fait sortir les choses de l’ordre naturel, seul compris par la raison, et inacceptable, parce qu’avançant « des choses absurdes et sans raison ». Ibid., p. 149. Le vicaire l’affirme ; la règle du vrai est « l’examen de la conscience et

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DICT DE TIIKOL. CATHOL.

T.

XIV. — 5.

de la raison » ibid., p. 139 ; et s’il ajoute : « il me faut des raisons pour soumettre ma raison », tout l’examen qui suit des motifs de croire invoqués par le christianisme tend à prouver qu’il n’y a pis de raisons valables pour soumettre la raison. Cf. ibid., p. 151 sq., le dialogue entre l’Inspiré et le Raisonneur. Nul, parmi les philosophes, n’a fait une critique plus rationaliste, peut-on dire, de la révélation, donc du christianisme. Voltaire, qui s’y connaît, ne s’y est pas trompé. Voir Notes inédites de Voltaire sur la Profession de foi du vicaire savoyard, publiées par B. Bouvier, dans Annales J.-J. Rousseau, 1905, p. 272-284. L’une dit : « Tout ce discours se trouve mot à mot dans le Poème de la religion naturelle et l'épître à Uranie. » Ci. aussi la brochure de Voltaire, Sentiments des citoyens et cidessus, col. 124 sq.

Si Rousseau fait l'éloge de l'Évangile c’est pour des raisons du cœur : « La majesté de l'Écriture m'étonne, la sainteté de l'Évangile parle à mon cœur », Profession de foi, p. 79. Mais cela ne saurait contrebalancer ceci où parle la raison : « L'Évangile est plein de choses incroyables, qui répugnent à la raison et qu’il est impossible à tout homme sensé de concevoir ni d’admettre. » Ibid., p. 183. Et au-dessus de l'Évangile ne met-i ! pas le livre de la Nature ? S’il fait de JésusChrist un Dieu, il entend bien parler d’un homme divin dans le sens où Renan emploiera ce mot : « N’attribuer à Jésus la divinité que par communication, écrira-t-il, c’est le déclarer purement boni a », cité par M. Masson, ibid., p. 182, n. 1. Il est trop individualiste aussi pour accepter une religion imposée du dehors ou prouvée du dehors. C’est « p ir une expérience immédiate que Dieu peut selon lui se manifester à l’homme ». J. Maritain, Zoc. c/7., p. 217. Voir col. 121 sq. Enfin, que l’on prenne tous les dogmes spécifiquement chrétiens, ou bien il les condamne en bloc, sous le nom de révélation, ou bien il soutient les thèses opposées, ou bien, pour employer encore une expression de J. Maritain, il les naturalise. Ibid., p. 211. Il est donc impossible de voir véritablement en Rousseau un chrétien et de trouver en sa doctrine « un ferment évangélique ». Id., ibid., p. 212. « Le rousseauisme, conclut cet auteur, est une radicale corruption du sentiment chrétien, et il n’est rien de plus absurde que de vouloir ensemble concilier une forme vivante et sa corruption. » Ibid., p. 211-212. Et H. Hoffding écrit, Rousseau et la religion, p. 283 : « Il voit dans les idées de la religion naturelle l’expression adéquate et seule valable du divin. » Si Rousseau se dit chrétien, c’est « selon la doctrine de l'Évangile ». Lettre à Beaumoni, toc. cit., p. 772, c’est-à-dire, comme il l’explique luimême, ibid., en ramenant l'Évangile aux dogmes du théisme et à la morale éternelle, autrement dit, a la religion naturelle. Voir col. 126. Enfin, que l’on se souvienne de sa critique du catholicisme, col. 126, et de sa protestation auprès de M. de Beaumont : « Heureux d'être né dans la religion la plus raisonnable et la plus sainte que soit sur la terre, je reste invinciblement attaché au culte de mes pères. » Lettre…, p. 772, et l’on comprendra que, parmi les religions qui se disent chrétiennes, le catholicisme n’eut pas ses préférences. Cf. A. Feugère, Rousseau et son temps (IX). Le sentiment religieux citez Rousseau, dans Revue des cours et conférences, 15 janvier 1936, p. 278-288.

