Dictionnaire de théologie catholique/VULGATE

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 972-981).

VULGATE. — Ce nom désigne actuellement la version latine de la Bible officiellement en usage dans l’Église catholique.

Pendant les cinq premiers siècles, l’adjectif féminin Vulgata joint à un substantif (editio, Biblia), ou employé substantivement, désignait la version grecque des Septante, ou les anciennes traductions latines qui avaient été faites de cette version. Cet usage se perpétua dans les premiers siècles du Moyen Age, bien que la traduction de saint Jérôme se substituât peu à peu dans l’usage ecclésiastique aux anciennes versions, et c’est Roger Bacon qui fut l’un des premiers à donner le nom de Vulgate à la version hiéronymienne. Quand le concile de Trente adopta cette version comme texte latin officiel de la Bible, il la désigna sous le nom de vêtus vulgata latina, et le nom de Vulgate lui fut désormais réservé.
I. Histoire de la Vulgate.
II. Valeur critique et littéraire (col. 3481).
III. Valeur théologique (col. 3485).

I. Histoire de la Vulgate.

Les version latines antérieures à saint Jérôme.

On possède d’assez nombreux manuscrits des anciennes versions latines du Nouveau Testament. Pour les versions latines de l’Ancien Testament la documentation est beaucoup moins abondante. Mais les citations bibliques des Pères latins fournissent un complément précieux. Ces versions ont fait l’objet de nombreux travaux critiques : néanmoins l’unanimité est loin d’être réalisée sur les problèmes qu’elles posent.

1. Y a-t-il eu à l’origine une version latine unique, qui aurait fait ensuite l’objet de diverses recensions, par quoi s’expliqueraient les différences, parfois assez considérables, entre les témoins actuels du texte, ou y eut-il plusieurs traductions latines indépendantes du texte grec ? Les avis sont partagés, bien que les anciens Pères semblent plutôt supposer la multiplicité des traductions, saint Augustin en particulier qui écrivait : « Aux origines de la foi, le premier venu, s’il lui tombait entre les mains un texte grec et qu’il croyait avoir quelque connaissance de l’une et l’autre langue, se permettait de le traduire. » De doct. christ., ii, 11. Il est certain en tout cas que, quelle que soit l’origine des divergences entre les manuscrits latins de la Bible, ces divergences étaient nombreuses dès le ive siècle : Tot sunt exemplaria pene quoi codices, pouvait écrire saint Jérôme.

2. Lieu et date. — On n’est pas d’accord non plus sur le lieu et la date de la rédaction des premières versions latines de la Bible. Les citations bibliques qui figurent dans les œuvres de saint Cyprien, par leur nombre et leur caractère, supposent que l’évêque de Carthage possédait une traduction latine complète de la Bible. On en doit dire presque autant de Tertullien, de sorte qu’on ne peut guère douter de l’existence en Afrique de versions latines de la Bible dès le début du iiie siècle. A Rome, le grec resta jusqu’au IVe siècle la langue de la littérature ecclésiastique et de la liturgie. Mais, à côté des fidèles cultivés comprenant et parlant le grec, les communautés chrétiennes en comptaient beaucoup d’autres appartenant aux milieux populaires qui ne parlaient que latin : pour mettre à la portée de ceux-ci les textes scripturaires on dut en faire de bonne heure des traductions latines, en commençant sans doute par les évangiles et le reste du Nouveau Testament, puis en s’attaquant à l’Ancien Testament, d’après le grec des Septante. Cette origine explique le caractère général du latin de ces versions : latin populaire rempli d’incorrections linguistiques et grammaticales.

3. Importance de ces versions. — Ce n’est pas ici le lieu d’insister sur l’extrême intérêt que présentent les anciennes versions latines au point de vue de la critique textuelle de l’Ancien et du Nouveau Testament : elles représentent en effet, étant donné leur antiquité, un texte biblique antérieur à celui des plus anciens manuscrits grecs que nous possédons, et elles sont particulièrement précieuses pour l’étude de cette forme particulière du texte qu’on désigne sous le nom de texte occidental, car elles comptent parmi ses témoins les plus importants. On a pu classer en familles les anciens textes latins du Nouveau Testament, qu’on répartit en trois groupes : le groupe africain, que représentent les citations bibliques de Tertullien et de saint Cyprien, les textes européens qui furent en usage dans les anciennes églises d’Occident, et les textes italiens, mentionnés particulièrement par saint Augustin, qui parmi les autres versions latines recommande spécialement l'Itala, ainsi nommée sans doute parce qu’elle était en usage dans l’Italie du Nord, où Augustin avait dû la connaître pendant son séjour à Milan. Il y a de bonnes raisons de penser que c’est ce texte italique qui servit de base à la recension que saint Jérôme fit à Rome du Nouveau Testament latin.

Saint Jérôme et le Nouveau Testament.

1. Jérôme, né en Dalmatie vers 350, vint tout jeune à Rome, où il acquit une culture latine exceptionnelle. Un séjour en Orient lui permit de s’initier à la connaissance de l’hébreu, dans laquelle il devait se perfectionner plus tard. A Antioche, puis à Constantinople, où il fut le disciple de Grégoire de Nazianze, il prit contact avec la littérature théologique et exégétique de langue grecque. Revenu à Rome en 382, il y gagne par son savoir l’estime du pape Damase, qui, sentant les inconvénients de ne posséder aucun texte latin officiel de la Bible, lui demande d’entreprendre une édition latine des évangiles. La lettre par laquelle Jérôme, en 383, présenta au pape le résultat de son travail, en souligne les difficultés. Il s’agissait de d’après l’original grec le texte fautif des versions latines alors en usage, de « corriger ce qui a été mal publié par des traducteurs incompétents, ce qui a été corrigé plus méchamment par des présomptueux incapables, ou ce qui a été ajouté ou changé par des copistes somnolents ». Jérôme prévoit, non sans raison, qu’une telle , modifiant les textes auxquels on est habitué, sera mal accueillie. Aussi s’est-il décidé à ne faire que les corrections indispensables :

« Pour que nos évangiles ne soient pas trop différents

du texte latin reçu par habitude, nous avons mis la bride à notre plume, et, nous contentant de changer ce qui paraissait contraire au sens, nous avons laissé le reste tel quel. »

2. Jérôme a-t-il également les autres livres du Nouveau Testament : Actes des Apôtres, Épîtres et Apocalypse ? A se fier à ses propres déclarations, il semble qu’on n’en puisse douter : en 392, dans le De viris illustribus, n. 135, il affirme nettement : Novum Testamentum græcæ fidei reddidi, et, en 404, dans une lettre à Augustin, il parle de son emendatio Novi Testamenti. Néanmoins des doutes sur l’origine hiéronymienne de la Vulgate, en ce qui concerne les parties du Nouveau Testament autres que les évangiles, furent soulevées dès la Renaissance par certains humanistes. La question a été reprise par la critique moderne. Après Corssen (Epistula ad Galatas, Berlin, 1885) qui admet bien que Jérôme avait fait une révision des épîtres de saint Paul, mais estime que le texte de cette révision a disparu et n’est pas celui qui figure dans la Vulgate, dom de Bruyne (Étude sur les origines de notre texte latin de saint Paul, dans Rev. biblique, 1915), et le P. Cavallera (S. Jérôme et la Vulgate des Actes, des Épîtres et de l’Apocalypse, dans Bulletin de litt. ecclés., 1920) ont mis en doute que Jérôme, après les évangiles, ait également d’autres parties du Nouveau Testament. Leur principal argument est tiré du fait que, dans ses commentaires des épîtres aux Galates, aux Éphésiens, à Tite et à Philémon, qu’on date de 387, Jérôme adopte des leçons différentes de celles de la Vulgate, et que dans l'Adversus Jovinianum, publié en 392-393, ainsi que dans l’Adversus Pelagianos (en 415), il ignore ou même critique des leçons qui figurent dans la Vulgate. Le P. Lagrange, discutant la thèse du P. Cavallera, estime que l’argument perd beaucoup de sa portée, si l’on tient compte de la façon d’agir de Jérôme : celui-ci ne considérait pas comme définitif un travail tel que celui qu’il avait fait sur le texte latin du Nouveau Testament ; quand il écrivait ses commentaires ou ses livres de polémique théologique, il avait le texte grec sous les yeux, et ne devait pas craindre d’en donner une traduction directe, différente de celle qu’il avait adoptée dans son travail général de révision, afin de se rapprocher davantage de l’original. On peut d’ailleurs admettre — c’est l’hypothèse que propose le P. Lagrange — que la des épîtres de saint Paul n’aurait été entreprise que postérieurement au commentaire sur ces mêmes épîtres, donc après 387. Il faut reconnaître d’autre part que, dans cette du reste du Nouveau Testament après les évangiles, Jérôme retoucha beaucoup plus légèrement le texte des anciennes versions latines qu’il prenait pour base : ce texte d’ailleurs pouvait être moins défectueux que celui fourni par ces versions pour les évangiles, parce que la tendance harmonisante qui était pour une large part dans l’altération du texte évangélique — les traducteurs et les copistes ayant cédé à la tentation de rapprocher et d’assimiler les passages parallèles — n’était pas intervenue de la même façon pour les autres livres du Nouveau Testament. Pour l’Apocalypse en particulier, on s’accorde généralement à réduire à peu de chose le travail de de Jérôme. Sur toute cette controverse, cf. R. P. Lagrange, Introduction à l’étude du Nouveau Testament, Critique textuelle, Paris, 1935, p. 502 sq.

