Dictionnaire de théologie catholique/SURNATUREL III. Rapport avec l'ordre naturel

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Dictionnaire de théologie catholique
Letouzey et Ané (Tome 14.2 : SCHOLARIOS - SZCZANIECKIp. 674-679).

SURNATUREL. — La notion de surnaturel est fondamentale dans la théologie catholique. Cette théologie, en effet, affirme, contre les naturalistes et les rationalistes de toute espèce, la possibilité et l’existence d’un ordre surnaturel permettant à la religion de s’originer à la révélation de mystères proprement dits et de se manifester dans l’âme humaine par une vie supérieure aux exigences de la nature. Il est donc indispensable de préciser la notion de surnaturel, d’en envisager les aspects divers et d’en rappeler brièvement les rapports avec l’ordre naturel.

I. Notion.
II. Divisions.
III. Rapports avec l’ordre naturel.

I. Notion.

Notion générale.

Pris dans son acception la plus large, le surnaturel désigne toute réalité, tout fait, toute vérité dépassant les possibilités et les exigences de la nature.

Ce surnaturel n’est concevable qu’à la condition de rejeter plusieurs erreurs qui en contredisent la notion. Tout d’abord, l’erreur des panthéistes qui, englobant Dieu lui-même dans le tout universel de la nature, suppriment par là-même d’une manière radicale toute possibilité de surnaturel ; cf. Denz.-Bannw., n. 1701, 1803, 1804. Ensuite, l’erreur naturaliste des déistes qui, tout en admettant un Dieu distinct du monde, soumettent l’action divine à un déterminisme absolu, ce qui revient à dénier à Dieu toute possibilité d’action en dehors des lois naturelles ; cf. Denz.-Bannw., n. 1805 (2), 1813 et ici Miracle, t. x, col. 1812-1824. Enfin, l’erreur des semirationalistes qui, tout en admettant Dieu et la révélation, entendent cependant expliquer les mystères avec les seules ressources de la raison humaine, ce qui revient à en nier le caractère surnaturel ; cf. Denz.-Bannw., n. 1669, 1709, 1796 et ici Mystère, t. x, col. 2588 sq. On pourrait ajouter l’erreur des pélagiens qui, réduisant la grâce à n’être que l’exercice de notre liberté, identifiaient logiquement la morale surnaturelle et la morale naturelle. Pour rester fidèle à cette description générale, on devra donc affirmer que la nature, avec ses forces seules, est incapable d’expliquer ce qu’on appelle le surnaturel.

Elle est même incapable de l’exiger. Une exigence réelle du surnaturel entraînerait la confusion des deux ordres et par conséquent reviendrait à nier le surnaturel. Ce fut l’erreur de Baïus qui, tout en distinguant spéculativement l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, considérait néanmoins que « l’élévation de la nature humaine et son exaltation à la participation de la nature divine étaient dues à l’intégrité de notre condition première et qu’en conséquence elles devaient être dites naturelles et non pas surnaturelles ». Prop. 21 ; Denz.-Bannw., n. 1021 ; cf. prop. 1-9, 24, 34, 42, 61, 64, 69, 78 et 79, n. 1001-1008, 1024, 1034, 1042, 1061, 1064, 1069, 1078 et 1079.

Définition plus précise.

La notion exacte du surnaturel doit se dégager de la notion du naturel.

1. Notion du naturel. (Cf. S. Thomas, In II Phys., c. i, lect. 1 et 2 : In V Metaph., c. iv, lect. 5 ; Sum. theol., Ia, q. xxix, a. 1, ad 4um ; IIIa, q. ii, a. 1) —

« Naturel » 

vient de « nature ». La nature est, en chaque être, son essence même en tant qu’elle est considérée comme le principe premier des opérations et des passions qui lui appartiennent en propre. Aussi peut-on parler analogiquement de la nature divine, de la nature angélique, de la nature humaine. Le naturel est donc, en chaque être, « ce qui lui convient selon sa nature ». S. Thomas, Sum. theol., Ia-IIæ, q. x, a. 1.

Pour préciser l’extension de cette notion du naturel, il convient de considérer la nature sous ses différents aspects d’activité et de passivité. En premier lieu, dans les éléments spécifiques qui la constituent et forment le principe même d’activité ; sous cet aspect, la nature se confond avec l’essence même de l’être : ainsi il est naturel à l’homme d’être composé d’âme et de corps. En deuxième lieu, dans les principes immédiats de son activité propre, puissances ou facultés émanées de l’essence et dans les actes mêmes par lesquels opèrent ces puissances : ainsi il est naturel à l’homme d’avoir une intelligence, une volonté, une sensibilité, un organisme vital et, par voie de conséquence, il lui est naturel de comprendre et de raisonner, de désirer et de vouloir, d’éprouver des attraits et des répulsions, de s’assimiler les aliments et de se fortifier. Mais, en troisième lieu, en la nature se révèlent aussi des principes immédiats de sa passivité par lesquels les agents extérieurs peuvent l’atteindre et la modifier ; déjà toute sensibilité sous ce rapport lui est naturelle, mais particulièrement la souffrance, la maladie, la dégénérescence, la vieillesse, la mort. En quatrième lieu, la nature manifeste des exigences de son activité propre par rapport aux concours extérieurs nécessaires à son action, et spécialement par rapport à Dieu : la lumière est la condition naturelle pour que l’œil voie ; le concours divin est indispensable à l’activité humaine pour passer de la puissance à l’acte, et c’est en ce sens qu’on peut parler du concours naturel. Enfin, la nature humaine pouvant être considérée dans la personne qu’elle constitue, l’activité d’une telle personne responsable de ses actes appelle une rétribution naturellement due, récompense pour le bien, punition pour le mal.

