Dictionnaire de théologie catholique/ZENON DE VÉRONE

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Dictionnaire de théologie catholique
Texte établi par Alfred Vacant, Eugène Mangenot, Émile AmannLetouzey et Ané (Tome 15.2 : TRINITÉ - ZWINGLIANISMEp. 1078-1080).

ZENON DE VÉRONE, évêque de cette ville d’Italie dans la seconde moitié du iv » siècle. — Saint Ambroise, dans une lettre adressée à Syagrius,

évêque de Vérone, rappelle à son correspondant le souvenir d’un de ses prédécesseurs, Zenon : « Avant tout jugement, dit-il, vous vous êtes formé une idée préconçue contre une fille à qui Zenon, de sainte mémoire, avait accordé son estime et qu’il avait sanctifiée de sa bénédiction. » Epist., v, 1. D’autre part, nous possédons sous le nom de Pétronius, sans doute un évêque de Bologne, à qui Gennade a consacré une notice, De vir. UL, li, un bref sermon pour l’anniversaire de Zenon, G. Morin, Deux petits discours d’un évêque Pétronius du Ve siècle, dans Rev. bénédict., t. xiv, 1897, p. 3-8, et nous savons que saint Zenon est demeuré la patron de la ville de Vérone. Enfin, nous connaissons une Vie de saint Zenon, rédigée au viii 8 siècle par un certain Coronatus et conservée en deux recensions, qui transforme son héros en thaumaturge et n’a d’autre valeur que celle d’une légende. C’est également au viir 3 siècle que remonte le plus ancien manuscrit des homélies de Zenon, un codex Remensis, qui doit provenir de Vérone même et par où nous apprenons qu’à ce moment la réputation du vieil évêque était fortement établie.

D’ailleurs, on ne sait rien de sa vie. On a de bonnes raisons pour croire qu’il était originaire d’Afrique : sa langue assez haute en couleur, les particularités de son style, les caractères de la recension biblique à laquelle il emprunte habituellement ses citations scripturaires, la prédilection qu’il témoigne pour les écrivains africains tant païens, comme Apulée de Madame, que chrétiens, comme Tertullien, Cyprien, Lactance ; le fait enfin qu’il a consacré un sermon pour l’anniversaire d’un martyr africain, Arcadius de Césarée en Maurétanie, tous ces indices concordent pour nous autoriser à faire de l’Afrique sa patrie. Mais il n’est pas possible de dire quand et dans quelles circonstances il quitta son pays natal pour venir dans l’Italie du Nord. À plus forte raison ignore-t-on comment il devint évêque de Vérone. En toute hypothèse, son activité oratoire se place au cours de la seconde moitié du ive siècle et plus particulièrement entre 365, date approximative des Tractatus sur les psaumes de saint Hilaire qu’il semble avoir connus, et 380, année vers laquelle saint Ambroise en parle comme d’un mort dans la lettre à Syagrius. Sans doute, il dit quelque part que la première épître de Paul aux Corinthiens a été écrite ante annos ferme quadringentos vel eo amplius, Tractât. , I, v, 4 ; ce qui semblerait être plutôt le fait d’un auteur du ve siècle que celui d’un évêque du iv « ; mais il est possible que du moins les mots vel eo amplius soient une interpolation du premier éditeur des homélies et qu’on doive entendre dans un sens large l’indication des quatre cents ans. Cet unique anachronisme ne saurait légitimement prévaloir contre un ensemble de coïncidences qui aboutissent toutes à la même période 365-380 environ.

Ni saint Jérôme, ni Gennade n’ont mentionné le nom de Zenon dans leurs catalogues d’écrivains ecclésiastiques ; leur silence pourtant n’empêche pas l’évêque de Vérone d’avoir été de son vivant un prédicateur digne de retenir l’attention. Sous son nom, une douzaine de manuscrits nous ont conservé 103 sermons ou esquisses de sermons, répartis en deux livres, dont le premier contient 62 morceaux et le second 41. Les onze derniers sermons ne sont d’ailleurs pas de Zenon, mais appartiennent a d’autre-. auteurs. Reste un recueil de 92, peut être 03 pi qui se recommandent à juste titre de son autorité. Ces pièces sont loin d’avoir toutes la même Impoi tance : seize d’entre elles lentement âév<

loppées ; les autres, beaucoup plus eonrles, sont ou bien des extraits de sermons, ou bien des Introduc

tions ou des conclusions pour des discours dont le corps pouvait être improvisé. Quelques-unes sont même étrangères au genre oratoire et celle qui ouvre le premier livre est une lettre. Il est très probable que Zenon lui-même n’a pas songé à recueillir ses sermons, mais que plus tard, dans le courant du ve siècle, une main pieuse s’est attachée à réunir tout ce qui subsistait de l’activité littéraire de l’évêque. On s’explique ainsi pourquoi saint Jérôme et même Gennade n’ont pas cité, au nombre des écrivains, un homme qui, au sens strict, n’avait publié aucun ouvrage.