Saint Jérôme et l’Ancien Testament.

1. Revision du texte latin d’après les Septante. — En même temps que la révision du texte latin des évangiles, saint Jérôme avait entrepris — non, semble-t-il, sur la demande du pape Damase, comme on l’a cru longtemps, mais plutôt à la sollicitation des dames romaines dont il était le conseiller spirituel — la révision, d’après le grec des Septante, du texte latin des Psaumes alors en usage, lequel était, lui aussi, une traduction de la version alexandrine. L’opinion commune, d’après laquelle le résultat de cette revision, qui d’ailleurs fut, de l’avis même de Jérôme, rapide et sommaire, serait représenté par ce qu’on a appelé le psautier romain, qui, bien qu’usité en Italie pendant plusieurs siècles, n’a jamais trouvé place dans l’édition officielle de la Vulgate, a été battue en brèche par dom de Bruyne, Rev. bénéd., 1930, p. 101126, qui, sur le fond de sa thèse tout au moins, a entraîné l’adhésion à peu près générale de la critique. Cf. en particulier R. P. Lagrange, Rev. bibl., 1932, p. 179 sq. Ce psautier, version antérieure aux travaux de saint Jérôme, fut remplacé peu à peu, à partir du ix c siècle, dans l’usage liturgique, sauf pourtant à Rome, par une autre version, faite celle-là sûrement par Jérôme d’après les Septante, et connue sous le nom de psautier gallican en raison de l’usage qui en fut fait d’abord en Gaule. C’est le pape saint Pie V, qui substitua en 1568 cette seconde version hiéronymienne au psautier romain dans le Bréviaire romain. Ce nouveau travail de saint Jérôme n’était encore qu’une revision de l’ancienne version latine du Psautier d’après les Septante. Il est probable, d’ailleurs, qu’il ne se limita pas au psautier, mais s’étendit à l’ensemble des livres protocanoniques de l’Ancien Testament. Ce qui en fait le caractère particulier, c’est que cette fois saint Jérôme prit pour base la recension des Septante qui figurait dans les Hexaples d’Origène, auxquels il emprunta l’usage de signes : astérisques et obèles, par lesquels le grand docteur alexandrin avait indiqué les omissions ou additions faites à l’original par les traducteurs grecs. Il est possible aussi que saint Jérôme, dans cette revision, plus soignée que son premier travail sur l’Ancien Testament, ait utilisé dans une certaine mesure le texte hébreu. De ce travail de saint Jérôme il ne subsiste, avec le Psautier qui fut adopté pour la Vulgate officielle, que le livre de Job, dont le texte est reproduit dans P. L., t. xxix, col. 59-358.

2. Traduction du texte hébreu de l’Ancien Testament. C’est entre 387 et 390 probablement que saint Jérôme fit sur l’Ancien Testament latin ce travail de revision définitif. Il se trouvait alors à Bethléem, où il s’était fixé après avoir quitté Rome en 385 et entrepris un nouveau voyage d’études en Egypte et en Palestine. Il s’était employé aussitôt à perfectionner sa connaissance de l’hébreu en se mettant à l’école de maîtres juifs d’une particulière compétence, et se trouvait dès lors préparé à entreprendre une traduction latine directe du texte hébreu de l’Ancien Testament, qui lui était réclamée de toutes parts : les instances surtout des dames romaines Paula et Eustochium qui, parties de Borne avec lui, s’étaient aussi fixées : i Bethléem, le décidèrent enfin, et il commença en 390 ou 391 ce grand travail, qui devait durer une quinzaine d’années, avec une interruption de trois ; ms (398-401) due à une longue maladie. Les premiers livres qu’il traduisit furent les livres historiques : Samuel et les Bois, qu’il publia en taisanl précéder son travail du célèbre Prologiu galealux, qui explique ses intentions et défend contre de probables détrac leurs l’œuvre qu’il entreprenait, il termina en 405 par Esther, lubie, Judith, laissant en dehors de son travail la Sagesse ci l’Ecclésiastique, et peut-être les Machabées, ainsi que Baruch. Le bui que se proposait saint Jérôme était de donner a l’église latine un texte biblique conforme à la veritas hebraica, dont — il s’en était convaincu dans son précédent travail de revision — la version grecque des Septante, et à sa suite l’ancienne version latine, s’écartaient souvent, et de faciliter ainsi les discussions avec les Juifs, qui se retranchaient trop aisément derrière les désaccords entre le texte ecclésiastique, grec ou latin, et l’hébreu. Mais il se heurta à une vive opposition, due principalement à l’autorité dont jouissait la version des Septante dans l’Église chrétienne : son origine était entourée, dans la croyance populaire, de circonstances merveilleuses ; surtout, c’était la version — du moins le croyait-on — dont les apôtres et évangélistes s’étaient constamment servis et il semblait qu’elle participât à leur infaillibilité. Enfin quelquesuns craignaient peut-être que l’emploi par l’Église latine d’une version de la Bible différente de celle dont se servaient les Églises d’Orient créât de nouveaux malentendus entre l’Orient et l’Occident. Si bien que saint Augustin lui-même, qui avait accueilli très favorablement la revision hiéronymienne du Nouveau Testament, aurait voulu que, pour l’Ancien Testament, saint Jérôme se contentât également d’une revision d’après les Septante. Néanmoins la version latine de saint Jérôme d’après l’hébreu devait peu à peu triompher et, sauf pour les Psaumes, se substituer à l’ancienne version dans l’usage ecclésiastique.

La Vulgate depuis saint Jérôme.

L’histoire de la version hiéronymienne de la Bible, qui a fait l’objet de nombreux et savants travaux, particulièrement F. Kaulen, Geschichte der Vulgata, Mayence, 1868 ; S. Berger, Histoire de la Vulgate pendant les prepiers siècles du Moyen Age, Paris 1893, a été résumée avec beaucoup de précision par E. Mangenot dans l’article Vulgate du Dict. de la Bible, t. V, col. 24562500. On ne notera ici que les faits principaux.

1. La Vulgate jusqu’au concile de Trente. — Malgré sa supériorité, la version hiéronymienne ne s’imposa pas immédiatement. C’est en Gaule qu’elle pénétra d’abord le plus largement, tandis que l’Afrique devait rester plus longtemps fidèle à l’ancien texte latin. A Rome, au temps de saint Grégoire le Grand, et d’après le témoignage de ce pape, les deux versions étaient utilisées concurremment. On peut dire cependant que, deux siècles après sa composition, la version de saint Jérôme était répandue dans toute l’Église latine, et aux viie et viiie siècles les manuscrits s’en multipliaient, particulièrement en Espagne (d’où viennent le Tolelanus et le Cavensis, deux manuscrits du viiie siècle contenant l’Ancien et le Nouveau Testament), ainsi qu’en Irlande et Grande-Bretagne (le célèbre Codex Amialinus, écrit en 716, et contenant aussi toute la Bible, est un manuscrit northumbrien, copié d’ailleurs sur un manuscrit italien). Mais l’emploi qu’on continuait à faire des anciennes versions latines eut pour conséquence une contamination progressive du texte hiéronymien par des leçons provenant de ces versions. Une révision fut tentée à l’époque carolingienne en vue de ramener à l’unité, et, autant que possible, à la pureté primitive, en même temps qu’à la correction grammaticale, le texte latin courant. Sur la demande de Charlemagne, Aleuin mena à bien ce travail, entre 799 et 801, en prenant pour base des manuscrits d’origine anglo-saxonne, et sa recension acquit une autorité presque officielle (on possède dans le Valltcellanm un excellent représentant de cette recension), tandis que celle qu’entreprit, à peu près à la même époque, Théodulphe, évûque d’Orléans, d’après des manuscrits espagnols, n’eut qu’une influence restreinte. Mais très rapidement le texte d’Alculn s’altéra à son tour dans les copies qui eu furent faites, et des leçons étrangères s’introdui sirent. Des essais de correction furent entrepris a nouveau dans les siècles suivants, parmi lesquels il convient de signaler la revision d’Etienne Harding, abbé de Cluny au xiie siècle, qui, par une confrontation entre les manuscrits de la Vulgate et les textes hébreu et grec, lit disparaître additions et interpolations. Au xiiie siècle, les nécessités de l’enseignement théologique donnèrent naissance aux Correctoria, qui constituaient un commencement de travail critique sur le texte de la Vulgate, et dont le meilleur est le Correctorium Yaticanum, œuvre des franciscains. Ces correctoires furent utilisés pour les premières éditions imprimées de la Bible latine, et c’est en particulier l’un des moins bons, le Correctorium Parisiense, dont se servit Robert Estienne pour l’établissement du texte de sa Bible latine, publiée en 1528, premier essai d’une édition critique de la Vulgate. Au xvie siècle, les éditions corrigées d’après le grec et l’hébreu se multiplièrent, tant chez les protestants que chez les catholiques, tandis qu’on publiait aussi des versions nouvelles faites directement sur les textes originaux. Parmi ces dernières, celle du Nouveau Testament publiée par Érasme en 1516 n’était guère qu’une refonte de la Vulgate. Mais on doit signaler la version intégrale de la Bible donnée par le dominicain Santés Pagnino qui ne visait qu’à faciliter l’étude de l’Écriture, et celle du cardinal Cajétan inspirée par les besoins de la controverse avec les protestants, qui récusaient le texte de la Vulgate, et n’entendaient se fier qu’aux originaux. Par suite de cette multiplication de textes différents d’où résultait une confusion croissante, comme aussi du discrédit jeté par les protestants sur le texte des versions latines alors en usage dans l’Église, on sentait de plus en plus le besoin d’un texte biblique officiel, auquel tous les catholiques pourraient se référer : de là l’intervention du concile de Trente.