Ainsi l’on peut conclure que le naturel est, pour chaque être, ce qui lui est proportionné, ce qui est déterminé par les exigences de sa nature.

2. Notion du surnaturel.

Le surnaturel est, pour chaque être créé, ce qui excède la proportion de sa nature et qui, par conséquent, lorsqu’il vient perfectionner celle-ci, est un bienfait gratuit de Dieu. Et le surnaturel existe pour la nature humaine sous tous les aspects où nous avons considéré le naturel. La nature peut être perfectionnée par lui dans ses éléments essentiels : la grâce sanctifiante est ainsi un habitus perfectionnant la substance de l’âme ;
— dans ses puissances actives et passives et leurs actes, les opérations de ses puissances étant élevées à l’ordre surnaturel tout d’abord par les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit, ensuite par la grâce ;
— dans le concours que lui prête Dieu pour l’aider à opérer surnaturellement ;
— enfin dans son mérite qui, par la grâce et l’acceptation divines, est élevé à un ordre supérieur aux exigences de la justice naturelle.

On aurait tort d’ailleurs de concevoir le surnaturel comme s’opposant au naturel. Entre le surnaturel et le naturel, il ne saurait y avoir de disconvenance ou d’incompatibilité, sans quoi le surnaturel devrait être dit contrenaturel. D’autre part, on ne saurait dire que le surnaturel est indifférent à la nature : s’il est exact, comme on l’a dit plus haut, d’affirmer qu’aucune exigence soit des principes essentiels, soit des principes d’opération de la nature, n’existe par rapport au surnaturel, il n’en faut pas moins affirmer un rapport de convenance entre la nature et le surnaturel. La nature est, en raison de la puissance obédientielle qu’elle présente à l’action divine, puissance perfectible par le surnaturel. La grâce ne s’oppose pas à la nature ; elle ne la détruit pas ; elle la présuppose au contraire pour l’élever à un ordre supérieur répondant plus parfaitement à ses aspirations vitales. Voir plus loin, col. 2854.

En bref, il faut donc définir le surnaturel : ce qui, par rapport à la nature, dépasse ses éléments essentiels, ses activités et passivités naturelles, ses exigences, son mérite naturel, mais non point sa capacité obédientielle et perfectible.

Quelques confusions à éviter.

1. Sur l’expression : « naturel ».

Sous la plume de certains théologiens scolastiques, naturel est synonyme d’originel et exprime tout ce qui se rattache à notre origine. Aussi la justice originelle est-elle parfois appelée justice naturelle, voir Justice originelle, t. viii, col. 2035, et les dons de la justice originelle, les dons naturels. C’est en ce sens que l’axiome célèbre : vulneratus in naturalibus, spoliatus gratuitis s’entend de la blessure faite dans la nature par la perte des dons préternaturels et du dépouillement subi par la nature par rapport au don surnaturel de la grâce.

2. Sur l’expression : « non naturel ».

« Non naturel » 

est la contradictoire de naturel ; « surnaturel » en est un contraire. On devra donc éviter de confondre contraire et contradictoire, ce dernier ayant ici une compréhension beaucoup plus considérable. N’est pas naturel tout ce dont le principe d’existence est en dehors de la nature : ainsi l’artificiel, dont le principe est dans l’imagination du constructeur ; le contrenaturel ou violent, dont le principe contredit l’inclination de la nature ; ainsi le fortuit ou accidentel, qui se produit en dehors des lois naturelles par suite d’une intervention inattendue et souvent aveugle. Le libre s’oppose aussi au naturel dans la volonté ; le mouvement naturel est le mouvement instinctif et indélibéré de la volonté vers le bien in communi ; le mouvement libre est commandé par la réflexion de l’intelligence et consécutivement de la volonté : on a ainsi le mouvement naturel et le mouvement libre.


II. Divisions.

Surnaturel substantiel et surnaturel participé.

Le surnaturel substantiel est tel par lui-même, indépendamment de toute élévation à un ordre supérieur. On voit par là qu’il ne peut convenir qu’à Dieu seul. C’est donc Dieu lui-même considéré soit dans la vie intime de sa déité, unité de nature et trinité de personnes ; soit dans la communication de l’être personnel du Verbe à la nature humaine dans l’union hypostatique ; soit dans son essence jouant le rôle de forme intelligible pour les intelligences glorifiées élevées à la vision béatifique. Ce surnaturel substantiel est également appelé surnaturel incréé, absolu, par essence, de telle sorte qu’il apparaît évidemment comme dépassant l’ordre de toute nature créée ou créable.

Le surnaturel participé est celui qui élève une nature créée à une certaine participation de l’opération ou de la puissance divine. Il n’a donc pas sa raison d’être en lui-même ; il l’a uniquement en raison d’une certaine participation qui lui est communiquée par Dieu de sa propre nature ou de sa propre puissance : divinæ naturæ consortes. II Petr., i, 4. On l’appelle encore surnaturel créé ou accidentel.

Surnaturel proprement dit ou absolu (simpliciter) et surnaturel par comparaison ou relatif (secundum quid).

Cette distinction est une subdivision du surnaturel participé ou créé. Le surnaturel proprement dit, que nous avons appelé absolu, est celui qui marque l’élévation d’une nature créée à un ordre de vie ou d’activité absolument supérieur à l’ordre de toute nature créée ou créable. Ainsi, la vie de la grâce sanctifiante, la puissance des miracles, la prophétie, certains charismes de la primitive Église (par exemple, le don des langues). Le surnaturel par approximation, que nous avons appelé relatif, est celui qui marque l’élévation d’une nature créée à un ordre de vie ou d’activité supérieur à telle nature particulière : c’est donc par rapport à cette nature déterminée qu’il mérite la qualification de surnaturel. Ce qui est naturel à l’ange devient, relativement à l’homme, quelque chose de surnaturel ; l’intelligence, naturelle à l’homme, serait une faculté surnaturelle relativement à l’animal. C’est à ce surnaturel relatif qu’il faut rattacher le

« préternaturel », par exemple, les dons de la justice

originelle : immortalité conditionnelle du corps, intégrité, impassibilité ; par exemple encore, le merveilleux diabolique.