Telle quelle, la religion de Rousseau, entre le philosophisme du xviii c siècle et les religions catholique ou protestante, « ce spiritualisme ému et religieux, ce demi-christianisme sera celui de Bernardin de SaintPierre ; il sera bien souvent avec des nuances celui de Chateaubriand ; celui de Lamartine, dont le Jocelyn devra beaucoup au vicaire savoyard ; il sera souvent. celui de George Sand, même de Michelct jeune et de

Victor 1 lugo ». Il sera aussi « jusque dans la première moit ié du second Empire », la religion d( s bourgeois et même des paysans français. Lemaître, loc. cit.. p. 284.

Il n’y a pas une bibliographie complète de Rousseau comme il y en a une pour Pascal ou pour Voltaire. On trouve cependant une bibliographie plus ou moins complète dans Mohr, Aperçu bibliographique sur le centenaire de J.-J. Rousseau, Baie, 1878 ; L. Asse, J.-J. Rousseau. Bibliographie critique, Paris, s. d., in-8° ; H. Beaudoin, La vie et les œuvres de J.-J. Rousseau, Paris, 1891, 2 vol. in-8°, t. ii, Bibliographie île Rousseau et des ouvrages relatifs à Rousseau ; Th. Dufour, Reclierclies bibliographiques sur les œuvres imprimées de Rousseau, Paris, 1925, 2 vol. in-8° ; G. Lanson, Manuel bibliographique de la littérature française mu Irrite, Paris, 1914, ln-8°, p. 778-806 ; A. Schinz, Le mouvement rousseauiste du dentier quart de siècle. Essai île bibliographie critique, s. 1., 1922, in-8° ; Bibliographie critique de Rousseau dans les cinq dernières années, 1926 ; P. Trahard, op. cit., p. 278-309. Les Annales de la société J.-J. Rousseau, dont un volume paraît chaque année depuis 1905, donnent dans chaque volume une bibliographie.

I. Principales éditions des œuvres de Rousseau. — 1° Œuvres complètes, publiées pur Ou Peyrou, Genève, 17821790, 17 vol. in- 1° ; (E’tvres complètes de J.-J. Rousseau, mises dans un ordre nouveau avec des notes historiques et des éclaircissements, par V.-D. Musset-Pathay, Genève, 1830, 41 vol. in-16. — 2° Éditions citées : Œuvres complètes de J.-J. Rousseau, Paris, Punie, 1835-1836, 4 gr. in-8°, sau[ la Profession de foi du vicaire savoyard, éd. crit. de P. -M. Masson, Fribourg-Paris, 191 1, in-8°, et le Contrat social, éd. Beaulavon, Paris, 1903, in-12. Pour la Correspondance, éd. Dufour, voir plus haut, col. 10.

II. Sources.

1° Les confessions, 12 livres que Rousseau écrit de 1705 à 1770 et qui concernent sa vie jusqu’en octobre 1706 ; et écrits complémentaires : Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques et les Rêveries d’un promeneur solitaire, son dernier ouvrage, interrompu par la mort. Toutes œuvres qu’il ne faut pas consulter sans contrôle. — 2° Sa correspondance. Voir Correspondance générale qui commence en 1728 pour se terminer en 1778 ; en particulier les quatre Lettres à M. de Malesherbes, dont il a été parlé col. 114. Sur les rapports de Rousseau avec Malesherbes, cf. P. -P. Plan, J.-J. Rousseau et Malesherbes, Paris, 1912, in-8° ; Sur les Confessions, C. Rstienne, Essai sur les confessions de J.-J. Rousseau, Paris, 1856, in-12.