La plupart des homélies de Zenon sont des exhortations d’ordre moral ; plusieurs d’entre elles sont adressées soit aux catéchumènes peu de temps avant leur baptême, soit aux néophytes au cours de l’octave de Pâques ; les autres, celles qui sont destinées à tous les fidèles, insistent également avec beaucoup de force sur la pratique de la vertu et leur lecture n’est pas sans jeter un jour curieux sur les mœurs, souvent assez rudes, des Italiens du Nord, encore fraîchement convertis au christianisme, qui étaient les ouailles de Zenon. Le bon évêque se présente lui-même comme un esprit sans grande culture, homo imperitissimus et elinguis, Tractât., i, iii, 1 et il ajoute que dans l’Église on n’a pas besoin de discours brillants, mais de la pure et simple vérité. Il s’abuse lorsqu’il s’exprime ainsi, car il a reçu lui-même une forte culture classique et il utilise à l’occasion toutes les ressources de la rhétorique : anaphore, allitérations, cursus rythmique, parallélisme, rien ne fait défaut à son style de ce qui est capable de le faire valoir aux yeux des beaux esprits de ce temps-là.

Sa théologie est assez fruste, comme on peut s’y attendre de la part d’un homme qui vit en Occident en un temps où la doctrine trinitaire n’a pas encore trouvé chez les latins sa formule définitive et où Tertullien reste le maître toujours écouté et respecté de ceux qui essayent de pénétrer le mystère. Sans doute, l’évêque de Vérone proclame l’unité de substance du Père et du Fils : ils sont comme deux mers qu’emplit la même eau ; le Père s’est reproduit dans le Fils, tout en restant ce qu’il était, Tractât., II, 2, P. L., t. xi, col. 391-392. Il affirme leur égalité : sancta sequalitas ac sibi soli dignissima individus deitatis… Deus in alio se inferior esse quemadmodum potest ; quidquid enim uni ex duobus indiscrète in omnibus sibimet similanlibus detraxeris, cui detraxeris nescis. Tractât., II, i, 1 ; cf. II, m ; II, v, 1 ; vi, 3, 4. Mais il semble quelquefois moins net et par exemple Tractât., II, v, 1, col. 400, il parle du Fils comme s’il était inférieur au Père, sans viser ni l’incarnation, ni les théophanies. Et surtout quand il doit s’expliquer sur la naissance éternelle du Verbe, il reprend la théorie des apologistes sur le double état du Verbe, d’abord immanent dans le sein du Père et alors presque simple attribut de Dieu, puis proféré pour la création et acquérant ainsi sa pleine personnalité. Principium, praires dilectissimi, Dominus noster incunctanter est Christus, quem ante omnia ssecula Pater in profundo suse sacrse mentis arcano insuspicabili ac soli sibi nota conscientia, Filii non sine affecta, sed sine revelamine amptectebatur… Procedit in nativitatem qui erat, antequam nasceretur in Pâtre, œqualis in omnibus. Tractât., II, iii, cf. II, iv ; II, v, 1. D’autres passages, il est vrai, rendent un son moins archaïsant, Tractât., II, 2, col. 392. Il est déjà étrange qu’on retrouve, après 360, de telles expressions.

Les problèmes relatifs au Saint-Esprit n’ont pas encore toute leur acuité au moment où Zenon instruit le peuple de Vérone. Aussi l’évêque se contente-t-il de dire, sans entrer dans de longs détails, que le Saint-Esprit n’est pas une créature, qu’il n’est pas étranger

à la nature divine, qu’il est Dieu. Tractai., i, iv, 5, col. 268 ; II, xiii, 1. Il ajoute que son rôle, dans la vie intime de Dieu, est d’être le lien des deux autres personnes, Tractai., II, ii, col. 392 ; de telle sorte qu’en lui s’achève la Trinité.