Surnaturel intrinsèque et surnaturel extrinsèque.

C’est là une subdivision du surnaturel proprement dit ou absolu. Pour bien la comprendre il ne sera pas inutile de l’exposer d’après les considérations proposées par Jean de Saint-Thomas.

Le surnaturel peut convenir à une chose en vertu d’un triple principe : de sa cause efficiente, finale, ou formelle. La cause matérielle doit être éliminée, car elle ne peut que fournir le sujet dans lequel sont reçues les formes surnaturelles : ce sujet, c’est l’âme et ses puissances…

Du côté de sa cause efficiente, une réalité est dite surnaturelle quand elle est produite d’une manière surnaturelle, même si elle est naturelle en elle-même. Ainsi la résurrection d’un mort ou l’illumination d’un aveugle sont surnaturelles en raison de la manière dont elles sont produites, bien qu’en soi la vie humaine et la puissance visuelle soient des réalités d’ordre naturel.

Du côté de sa cause finale, est surnaturel tout ce qui est ordonné vers une fin surnaturelle par un principe qui lui est extrinsèque : ainsi les actes de tempérance ou de toute autre vertu acquise, en tant qu’ils sont ordonnés par la charité au mérite de la vie éternelle, reçoivent de là le mode surnaturel d’une telle ordination à une telle fin. De même l’humanité du Christ acquiert un mode surnaturel d’union au Verbe, auquel elle est ordonnée comme au terme de l’union.

Du côté de sa cause formelle est dit surnaturel tout hubitus ou tout acte qui, en vertu même de la raison formelle qui les spécifie, sont rapportés à un objet surnaturel. C’est là le surnaturel quant à la substance et non plus seulement quant au mode. Jean de Saint-Thomas, De gratia, disp. XX, a. 1, sol., arg. 4. Cf. Suarez. De gratia, l. II. c. iv ; Salmanticenses, De gratia, tr. XIV, aisp. III, dub. iii. n. 21.

1. Dans le surnaturel créé existant en raison de la cause formelle, nous pouvons ranger : dans l’intelligence des élus, la lumière de gloire ; dans l’âme des justes encore voyageurs, la grâce actuelle et habituelle, les vertus infuses, les dons du Saint-Esprit. On peut ajouter l’efficacité sacramentelle, la connaissance par la foi des mystères proprement dits. C’est là le surnaturel quoad subtlantiam, qu’il ne faut pas confondre avec le surnaturel substantiel incréé. On pourrait ici encore distinguer derechef entre surnaturel ordinaire (vie de la grâce et des vertus) et surnaturel extraordinaire (exercice supérieur de ces vertus et des dons du Saint-Esprit). Cf. S. Thomas, IIa-IIæ, q. xlv, a. 5 et Ia-IIæ, q. iii, a. 4, ad 4um.

2. Dans le surnaturel créé existant en raison de la cause finale vers laquelle un principe extrinsèque les dirige, nous rangeons les actes des vertus naturelles, en tant qu’ils sont commandés par la charité et par elle ordonnés à la fin surnaturelle de la vision bienheureuse.

3. Dans le surnaturel créé existant en raison de la cause efficiente, nous ferons rentrer les miracles et les prophéties ainsi que les autres miracles d’ordre moral qu’on a coutume d’apporter en faveur de la démonstration chrétienne (connaissances miraculeuses, charismes de toutes sortes, etc.).

Ces deux dernières spécifications du surnaturel constituent le surnaturel quoad modum.

On peut ainsi établir le tableau schématique suivant (quelque peu différent de celui que propose R. Garrigou-Lagrange, De revelatione, t. i, p. 205) :


Surnaturel (ce qui dépasse la nature) :
I. Substantiel (incréé, absolu) : Dieu en lui-même ou dans son rapport, personnel ou essentiel, avec la créature.
II. Accidentel (créé, participé), divinæ naturæ consortes.
Simpliciter (absolu, proprement dit).
1. Quoad substantiam (influence de la cause formelle) : grâce, vertus infuses, sacrements, mystères proprement dits.
2. Quoad modum (influence des causes extrinsèques) :
a) Cause finale : actes naturels commandés par la charité.
b) Cause efficiente : miracles, prophéties (voir ces mots pour les subdivisions).
Secundum quid (relatif ou par comparaison préternaturel).

Conclusion : ordre surnaturel et ordre naturel.

La distinction entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel découle de ce qui vient d’être dit. Les documents du magistère ont à maintes reprises inculqué cette distinction contre Baïus, prop. 34, cf. 36-38, Denz.-Bannw., n. 1034, 1036, 1038 ; contre P. Quesnel, prop. 39, 41, n. 1389, 1391 ; contre le synode janséniste de Pistoie, prop. 23. n. 1523 ; contre Rosmini, prop. 36, 38, n. 1926, 1928. On peut aussi rattacher à ce point de vue, dans l’ordre de la connaissance, la distinction entre l’ordre de la foi (surnaturel), et celui de la raison (naturel). Voir ici Raison, t. xiii, col. 1648.