III. Études.

Outre les ouvrages cités de Masson, Beaudoin, Trahard, Schiuz, Hoffding, Seillière, Ritter, Fusil, Proal, voir Bernardin de Saint-Pierre, La vie et les ouvrages de J.-J. Rousseau, Paris, 1907, in-12 (édit. Souriau) ; .Mme de Charrlère, Éloge de J.-J. Rousseau, Paris, 1790, in-8' ; Musset-Palliay, Histoire de la vie et des ouvrages de J.-J. Rousseau, Paris, 1821, 2 vol. in-8° ; S.-X. de Girardin, Lettre à Musset-Pathay, auteur de l’ouvrage intitulé : La vie…, Paiis, 1824, in-8° ; G. -H. Morin, Essai sur la vie et le caractère de J.-J. Rousseau, Paris, 1851, in-8° ; L. Guion, J.-J. Rousseau et le XVIIIe siècle, Strasbourg, 1860, in-8° ; L. Moreau, J.-J. Rousseau et le siècle philosophe, Paris, 1870, in-, S" ; J, Morley, Life of Rousseau, Londres, 1873, 2 vol. in-8° ; F. Brockerhoff, J.-J. Rousseau. Sein Leben und seine Werke, Leipzig, 1874, 3 vol. in-8° ; Saint-Marc Girardin, J.-J. Rousseau, sa vie et ses ouvrages, Paris, 1875, 2 vol. in-12 ; J. Gaborel, .J.-J. Rousseau et ses œuvres, biographie et fragments, Genève, 1878, in-8° ; Chuquet, J.-J. Rousseau, Paris, 1901, in-12 ; J.-F. Nourrisson, J.-J. Rousseau et le rousseauisme, Paris, 1003, in-8° ; G. de Rey nold, .L-.I. Rousseau et ses contradicteurs, i’ribourg, 1904, in-S" ;.1. Benruhi, .L-.I. Rousseau’s elhisches Idéal, Langensalza, 100.">, in-8° ; L. lirédif, Du caractère intellectuel et moral de J.-J. Rousseau, Paris, 1906, in-16 ; F. Macdonald, J.-J. Rousseau, a new siudy in criticism, Londres, 1906, 2 vol. in-8° ; trad. franc, par (i. Roth, Paris, 1909 ; Dr (). Ilensel, Rousseau, Leipzig, 1907, iu-16 ; DucrOS, J.-J.

Rousseau, Paris, 1908-1918, 3 vol. in-S" ;.L-.I. Rousseau (Classiques populaires), Paris, s. d., in-8° ; É. Faguet, Vie de Rousseau, Paris, 1910, in-12 ; Ii. Bouvier, .L-.I. Rousseau, Genève, 1912, io-12 ; Rousseau penseur, Paris, 1912, in-12 ; .1. Fabre, .L-.I. Rousseau, Paris, 1912, in-12 ; < ;. Fonse grive, J.-J. Haussant, Paris, 1913, in-16 ; I. Cancre, Les mauvais malins Rousseau, Paris, 1922, in-16 ; A. Hei lenheiui, .L-.I. Rousseau, Persônlichkeil, Philosophie und Psychose, Munich, 1921, in-8° ; B. Gérin, .L-.I. Rousseau, Paris, 1930, in-8o ; J. Charpentier, J.-J. Rousseau ou le démocrate par dépit, Paris, 1931, in-12 ; L. Noël, Voltaire et Rousseau, Paris, 1863, in-12 ; Voltaire…, sa lutte contre Rousseau, Paris, 1878, in-12 ; G. Desnoiresterres, Voltaire et la société au XVIIIe siècle, Paris, 1867-1876, 8 in-12, t. VI, Voltaire et Rousseau, 1875 ; G. Bourgeaud, J.-J. Rousseau’s Religionsphilosophie, Genève, 1883, in-8o ; W. Cuendet, La philosophie religieuse de J.-J. Rousseau et ses sources, Genève, 1913, in-12 ; L. Thomas, La dernière phase de la pensée religieuse de Rousseau, Lausanne, 1903, in-8o ; L. N’avilie, Nouvelle étude sur la religion de J.-J. Rousseau, Lausanne, 1862, in-8° ; li. Hubert, Rousseau et l’Encyclopédie. Essai sur la formation des idées politiques de Rousseau (17421756), Paris, s. d. (1928), in-8° ; E. Doumergue, J.-J. Rousseau. .., L’homme religieux, dans Foi et vie, 1912, p. 411-419, soutient cette thèse : la mort trouve Rousseau en marche vers l’Évangile de la croix ; L. Brédif.Dii caractère intellectuel et moral de J.-J. Rousseau, Paris, 1906, in-16 ; Sainte-Beuve, Premiers lundis, t. ii, p. 264-265 ; Causeries du lundi, t. ii, p. 51-67 ; t. III, p. 62-77 ; Brunetière, Études critiques, IIIe sér., p. 287 sq. ; IVe sér., p. 325 sq. ; Études sur le XVIIIe siècle, Paris, 1911, in-12, et en général toutes les Histoires de la littérature française au XVIIIe siècle, principalement, A. Brou, Le XVIIIe siècle littéraire, t. iii, Jean-Jacques Rousseau, Paris, 1927, in-12 ; de la philosophie, principalement L. Bréhier, Histoire de la philosophie, t. ii, Philosophie moderne, Ve part., XVIIe et XVIIIe siècles ; les Revues d’histoire littéraire ou de philosophie : Les Annales J.-J. Rousseau, offrent de nombreux et importants articles.