2. La Vulgate au concile de Trente. — La question de l’autorité de la Vulgate fut d’abord soulevée indirectement, à propos de la canonicité des Livres saints. Luther avait établi entre les livres de la Bible des catégories de valeur différente, et rejeté plus ou moins du Canon scripturaire plusieurs d’entre eux. D’autre part, non seulement les protestants, mais des catholiques tels qu’Érasme, et même le cardinal Cajétan, avaient exprimé des doutes sur l’authenticité de certaines parties du texte biblique en usage : la finale de l’évangile de saint Marc, le récit de la femme adultère dans saint Jean, le Comma johanneum. Le concile de Trente fixa les conditions qui devaient garantir la canonicité d’un livre ou d’un fragment de livre dans la Bible : Si quis autem libros ipsos integros cum omnibus suis partibus, prout in Ecclesia catholica legi consueverunt, et in veleri vulgata latina editione habentur, pro sacris et canonicis non susceperit…, anathema sit. Denz.-Bannw., n. 784. Ainsi le concile voulait que l’on tînt pour caractère essentiel d’un livre ou fragment biblique authentique l’usage ecclésiastique dont la présence de ce livre ou fragment dans la Vulgate devait être considéré comme le signe le plus clair. — Ce décret, d’un caractère dogmatique, fut suivi d’un autre décret, de nature plutôt disciplinaire, dont l’objet était de déterminer un texte biblique officiel qui ferait autorité dans l’Église. On pensa d’abord à choisir un texte officiel en chacune des trois langues : hébraïque, grecque et latine. Mais la valeur des textes originaux, hébreu et grec, était d’un autre ordre que celle d’un texte latin, qui n’était qu’une version, et on se décida à sanctionner seulement, en la rendant officielle, l’autorité de la Vulgate : Insuper eadem sacrosancta Synodus considerans non parum ulililalis accedere posse Ecclesiæ Dei, si ex omnibus latinis editionibus, quæ circumferuntur, sacrorum Librorum, quænam pro authentica habenda sit, innotescat ; statuit et déclarât, ut huec ipsa velus et vulgata edilio, quæ longo lot sseculorum usu in ipsa Ecclesia probatu est, in publicis lectionibus, disputationibus, prædicationibus et expositionibus, pro authentica habeatur, et ut nemo illam rejicere quovis prœlextu audeal vel præsumat. Denz.-Bannw., n. 785.

3. La Vulgate depuis le concile de Trente. — La Vulgate, que le concile venait de déclarer authentique, ne pouvait être, dans l’état des choses tel qu’il était alors, qu’une Vulgate idéale, que ne représentait aucune des éditions courantes de la version hiéronymienne, car le texte, plus ou moins fautif, de ces éditions ne pouvait faire foi. Le concile de Trente se préoccupa de remédier à cette situation, et fit demander au pape par les légats de faire corriger le plus tôt possible la Bible latine, et, s’il se pouvait, la Bible hébraïque et la Bible grecque. Les travaux de correction commencèrent à Rome dès 1546, mais n’avancèrent qu’avec une extrême lenteur jusqu’à l’élévation de Sixte-Quint au souverain pontificat. Ce pape, comprenant la nécessité urgente d’une édition officielle de la Bible latine, excita le zèle des membres de la Commission établie pour la revision de la Vulgate. Cette commission, présidée par le cardinal Caraffa, prit pour base l’édition publiée à Louvain en 1565 par le dominicain Jean Henten, et la corrigea d’après quelques excellents manuscrits. Commencé en 1586, le travail de la Commission dura deux ans, mais le pape, pressé d’aboutir, voulut intervenir lui-même, il substitua en partie sa propre revision à celle de la Commission qui eût donné un résultat plus satisfaisant, car la critique moins stricte de Sixte-Quint laissa subsister un certain nombre de leçons, de tendance harmonisante, qui avaient été interpolées dans le texte original de la version de saint Jérôme. La Bible de Sixte-Quint fut publiée en avril 1590, avec la bulle ^Eternus ille, datée du 1 er mars 1590, qui la promulguait. Elle se heurta immédiatement à une sérieuse opposition, venant en particulier des imprimeurs lésés par le monopole que le pape avait accordé au typographe de la Vaticane (cf. sur ce point la correspondance du représentant à Rome de la République de Venise, publiée par F. Amann, Die Vulgata Sixtina von 1590, Fribourg, 1912), et elle n’avait pas eu cependant le temps de se répandre beaucoup, quand le pape mourut (27 août 1590). La Commission cardinalice, qui avait vu avec regret l’intervention personnelle de Sixte-Quint, fit alors arrêter la vente de la nouvelle Bible, et annuler pratiquemet les dispositions de la bulle Mlernus ille, qui en rendait l’usage obligatoire dans un délai fixé. En même temps, le successeur de Sixte-Quint, Grégoire XIV, chargeait la Congrégation de l’Index de reviser la Bible Sixtine. En quelques mois (février-juin 1591), sous l’impulsion des cardinaux Tolet et Bellarmin, ce travail fut achevé. L’impression ne commença cependant qu’après l’élection de Clément VIII au souverain pontificat. Pour ne pas porter atteinte à la mémoire de SixteQuint, c’est sous le nom de ce pape, conformément à la suggestion faite par Bellarmin, que la nouvelle Bible fut publiée à la fin de 1592 : Biblia sacra Vulgatæ edilionis Sixti Quinti Pont. Max. jussu recognita et édita, comme si Sixte-Quint, ayant reconnu luimême l’imperfection (on parlait plutôt d’incorrection typographique) du texte qu’il avait édité, avait pris l’initiative de faire faire la nouvelle revision. Ce ne fut qu’en 1604 que le nom de Clément VIII fut introduit dans le titre à côté de celui de Sixte-Quint et la nouvelle édition fut alors connue sous le nom de Bible Sixto-Clémentine, et devint la version latine officielle dont l’usage était rendu obligatoire pour les catholiques. Bien que Clément VIII reconnût luimême que son édition n’était pas parfaite, il interdit d’introduire des corrections dans le texte et même d’indiquer les variantes dans les marges. Pourtant les recherches dans les manuscrits en vue de l’amélioration du texte de la Vulgate n’étaient pas défendues : dès 1605, Luc de Bruges publiait un choix de variantes. En 1860, un barnabite, le P. Vercellone, édita avec l’encouragement de Pie IX, une nouvelle liste de variantes : Varia* lectiones Vulgatæ latinæ Bibliorum editionis. D’autre part, deux savants anglais, J. Wordsworth et H.-J. White, ont donné une édition critique de la Vulgate du Nouveau Testament, basée sur l’examen de très nombreux manuscrits : Novum Testamentum D. N. Iesu Christi latine secundum editionem sancti Hieronymi, Oxford, 1889. Enfin, en 1907, Pie X, en vue de préparer l’édition d’un texte de la Vulgate plus conforme au texte original de saint Jérôme, a confié à l’ordre bénédictin le soin de collationner les manuscrits de la Vulgate, de les classer en familles, et de remonter le plus possible, d’après les méthodes actuelles de la critique textuelle, au texte primitif de saint Jérôme. En réalité, d’après les principes posés par dom Henri Quentin, président, après le cardinal Gasquet, de la Commission de la Vulgate, on s’est attaché surtout à reconstituer le texte de l’archétype de chaque famille de manuscrits, texte qui ne concorde pas nécessairement avec le texte original. Entre 1920 et 1939 ont paru quatre volumes, contenant le Pentateuque, Josué, les Juges et Ruth.