1. L’ordre naturel est la disposition des différentes natures créées, en tant qu’elles viennent de Dieu comme de leur cause productrice et sont ordonnées vers Dieu, comme vers leur cause finale, sans que l’action de Dieu ajoute quoi que ce soit aux strictes exigences de ces natures. Pour l’homme, l’ordre naturel nous montre Dieu son auteur, cause première de son existence et créateur de son âme raisonnable au moment même de la première animation du corps ; il nous montre également Dieu, sa fin dernière non pas en tant que possédé par l’homme dans la vision béatifique, mais en tant que connu aussi parfaitement qu’il est possible à la raison par son exercice. En suite de cette disposition fondamentale, l’homme doit se diriger lui-même vers sa fin suprême, à l’aide des seules ressources de sa nature et de ses facultés, ses actes étant toutefois soutenus par la notion divine nécessaire et sa persévérance, assurée d’une manière au moins suffisante, grâce aux secours d’ordre naturel que Dieu devrait accorder à l’homme constitué dans l’état de nature pure. Les moyens dont l’homme dans l’ordre naturel dispose pour attendre sa fin sont objectivement les choses naturellement connaissables, subjectivement la lumière de sa raison et l’exercice de toutes ses facultés, principalement de l’intelligence et de la volonté, sous l’influence du concours naturel de Dieu. Enfin la loi de cet ordre est la loi naturelle, inscrite au cœur de tous ; en suivant les prescriptions de cette loi, l’homme acquiert un mérite naturel qui appelle, comme sanction, une récompense naturelle.

2. L’ordre surnaturel est la disposition de tout ce qui, dans les natures créées, dépasse la proportion de ces natures à Dieu, principe et fin de ces perfections surajoutées. Mais ici revient la distinction fortement soulignée plus haut de l’ordre surnaturel quant à sa substance, et de l’ordre surnaturel quant au mode de production de ses effets.

L’ordre surnaturel quoad substantiam est la disposition de toutes les réalités formellement surnaturelles : c’est l’ordre de la vérité et de la vie surnaturelle de la grâce et de la gloire. Dans cet ordre, l’homme a sa fin dernière dans la possession de Dieu, dans la vision intuitive et l’amour béatifiant. Dieu est cause première dans l’ordre de la grâce et de la gloire ; l’homme est cause seconde, grâce à l’élévation de son âme par la grâce sanctifiante, les vertus infuses et les dons du Saint-Esprit. Les moyens objectifs donnés à l’homme pour atteindre sa fin suprême sont la révélation extérieure proposée par l’Église, les sacrements et tous les moyens extérieurs surnaturels utiles au salut ; les moyens subjectifs sont la lumière intérieure de la foi et l’exercice des vertus surnaturelles sous l’influence surnaturelle de la grâce actuelle. La loi de cet ordre est l’ensemble des préceptes positifs de Dieu dont l’accomplissement prépare l’obtention de la fin surnaturelle.

Ainsi Dieu peut et doit être considéré sous un double aspect : comme auteur et fin de l’ordre naturel, comme auteur et fin de l’ordre surnaturel. Sous le premier aspect, il peut être connu par la raison naturelle et la philosophie et il est atteint sous la raison commune d’Être suprême, de Premier moteur, de Cause première, d’Être nécessaire et premier, ordonnateur de tout l’univers. Sous le second aspect, il ne peut être connu que par la révélation et la foi et il est atteint sous la raison intime de sa déité : c’est notre Père, le Dieu du salut, notre refuge et notre force, etc. Quelle différence entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, entre le Dieu des philosophes et le Dieu des chrétiens ! Cf. Garrigou-Lagrange, 'op. cit., p. 211-212.

III. Rapport avec l’ordre naturel.

On a dit plus haut, col. 2851, que le surnaturel ne s’oppose pas au naturel, mais qu’il le complète et le perfectionne, sans cependant qu’il soit exigé par lui. C’est la doctrine proposée par l’Église, d’une manière expresse dans la définition des rapports de la raison et de la foi. voir Raison, t. xiii, col. 1648, d’une manière plus générale dans la réprobation, par Pie X, de l’immanentisme moderniste :

« Les modernistes, revenant à la doctrine de l’immanence, s’efforcent de persuader à l’homme (non-croyant) qu’en lui, dans les profondeurs mêmes de sa nature et de sa vie, se cachent l’exigence et le désir d’une religion, non point d’une religion quelconque, mais de cette religion spécifique qui est le catholicisme, absolument postulée, disent-ils, par le plein épanouissement de la vie. Ici, nous ne pouvons Nous empêcher de déplorer une fois encore et très vivement qu’il se rencontre des catholiques qui, répudiant l’immanence comme doctrine, l’emploient néanmoins comme méthode d’apologétique ; paraissant admettre dans la nature humaine, au regard de l’ordre surnaturel, non seulement une capacité et une convenance — choses que, de tout temps, les apologistes catholiques ont eu soin de mettre en relief — mais une vraie et rigoureuse exigence. » Denz.-Bannw. , n. 2103 ; tr. fr. Actes de Pie X, t. iii, p. 145.

Dans cette phrase de l’encyclique se trouve résumée la doctrine catholique des rapports de l’ordre naturel à l’ordre surnaturel. Nous n’avons pas l’intention de les exposer longuement, mais simplement de rappeler les principes généraux de la solution du problème.

1° En premier lieu, ces rapports ne sauraient être considérés in abstracto, comme si l’ordre naturel était un plan inférieur, l’ordre surnaturel un plan supérieur, sur lesquels l’activité humaine pourrait s’exercer séparément. Dans l’état présent de nature déchue et réparée, la raison humaine ne saurait être isolée de la révélation, la nature de la surnature. Le « péché philosophique », voir t. xii, col. 155 sq., est peut-être, en partie du moins, un produit de cette dissociation, col. 266, bien que le fait de l’appel de l’homme à une fin naturelle n’en soit pas l’unique raison, col. 272. La distinction théologiquement vraie de la fin naturelle et de la fin surnaturelle, voir S. Thomas, Ia, q. xxiii, a. 1 et De veritate, q. xiv, a. 2 et ici t. v, col. 2485, n’empêche pas qu’en fait la fin naturelle ne saurait plus être dissociée de la fin surnaturelle. Ibid., col. 2486. L’humanité déchue, mais réparée par et dans le Christ ne peut plus avoir d’autre fin que la vision intuitive et la possession béatifiante de Dieu lui-même. Les petits enfants eux-mêmes, morts sans baptême, n’atteignent pas une fin naturelle ; ils demeurent, par suite du péché originel, en dehors de la seule fin à laquelle ils étaient appelés. Dieu appelle tous les hommes à la fin surnaturelle : c’est sa volonté salvifique universelle dont personne n’est exclu. Voir Infidèles (Salut des), t. vii, col. 1727.

