Dictionnaire de théologie catholique/VIGILE DE THAPSE

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 738-739).

VIGILE DE THAPSE, évêque de celle ville de Byzacène à la fin du Ve siècle. — De la vie de Vigile de Thapse, nous ne connaissons qu’un détail, c’est qu’il prit part, le Ie’février 484, ù la grande conférence des évêques catholiques convoquée à Cartbage par le roi arien Hunéric. À ce moment, il devait être évêque depuis peu de temps, car la Notitia provinciarum et civitatum Africse, établie à ce momentla, le cite le dernier parmi les 109 évêques de Byzacène. Deux écrivains du ix* 1 siècle, Théodulfe d’Orléans († 821) et Énée « le Paris († 878) citent un iiassage de son livre Contra Eulychianistas en remarquant que ici ouvrage a été composé à Constantinople. Théodulfe, /)’Spirilu Sancto, P. L., t. cv, col. 273 ; I I.iber adv. grsecos, P. L., t. cxxi, col. 717. l.a

chose est vraisemblable, mais « m voudrait savoir "ii les deux écrivains ont trouvé ce renseignement et s’ils n’ont pas confondu l’évêque africain Vigile avec I’- pape du même nom dont le séjour dans la ville Impériale < - attesté par ailleurs. En définitive. Vigile de Thapse ne nous est vraiment connu que par ses livres. Celles ci sont d’ailleurs nombreuses. 1° Contra Eulychelen, P. L., t. lxii, col. 95-154. —

Cet ouvrage attribué par les manuscrits à Vigile de Thapse comprend cinq livres. Les trois premiers sont consacrés à la réfutation de l’eutychianisme, mais ils combattent en même temps le nestorianisme et ils s’efforcent de prouver que l’orthodoxie catholique tient le juste milieu entre les deux erreurs opposées, celle de la dualité des personnes et celle de l’unité de nature dans le Christ. Les deux derniers livres qui portent des titres particuliers : Defensio epistolæ S. Leonis papæ ad Flavianum Conslantinopolitanum et : Defensio decreti synodi Chalcedonensis constituent une sorte d’appendice. Ils se donnent comme écrits à la demande des frères, pour répondre aux accusations d’un anonyme contre le tome de Léon et le décret de Chalcédoine ; mais leur appartenance à l’ouvrage est d’autant plus certaine qu’ils sont annoncés expressément au t. III, 13. L’occasion du Contra Eylycheten est un grand péril couru par la foi de nombreuses Églises orientales : l’évêque africain se sent obligé d’intervenir et il écrit volontairement dans une langue assez simple et assez dépouillée d’ornements pour qu’il ne soit pas nécessaire de traduire son écrit en grec. I, 15. Ce n’est pas à dire que la rhétorique soit complètement absente de l’ouvrage. Vigile se vante un peu lorsqu’il cherche à se faire passer pour plus ignorant qu’il ne l’est. La manière dont il se dit renseigné sur les événements d’Orient, comperimus,

I, 1, laisse entendre qu’il a écrit en Afrique, sans doute aux environs de 480, peut-être plus tard.

2° Contra arianos, sabellianos et photinianos dialogus, Athanasio, Ario, Pholino et Probo jadice interloculoribus, P. L., t. lxii, col. 179-238. — Cet ouvrage est mentionné dans le dernier livre contre Eutychès. Il lui est donc antérieur. Comme le titre l’indique, il a la forme d’un dialogue. Ce dialogue lui-même comporte trois livres : au 1. I er, Photin, Arius et Athanase commencent par combattre leur commun adversaire Sabellius ; puis Arius et Athanase luttent ensemble contre Photin, si bien que Sabellius et Photin se trouvent exclus du tournoi. Dans le t. II, la lutte est circonscrite entre Athanase et Arius. Dans le t. III, le juge Probus prononce sa sentence et donne le prix à Athanase qui a défendu l’orthodoxie. L’ouvrage est composé avec art et en même temps avec une réelle connaissance des problèmes soulevés.

Adversus Maribadum.