L. Constantin.

1. ROUSSEL Claude. — Né à Vitry, le 1° juin 1720, ii vint achever ses études à Paris et fut ordonné prêtre à Châlons, où il enseigna la philosophie et devint curé de Saint-Germain, en 1753 et membre de l’académie locale en 1775. Il mourut durant la Révolution, probablement en 1793. Il a publié les Principes de la religion ou Préservatif contre l’incrédulité, Paris, 1751 et 1753, in-12, et Principes sur l’Église ou Préservatif contre l’hérésie, Paris, 1760, 2 vol. in-12. Roussel a publié, en outre, quelques discours prononcés aux séances de l’Académie de Châlons, sur Vamour du travail, 1761, sur l’homme social, 1767, sur les principes de la philosophie moderne, 1768.

Michaud, Biogr. uniu., t. xxxvi, p. 633 ; Richard et Giraud, Bihl. sacrée, t. xxi, p. 254 ; Hurter, Nomenclator, 3 P éd., t. v, col. 49.

J. Carreyre.

2. ROUSSEL Guillaume. — Né à Conches, en Normandie, en 1650, il entra chez les bénédictins et fit ses vœux, le 23 septembre 1680, à Notre-Dame de Lire, diocèse d’Évreux, où il se livra à la prédication. Il se retira à l’abbaye de Saint-Martin de Pontoise, puis à Saint-Nicaise de Reims et enfin à Notre-Dame d’Argenteuil, où il mourut le 5 octobre 1717. Son ouvrage le plus important est intitulé : Lettres de saint Jérôme, traduites en français sur les éditions et sur plusieurs manuscrits très anciens, avec des noies exactes et beaucoup de remarques sur lis endroits différents, Paris, 1703, 1707, 1713, 3 vol. in-8o, et Paris, 1743, 4 vol. in-12 (Mémoires de Trévoux, juin 1704, p. 915-919). Dom Roussel avait recueilli des matériaux pour une histoire littéraire de la France, mais ayant appris que dom Rivet, son confrère, avait conçu le même projet, il abandonna son travail, et les documents qu’il avait rassemblés furent, après sa mort, confiés à celui-ci (voir Préface de l’Histoire littéraire de la France, p. xxxi-xxxii). Roussel réédita les Avis et réflexions sur les devoirs de l’étal religieux, Paris, 1714, 3 vol. in-12, qui furent réimprimés en 1717 et en 1737.

Tassin, Hist. littéraire de la con grégation de Saint-Maur, Bruxelles, 1770, in-4o, p. 398-401 ; Le Cerf de La Viéville, Bibl. hist. et critique des auteurs de la congrégation de Saint-Maur, La Haye, 1726, in-12, p. 432-433 ; Michaud, Biogr. univ., t. xxxvi, p. 632-633 ; Iloefer, A’ouy. biogr. gén., t. xlii, col. 774-775 ; Bichard et Giraud, Bibl. sacrée, t. xxi, p. 253-254.