Psychologiquement d’ailleurs, une séparation de l’ordre naturel et de l’ordre surnaturel est inconcevable : la nature humaine ou angélique, avec l’âme ou l’esprit et les facultés intellectuelles qui émanent de cette nature, forment le sujet dans lequel s’insèrent les éléments de la vie surnaturelle : grâce, vertus infuses et dons, actes correspondants à ces principes surnaturels. Or, ces principes ne constituent pas, à eux seuls, un principe quod, c’est-à-dire un sujet surnaturel d’activité. Le principe complet de la vie surnaturel, c’est la nature elle-même, mais surélevée par les habitus surnaturels infus par Dieu en elle. Il n’y a pas en l’homme une âme appartenant à l’ordre de la nature et une âme appartenant à l’ordre de la surnature : c’est l’âme, par elle-même appartenant à l’ordre naturel, qui devient par l’infusion de la grâce et des vertus — principes quibus — le principe quod, le sujet agissant, dans l’ordre de la vie surnaturelle.

On ne devra jamais oublier ce principe en parlant, in concreto, des rapports du naturel et du surnaturel.

2° Le surnaturel étant ainsi conçu, et quant à la fin dernière, et quant au sujet qui tend vers cette fin, comme le complément du naturel, on comprendra immédiatement que, tout au moins chez les créatures intelligentes, appelées en fait par Dieu à vivre d’une vie relevant de l’ordre surnaturel, il y ait comme trois rapprochements à établir entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel.

1. Un rapprochement de capacité.

C’est le mot dont se sert Pie X et c’est ce que les théologiens ont appelé, dans la créature raisonnable, la puissance obédientielle par rapport à l’ordre surnaturel. Mais ici, puisque le surnaturel quoad modum peut s’appliquer même aux créatures sans raison — comme, par exemple, dans les miracles opérés sur ces créatures — la puissance obédientielle doit être prise dans sa plus large acception :

« Dans toute créature il y a une certaine puissance

obédientielle, en tant que la créature obéit à Dieu (aussi bien dans l’ordre de la nature que dans celui de la grâce) pour recevoir tout ce que Dieu voudra… C’est ainsi qu’en vertu de l’agent surnaturel peut être obtenu un effet auquel ne saurait atteindre la vertu d’un agent naturel. » S. Thomas, De virtutibus in communi, q. i, a. 10, ad 13um ; cf. Ia, q. cv, a. 6, ad 1um (pour la possibilité du miracle, voir ici ce mot, t. x, col. 1830, 1831) et IIIa, q. xi, a. 1 (pour l’existence d’une science infuse dans l’âme du Christ). Voir aussi De potentia, q. vi, a. 1, ad 18um.

Cette puissance obédientielle de l’ordre naturel à l’égard de l’ordre surnaturel n’est pas seulement une simple possibilité objective, c’est-à-dire la non-répugnance des deux ordres, mais c’est une réelle puissance subjective, relativement à l’action possible de Dieu dans la créature.

2. Un rapprochement de convenance.

Après avoir parlé de capacité, Pie X parle de convenance. Si le surnaturel doit perfectionner le naturel, il s’avère qu’un tel perfectionnement implique une réelle et positive convenance par rapport à l’ordre naturel. Avant la connaissance du surnaturel, il est difficile d’affirmer cette convenance ; mais, une fois le surnaturel dévoilé à notre intelligence par la révélation, l’homme qui réfléchit ne peut s’empêcher de constater la haute convenance de l’ordre surnaturel :

« Si elle considère la révélation dans son contenu, la raison est obligée de reconnaître qu’elle y trouve une solution apaisante des problèmes de la souffrance, de la mort, des rapports de l’homme avec Dieu. Si elle considère les énergies spirituelles du christianisme, elle doit avouer qu’elles sont capables de combattre et de faire reculer le règne du péché. Si elle considère les moyens de diffusion et de conservation des vérités nécessaires à la vie, elle doit reconnaître que l’Église catholique, et l’Église catholique seule, en possède de pratiques et d’efficaces, capables de donner une solution satisfaisante au problème du doute. » L. Sullerot, Le problème de la vie devant la raison et devant le catholicisme, Marseille, 1928, p. 152-153.

C’est ainsi qu’une fois connu par la révélation — mais on ne saurait trop insister sur la nécessité de cette connaissance préalable — l’ordre surnaturel apparaît à notre intelligence comme empreint d’une souveraine convenance par rapport à notre nature. Haute convenance du mystère de la Sainte Trinité qui nous montre la vie intime de Dieu dans le Verbe et l’Amour ; haute convenance du mystère de l’incarnation et de la rédemption, d’une part montrant l’infinie bonté et l’infinie justice de Dieu, d’autre part projetant sur les origines et les destinées humaines des aperçus que la raison était incapable de découvrir. Comme on le notait tout à l’heure, on y trouve la solution apaisante des problèmes de la souffrance, de la mort et des rapports de l’homme avec Dieu. Convenance de l’Église, des sacrements, de la résurrection future, de l’au-delà et surtout de la récompense éternelle des bons — vision et possession divines — si pleinement conformes aux aspirations de notre intelligence et de notre salut. Nous ne faisons qu’esquisser les grandes lignes : l’analyse détaillée des éléments de l’ordre surnaturel ferait tout aussi parfaitement ressortir ce rapprochement de convenance.