Dans le Dialogue, 11, 45,

Vigile s’exprime ainsi : In libro (/lient adversus Maribadum. nefandm hæreseos vestrw diaconum, edidimus, plenissimo constat expressum, de quo mine in hoc loco perpauca interseruimus. Maribadus peut être identifié avec la plus haute vraisemblance au diacre arien Marivadus dont parle Victor de Vite, Hist. persecut. a/ric. prov., i, 48, et qu’il présente comme entré très avant dans la confiance de Hunéric. Mais l’ouvrage dirigé contre lui est perdu. Au xvii<e siècle, Chilllet a proposé « l’identifier VAdversus Maribadum de Vigile à un Contra Varimadum arianum, édité en 1528 par Sichard, sous le nom de Idacius Clams Ilispanus, P. L., t. i.mi. col. 351-131. Cette identification ne saurait cire retenue : d’abord la citation que donne’igile de son ouvrage ne se retrouve pas dans le livre d’Idacius Clarus ; puis il est très vraisemblable que le livre en question a été composé par l’évêque Itacius Clarus d’OsSonuba an iv siècle.

4° Contra Palladium. Dans le même Dialogue,

II. 5fl, P. L., t. i.xii. col. 2.’ld, Vigile écrit : Contra quem (Ambrostum) Palladius Arianus… episcopus quædam credidit conscribenda eut uno fam respondi libella. Le libellas dont il esi ici question est également perdu. L’ouvrage édité par Chilllet sous le

titre de Contra Palladium arianum et sous le nom de Vigile ne saurait appartenir à notre auteur. Il contient, en effet, deux livres, dont le premier est consacré aux Actes du concile d’Aquilée de 381, dont le second n’est autre que le Liber de fide de Grégoire d’Elvire. Personne aujourd’hui ne l’attribue à l’évêque de Thapse.

5° De unilate substantiæ ( ?). - - Dans le Dialogue, II, 2, Vigile déclare : Licel jamdudum crebro æ swpius de unitale substanliæ cilra acta disputaverim measque disputaliones scriplo mandaverim, quibus a me in hac dispulatione aliquid addi amplius non possit, lamen quia hœc extrinsecus, nullo eminus ( ?) adversante, diclarant, necesse habeo hœc eadem repetere. Ces expressions peuvent viser le Contra Palladium et le Contra Maribadum ; elles peuvent également s’appliquer à d’autres ouvrages, inconnus d’ailleurs, de Vigile, dirigés contre les ariens et consacrés à- la défense du consubstantiel.

6° Contra Felicianum arianum de unilate Trinitatis, P. L., t. lxii, col. 333-352 ; t. xui, col. 11571172. — Cet apocryphe pseudo-augustinien porte, dans un ms. du xe siècle, le nom de Vigile. On l’a donc attribué parfois à Vigile de Thapse et cette attribution est des plus vraisemblables. Il n’est pas étonnant d’y retrouver saint Augustin comme l’un des interlocuteurs du dialogue, puisque nous avons déjà vu saint Athanase chargé de réfuter Arius.

7° Solutiones objectionum arianorum, P. L., t. lxii, col. 469-472. — Ce petit recueil insignifiant, qui, dans la tradition manuscrite est comme le complément des dialogues, n’a aucune chance d’appartenir à Vigile.

8° De Trinitate dialogi XII, P. L., t. lxii, col. 237334. — Conservés sous le nom d’Athanase ; ils n’ont été réunis qu’assez tard et ils proviennent de différents auteurs, parmi lesquels on n’a aucune raison sérieuse pour ranger Vigile. Les huit premiers pourraient être l’œuvre d’un luciférien espagnol de la fin du ive siècle ; les quatre derniers appartiendraient à un autre écrivain. Ces dialogues mériteraient d’ailleurs une étude plus approfondie et plus détaillée que celle dont ils ont été l’objet jusqu’à présent. G. Morin, Les sept livres De Trinitate du pseudo-Athanase et les sept livres dont parle Gennade dans sa notice sur Syagrius, dans Rev. bénéd., t. xix, 1902, p. 237-242, pense à un évêque espagnol des environs de 400, Syagrius, comme à l’auteur des sept (ou huit) premiers livres. P. Scheppens, Pour l’histoire du symbole Quicumque, dans Rev. d’hist. ecclés., 1936, p. 561 sq., attribue ces livres à Eusèbe de Verceil, d’autres ont pensé à Grégoire d’Elvire. Le problème attend encore une solution.