II. Valeur critique et littéraire de la Vulgate.

Il y a lieu de distinguer entre les parties de la Bible, où la Vulgate ne représente qu’un travail de revision (Nouveau Testament, Psautier), et celle où saint Jérôme a fait œuvre propre de traducteur (Ancien Testament).

Nouveau Testament et psautier.

Pour apprécier la valeur des travaux de saint Jérôme sur le Nouveau Testament, on dispose actuellement de l’édition critique de la Vulgate, publiée par Wordsworth et White, qui permet une reconstitution assez sûre du texte hiéronymien original. Ces deux critiques, au terme de leurs recherches, ont reconnu nettement la valeur de la Vulgate du Nouveau Testament. Il y a lieu sans doute de faire quelques distinctions entre les divers livres. On a vu plus haut que le travail de revision avait été moins poussé par saint Jérôme en ce qui concerne les épîtres et l’Apocalypse que pour les évangiles, et que parfois il s’était contenté de polir le style. D’autre part — les déclarations mêmes de saint Jérôme précédemment citées en font foi — la préoccupation de revenir à une traduction plus rigoureuse du texte grec a été combattue chez lui par le souci de heurter le moins possible les habitudes du peuple chrétien, de sorte qu’il laissait subsister, tant que le sens était suffisamment respecté, le latin des anciennes versions qu’il se proposait de corriger. > Il a tenu sa parole de ne pas s’attaquer à des vétilles qui ne changent pas le sens », dit le P. Lagrange, qui appuie cette déclaration sur un Important travail de M. Vogels : Vulgatastudien. Die Evangelien der Vulgata antersucht ou/ ihrr lateinische und r/rirchische Vorlage, Munster, 1928. Saint Jérôme s’est surtout appliqué à faire disparaître les leçons harmonisantes, qui s’étaient introduites dans les anciennes versions latines, même dans celles du type italien qu’il avait prises pour base et qui donnaient un texte meilleur que celles du type africain. Mais, s’il se trouvait en race d’une leçon incorrecte, il n’a pas toujours rétabli la leçon qui correspondait nu texte original, alors même que le sens était différent, pourvu que la divergence ne fût pal tics notable. Le I’. Lagrange cite cet exemple : « Sur Luc, x, 42, Jérôme savait très bien que le texte était : iuici milrm n saria sunt, aut unum (on le voit par ses commentaires), et néanmoins il a laissé : porro unum est necessarium. » Il est vrai qu’il pouvait alléguer à l’appui de cette leçon certains manuscrits grecs (elle figure dans les Papyrus Chester Beatty). — Le travail de revision du Nouveau Testament latin n’a donc été fait par saint Jérôme que d’une façon partielle. Reste à savoir — c’est le point essentiel pour en apprécier la valeur — d’après quel texte grec la correction a été faite. L’accord n’est pas tout à fait établi entre les critiques qui ont étudié ce problème. On est unanime à reconnaître que saint Jérôme a rejeté nettement les leçons dites occidentales (type D du texte grec, ainsi désigné d’après le manuscrit D qui en est un des principaux témoins). Mais, parmi les recensions orientales, M. Vogels serait disposé à admettre une influence assez importante sur la Vulgate de la recension antiochienne, représentée spécialement par l’Alexandrinus. Tandis que la plupart des critiques, à la suite de Wordsworth et White, estiment que les manuscrits auxquels saint Jérôme donna la préférence devaient être du type représenté par les deux grands onciaux : Vaticanus et Sinailicus, qui sont ceux qu’on tient aujourd’hui pour les plus fidèles témoins du texte original. « C’est bien en ce recours aux manuscrits que nous jugeons encore les meilleurs que consiste la supériorité de la Vulgate. C’est en particulier grâce à ce fait que les critiques catholiques ont pu s’appuyer sur elle non seulement contre le texte D, mais contre le texte reçu. » (R. P. Lagrange.) — On a vu plus haut que le texte des Psaumes qui figure dans la Vulgate n’est pas celui de la ersion faite sur l’hébreu par saint Jérôme, mais celui du Psautier dit gallican, seconde revision faite par celui-ci d’après la recension hexaplaire des Septante, et non d’après le texte original, de l’ancienne version latine, qui était ellemême une traduction du grec. Or, la traduction du Psautier dans les Septante est une des parties les moins satisfaisantes de cette version : en beaucoup d’endroits l’interprète s’est trouvé en face d’un texte hébreu déjà altéré, difficile à comprendre, de sorte que les contresens et même les non-sens y sont fréquents. De plus saint Jérôme, en revisant le Psautier, n’a corrigé que très incomplètement — gêné qu’il était par les habitudes des fidèles, — les incorrections du latin de la version qu’il se proposait d’améliorer. Il eût été certainement préférable que, pour le Psautier comme pour les autres livres protocanoniques de l’Ancien Testament, ce fût la version faite sur l’hébreu par saint Jérôme, qui ait été adoptée dans la traduction ecclésiastique officielle. Mais on conçoit aisément que la substitution d’un texte notablement différent au texte auquel on était habitué ait été beaucoup plus difficile pour les Psaumes, que leur usage liturgique avait rendus familiers à la masse des fidèles.

Ancien Testament.

Pour apprécier la valeur de la version que saint Jérôme a faite de l’Ancien Testament d’après l’hébreu et qui figure actuellement dans la Vulgate, on examinera en premier lieu la méthode qu’il a suivie dans son travail, puis le rapport avec l’original du texte hébreu qui a servi de base à sa traduction.

1. Principes suivis par saint Jérôme. — Rappelons d’abord que, comme pour le travail de revision fait par saint Jérôme sur le Nouveau Testament, tous les livres de l’Ancien n’ont pas été traités avec un égal soin. Les livres historiques qu’il traduisit les premiers sont aussi ceux pour lesquels le résultat de son travail est le meilleur. Il y a beaucoup plus de libertés de traduction dans le Pentateuque et les Juges qu’il traduisit en dernier lieu. Et on ne saurait s’étonner que, pour le livre de Tobie qu’il déclare lui même n’avoir mis qu’un jour à traduire, son œuvre soit encore moins satisfaisante, et ressemble plus à une simple revision, un peu sommaire, de l’ancienne version, qu’à une traduction originale. De plus, saint Jérôme, comme dans sa revision du Nouveau Testament, a cherché à s’écarter le moins possible du texte latin en usage, et par conséquent des Septante, quand la divergence avec le texte original était peu importante. De là certains grécismes ou même hébraïsmes qui viennent des Septante par l’intermédiaire de la version latine, sans parler de ceux qu’il a lui-même conservés volontairement dans sa traduction par souci d’exactitude littérale. On a remarqué d’ailleurs (A. White, dans Hasting’s Dictionary oj the Bible, t. iv, col. 885) que, là même où saint Jérôme faisait une traduction nouvelle, il modelait son style, inconsciemment sans doute, sur le latin des anciennes versions, ce qui explique la présence dans la Vulgate d’expressions et constructions empruntées à la langue populaire. Cependant, le plus souvent, saint Jérôme s’est préoccupé de la correction et de l’élégance latines plus que de la fidélité littérale au texte qu’il traduisait. Son principe de traducteur, tel qu’il l’a formulé lui-même, était d’ailleurs de s’attacher au sens plus qu’à la lettre du texte : non verbum e verbo, sed sensum exprimere de sensu, méthode, remarque-t-il, qui était celle des apôtres et des évangélistes dans l’usage qu’ils faisaient de l’Ancien Testament. Un des traits principaux par quoi se marque le souci littéraire qui l’animait, c’est le soin qu’il a pris de varier la traduction de certaines expressions qui reviennent fréquemment dans le texte hébreu, même parfois aux dépens* du sens (par ex. dans le ch. i de la Genèse, le même mot est traduit tantôt par genus, tantôt par species), ou aux dépens de l’effet littéraire lui-même (suppression de certaines répétitions voulues qui, dans l’original, accentuent le caractère poétique d’un morceau ou en fixent la strophique). Cf. Mangenot, art. Vulgate, dans Dict. de la Bible, t. v, col. 2462, qui donne de nombreux exemples, surtout d’après A. Condamin, Les caractères de la traduction de la Bible par saint Jérôme, dans Recherches de science religieuse, 19Il et 1912. Quant à l’interprétation proprement dite du texte, on sait avec quel soin saint Jérôme s’efforça d’atteindre le plus exactement possible la veritas hebraïca, en utilisant le savoir de ses maîtres juifs. Il signale lui-même par exemple comment, afin de rétablir dans les longues listes des Paralipomènes la teneur exacte des noms propres, très altérés dans le grec et le latin, il collationna le texte de ce livre avec un célèbre rabbin de Tibériade. Il utilisa aussi les versions grecques de l’Ancien Testament faites par les Juifs Aquila, Symmaque et Théodotion, versions reproduites dans les Hexaples d’Origène, dont il put consulter l’original à la bibliothèque de Césarée. On peut même juger excessive la confiance que saint Jérôme témoignait à l’égard de la tradition rabbinique, à laquelle il doit dans ses Commentaires certaines interprétations fantaisistes et, dans sa version même du texte hébreu, certaines fausses traductions. Le P. Lagrange a relevé quelques cas de ce genre dans la Vulgate de la Genèse, Rev. bibl., 1898, p. 563-566. En voici un exemple. Dans Gen., ii, 8, il est question du Paradis qui, d’après la Vulgate, aurait été planté a principio : ces mots traduisent l’hébreu miggedem, qui beaucoup plus probablement doit se traduire : à l’Orient, comme il est rendu par Septante. Saint Jérôme a adopté au contraire la traduction d’Aquila, Symmaque et Théodotion, inspirée de l’opinion juive, d’après laquelle le Paradis aurait été créé en premier lieu, avant toute autre création. Par contre, en réaction contre les traducteurs juifs qui, estimait-il, avaient en maints endroits atténué la signification prophétique et la portée messianique des textes de l’Ancien Testament, il arrive que saint Jérôme ait fait siennes des traductions des Septante qui introduisent un sens messianique, là où l’original ne semble pas le comporter (exemples cités dans Kaulen : Geschichte der Vulgala : Is., xi, 10 ; xvi, 1 ; Hab., iii, 18 ; Jer., xxxi, 22), ou du moins accentuent et précisent ce sens, Is., xlv, 8 ; li, 5 ; Jer., xxiii, 6 ; Dan., ix, 24-26.