3. Un rapprochement d’aspiration de la nature vers la surnature.

De toute évidence, il faut, comme le recommande Pie X, éviter à tout prix de parler d’exigence stricte. L’expérience religieuse, si parfaite soit-elle en une âme d’élite, ne saurait être qu’insuffisante, en droit comme en fait, pour permettre à l’homme d’atteindre l’ordre surnaturel et même de la connaître d’une connaissance claire et exacte. Voir Expérience religieuse, t. v, col. 1834 sq., et, en ce qui concerne la théorie moderniste, col. 1813-1847. Néanmoins l’expérience de la grâce, car l’existence d’un tel secours changerait la face du problème, révèle à l’âme qui s’y livre des aspirations vers des formes plus hautes et plus parfaites que celles d’une religion purement naturelle. Platon, dans le Banquet, 210 sq., ne s’extasiait-il pas sur « la destinée d’un mortel à qui il serait donné de contempler le beau sans mélange, dans sa pureté et sa simplicité, non pas revêtu de chairs ou de couleurs destinées à périr, à qui il serait donné de voir face à face, sous sa forme unique, la beauté divine ? »

Un certain nombre de philosophes chrétiens contemporains ont tenté d’ouvrir la voie à une démonstration du surnaturel par la voie de l’expérience religieuse et le sentiment de notre indigence en face des besoins de notre âme. Nous n’avons pas à entrer ici dans le détail de controverses qui ont trouvé leur écho en d’autres articles de ce dictionnaire. Nous nous bornerons simplement à rappeler quelques principes :

a) On ne saurait affirmer dans la nature une exigence véritable du surnaturel. Introduire dans la nature cette exigence, c’est enlever toute délimitation entre l’ordre surnaturel et l’ordre naturel. C’est tomber ou dans le naturalisme ou dans le fidéisme, et celui-ci ne vaut pas mieux que celui-là.

b) On doit admettre que l’expérience de notre nature déchue nous fait constater notre indigence en face de nos devoirs même simplement d’ordre naturel. C’est le procédé employé par saint Thomas dans la Ia-IIæ, q. cix, pour prouver la nécessité de la grâce.

c) On doit admettre que cette expérience de notre indigence nous permet d’induire l’existence d’un ordre transcendant. « Transcendant » ne signifie pas ici

« surnaturel », mais marque simplement un dépassement

de notre nature déchue. Qu’il soit permis de rappeler une vérité que nous avons déjà soulignée ailleurs, Ami du clergé, 1931, p. 330 et Leçons élémentaires de métaphysique chrétienne, Paris, 1938, p. 72 ; remarque reprise par M. Vériéle dans Le Surnaturel en nous et le péché originel, Paris, 1933, p. 196-197 :

On voudra bien observer que, dans l’état présent de la nature déchue par le péché originel, on peut, en un certain sens, parler d’une exigence immanente à l’homme, par rapport à l’ordre surnaturel. Il convient, en effet, de se souvenir que, dans l’état de nature déchue (c’est-à-dire la nature qui aurait pu être créée par Dieu sans élévation à l’ordre surnaturel), la nature humaine ne se suffisait pas à elle-même, ni dans l’ordre de la connaissance, ni dans celui de l’action. L’homme aurait eu besoin, en cet état (qui d’ailleurs n’a jamais existé), de secours divins d’ordre naturel pour corriger les défauts, les tendances mauvaises de la nature. Or, dans l’ordre surnaturel présent, les secours exigés par la pure nature sont inclus dans la grâce, surnaturelle. Donc, nonobstant son caractère surnaturel et gratuit, l’ordre de la grâce contient encore, tout en le dépassant, quelque chose qui répond aux exigences strictes de la nature. Les théoriciens de l’apologétique de l’immanence pourraient trouver la une base théologique extrêmement solide pour justifier ce qui, dans la doctrine de l’immanence, peut être acceptable au regard de la foi.

d) Peut-on aller plus loin et admettre une aspiration expresse de la nature vers une fin surnaturelle ? Pour la nature déjà vivifiée par la grâce sanctifiante ou même simplement sollicitée par la grâce actuelle, aucun doute possible. L’âme, déjà vivifiée par la grâce, éprouve certainement un besoin positif du surnaturel. L’âme pécheresse, mais instruite de ses destinées surnaturelles, ne peut pas ne pas éprouver les mêmes aspirations vers un état qu’elle sait devoir être le sien. Quant à l’homme ignorant et encore païen,

Etant convié à une destinée surnaturelle, il faut bien que, concurremment à l’offre extérieure de la Révélation, ou à ce qui peut en être le succédané, il soit intérieurement travaillé par des grâces actuelles prévenantes, par des sollicitations surnaturelles ; autrement, il ne parviendrait jamais au salut, puisque l’initiative n’en saurait venir de lui ; et le salut pourtant lui est imposé. D’autre part, il faut bien qu’une fois ou l’autre ces mêmes grâces le dérangent dans le repos, dans l’indifférence tranquille et satisfaite, où il serait tenté de s’assoupir ; autrement, pareilles à des touches qui ne toucheraient rien, elles seraient comme n’étant pas, elles ne seraient pas.

Donc, en passant sur son âme, elles la soulèvent, elles l’agitent, elles la creusent, empêchant qu’elle soit jamais légitimement étale. Et ce doit être le principe d’un trouble profond, d’une inadéquation et, pour employer déjà le mot de saint Augustin et de Malebranche, d’une inquiétude, équivoque sans doute en ses manifestations, mais qui, même étouffée, témoigne d’un besoin ; sans pouvoir en prendre par elle-même une conscience nette, l’âme aspire au surnaturel. Auguste Valensin, Immanence (Méthode d’) dans Dictionn. apol., t. ii, col. 587-588.