9° On a attribué, avec plus ou moins de vraisemblance, à Vigile des œuvres qui ne lui appartiennent certainement pas : la Collatio beati Augustini cum Pascentio ariano, P. L., t. xxxiii, col. 1156-1162 ; le Conflictus Arnobii cum Serapione œgyplo, qui est l’œuvre d’Arnobe le Jeune, P. L., t. lui, col. 239322 ; l’Altercatio Ecclesiæ et synagogee, P. L., t. xlii, col. 1131 ; le Liber contra Fulgentium donatistam, P. L., t. xliii, col. 763. Rappelons enfin la mention que fait Cassiodore, Instit. divin, litt., 9, P. L., t. lxx, col. 1122, d’un écrit développé sur les mille ans de l’Apocalypse, dû à un évêque africain du nom de Vigile. On pourrait penser à Vigile de Thapse comme à l’auteur possible de ce traité, mais le nom de Vigile était trop fréquent, en Afrique et à cette fin du ve siècle, pour qu’on puisse tirer une conclusion assurée.

La doctrine de Vigile de Thapse n’appelle pas de remarques spéciales. Il est naturel de le voir lutter surtout contre les ariens, qui, de son temps, sont les

maîtres de l’Afrique et s’efforcent de détourner les catholiques de la vraie foi. Il exprime la doctrine orthodoxe en formules claires, aux contours arrêtés, qui ont contribué à placer son nom parmi ceux des candidats possibles à la composition du symbole Quicumque : qui natura iinus est Deus, idem in personis 1res sunt, Pater et l’itius… et Spiritus sanctus. Si ilaque horum trium nomen commune requiras, Deus est… quoniam nutune nomen, quod Deus est, non privatum unicuique et peculiare, scd commune est. Et quod commune alque unum est, plura esse non potest. lit ideo Trinitas non pluraliter dii, sed unus dicitur Deus. Cont. arian, etc., III, 9, P. L., t. lxii, col. 239.

La défense du tome de saint Léon et du concile de Chaleédoine ne l’occupe pas moins que celle de l’orthodoxie trinitaire. On sait que les Africains ont toujours compté parmi les défenseurs les plus acharnés de ces documents qui leur paraissent indispensables pour exprimer la foi de l’Église. Vigile sait d’ailleurs toute l’importance de saint Cyrille d’Alexandrie et il se garde bien de suspecter ou de diminuer son autorité. Après avoir cité un certain nombre de témoins qui doivent apporter leur appui à la doctrine de saint Léon : Hilaire, Ambroise, Grégoire de Nazianze, Jean Chrysostome, Augustin, Basile, il revient avec joie et confiance à Cyrille et il montre à quel point sa pensée et ses expressions rejoignent la doctrine exposée à Chaleédoine. Bien que rédigé en latin, l’ouvrage contre Eutychès vise surtout les Orientaux, dont la foi est menacée par VHénotique de Zenon. C’est à leur usage qu’il importe de mettre en relief le parfait accord du concile et du patriarche d’Alexandrie. Vigile lui-même traduit ainsi la foi de l’Église : Nos unum Deum eundemque Filium Dei et hominis Filium non duos profltemur ; et ila Verbum inlra virginis uteri sécréta, carnis sibi initia consevisse, id est incarnalum fuisse, ut tamen Verbi natura non mularctur in carnem. Itemque carnis naturam ita per suscipientis commixtionem in Verbi transisse personam, ut non tamen fuerit in Verbo consumpta. Manet enim utraque, id est Verbi carnisque natura, et ex duabus hodieque manentibus unus est Christus unaque persona. Contra Eutych., i, 4, P. L., t. lxii, col. 97. Et plus loin : Unus est Christus, idem Deus idemque homo habens in verbis et gestis, unum quod humanilalis, aliud quod proprie divinitatis ejus naturse conveniat… Verbum Dei credimus descendisse de cselo sine carne, sine hominis appellatione, sic tamen ut non desereret cœlos : hoc Verbum virginali utero incarnalum, non in carne mutatum, hominis Filium faclum et appellatum. Ibid., II, 6-7, col. 107-108. Ces formules s’inspirent manifestement du tome de Léon : elles expriment au mieux la théologie de l’incarnation telle qu’on la traduisait en Occident.

Les œuvres de Vigile de Thapse et celles qu’il a cru pouvoir lui attribuer ont été réunies par P. Fr. Chifllet, Dijon, 1664 ; celui-ci s’est d’ailleurs contenté de reproduire des éditions antérieures, sauf pour les Solutiones objectionum arianorum. Une reproduction de l’édition de Chifïïet a été donnée dans la P. L., t. lxii, col. 93-044. L’étude fondamentale sur Vigile reste celle de B. Ficker, Sludien : u Vigilius non Thapsus, Leipzig, 1897.

G. Bardv.