2. Texte ayant servi de point de départ. — Le texte hébreu traduit par Jérôme est naturellement celui qui était répandu de son temps dans les milieux juifs : il s’était procuré le manuscrit hébreu utilisé à la synagogue de Bethléem, et l’avait copié luimême. Ce texte ne devait pas différer beaucoup de celui qui a été fixé par les massorètes. Quelques désaccords entre la Vulgate et le texte massorétique peuvent venir de ce que le manuscrit utilisé par Jérôme ne possédait pas de points-voyelles, et qu’une différence de vocalisation a pu introduire en certains cas une leçon qui s’écarte un peu de la leçon massorétique. Mais ces différences sont peu importantes, et les ressemblances sont beaucoup plus significatives, car la Vulgate concorde avec le texte massorétique même en des endroits où celui-ci est sûrement fautif (mêmes coupes défectueuses de mots, mêmes omissions mêmes gloses, etc.). Reste à se demander si le texte traduit par Jérôme, et qui est substantiellement conforme à l’hébreu actuel, reproduisait exactement le texte primitif, et si en particulier il lui était toujours plus fidèle que la version grecque des Septante. Sur ce point, il semble que le sentiment des critiques ait évolué, et qu’ils accordent plus de crédit à la version alexandrine. Il est certain que, grâce au travail des massorètes qui a commencé au ve siècle de notre ère, le texte de la Bible hébraïque n’a pas subi de variations notables, depuis cette époque, sauf quelques fautes de copistes, rendues d’ailleurs plus rares par tout un ensemble de signes destinés à garantir l’inaltérabilité. Mais avant ce travail des massorètes, depuis l’époque de la composition de ses diverses parties jusqu’à saint Jérôme, l’Ancien Testament hébreu a été soumis aux conditions ordinaires des manuscrits de ce temps, des fautes s’y sont forcément introduites du fait des copistes, sinon des revisions systématiques ; il devait donc nécessairement s’écarter de l’original en bien des endroits. Par contre la version des Septante, qui fut commencée à Alexandrie au milieu du iiie siècle avant J.-C, correspond à un état du texte hébreu notablement plus ancien, où certaines altérations du texte actuel n’existaient pas encore. De sorte que, dans les cas très nombreux de divergence entre les Septante et la Vulgate, il peut se faire que la leçon originale soit mieux conservée dans la version grecque que dans le texte hébreu suivi par saint Jérôme. Il faut tenir compte d’autre part du fait que les traducteurs alexandrins ont pris beaucoup de libertés avec le texte hébreu qu’ils traduisaient, et l’on ne saurait s’étonner que saint Jérôme ait jeté en principe la suspicion sur les omissions, additions, interversions, ainsi que sur les divergences de sens résultant souvent de la mauvaise lecture des mots hébreux, qu’il constatait entre les Septante et les manuscrits utilisés de son temps dans les synagogues et les écoles rabbiniques. D’autant plus que de nombreuses altérations s’étaient glissées dans les manuscrits de la version alexandrine pendant les quatre premiers siècles de notre ère, du fait des copistes, et aussi des recenseurs. Cf. sur ce point l’article Versions de l’Ancien Testament.

Il est probable que, si à la suite d’un travail délicat de critique textuelle on possédait aujourd’hui une édition des Septante qui reconstituât à peu près le texte primitif authentique de cette version, on en préférerait certaines leçons, comme plus conformes sans doute à l’original hébreu, à certaines leçons de la Vulgate. D’ailleurs saint Jérôme lui-même aurait, semble-t-il, fait de même, car il déclare qu’il n’aurait pas eu besoin de faire une traduction du texte hébreu, si le texte primitif des Septante n’avait été altéré.

Conclusion.

Peut-on prévoir dans un avenir plus ou moins prochain une revision officielle de la Vulgate qui, utilisant les méthodes modernes de la critique textuelle en vue de rétablir le texte original de l’Ancien et du Nouveau Testament, mettrait entre les mains des catholiques un texte latin de la Bible aussi rapproché que possible. du texte primitif, tel qu’il est sorti de la main des. auteurs sacrés, intermédiaires eux-mêmes de la révélation divine ? Il ne paraît pas que l’accord soit suffisamment fait dès maintenant entre les spécialistes de la critique textuelle sur ses méthodes et les résultats de leur application à la Bible. Pour le moment — l’initiative prise par Pie X l’indique — l’autorité ecclésiastique semble plutôt n’envisager autre chose que le rétablissement du texte primitif de la Vulgate, purgé des altérations qui s’y sont introduites au cours des siècles. Beaucoup souhaiteraient cependant que, pour certains livres au moins, dont la traduction, même en sa forme primitive, laisse particulièrement à désirer, pour le psautier surtout qui tient une si large place dans la liturgie, on fît des corrections plus profondes. Le remplacement du psautier gallican, c’est-à-dire du psautier hexaplaire de saint Jérôme, par sa version des Psaumes d’après l’hébreu, comme pour les autres livres de l’Ancien Testament, constituerait déjà un notable progrès. « Contre ce vœu, fait remarquer dom de Bruyne, Rev. bénéd., 1929, p. 324, on objecterait vainement qu’il ne faut pas toucher à un psautier vénérable par un usage immémorial. L’usage du psautier hexaplaire n’est nullement ancien, et son introduction dans la liturgie a été une faute ; il était uniquement destiné à l’étude, et Jérôme, mieux informé, l’a remplacé plus tard par un psautier plus parfait : le psautier hébraïque. » Mais on peut se demander s’il y a même lieu de passer par cette étape, et s’il ne vaudrait pas mieux s’orienter immédiatement vers le remplacement dans la Bible catholique officielle du psautier actuel par une traduction nouvelle, faite sur l’original hébreu préalablement rendu, autant que faire se peut, à sa pureté primitive. Ue fait ces vœux viennent de recevoir satisfaction. Par un motu proprio, donné le 24 mars 1945, le pape Pie XII a autorisé l’usage, dans la récitation tant privée que publique des Heures, d’une nouvelle traduction latine du psautier, entreprise ! sur son ordre, par une commission de professeurs de l’Institut biblique de Home. Après avoir rappelé que le psautier dit gallican laissait beaucoup à désirer, que le psautier hébraïque offrait, à condition d’être amendé, un texte bien supérieur, il exprime sa confiance que le nouveau psautier pourra rendre des services et il en autorise l’usage sine in privala, sive in publica recitatione, dès qu’il aura été arrangé de façon à pouNoir Être distribué selon les exigences de l’ancien Bréviaire de Pie X. En fait le psautier n’a pas été seul i lire retouché, les cantiques qui y sont insérés soit à Laudes, soit à Vêpres ont été quelque peu arrangés. Il n’est pas Jusqu’au Magnificat et au Xunc dimillis qui n’aient été rendus plus conformes aux règles de la latinité classique.

III. Valeur théologique.

La Vulgate possède, pour les catholiques, une autorité particulière d’ordre théologique, du fait des deux décrets du concile de Trente qui la concernent : le décret Sacrosancta, qui a pour objet le canon des Écritures, et le décret Insuper, qui vise directement l’usage ecclésiastique de la Vulgate, et en déclare l’authenticité.

La Vulgate et le canon des Écritures.