Et l’auteur qu’on vient de citer de conclure qu’ « il existe pour l’âme ignorante et païenne, celle qui n’est encore que conviée, un besoin (négatif) du surnaturel, créé par le vide d’une disposition qui, étant la marque d’un état perdu, le signe d’un rappel, l’effet d’une grâce prévenante et la condition d’une grâce habituelle, peut déjà s’appeler, dans un sens analogique, une grâce elle-même ». 'Ibid., col. 588.

Et nous ajouterons que, conditionné par la grâce, ce besoin du surnaturel peut très bien déjà, en certains cas du moins, présenter un aspect positif.

e) Mais le cas intéressant — plus théorique peut-être que pratique — concerne l’aspiration de l’âme, dépourvue de toute sollicitation divine et laissée à ses seules ressources naturelles. Cette âme peut-elle désirer le surnaturel ?

La question s’est posée entre théologiens surtout à propos du célèbre texte de saint Thomas, Ia-II{{ae}, q. iii, a. 8 :

L’intellect humain, quand il connaît dans son essence un effet créé et ne sait pourtant de Dieu qu’une chose, à savoir qu’il est, ne peut prétendre être élevé en perfection jusqu’à atteindre purement et simplement à la cause première ; il lui reste un désir naturel de chercher à connaître cette cause. Il n’est donc pas encore parfaitement heureux. En conséquence, pour la parfaite béatitude, il faut que l’intellect atteigne à l’essence même de la cause première.

Et ailleurs, saint Thomas déclare que ce désir demeurerait vain s’il n’était pas réalisé. Cf. Ia, q. xii, a. 1 ; Cont. Cent., l. III, c. l-liii ; De veritate, q. viii, a. 1 ; Comp. theol., c. civ, cvi.

Les différentes interprétations et explications de ce

« désir naturel du surnaturel » ont été données ici-même,

voir Appétit, t. i, col. 1692 sq. On trouvera un nouvel exposé de la question, et quant à la pensée personnelle de saint Thomas et quant à la solution à donner au problème lui-même, dans R. Garrigou-Lagrange, De revelatione, Rome, 1931, t. i, p. 388 sq., et plus récemment, Revue thomiste, 1933, p. 669 sq. et De Deo uno, Paris, 1938, p. 254-269 ; et dans Sertillanges, La béatitude, Paris, 1936, édit. de la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin, appendice ii, § 4, p. 303-315, corrigeant quelque peu l’interprétation antérieurement proposée dans Saint Thomas d’Aquin, Paris, 1910, l. IV, c. iv. Très récemment, le P. Pedro Descoqs dans Le Mystère de notre élévation surnatu relle, Paris, 1938, a refusé toute probabilité à la thèse d’une démonstration rationnelle de la possibilité de la vision béatifique, tandis que le P. Guy de Broglie s’était attaché à montrer la probabilité de la thèse contraire, Du caractère mystérieux de notre élévation surnaturelle, dans Nouvelle revue théologique, 1937, p. 337-376. Un échange de vue, parfois assez vif, a eu lieu, dans la même revue, entre les deux auteurs.

Garrigou-Lagrange, De revelatione, Rome, 1931, t. i, c. vi, p. 191-217 ; Palmieri, De ordine supernaturali et de lapsu angelorum, Prato, 1910, c. i ; Card. C. Mazzella, De Deo creante et elevante, Prato, 1908, n. 662 ; Pignataro, De Deo creatore, Rome, 1904, de angelis, p. 115 sq. ; Chr. Pesch, Prælectiones dogmaticæ, t. iii, 'de Deo creante et elevante, n. 163 sq. ; Hugon, Tractatus dogmatici, t. ii, Tractatus de gratia, proœmium et, en général, tous les manuels, soit à l’occasion de l’élévation des anges et de l’homme à l’état surnaturel, soit en guise d’introduction au traité de la grâce. On consultera tout particulièrement Billot, De virtutibus infusis, prolégomènes, sur le problème spécial des habitus naturels et surnaturels.

On devra recourir également aux grands commentateurs de saint Thomas (Ia, q. xii : le surnaturel ordonné à la vision béatifique), et à quelques traités spéciaux : Ripalda, De ente supernaturali', l. I ; Scheeben, Natur und Gnade, Mayence, 1861 ; Schrader, De triplici ordine, natundi, præternaturali, supernaturali, Vienne, 1864 ; Bainvel, Nature et Surnaturel, Paris, 1905 ; P. Ehrardt, Le surnaturel, Avignon, 1930, et d’excellentes études du P. Mercier, O. P., Le surnaturel, parues dans la Revue thomiste, 1902 sq.

En ce qui concerne les applications récentes aux problèmes théologiques soulevés par l’apologétique de l’immanence, outre les ouvrages cités au cours de l’article, voir ici même Expérience religieuse ; Réalisme (col. 18811889) ; dans le Dictionn. apol., l’art. Immanence (Méthode d’), d’Aug. Valensin, t. ii, col. 579-593 et de J. de Tonquédec, col. 593-611. Ce dernier article n’est d’ailleurs qu’un extrait du livre Immanence du même auteur, Paris, 1913 (nouvelle édition, 1933).

A. Michel.


SUSO (Le bienheureux Henri), dominicain, écrivain mystique (xive siècle).