Sur l’incarnation, l’enseignement de Zenon peut encore laisser prise à la critique, car il emploie des formules imprécises. L’évêque de Vérone pose en principe qu’en s’incarnant, le Verbe n’a pas cessé d’être ce qu’il était : Saloo quod erat, meditatur esse quod non erat, Tractât, II, viii, 2 ; cf. II, ix, 2 ; et cela est très bien ; il sait donc fort bien que Jésus est à la fois Dieu et homme et sa foi n’éprouve aucune hésitation sur ce point capital, mais, lorsqu’il s’agit de s’expliquer sur l’union des deux natures et sur l’unité de la personne, son langage prend des allures un peu déconcertantes. Parfois, il s’exprime comme si, dans le Christ, l’homme et Dieu n’avaient qu’une union morale. Infunditur (Deus) in hominem, Tractât., II, viii, 2 ; Deus, ex persona hominis quem assumpseral, ait. Tractât., i, xvi, 14. D’autres fois au contraire, il semble favorable à une théorie monophysite : Mistus ilaque humanse carni sese fingit infantem. Tractât., II, viii, 2 ; homo mistus, Tractât., II, vi, 1 ; Tu Deum in hominem demulare voluisti. Tractât., i, n, 9. La présence simultanée de ces formules contradictoires est d’ailleurs faite pour nous rassurer, car il est clair qu’elles ne sauraient procéder d’une idée arrêtée, et qu’elles sont des essais, parfois malencontreux, pour traduire une pensée orthodoxe : Zenon veut avant tout mettre en relief l’idée que les deux natures, humaine et divine, ont gardé leurs propriétés, que chacune d’elles agit selon sa propre loi et cependant que le Christ n’est pas divisé, qu’il est un en dépit des éléments différents qui le constituent : In se Maria creatorem mundi concepit… exponit infantem totius naturse antiquitate majorem, Tractât. , II, viii, 2. Et ailleurs : Vagit Deus, patiturque se pannis alligari qui totius orbis débita veneral sotuturus… Subjicit se gradibus œlatis eu jus œternitas in se non admiltit œtatem. Tractât., II, ix, 2 ; vii, 4. De telles oppositions sont fréquentes chez les Pères du ive siècle. Il ne faut pas leur demander dans les formules une précision qui ne sera poursuivie et obtenue qu’à la suite des controverses christologiques du ve siècle.

Sur la rédemption, on trouve fort peu de choses chez Zenon. Il sait que le Fils de Dieu est venu en ce monde pour nous sauver, qu’il nous a rachetés en prenant sur lui le poids de notre péché : Tractât., i, n, 9, qu’il nous a mérité le salut par ses souffrances et par sa mort, mais il n’insiste pas sur ces vérités élémentaires. Il sait également que le baptême est nécessaire au salut, et plusieurs de ses homélies expliquent les effets d’un sacrement aussi nécessaire. Les petits enfants eux-mêmes, ajoute-t-il, peuvent le recevoir et il produit en eux tout aussi bien que dans les adultes ses bienfaits de grâce, Tractât, I, xiii, 11 ; II, xliii, 1. Il efface nos péchés, il nous revêt de Jésus-Christ ; il fait de nous les temples et les enfants de Dieu ; il est pour notre corps un gage d’immortalité et nous fait entrer en possession de l’héritage céleste. Tractât, I, xii, 4 ; I, xiii, 11 ; II, xiv, 4 ; II, xxvii, 3 ; II, xl ; II, l ; II, lxiii. La confirmation suit immédiatement le baptême et c’est à l’onction d’huile suivie de l’imposition des mains qu’est attribuée plus spécialement la collation du Saint-Esprit et de ses dons. Tractât, II, xiv, 4. L’eucharistie, qui est un sacrifice, Tractât, I, v, 8 ; I, xv, 6, est le sacrement du corps et du sang de Jésus-Christ, Tractât, II, xxxviii ; II, lui ; I, v, 8, et il faut une conscience pure pour la recevoir dignement. Tractât, I, v, 8. Mais tout cela est dit en passant et l’évêque de Vérone n’a pas l’occasion de donner un enseignement

développé sur la présence réelle, moins encore sur ce que nous appelons la transsubstantiation. Il n’y a pas davantage chez lui d’exposé sur la pénitence : il signale la confession des péchés, Tractât., II, xxxix ; II, xl, et la pénitence qui la suit normalement, Tractai., i, x, 13 ; II, xiv, 4 ; ce n’est pas à lui qu’il faut s’adresser pour avoir un tableau des institutions pénitentielles dans l’Italie du Nord au ive siècle.

Sur la très sainte Vierge, Zenon enseigne une doctrine très ferme. Il sait que Marie est la mère de Dieu, la nouvelle Eve, Tractât., i, ii, 9, et plus encore qu’elle est toujours vierge : magnum sacramentum ! Maria virgo incorrupta concepit, post conceptum virgo peperit, posl parfum virgo permansit. Tractât., II, viii, 2 ; II, xi, 1 ; II, xix, 20. Cette doctrine est celle de saint Ambroise, de saint Jérôme, de toute l’Église latine qui proteste avec énergie contre les fantaisies de Bonose, d’Helvidius, de Jovinien. Il est naturel de le retrouver chez l’évêque de Vérone.