Au xvie siècle, des doutes avaient été élevés, soit par les auteurs de la Réforme protestante, soit par quelques catholiques au sujet, non seulement de l’authenticité littéraire de certains livres de la Bible, mais même de leur canonicité, de leur droit à être considérés, au même titre que les autres, comme faisant partie des Écritures inspirées. Luther, moins pour des raisons d’ordre critique que pour des motifs doctrinaux, avait distingué dans le Nouveau Testament trois catégories de livres, auxquelles il attribuait une autorité inégale : à la troisième catégorie, comprenant l’épître de Jacques, l’épître de Jude, l’épître aux Hébreux et l’Apocalypse, il semble bien qu’il refusait une valeur pleinement canonique. Érasme, frappé plutôt par certaines hésitations dans la tradition ecclésiastique ancienne, doutait aussi de l’authenticité littéraire de l’épître aux Hébreux, des épîtres de Jacques et de Jude, de la seconde de Pierre, des seconde et troisième de Jean, ainsi que de l’Apocalypse, et, quant à ce dernier livre, il semble bien qu’il ne lui reconnaissait pas le caractère canonique au même titre qu’aux autres livres du Nouveau Testament. Le cardinal Cajétan, influencé par l’autorité d’Érasme, désireux d’autre part de faciliter les controverses avec les protestants qui refusaient de prendre pour base le texte de la Vulgate et entendaient fonder leur argumentation sur les seuls textes originaux, adopta dans l’ensemble la position d’Érasme, attribuant par exemple une autorité théologique moindre à l’épître aux Hébreux et aux deux petites épîtres johanniques, rejetant nettement aussi l’authenticité de la finale de Marc, xvi, 9 sq., du récit de la femme adultère, Joa., vii, 53-vm, II, et même, quoique avec moins d’assurance, celle de l’ange de Gethsémani, Luc, xxii, 43, et du Comma johanneum (I Joa., v, 7 sq.). Pour remédier à la situation créée par ces doutes, le concile de Trente jugea nécessaire de promulguer à nouveau la liste des livres tenus pour canoniques par l’Église, en indiquant le nom de leurs auteurs d’après l’attribution traditionnelle, mais sans préciser d’ailleurs plus qu’on ne l’avait fait jusqu’alors la valeur de cette attribution. Quant aux parties de livres qui étaient contestées, le concile se refusa à en définir nommément la canonicité, préférant formuler la règle générale d’après laquelle doit être jugée la canonicité d’un livre ou fragment de livre figurant dans la Bible. Cest l’objet du décret, de caractère nettement dogmatique, publié le 8 avril 1546 : Si guis autem libros ipsos integros cum omnibus suis parlibus, prout in Hcclesia catholica legi consuevcrunt et in veteri vulgata editione habentur, pro sacris et canonicis non susceperit… analhema sil. Denz.-Bannvv., n. 784. L’incise cum omnibus suis parlibus ne figurait pas dans la première rédaction du décret, elle y fut ajoutée pour donner satisfaction à ceux des Pères qui auraient voulu qu’on mentionnât nommément les trois ou quatre passages bibliques contestés, elle ne fait donc que préciser, sans y ajouter rien de nouveau, le sens des mots libros integros qui la précèdent. Deux conditions sont exigées pour la canonicité d’un fragment biblique : il doit avoir été toujours lu dans l’Église universelle, c’est à-dire avoir été toujours employé dans l’Église non seulement dans la lecture liturgique, mais pour l’usage théologique, et il doit figurer dans la Vulgate. Ces deu conditions ne sont pas séparables, elles apparaissent plutôt comme complémentaires que comme entièrement distinctes, l’insertion dans la Vulgate étant simplement le signe le plus clair de l’usage constant du texte d.ms l’Église latine. et on ne saurait admettre l’opinion de Franzelin, d’après laquelle le concile aurait voulu dire que l’insertion dans la Vulgate suffit à elle seule pour assurer la canonicité d’un texte. C’est principalement à propos du Commit johanneum que Franzelin avait formulé cette opinion. En ce qui concerne la finale de Marc et le récit de la femme adultère, tous les catholiques sont d’accord pour admettre que ces deux morceaux font réellement partie de l’Écriture et sont canoniques, quelque opinion qu’on puisse avoir par ailleurs sur leur authenticité littéraire et sur la façon dont ils ont été insérés dans les évangiles où ils figurent. Mais les controverses ont été beaucoup plus vives au sujet du Gomma johanneum. Ce verset de la première épître de saint Jean, le « verset des trois témoins célestes », qui constitue une nette affirmation du dogme de la sainte Trinité, ne figure dans aucun manuscrit grec ancien et n’est cité par aucun Père et écrivain ecclésiastique grec, il ne figure même pas dans les meilleurs et les plus anciens manuscrits de la Vulgate, où on ne le trouve guère qu’à partir du xiie siècle, mais la Bible Sixto-Clémentine l’a conservé. Du fait de son absence dans les anciens manuscrits de la version hiéronymienne, il semble bien que le décret du concile de Trente ne lui soit pas applicable. Cependant le Saint-Office intervint dans la controverse élevée au sujet de ce verset, en publiant le 13 janvier 1897 le décret suivant : Proposito dubio, ulrum tuto negari aut saltem in dubium revocari possit, esse authenticum textum I x Johannis, in epistola prima, cap. v, ꝟ. 7, qui sic se habet : Quoniam ires sunt qui lestimonium dant in cœlo, Pater, Verbum et Spiritus Sanctus, et hi très unum sunt ? Omnibus diligentissimo examine perpensis, prsehabitisque B. D. Consultorum voto, iidem Emi Cardinales respondendum mandarunt : Négative. Devant l’émoi causé par cette décision, principalement chez les anglicans, on laissa tout de suite entendre qu’elle ne devait pas limiter la recherche scientifique sur l’origine du Comma, le décret étant surtout d’ordre disciplinaire, et de fait, dès 1905, Kûnstle se prononçait contre l’authenticité du verset, qu’il attribuait à Priscillien. En 1927, la question a été tranchée officiellement par l’insertion dans Y Enchiridion biblicum, à la suite du décret de 1897, d’une déclaration du Saint-Office qui en détermine le sens et la portée : Decretum hoc latum est ut coerceretur audacia privalorum doctorum jus sibi tribuentium authentiam commatis Joannei aut penitus rejiciendi aut ultimo judicio saltem in dubium evocandi. Minime vero impedire voluit, quominus scriptores catholici rem plenius investigarent atque, argifmentis hinc inde perpensis, cum ea, quam rei gravitas requirit, moderantia et temperanlia, in sententiam genuitati contrariant inclinarent, modo profiterentur se paratos esse slare judicio Ecclesise, cui a Jesu Christo munus demandatum est sacras Litteras non solum interpretandi sed etiam fldeliter cuslodiendi. En fait, les travaux les plus récents sur l’origine du Comma n’ont fait que confirmer son caractère de glose privée inscrite d’abord en marge d’un manuscrit, et de là passée dans le texte. L’accord n’est pas fait cependant entre les critiques sur l’origine du verset, et sur la date de son insertion dans les versions latines de la I a Joannis. Priscillien paraît en être le premier témoin certain (fin du ive siècle), mais l’interprétation allégorique en formule trinitaire du texte johannique sur les trois témoins terrestres est beaucoup plus ancienne (on la trouve chez saint Augustin, et saint Cyprien y fait déjà allusion) : si donc le Comma johanneum ne peut être la base d’un argument scripturaire, il demeure un témoin très ancien de la tradition ecclésiastique sur la doctrine trinitaire. Sur le Comma, on peut consulter : J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, t. i, 2e édit., 1927 (note K) ; E. Riggenbach, i Bas Comma johanneum, Gutersloh, 1928 ; A. Lemonnyer, art. Comma johannique, dans Suppl. Dicl. Bible, t. ii, col. 67-74 ; J. Chaine, Les épîlres catholiques, j 1939, p. 126-137.

L’authenticité de la Vulgate.

Quand la question dogmatique de l’inspiration et du canon des Écritures i eut été réglée par le décret Sacrosancta, le concile de

Trente, se plaçant cette fois sur le terrain de la pratique

et de la discipline, se préoccupa de parer aux j abus qui s’étaient glissés dans l’usage des Écritures. Le premier de ces abus fut dénoncé par le président de la Commission désignée à cet effet dans les termes suivants : Primus abusus est habere varias editiones sacrx Scripturæ, et illis velle uli pro authenticis in publicis leclionibus, dispulationibus, expositionibus et prœdicationibus… Remedium est habere unicam tantum editionem, veterem scilicet et vulgatam, qua omnes ulantur pro authenlica in publicis leclionibus, dispulationibus, expositionibus et prædicationibus, et quod nemo illam rejicere audeat aut Uli contradicere : non detrahendo tamen auctoritati purse et verse interprelalionis sepluaginla interpretum, qua nonnunquam usi sunt apostoli, neque rejiciendo alias editiones, qualenus authenticse illius intelligentiam juvant.