I. Vie.

Suso est la transcription latine sous laquelle Surius a fait connaître le frère prêcheur Henri Seuse. Né à Constance vers 1295, Suso était entré dès l’âge de treize ans, comme novice, au couvent des dominicains de cette ville. Ainsi qu’il le déclare lui-même, il ne paraît pas, au début de sa vie religieuse, avoir fait de grands progrès, mais, vers sa dix-huitième année, s’opère en lui une véritable conversion. Son zèle pour la perfection se marque d’abord par un ascétisme plus ou moins prudent ; il sévit très durement contre son corps jusqu’au moment où, vers la quarantaine, Dieu lui fait comprendre qu’il est d’autres moyens que la mortification volontaire pour arriver à la parfaite maîtrise de soi et que l’acceptation résignée des épreuves envoyées par la Providence est de plus de prix que les souffrances les plus raffinées que l’on s’inflige de son propre gré. Si l’autobiographie du serviteur de Dieu nous renseigne assez bien sur les voies par lesquelles il s’éleva à la perfection, sur les étapes mêmes de ses progrès, elle est loin de satisfaire toute notre curiosité en ce qui concerne les circonstances extérieures d’une vie qui paraît avoir été passablement traversée. Sur ces données chronologiques, voir K. Bihlmeyer, dans Hist.- pol. Blätler, t. cxxx, 1902, p. 46-58, 106-117, et dans Hist. Jahrbuch, t. xxv, 1904, p. 176-190. C’est à Constance que Suso a dû commencer ses premières études ; il les a peut-être continuées au studium générale de Strasbourg. En 1324 ou 1325 il a été envoyé, pour se perfectionner en théologie, au studium de Cologne où il a dû encore connaître Maître Eckhardt ; la façon dont il parle de celui-ci, la vénération qu’il lui a vouée ne s’expliqueraient pas sans un contact personnel avec le célèbre mystique. S’il a eu Eckhardt pour maître, il a dû avoir aussi Tauler pour condisciple. En tout cas la dépendance commune de Suso et de Tauler par rapport au maître commun explique au mieux leur parenté. Autant qu’on le puisse conjecturer, Suso revint vers 1329 à Constance, où il enseigna quelque temps la théologie à ses frères, en attendant de devenir prieur du couvent. C’est à cette date, de 1329 à 1336, qu’il aura composé ses deux ouvrages principaux : le Livre de la Sagesse éternelle et le Livre de la Vérité. En ce dernier il prenait plus ou moins ouvertement la défense d’Eckhardt, condamné en 1329. Comme il est question, dans l’autobiographie, de poursuites intentées à Suso à cause de ses idées, comme l’on sait, par ailleurs, qu’au chapitre provincial de Bruges de 1336 un prieur de Constance fut déposé, on en a conclu que ce prieur était Suso. Déchargé de ses fonctions, Suso serait resté dans le même couvent ; c’est à ce moment qu’il aurait surtout prêché, exerçant dans toute la région alémanique un apostolat qui s’adressait tant aux laïques qu’aux religieuses, surtout dominicaines, fort nombreuses en ces parages. Bon nombre de ces couvents n’étaient pas astreints à la clôture et cette circonstance explique un certain nombre des rencontres que fit Suso dans cet apostolat et qui lui permirent une action très continue sur certaines âmes.

En 1339 le couvent des dominicains de Constance, n’ayant pas voulu obéir aux injonctions de Louis de Bavière en lutte avec Jean XXII, fut obligé de se disperser. Suso avec plusieurs de ses frères se transporta à Diessenhofen, en Thurgovie ; il serait devenu en 1343 prieur de cette maison. En 1346 les exilés rentrèrent à Constance ; mais pour des raisons qui ne sont pas bien expliquées, Suso sera obligé, en 1348, de quitter une nouvelle fois Constance pour Ulm. C’est dans cette ville qu’il passa les dix-huit dernières années de sa vie ; c’est là qu’il mourut le 25 janvier 1366. Le culte qui lui était rendu de temps immémorial chez les frères prêcheurs a été approuvé par le pape Grégoire XVI en 1831 et sa fête fixée au 2 mars pour l’ordre dominicain.

II. Écrits et doctrines.

L’œuvre littéraire de Suso n’est pas fort considérable. Lui-même aux dernières années de sa vie, vers 1362, avait pris soin, pour éviter de fausses attributions, de fausses lectures, de fausses interprétations, de réunir ses œuvres antérieures dans un ms. unique, l’Exemplar, qu’il fit précéder de son autobiographie. C’est donc à l’Exemplaire, rédigé en dialecte alémanique, qu’il faut toujours se reporter pour une étude scientifique de Suso. En voici le contenu :

La vie.

Elle a pour base la rédaction qu’une fille spirituelle de Suso, Elisabeth Staglin, dominicaine du couvent de Toss, avait faite des confidences personnelles de son directeur. Pour faire entendre à sa dirigée les voies de la perfection, Suso n’avait pas craint de lui confier les moyens qu’il avait employés lui-même, les mortifications qu’il s’était imposées, les grâces qu’il avait reçues, les obstacles qu’il avait rencontrés, la façon dont il en avait triomphé. La pieuse fille avait recueilli tout cela par écrit. D’abord très fâché de la chose — il s’était fait livrer une partie du manuscrit et l’avait brûlé — Suso jugea plus tard que le récit de ses expériences personnelles pouvait être utile à d’autres âmes ; il revit et retoucha lui-même le texte d’Elisabeth Staglin. Il y ajouta comme seconde partie un petit traité didactique de spiritualité exposant d’abord la voie que doivent suivre les commençants — quelques récits anecdotiques viennent encore ici rompre l’ordonnance de l’ensemble — tandis que les huit derniers chapitres (c. xlix-lvi) essaient, mais sans parvenir à une vraie rigueur de composition, d’analyser ce qu’est la vraie vie d’union à Dieu et de réfuter les fausses conceptions que s’en font certaines personnes. L’authenticité de la Vie a été attaquée ; des critiques modernes y ont voulu voir un simple roman