Comme d’autres parties de son enseignement, l’eschatologie de Zenon est de caractère assez archaïque. Selon lui, toutes les âmes descendent aux enfers immédiatement après la mort et il semble qu’elles y sont soumises à un jugement provisoire, car les justes sont envoyés dans un séjour de paix, tandis que les méchants commencent à subir la peine de leurs crimes : pro qualitate faclorum quasdam locis pœnalibus relegari, quasdam placidis sedibus refoveri. Tractât, I, xvi, 2 ; II, xxi, 3. À prendre ces expressions à la lettre la béatitude des justes n’est pas encore définitive à ce moment-là ; ailleurs au contraire, Tractât., i, iii, 4 ; I, xvi, 14 ; II, xiii, 4, Zenon parait dire que leur sort est réglé tout de suite après la mort : ce point est de ceux sur lesquels on désirerait plus de clarté. En tout cas, lorsque viendra la fin du monde, Moïse et Élie annonceront la venue du Christ et tous les morts ressusciteront. Tractât., I, xvi, 1, 6, 7, 11. Mais ils ne seront pas tous jugés : ni les justes, ni les infidèles et les impies manifestes n’ont besoin de l’être encore, puisqu’ils ont déjà été mis à leur place, en proportion de leurs mérites Seuls seront soumis au jugement les chrétiens ordinaires, c’est-à-dire ceux qui n’auront pas été de vrais saints ici-bas. Tractât., i, xxi, 1-3. Les réprouvés seront alors envoyés en enfer, où ils demeureront éternellement. Tractât., II, xxi, 3. Tandis que leurs corps seront misérables, les corps des élus seront glorifiés, Tractai., i, 16, 10, 14, et jouiront d’un bonheur sans fin que le bon évoque se plaît à décrire sous les couleurs les plus brillantes. Tractai., i, ix, 6 ; I, xxi, 3.

Telle quelle, avec ses insuffisances et ses lacunes, la théologie de Zenon est intéressante à étudier. Les homélies de l’évêque nous font en effet connaître au mieux ce qu’on enseignait aux fidèles et la manière dont on l’enseignait dans un diocèse quelconque de l’Italie du Nord aux environs de 370. Les hérésies ne troublent pas beaucoup la foi des croyants, bien qu’on sache ce qu’est Farianisme et quels dangers il a fait courir à l’Eglise. On sait qu’il y a un seul Dieu en trois personnes, que le Fils de Dieu s’est fait homme pour notre salut, qu’on entre dans l’Eglise par le baptême. Si quelquefois les formules laissent à désirer, la croyance qu’elles expriment est toujours orthodoxe et il est facile de s’en rendre compte en comparant les uns aux autres les divers exposés qui sont donnés de la foi traditionnelle. La doctrine est surtout enseignée en vue de la vie morale : Zenon veut convertir ses auditeurs, c’est-à-dire les amener à la sainteté, et le meilleur de ses efforts tend vers ce but.

1-0 première édition des homélie* « le / « non est due A Alitertm Cjistelluims, (). P., et à.Inrnlius de Lcnco, Venise. 1508. Plus Importante est l’édition de P. M II. Hiillerlni.

nlCT. Dr. Tll6ni, . f’.ATUOL.

S. Zenonis episcopi Veroncnsis sermones, Vérone, 1739, où le texte des Tractatus est accompagné de dissertations sur la vie et l’enseignement de Zenon. Le texte de cette édition est reproduit dans P. L., t. xi, col. 253-528. Une édition nouvelle, qui utilise des manuscrits inconnus des Ballerini, sans apporter d’ailleurs de changement intéressant, a été publiée par J. B. C. Giulari, Vérone, 1885, et réimprimée en 1900. Cf. H. Januel, Commentaliones philologicæ in Zenonem Veronensem, Gaudentium Brixiensem, Peu-uni Chrysologum Ravennatensem, pars 1-2, Ratisbonne, 19051906 ; E. Lôfstedt, Patrislische Deilràge, Upsal, 1910.

Sur la vie et l’enseignement de Zenon, voir F.-A. Schiltz, S. Zenonis episcopi Veronensis doclrina christiana, Leipzig, 1854 ; A. Pighi, Cenni intorno alla vita di S. Zenone, Vérone, 1889 ; A. Bigelmanin, Zeno von Verona, Munster, 1904 ; P. Monceaux, Histoire littéraire de l’Afrique chrétienne, t. iii, Paris, 1905, p. 365-371 ; K. Ziwsa, Zur slilistischen Wùrdigung des Zeno Veronensis, dans Festgabe zum 100 jalirl. Jubilâum des Schoitengymnasiums, Vienne, 1907, p. 372 ; C. Weymen, Studien zu Apuleius undseinenNachahmern, dans Sitzungsbericbte der Mùnchener Akad. der Wissenscb., 1893, t. ii, p. 350-361 ; Grazioli, dans Scuola cattolica, 1940, p. 174-199, 290-301 ; voir aussi Dôlger, dans Antike und Christentiwi, t. vi, p. 1-56.

G. Bardy.