On voit dans quel sens la question était posée : il ne s’agissait nullement de définir, sous le nom d’authenticité, la conformité de la Vulgate aux textes originaux, mais de lui conférer une authenticité d’ordre juridique, qui en ferait la version latine officielle de l’Église, devant être comme telle employée dans l’usage théologique et liturgique, à l’exclusion des autres traductions latines, sans que personne pût en contester l’autorité. Certains Pères du concile, préférant une solution plus radicale, auraient voulu qu’on condamnât l’usage de toutes les versions autres que la Vulgate : leur avis ne prévalut pas. D’autres souhaitaient que l’on décrétât, en même temps que l’authenticité de la Vulgate, celle des textes originaux et de la version des Septante, mais c’eût été déplacer la question du terrain sur lequel elle avait été portée. A Rome aussi, le sens du décret en préparation n’avait pas été bien compris, et les théologiens du pape Paul III faisaient des objections en raison des fautes qui existaient dans la Vulgate, et qui devraient d’abord être corrigées, pensaient-ils, ce qui demanderait beaucoup de temps et s’avérait presque impossible. Les légats pontificaux à Trente expliquèrent qu’il ne s’agissait pas de canoniser la Vulgate comme une traduction parfaite, mais seulement de donner aux catholiques un texte biblique sûr, qui pût faire autorité, parce que non suspect d’hérésie, ce qui est l’essentiel dans les Livres saints, et la Vulgate réalisait parfaitement cette condition. Après ces explications, Paul III se décida à approuver le décret Insuper promulgué par le concile, et dont voici la teneur : Insuper eadem sacrosancta Synodus, considerans non parum utilitatis accedere posse Ecclesiæ Bei, si ex omnibus latinis editionibus, quæ circumferuntur, sacrorum librorum, quænam pro authentica habenda sit, innotescat ; statuit et déclarât, ut hsec ipsa vêtus et vulgata editio, quæ longo tôt sœculorum usu in ipsa Ecclesia probata est, in publicis leclionibus, dispulationibus, prœdicationibus et expositionibus, pro authentica habeatur, et ut nemo illam rejicere quovis prætexlu audeat vel præsumat. Denz.-Bannw., n. 785.

L’histoire même de la rédaction du décret indique nettement le sens du mot authentique appliqué à la Vulgate par le concile. C’est, explique le P. Lagrange, « celui-là même que le concile a mis en lumière : un texte qui fait absolument autorité dans les questions de foi agitées en public. C’est le sens juridique du mot : un acte authentique est celui qui est revêtu de toutes les formes et qui fait foi en public ». Il ne s’agit donc pas d’authenticité au sens critique. « Rien, ajoute le P. Lagrange, ni dans les termes du concile, ni dans les délibérations antérieures, n’indique qu’on a entendu certifier la conformité de la Vulgate avec les originaux authentiques. Cette fidélité était supposée par la nature des choses, elle est à la base du décret. Mais jusqu’où s’étend-elle ? Personne ne l’avait précisé, et le décret n’a rien changé en ce point. » R. P. Lagrange, op. cit., p. 305-306.

Cependant cette interprétation ne prévalut pas universellement, et une controverse s’éleva entre théologiens sur le sens des décrets du concile de Trente et l’autorité qu’ils conféraient à la Vulgate. Une lettre de Bellarmin d’avril 1575 (publiée par P. Battifîol dans La Vaticane de Paul III à Paul V, et citée dans J. Thomas, Mélanges d’histoire et de littérature religieuses, p. 312) précise nettement les deux tendances opposées :

Video de re tanta summorum virorum dissimilia esse judicia, cum alii palam affirment ipsam latinam et vulgatam editionem ita esse a concilio approbatam ut non liceat ullo pacto nunc asserere aliquam esse in hac editione sententiam qiue vel falsa sit vel mentem primi auctoris non contineat ; qui etiam malint hebraicorum grsecorumque codicum auctoritatem contemnere, quam ullam in antiqua interprète lapsum agnoscere ; ac demum verum et germanum Scripturæ sensum non minus in hac editione habcre nos doceant, quam si ipsa primorum scriptorum autographa haberemus ; alii vero contra, nihil unquam taie a concilio decretum esse contendant, sed illud solum, hanc veterem et vulgatam editionem ut omnium optimam esse retinendam, nec ulli fas esse aliam aliquam vel in gymnashs vel in concionibus tractare, vel in sacris publicisque oflïciis legendam aut canendam introducere, quin etiam nihil omnino in hac editione reperiri quod fidei puritati vel morum honestati sit adversum : ceterum negari non posse quin interpres latinus hujus editionis auctor, nonnunquam more ceterorum hominum dormitaverit et non seinel a vero Scriptura sensu aberraverit.

Ce second sentiment était partagé par la plupart des théologiens contemporains de la ive session du concile, où avait été tranchée la question de la Vulgate, tels que Laynez, Salmeron, Sirleto, et plus encore par ceux qui, comme Vega, avaient assisté aux délibérations du concile. Cependant l’opinion qui majorait l’autorité attribuée à la Vulgate par le concile, au point de mettre la version latine au-dessus des textes originaux eux-mêmes, tels qu’ils étaient en usage, allait gagner un nombre croissant de théologiens. Elle pouvait d’ailleurs s’appuyer sur une décision de la Sacrée Congrégation du Concile, du 17 janvier 1576, qui, répondant à une question posée sur l’interprétation à donner au cum omnibus suis partibus du décret Sacrosancta, déclarait qu’on ne pouvait rien contester dans la Vulgate : ni une période, ni un membre de phrase, ni une syllabe, ni un iota, et blâmait le théologien A. Vega, dont on traitait le langage d’audacieux. On a longtemps discuté de l’authenticité de cette riécision ou du moins de l’exactitude de son texte. Mais les documents publiés par P. Batiffol dans son ouvrage déjà cité, l’ont mise hors de doute (cf..). Thomas, op. cit., p. 308-310). C’est en Espagne surtout que l’opinion la plus stricte sur l’authenticité de la Vulgate prévalut, après avoir suscité de vives controverses, dont on trouve l’écho dans la préface d’une dissertation de Marlana, publiée en 1609 (cette dissertation Pro editione Vulgata a été reproduite par Migne, Gurtu » s. Scriptura, t. i, col. 590). Xrsrio un ullu dltpUtattO tiis siiprrioribus annis intrr theologos, in Hiêpania præserttm, majori nnimornm ardore ri molu agltata ttt, odioque partlum magl » implacablll. Elle y fui courante pendant longtemps, puisque, au milieu riu xvir siècle, Jean rie Saint-Thomas donnait encore comme conformes ; i l’opinion reçue ses propres conclusions au sujet rie la Vulgate, qu’il formulait ainsi : Habenda est pro légitima non solum quantum ad ea quæ pertinent ad fidem aut mores, sed etiam quoad omnes litteras et apices ; hoc enim necessc est fateri postquam hsec ipsa editio décréta est esse authentica : de ratione scriptura* authenticæ est ut omnes ejus clausulæ et apices certse et indubitatæ auctoritatis sint.

Cependant, au milieu du xviie siècle, la publication de l’Histoire du concile de Trente de Pallavicini (bien qu’incomplète, les documents concernant la ive session n’ayant été publiés intégralement que dans l’édition du concile de Trente entreprise par la Gôrresgesellschaft, spécialement dans le t. i paru en 1901 et le t. v paru en 1911) fit la lumière sur les intentions des Pères du concile lorsqu’ils rédigèrent les décrets concernant la Vulgate, et l’interprétation modérée de ces décrets devint de plus en plus dominante. Aujourd’hui, on est unanime à reconnaître les nombreuses imperfections de la Vulgate, et à juger que le recours aux textes originaux non seulement est légitime, mais s’impose quand il s’agit de déterminer dans le détail le véritable sens des Écritures. Il y a longtemps que la décision de la S. Congr. du Concile de 1576 a été interprétée simplement comme une défense de rien avancer, en matière de foi ou de mœurs, qui soit contraire à la lettre de la Vulgate, le droit de s’en écarter restant sauf, toutes les fois qu’est établie sa non-conformité avec le texte original certain. « Nous somme loin du temps où un théologien illustre se représentait la Vulgate, entre le grec et l’hébreu, comme le Sauveur entre les deux larrons. » R. P. Lagrange, op. cit., p. 307.