J. Carreyre.

ROUSSEL DE LA TOUR. —Né vers 1710, il fut conseiller-clerc au Parlement de Paris, en 1739 ; lors de l’expulsion des jésuites, il fut chargé par le Parlement de faire des rapports sur les collèges tenus par les jésuites ; il mourut très âgé durant les dernières années du xviiie siècle. Avec les abbés Minard et Goujet, Roussel a composé les Extraits des assertions dangereuses et pernicieuses en tout genre que les soi-disant jésuites ont, dans tous les temps et persévéramment, soutenues, enseignées et publiées dans leurs livres, avec l’approbation de leurs supérieurs et généraux, vérifiées et collationnées par les commissaires du Parlement, en exécution de l’arrêté de la Cour du 31 août 1761, Paris, 1762. in-4o et Paris, 1762, 4 vol. in-12. Roussel a probablement rédigé Réflexions chrétiennes sur le saint Évangile de Jésus-Christ, Paris, 1772, in-12 ; Réflexions chrétiennes sur les Épilres et les Évangiles de l’année. Paris, 1773, in-12 ; Réflexions morales sur le Livre de Tobie, avec une courte explication des commandements de Dieu et de l’Église, Paris, 1774, in-12 ; Discours intéressant divers sujets de morale, conformes au règne de la vertu, Paris, 1776, in-12 ; Philosophie religieuse ou Dieu, contemplé dans ses œuvres, Paris, 1776, in-12. Tous ces écrits ont été publiés sous une forme anonyme ; aussi il y a eu des discussions sur la paternité de ces ouvrages, d’ailleurs assez superficiels.

Michaud, Biogr. univ., t. xxxvi, p. 635-636 ; Quérard, La I-rance littéraire, t. viii, p. 240.

J. Carreyre.

ROUSSELOT Pierre, de la Compagnie de Jésus (1878-1915). — Né à Nantes le 29 décembre 1878, il entra dans la Compagnie en octobre 1895. Le 24 août 1908, il était ordonné prêtre au scolasticat de Hastings. En cette même année, il était reçu docteur es lettres pour deux thèses présentées en Sorbonne : l’Intellectualisme de saint Thomas ; Pour l’histoire du problème de l’amour au Moyen Age. En novembre 1909, il entrait à l’Institut catholique de Paris, comme suppléant du professeur de théologie dogmatique ; il en occupa la chaire l’année suivante ; et, sauf une interruption d’un an (19Ï2-1913), il la conserva jusqu’à la mobilisation (1914). Mobilisé comme sergent au 81e territorial, il [Kissa sur sa demande dans un régiment de marche, le 301e de ligne ; il fut tué aux Éparges, le 25 avril 1915.

Ceux qui l’ont connu de près, savent que cette mort pour la France comblait un de ses plus chers désirs ; ils ne peuvent que s’en réjouir pour lui ; mais ils sentent vivement la perte qu’ils ont faite. Intelligence ardente et pénétrante, études très fortes qui l’avaient enrichie, vie spirituelle profonde qui l’éclairait d’une lumière jalousement contemplée, tout préparait le jeune professeur à une carrière exceptionnellement féconde ; cette carrière fut brisée par l’appel de Dieu ; elle n’avait duré que cinq ans. Un temps si court n’a pas suffi au théologien pour terminer les œuvres entreprises ni même pour mûrir complètement sa pensée. Ceux qui ont partagé sa vie et qui ont suivi ses efforts, souvent douloureux, vers la vérité entrevue savent ce que lui ont coiite Les fuites et brillantes études que nous lisons aujourd’hui : si, dans certains articles, on relève des traces d’une verdeur juvénile que l’âge eût mûrie, ils n’en sont pas surpris ; et cela ne leur l’ait point oublier l’impulsion féconde qu’ils en ont reçue.

A sa soutenance, le P. Roussclot, répondant à M. Delbos, lui disait : « L’originalité de l’intellectualisme thomiste consiste précisément en ceci, qu’il joint à une critique sévère de la connaissance humaine une confiance imperturbable dans ses résultats, en tant que cil le connaissance participe de l’intellection. » C’est là aussi ce qui assure au livre du P. Rousselot la solidité de ses fondements et la profondeur de ses perspectives. On y contemple" et on y aime la primauté de l’intelligence, non point de la raison conceptuelle et discursive, mais