Si l’accord est établi entre les théologiens sur le fait que, en vertu des décrets du concile de Trente, la Vulgate doit être considérée comme ne contenant aucune erreur en matière dogmatique ou morale, et comme devant faire foi, en tant qu’autorité théologique, dans toutes les discussions de cet ordre, les opinions des théologiens restent divergentes quant à la conformité plus ou moins parfaite de la Vulgate avec l’original inspiré dans les passages qui touchent à la foi ou aux mœurs. Tout le monde admet que l’authenticité de la Vulgate, telle que l’a entendue le concile de Trente, suppose et entraîne sa conformité substantielle avec les textes originaux, ad summam rei quod spécial, selon l’expression employée par Léon XIII dans l’encyclique Providentissimus Drus. Mais l’autorité théologique du cardinal Franzelin, qui d’ailleurs, parce qu’il ne connaissait pas le détail des délibérations du concile de Trente dans sa ive session, inclinait à attribuer au décret Insuper une valeur non seulement disciplinaire, mais dogmatique, a conduit beaucoup de théologiens à supposer que, dans les passages dogmatiques concernant la foi ouïes mœurs, la conformité de la Vulgate à l’original non seulement exclut toute contradiction entre la version et le texte primitif, mais doit être entendue comme une conformité positivi, en ce sens que tout dogme énoncé dans un texte de la Vulgate devait être formulé aussi au même endroit dans l’original. Tout ce que concédait Franzelin, c’est qu’il pouvait exister entre la Vulgate et l’original une différence modale, c’est-à-riire que le dogme pouvait ne pas être exprimé tout à fait de la même façon dans la version que dans l’original, et que par exemple le traducteur pouvait avoir donné à l’énoncé dogmatique une clarté et une précision qui n’existait pas au même degré dans le texte primitif : ainsi, dans la cas de.lob, xix, 25, OÙ le dogme de la résurrection de la chair serait exprimé de façon plus obscure dans l’original hébreu quc dans la version hiéronymienne ; ainsi également dans le cas de Gen., iii, 15, où le texte de la Vulgate : les rnnlrrrl riipul luutn, exprimant le triomphe de la femme sur le serpent, fournit un argument en faveur de l’immaculée conception de Marie, par application à la Mère du Sauveur de ce qui est dit directement d’Eve, tandis que l’hébreu actuel, qui doit se traduire : ipse conteret…, n’exprime que le dogme de la Rédemption sous sa forme générale, auquel le privilège de Marie peut être seulement rattaché comme une dépendance et une conséquence… En fait, la thèse de Franzelin ne trouve aucun appui dans l’histoire des délibérations du concile, où le problème de la conformité de la Vulgate avec l’original dans les textes dogmatiques n’a nullement été envisagé, puisque c’est sur le terrain pratique que s’est toujours placé le concile qui n’a jamais considéré autre chose que l’authenticité au sens juridique de la Vulgate. D’autre part la thèse de Franzelin ne s’accorde pas avec les faits : à plusieurs énoncés dogmatiques de la Vulgate ne correspond pas dans l’original, étudié critiquement, une doctrine même approximativement semblable. On peut citer les passages suivants signalés par le P. Durand, 'Dict. apologétique, t. iv, col. 1978 : Is., ix, 2 ; xvi, 1 ; Jer., xxxii, 22 ; Ps., cix, 3 ; cxxxviii, 17 ; Prov., viii, 35 ; Eccl., vii, — 14 ; Cant., iv, 1 ; Luc, xxii, 1920 ; Joa., i, 9, 13 ; v, 14 ; viii, 25 ; Rom., v, 12. Le cas de Ps., cix, 3, est ainsi traité dans un article publié dès le 1er mars 1895 par M. E. Levesque, P. S. S., sous la signature E. Langevin, dans la Revue du clergé français :

« Le verset Tecum principium in die virtutis tuæ… ex utero ante luciferum genui te enseigne clairement la

génération éternelle du Messie. Or le texte hébreu offre un sens tout autre, où il n’est nullement question de ce dogme ou d’un autre approchant :

« Votre peuple s’offrira spontanément à vous au jour où vous déploierez votre force — Plus [abondante] que la rosée du sein de l’aurore, vous viendra la rosée de votre jeunesse [de vos jeunes gens]. » 

C’est une prophétie de la fécondité de l’Église, royaume du Messie, de sa catholicité et de sa perpétuelle jeunesse. Il ne reste plus rien de la génération éternelle, dans ce sens qui s’adapte plus facilement au contexte et suit mieux le parallélisme. On me dira que le texte hébreu a pu être altéré. Sans avoir un respect exagéré pour le texte hébreu actuel, dont la leçon, il est vrai, ne vaut pas parfois celle des Septante ou de la Vulgate, il faut dire que, dans le cas présent, son sens s’adapte mieux au contexte. Et d’ailleurs comment un texte si formel en faveur de la génération éternelle (selon la leçon de la Vulgate) eût-il été passé sous silence dans un psaume si souvent cité dans le Nouveau Testament, surtout par l’auteur de l’épître aux Hébreux qui avait là un texte convenant admirablement à sa thèse ? La Vulgate présente ici un dogme qui fait défaut dans l’original. » Une telle divergence de sens entre la Vulgate et l’original dans ce cas et les cas analogues, relativement peu nombreux, où elle se présente, ne déroge en rien à l’authenticité de la version latine, au sens où le concile de Trente l’a entendue, et à la sécurité qui doit être assurée aux catholiques dans l’usage liturgique ou théologique de cette version. « Car, dit très bien M. Levesque dans l’article déjà cité, la Vulgate est un document traditionnel en même temps qu’un document biblique. Au lieu d’avoir une preuve exclusivement et formellement biblique, j’aurai une preuve, ou bien à la fois biblique et traditionnelle, ou bien une simple preuve de tradition, selon qu’il y aura ou non un appui dans le texte inspiré. Quand on sait le rôle de la tradition dans l’Église, il n’y a pas lieu de s’étonner en voyant l’Église et la théologie appuyer parfois leurs conclusions sur des textes de la Vulgate, dont l’autorité est faible ou nulle, mais dont la valeur traditionnelle est toujours considérable. »

L’Encyclique Divino afflante Spiritu, publiée le 30 septembre 1943 par le pape Pie XII, a tranché, d’une manière définitive, un certain nombre de questions relatives à la Bible et spécialement celle de la valeur de la Vulgate. Elle a été provoquée par les exagérations d’un anonyme italien qui, dans une brochure adressée aux évêques d’Italie, faisait le procès des méthodes d’exégèse en usage dans l’enseignement, s’en prenait aux méthodes critique et scientifique, faisait fi du sens littéral et déclarait que, d’après le concile de Trente, il fallait s’en tenir exclusivement à la Vulgate. Toute entreprise de critique textuelle est une mutilation de l’Écriture et la substitution du jugement individuel à l’enseignement des Livres saints. Ces thèses, qui n’allaient à rien de moins qu’à confondre les disciplines scripturaires, furent d’abord blâmées par une lettre de la Commission biblique, dans Acta apost. Sed., t. xxxiii, 1941, p. 465 sq., sous la signature du cardinal Tisserant et revêtue de l’approbation pontificale. Deux ans plus tard, le pape devait intervenir personnellement dans l’encyclique citée. Ce document est de capitale importance, faisant très exactement le point sur la question du texte original. L’essentiel n’est-il pas d’en revenir au texte rédigé par l’auteur inspiré, qui nécessairement a plus de poids que toute version ancienne ou récente, si bonne qu’elle soit ? La critique textuelle, qui a fait en ces derniers temps d’immenses progrès, est la réponse des hommes à l’attention de la Providence qui a bien voulu s’adresser à l’humanité. Que l’on ne s’imagine pas qu’il y a une rupture aux prescriptions du concile de Trente sur la Vulgate latine. La déclaration de l’authenticité de cette version ne concerne d’abord que l’Église latine et l’usage public chez elle de l’Écriture et ne diminue en rien l’autorité des textes primitifs. En fait il ne s’agissait pas alors des textes primitifs, mais des diverses traductions latines, mises pour lors en circulation. Parmi elles, le concile a déclaré à juste titre qu’il fallait préférer celle que l’usage des siècles avait confirmée dans l’Église. Cette autorité particulière de la Vulgate et, comme on dit, son authenticité n’ont pas été déclarées par le concile pour des raisons surtout critiques, mais à cause de son usage légitime pendant des siècles, usage qui démontre que, dans les questions touchant la foi ou les mœurs, le texte est exempt de toute erreur, en sorte que, au témoignage et avec la confirmation de l’Église, le texte peut en être allégué dans les discussions, les leçons, les sermons sans crainte d’erreur. Et dès lors cette authenticité n’est pas à proprement parler critique, mais plutôt juridique. Cette autorité de la Vulgate, en matière doctrinale, n’interdit pas, demande plutôt que la doctrine soit prouvée et confirmée par les textes primitifs, que ces textes soient appuyés par d’autres qui mettent en pleine lumière la signification des saintes Lettres. Le décret de Trente, par ailleurs, n’interdit nullement que, pour l’usage des fidèles et pour une meilleure intelligence des saintes Écritures, des versions soient faites en langue vulgaire, en partant des textes primitifs, comme nous savons que cela se pratique avec l’approbation de l’autorité ecclésiastique. Texte latin de l’Encyclique dans Vivre et penser, 3e série ( = Revue biblique, 1945) ; renseignements dans le même cahier, p. 162-164.

L. Venard.